Commission des affaires européennes

Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • chercheurs
  • citoyenneté
  • ressortissant

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je m'étais vivement opposée, comme beaucoup d'entre nous, à la circulaire Guéant, qui limitait le nombre des étudiants non ressortissants de l'Union européenne souhaitant prolonger leur expérience professionnelle en France. Devant les protestations quasi unanimes, cette circulaire avait d'abord été modifiée dans un sens plus libéral par le précédent gouvernement ; le gouvernement actuel l'a abrogée.

Par sa proposition de directive COM (2013) 151 du 26 mars 2013, la Commission instaure un cadre juridique qui protègera les droits des étudiants étrangers désireux de travailler dans l'Union après l'obtention de leur diplôme.

L'attractivité de l'enseignement supérieur tient en partie aux modalités d'entrée et de séjour sur le territoire d'accueil. Dans l'Union, ces conditions sont contenues dans la directive de 2004 relative aux conditions d'admission des ressortissants de pays tiers à fin d'études, d'échanges d'élèves, de formation non rémunérée ou de volontariat. La mobilité de ces ressortissants favoriserait l'Europe en tant que centre mondial d'excellence pour les études et la formation professionnelle.

La France n'est pas en reste depuis 1998 et la loi dite « Réséda » (relative à l'entrée et au séjour des étrangers et du droit d'asile) : 70 000 visas annuels de long séjour sont accordés aujourd'hui pour études. Le parcours des demandeurs d'entrée reste toujours un peu plus long que celui d'autres grandes nations, pour des raisons essentiellement administratives, mais le projet de loi sur l'enseignement supérieur prévoit des visas pluriannuels pour les étudiants et les chercheurs.

Ce parcours comprend en général trois étapes et sa durée varie selon les pays d'accueil. La première étape, qui dure au minimum un mois, est l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur. La deuxième étape, l'autorisation d'entrée sur le territoire, prend entre quelques jours et quelques semaines ; la troisième est le renouvellement annuel du droit de séjour, qui peut donner lieu à vérification des critères de sérieux et de réalité des études.

Dans certains pays, l'obtention de l'inscription dans une université entraîne la délivrance quasi immédiate, si le dossier est accepté, du visa et du titre de séjour pour la durée des études. La Commission souhaite harmoniser ces règles et tendre vers une simplification et une libéralisation favorables aux demandeurs.

La proposition s'inscrit dans le cadre général de l'article 79 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le Parlement et le Conseil désirent améliorer ces dispositions en tenant compte de la stratégie « Europe 2020 » : l'immigration en provenance des pays tiers représente un vivier de personnes hautement qualifiées. La facilitation des contacts ne peut que renforcer l'efficacité de la politique européenne de voisinage. De leur côté, les pays extérieurs à l'Union sont demandeurs d'un enseignement de qualité dont ils ne disposent pas encore chez eux.

L'Europe est confrontée à des défis économiques et démographiques majeurs. La population en âge de travailler va bientôt diminuer. L'Europe perd ses chercheurs et manque d'ingénieurs, alors qu'elle a besoin d'innover. Elle doit être promue en tant que centre mondial d'excellence pour l'éducation et les relations internationales. La démarche d'ouverture n'est donc pas seulement généreuse : elle tient compte de l'intérêt bien compris de toutes les parties.

Plusieurs dispositions sont déjà en vigueur. La directive 2004/114/CE énonce les règles communes pour l'entrée et le séjour des étudiants, mais laisse toute latitude aux États membres pour les appliquer aux ressortissants admis pour un échange, une formation non rémunérée ou du volontariat. La directive 2005/71/CE prévoit, quant à elle, une procédure d'admission spécifique pour les chercheurs. C'est un cadre très souple que la Commission souhaite rendre plus contraignant pour les États membres.

La nouvelle proposition définit les conditions d'entrée et de séjour, pour une durée supérieure à trois mois, des chercheurs, étudiants, élèves, stagiaires rémunérés ou non, volontaires et personnes au pair, ressortissants de pays tiers. Elle introduit des conditions d'admission pour deux catégories qui ne relèvent actuellement d'aucun cadre juridique contraignant de l'UE : les personnes au pair et les stagiaires rémunérés. Les modalités régissant l'admission des membres de la famille des chercheurs sont assouplies, ainsi que celles concernant leur accès au marché du travail et leur mobilité à l'intérieur de l'Union.

Un demandeur qui satisfait à toutes les conditions se verra accorder un visa de long séjour ou un titre de séjour. La proposition facilite la mobilité à l'intérieur de l'Union pour les étudiants et chercheurs relevant des programmes « Erasmus Mundus » ou « Marie Curie » : ceux-ci seront élargis et leur part dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 augmentera.

La proposition accroît le droit des étudiants à travailler à temps partiel et de rester sur le territoire, à l'issue de leurs études ou recherches, pour recenser les possibilités d'activité professionnelle.

Elle introduit une meilleure information et une plus grande transparence ; des garanties concernent les délais de prise des décisions, leur motivation écrite et les voies de recours. Enfin, les droits perçus devront être proportionnés de manière à ne pas être dissuasifs.

La France remplit largement les conditions posées par la Commission.

