Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 23 mai 2017 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • MALE
  • dissuasion
  • drone
  • militaire
  • missile
  • reaper
  • États-unis

La réunion

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- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, je vous remercie de votre présence en cette période de suspension des travaux du Parlement, durant laquelle notre commission n'a cessé de travailler.

J'ai souhaité que nous prenions position sur un certain nombre de sujets au moment où un nouvel exécutif s'installe à la tête du pays.

Il est temps pour nous de faire exister un certain nombre d'idées et de réflexions stratégiques. Nous aurons plusieurs séances de travail : aujourd'hui pour examiner le rapport d'information sur les drones dans les forces armées, puis la question de la modernisation de la dissuasion nucléaire, qui sera l'un des enjeux importants du quinquennat qui s'ouvre ; demain, pour entendre le rapport que je vous présenterai avec Daniel Reiner et qui porte sur les implications, dans les années à venir, du consensus sur les 2 % du PIB dédiés au budget de la défense dans notre pays. Nous entendrons également une communication sur le contrôle de l'application des lois.

PermalienPhoto de Cédric Perrin

Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir confié ce travail très intéressant, en compagnie de Raymond Vall et de Jean-Marie Bockel.

Pour ce rapport, outre une vingtaine d'auditions, nous avons effectué un déplacement auprès de l'escadron de drones 1/33 Belfort de l'armée de l'air à Cognac, un autre auprès du 61e régiment d'artillerie à Chaumont, qui est le régiment de renseignement images de l'armée de terre, ainsi qu'une mission à Washington et à San Diego auprès du constructeur du Reaper, General Atomics.

Enfin, je me suis rendu la semaine dernière sur la base de Niamey, d'où décollent les Reaper de l'opération Barkhane. Nous avons ainsi pu recueillir l'avis de divers experts, des industriels, des autorités militaires, mais aussi des opérationnels.

Tout d'abord, permettez-moi de vous livrer quelques éléments de définition. Les drones sont des engins aériens sans équipage embarqué, pilotés à distance et équipés d'une ou plusieurs charges utiles : capteurs optiques, radars ou électromagnétiques ; éventuellement, des armes.

Nous évoquons également dans le rapport les drones marins et sous-marins, mais pas les robots terrestres autonomes, qui relèvent d'enjeux essentiellement différents. Par ailleurs, le drone n'est que le vecteur aérien d'un « système drone », qui comprend en général une composante au sol pour les pilotes et opérateurs et un ensemble de liaisons de données. Pour le reste, les drones sont très divers par leur forme, leur taille et leur poids : cela va du nano-drone des forces spéciales au Reaper de 20 mètres d'envergure et pesant 2 tonnes.

Les drones sont aujourd'hui une composante essentielle de très nombreuses opérations militaires, en particulier contre des forces armées terroristes dans les espaces aériens non contestés. Dans la bande sahélo-saharienne, nos drones « moyenne altitude longue endurance », dits « drones MALE », constituent même désormais le noeud tactique autour duquel s'organisent la plupart des missions. J'ai constaté, à Niamey, la semaine dernière, que la plupart des opérations sollicitent le survol des drones. Malheureusement, le 1/33 Belfort ne peut répondre à toutes ces sollicitations, d'autant qu'il est extrêmement utilisé par les forces spéciales.

Ces dromes nous offrent la supériorité informationnelle, grâce à leurs performances en matière de renseignement essentiellement dues à leur permanence en vol, jusqu'à 24 heures, et à leur capacité de transmission de données en temps réel. En outre, le déport du pilotage permet de remplir les missions les plus dangereuses et les plus fatigantes.

Les drones sont cependant des engins relativement vulnérables et ne volent qu'au-dessus de territoires permissifs. Pour le moment, et encore pour longtemps, ils sont donc complémentaires et non substituables aux avions et aux hélicoptères de combat.

Aujourd'hui, les armées emploient déjà de nombreux types de drones. Vous trouverez tous les détails dans le rapport, mais je rappelle que l'armée de terre est équipée du système de drones tactiques intérimaires SDTI Sperwer, qui sera remplacé par le Patroller de Safran à compter de 2019. L'armée de terre utilise également des mini-drones à courte portée, qui sont de véritables jumelles déportées des soldats. Il s'agit du DRAC d'Airbus, qui sera remplacé en 2019 par le Spyranger de Thalès. Enfin, le système DROGEN, à voilure tournante et décollage vertical, le VTOL, sert aux unités du génie pour l'ouverture d'itinéraires piégés.

Je ne m'étends pas sur les drones MALE de l'armée de l'air, de type Harfang et, depuis 2013, Reaper, qui ont été acquis sur étagère aux États-Unis. Mon collègue Gilbert Roger reviendra sur les avantages et les inconvénients de la solution « non souveraine » retenue par notre pays.

La France ne possède pas de drones à haute altitude et longue endurance, dits « HALE », tels que le Global Hawk américain, qui a une autonomie de 40 heures. Airbus Defense & Space et Thalès Alenia Space développent actuellement des projets dans ce domaine.

La marine nationale travaille quant à elle plus particulièrement à deux projets : un programme de drones tactiques à voilure tournante, dont l'acquisition, reportée à l'après-2025, doit être coordonnée avec l'arrivée des futures frégates de taille intermédiaire, FTI, et un programme de drones sous-marins pour la guerre des mines, à l'horizon 2022.

Enfin, les forces spéciales disposent de drones de contact, de mini-drones et même de nano-drones. Elles peuvent également acquérir des mini-drones disponibles dans le commerce. Au niveau supérieur, elles sont parmi les grandes bénéficiaires des drones MALE, dont l'emploi est mutualisé.

Après avoir fait ce tour d'horizon, que Gilbert Roger approfondira sur les sujets de souveraineté et d'industrie, j'en viens directement à la question importante de l'armement de nos drones, en particulier du drone MALE Reaper.

En 2013, il a été décidé d'acquérir des drones MALE Reaper non armés. Nous pensons qu'il faut désormais remettre en cause ce choix.

Je donnerai deux éléments pour montrer que l'armement de nos drones ne constituerait pas une révolution.

Tout d'abord, de nombreux pays disposent déjà de drones armés, dont certains sont régulièrement utilisés au Moyen-Orient. En Europe, le Royaume-Uni utilise 10 drones Reaper armés ; l'Italie a obtenu à la fin de 2015 l'autorisation américaine d'armer ses 6 Reaper et, en janvier 2016, l'Allemagne a annoncé la location à partir de 2018 de 3 à 5 drones Héron TP israéliens armés. L'Allemagne a d'ailleurs demandé expressément que le projet de drone MALE européen soit armable. Hors de l'Europe, de nombreux États utiliseraient également des drones armés : Pakistan, Irak, Iran, Nigeria, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Turquie...

Par ailleurs, les drones MALE des forces françaises sont déjà extrêmement présents dans la « boucle » des missions de frappe aérienne, car ils procèdent au guidage des missiles Hellfire des hélicoptères et des bombes guidées laser des Mirages 2000 D. Ce sont les pilotes et les opérateurs de drones qui illuminent les cibles.

Ensuite, et surtout, les drones armés permettraient d'améliorer l'efficacité de nos forces et de soulager l'aviation. L'endurance exceptionnelle du drone MALE lui permet en effet, dans la profondeur d'un théâtre d'opérations, d'attendre le dévoilement des cibles dissimulées et d'observer longuement leur environnement. L'emport de missiles ou de bombes guidées permettrait alors de « réduire la boucle » entre le repérage et la neutralisation, économisant ainsi la durée nécessaire à l'arrivée de l'avion ou de l'hélicoptère, durée qui peut être très significative sur un théâtre aussi immense que la bande sahélo-saharienne.

Nous optimiserions également l'efficacité et la précision du traitement de la cible en étant certains de bénéficier des meilleures conditions d'engagement.

Un drone armé pourrait par exemple « traiter » une cache d'armes au moment où des combattants y accèdent, alors que ceux-ci auraient probablement le temps, s'il fallait attendre l'arrivée d'un avion, de se disperser ou de se déplacer vers une zone densément habitée, rendant toute frappe impossible. La frappe aérienne via le drone permettrait sans conteste de diminuer de manière très importante le risque de dommages collatéraux, le pilote du drone ayant une idée très claire et directe de l'état du terrain sur lequel il va déclencher son tir.

Autre exemple : la présence de drones armés en soutien permanent des forces au sol permettrait de les dégager plus rapidement d'une embuscade. Le drame d'Uzbin n'aurait peut-être pas eu lieu si un drone avait appuyé et renseigné les forces au sol. Niamey, j'ai senti l'angoisse des équipages des drones à l'idée qu'ils puissent, faute d'armement, être de simples spectateurs au-dessus d'un théâtre ou leurs collègues seraient pris à partie.

En dehors de ces cas de frappes « d'opportunité », les drones armés peuvent également être employés pour surveiller et suivre dans la durée une cible de haute valeur sur un théâtre d'opérations, puis la neutraliser quand les conditions sont réunies.

Enfin, il s'agirait de soulager une aviation de combat et des ravitailleurs déjà employés au maximum de leurs capacités. Les cibles d'opportunité ou celles n'exigeant qu'une puissance de feu réduite pourraient ainsi être avantageusement « traitées » par des drones.

Ces différents exemples concernent plutôt les drones de théâtre MALE, en l'occurrence les drones Reaper. L'analyse est différente s'agissant des drones tactiques SDTI, désormais les Patroller. Les armer n'offrirait pas un avantage militaire significatif. Étant donnée leur portée moindre, ils sont plutôt utilisés au niveau de la brigade où il existe généralement un hélicoptère ou une pièce d'artillerie rapidement mobilisable une fois la cible repérée par le drone. En outre, l'intérêt principal du drone réside dans ses capacités d'observation. En armant lourdement un drone tactique, on s'oblige à réduire ces capacités.

