Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en notre nom à tous et de lui dire notre plaisir à le revoir après plusieurs semaines d'absence qui donnent à cette rencontre une saveur toute particulière.
Nous organiserons prochainement l'audition sur le bilan annuel du CSA mais, aujourd'hui, nous allons parler d'un texte législatif qui devrait être examiné en juillet par le Sénat. La semaine dernière, déjà, nous avons réuni deux tables rondes : l'une avec les directeurs des rédactions des médias audiovisuels et l'autre avec les directeurs de l'information de la presse écrite.
Nous serons heureux de connaître votre avis sur l'ensemble de la proposition de loi mais, bien entendu, ce sont les articles relatifs au CSA sur lesquels nous attendons de votre part une analyse précise.
Quels sont, selon vous, les médias « sous influence étrangère » évoqués dans le titre II, dont vous avez eu à connaître depuis que vous présidez le Conseil ? Lors de la dernière campagne présidentielle, avez-vous constaté que des médias diffusant en France avaient essayé d'influencer l'opinion publique avec des fausses informations et avez-vous examiné les possibilités juridiques de faire cesser ces agissements ? En outre, nous avons un grand débat entre nous sur la définition des « fausses informations ».
La semaine dernière, le représentant de France 24 nous a indiqué que si les autorités françaises interdisaient la diffusion d'un média étranger originaire d'un État autoritaire, celui-ci adopterait immédiatement des mesures similaires en représailles. Comment pourrez-vous prendre en compte ce risque qui relève autant des relations internationales que de la régulation audiovisuelle ?
Sur l'article 9, pensez-vous être bien préparé pour mener une forme de régulation du secteur du numérique, qui est nouveau pour le CSA ? Que pensez-vous plus généralement de l'économie générale de cet article ? Le CSA se retrouverait en position de formuler des « recommandations » qui, en raison du verrou posé par le statut des plateformes au niveau européen, ne seraient suivies d'aucune sanction possible, mais se situerait plutôt dans une pratique du name and shame. Je vous sais très investi au niveau européen sur ces questions et vous êtes à l'origine du groupe de travail qui a travaillé sur le sujet.
Je suis heureux de me retrouver devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui est une interlocutrice de première importance pour le suivi des travaux de l'institution que je préside.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous dire que je me trouve dans une situation un peu particulière. J'ai été absent quelques mois du CSA et cela ne fait qu'un peu plus de deux semaines que je suis revenu. Dans la corbeille du retour, j'ai trouvé ce texte : je n'ai contribué ni à sa rédaction, ni à son suivi, ni aux travaux de réflexion menés par les députés, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale, mais dont l'exécutif ne s'est pas désintéressé. Or, j'ai l'habitude de me présenter devant vous pour présenter des travaux dont j'assume la responsabilité.
Deuxième particularité : le collège du CSA n'a jamais débattu de ce texte. Je l'ai d'ailleurs dit à votre présidente il y a quelques jours : je ne peux donc en rien me faire le porte-parole d'une opinion du collège que je préside ; je ne vous livrerai que le fruit d'une réflexion personnelle car je n'ai pas non plus eu d'entretiens en tête à tête avec mes collègues.
J'en viens à vos questions.
En ce qui concerne les médias qui pourraient être concernés, j'ai noté les déclarations du chef de l'État, qui datent de quelques mois, et j'ai dit publiquement que nous serions particulièrement attentifs, notamment pour certains organes relevant de la sphère Internet comme le site Sputnik et la chaîne Russia Today (RT), laquelle s'est implantée en Grande-Bretagne assez tôt et plus tardivement en France. Nous observons attentivement cette chaîne ainsi que de son environnement numérique.
Je ne puis aller plus loin sur le sujet car il s'agit d'une proposition de loi en cours d'examen et qui sera soumise dans quelques semaines au collège du CSA. Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas le droit de m'exprimer avant lui. En revanche, je vous confirme que le dossier est nourri semaine après semaine par les observations de la direction des programmes. Par ailleurs, il n'a pas encore été examiné par le groupe de travail « Droits et libertés » qui l'instruit avant de le soumettre au collège.
L'article 9, qui traite du numérique, est important et novateur et il répond aux souhaits du CSA. Nous appelions de nos voeux une régulation assouplie et complétée car l'environnement technologique et économique du monde audiovisuel a profondément changé depuis la dernière directive européenne de 2000, qui est d'ailleurs inspirée d'un texte de 1997.
