Nous examinons ce matin le rapport de nos collègues Guillaume Arnell et Jean-Marie Morisset sur le financement public des opérateurs de l'hébergement d'urgence. Je leur cède immédiatement la parole pour nous présenter leurs conclusions.
Chaque année, lors de l'examen du projet de loi de finances, notre commission se saisit pour avis des crédits du programme 177 « hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Les crédits de ce programme ont connu une croissance de 43 % en cinq ans et dépassent dorénavant les 2 milliards d'euros.
Cette hausse, exceptionnelle dans un contexte de maitrise des finances publiques, a été principalement destinée au financement du parc d'hébergement qui a atteint près de 146 000 places d'accueil en 2018. Malgré l'augmentation considérable des capacités d'hébergement et les efforts engagés par le Gouvernement dans le cadre du plan « logement d'abord », les dispositifs demeurent saturés, en raison de l'augmentation des situations d'exclusion et de la progression des flux migratoires.
C'est dans ce contexte que nous avons mené nos travaux sur le financement des opérateurs de l'hébergement d'urgence, cette politique publique étant mise en oeuvre en quasi-totalité par des opérateurs privés, dont la plupart sont des associations. Nous avons souhaité mesurer l'efficience de la dépense consacrée à cette politique et évaluer le pilotage des dispositifs d'hébergement d'urgence, en appréciant les objectifs fixés, la gestion déléguée de l'offre et de la demande d'hébergement, les conditions de financement des opérateurs et l'accompagnement social proposé.
Nous avons procédé à l'audition des principaux gestionnaires de structures d'hébergement et des services de l'État concernés et nous avons effectué cinq déplacements, à Nantes, à Lille et en région parisienne. Nous avons ainsi visité huit structures d'hébergement et rencontré les opérateurs et les services déconcentrés qui mettent en oeuvre cette politique sur le terrain.
Notre constat, à l'issue de ces travaux, est celui d'un pilotage insuffisant de la politique de l'hébergement et de ses opérateurs.
Les dispositifs ont des statuts et des modes de financements divers, sans justification évidente. La gestion des dispositifs d'accueil, soumise à l'urgence, manque de prévisibilité, de connaissance des besoins et de contrôles. Nous formulons donc une série de propositions destinées à améliorer cette gestion.
Parmi les difficultés constatées figure tout d'abord la sous-budgétisation chronique de la politique d'hébergement, prise entre l'impératif de l'inconditionnalité de l'accueil et l'objectif de maîtrise des dépenses. Ce conflit d'objectifs nuit à son pilotage.
D'une part, la création en urgence, chaque année, de places d'accueil pour limiter le nombre de personnes à la rue complique la programmation budgétaire. D'autre part, les crédits ouverts pour l'année N sont inférieurs à ceux exécutés pour l'année N-1 alors que la demande d'hébergement ne se tarit pas. L'ouverture de crédits supplémentaires en cours d'année est ainsi devenue systématique et la résorption de cette sous-budgétisation n'a donc pas pu être réalisée.
En 2018, la loi de finances initiale a prévu l'ouverture de crédits à hauteur de 1 954 millions d'euros. Cette enveloppe s'est avérée insuffisante malgré un report de crédits de l'année 2017 sur 2018. La loi de finances rectificative pour 2018 a donc ouvert des crédits supplémentaires à hauteur de 60,2 millions d'euros, et son exécution s'est finalement élevée à 2 099 millions d'euros pour 2018.
Des efforts ont toutefois été conduits l'an dernier afin de construire une programmation budgétaire plus sincère. Un rebasage du programme a été effectué en 2018, afin de construire un budget plus adapté aux besoins de financement régionaux.
Pour autant, nous doutons que les crédits ouverts pour 2019 suffisent à couvrir les besoins de financement. À périmètre constant, ils demeurent inférieurs de 102 millions d'euros à l'exécution 2018.