Son projet pose le principe général selon lequel un demandeur qui satisfait à toutes les conditions se voit automatiquement accorder un titre de séjour ou un visa de long séjour par l'État membre où il a présenté sa demande. Les conditions générales d'admission sont les mêmes que pour l'immigration légale : des documents valables, une assurance maladie et un montant minimal de ressources.

Des conditions spécifiques aux chercheurs exigent que l'organisme de recherche, agréé par l'État, ait signé une convention d'accueil. La plupart de nos universités et centres de recherches travaillent déjà en réseau et développent des relations suivies avec leurs correspondants étrangers, d'autant que le nombre de doctorants étrangers est souvent une condition du maintien de certaines filières.

Les personnes au pair devront prouver que la famille d'accueil prend en charge leurs frais de subsistance et de logement, à travers une convention définissant les droits et les obligations de chacun.

Le programme de formation, la durée, les conditions de suspension des droits de séjour et les conditions de travail des stagiaires rémunérés devront être précisées, et l'entité d'accueil pourra être tenue de déclarer que le ressortissant du pays tiers ne pourvoit pas un poste vacant : cela évitera que les stagiaires servent de main d'oeuvre bon marché.

Pour les chercheurs et pour les étudiants, le titre de séjour doit être d'une durée d'un an au moins. Pour toutes les autres catégories, l'autorisation est limitée à un an, par principe, avec de possibles exceptions.

Le projet de directive détermine les motifs obligatoires et facultatifs de refus, de retrait ou de non renouvellement d'une autorisation, par exemple des conditions non remplies ou des faux documents.

Les ressortissants des pays tiers jouiront de l'égalité de traitement posée par la directive « permis unique ».

Je souligne deux mesures très positives : les chercheurs pourront enseigner et les étudiants travailler pour une durée hebdomadaire portée de 12 à 20 heures. Ils auront en outre la possibilité de rester sur le territoire douze mois après la fin de leurs études ou recherches, afin de trouver un emploi ou créer une entreprise.

Les chercheurs et les membres de leur famille, les étudiants et les stagiaires pourront circuler entre les États membres.

Les États membres devront se prononcer en 60 jours pour toutes les catégories de demandeurs et 30 jours pour ceux qui relèvent des programmes de l'UE, « Erasmus Mundus » et « Marie Curie ». Ils ont le devoir de rendre disponible l'information sur les conditions d'entrée et de séjour. Le coût du traitement de la demande doit respecter une proportion qui ne mette pas en péril la réalisation des objectifs de la directive.

La principale source de la valeur ajoutée des économies développées au XXIème siècle viendra de la recherche et de la technologie. L'accueil d'étudiants et de chercheurs étrangers est donc indispensable au maintien de la position européenne dans la compétition internationale. L'Europe doit maintenir un égal niveau de reconnaissance et d'attractivité vis-à-vis des pays tiers, participer à la formation des élites étrangères, et ainsi veiller à la défense de ses intérêts. La formation des cadres étrangers est aussi un facteur clé de la politique d'aide au développement et de l'amélioration de l'équilibre international.

Notre pays remplit sa mission avec détermination. En 2012-2013, la France a accueilli 289 274 étudiants étrangers, dont 74,7 % à l'Université. Ils représentent 12 % des étudiants et 41 % des doctorants. Plus de la moitié sont francophones à l'arrivée et presque la moitié d'entre eux proviennent du Maghreb et de l'Afrique noire. Cette politique publique correspond à une dépense annuelle de 4 milliards d'euros.

Grâce à son histoire, son prestige, et encore à sa langue, du moins dans les filières littéraires, la France est le troisième pays d'accueil après les États-Unis et le Royaume-Uni.

Mais la question de la langue est de plus en plus aiguë dans les domaines scientifiques et techniques. L'émergence de pays aux demandes spécifiques, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, remet en question le statut du français, langue de travail et d'enseignement, les nouvelles générations des pays francophones portant leur regard vers d'autres horizons. Notre débat du 24 avril 2013 a souligné l'enjeu. La France a intérêt à bien accueillir les meilleurs étudiants étrangers : les liens contractés à cette occasion sont les meilleurs garants d'une francophilie durable. Comme l'estime le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce projet de directive va dans le bon sens.

Sans doute y a-t-il quelque chose de surréaliste à plaider pour l'attractivité de notre territoire au lendemain de la publication des données de l'étude PISA (programme international de suivi des acquis)...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

dont les résultats ne sont pas contradictoires : il y a l'élite et le reste !

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Le niveau des États-Unis, selon l'enquête PISA, est inférieur au nôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Cette enquête ne concerne que les enseignements primaire et secondaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

L'ambition est tout de même que les élèves du secondaire accèdent à l'université avec un bon niveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Certes. Merci pour votre rapport. Notre situation, à l'égard des étudiants étrangers, est désormais apaisée. À l'époque de la circulaire Guéant, nous devions supplier les préfets d'accorder des permis de séjour à des gens de valeur, qui travaillaient très bien dans des entreprises qui en étaient très satisfaites ! On a fini par abroger cette circulaire qui n'aurait jamais dû voir le jour.