La question de l'armement des drones se focalise donc essentiellement sur le drone MALE Reaper de l'armée de l'air. D'un point de vue technique, cela ne poserait pas de problème. Il sera en revanche probablement nécessaire d'obtenir l'accord de l'administration et du Congrès américains, mais le Royaume-Uni et l'Italie l'ayant obtenu, la France devrait également pouvoir en bénéficier.

Bien entendu, il y a eu des débats juridiques ou éthiques aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne sur cet armement des drones. Nous avons toutefois voulu montrer dans notre rapport qu'il y a sur ce sujet une certaine confusion.

Confusion d'abord entre drones armés et robots ou « systèmes d'armes létaux autonomes », dits « SALA ». Un drone armé n'est pas habité, mais il est bel et bien piloté par un humain, qui déclenche manuellement le tir. Parler ici de « déshumanisation » de la guerre n'est donc pas justifié. Quand ils existeront, les systèmes véritablement autonomes poseront certes des problèmes juridiques et éthiques plus complexes, mais nous n'en sommes pas encore là.

Il y a ensuite confusion entre une arme et la manière de s'en servir. On sait que l'emploi des drones armés au Pakistan, au Yémen ou encore en Somalie a soulevé des questions de légalité internationale. C'est que j'appelle le syndrome Good Kill, du nom du film que vous avez peut-être vu. Ce qui a fait débat sous l'administration Obama, c'est l'utilisation de drones en dehors du cadre d'opérations militaires et de conflits armés, sans que le pays concerné ait forcément donné son accord explicite, pour des opérations clandestines de recueil de renseignement et des frappes ciblées. Les États-Unis se sont appuyés de manière très extensive sur la notion de légitime défense. Le statut des opérateurs de drones a également fait l'objet de débats.

À la suite de ces débats, le président Obama a finalement dû annoncer en avril 2016 quelques mesures de transparence, telles que la publication du nombre de frappes de drones et de victimes, ainsi que du cadre juridique des interventions. Quelques mesures ont également été prises par le gouvernement britannique.

Soyons donc clairs sur ce point : il ne s'agit pas pour les armées françaises d'employer des drones en dehors de la légalité internationale, par exemple pour des exécutions extrajudiciaires. Nos drones armés seraient employés dans le cadre juridique des OPEX, le cas échéant sous mandat du Conseil de sécurité. La France est d'ailleurs l'un des pays qui respectent le plus strictement le droit international en la matière.

En outre, il faut souligner que la « chaîne d'engagement » pour une opération où le drone tire lui-même serait identique à celle en vigueur pour toutes les opérations déjà menées par des avions de combat ou par un couple drone-avion de combat. C'est cette chaîne d'engagement qui garantit la légalité et la légitimité de la mission. Elle repose sur un processus précis d'identification de la cible, de vérification des règles d'engagement, d'estimation préalable des dommages collatéraux, et, enfin, de décision par l'autorité en charge sur le théâtre d'opérations. Plus le risque de dommage collatéral est fort, plus on remonte la chaîne d'autorité. Même dans une opération menée sous la direction d'un autre pays au sein d'une coalition, une décision de frappe peut être annulée par une autorité française. Tout cela a déjà lieu et continuerait d'avoir lieu avec des drones armés.

La permanence du drone permettrait même de choisir le meilleur moment pour la neutralisation de la cible.

En outre, les opérateurs du drone ne sont pas soumis au même stress intense que les pilotes d'avion, ce qui peut finalement minimiser le risque d'erreur et de dommage collatéral par rapport à une opération conjointe drone et avions de combat.

Il faut enfin rappeler que la France ne possède que quelques drones MALE - une douzaine à terme -, et que ce faible nombre interdit de facto d'opter pour la politique d'utilisation massive des drones armés qui est reprochée à certains pays.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous préconisons l'armement des drones Reaper français.

Toutefois, afin de garantir tant le soutien de la population que l'efficacité militaire à long terme de cette technologie en évitant des « effets en retour » négatifs, il nous paraît souhaitable de mettre en place quelques mesures de transparence.

Outre une information régulière de la représentation nationale, il serait utile que le Gouvernement communique pour expliquer que les éventuelles frappes de drones des armées françaises ont bien lieu en accord avec le droit international. Un bilan des frappes, avec le nombre de combattants ennemis neutralisés et les éventuels dommages collatéraux, pourrait être périodiquement publié, comme les Américains s'y sont engagés. En cas de dommage collatéral important, les résultats des investigations menées pourraient être rendus publics, sauf considérations opérationnelles.

Il pourrait également être utile de discuter avec les partenaires de la France utilisateurs de drones armés sur d'éventuelles lignes directrices communes pour leur utilisation, car, compte tenu de la place prépondérante que prennent les drones dans les opérations militaires, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réglementation de l'usage qui en sera fait. Enfin, cette question de l'armement des drones doit rapidement faire l'objet d'un débat au Parlement.

Bref, il est temps de sortir de cette situation étrange où nous n'utilisons une technologie qu'à la moitié de son potentiel au détriment de l'efficacité et de la sécurité de nos forces.

J'en viens maintenant à la question essentielle de la capacité de nos drones MALE et tactiques à voler dans l'espace aérien français et européen.

Actuellement, le seul Reaper présent à Cognac n'a pas le droit de décoller depuis le 1er janvier dernier. Or faire voler le drone MALE en France est un impératif absolu pour la formation des pilotes et des opérateurs. Actuellement, ils sont envoyés à Niamey après 4 mois et demi de formation aux États-Unis, sans avoir acquis aucune connaissance des missions qu'ils vont mener dans la bande sahélo-saharienne. Ils découvrent le travail sur place et ne sont pas suffisamment opérationnels. En outre, il faut que le Reaper puisse prendre la relève du Harfang pour les missions de sécurité intérieure dès le début de l'année 2018, le Harfang étant retiré du service, notamment à cause d'un coût de MCO prohibitif de 20 000 euros l'heure de vol, contre 2 000 à 3 000 euros pour le Reaper.

Quelles sont les données du problème ? La DGA a attribué un certificat très restrictif au Reaper, qui ne lui permet ni de survoler des zones denses ni de voler par mauvais temps. Pourtant, aux États-Unis, les Reapers ont accumulé les heures de vol - plus de 3 millions d'heures, soit 12 000 heures par semaine, contre 15 000 par an pour la France -, et cela sans aucun incident. Pourtant, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, nos Reapers sont pilotés par des pilotes professionnels de l'armée de l'air ayant une excellente connaissance de l'aéronautique et de la troisième dimension.

Il est urgent de trouver une solution pour que le Reaper puisse voler sur le territoire national ! Il est urgent de mettre de la bonne volonté pour permettre de réunir les conditions nécessaires au survol du territoire national dans les meilleurs délais. On ne peut plus traîner des pieds dans cette affaire. Il faut savoir que les conditions imposées par la DGA au Reaper sont beaucoup plus restrictives que pour le Harfang, ce qui est très étonnant. Elle exige par exemple, pour qu'un Reaper puisse voler, qu'il ait effectué au moins 200 heures de vol dans les trois derniers mois, faute de quoi il perd son aptitude de vol. Cela n'a jamais été le cas pour le Harfang.

La DGA interdit en outre au Reaper le vol dans les nuages ou sous la pluie, ce qui n'est pas le cas pour le Harfang. Cette contrainte est intenable sur des vols de 24 heures, du fait de la difficulté liée à la prévision météo.

L'armée de l'air a beaucoup travaillé, mais il reste le problème du transfert des champs forts par les USA à la DGA. Cette question est également urgente et elle doit être traitée à un niveau politique.

N'oublions pas qu'un drone « certifiable Predator B », rebaptisé Skyguardian, par General Atomics, qui est en fait une évolution du Reaper basée sur une plateforme dotée de tous les paramètres pour être facilement certifiable pour le survol du territoire national, est déjà commercialisé. Or la France a fait le choix du Reaper Block 5. Il est donc urgent de faire voler au-dessus du territoire national nos Reapers Block 1 et 5, faute de quoi nous pourrions être obligés d'acquérir le Skyguardian pour faire de la surveillance et du renseignement en France.

Enfin, nous préconisons qu'un système complet de drone Reaper, à savoir trois vecteurs, soit basé à Cognac, afin de permettre au1/33 Belfort de s'entraîner efficacement sur le territoire national aux missions qu'il aura à effectuer dans la bande sahélo-saharienne. Pour l'heure, il est important de savoir que, faute de formation suffisante sur le territoire national, un seul Reaper vole à Niamey, alors que nous avons cinq vecteurs disponibles sur site !

Pour nos futurs drones, il est absolument nécessaire que la démarche de préparation à la certification soit entreprise le plus en amont possible, pour éviter à l'avenir ce genre de problème.

Le second aspect sur lequel il sera nécessaire de progresser est l'insertion des drones militaires au sein de la circulation aérienne générale. Pour l'instant, en effet, ils ne peuvent voler que dans des espaces ségrégués, notamment parce qu'ils ne peuvent pas appliquer la règle « voir et éviter » destinée à éviter les collisions.

Selon nos informations, l'instruction qui régit le vol des drones militaires est toutefois en cours de refonte. Cette nouvelle mouture répondra déjà, à brève échéance, à un besoin exprimé par les armées d'autoriser le vol d'avions habités et non habités dans un même circuit d'aérodrome, c'est-à-dire la piste et ses environs, la responsabilité du « voir et éviter » reposant alors sur les seuls avions habités.

