Mes chers collègues, je vous remercie d'assister à cette réunion au lendemain de la fin de la session extraordinaire pour ce qui concerne l'ordre du jour du Sénat. Il me semblait que nous ne pouvions pas nous séparer sans évoquer les travaux de la mission d'information que nous avons créée il y a une dizaine de jours. Nos travaux se poursuivront à la rentrée, mais il est intéressant que nous ayons d'ores et déjà un échange de vues.
En effet, nous n'en sommes pas encore au stade des conclusions, mais nos auditions nous ont permis d'y voir plus clair sur les événements qui se sont déroulés le 1er mai 2018 et sur les agissements de MM. Benalla et Crase. Il reste des zones d'ombre et des questions, notamment sur les relations entre l'Élysée, le ministère de l'intérieur et la préfecture de police de Paris. Je le redis, nous en sommes davantage au stade des interrogations que des conclusions.
Je souhaite tout d'abord me féliciter des conditions dans lesquelles nous avons pu travailler et mener les auditions. Cette commission d'enquête n'est ni un tribunal ni un lieu où se mène un combat politique. Nous avons la responsabilité commune de trouver la vérité et de formuler des observations et des propositions. Je me réjouis que de nombreux collègues aient pu s'exprimer durant les auditions et poser des questions, et que cela n'ait pas débouché sur des oppositions de nature politique.
Je remarque ensuite que, sous l'impulsion du président Bas, nos auditions ont été publiques. Pour le Sénat, c'est une évolution. Il est clair que les temps ont changé. Nous n'aurions pas pu mener ce travail à huis clos dans le monde d'aujourd'hui, même s'il est parfois un peu saturé d'informations, voire de bavardages...
En ce qui concerne la liste des auditions, je crois que nous ne devons rien nous interdire. C'est un processus ouvert, même si nous devons encore réfléchir plus précisément. Par ailleurs, je crois que nous avons eu raison de ne pas fixer de date limite à nos travaux.
Avant d'aller de l'avant, il nous faut relire les comptes rendus des auditions qui ont déjà eu lieu pour mettre à jour les éventuelles lacunes, carences ou contradictions. Nous devons surtout regarder objectivement la réalité des faits. À ce stade, il me semble que trois axes de travail se dégagent.
Tout d'abord, la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités. Nous devrons notamment évaluer le rôle et la place du ministère de l'intérieur en la matière.
Ensuite, la question des observateurs auprès des forces de police et de gendarmerie. Il est difficile d'accepter le caractère informel du processus actuel. Nous devrons nous interroger sur le contrôle et la tutelle pertinente qui doivent être exercés.
Enfin, la chaîne de transmission de l'information à l'intérieur de la police, en particulier entre le ministère et la préfecture de police de Paris. Il aurait tout de même été normal que le ministre de l'intérieur et le préfet de police aient été tenus au courant des événements dès le 1er mai.
Ce sont quelques points qui me semblent devoir être examinés, mais la liste n'est pas exhaustive. Nous devons en tout cas nous détacher des aspects émotionnels, événementiels, pourrais-je dire, de la mission qui nous a été confiée, afin de répondre à ces sujets de fond.
Cette réunion est un point d'étape de la nécessaire objectivation des questions que nous nous posons : existe-t-il une police parallèle ? Est-ce que des missions de police ou de protection sont exercées par d'autres que ceux qui ont été désignés pour cela ?
Nous devons aussi nous interroger sur le fonctionnement des chaînes hiérarchiques, y compris au sein de la présidence de la République. D'ailleurs, le Président de la République a lui-même demandé au secrétaire général de l'Élysée de travailler à une révision des structures actuelles.
Que devons-nous encore chercher ? M. Benalla était-il présent à des endroits ou à des réunions où il n'aurait pas dû être ? À ce stade, nous savons qu'il était présent, de manière fautive, à la réunion d'évaluation des manifestations du 1er mai à la préfecture de police. Est-ce que cela s'est produit à d'autres occasions et quelqu'un a-t-il fait remonter cette anomalie ?
En ce qui concerne le comportement de M. Benalla, la question de l'encadrement de ses fonctions se pose, et je crois que nous devrions auditionner le chef de cabinet de la présidence de la République.
Lors de son audition, le colonel Lavergne a évoqué le recrutement, à titre contractuel, d'un ancien agent du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) retraité de la gendarmerie. Cela m'a amené à m'interroger sur un autre sujet : quelles sont les procédures de recrutement pour entrer au service de la protection, le SDLP, et au groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR ? N'y a-t-il qu'un seul point d'entrée ?
