La réunion est ouverte à 9 heures.
Nous recevons M. Nicolas MOUCHNINO, expert énergie/environnement de l'association de consommateurs UFC-Que choisir.
Bienvenue et merci d'avoir accepté aussi rapidement d'être entendu par notre mission d'information.
Je vous rappelle que notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe écologiste, porte sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Nous avons commencé nos travaux au tout début du mois de juillet et nous les achèverons à la fin du mois de septembre.
Nous avons d'ores et déjà effectué une dizaine d'auditions, en entendant le ministère de l'écologie, l'ADEME, les fabricants de téléphones mobiles, la fédération des opérateurs de téléphonie ou encore l'association les Amis de la Terre.
Il nous a paru indispensable d'entendre les associations de consommateurs, et notamment l'UFC-Que choisir.
Votre association a en effet à son actif plusieurs publications sur le recyclage des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) et nous pensons que pourrez donc répondre à nos interrogations portant sur l'information des consommateurs, sur la collecte des téléphones usagés ou sur le devenir de ces derniers.
Je vais donc vous laisser la parole, avant que Mme la rapporteure, puis les membres de la mission, ne vous interrogent.
Je vous remercie pour votre invitation. Nous avons effectivement de nombreuses publications la collecte des déchets, et plus spécifiquement sur les déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE).
Au-delà de la collecte, nous avons aussi élargi notre réflexion à d'autres aspects tels que la disponibilité des pièces, la durée de garantie ou encore la durée de vie des produits, qui sont autant d'éléments directement liés à la question des déchets.
L'UFC-Que Choisir n'a pas fait d'études spécifiques sur les téléphones mobiles, mais plus globalement sur les petits équipements électriques et électroniques qui font l'objet d'une collecte spécifique. Pour les téléphones mobiles, nous travaillons parallèlement sur des tests produits qui s'interrogent sur la qualité et l'usage et, par voie de conséquence, l'obsolescence.
L'information des utilisateurs s'opère par plusieurs canaux : les éco-organismes, les réseaux d'opérateurs, les distributeurs sur internet, les collectivités locales, les associations de consommateurs et les organisations environnementales. La multiplicité des canaux produit une information disparate et parfois peu pertinente. Par exemple, pour la collecte des petits DEEE, les éco-organismes et certains magasins mènent des campagnes d'information sur le « un pour zéro », mais cette collecte est freinée par la barrière des 400 m² dédiés. En effet, la loi contraint la grande distribution à collecter des petits DEEE si l'appareil fait moins de 25 cm et si au moins 400 m² de surface de vente sont dédiés à l'électrique et l'électronique. En dessous de cette surface, les commerces n'ont pas d'obligation de collecte « un pour zéro », même si certains le font quand-même. Ce dispositif est inadapté : le contrôle est difficile ; il serait souhaitable de généraliser l'obligation de collecte « un pour zéro » à l'ensemble des distributeurs, d'autant que le surcoût de la collecte est négligeable car la collecte est entièrement financée par les éco-organismes.
Oui, car elle est un frein inutile à la collecte de proximité.
La vente par internet rend elle aussi la collecte très difficile, puisque son mode de distribution - le plus souvent par Colissimo - ne prévoit pas de service de reprise des anciens appareils.
Comme on trouve sur les sites des éco-organismes une cartographie des points de collecte, il serait pertinent que ces informations soient disponibles sur les sites marchands, lors du « tunnel de vente ». Cela permettrait de lier en un seul acte l'achat du nouveau produit et la collecte de l'ancien.
Beaucoup d'opérateurs qui disposent de points de vente font aussi la collecte des téléphones. La généralisation à l'ensemble des points de vente est une piste d'évolution.
Par ailleurs, nous avons relevé un manque de cohérence entre les bases de données des sites des deux éco-organismes existants, Ecologic et Eco-systèmes. Certaines informations sont imprécises, d'autres contradictoires et d'autres encore inexactes. Une harmonisation de ces bases de données serait nécessaire.