L'étape suivante, à savoir l'abandon complet du vol en espaces ségrégués, suppose que les drones soient équipés de systèmes « détecter et éviter » équivalents au « voir et éviter », et que ces systèmes soient reconnus par la réglementation. Il convient donc d'accentuer les efforts dans ce domaine. La réglementation doit pouvoir évoluer, aussi bien au niveau de l'agence européenne de sécurité aérienne qu'au niveau des instances de réglementation nationales, dès que les drones militaires seront équipés de tels systèmes.

Ces questions d'insertion dans la circulation aérienne ont aussi une portée industrielle. Les nouvelles variantes certifiables du Predator B acquises par le Royaume-Uni auprès de General Atomics à la fin de 2016 devraient pouvoir bientôt voler sur la totalité du territoire britannique, voire européen, grâce à sa plus grande solidité et à sa capacité « détecter et éviter ». II faut donc rattraper notre retard.

PermalienPhoto de Gilbert Roger

Monsieur le président, mes chers collègues, les drones sont aujourd'hui au coeur de tous nos dispositifs opérationnels, mais l'enjeu n'est pas seulement militaire : il est aussi industriel et touche à la souveraineté.

L'Europe dispose de toutes les compétences nécessaires au développement de toutes les composantes des drones et de tous les types de drones.

On l'oublie souvent, mais l'histoire des drones est presque aussi ancienne que celle de l'aviation, et les premiers projets ont été développés en France, à la fin de la Première Guerre mondiale, sous l'impulsion de celui qui était d'ailleurs alors président de la commission sénatoriale de l'armée : un certain Georges Clemenceau !

Dès les années 1930, les services techniques français furent critiqués pour le retard pris dans le domaine de ce que l'on appelait alors « l'aviation automatique », alors que des tests précurseurs avaient été réalisés.

De fait, ce sont ensuite les États-Unis et Israël qui ont développé cette technologie et engagé les premiers drones lors des guerres du Vietnam et du Kippour, puis de façon systématique depuis la première guerre du Golfe.

L'Europe a donc eu largement le temps de voir venir l'essor des drones.

S'agissant des drones tactiques et des petits drones, des industriels français sont effectivement en pointe. Un véritable savoir-faire et des compétences ont été développés pour permettre de répondre aux besoins de l'armée de Terre, qui a été pionnière dans ce domaine.

Je donnerai quelques illustrations de la vitalité de l'industrie française des drones.

S'agissant des drones tactiques, au bénéfice de l'armée de Terre, le choix a finalement porté sur le Patroller de Safran Electronics & Defense pour succéder au système Sperwer du même industriel : plus de vingt-cinq sociétés françaises de très haute technologie concourent à la fabrication du Patroller, qui devrait permettre de créer environ 300 emplois qualifiés par an en France.

S'agissant des petits drones de renseignement, l'appel d'offres lancé en 2015 a été récemment attribué à Thalès pour 35 systèmes de type Spy Ranger, également développés en coopération avec des PME françaises. Thalès est un leader européen dans le domaine des mini-drones et des drones tactiques avec le Watchkeeper, qui est numéro un en Europe et qui équipe en particulier l'armée britannique.

En ce qui concerne les drones hélicoptères, c'est-à-dire à décollage et atterrissage verticaux - dits « drones VTOL » -, je souhaite mentionner des études d'Airbus Helicopters à l'intention des marines, qui ont aussi besoin de drones tactiques. Toutes les marines de premier rang sont aujourd'hui demandeuses de ce type de systèmes, d'où un important potentiel d'exportation. Malheureusement, pour ce qui concerne la France, le programme SDAM de systèmes de drones aériens pour la marine, développé notamment au profit des futures frégates de taille intermédiaire, demeure au stade de l'initialisation, l'acquisition de cette capacité ayant été reportée au-delà de 2025. Nous souhaitons la relance de ce programme.

Enfin, comment ne pas évoquer la position de l'industrie française en matière de drones civils, nés du transfert des savoir-faire et des technologies des drones militaires ? Cette industrie est la première en Europe et compte un leader mondial : Parrot. Le chiffre d'affaires des drones professionnels en France progresse chaque année de 20 % à 30 %.

Ces drones civils ne sont pas hors sujet ; disponibles « sur étagère », ce qui n'exclut pas de faire des adaptations, ils pourraient en effet être utiles à nos armées. Leur faible coût permet d'envisager l'achat de volumes importants. Nous préconisons donc que chaque unité de l'armée de Terre puisse s'équiper de ce type de drones, qui sont susceptibles de répondre rapidement aux besoins en contournant la longueur des procédures de la Direction générale de l'armement (DGA). Daech ne se prive pas d'ailleurs d'utiliser des drones du commerce que, pour notre part, nous nous interdisons d'acheter.

J'en viens maintenant aux drones MALE, pour lesquels, vous l'aurez compris, le constat est plus nuancé.

Pourquoi nous faut-il un drone MALE européen ? La France a, dès le départ, tardé à s'équiper de ce dispositif, dans le cadre d'un programme dit « intérimaire », le Harfang, issu d'une coopération franco-israélienne. Le Harfang fut livré à un coût quatre fois supérieur à celui qui était initialement prévu et avec cinq ans de retard. C'est sous la pression de la situation en Afghanistan que le programme a fini par aboutir, notamment après l'embuscade d'Uzbin ; celle-ci a contribué à la prise de conscience de l'urgence qu'il y avait à déployer ce type de système pour protéger la vie de nos soldats.

Le bilan du Harfang est aujourd'hui très positif ; il a en effet permis à l'armée de l'air d'accumuler de l'expérience dans le domaine des drones MALE lors de ses déploiements en Afghanistan, en Libye et au Sahel, ainsi que lors de son utilisation à des fins de sécurité intérieure sur le territoire national. Le Harfang doit être retiré du service à la fin de cette année. Il nous semble toutefois qu'il serait utile d'étudier la possibilité d'une remise à niveau de cet appareil, en vue d'une éventuelle prolongation de sa durée de vie.

Comme l'a remarqué notre collègue Daniel Reiner lorsqu'il a présenté un bilan du Harfang à notre commission il y a trois ans, cette expérience n'a, hélas, pas permis l'émergence à long terme d'une filière nationale ou européenne de drones MALE, malgré la « francisation » du drone. Pourtant, elle avait déjà démontré le caractère indispensable d'une filière souveraine, une partie des retards ayant été attribuables au refus des États-Unis d'autoriser l'utilisation de certains composants. Le développement d'une filière européenne de drones MALE est aujourd'hui toujours un enjeu industriel et de souveraineté.

L'enjeu économique et industriel est évident, quoique difficilement chiffrable. Une projection crédible de l'impact en emplois de ce type de filière ne pourra être disponible que lorsque l'organisation industrielle et les perspectives d'export de l'actuel projet de drone MALE européen seront consolidées. Ces perspectives d'export seront, en tout état de cause, contraintes par le régime de contrôle multilatéral de la technologie des missiles (MTCR) qui est applicable pour ce type de drone armable. Le marché n'est donc pas comparable à celui de General Atomics, qui représente plus de 10 000 emplois en Californie.

Toutefois, le drone européen représente des opportunités importantes, tant pour le vecteur que pour les capteurs, et permettra de prolonger des séries développées au titre d'autres programmes, avec des retombées technologiques diffuses dans de multiples secteurs.

L'enjeu de souveraineté est primordial et trop méconnu. Notre dépendance à l'égard des États-Unis est aujourd'hui très grande, à de multiples titres. La décision a été prise au cours de l'été 2013 d'équiper l'armée de l'air de drones Reaper, fabriqués par l'industriel américain General Atomics et disponibles « sur étagère », étant donné les volumes produits pour l'armée américaine.

Cette décision devait être prise eu égard à l'urgence des besoins dans la bande sahélo-saharienne ; le projet concurrent de drone israélien Heron TP « francisé » n'aurait pas permis de répondre à ces besoins dans les délais requis. Notre commission avait d'ailleurs émis les plus grands doutes quant à sa pertinence financière et militaire.

Toutefois, le choix en urgence du Reaper a eu pour conséquence l'absence de maîtrise sur la maintenance et sur l'architecture des systèmes, ainsi que sur la formation et sur l'emploi de nos drones.

En ce qui concerne la maintenance, pour raccourcir les délais de livraison, l'US Air Force a autorisé une ponction sur la chaîne de production de systèmes initialement prévus pour son usage, donc au standard « block 1 », celui des deux premiers systèmes livrés à la France. En conséquence, les techniciens français n'ont pas accès à ces systèmes, dont la maintenance ne peut être effectuée que par l'industriel américain, présent sur site.

À propos de l'absence de maîtrise de l'architecture des systèmes, je veux citer l'exemple de l'acquisition d'une charge utile de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM), prévue par la loi de programmation militaire actualisée. L'acquisition d'une charge américaine a été engagée, ce qui veut dire que la confidentialité du flux de données captées n'est absolument pas garantie.

Quant à la formation des pilotes, elle est assurée pour l'essentiel sur une base américaine du Nouveau-Mexique, où les besoins de la France sont en concurrence avec ceux, importants, de l'armée de l'air américaine. La livraison à Cognac d'un vecteur et, prochainement, d'un simulateur devrait toutefois nous permettre de nous extraire au moins partiellement de cette dépendance.

En ce qui concerne la zone de déploiement autorisée, à savoir, à l'étranger, la bande sahélo-saharienne, tout autre usage devrait faire l'objet d'une nouvelle autorisation dans le cadre d'une procédure passant par le Congrès américain, d'où de possibles aléas politiques. Même si cela reste à confirmer par la nouvelle administration américaine, il est aussi probable qu'il faille une autorisation du Congrès pour armer nos drones, qui nous ont été vendus à des fins d'observation.