La nouvelle directive vient d'être adoptée en trilogue et elle fera l'objet d'une finalisation littérale en novembre. Cette directive prévoit diverses novations : entreront dans la sphère de la régulation les acteurs numériques, les sites sociaux, les plateformes de vidéos et les plateformes en ligne, c'est-à-dire le streaming. Le champ de la régulation va donc considérablement s'élargir. L'article 9 répond à cette nouvelle conception de la régulation avec des missions d'observation, d'évaluation et de recommandation. Pour l'instant, cette proposition de loi ne prévoit pas de sanctions qui, généralement, sont régies par l'article 42 du fait de la logique du CSA, « gendarme de l'audiovisuel », même si je n'aime pas ce terme. Nous sommes donc dans une logique de co-régulation, qui va bien au-delà de la « police privée de la réglementation » mise en oeuvre par chacun de nos partenaires comme Twitter ou Facebook mais qui diffère d'un site à l'autre. Le CSA leur propose un cadre général auquel ils adhèrent en échange de certaines concessions. On parle alors d'acteurs vertueux. Ces négociations permettent d'obtenir des garanties financières et d'exposition, même si notre pays n'est pas le siège mais la cible de ces entreprises. En échange, les pouvoirs publics accordent divers avantages pour enraciner au mieux dans notre terreau culturel ces firmes étrangères, souvent nord-américaines, qui passent de plus en plus souvent commande à des producteurs français.
Il y a incontestablement des similitudes entre la future directive et l'article 9, puisqu'il y est question de recommandations, de bilans annuels, de rapports. Le législateur devra dire comment seront sanctionnées les éventuelles insuffisances.
J'ai entendu parler de « méta-régulation » ou de régulation au second degré. Un cadre d'ensemble serait fixé puis adapté par convention à chaque protagoniste. Mais il est encore trop tôt pour que j'en dise plus sur le sujet.
En ce qui concerne les mesures de rétorsion qui pourraient nous frapper si nous interdisons certains médias étrangers, je vous renvoie à divers précédents, dont les décisions du 21 février 2014 et du 21 février 2015 qui concernaient des médias d'origines turque et tamoule. Nous avons pris des mesures très restrictives à l'égard de ces chaînes étrangères. Le contexte est certes bien différent aujourd'hui, et c'est sans doute la raison pour laquelle le Parlement n'a pas encore abordé la question.
Les articles 4, 5, 6 et 8 reviennent sur une question qui reste en débat : aurez-vous recours à l'article L. 233-3 du code de commerce pour définir les médias placés sous influence étrangère ? Cette question n'est pas secondaire puisqu'il s'agit soit d'ordonner la suspension de la diffusion, soit de prononcer la sanction de résiliation unilatérale de la convention. La commission des lois a en effet quelques difficultés à définir la notion « d'influence d'un État ».
Ne faudrait-il pas modifier la composition du CSA puisque la proposition de loi va lui confier de nouvelles missions ?
La question de l'influence extérieure pesant sur une société ayant ou non son siège en France n'est pas nouvelle. Ainsi en fut-il avec Bertelsmann et RTL, avec Altice SFR, avec Numéro 23... Le CSA et le Conseil d'État ont donné leur interprétation de l'article L. 233-3 du code du commerce. Par rapport à divers critères arithmétiques, comme ceux inscrits dans la loi du 30 septembre 1986, la définition du code de commerce correspond mieux à la réalité de la prise de pouvoir et de décision au sein d'une société. Il est difficile de mesurer l'influence de tel ou tel acteur dans la vie d'une société mais plutôt que d'appliquer des critères rigides, une analyse fine permettra d'apprécier la situation.
Votre deuxième question traite du champ de compétence du CSA : nous sommes à la fois contraints par le droit européen et les réalités économiques alors que nous sommes immergés dans un bain - que certains qualifient d'océan - numérique.
S'il m'appartenait de réfléchir à la composition du collège, j'ai indiqué qu'il serait utile de faire appel à des spécialistes de l'informatique. La réduction du nombre de ses membres a coïncidé avec l'entrée de spécialistes de l'économie et du numérique.
Certes, plusieurs autorités de régulation sont conduites à traiter ensemble de problèmes larges : par exemple, la Cnil pour les données, la Hadopi pour le piratage et l'Autorité de régulation de la concurrence pour l'articulation entre régulation horizontale et sectorielle. Il convient donc de réfléchir à une formalisation de leur coopération. J'ai pris à cet égard l'initiative d'une première réunion de préfiguration, à l'automne dernier, et une seconde se tiendra le 9 juillet au siège de l'Autorité de régulation de la concurrence. À la convergence observée dans l'univers médiatique doit répondre celle des autorités de régulation.