La proposition de directive européenne fait consensus : c'est pourquoi nous n'avons pas préparé de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Je vous félicite pour votre travail et me réjouis des constats que vous avez dressés. Il est bon de savoir que la France est bien placée et dispose de toutes les conditions souhaitées pour accueillir les étudiants. La proposition de directive ne pose aucun problème. Le dernier projet de loi sur l'enseignement supérieur comporte des avancées pour la défense de notre langue. Certes, il est désormais possible, notamment en sciences, d'enseigner en anglais, mais des conditions sont posées pour proposer aux étudiants qui viennent dans notre pays d'apprendre le français. Le fait est que nous ne pouvons lutter contre la domination de la langue anglaise. Nous l'avons vu récemment en Slovaquie ...

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

même assistés d'un interprète, nos interlocuteurs préféraient systématiquement s'exprimer dans cette langue plutôt que dans la leur... Un nombre important d'étudiants étrangers favorisera la francophilie.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Quels membres de la famille des chercheurs pourront être accueillis et circuler librement dans l'UE ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Seulement le noyau familial, le conjoint et les enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

D'où vient la proportion si forte des étrangers chez les doctorants ? Je suis saisi par l'écart entre la proportion d'étudiants étrangers (un sur huit) et celle des doctorants (près d'un sur deux) : sont-ils meilleurs que les doctorants français ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Si les formations de niveau licence ou master n'y manquent pas, ils ont moins de doctorats de haut niveau dans leurs propres pays : les nôtres exercent donc une réelle attractivité. Leur présence, je l'ai dit, permet le maintien de filières qui, si elles étaient réduites aux seuls Français, seraient menacées de disparition.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Presque un doctorant sur deux, tout de même : voilà une vraie interrogation !

Les entreprises ciblent-elles des pays émetteurs d'étudiants, avec l'idée qu'ils représentent des marchés porteurs pour nous ? Est-ce la demande des étudiants qui joue ici, ou plutôt l'offre d'enseignements de nos universités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Les universitaires que nous avons entendus nous ont assuré qu'il n'y avait aucun pilotage national. Les pays d'origine varient beaucoup d'une université à l'autre, en fonction des politiques et des stratégies de chacune. De plus, elles entretiennent des liens avec tel ou tel pays, qui peuvent conduire à des échanges d'étudiants - je pense en particulier aux étudiants coréens. Par ailleurs, le recrutement peut différer selon les filières...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

À Toulouse par exemple, les filières scientifiques mènent des prospections de long terme auprès de certains pays.

Quant aux étudiants chinois, ils viennent d'eux-mêmes, en sachant qu'ils sont très organisés : une agence spécifique chinoise prépare leur venue.

Nous avons une relation très forte avec le Maghreb et les pays de l'Afrique sub-saharienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Nous n'investissons pas assez dans les universités étrangères elles-mêmes en y envoyant des enseignants. Le Kazakhstan, par exemple, subit le monopole des Anglo-Saxons et ses étudiants s'en vont à la London School of Economics, à la Harvard Business School ou à Princeton.

Nous avions tous été surpris par l'ostracisme de la circulaire Guéant. Elle paraissait répondre - ce qui peut l'expliquer, mais ne la justifie pas - à une crainte de dumping social : les étudiants concernés auraient pu accepter des salaires plus bas.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Il faut encore tenir compte des doctorats à double tutelle, qui sont particulièrement nombreux en France. En outre, beaucoup de chercheurs extérieurs à l'Union viennent chez nous pour faire une seconde thèse de manière à se placer dans les normes LMD.

La présence de tant d'étudiants étrangers est aussi expliquée par l'histoire coloniale. A l'inverse des Britanniques, les Français, par souci de contrôler les élites locales, n'avaient pas créé d'universités dans leur empire. Cela, d'ailleurs, pose aujourd'hui des problèmes de coût et de papiers aux étudiants d'Afrique noire qui veulent venir en France. Beaucoup s'en vont désormais dans des universités de l'Afrique anglophone, comme le Ghana ou le Nigéria, ce qui en amène certains à passer à l'anglais...

Enfin, la France a été une terre d'accueil démocratique à l'époque des dictatures sud-américaines et ibériques. Elle est ainsi devenue, dans les années 1950 à 1970, une véritable capitale latine. Ce lien s'est prolongé grâce aux enfants de l'intelligentsia sud-américaine et a créé un vrai melting pot de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Les doctorats à double tutelle, en effet, se développent beaucoup : ils sont presque systématiques avec l'Algérie.

Le faible niveau relatif des droits d'inscription offre une autre explication de l'afflux des étudiants étrangers : il est l'un des éléments de l'attractivité de notre territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Je vous félicite à mon tour pour votre communication très éclairante. Le sujet, vital pour l'influence de la France, nécessite un travail à long terme.

L'arrivée des étudiants étrangers ne proviendrait-elle pas de politiques d'investissements à l'intérieur de leur propre pays ? Ils pourraient être envoyés chez nous par leurs professeurs, soucieux d'entretenir les liens humains qui les unissent à nos universités.

Quelle est l'origine nationale des étudiants ? Quelles sont les filières qui les accueillent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

La répartition est la suivante : dans l'ordre, Maroc, Chine, Algérie, Tunisie, Sénégal, Allemagne, Italie, Cameroun, Viêtnam, Espagne, Russie, Brésil, États-Unis, Liban, Roumanie, Côte-d'Ivoire, Madagascar, Gabon, Belgique, Portugal. L'empreinte de la francophonie, vous le voyez, est vaste. Cela peut évoluer : les nouvelles générations, hélas, commencent à se tourner ailleurs, rendant nécessaire une démarche volontariste de nos universités et de nos centres de recherche en direction des pays émergents.