Le passage au standard « block 5 », c'est-à-dire au standard export, pour les deux systèmes à livrer en 2019 doit permettre de réduire au moins partiellement notre dépendance : les mécaniciens français pourront intervenir sur les appareils - on ignore encore si cela s'appliquera à tout ou partie du Reaper - ; l'armée de l'air devrait devenir autonome pour la formation des pilotes ; l'adaptation de charges utiles différentes, non américaines, s'agissant notamment des charges ROEM, sera facilitée ; enfin, ce standard ne devrait plus être assorti de restrictions concernant les zones de déploiement.

Ces évolutions doivent encore être confirmées. Si la situation actuelle des relations franco-américaines nous permet d'accepter aujourd'hui un certain degré de dépendance, à court et moyen terme, peut-on y consentir durablement ? Nous ne le pensons pas. Il nous semble au contraire nécessaire et urgent de gagner le pari des drones européens, drones MALE d'abord et drones de combat ensuite.

Le gouvernement actuel souhaite relancer l'Union européenne et notre ministre des armées en connaît tous les rouages ; il faut saisir cette occasion pour donner une impulsion politique forte en faveur des drones européens, un sujet majeur pour l'Europe de la défense.

Le projet de drone MALE européen se trouve aujourd'hui dans une phase cruciale. Je ne m'attarderai pas sur l'histoire des projets successifs de drones MALE européens, qui pourrait nous inciter à un certain pessimisme - alors que l'Europe possédait toutes les technologies et compétences nécessaires, et malgré plusieurs tentatives, elle est finalement passée à côté de ce tournant majeur.

En conséquence, plusieurs pays du continent ont eu recours aux drones américains ; c'est le cas, outre la France, du Royaume-Uni, de l'Italie, de l'Espagne et des Pays-Bas. L'Allemagne dispose quant à elle de drones israéliens Heron TP, loués via Airbus.

L'idée d'un drone MALE européen a toutefois poursuivi son chemin. Une lettre d'intention a été signée le 18 mai 2015 entre l'Allemagne, l'Italie et la France, rejointes ensuite par l'Espagne. La notification d'un contrat d'étude de définition est intervenue le 27 septembre 2016 au profit de Dassault, d'Airbus-Allemagne et de l'italien Leonardo (anciennement Finmeccanica), en attendant une possible participation industrielle de l'Espagne.

L'étude de définition est donc en cours. C'est une phase cruciale, qui est prévue pour durer deux ans. Elle doit aboutir à l'élaboration d'un prototype répondant à une expression des besoins communs, à un coût susceptible de créer un marché.

Là est tout le problème. Nous souhaitons un programme de drones MALE réaliste et rapidement mené. On se trouve là dans un paradoxe bien français : on se résigne à acheter des drones étrangers sur étagère et, dans le même temps, on cherche le Graal, un drone européen impossible à réaliser... Si le projet européen avance à un rythme trop lent, nous devrons à un moment, dans l'urgence, acheter des drones américains supplémentaires, comme en 2013.

Pour être compétitif, le drone MALE européen devra se distinguer du Reaper soit par des performances supérieures, soit par un coût moindre ou, à tout le moins, par un coût raisonnable - nous considérons en effet qu'il faut accepter de payer le prix de la souveraineté.

L'Allemagne est leader dans cette coopération, qu'elle finance à hauteur de 31 %. Elle plaide en faveur de spécifications élevées, apportant un maximum de garanties pour la future certification du drone. On envisage par exemple une double motorisation, ce qui n'est pas requis par les règles de certification de l'OTAN ; cela nous paraît excessif et très coûteux. Nous souhaitons donc souligner le risque de « sur-spécification » du drone MALE européen, qui mettrait en danger la compétitivité, donc la viabilité du programme.

Les apports technologiques de ce drone doivent, à notre sens, se concentrer sur la chaîne de mission, c'est-à-dire sur les capteurs, la transmission et le traitement de l'information, donc notamment sur les moyens de communication - haut débit, furtivité -, qui sont des aspects sur lesquels l'industrie européenne peut apporter une forte valeur ajoutée.

Enfin, l'Europe ne doit pas rater le tournant du drone de combat. Ces drones se distinguent des précédents par leur vitesse et leur furtivité. Ils offriront de nouvelles possibilités pour le renseignement et le combat, en environnement contesté, c'est-à-dire sous déni d'accès, ce que les drones MALE ne permettent pas. L'Europe est pour le moment bien engagée dans ce tournant, notamment grâce au démonstrateur Neuron, placé sous l'égide de Dassault, qui a dirigé cinq partenaires industriels européens dans le cadre de cette coopération.

Ce travail devra trouver son prolongement dans le cadre du programme franco-britannique de système de combat aérien du futur (FCAS). Des réflexions sur l'emploi opérationnel de tels systèmes doivent être poursuivies, afin de déterminer une doctrine d'emploi et des modalités de soutien pour un équipement qui devrait être mis en oeuvre rarement, mais demeurer toujours en état de l'être. Là aussi, l'enjeu est crucial pour l'avenir de l'industrie aéronautique militaire européenne, donc pour notre autonomie stratégique.

Tels sont, mes chers collègues, les principaux constats et les préconisations de notre rapport. Les drones ne constituent pas une filière aéronautique secondaire, mais, au contraire, une filière industrielle à développer et un outil à valoriser.

Les opérateurs de drones MALE, qui sont en France exclusivement des pilotes de l'armée de l'air, doivent voir leur travail reconnu à sa juste valeur. Leur rôle est aujourd'hui devenu essentiel. Pour mettre en valeur cette filière, nous proposons que, de façon symbolique, l'on fasse voler nos drones lors des cérémonies du 14 juillet prochain et que l'on adresse donc un courrier en ce sens à la ministre des armées.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Merci beaucoup, chers collègues. Les membres du groupe de travail veulent-ils ajouter quelque chose ?

PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

En tant que membres du groupe de travail, avec Raymond Vall, nous avons été associés aux auditions et aux déplacements, qui furent fort intéressants.

Les États-Unis sont notre principal partenaire en matière de drones et notre déplacement dans ce pays fut très instructif, du point de vue tant politique qu'industriel. Les forces armées de ce pays - marine, aviation, armée de terre et marines - possèdent 800 drones MALE, ce qui représente 8 000 opérateurs. Nous entretenons, reconnaissons-le, une coopération ancienne et de bonne qualité avec les Américains pour l'intelligence, la surveillance et la reconnaissance en général. D'ailleurs, j'ai pu le constater sur ce sujet comme sur d'autres, quoique plus petits, nous sommes respectés par les Américains.

L'industriel américain que nous avons rencontré nous a évidemment très bien reçus, car nous représentons un potentiel de développement important pour lui. En attendant le grand soir d'une vraie coopération européenne, qui nous permettra de développer notre drone, ils espèrent en effet nous vendre du matériel. Ils nous connaissent d'ailleurs bien, car ils assurent la maintenance de nos produits.

Néanmoins, il s'agit d'abord, les rapporteurs l'ont rappelé, d'un problème politique. La perspective sur ce sujet est forcément européenne, et il faudra que le rythme de notre coopération s'adapte et colle à l'évolution de la technologie, pour que l'on ne soit pas dépassé par le progrès technique.

Se pose aussi la question, dans nos démocraties, du système institutionnel. Dans la démocratie, certes différente de la nôtre, que constituent les États-Unis, où le Congrès n'est pas exclu des décisions, le sujet des drones armés n'est pas un point de confrontation majeure entre l'exécutif et le Parlement. J'ai ressenti ici une crainte révérencielle à ce sujet, mais cela ne me semble pas insurmontable.

Pour évoquer un point négatif, les États-Unis ont fait le choix de positionner les opérateurs de drones sur le territoire national plutôt que sur les terrains d'opérations. Ils peuvent faire du pilotage à distance, source d'économies, mais cela pose des problèmes de gestion des ressources humaines, de déconnexion de l'analyse vis-à-vis du terrain, de risque d'inefficacité et de démotivation du personnel - on observe ainsi une rotation importante du personnel. Il ne faut donc pas perdre de vue la cohérence de notre démarche.

PermalienPhoto de Raymond Vall

Les rapporteurs ont fait un excellent travail.

Pour ma part, quand je suis entré dans cette mission, j'ai éprouvé un sentiment de malaise. Il s'agit en effet de politique extérieure, mais aussi intérieure. Nous avons constaté au cours de certaines visites, comme celle que nous avons réalisée à Cognac, qu'il y a des besoins urgents et importants d'investissements humains et matériels. On ne peut être à la fois le « gendarme de l'Afrique » et demeurer aussi dépendant. Il y va de la vie de nos soldats !

Quand on voit à notre portée des regroupements de terroristes, dont chacun représente un grand potentiel de destruction de vies, il y a un malaise. Il faut donc desserrer les contraintes qui pèsent dans ce domaine et qui sont incompréhensibles. Les objectifs de 2020 ne seront pas respectés si l'on ne prend pas de décisions fortes en la matière. Il faut donc recruter 300 personnes et avoir un investissement immobilier fort, pour sauvegarder la vie de nos soldats !

PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Je comprends ce sentiment de malaise, mais hélas, en matière de défense, nous sommes bien placés pour savoir qu'on l'éprouve souvent et qu'il existe parfois un décalage entre nos objectifs stratégiques et les moyens de nos armées.

Néanmoins, il est effectivement important que nous établissions un diagnostic. Dans le budget pour 2018, il faudra alors faire des efforts financiers importants et choisir les axes prioritaires de ces efforts.

