Nous sommes réunis pour auditionner Mme Michèle Benbunan, présidente-directrice générale de Presstalis. Elle est accompagnée de M. Cédric Colaert, associé/responsable restructuration chez EIGHT ADVISORY.
Madame la Présidente, nous sommes très heureux de vous recevoir ce matin devant notre commission car la situation de Presstalis nous paraît très inquiétante. Vous avez été nommée Directrice générale de Presstalis en novembre, et Présidente au mois de décembre, après une carrière remarquable chez Hachette Livre, et le moins que l'on puisse dire est que votre mission n'est pas des plus aisées. Au mois de décembre, en effet, les premiers éléments sur les comptes 2017 ont fait apparaître un déficit d'exploitation alors estimé à 20 millions d'euros, très éloigné des prévisions initiales. L'avis de la commission de suivi de la situation économique et financière des messageries du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) est que les derniers événements lui paraissent « alarmants, car ils montrent que les mesures prises au cours des cinq dernières années n'ont pas produit les résultats escomptés ».
Face à cette situation, vous avez pris la décision de retenir le quart du chiffre d'affaires issu des ventes que Presstalis aurait dû verser aux éditeurs jusqu'à fin janvier 2018 ce qui, mais vous deviez vous y attendre, a provoqué un fort émoi.
Notre commission a depuis longtemps souligné la situation très critique du secteur et singulièrement de Presstalis. Je souhaite que cette audition soit pour vous l'occasion de nous en dire plus sur la situation actuelle et sur les perspectives de court terme que vous vous fixez pour sortir de cette impasse.
Je vais vous donner la parole pour une dizaine de minutes après quoi je laisserai la parole au rapporteur de la commission puis aux autres sénateurs présents ce matin.
J'ai intégré la société le 20 novembre, après 28 ans passés chez Hachette Livre.
La situation à mon arrivée était bien pire que celle qui m'avait été présentée au mois de juillet, avec un déficit d'exploitation d'au moins 20 millions d'euros. Presstalis s'est ainsi retrouvée face à un trou de trésorerie de très grande ampleur. Il n'est pas faux de dire que la société était alors en cessation de paiement, ce qui m'a contrainte à retenir le quart du chiffre d'affaires issu des ventes que nous aurions dû verser aux éditeurs jusqu'à fin janvier 2018.
Plusieurs raisons expliquent l'impasse dans laquelle se retrouve la société :
- des investissements malencontreux, en particulier dans le numérique ;
- une extrême dilution des rôles, qui a conduit l'ensemble des partenaires à fuir leurs responsabilités et à prendre des décisions financièrement hasardeuses, dans un marché en attrition ;
- la création de niveaux de regroupement intermédiaires entre le national et le régional, sans logique économique dans un marché en baisse, et qui a représenté un coût de 50 millions d'euros ;
- l'échec très coûteux du schéma directeur des rachats en région, pour 20 millions d'euros et du plan informatique au niveau de l'interprofession, pour 50 millions d'euros ;
- les coûts successifs des plans de départ volontaire, qui pèseront encore à hauteur de 30 millions d'euros sur les exercices 2018 et 2019.
C'est tout le système qui doit être remis en cause. Le secteur est en grande souffrance et en danger. Si la baisse de 5 à 10 % par an se poursuit, la presse est morte. Et ce sont les petits qui vont souffrir. Il est absolument urgent de déréguler le niveau 3. Faut-il rouvrir ce marché ? Faut-il faire en sorte que les titres puissent être disponibles dans tous les points de vente ?
Ce marché est également contraint en termes d'organisation. Le vrai sujet est d'apporter les titres jusqu'à un point de vente pour que le consommateur puisse les trouver. La question de savoir s'il s'agit d'un dépositaire indépendant n'est pas un enjeu majeur.
Nous avons des flux froids comme pour le livre. Pourquoi s'interdire d'aller directement du niveau 1 au niveau 3 ? Pourquoi faut-il passer par une exclusivité géographique ? Pourquoi transiter par un circuit intermédiaire alors qu'il existe des plateformes interprofessionnelles de transport ? Le débat ne doit pas porter sur la structure mais plutôt sur la manière d'atteindre les points de vente de la façon la plus économique et la plus efficace possible. Or pour les flux froids, ce n'est pas évident.
Nous avons forcément des schémas alternatifs. Il faut être très pragmatique ! Malheureusement, nous sommes dans une ambiance de « campagne électorale » entre Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP).
Si vous regardez l'expérience américaine, la messagerie de presse assure la prospection commerciale, le flux de trésorerie et de cash et l'information du système. En revanche, tout le flux logistique est assuré par les transporteurs.