Notre première proposition est donc de mettre fin à la sous-budgétisation du programme 177 en poursuivant les efforts engagés pour une programmation plus sincère.
La gestion des places d'hébergement est rendue complexe par une multiplication des types de structures, aux modes de financements différents. Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), qui regroupent 45 000 places, sont des établissements autorisés et financés sous la forme de dotations. Les centres d'hébergement d'urgence (CHU), qui représentent 52 000 places, sont des établissements déclarés, financés par des subventions. Enfin, 48 000 places à l'hôtel sont financées par des subventions et payées par l'intermédiaire d'un opérateur.
Le statut des CHRS, qui relèvent des établissements sociaux et médico-sociaux, offre davantage de garanties aux gestionnaires sur leurs financements et de moyens de contrôle aux services de l'État. Ces établissements sont autorisés par l'État après une procédure d'appel à projet, ils sont financés par une dotation qui peut être négociée dans le cadre d'un contrat pluriannuel. Ils sont soumis à des procédures d'audit interne et externe. Les centres d'hébergement déclarés sont régis par des règles moins strictes : la sélection du gestionnaire n'est pas toujours formalisée et les financements par subventions sont généralement encadrés par une convention annuelle ou pluriannuelle.
Les centres d'hébergement d'urgence et les places à l'hôtel ont vocation à accueillir les personnes à la rue en situation de détresse, pour une courte durée, alors que les CHRS permettent en principe un hébergement plus long pour accompagner les personnes vers l'autonomie sociale et le logement pérenne.
Cette distinction n'est cependant plus vérifiée sur le terrain : les durées de séjour se rapprochent et tendent à se rallonger dans toutes les structures. Quelques personnes résident même dans un CHU ou un CHRS pendant plusieurs années. Une enquête de la DREES menée en 2012 indiquait que la durée moyenne de séjour des adultes hébergés en CHRS était de 17 mois et de 16 mois pour ceux hébergés dans les autres centres d'accueil.
Faute de rotation suffisante dans le parc, les affectations se font moins en fonction du type de structure adaptée à la personne que selon les places disponibles. Plusieurs opérateurs interrogés ont ainsi indiqué qu'ils n'étaient pas en mesure de réellement distinguer les missions exercées par les CHRS de celles des centres d'hébergement d'urgence, en termes de conditions d'accueil, de niveau d'accompagnement social et de durée de séjour.
Au sein même des structures pérennes, 18 % des places de CHRS sont identifiées comme des places d'urgence. Dans le parc « hébergement d'urgence », 16 % des places sont dédiées à de l'hébergement d'insertion et de stabilisation. À cela s'ajoutent les centres d'hébergement et de stabilisation (CHS), comptabilisés dans le parc CHU et les résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS) assurant un hébergement d'urgence, financés par des subventions.
Nous pensons donc que la création d'un statut unique de centre d'hébergement permettrait de rationnaliser l'offre généraliste et de simplifier le pilotage des dispositifs.
L'article 125 de la loi ELAN permet de faciliter, jusqu'en 2022, le passage de places d'hébergement déclarées sous le statut de l'autorisation, en dérogeant à l'obligation de passer par un appel à projets pour étendre la capacité de CHRS existants ou pour faire passer des places déclarées sous le statut autorisé. Ce passage sous statut autorisé doit permettre d'améliorer la gestion des dispositifs et la prévisibilité des financements. Aucun objectif de transformation n'est à ce stade fixé, en termes de nombre de places à transformer et de calendrier, car les décisions de transformation feront l'objet de négociations en fonction des priorités territoriales.
Pour mettre en oeuvre cette mesure, nous proposons que des objectifs chiffrés soient fixés pour chaque région afin d'assurer le passage effectif sous statut autorisé des places déclarées.
Nous considérons en outre que la restructuration de l'offre doit, à terme, tendre vers un statut unique sous la forme de l'autorisation pour l'ensemble des structures pérennes du parc généraliste. Or, à ce stade les résidences hôtelières assurant un hébergement d'urgence ne sont pas concernées par la loi ELAN.