PermalienPhoto de André Trillard

Je confirme ce sentiment de malaise. Il y a dix ans, on pouvait dire qu'il s'agissait d'un oubli, mais, maintenant, il s'agit d'une omission volontaire, d'une « impasse » comme disent les budgétaires. Or une impasse se retourne toujours contre soi. On choisit de ne pas protéger nos hommes ! Cela me choque profondément. Pour ma part, je préfère que l'on casse du matériel plutôt que l'on perde nos hommes. La force de nos armées, qui sont peu nombreuses, réside dans leurs compétences, leur engagement et leur loyauté. Un soldat perdu ou incapable de poursuivre son activité, c'est un drame. Un drone perdu ou explosé, ce n'en est pas un ! Je ne vois pas où est le pilote dans l'avion.

Quant à la politique européenne de sécurité et de défense, on a décidé, l'an dernier, de partager les données PNR, pour constater, cette année, qu'on ne l'a toujours pas fait... Cessons de parler : agissons !

Un pays qui a été capable de bâtir une stratégie nucléaire seul est capable de définir avec deux ou trois pays européens bien ciblés une politique de drones crédible. Nous sommes capables d'y employer 300 personnes.

PermalienPhoto de Cédric Perrin

Je veux évoquer la problématique du câblage des drones. Dès le mois de janvier, on m'a dit « en off » que les drones Reaper Block 5 de troisième et quatrième générations qui doivent être livrés en 2019 avaient été commandés en en demandant le décâblage. Autrement dit, le jour où l'on décidera de les armer, il faudra les renvoyer aux États-Unis, pour qu'ils soient recâblés... Cette décision est complètement ubuesque.

La semaine dernière, à Niamey, je me suis rendu compte que la quasi-totalité des opérations militaires qui sont menées aujourd'hui dans la bande sahélo-saharienne nécessite un survol quasi permanent par des drones. Or seul un des cinq drones Reaper dont nous disposons aujourd'hui à Niamey vole, parce que nous ne sommes pas en capacité de former nos pilotes, compte tenu de l'impossibilité de survoler le territoire national. De nombreux terrains ne peuvent donc être survolés, dont ceux de l'opération Barkhane - c'est essentiellement pour l'opération Sabre que les drones fonctionnent.

Nous avons tous entendu parler, à la fin du mois d'avril dernier, de l'opération Bayard, qui a permis de mettre hors d'état de nuire une vingtaine de terroristes. Si des drones armés avaient pu opérer, cette opération aurait été beaucoup plus efficace.

Une fois cette très belle opération terminée - elle a été une grande réussite -, le colonel d'escadron 1/33 Belfort, qui était en première ligne sur cette opération, a demandé à la chancellerie que les militaires qui y avaient participé soient récompensés. La chancellerie a répondu que cette demande n'était pas justifiée, les opérateurs et les pilotes n'ayant pris aucun risque derrière leurs écrans d'ordinateur... Je trouve cette réponse extrêmement choquante. Alors que ces militaires sont plus nombreux à quitter l'armée américaine qu'à l'intégrer, il est urgent que l'on valorise, dans notre pays, le travail des opérateurs et des pilotes.

Le drone est un nouveau moyen de guerre qui prend beaucoup d'ampleur et nécessite aujourd'hui beaucoup d'investissement des personnels. Je puis vous assurer que ceux que j'ai vus sur le terrain sont extrêmement motivés et compétents !

Si nos collègues en sont d'accord, nous proposerons, dans le rapport, que la chancellerie, dans ses décisions d'attribution de récompenses ou de médailles, tienne également compte de l'évolution des technologies et du matériel et valorise aussi les pilotes de drones. Ce point me semble important.

À l'issue de ce débat, la commission adopte le rapport à l'unanimité des membres présents et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Je veux remercier les co-présidents du groupe de travail. La demande croissante de drones pose un certain nombre de questions, sur lesquelles il nous faudra encore travailler.

J'invite Xavier Pintat et Jeanny Lorgeoux, co-présidents du groupe de travail sur « La modernisation de la dissuasion nucléaire », à présenter leur rapport d'information.

PermalienPhoto de Xavier Pintat

Le Président de la République nouvellement élu et la nouvelle ministre des armées vont être très vite confrontés à des décisions importantes. La modernisation des outils de la dissuasion nucléaire, sur laquelle repose la garantie ultime de notre sécurité et de notre souveraineté, en fait partie. Elle représente un défi technologique, financier et humain. Échouer dans cette entreprise, manquer les grands rendez-vous que je vais vous présenter dans un instant exposerait notre pays à une menace sans précédent.

Mon collègue Jeanny Lorgeoux et moi-même avons divisé notre intervention en deux parties, qui permettront de vous résumer notre rapport, fruit de quatre mois d'auditions et de plusieurs déplacements sur des sites militaires et industriels, y compris en Grande-Bretagne, où nous avons eu un très haut niveau d'accès à l'information. Je veux remercier de leur participation active nos collègues André Trillard, Pascal Allizard et Claude Haut.

En 2012, j'avais co-présidé, avec Didier Boulaud, un groupe de travail sur le sujet, dont les travaux avaient abouti à la rédaction d'un rapport. Si le rapport que nous vous présentons aujourd'hui est volumineux, c'est que nous l'avons voulu précis et pédagogique.

Je vais vous expliquer ce que nous entendons par « modernisation » et quel en sera le coût. Jeanny Lorgeoux vous démontrera la nécessité absolue de ce programme de modernisation dans un contexte géostratégique dégradé.

Tout d'abord, le renouvellement des capacités françaises à court et à long terme est fondamental pour la crédibilité de notre dissuasion.

Les grands rendez-vous que nous avons identifiés se situent tous autour de 2033 et 2035 - ce sont les dates clefs - avec la mise en service du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de troisième génération et du missile balistique M-51.4 s'agissant de la composante océanique, du successeur des missiles air-sol moyenne portée améliorés - ASMPA - et une éventuelle évolution de notre flotte de porteurs s'agissant de la composante aéroportée. Les décisions d'investissement les plus significatives devront être prises dès la prochaine loi de programmation militaire, car la dissuasion se pense dans le temps long : il faut une quinzaine d'années pour construire un sous-marin et dix à douze ans pour un système d'armes.

Prenons ces systèmes dans l'ordre.

Premièrement, pour le remplacement des SNLE en service, le choix a été fait de s'orienter vers un navire de troisième génération compatible avec les infrastructures existantes et, en conséquence, de renoncer, à ce stade - j'insiste sur cette expression -, au développement d'une nouvelle génération de missiles plus volumineux. Nous avons retenu une évolution souple du missile M-51, qui pourra s'adapter au besoin par incréments successifs.

Suivant cette logique, les SNLE actuels ont été progressivement adaptés depuis 2010 pour recevoir le missile M-51. Cette adaptation s'achèvera à la mi-2019, les travaux sur le dernier sous-marin étant en cours. À la fin de la décennie, l'ensemble des SNLE seront en mesure d'emporter des missiles M-51.2 équipés de la nouvelle tête océanique, la TNO. Ainsi, la France aura terminé le grand cycle de renouvellement complet de ses forces engagé depuis 1995. Parallèlement, au cours de la prochaine décennie seront mis en service, avec un peu de retard, les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda à propulsion nucléaire, qui appartiennent à la force océanique stratégique, mais qui exercent des missions duales : ils peuvent être utilisés pour la protection des SNLE et pour des missions conventionnelles.

Au-delà de ce cycle, le remplacement des SNLE par une nouvelle génération de sous-marins a été décidé.

Les études de dimensionnement ont conduit à proposer un navire de format compatible avec les infrastructures de l'Île Longue, de Cherbourg et de Brest et tenant dans l'enveloppe financière arrêtée au sein du conseil des armements nucléaires. Son tonnage sera très proche de celui des sous-marins actuels, car il emportera un missile dérivé du M-51. Cette décision a été rendue publique par le Président de la République à Istres en février 2015.

Quatre sous-marins devront être mis en chantier pour assurer la permanence à la mer d'au moins un sous-marin en patrouille, une posture que la France assure sans discontinuité depuis quarante-cinq ans et qui conditionne la crédibilité de la dissuasion dans la mesure où le Président de la République est assuré à tout moment d'une capacité de « frappe en second ».

L'objectif consiste à maintenir l'invulnérabilité de nos sous-marins face à l'évolution de la menace, ce qui conduit principalement à améliorer leur discrétion acoustique et leur furtivité, leurs capacités de détection sonar, leur système de navigation, les moyens de transmission et la résilience en matière de cybersécurité en mer et à quai. On ajoutera que l'augmentation de la portée du missile participe à la sécurité du sous-marin, qui peut se diluer dans un périmètre plus vaste.

Le programme est passé au stade d'élaboration en novembre 2016. Sa réalisation pourrait débuter en 2020, avec un objectif d'admission en service actif à l'horizon 2033. Un parc homogène est attendu d'ici à 2048 et un retrait du service pour le dernier des quatre futurs SNLE serait envisagé vers la fin des années 2080, ce qui nous place dans une perspective longue.

La durée de vie des SNLE actuels avait initialement été fixée à trente-cinq ans, pour un désarmement du premier SNLE en 2029. Une extension de trois années est à l'étude. Il faudra que le premier bâtiment de la nouvelle série soit prêt à entrer en service lors de la fin de vie du Triomphant, au début de la décennie 2030. Nous espérons que le retard observé sur le calendrier des livraisons des SNA ne réduira pas à l'excès les marges de sécurité nécessaires à la mise en oeuvre de ce programme. En effet, les bâtiments sont fabriqués dans la même enceinte industrielle.

En ce qui concerne la modernisation des missiles, pour la composante océanique, le missile M-51 est déployé sur chacun des SNLE. Depuis le début de l'année 2017, l'ensemble des SNLE dans le cycle opérationnel peuvent recevoir le missile M 51-2 équipé de la nouvelle tête nucléaire océanique, la TNO. Le quatrième est en carénage et en cours d'adaptation. Cette opération marquera le retrait du service du M-45, dont le démantèlement va pouvoir débuter.