Le monde du transport a subi une révolution majeure depuis la Seconde Guerre mondiale. En France, il existe aujourd'hui un système de transport très efficace. Je pense que l'on pourrait se rapprocher des structures de transport existantes pour éviter de passer par nos propres plateformes locales afin de faire des économies et gagner en efficacité.
Les réflexions à engager sont multiples. C'est pour cela que je suis contre le fait de promouvoir un schéma plutôt qu'un autre. J'essaie d'être pragmatique !
J'en viens au plan de transformation que je compte mettre en place. Il faut rester le plus ouvert possible car le monde bouge, la logistique bouge, les transports bougent...
Nous avons actuellement 17 dépôts avec une couverture semi-nationale et des effectifs significatifs. Le plan de transformation vise à alléger tout cela. Le réglage se fait par les éditeurs. On va alléger un certain nombre d'effectifs. Certaines plateformes n'ont pas une rentabilité suffisante. Nous allons les vendre à des dépositaires indépendants. Presstalis va essayer de se désengager d'une dizaine de régions tout en gardant la maîtrise sur les grandes villes où l'on va essayer d'impulser ce développement commercial. Un peu moins de 250 personnes devraient quitter l'entreprise dans le cadre d'un PSE.
Je suis favorable à la transparence. Les salariés et les organisations syndicales sont au courant. Je n'ai pas caché que la société était à la limite de la liquidation. J'ai également étudié la possibilité d'un redressement judiciaire qui, selon tous les experts judiciaires que j'ai sollicités, n'est pas envisageable. C'est la liquidation ou le maintien en activité. Les conditions ne sont pas actuellement réunies pour organiser proprement une liquidation. Toute une économie s'écroulerait en cascade dont il faudrait assumer la conséquence. Si certains pensent que c'est envisageable, les voilà prévenus.
Les éditeurs ont payé leur quote-part afin de renflouer les caisses de Presstalis. Mon plan vise à atteindre un résultat positif de 15 millions d'euros en exploitation d'ici la fin 2019 sur la base de toutes les économies que l'on a pu chiffrer. Ce plan nécessite de trouver 50 millions d'euros pour passer d'un déficit de 20 millions à un excédent de 15 millions en 18 mois, en plus des 140 millions d'euros nécessaires pour apurer la situation, soit 190 millions d'euros en tout. Gérard Rameix, ancien président de l'autorité des marchés financiers et chargé par la ministre de la culture d'une mission sur la distribution de presse, l'a qualifié « d'audacieux mais jouable ».
Ce plan a été, bien entendu, audité. Les chiffres sont fiables. Il reste la situation intercalaire à financer. Nous demandons aux pouvoirs publics de faire un « bridge », de nous avancer une partie de l'argent au fur et à mesure de la réalisation du plan. Si cela se passe bien, l'argent est débloqué régulièrement sinon on arrête tout ! Il y a une certaine urgence à avoir la réponse car sinon je ne peux pas payer les salaires de février.
Nous sommes donc désormais à la croisée des chemins !
Merci madame la présidente de cet exposé clair et précis et de votre extrême franchise, qui traduit votre détermination.
Merci pour votre langage direct. Lors des auditions que j'ai menées en tant que rapporteur pour avis des crédits de la presse, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, nous n'avons entendu aucun représentant de Presstalis car vous n'étiez pas encore nommée. Même si nous avons souligné les difficultés de Presstalis dans notre dernier rapport, ce sujet est revenu régulièrement, lors des travaux de notre commission, la situation de cette société n'étant pas satisfaisante depuis 1990 puisqu'en situation difficile et de plus en plus compliquée. Nous pouvons ajouter que les ventes au numéro sont largement en déclin du fait du passage au numérique.
Vous faites le constat que rien n'a vraiment bien fonctionné et que les mesures prises n'ont pas été à la hauteur de la situation. Vous précisez que, pour différentes raisons, il n'est pas possible d'être juge et partie. Ceci est également difficile lorsque les conditions sociales sont meilleures qu'ailleurs. Enfin, vous avez évoqué la présence d'un concurrent, les MLP, qui a réussi à redresser ses chiffres, qui ont également été présentés au cours de nos auditions.
Vous avez précisé l'apport de la part des pouvoirs publics, soit 223 millions d'euros entre 2008 et 2017, 18 millions d'euros supplémentaires étant prévus dans le budget 2018.
L'évolution de la situation de Presstalis au cours de ces dernières années ne nous a pas donné satisfaction. Vous avez pris, dès votre nomination, des mesures courageuses. Aujourd'hui, il apparait que la somme de 30 millions d'euros qui sera payée par les éditeurs pourrait les mettre en difficulté. J'ai d'ailleurs été frappé de l'inquiétude de ces derniers face à cette situation.