En ce qui concerne l'éventuelle audition de M. Benalla par notre commission, il semble que celui-ci ait envie de venir.
Je crois qu'une audition classique nous ferait très certainement, à un moment ou à un autre, franchir une ligne. C'est pourquoi je m'interroge pour savoir si nous ne pourrions pas plutôt lui adresser une série de questions écrites.
Je m'associe aux félicitations collectives adressées par notre collègue Jean-Pierre Sueur. J'ai été assez surpris de constater l'impact, considérable, de nos auditions dans l'opinion publique et l'intérêt, inattendu, qu'elles ont suscité. Vous avez tous dû entendre de nombreux commentaires sur nos travaux, leur objectivité et pondération, dans vos départements. C'est un élément tout à fait intéressant dans la valorisation des travaux du Sénat.
S'agissant de la suite de nos travaux, le mieux étant l'ennemi du bien, je crois qu'il sera important de veiller à ne pas aller trop loin. L'audition de M. Benalla peut présenter des risques juridiques au regard des pouvoirs respectifs de la justice et de notre commission d'enquête. J'ai entendu la grande prudence de nos rapporteurs à ce sujet. Le comportement de M. Benalla, en soi, ne me paraît pas l'essentiel ; il semble relever plutôt du fait divers. Vous avez pris soin de placer notre approche sous le signe de l'article 20 de la Constitution. Si l'on devait aller plus loin, en voulant par exemple s'interroger sur une confusion des rôles ou un empiètement de l'Élysée sur le champ de compétences du Gouvernement, nous n'avons pas à franchir nous-mêmes les lignes de la séparation des pouvoirs, ce qui affaiblirait nos conclusions. Nous devons donc être très prudents à l'égard de certaines auditions très médiatiques, mais qui présentent des dangers. Nous allons suspendre nos travaux pendant un mois ; peut-être que de nouvelles informations surgiront d'ici là dans la presse... En résumé, je vous remercie, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les rapporteurs, pour votre travail et invite notre commission à la modération et au respect de la séparation des pouvoirs.
J'étais plutôt réticent au début à mener des auditions publiques. Finalement, je ne le regrette pas. Cela a été bénéfique pour le Sénat, car nous avons oublié que nous étions filmés et fait notre travail comme d'habitude. Nous avons ainsi donné à voir notre mode de fonctionnement, où chacun se respecte, tout en approfondissant les sujets.
Je tiens à vous dire toute la joie que je savoure lorsque je reçois des messages de félicitations de députés qui ignoraient le travail du Sénat ou le traitaient avec condescendance.
Ma première question concerne la séparation des pouvoirs. Nous avons appris que M. Benalla, comme d'autres conseillers, possédait un badge lui donnant accès à l'Assemblée nationale, pour prendre contact avec des députés, organiser des déplacements, etc. Était-ce justifié au regard de ses missions, même si, plus l'on avance dans les investigations, plus les missions de M. Benalla semblent larges ? La présidence de la République dispose de conseillers en charge des relations avec le Parlement. Est-il justifié que tous les conseillers puissent disposer d'un tel badge ?
Certains collaborateurs du Président de la République sont bien connus. Leur nom est publié au Journal officiel, avec leurs prérogatives. Mais la présidence compte aussi des chargés de mission, qui ne figurent nulle part. Nous avons obtenu qu'ils soient obligés de déposer une déclaration d'intérêts et de patrimoine. C'est le minimum ! Il serait bon aussi que nous connaissions clairement les missions des uns et des autres.
Ma seconde question rejoint celle d'Alain Richard : comment peut-il y avoir eu une rupture dans la transmission des informations entre la présidence et les ministères ? J'avais tendance à croire que les informations, jusque-là, circulaient très bien entre la présidence et les ministères. Mon expérience m'a montré que le ministère de l'intérieur et la préfecture de police entretiennent des relations étroites et directes. Il y a donc un flottement. Est-il dû à une volonté de réorganisation ? Il faut en tout cas faire en sorte que l'information circule, comme auparavant.
Enfin, lorsque l'on demande à la préfecture d'être observateur à l'occasion d'un événement, on doit donner ses coordonnées, signer une convention, et un tuteur est désigné... Les procédures sont très encadrées. Au nom de quoi certaines personnes pourraient-elles s'affranchir de cette réglementation ?
L'approche du Sénat dans cette commission d'enquête illustre son rôle pondérateur. Les auditions de notre commission d'enquête ont été empreintes de mesure et de modération. Tout était pesé au trébuchet.