Le missile M-51.3 poursuit son développement, avec une mise en service opérationnelle prévue en 2025. Une version M-51.4 est attendue dans les années 2030, toujours selon une logique incrémentale. Cette génération de missiles est compatible avec le futur SNLE 3G.

En ce qui concerne la composante aéroportée, le programme de rénovation à mi-vie du missile aéroporté, l'ASMPA, est en cours de réalisation depuis 2016, avec une mise en service opérationnelle à partir de 2022, pour traiter certaines obsolescences et maintenir le niveau de performance opérationnelle du missile en pénétration et en précision. Ce programme anticipe l'évolution des défenses adverses à moyen terme. Il est escompté que cet ASMPA-R - « R » signifiant ici « rénové » - permettra de garder la supériorité technologique, au moins jusqu'en 2035.

À l'horizon 2035, une évolution plus ambitieuse se dessine. La durée de vie de l'ASMPA conduira à son retrait du service aux alentours de cette date et à son remplacement. Au regard des évolutions des défenses adverses - menace air/air, chasseurs de cinquième génération, prolifération des défenses de type S400/500 et des radars multifréquences, capacité de manoeuvrabilité des intercepteurs en phase terminale... -, le lancement du programme d'ensemble air-sol nucléaire de quatrième génération est impératif pour maintenir la crédibilité et l'efficacité de la composante aéroportée à l'horizon 2040 et disposer d'un niveau de performances et d'évolutivité optimal jusqu'en 2070, à un coût maîtrisé. Un premier jalon a été franchi en novembre 2016. Ce projet nécessitera une approche globale du système d'armes et des différentes composantes de la mission - tête, missile, porteur, moyen d'accompagnement, communications, infrastructures -, pour en optimiser l'intégration et la performance d'ensemble : une véritable rupture technologique est envisagée avec l'avènement des systèmes de type hypersonique, c'est-à-dire capables d'évoluer à une vitesse supérieure à Mach 5, ce qui n'est pas facile à faire. Des programmes d'études en amont ont été engagés sur la furtivité et la vélocité. Ils devront être poursuivis et confortés, le cas échéant, par la réalisation de démonstrateurs, afin de répondre aux exigences nouvelles en termes de pénétration des défenses adverses.

Cela nous amène à la question des porteurs. En effet, le choix d'un missile hypervéloce supposerait une taille supérieure et pourrait rendre nécessaire un changement de plateforme ou une modernisation substantielle de l'actuel porteur. Un compromis vitesse-furtivité pourrait être trouvé, sans passer directement tout à fait à l'hypersonique, pour conserver le porteur actuel, tout en garantissant un niveau de performance suffisant. Ce débat n'est pas tranché. Il est porteur d'enjeux importants pour les forces armées. Toutefois, les échéances de décision ne pourront pas être reculées, en raison des progrès extrêmement rapides observés sur les systèmes de défense adverses, qu'il s'agisse des radars, des systèmes de commandement ou des intercepteurs. Ce débat montre que l'accélération du progrès technique pourrait obliger à une plus grande flexibilité dans un domaine où, traditionnellement, les cycles de développement imposent une planification rigoureuse et à très long terme.

En attendant, le plus urgent est de finaliser l'homogénéisation de la flotte de chasseurs et de poursuivre le renouvellement de la flotte de ravitailleurs.

Le retrait progressif des Mirage 2000 N au profit des Rafale, entamé en 2011, sera effectif en 2018. Il portera les capacités d'allonge et de pénétration des défenses adverses au meilleur niveau accessible et permettra le regroupement des deux escadrons d'avions de combat des forces aériennes stratégiques sur la base de Saint-Dizier.

Pour les ravitailleurs, la loi de programmation militaire actuelle a engagé le renouvellement de la flotte. Sont prévus 12 MRTT « Phénix », dont le premier exemplaire arrivera dans l'armée de l'air le 1er octobre 2018. Les MRTT remplaceront progressivement les 14 C135, qui sont usés jusqu'à la corde et doivent être remplacés urgemment en raison de leur coût d'entretien et des risques d'indisponibilité, mais aussi les 5 Airbus A310/340 de l'escadron Estérel qui assurent actuellement le transport des personnels des armées et certaines évacuations sanitaires, soit 12 avions en remplacement de 19. Le programme d'acquisition prévoit la livraison d'un, puis de deux appareils par an jusqu'en 2025.

Appareil multirôle et polyvalent, le MRTT « Phénix » assurera donc, outre les missions de ravitaillement en vol, des missions de transport de personnel ou de fret à longue distance et d'évacuation sanitaire lourde. Compte tenu des nouveaux besoins opérationnels et de la vétusté du parc actuel. Nous craignons que ce chiffre ne soit insuffisant, et qu'il faille en acquérir au moins un de plus, compte tenu de leur engagement important en OPEX. Accélérer le rythme de livraison des MRTT permettrait, en outre, de mieux maîtriser les risques qui pèsent sur la disponibilité des C135 et de sécuriser une transition longue, prévue sur sept à huit ans jusqu'en 2025. Cette transition concerne les équipements mais aussi les équipages et les mécaniciens, qu'il faut former et entraîner. Elle concerne aussi l'adaptation des infrastructures opérationnelles et aéroportuaires des bases d'Istres, d'Avord et d'Évreux. Pour la base d'Istres, il s'agit d'un chantier majeur.

Enfin, il me faut évoquer la modernisation de la « troisième composante », que l'on oublie souvent : celle des transmissions.

Comme les deux premières composantes, les systèmes de transmission sont continuellement adaptés et renouvelés, dans une logique de stricte suffisance. L'ensemble des éléments font l'objet de programmes d'investissements dont la mise en oeuvre opérationnelle s'échelonne de 2020 à 2025 pour le plus important. Ces investissements consentis pour assurer la rénovation et renforcer la cybersécurité permettront d'en maintenir le haut niveau de service, quelles que soient les circonstances et les agressions potentielles entre 2020 et 2040. Des études amont sont conduites, visant à améliorer les performances des systèmes d'émission et de réception à très basses fréquences, ainsi que la résilience et la robustesse des architectures dans ce domaine.

Pour être tout à fait complet, même si les enjeux financiers sont moindres, une attention vigilante doit également être apportée à la sécurité des installations - notamment contre les risques d'intrusion physique ou cyber - et à leur sûreté compte tenu de la sensibilité des matériaux nucléaires. Tous ces éléments contribuent à asseoir la crédibilité interne et externe de la dissuasion.

Après ce tour d'horizon de l'ensemble des programmes de modernisation qu'il nous faudra mener, et l'on voit combien ils sont lourds et importants, je voudrais en venir à leur aspect financier et au calendrier.

Pour être à l'heure des grands rendez-vous associés au renouvellement des principaux matériels de la dissuasion à l'horizon 2035, les décisions d'investissement les plus significatives doivent être prévues dans la prochaine programmation militaire : d'une part, le lancement de la réalisation du SNLE 3G, à effectuer en 2020, et du M-51.4, en 2022 ; d'autre part, des choix structurants pour le renouvellement de la composante aéroportée, concernant le concept de missile et les incidences éventuelles de celui-ci sur l'aéronef porteur.

La projection des besoins de la dissuasion fait apparaître la nécessité, à l'horizon 2025, d'une augmentation d'un peu plus de 50 % par rapport à 2017 du volume de crédits de paiement, qui s'établit actuellement à 3,9 milliards d'euros, de façon à atteindre 5,5 à 6 milliards d'euros à valeur constante. Cette augmentation devrait être quasi linéaire sur la prochaine décennie, en fonction d'un calendrier très contraint eu égard aux indispensables marges de sécurité.

La trajectoire financière de la modernisation de la dissuasion prévue d'ici à 2025 ne sera soutenable qu'à deux séries de conditions. Les premières tiennent au budget de la défense dans son ensemble, dont il s'agit d'assurer la remontée en puissance d'ensemble. De ce point de vue, l'augmentation de ce budget à 2 % du PIB d'ici à 2025, telle qu'elle est promise par le nouveau Président de la République, serait satisfaisante.

Les secondes conditions concernent le « tuilage » des dépenses de la dissuasion entre elles et avec les dépenses requises pour les forces conventionnelles, afin de prévenir d'éventuels effets d'éviction, encore que le terme puisse être discutable et discuté, compte tenu du caractère dual des capacités mises en oeuvre par les forces stratégiques ; je pense notamment au Rafale et aux ravitailleurs, mais pas uniquement.

La bonne marche d'exécution des programmes nucléaires sur la prochaine décennie supposera une organisation spécifique du rythme des dépenses du budget de la défense au titre de l'opération stratégique « dissuasion » - il me semble que les parlementaires auront là un grand rôle à jouer. Il s'agit de cadencer convenablement le renouvellement parallèle des deux composantes, océanique et aéroportée, et, parallèlement, de préserver une « base » budgétaire, destinée à l'exploitation et au maintien en condition opérationnelle.

La soutenabilité de la hausse des besoins en la matière impliquera également de veiller à une articulation optimale entre le budget de la dissuasion et celui des forces conventionnelles. Cela suppose, à nos yeux, que la remontée en puissance d'ensemble soit rapidement et puissamment mise en oeuvre, de façon à sanctuariser les échéances obligatoires et indispensables au maintien de notre capacité à dissuader.