Je souhaiterais obtenir avec exactitude la situation financière de Presstalis à la fin de l'année 2017 et connaître la raison pour laquelle nous n'avons pas été alertés auparavant. Nous découvrons cette situation chiffrée bien trop tardivement.
Par ailleurs, suite aux négociations avec le tribunal de commerce que vous avez lancées, quelles réactions enregistrez-vous aujourd'hui face à vos propositions ?
Vous nous avez parlé de votre concurrent principal, ou de votre « complément », les MLP. Aujourd'hui, souhaiteriez-vous obtenir des accords avec elles pour tenter de trouver une solution générale ? Vous avez également parlé de transporteurs. Vous êtes-vous rapprochés de la Poste, qui dispose de structures de distribution ? Enfin, vous vous êtes engagée sur 18 mois, mais comment pouvez-vous nous garantir que vos projets de réforme seront efficaces, et ne vont pas, comme les fois précédentes, se traduire par des chiffres supérieurs à ceux présentés aujourd'hui ?
Enfin, comment voyez-vous l'évolution de la loi « Bichet » de 1947 qui pourrait permettre une meilleure organisation au niveau de la distribution ?
Ne souhaitant pas pénaliser nos propres clients, nous avons l'ambition que les plus petits éditeurs soient remboursés des 25 % demandés à l'ensemble de la filière. Pour ce qui est de la garantie que ce plan fonctionne, je ne peux que souligner mes 28 ans d'expérience passés dans la distribution et la conviction de ne présenter que des projets très simples. Je pense qu'une phase de 18 mois représente une période réduite. Le premier volet de notre PSE, courant sur 3 mois et réservé au siège, sera présenté le 12 février 2018. Pour ce qui est du désengagement des régions, je peux vous préciser que des acheteurs se sont manifestés et les partenaires sociaux en sont informés.
Une inconnue persiste : les petits éditeurs rejoindront-ils les MLP ? En ce sens, le CSMP a préparé un projet pour figer les parts de marché sur une période définie, une certaine objectivité étant indispensable sur ce sujet. À mon sens, les salariés ne méritent pas de se faire salir tous les jours par un concurrent, au travers des différents communiqués publiés.
Pour ce qui est de votre question sur un éventuel accord avec les MLP, la situation n'est pas claire entre concurrence et coopérative. Par exemple, Presstalis ne peut pas attirer des éditeurs, étant en position dominante. Le concurrent, quant à lui, peut pratiquer des tarifs inférieurs, en utilisant des armes concurrentielles impossibles à mettre en oeuvre par Presstalis. Celle-ci a suivi les injonctions de la filière, pas les MLP.
Pour ce qui est des dépôts, le système des MLP est fondé sur un certain nombre de dépôts indépendants. Presstalis, quant à elle, conservera quelques dépôts pour des raisons pragmatiques. Pour le reste, il n'y a pas de débat : les points de vente existent d'un côté et les éditeurs de l'autre. Si nous respectons des règles normales de concurrence loyale, cela devrait fonctionner.
Je précise que Presstalis assure une prestation pour des quotidiens dont les ventes au numéro sont en baisse. En revanche, le digital n'a pas encore fait diminuer la diffusion papier de magazines. On peut d'ailleurs constater qu'une part de leur distribution est réalisée par l'industrie du livre, le marché étant déréglementé. C'est d'ailleurs une question que nous devrions nous poser.
Je voudrais souligner l'ambiguïté d'un système qui fait cohabiter règles de concurrence et statuts de coopérative pour les entreprises de distribution de la presse. Pour le bénéfice de la filière, il est d'usage de pratiquer le croisement des flux de distribution des opérateurs. Concrètement, cela signifie que les camions de Presstalis vont transporter les titres de presse distribués par les MLP sur le territoire où ces dernières ne sont pas implantées et inversement. Il s'agit de massifier le flux et de réaliser ainsi des économies d'échelle. Le gain a été chiffré à 7 millions d'euros. Toutefois, ce mode de fonctionnement bénéficie surtout aux MLP qui ont le réseau de distribution le moins important : le MLP réalisent ainsi six millions d'économies mais Presstalis seulement un million. Ce type de décision me laisse perplexe. Je considère qu'il faut procéder à une clarification : soit nous partageons tout, soit c'est chacun pour soi. Cet entre-deux est en train de tuer la filière. Il nous faut sortir de cette spirale mortifère où on joue la baisse des tarifs tout en continuant à supporter des coûts pour l'ensemble de la filière.