Le rang réel de la France varie, suivant les classements, entre la troisième et la cinquième place.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Il me semble en effet que l'Allemagne accueille plus d'étudiants étrangers que nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Sur le plan linguistique, chaque université développe sa stratégie. L'université de Grenoble organise à destination des non-francophones une formation initiale au français en préfiguration de leurs études. Elle est payante dans tous les sens du terme : ceux qui la suivent plongent dans un bain de français.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Le mercredi 20 novembre 2013 :

Antoine GRASSIN, directeur général, Campus France ;

MM. Marc NEVEU, secrétaire général, Pierre CHANTELOT, secrétaire national en charge de la formation, et Marc DELEPOUVE, responsable du secteur international, SNESUP.

Le mardi 26 novembre 2013 :

Geneviève FIORASO, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Nadia KHELEF, conseillère de Mme la ministre ;

Hervé TILLY, sous-directeur à la Sous-direction des affaires européennes et multilatérales à la DREIC ;

Anthony ALY, adjoint du conseiller parlementaire.

Le jeudi 28 novembre 2013 :

Marie-Christine LEMARDELEY, présidente, et M. Emmanuel FRAISSE, vice-président délégué aux relations internationales, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 ;

MM. Bertrand GIRARD, président, Yan BAILLY, directeur des relations internationales, Université de Grenoble ;

Laurent GROSCLAUDE, directeur du département des relations européennes et internationales, Université de Toulouse.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

2013 est « l'année européenne des citoyens ». La citoyenneté européenne, introduite par le traité de Maastricht, concerne tout ressortissant d'un État membre et s'ajoute à sa citoyenneté nationale. Ce n'est pas l'Union qui la détermine, mais chaque État en fonction de son droit propre de la nationalité.

Le traité de Lisbonne énonce la liste des droits qui en résultent : circulation, séjour, vote et éligibilité aux élections européennes et municipales dans l'État de résidence. Il lui a donné un contenu plus concret en instituant un droit d'initiative citoyenne, entré en vigueur il y a un peu plus d'un an. Les droits des citoyens européens résultent aussi de la Charte des droits fondamentaux, désormais juridiquement contraignante.

La citoyenneté figure expressément dans le portefeuille confié à Mme Viviane Reding. Or, dans son rapport de 2010, la Commission a souligné les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la liberté de circulation et de séjour ainsi que dans l'exercice des droits électoraux.

Pour tenter de rapprocher l'Europe des citoyens, le Conseil et le Parlement européen, après avoir envisagé une « année de la citoyenneté européenne » ont donc proclamé 2013 « année européenne des citoyens ». Il s'agissait de mieux faire connaître les droits associés à la citoyenneté de l'Union, les politiques et les programmes qui en favorisent l'exercice, d'encourager un débat sur les politiques menées et d'amplifier la participation civique - avant les prochaines élections européennes. Un budget d'un million d'euros a été attribué à cette initiative, coordonnée en France par la Conférence permanente des coordinations associatives. Plusieurs événements, nationaux et locaux, sont soutenus par la Commission dans toute l'Europe.

Je souhaiterais que le Parlement européen attribue une citoyenneté européenne d'honneur aux titulaires du Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, décerné chaque année par le Parlement européen. En 2013, il a été remis à la militante pakistanaise pour l'éducation des filles, Malala Yousafzai, connue pour son combat face aux intégrismes. Les activistes du Printemps arabe l'ont reçu en 2011 ; en 2003, l'ONU et son secrétaire général ; en 1988, Nelson Mandela. L'Europe a besoin de symboles et une telle proposition contribuerait à lui donner du sens.

Les rapports de la Commission tendent à faciliter la vie des citoyens européens, par exemple pour les documents d'état civil. L'exercice véritable de ses droits permettra au citoyen européen de se sentir partout chez lui. La Cour de justice a appuyé cette démarche dans les arrêts Rottmann, du 2 mars 2010, et Zambrano, du 8 mars 2011 : nul ne peut être privé, en droit ou en fait, des droits liés à la citoyenneté européenne.

Mais bien des difficultés demeurent, en raison d'une conception restrictive de la citoyenneté. L'obligation de choisir une nationalité a pour effet de limiter le droit de vote. La double citoyenneté au sein de l'Union n'existe pas. Un Franco-Canadien jouit de la quasi-totalité des droits de vote dans les deux pays, mais pas un Français en Italie : sa nationalité d'origine l'empêche de voter aux élections législatives. En outre, certains États membres privent de leur droit de vote leurs ressortissants résidant à l'étranger pendant une longue période. Un Maltais présent en France plus de cinq ans perdra ce droit chez lui, sans pour autant le gagner chez nous !

L'Union n'ayant aucune compétence dans ce domaine, la citoyenneté européenne se trouve conditionnée par les pratiques des États. Par exemple, l'Autriche accorde le droit de vote à 16 ans. Plus préoccupant : le parlement maltais a décidé, le 12 novembre, que les non-ressortissants de l'Union pourraient acquérir la nationalité maltaise - donc la citoyenneté européenne - moyennant 650 000 euros... Les médias russes, on se demande pourquoi, s'intéressent beaucoup à cette mesure invraisemblable...