Le chantier de la modernisation de notre dissuasion demandera à la Nation des efforts financiers, humains et technologiques, mais aussi des efforts politiques, pour soutenir des programmes complexes dans des délais exigeants. C'est, bien sûr, possible : nous avons les instruments de programmation, la base industrielle, le capital humain pour que tout se déroule de manière à assurer la permanence de notre dissuasion dans le cadre d'une stricte suffisance. Cependant, cette dernière impose également que la volonté politique soit sans faille, faute de quoi l'ensemble de l'architecture risque d'être mis en péril.

Je laisse la parole à mon collègue, Jeanny Lorgeoux, pour vous démontrer que cette modernisation est indispensable et que la reporter ou l'ajourner mettrait en péril la sécurité nationale de manière sérieuse et sans doute irréversible.

PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Je remercie Xavier Pintat de son intervention très éclairante. Il vous a présenté les enjeux techniques, calendaires et financiers de la modernisation de la dissuasion nucléaire. Permettez-moi d'en exposer brièvement la pertinence conceptuelle au regard de la dégradation du contexte géopolitique mondial et de l'apparition de menaces nouvelles.

Je voudrais tout d'abord rappeler devant vous que l'impératif de modernisation s'inscrit dans la continuité de la stratégie de dissuasion française conduite depuis plus de cinquante ans. Cela a été affirmé par des précurseurs sous la IVe République, puis, avec encore plus de force, par le général de Gaulle : pour être exercée « à tout moment et en toutes circonstances », la dissuasion repose sur notre capacité à renouveler constamment les technologies, les compétences, les organisations, mais également la volonté nationale, sans lesquelles il n'est pas de défense forte et crédible.

La crédibilité est en effet au coeur de la doctrine française de dissuasion. Jamais entamée depuis les années soixante, cette crédibilité repose sur trois piliers.

Premièrement, une volonté nationale sans faille, incarnée par le chef des armées, bien sûr, mais également par le Parlement, qui, par son action législative - je pense à son rôle dans l'élaboration et le vote des lois de programmation militaire et des lois de finances annuelles, mais également par son action d'information des citoyens -, porte l'effort national de défense. Cela se traduit par un soutien de l'opinion publique jamais démenti depuis les débuts de la dissuasion, comme le montre un récent sondage de mars 2017, qui révèle l'attachement de 72 % des Français à la dissuasion comme garantie de la défense nationale. Ce sondage révèle également que 60 % des Français estiment que les capacités actuelles doivent être maintenues et modernisées, ce qui montre que les travaux de la commission entrent en résonnance avec une véritable attente démocratique.

Deuxièmement, la crédibilité repose également sur des forces d'élite, opérationnelles à tout moment et en toutes circonstances : cette excellence seule permet la permanence, pilier de la dissuasion. La crédibilité de la dissuasion est renforcée par le choix français d'une complémentarité entre composantes aéroportée et océanique, qui offre au chef des armées la possibilité d'une réponse flexible et adaptée à la menace. Cette complémentarité repose sur des systèmes d'armes sophistiqués, dont la fiabilité est reconnue et qui sont dimensionnés pour respecter la posture française de stricte suffisance, réaffirmée par François Hollande à Istres. J'ajouterai que ces forces sont taillées selon ce principe et qu'elles sont, pour des raisons autant opérationnelles que financières, les plus imbriquées possibles dans nos armées. Ce sont les mêmes équipages, sur les mêmes avions de combat, qui arment les forces aériennes stratégiques, les FAS, ou la Force d'action navale nucléaire, la FANu, et qui tirent des SCALP dans des opérations conventionnelles ou assurent des missions de défense aérienne du territoire national. La dualité est un principe structurant de notre modèle complet d'armée.

Troisièmement, et enfin, la crédibilité de notre dissuasion repose sur des capacités technologiques et industrielles souveraines, en mesure de forger les outils nécessaires. Cet écosystème d'excellence de la dissuasion n'est viable que si nous parvenons à maintenir des compétences clefs - DCNS seul compte des centaines de compétences « orphelines », c'est-à-dire qui ne trouvent une application industrielle que dans la dissuasion - et un effort de recherche et développement soutenu. Sur le long terme, son maintien dépend d'une capacité d'anticipation des menaces et des évolutions technologiques qui alimente des programmes robustes, financés et soutenables dans le temps long. L'excellence de notre industrie nationale d'armement, sa capacité à être un leader mondial à l'export et sa contribution à la richesse de la Nation dépendent en partie de l'impératif d'assumer la charge lourde, mais ô combien stimulante, des programmes liés à la dissuasion.

Ces trois piliers assurent la crédibilité de la dissuasion française. Pourtant, avec la fin de la Guerre froide, plusieurs voix ont questionné jusqu'à sa pertinence et son utilité. La « fin de l'Histoire » était également celle des conflits entre États : la dissuasion devenait obsolète et sa suppression pouvait venir alimenter les « dividendes de la paix »... La décennie quatre-vingt-dix a d'ailleurs été marquée par des progrès certains en termes de désarmement. La France y a participé de façon exemplaire : elle est le premier État, avec le Royaume-Uni, à avoir signé et ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires en 1996 ; le premier État à avoir décidé la fermeture et le démantèlement de ses installations de production de matières fissiles à des fins explosives, faisant désormais reposer la dissuasion sur un stock limité de matière nucléaire ; le seul à avoir démantelé, de manière transparente, son site d'essais nucléaires situé dans le Pacifique et à limiter ses expérimentations à la seule simulation d'essais ; le seul à avoir démantelé entièrement ses missiles nucléaires sol-sol ; le seul, enfin, plus récemment, à avoir réduit volontairement d'un tiers le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, puis de ses forces aériennes stratégiques. Fidèle à sa posture stratégique de stricte suffisance, la France s'est engagée sur la voie du désarmement de manière résolue, en conformité avec ses engagements dans le cadre du traité sur la non-prolifération, le TNP, mais sans naïveté et de manière pragmatique.

En effet, le contexte international actuel et les progrès des technologies d'armement nous invitent à ne pas baisser la garde, mais au contraire à moderniser nos outils de dissuasion pour maintenir leur crédibilité. Dans le cadre de la stricte suffisance, où la quantité des systèmes est maintenue à son niveau le plus bas, ne pas avoir la meilleure qualité, c'est ne plus dissuader.

La modernisation de notre dissuasion est donc nécessaire dans un monde dangereux et incertain.

Cette conviction repose d'abord sur l'appréciation par le chef de l'État et les autorités militaires de l'évolution des menaces.

Si nos préoccupations stratégiques actuelles sont concentrées sur le terrorisme, il convient de ne pas avoir une vision déformée des menaces. Un des arguments répandus dans le débat stratégique, depuis quelques années, consiste en effet à disqualifier l'utilité de la dissuasion nucléaire dès lors qu'il s'agirait de contrer ou de combattre la menace terroriste. Les fonctions stratégiques conventionnelles de protection et d'intervention constituent bien un complément indispensable à la dissuasion, permettant d'éviter le piège du « tout ou rien ». C'est pourquoi la stratégie de dissuasion, et a fortiori de dissuasion nucléaire, est l'une des fonctions stratégiques de la défense, mais non la seule. La défense et la sécurité nationale reposent sur un modèle complet d'armée. En revanche, face à un État, fut-il islamiste radical, c'est-à-dire une entité disposant d'un territoire et d'une population, attachée à sa survie et ayant vocation à se perpétuer, la dissuasion pourrait retrouver toute sa pertinence pour l'empêcher d'utiliser le terrorisme de façon massive et de menacer nos intérêts vitaux. Un scénario dans lequel certains États détenteurs de l'arme pourraient basculer dans le terrorisme, ou dans lequel certains transferts de technologies en provenance d'États proliférants permettraient à un État d'acquérir des capacités nucléaires, ne peut être exclu à l'avenir.

La résurgence des menaces de haut du spectre - je pense à la Russie, dont la remontée en puissance comporte un fort volet nucléaire, mais aussi à d'autres États dotés comme la Chine, l'Inde ou le Pakistan - nous rappelle que seule la dissuasion peut nous préserver d'un éventuel chantage nucléaire et nous permettre de conserver notre liberté d'action. Bien entendu, la menace des États « du seuil » comme l'Iran et la Corée du Nord, laquelle démontre chaque jour un peu plus son imprévisibilité et sa dangerosité, ajoutent à la pertinence de disposer d'une dissuasion autonome, crédible et moderne.

Enfin, les incertitudes pesant sur nos alliances traditionnelles, après le Brexit et l'élection de Donald Trump, sont des facteurs à prendre en compte pour nos choix stratégiques. Le Brexit aura-t-il des conséquences sur la capacité de notre voisin à mener à terme la modernisation décidée de sa dissuasion nucléaire ? Dans le cas des États-Unis, l'arrivée du président Trump, qui a multiplié les déclarations sur l'obsolescence des alliances et le coût élevé de celles-ci pour les États-Unis, annonce-t-il un moindre investissement des États-Unis au profit de leurs alliés et un affaiblissement du concept américain de dissuasion élargie ? Des interrogations se font jour chez les alliés des États-Unis dans toutes les régions du monde jusqu'alors stabilisées par l'engagement américain - Asie, Moyen-Orient. Malgré ces inquiétudes, face aux provocations, les États-Unis continuent de répondre en déployant des bombardiers stratégiques en Asie et en Europe ou à doter leurs alliés de moyens de défense antimissiles de théâtre, notamment en Corée du Sud. Toutefois, l'imprévisibilité de Donald Trump ne peut laisser préjuger que cela sera toujours le cas, et le scénario d'un vide stratégique en Europe, laissé par un retrait des États-Unis, doit être envisagé.