Vous m'avez interrogée sur la réaction des syndicats des éditeurs de presse : ils sont sous le choc. La direction précédente avait adressé à tous les salariés un courrier avant l'été 2017 indiquant que la société était sortie d'affaire. Or, à mon arrivée j'ai indiqué aux personnels que nous étions au bord de la cessation de paiement. Ils m'ont légitimement fait part de leur incompréhension mais ils se montrent constructifs compte tenu des circonstances. Ils m'ont ainsi donné leur accord de principe sur le plan de redressement que j'ai proposé.
Le CSMP vient de lancer deux consultations sur la loi Bichet : l'une concernant la fixation des conditions dans lesquelles les messageries règlent les recettes de vente des titres distribués aux éditeurs, l'autre sur des mesures exceptionnelles pour le redressement du système collectif de distribution de la presse. Comment appréhendez-vous ces consultations dans un contexte difficile pour Presstalis qui est en phase de redressement, alors que MLP se trouve plutôt en situation de force ?
Merci pour votre franc-parler, madame la présidente.
Je voudrais me faire la porte-parole des petits éditeurs scientifiques et culturels. Ils ont le sentiment de n'être pas suffisamment entendus et d'être soumis aux directives fixées par les gros éditeurs. Serait-il par exemple possible d'adapter la durée de présence de ces petites publications dans les points de distribution, les faire bénéficier d'une temporalité à la demande en quelque sorte qui ne répondrait pas à des dates fixes et arbitraires ? Cela permettrait, je pense, de fidéliser ces petits éditeurs qui souffrent. Ceux-ci m'ont également fait part d'une augmentation constante des tarifs postaux les concernant : +40% de 2008 à 2015 ! Le papier reste de mise chez les petits éditeurs, contrairement aux grands groupes de la presse quotidienne qui ont pris le virage du numérique. Ils ont donc besoin de la distribution. Malheureusement, ils risquent d'être sacrifiés dans le cadre du plan de redressement que soutiennent les grands groupes.
La distribution de la presse est un sujet qui retient notre attention depuis longtemps au sein de cette commission. Je fus moi-même rapporteur de la loi de 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse, initiée par l'ancien président de la commission, Jacques Legendre.
Vous nous avez tenu un discours gestionnaire qui se justifie mais je suis gêné de ne pas entendre dans vos propos de référence aux principes qui ont présidé à l'adoption de la loi Bichet et fondé le système coopératif de distribution de la presse permettant une égalité de traitement quelle que soit la capacité financière du titre de presse. Ces principes sont certes aujourd'hui difficiles à faire vivre quand le numérique donne l'illusion d'une presse accessible à tous et en tous lieux. Mais pourquoi, tout en réformant les outils et moyens actuels de la distribution, ne serait-il pas possible de maintenir ces grands principes ? Cela me semble d'autant plus nécessaire que, comme le soulignait Laure Darcos, ce sont les petits éditeurs qui souffrent.
Le plan de redressement prévoit une contribution de 2,25 % des éditeurs sur le montant de leurs recettes jusqu'en 2022. Pourquoi ne pas adopter un système progressif en fonction de la capacité financière des éditeurs, allant de 1 % pour les plus petits à 3 % pour les gros par exemple ? Cela soulagerait les petits éditeurs qui ont peu de ressources et ont une marge bénéficiaire faible.
Enfin, vous nous avez dressé un tableau dramatique de la situation de Presstalis, selon lequel tous les acteurs concernés auraient failli. Compte tenu de la contribution financière de l'État pour sauvegarder le système de distribution de la presse, je me demande s'il n'y a pas là matière à créer une commission d'enquête ou une mission d'information parlementaire pour comprendre et aussi entendre le point de vue des autres parties...
En réponse à Mme Françoise Laborde, je tiens à souligner que la consultation du CSMP concerne l'ensemble de la filière, c'est-à-dire que le prélèvement de 2,25 % concernerait les éditeurs de toutes les messageries et qu'il est donc de nature à nous aider. Il n'appartient cependant pas à Presstalis de se prononcer sur le niveau de ce prélèvement ou sa forme, ou sur la possibilité d'un traitement différencié entre les petits et les gros éditeurs.
La loi « Bichet » a été adoptée à une époque où les magazines n'existaient pas. Elle pourrait donc évoluer pour tenir compte des nouvelles réalités, en particulier de l'impératif d'augmenter les ventes et de distinguer plus finement les flux.
Je vous remercie pour votre intervention et je rappelle l'intérêt soutenu et ancien de la commission pour la question de la diffusion de la presse.
La réunion est close à 12 h 45.