L'Élysée possède de nombreux conseillers, dans tous les domaines. Il y a même un chef d'état-major particulier. La question est de savoir comment cet organigramme s'articule avec le Gouvernement. Comment comprendre les dysfonctionnements, alors que chacun devrait être « dans son rang », comme on dit en Bourgogne lors des vendanges ? Y a-t-il eu des querelles de personnes ?
Selon la Constitution, le Président de la République a une compétence spécifique en matière diplomatique : il négocie et ratifie les traités. Il est aussi le chef des armées. Mais cette prééminence du Président de la République n'existe pas dans les autres champs d'action de l'État, du moins en droit.
Le chef d'état-major particulier a été créé bien avant la Ve République ! Il existait déjà sous Mac-Mahon.
C'est vrai. Au fond, les institutions de la République n'ont pas changé depuis la IIIe République : il y a toujours un Président de la République, un Gouvernement, une Assemblée nationale et un Sénat. La République a des invariants. C'est le poids des différents pouvoirs et leur articulation qui ont varié. Sous la IIIe République, le Président de la République était déjà chef des armées et devait déjà signer et ratifier les traités, alors que, dans les faits, il était dépouillé de ses pouvoirs. À l'inverse, sous la Ve République, il les exerce au-delà de ce que les textes prévoient ! Si l'on veut réfléchir sur les pouvoirs distinctifs du Président de la République et du Gouvernement, il faut faire preuve de prudence, car tout n'est pas dans les textes.
Je rejoins les propos de Catherine Troendlé sur les déclarations d'intérêts et de patrimoine des chargés de mission. L'audition du directeur de cabinet du Président de la République a été un véritable sketch : alors que François Pillet citait la loi, M. Strzoda répondait qu'il avait saisi le secrétaire général du Gouvernement... Si nous, parlementaires, ne déposons pas nos déclarations d'intérêts et de patrimoine, la sanction est immédiate. Certains conseillers du Président de la République figurent au Journal officiel, d'autres non, alors qu'ils ont parfois un pouvoir considérable. Il faut clarifier leur situation. Ils doivent se plier aux mêmes règles de transparence que les autres. Rien que pour cela, notre travail est utile.
Lorsque je suis devenu sénateur, Jacques Larché, ancien secrétaire général du Gouvernement, présidait la commission des lois. J'avais l'impression que notre institution avait perdu, au fil du temps, une partie de son influence. Cette commission d'enquête, à cet égard, est une bouffée d'oxygène. Les gens parlent de cette commission. Des journalistes m'ont contacté. Transformer la commission des lois en commission d'enquête était la meilleure des solutions, préférable à la création d'une commission temporaire ad hoc, dont les membres auraient été désignés par les groupes politiques. Chacun sait qu'il n'est pas toujours possible, faute de temps, d'assister aux réunions des structures temporaires.
Vous avez raison d'être prudents concernant l'audition de M. Benalla. Laissons passer l'été. Je trouve la suggestion d'Alain Richard intéressante. Finalement, la commission d'enquête va prendre la place que devait prendre la révision constitutionnelle, comme une sorte de pré-révision constitutionnelle.
La suggestion d'Alain Richard est très intéressante, mais il est probable que les réponses écrites de M. Benalla seront pesées au trébuchet avec un conseil juridique...
Avocate, je sais qu'il y a une grande différence entre interroger quelqu'un, lors d'une audience, en visioconférence ou directement, s'il est présent dans la salle. Nous pourrions aussi envisager d'entendre M. Benalla en lui posant des questions précises, rédigées à l'avance et validées auparavant par la commission. Je suis d'accord avec M. Bonnecarrère : il faut éviter de s'appesantir sur le fait divers.
En conclusion, je comprends de nos échanges que chacun admet que nos travaux ne sont pas terminés, qu'il reste des investigations à mener, dans le cadre de notre saisine, large, mais ciblée sur un éventuel dysfonctionnement institutionnel plus que sur un fait divers.
Vous avez annoncé une réflexion sur l'opportunité d'entendre M. Benalla. Qui décidera ? Selon quel calendrier ?
La réflexion est ouverte. C'était aussi l'objet de cette réunion. Je vous propose d'en rester là pour le moment. Nos rapporteurs feront des propositions. Nous avons pris note de la suggestion d'Alain Richard. Nous annoncerons la suite de nos travaux lorsque nous nous réunirons de nouveau, à la rentrée.
La réunion est close à 9 h 50.