Sur les chaînes RT et Sputnik, vous avez répondu sans répondre, au prétexte qu'elles sont sous observation...
Ce n'est pas un prétexte, c'est une obligation !
Je le comprends. Mais vous avez autorisé RT, dont le président Macron a dit qu'elle était un instrument de propagande aux mains d'un service de renseignement hostile. Le CSA n'autorise pas un média audiovisuel sans un examen préalable, je suppose. Pouvez-vous nous présenter l'instruction que vous avez menée sur cette chaîne et qui vous a conduit à l'autoriser ?
Il ne s'agit par d'une procédure d'autorisation, mais d'un conventionnement. La demande a été formulée en 2014, après une première installation au Royaume-Uni en 2010, qui n'avait été suivie d'aucun incident. Et, entre 2015 et 2018, l'Ofcom n'a fait que trois mises en demeure, sans prononcer aucune sanction. Dans le contexte général, cette demande nous parut comporter des risques, et nous avons mené pendant presqu'un an une discussion avec la chaîne, dont nous avons obtenu des garanties qui ne figurent pas dans les autres conventions : honnêteté et rigueur de l'information, indépendance économique et constitution d'un comité d'éthique - c'était avant que la loi de 2016 ne la rende automatique. La convention a été signée le 12 septembre 2015, mais RT n'a ouvert qu'en décembre 2017, aussi notre période d'observation se limite-t-elle à un semestre. Nous constatons que d'autres installations sont prévues, en Europe centrale et de l'Est.
Nous sommes nombreux à nous interroger sur la difficulté qu'il y aura à appliquer ce texte, et à chercher des arguments, le cas échéant, pour l'accompagner. Est-il nécessaire ? Utile ? Opportun ? Ne fera-t-il pas peser un poids néfaste sur la liberté d'expression ? Le CSA et le juge porteront une lourde responsabilité, puisqu'ils décideront où est la vérité et comment la distinguer du mensonge. Dans un univers où le subjectif règne, il leur sera bien difficile de trancher. Nous craignons un contrôle nouveau sur la liberté d'expression. Qu'en pensez-vous ? Comment préconisez-vous de définir la fausse nouvelle ? Peut-on le faire plus objectivement ?
Une solution satisfaisante à ce problème est recherchée depuis longtemps par la jurisprudence de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, telle que modifiée par la directive de 2000. Il y a eu un premier débat sur la distinction entre fausses nouvelles et fausses informations. Parmi les critères, il y a une part d'intentionnalité et une part d'approche quantitative. Lors de la table ronde du 13 juin, M. Morel avait insisté sur les critères de systématicité, d'automaticité et de quantité, qui n'épuisent pas le sujet, mais semblent pertinents, car il existe des procédés informatiques pour lancer des nouvelles dans les réseaux. Les critères de notre tradition juridique, depuis le XIXe siècle, peuvent donc être adaptés aux modifications de notre environnement technologique. Je ne nie pas la difficulté de l'exercice, d'autant que l'application de la loi reviendra au CSA, sous le contrôle du juge. La méthode sera celle du faisceau d'indices, pour discerner l'intentionnalité, la finalité, l'existence d'une campagne. C'est celle qu'utilisent déjà Twitter et Facebook.
À cet égard, j'insiste sur la nécessité de donner au CSA les moyens de régulation économique nécessaires pour mesurer ces phénomènes. Actuellement, les rapports administratifs ne nous sont pas communiqués automatiquement, nous ne conduisons pas d'investigations sur place et sur pièces, et nous pâtissons parfois du retard de certains rapports publics. Ainsi, dans l'affaire Numéro 23, nous avons considéré, sur la base de faits reconnus par les dirigeants eux-mêmes, qu'il y avait eu fraude à la loi et manoeuvre pour acquérir une fréquence hertzienne avant de la revendre très rapidement avec une très forte plus-value. Mais le Conseil d'État a estimé que nous n'avions pas apporté suffisamment de preuves pour emporter sa conviction. C'est qu'il y a loin du CSA à un juge d'instruction !
Disposez-vous d'outils suffisants pour contrôler les chaînes et contrer les fausses nouvelles ? Qu'en est-il de la coopération entre autorités de régulation sur Internet ? Pourquoi ne pas donner au CSA la possibilité d'intervenir sur les contenus et de collaborer avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) sur les réseaux et les algorithmes ?