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Il y a un vide juridique : comment introduire, sans créer de précédent, une discrimination entre les citoyens ayant acheté leur nationalité et les autres ? Une étude de législation comparée sur l'accès à la nationalité permettrait à notre commission d'approfondir cette question. Nous pourrions suggérer un mécanisme intergouvernemental d'alerte, commun aux États membres, lorsque des décisions relatives à la nationalité auraient, comme ici, un impact sur la citoyenneté européenne.

Les enquêtes Eurobaromètre montrent que la possibilité de voter à toutes les élections organisées dans l'État de résidence répondrait à une attente de nombreux citoyens européens. Au-delà, le contenu de la citoyenneté européenne leur paraît singulièrement faible. Le volet social - l'harmonisation du système de protection sociale vient en tête des réponses, à 41 % - pourrait le renforcer.

La dimension culturelle occupe une place très faible. J'avais souligné ici même le caractère assez factice du programme des « capitales européennes de la culture ». Le Sénat avait adopté, le 26 décembre 2012, une résolution européenne déplorant que la dimension européenne soit souvent occultée, au profit d'une simple opération de promotion de la ville élue.

La jeunesse devrait aussi être une priorité. Une résolution du 11 avril 2012, à l'initiative de Colette Mélot, avait proposé d'apposer le label unique Erasmus à l'ensemble des actions européennes en la matière. Il est satisfaisant que ce point de vue l'ait emporté. Les nombreuses initiatives menées dans les lycées doivent aussi être encouragées.

Le Sénat a adopté la proposition de résolution de Pierre Bernard-Reymond sur la création de RFE (Radio France Europe), pour informer nos compatriotes de ce que font les autres États membres. Tout se passe comme si la connaissance de l'activité européenne était réservée aux initiés ! L'Europe demeure abstraite, sauf quand on veut lui faire porter le chapeau de ce qui va mal !

Un document de synthèse, transmis aux parlementaires, leur donnerait les moyens d'informer les citoyens. Celui dont nous disposons lors du débat budgétaire ne retrace que la contribution financière de la France à l'Union européenne. Le Secrétaire général des affaires européennes, M. Serge Guillon, relevait le paradoxe de notre vote annuel, qui ne porte que sur la dépense que représente cette contribution et jamais sur les retours qu'elle implique... Il faut informer les citoyens des réalisations concrètes qui voient le jour grâce aux financements européens, dont bénéficient notre agriculture, nos territoires - ou nos tramways, financés à moitié par la Banque européenne d'investissement (BEI).

Des documents accompagnant les formulaires de déclaration d'impôts devraient détailler la contribution moyenne au budget européen et les retours pour les catégories de population concernées et les agriculteurs - souvent hostiles aux institutions européennes alors qu'ils en bénéficient et que la France y gagne 7 milliards d'euros ! Les positions françaises dans les négociations de textes importants, la façon dont elles ont été prises en compte, seraient ainsi mieux comprises. Nous verrons si cette proposition peut être réalisée par Bercy.

Pour faire participer les citoyens au processus de décision, la Commission, qui se rend compte de sa déconnexion vis-à-vis de la réalité, ouvre chaque année des consultations en grand nombre : 104 entre janvier et octobre ; les « livres blancs » et « livres verts » se succèdent, parfois sur des enjeux essentiels, comme l'énergie et le climat. Le Gouvernement nous a précisé que les autorités françaises y répondaient à hauteur de 55 % à 65 %.

Le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) encourage les acteurs de la société civile et les parties prenantes à répondre aux consultations, mais sans résultat probant. Or, le processus de décision résulte d'un jeu d'influences. Il implique une mobilisation de tous. Ainsi, la mobilisation récente des professionnels sur le dossier des aides au cinéma a infléchi la position de la Commission. De même, les Parlements nationaux pourraient prendre une part plus active dans cette phase « pré-législative ». Lors de notre entretien, le commissaire Maros Sefcovic, vice-président de la Commission, chargé des relations interinstitutionnelles et de l'administration, m'a rappelé qu'avec le contrôle de la subsidiarité, les Parlements nationaux disent à la Commission si l'Union doit légiférer. Leurs réponses aux livres blancs ou verts l'orienteraient de façon précoce. Grâce à ses liens avec les territoires, le Sénat est susceptible de jouer un rôle privilégié pour relayer l'information sur l'existence de consultations publiques.

La citoyenneté européenne c'est aussi la libre circulation, Erasmus, ou la carte « E 111 ». Un autre aspect concerne la place des femmes dans les institutions européennes. La France compte 44 % de femmes dans sa représentation au Parlement européen. De même, au plan national, la France est devenue « mieux-disante » en luttant contre le plafond de verre, ou pour les nominations dans les hautes instances publiques. La parité a été instaurée dans la composition du Haut conseil des Finances publiques, de la Banque publique d'investissement, du Conseil national des programmes scolaires ou dans l'audiovisuel public. La Commission propose un quota de 40 % de femmes dans les conseils d'administration des sociétés cotées. C'est une avancée. Mais la place des femmes dans les institutions européennes demeure limitée dans les postes d'influence. À la Commission, 7 femmes occupent des postes de directeurs généraux sur un total de 36. C'est peu. La Commission a défini des objectifs de promotion interne, afin que les postes d'encadrement supérieur soient occupés à 30 % par des femmes. Il faut une action volontariste pour parvenir à la parité !