Enfin, la durée de disponibilité des pièces détachées, la nature de la recyclabilité des produits, leur durée de vie et la garantie légale sont des informations essentielles pour le consommateur. Nos tests en magasin ont montré que l'information sur la durée de disponibilité des pièces est aléatoire, car le décret n'est pas assez précis. Or, le fabricant n'a aucune obligation d'information dès lors qu'il n'y a pas de pièces détachées. C'est un élément important, car cela joue sur la réparabilité du produit.
Oui. Il faudrait que le fabricant ait l'obligation d'informer de la non disponibilité de pièces détachées.
De même, l'information sur la garantie, qui est passée à deux ans, est insuffisante. Les professionnels parlent plus volontiers de la garantie fabricant ou distributeur, et pas de la garantie légale. Or, la garantie légale est bien souvent supérieure à toute autre garantie.
Il arrive qu'une garantie vendeur soit inférieure à la garantie légale ?
C'est ce que nous avons constaté sur certaines enseignes internet qui stipulaient dans les conditions générales de vente une décote mensuelle de la garantie vendeur pour le remboursement du produit.
Ils appliquent un taux de vétusté.
Oui, c'est illégal. Nous avons interrogé l'enseigne en question, qui ne nous a pas répondu. Nous supposons qu'ils ont oublié d'actualiser leurs conditions au moment de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions sur la garantie légale. Certaines garanties distributeur peuvent également mentionner une distance pour reprendre le produit.
Par ailleurs, il faudrait faire un effort sur les emballages, car très peu de consommateurs reconnaissent les logos comme Triman ou la poubelle barrée.
D'autre part, trop peu d'acteurs publient des informations sur la proportion de recyclabilité de leurs produits. Ce serait, là encore, une information qui, si elle était disponible, pourrait orienter le choix du consommateur.
De même, le relèvement de la durée de garantie, que certains pays alignent sur la durée de vie du produit, pourrait également être un élément important pour permettre la réduction des DEEE.
Sous les 400 m² de surface dédiée, les magasins n'informent pas sur les solutions alternatives à la reprise du « un pour un », que la moitié n'appliquent pas dans les faits.
J'en viens à présent à l'écoconception et au fameux « Fair phone ». Nous commençons à travailler sur ces questions qui nécessitent des tests complexes et coûteux. Nous avons surtout relevé les difficultés liées à l'absence de réparabilité. Le « Fair phone » nous semble une initiative intéressante, puisqu'il est modulable en termes de réparation, pour un coût raisonnable des pièces détachées. Reste à connaître les choix stratégiques et commerciaux que feront les fabricants.
Nous distinguons différentes formes d'obsolescence : par incompatibilité (logiciels ou systèmes d'exploitation), à l'exemple des téléphones rendus avec une mémoire très faible, indirecte (lorsque les accessoires, équipements ou la batterie deviennent caduques), ou esthétique. Nous parlons d'obsolescence « organisée » plutôt que « programmée ». L'exemple typique - qui a d'ailleurs fait l'objet d'une class action aux États-Unis cette année - est celui des mises à jour de logiciels qui ne permettent plus une utilisation optimale des téléphones. Les fabricants devraient avoir l'obligation de proposer des mises à jour spécifiques pour les anciennes générations de téléphones.
C'est la durée de la garantie qui permet de lutter au premier chef contre cette obsolescence organisée. Augmenter la garantie au-delà des deux ans permettrait à la fois de réduire l'obsolescence et de développer les circuits d'occasion. Aujourd'hui, le marché de l'occasion pour les téléphones portables ou les smartphones a un fort potentiel de progression, freiné par la courte durée de garantie qui n'est que de six mois.
Si on achète un téléphone d'occasion de moins de deux ans, reste-t-il couvert par la garantie légale ?