Ensuite, les évolutions technologiques à l'oeuvre dans le monde et la prolifération des systèmes de déni d'accès, de cyberattaques offensives ou de frappes antisatellites imposent une actualisation du niveau technique sans précédent de nos outils de dissuasion pour garantir leur crédibilité. La plupart des grandes puissances nucléaires se sont dotées de capacités de défense antimissiles balistiques - DAMB -, qui d'ailleurs peuvent être utilisées également comme protection contre des attaques conventionnelles. Parallèlement, les progrès réalisés dans les systèmes de défense aérienne pour prendre en compte la menace des missiles de croisière, quelle que soit la nature des armes transportées, permettent le développement de stratégies de déni d'accès qui interfèrent avec le concept de dissuasion. Les systèmes de défense antimissiles représentent ainsi une nouvelle donne pour la dissuasion. Leur perfectionnement accru et leur prolifération questionnent sa crédibilité et son efficacité. Ces systèmes, nécessitant des savoir-faire rares et complexes, permettent de détecter, suivre et intercepter des missiles balistiques ou aérobies ennemis. Les pays qui maîtrisent à la fois la détection et l'interception sont peu nombreux : en plus des États-Unis, la Russie et la Chine modernisent l'ensemble de leurs capacités. La prolifération de ces systèmes et leur mise en réseau potentielle permettraient la constitution de capacités d'alerte avancée et d'entrave sérieuse pour des raids aériens.

La nouvelle menace cyber fait également peser plusieurs risques sur la crédibilité de la dissuasion. Tout d'abord, les systèmes de commandement, de contrôle et de liaison d'information utilisés dans le cadre de la dissuasion peuvent être vulnérables à des attaques cyber de grande ampleur qui auraient pour objet de rendre inopérant l'ordre nucléaire. L'attaque du virus Stuxnet de 2010 contre le système de contrôle et de commande des installations d'enrichissement nucléaire iraniennes, avec près de 30 000 ordinateurs infectés sur 45 000, démontre les dégâts matériels que peuvent occasionner des attaques cyber coordonnées et de grande ampleur. La cybermenace est prise très au sérieux par les forces nucléaires françaises : l'évolution des systèmes vers une plus grande ouverture et donc une plus grande vulnérabilité impose une vigilance accrue de la part de la Direction générale de l'armement, la DGA, et des industriels. La sécurité de systèmes de plus en plus complexes et robustes s'est imposée ces dernières années au coeur des enjeux techniques liés à la dissuasion. Ce risque est effectivement pris en compte techniquement et organisationnellement.

Je pourrais également évoquer le cas de la militarisation de l'espace, des moyens de détection sous-marine qui se perfectionnent ou de l'utilisation de drones dans le cadre des systèmes d'alerte avancée. Vous avez compris le besoin urgent d'adapter nos capacités pour maintenir l'invulnérabilité de nos moyens et garantir leurs capacités de pénétration pour délivrer, si nécessaire, une frappe efficace et précise.

Au terme de ce travail d'auditions, y compris des groupes opposés à la dissuasion nucléaire, avec lesquels nous avons eu des échanges approfondis qui ont aiguisé notre réflexion, notre conviction est faite en faveur de cette modernisation. Nos nombreux déplacements auprès des forces, mais également auprès des industriels et des chercheurs nous ont montré l'importance de la conduire selon le calendrier prévu et de lui affecter les moyens nécessaires.

Nous avons compris que, en la matière, l'important est d'éviter les ruptures : manquer un jalon du complexe échafaudage de planification que nous exposons dans notre rapport pourrait causer des pertes irréparables de compétence et exiger une coûteuse remontée en puissance, que nous n'aurons peut-être jamais les moyens de mener à bien. Cela signifierait également une érosion progressive de nos capacités qui aboutirait à saper la crédibilité d'une dissuasion vieillissante. Et en matière de dissuasion, vous l'avez compris, ne pas être crédible, c'est ne pas dissuader du tout, c'est-à-dire être incapable de résister aux chantages ou de défendre nos intérêts vitaux. Cela veut dire s'en remettre à d'autres pour assurer notre sécurité, ce à quoi notre pays s'est toujours refusé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous persistons à le refuser, au nom de l'indépendance nationale.

Pour terminer cet exposé, je souhaiterais souligner ce qui est peut-être la garantie ultime de la crédibilité de notre dissuasion. Je veux parler de la qualité des femmes et des hommes qui la conçoivent, la préparent, l'entretiennent, la testent, la contrôlent, et qui s'entraînent au pire. Ils assurent la dissuasion nucléaire, qui n'est pas, comme on le dit trop rapidement, une « stratégie de non-emploi », mais une posture active en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et cela depuis 1964 sans discontinuité. La dissuasion s'appuie sur des compétences rarissimes, ainsi que sur des valeurs d'excellence et de rigueur. Depuis l'origine, des femmes et des hommes mettent leurs compétences au service de cette mission éminemment exigeante dans les laboratoires de recherche, dans l'industrie, au sein des administrations ou des forces armées. Nous leur rendons à travers ce rapport un hommage appuyé, celui de la Nation reconnaissante envers ceux qui en protègent l'existence, les valeurs et la liberté.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Merci beaucoup, cher collègue. Les membres du groupe de travail veulent-ils ajouter quelque chose ?

PermalienPhoto de André Trillard

Une des clefs du respect de nos budgets réside dans la taille de nos sous-marins. Celle-ci conditionne en effet la taille de nos missiles et la capacité d'utiliser nos bases existantes. Nos spécialistes doivent réfléchir à cette question importante, de même qu'aux dimensions de nos autres équipements, notamment les avions. Sinon, nous risquons d'excéder rapidement les moyens réels de notre pays.

Nous devons, dans le même volume, accomplir un saut technologique important. Mais nous avons les moyens intellectuels de le faire, et je fais confiance à nos ingénieurs et à nos chercheurs.

Je dirai aussi un mot du partenariat avec nos alliés. Nous devons acquérir progressivement une quinzaine d'avions ravitailleurs modernes, mais n'oublions pas que les Américains en ont plus de 400... Nous pourrions peut-être nouer en la matière un partenariat vertueux et peu coûteux avec les États-Unis.

PermalienPhoto de Xavier Pintat

Pour l'heure, nous n'avons que 14 avions C-135 qui seront remplacés, d'ici 2025, par 12 MRTT qui devront en outre assurer d'autres missions.

PermalienPhoto de Claude Haut

Le groupe de travail a conduit des auditions et des visites particulièrement intéressantes et approfondies. Les propositions contenues dans ce rapport méritent d'être suivies, et je ne doute pas que notre commission y sera très attentive.

PermalienPhoto de Joël Guerriau

J'ai participé à un débat sur la dissuasion nucléaire, auquel assistait également Nicolas Hulot. J'ai relu à cette occasion les travaux de nos deux assemblées sur le sujet. Aborder de nouveau la question me paraît être une excellente initiative.

Vous avez beaucoup insisté sur la crédibilité. Évidemment, c'est elle qui fait la dissuasion. Mais pour que notre rapport soit crédible, il doit aussi mettre en lumière les détracteurs de la dissuasion. Or le sujet n'a pas été abordé : quels sont les arguments qui justifient de telles positions ?

En ce qui concerne les engagements financiers, quid des outils de la dissuasion ? Il a beaucoup été question des sous-marins, qui jouent un rôle extrêmement important en matière de dissuasion, puisque leur présence est indétectable. Nos adversaires ne savent donc pas d'où peut venir la frappe, ce qui nous rend très crédibles ; il s'agit d'un élément clef. Mais il faut un ensemble pour que cela fonctionne. Je pense, par exemple, au Monge, qui est un bâtiment d'essais et de mesures. Celui-ci a maintenant vingt-cinq ans. La programmation à venir envisage-t-elle son remplacement ? Qu'est-il prévu en termes d'outils d'essais et de mesures ? Je rappelle que nous sommes le seul pays à disposer d'un bâtiment de cette nature. Comment allons-nous maintenir le haut niveau de technologie qui nous caractérise ?

Enfin, j'aborderai la question humaine. Les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) sont aujourd'hui loin d'être confortables. Qu'en sera-t-il demain ? Tiendront-ils davantage compte des besoins de nos marins ?

PermalienPhoto de Xavier Pintat

Nous avons entendu deux des principaux opposants à la dissuasion nucléaire : le Réseau des parlementaires pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement et le réseau Pugwash, du nom d'une ville canadienne située en Nouvelle-Ecosse d'où est partie une opposition au nucléaire. Tous deux s'appuient sur le droit international, avec pour objectif de faire interdire par l'ONU tout armement nucléaire. Il s'agit peut-être d'une perspective, mais très lointaine. Pour cela, il faudrait que l'ONU puisse prendre des sanctions et dispose des moyens de les faire respecter. Nous n'y sommes pas encore ! Notre rapport fait écho aux arguments de ces groupes et apportent des réponses.

Notre rapport a surtout constaté qu'actuellement les armes nucléaires proliféraient un peu partout dans le monde et que les efforts de recherche des principaux pays allaient bon train...

Je ne sais pas si le remplacement du Monge est prévu. Cela ne figure pas dans le budget de la dissuasion stricto sensu.

Enfin, les problèmes humains que vous évoquez ont toute leur importance. Si nous voulons conserver un certain nombre de postes clefs, notamment les atomiciens, qui sont longs à former, il nous faudrait disposer de moyens financiers pour éviter d'être concurrencés par le privé. Nous avons demandé à l'état-major de nous communiquer une liste des métiers à protéger. Ils nécessiteraient une attention particulière de la part des parlementaires.

PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Il existe un timide essai de féminisation, mais au compte-gouttes !

PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La vie quotidienne du soldat est un problème qui a toute son importance, y compris en termes budgétaires. Il s'agit d'une problématique récurrente.

À l'issue de ce débat, la commission adopte le rapport à l'unanimité des membres présents et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 17 h 30.