J'en viens aux élections au Parlement européen. Le taux de participation n'a cessé de diminuer, chutant à 43 % en 2009. Dans une résolution de novembre 2012, le Parlement européen a demandé aux partis politiques de proposer des candidats à la présidence de la Commission. Ceux-ci devraient jouer un rôle moteur dans la campagne électorale, en présentant personnellement leur programme dans tous les États membres.

En mars 2013, la Commission a recommandé d'encourager la transmission d'informations aux électeurs sur les liens d'affiliation entre partis nationaux et partis politiques européens. Elle demande également que les partis nationaux et européens fassent connaître avant les élections le nom du candidat aux fonctions de président de la Commission qu'ils soutiennent et son programme. Elle souhaite que les États membres arrêtent une date commune pour les élections, avec une fermeture des bureaux de vote à la même heure. Elle a aussi présenté, en septembre 2012, une proposition de règlement relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes. Les fondations politiques allemandes, très bien dotées, jouent un grand rôle en Allemagne.

En septembre 2013, le Parlement européen a lancé une campagne d'information. Beaucoup d'autres initiatives similaires sont prises, notamment par des think tanks. L'opinion publique attend de l'Union des réponses concrètes à des préoccupations du quotidien. Il faut montrer ce que fait l'Union dans ces domaines et nourrir le débat avant les élections.

Les ressortissants d'autres États membres peuvent voter en France. Il faut faciliter l'exercice de ce droit, en évitant les tracasseries administratives. Le Sénat a adopté, hier, le projet de loi transposant une directive qui simplifie l'exercice du droit d'éligibilité aux élections au Parlement européen, pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants. Mais, en France, il existe deux listes d'inscription, l'une pour les municipales, l'autre pour les européennes, et les ressortissants européens doivent recevoir deux récépissés. Selon le ministère de l'intérieur, l'existence de ces deux listes laisse aux citoyens de l'Union le choix de voter aux élections européennes en France ou dans leur pays d'origine. Mais, en pratique, beaucoup de mairies ne délivrent que le récépissé afférent aux élections municipales et bien des électeurs le découvriront trop tard ! Le ministre de l'intérieur m'a indiqué qu'il avait pris des mesures.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Des listes accueillant davantage de ressortissants d'autres États membres renforceraient le sentiment de citoyenneté européenne.

Enfin, le traité de Lisbonne a créé l'initiative citoyenne européenne (ICE). Elle complète le droit de pétition. La Commission reste libre de lui donner une suite favorable ou de la refuser. Après validation, les organisateurs ont un an pour recueillir un million de signatures dans un quart des États membres. La Commission a pris des initiatives pour répondre aux difficultés de collecte des signatures. Une fois que les ministères de l'intérieur des pays concernés ont validé les signatures, le Parlement européen ou la Commission se saisissent du projet, qu'ils peuvent adopter ou rejeter. Sur les huit initiatives déposées, trois ont atteint le seuil requis : l'une demande que l'eau soit « un bien public, pas une marchandise ». L'ampleur de la mobilisation citoyenne sur ce thème a été telle que M. Michel Barnier a retiré l'eau du champ des négociations sur l'élargissement du marché intérieur. La deuxième souhaite mettre un terme au financement par l'Union d'activités qui entraînent la destruction d'embryons humains, tandis que la troisième demande la fin de l'expérimentation sur les animaux vivants. Mais des difficultés ont été signalées par les organisateurs : l'exigence d'un numéro d'identification personnel imposé par la plupart des États membres a un caractère dissuasif. Ainsi, la France demande le numéro de passeport ou de carte d'identité, à la différence de l'Allemagne, plus souple. Là aussi, il faudrait harmoniser.

Un amendement concernant les enfants de couples binationaux qui se séparent a été déposé par Joëlle Garriaud-Maylam et Colette Mélot à la proposition de résolution que nous allons examiner à l'issue de cette communication. J'y suis favorable. Néanmoins, il conviendrait de compléter également l'exposé des motifs de la proposition de résolution européenne que je vous soumets.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Merci pour cette communication qui dresse un panorama complet des différents aspects de la citoyenneté européenne. Avec seulement sept femmes directrices générales à la Commission, la marge de progression est étendue !

Cette communication est l'occasion, à nouveau, de constater à quel point le traité de Lisbonne, tant vilipendé, est plein de richesses...

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Nous nous en étions déjà aperçu, à travers le renforcement des pouvoirs des parlements nationaux, les pouvoirs accrus du Parlement européen dans l'adoption du cadre financier européen, ou l'élargissement de la procédure de codécision à l'agriculture.

Le rapporteur donne donc un avis favorable à l'amendement déposé par Mmes Garriaud-Maylam et Mélot, sous réserve d'une réécriture des considérants de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

La proposition de résolution, très complète, englobe de nombreux aspects de la citoyenneté européenne. À l'heure de la libre circulation de la jeunesse en Europe, n'oublions pas les mariages binationaux : 13 % des couples en Europe sont binationaux...