Non, car la garantie légale est nominative et n'est pas transmissible au nouvel acheteur. Il y a peut-être là quelque chose à changer.
En ce qui concerne le fonctionnement des filières de recyclage, nous constatons que les difficultés de collecte proviennent principalement du manque d'information et de la rareté des points de collecte. Les deux principaux moyens de collecte sont les déchetteries et la distribution. L'essentiel de la collecte des DEEE se fait via les déchetteries, alors que les déchetteries sont bien moins nombreuses que les points de collecte de la distribution. C'est pourquoi il serait nécessaire que la grande distribution, qui dispose d'un maillage conséquent du territoire, fasse un effort important de collecte.
Beaucoup de consommateurs sont tentés de conserver leurs vieux téléphones. Il y aurait un travail de sensibilisation à faire. Certains opérateurs proposent une reprise avec un bon d'achat, ce qui est une forme de consigne. Ce pourrait être une piste intéressante à explorer.
Enfin, je voudrais évoquer le problème posé par ERP qui n'a plus aujourd'hui l'autorisation de collecter. Qu'en est-il des sommes qui ont été perçues au titre de la collecte de la provision et qui n'ont pas été restituées ? Le cadre réglementaire a prévu la possibilité de retirer un agrément, mais pas la restitution des provisions reçues.
Pensez-vous que les opérateurs doivent faire un effort particulier sur les composants de leurs téléphones et prendre davantage en considération la nécessité du recyclage ?
De manière générale, les équipements sont désormais constitués de « blocs » qu'il faut intégralement remplacer en cas de panne et qu'on ne peut pas ouvrir sous peine de casser l'appareil. C'est là qu'il faudrait, à mon sens, faire évoluer les choses en rendant possible les réparations à l'intérieur de ces modules. Plus on augmente la possibilité de réparation, et donc la durée de vie, plus on réduit les déchets. Pour être applicables, de nouvelles obligations faites en ce sens aux fabricants devront se décider à l'échelle européenne.
À cet égard, nous sommes inquiets de la campagne actuellement menée par les fabricants au niveau européen pour tenter de ramener à un an la durée de garantie légale, ce qui serait un recul pour la France. Nous considérons pour notre part qu'il faudrait augmenter la durée de garantie à cinq ans. Le surcoût serait bien plus faible pour le consommateur qu'une extension de garantie, de l'ordre de 3 %.
Nous avons entendu des opinions très contrastées sur l'opportunité d'instaurer une consigne, les uns estimant que cela permettrait d'augmenter considérablement la récupération des anciens appareils, les autres s'inquiétant des sommes importantes qui seraient ainsi « gelées » et des dérives qui pourraient en découler. Qu'en pensez-vous ?
Les deux arguments semblent recevables, en effet. Tout dépend du montant de consigne envisagé.
Ce sont effectivement des sommes conséquentes. L'histoire a montré, par exemple, que les éco-organismes ont sur-provisionné, dépassant même les obligations de leur cahier des charges. Nous n'avons pas de position sur cette question de la consigne, mais certains opérateurs le font déjà sous forme de bons d'achat. On sait par ailleurs que le marché de l'occasion se développe, ce qui ouvre d'autres perspectives.
Que pensez-vous du rôle des entreprises, puisque l'on sait que deux-tiers des achats de mobiles sont à usage personnel et un tiers à usage professionnel ? Ne pourrait-on pas améliorer la responsabilisation dans le cadre professionnel ? Une autre marge de progression ne pourrait-elle pas se faire par la voie éducative, au lycée ou à l'université, par exemple ?
L'UFC-Que Choisir n'a pas pour objet d'étudier l'entreprise et ne mène pas de réflexion sur ce périmètre. La piste éducative est effectivement intéressante. Nous travaillons sur des projets de sensibilisation et avons par exemple proposé une mallette pédagogique sur l'hygiène alimentaire qui a été utilisée dans certaines écoles. Nous pourrions envisager ce type d'action pour les déchets.