Depuis l'adoption de la loi de 1986, le législateur nous a confié 83 compétences supplémentaires. Durant la dernière législature, pas moins de quatorze lois ont augmenté nos attributions et nos compétences. Pendant cette période, le nombre d'emplois au CSA a diminué, ce qui a notamment rendu impossible la territorialisation de notre activité, qui me paraît pourtant primordiale. Notre directeur général mène chaque année la négociation budgétaire, mais nous subissons - comme d'autres - réfactions, gels et surgels. La transformation en autorité administrative indépendante (AAI), que nous souhaitions, a accru nos responsabilités. Si nous devons redéployer sans cesse nos moyens - ce que nous avons fait il y a dix-huit mois par une réforme importante de notre organigramme - et que le périmètre de notre régulation s'étend... J'avais proposé, en 2014, que nous reprenions les compétences et les services de la Hadopi. Nous travaillons désormais davantage, et mieux, avec elle - comme avec d'autres autorités de régulation.
Je n'ai pas cité l'Arcep, car on se focalise depuis cinq ans sur nos rapports avec elle. L'Arcep s'occupe des infrastructures - réseaux et débit - et le CSA, de l'« infostructure », c'est-à-dire des programmes et des contenus, ainsi que de la promotion de l'économie de notre création. Il y a des domaines communs, comme la question de la neutralité d'Internet.
Sur ce point, nous n'avons aucune opposition. D'ailleurs, nos deux administrations travaillent quotidiennement ensemble. J'ai proposé à mon homologue une coopération à trois étages : entre présidents, entre deux membres de chaque collège et entre les directions concernées. Je craindrais en effet une trop grande focalisation sur un seul type de coopération, quand une demi-douzaine de régulateurs doivent conjuguer leurs travaux. Fusionner deux organismes qui n'ont pas la même taille, pas les mêmes traditions ni les mêmes textes fondateurs requerrait beaucoup d'efforts, qui seraient plus utilement consacrés à des problèmes plus importants. De plus, l'exemple de nos voisins européens montre qu'après de telles fusions, l'essentiel des moyens est dévolu à l'équivalent de l'Arcep, car nous distribuons des fréquences gratuites, quand l'Arcep vend des licences à des prix très élevés - 2,9 milliards d'euros lors du dernier appel d'offres - ce qui focalise davantage l'intérêt de l'État.
Une commission mixte serait une piste...
La réduction du collège du CSA de neuf à sept membres s'est faite dans l'idée d'avoir le même nombre de membres que l'Arcep.
Vous avez été à l'initiative de l'Erga (European Regulators Group for Audiovisual Media Services), qui organise la coopération entre autorités de régulation européennes. Que pensez-vous de la loi votée en Allemagne sur les fausses nouvelles ? Où en est la réflexion européenne sur ce sujet ?
Nos rapports bilatéraux et multilatéraux au sein de l'Erga sont un véritable atout.
Que pensez-vous de la loi allemande ? Sur quels sujets échangez-vous avec vos homologues européens ?
La loi allemande a été votée fin 2017, et est entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Pour l'instant, nous n'avons aucun retour d'expérience de nos homologues allemands, que nous rencontrons une fois par an, au point que nous nous demandons si la loi a déjà été appliquée.
Vous avez répondu à la question sur les fausses nouvelles par une synthèse des débats en cours. Quel est votre point de vue personnel ?
Ce n'est pas une notion purement objective et l'on doit la dégager à l'aune des critères que sont la fréquence, le nombre, la finalité ou l'origine. Il existe toutefois des situations intermédiaires, où le doute est permis. Mais on a observé qu'à propos des dernières échéances importantes, qui ont affecté notre monde, les dirigeants ont tous dit qu'il y avait eu, à titre onéreux ou non, des transferts d'information ayant pu influer, même marginalement, sur le résultat.
La proposition de loi ne s'intéresse pas au niveau local. Pourtant, nous savons tous que lors des élections locales les tracts, libelles et fausses accusations sont monnaie courante. Et le juge classe toujours les dossiers sans suite.
En effet, le juge pénal, qui est surchargé, n'est saisi que de façon erratique, et n'intervient que peu au regard de l'ampleur du problème. C'est pourquoi il nous faut créer un nouveau type de contrôle, plus rapide et plus interactif. J'ai observé qu'une grande partie du débat, à l'Assemblée nationale, a porté sur la question des délais. De fait, 48 heures, c'est très peu au regard de la procédure contradictoire, et très long pour les technologies actuelles !
La réunion est close à 17 heures.