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Sont-ils tous formés de ressortissants de pays européens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Il faudra vérifier. Ce chiffre est issu d'un rapport de Joëlle Garriaud-Maylam. De nombreuses difficultés apparaissent, qui donnent lieu à des procédures interminables et parfois dramatiques, en cas de divorce, autour du paiement de la pension alimentaire, du partage de l'autorité parentale, voire de rapts d'enfants, etc. Les médias se sont fait l'écho de plusieurs affaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Cet amendement présente l'avantage d'être positif. Nos concitoyens accumulent trop de griefs contre l'Europe, qu'il importe de présenter positivement.

À l'occasion de cette proposition de résolution, il conviendrait d'adopter une position ambitieuse sur l'impôt. Les contributions de chaque pays doivent être transformées, à montant constant, en la composante d'un véritable impôt européen. Un tel impôt serait fédérateur.

En outre, ne soyons pas schizophrènes. Un salaire minimum est appliqué dans l'administration européenne, pourquoi n'en serait-il pas de même dans les pays membres ? Nous approuvons des recommandations européennes sur l'âge de la retraite ou le temps de travail, mais on ne les applique pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Il est essentiel que les droits convergent. Je suis un fondamentaliste européen. C'est brique par brique que nous construirons l'édifice.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Pour avancer sur l'impôt, il faut déterminer sa nature. Doit-il dépendre de ressources propres ou des contributions nationales ? Les deux logiques sont très différentes. Beaucoup de pistes de réformes existent, mais il n'est pas certain que les chefs d'États et de gouvernements en fassent leur priorité, puisque la question du financement de l'UE paraît réglée, d'ici à 2020...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

La communication de M. Gattolin dépasse nos engagements personnels, ainsi que les clivages partisans. Pourquoi notre commission ne publierait-elle pas, en s'appuyant sur elle, un document d'information, quelques mois avant les élections européennes, sur la citoyenneté européenne, montrant les avantages que celle-ci procure ? Un tel document contribuerait à défendre l'idée européenne dans l'esprit de nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Avec M. Gattolin, nous avons été députés européens avant de devenir sénateurs. Nous nous sommes d'ailleurs tous les deux prononcés en faveur de l'attribution du prix Sakharov à Aung San Suu Kyi.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Je remercie André Gattolin d'avoir voté notre résolution en faveur de la création d'une station de radio française « Radio France Europe » et d'avoir incorporé cette question dans sa propre proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur Humbert, nous attendons du gouvernement une synthèse. Peut-être pourrait-elle servir de base au document que vous appelez de vos voeux ?

Je suis partisan d'un impôt européen. Je suis toujours surpris quand les gens se plaignent que l'Europe les « vole ». En France la moitié des ménages, les plus modestes, ne sont pas imposables au titre de l'impôt sur le revenu. Même s'ils participent à la contribution européenne via la TVA ou la CSG, ils bénéficient bien plus de la redistribution européenne...

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

N'oublions pas que la contrepartie de l'impôt est l'équité, la transparence et la lisibilité. On en est loin...

Madame Mélot, je suis favorable à votre amendement. La procédure de coopération renforcée pourrait, dans un premier temps, contribuer à résoudre les problèmes des couples binationaux.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

La citoyenneté européenne concerne de nombreux aspects. Pour avancer, il faut les mentionner, au risque de se retrouver face à un inventaire à la Prévert de questions juridiques.

La commission adopte l'amendement, puis la proposition de résolution européenne dans le texte suivant :

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 9 et 11 du traité sur l'Union européenne,

Vu les articles 20 à 25 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et notamment son chapitre V,

Vu le rapport 2013 sur la citoyenneté européenne [COM (2013) 269],

Souligne que la citoyenneté européenne est un acquis majeur de la construction européenne ; qu'elle contribue au rapprochement des peuples qui est au coeur du projet européen ;

Rappelle que le traité de Lisbonne a cherché à donner un contenu plus concret à la citoyenneté européenne, notamment par la création d'une initiative citoyenne ; que les droits des citoyens européens résultent aussi de la Charte des droits fondamentaux qui est désormais juridiquement contraignante ; que la citoyenneté a été mieux prise en compte dans l'organisation de la Commission avec la mise en place d'un nouveau portefeuille « Justice, droits fondamentaux et citoyenneté » ;

Prend acte de l'initiative prise par le Conseil et le Parlement européen de proclamer 2013 Année européenne des citoyens ; rappelle que cette initiative est destinée à mieux faire connaître les droits associés à la citoyenneté de l'Union, les politiques et les programmes qui existent pour favoriser l'exercice de ces droits, encourager un débat sur les politiques de l'Union et amplifier la participation civique et démocratique à ces politiques ; suggère qu'une citoyenneté européenne d'honneur soit attribuée aux titulaires du Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit décerné chaque année par le Parlement européen ;

Fait valoir que, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, une personne ne peut être privée en droit ou en fait des droits liés à la citoyenneté européenne ;

Constate toutefois que la citoyenneté européenne demeure encore entravée par de nombreux obstacles, en particulier dans la mise en oeuvre de la libre circulation et de séjour, ainsi que dans l'exercice des droits électoraux ;

Estime que beaucoup de difficultés demeurent en raison d'une conception restrictive de la citoyenneté ; qu'en particulier l'obligation de choisir une nationalité a pour effet de limiter le droit de vote ; que, plus généralement, la citoyenneté européenne sera vécue plus concrètement par le développement des rencontres et des échanges entre les cultures des États membres ;

Relève que l'existence de la citoyenneté européenne est conditionnée par les conditions d'acquisition de la nationalité dans chacun des États membres ; suggère, en conséquence, la mise en place d'un mécanisme intergouvernemental d'alerte qui permettrait aux États membres d'échanger entre eux sur les décisions relatives à la nationalité qui sont de nature à impacter la citoyenneté européenne ;

Juge nécessaire de donner un contenu plus concret à la citoyenneté européenne, notamment en renforçant le volet social et la dimension culturelle de la construction européenne ; souligne que les actions en direction de la jeunesse doivent être encouragées, et se félicite que le label « Erasmus » recouvre désormais l'ensemble des actions en matière d'éducation, de formation et de jeunesse, comme l'avait suggéré le Sénat dans sa résolution du 11 avril 2012 ;

Fait valoir que la citoyenneté européenne ne pourra pas se développer sans une bonne information des citoyens sur la situation des autres États membres ; rappelle que, dans sa résolution du 9 octobre 2013, le Sénat a demandé la création d'une station de radio française « Radio France Europe » : R.F.E., destinée à mieux faire connaître, dans tous les domaines, la vie quotidienne de nos partenaires européens ;

Déplore que les citoyens ne soient pas bien informés des relations entre la France et l'Union européenne ; demande, en conséquence, la transmission au Parlement d'un document de synthèse retraçant l'ensemble de ces relations ; fait valoir qu'un tel document permettrait en particulier d'expliciter de façon concrète les actions de l'Union européenne en France ainsi que les positions françaises défendues dans les négociations européennes et la façon dont elles sont prises en compte par les institutions européennes ;

Considère que la lisibilité par le citoyen de la contribution française au budget européen devrait aussi être renforcée ; qu'à cette fin, au moment du vote en loi de finances, le montant global des retours dont bénéficie notre pays devrait ressortir de façon plus explicite qu'une mention dans une annexe au projet de loi de finances ; qu'en outre les documents accompagnant les déclarations d'impôts devraient signaler explicitement la contribution moyenne au budget européen et les retours estimés des grandes catégories de la population ;

Souligne que la citoyenneté européenne doit aussi s'exercer à travers une participation active au processus de décision ; invite, en conséquence, les acteurs de la société civile et les parties prenantes à répondre plus systématiquement aux consultations organisées par la Commission européenne ; demande au Gouvernement d'encourager cette participation en développant l'information sur l'ouverture de ces consultations ;

Relève que les citoyens européens sont trop souvent confrontés à des difficultés pratiques qui limitent leurs droits quand ils se déplacent dans l'Union européenne ; encourage, en conséquence, la Commission à poursuivre les initiatives en vue de lever ces obstacles ;

Se félicite de l'augmentation des mariages binationaux au sein de l'Union européenne, mais constate qu'un nombre accru de séparations de tels couples se solde trop souvent par une violation de l'intérêt supérieur de l'enfant à rester en lien avec ses deux parents et ses deux cultures et langues d'origine, ainsi que par une violation de la liberté de mobilité de certains parents au sein de l'Union européenne ; suggère, en conséquence, la mise en place d'un mécanisme intergouvernemental d'alerte qui permettrait aux États membres d'échanger entre eux sur les décisions relatives à la justice familiale qui sont de nature à impacter la citoyenneté européenne et garantir le droit d'accès de l'enfant à ses deux parents ;

Déplore la place insuffisante des femmes dans les postes de responsabilité des institutions européennes ; demande, en conséquence, qu'une politique active soit menée tant par les institutions européennes que par les États membres afin de parvenir à la parité ;

Juge indispensable, dans la perspective des prochaines élections européennes, qu'une bonne information des citoyens soit conduite sur les actions menées par l'Union européenne ; souhaite que le débat s'organise autour des attentes concrètes des citoyens à l'égard des institutions européennes ; demande que tout soit mis en oeuvre pour faciliter l'exercice par les ressortissants d'autres États membres de leur droit de vote tant pour les élections européennes que pour les élections municipales ; souligne que des listes accueillant davantage de ressortissants d'autres États membres contribueraient à renforcer le sentiment de citoyenneté européenne ;

Approuve les recommandations de la Commission européenne tendant à la transmission d'informations aux électeurs sur les liens d'affiliation entre partis nationaux et partis politiques européens, à ce que les partis nationaux et européens fassent connaître avant les élections le nom du candidat aux fonctions de président de la Commission qu'ils soutiennent et son programme, à la fixation par les États membres d'une date commune pour les élections avec une fermeture des bureaux de vote à la même heure ;

Salue la présentation des premières initiatives citoyennes européennes ; relève toutefois les difficultés rencontrées par les organisateurs de ces initiatives pour la mise en place de systèmes de collectes en ligne et pour le recueil de signatures de citoyens résidant hors de leur pays d'origine ; déplore le caractère dissuasif de l'exigence d'un numéro d'identification personnel imposé par la plupart des États membres ; souligne que des procédures sont nécessaires pour prévenir un détournement de l'initiative européenne au profit de grands intérêts économiques ; juge, en conséquence, nécessaire une plus grande sensibilisation des citoyens, une meilleure infrastructure de soutien, une harmonisation et une simplification de la réglementation au niveau européen ainsi qu'une transparence effective sur l'identification des promoteurs d'une initiative citoyenne ;