Par ailleurs, le pilotage des opérateurs, largement soumis à l'urgence, manque de prévisibilité et de connaissance des publics.
L'ouverture de places hivernales est une source d'incertitude pour les gestionnaires. Malgré les efforts croissants des services de l'État pour une gestion prévisionnelle des campagnes hivernales, notamment par l'identification du foncier disponible pour accueillir des places exceptionnelles, l'ouverture des places se fait fréquemment dans l'urgence. Dans cette situation, la sélection des opérateurs se fait souvent de gré à gré, et conduit à solliciter de grands opérateurs qui ont la capacité d'agir dans des délais contraints.
Les opérateurs sélectionnés sont souvent amenés à procéder à l'ouverture de places avant que les financements dédiés ne soient versés voire arbitrés. Le coût d'une place hivernale, qui doit amortir sur une courte durée les aménagements réalisés, peut s'avérer très supérieur à celui d'une place pérenne en centre d'hébergement, alors que les conditions d'accueil sont bien moins favorables.
Les gestionnaires sont aussi confrontés à des incertitudes à la fin de chaque période hivernale, À la mi-mars 2019, ils ne connaissaient toujours pas le nombre de places qui allaient être pérennisées sur les 14 000 ouvertes pour l'hiver 2018-2019. La décision du Gouvernement de pérenniser 6 000 places n'a été rendue publique que le 1er avril. Dans l'attente de cette décision, ils ignoraient le nombre de personnes accueillies qui allaient devoir sortir des dispositifs hivernaux. Les décisions de pérennisation gagneraient donc à être davantage anticipées, en concertation avec les gestionnaires, pour assurer une meilleure continuité de l'offre d'hébergement.
Pour une meilleure préparation des périodes hivernales, des marges de progrès existent également. Pour la première fois, à l'été 2018, un appel à candidature a été initié par l'État en Ile-de-France afin d'identifier un socle de 2 800 places à ouvrir pour l'hiver. Nous proposons de renouveler cette procédure chaque été pour assurer une gestion prévisionnelle des dispositifs hivernaux, en particulier dans les grandes zones urbaines.
Au-delà de l'hiver, nous considérons que la prévisibilité d'ouverture de places pour le parc pérenne peut également être améliorée par une meilleure formalisation des procédures d'ouverture de places et par une gestion prévisionnelle du foncier. C'est en particulier le cas pour les nuitées d'hôtels, dont une partie seulement est sélectionnée selon une procédure de marché public. Nous proposons donc de renforcer la formalisation des procédures de sélection des opérateurs de l'hébergement d'urgence en ayant recours à des appels à candidature ou des appels à projet selon les besoins.
En outre, il nous semble que l'État dispose d'une connaissance trop limitée des publics accueillis dans les dispositifs d'hébergement d'urgence. Si l'État est le financeur de la politique d'hébergement, la régulation de l'offre et de la demande d'hébergement est largement déléguée aux services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). Cette régulation s'est d'ailleurs considérablement améliorée avec la montée en charge des SIAO qui coordonnent, à l'échelle du département, la veille sociale, les demandes d'hébergement en gérant le « 115 » et l'orientation des publics.
La connaissance du secteur s'est aussi améliorée avec, d'une part, le développement du système d'informations des SIAO, partagé par tous les acteurs, et d'autre part, l'obligation pour les gestionnaires de remplir chaque année une enquête nationale des coûts destinée à mieux connaitre les besoins et les disparités de financement. Pour autant, la qualité de l'information disponible dépend des données demandées et transmises par les opérateurs. Certains responsables de services déconcentrés nous ont indiqué que les données disponibles n'étaient pas suffisantes pour assurer un pilotage satisfaisant.
Des informations plus précises sur les publics hébergés pourraient être demandées aux opérateurs. L'État dispose par exemple du nombre de demandeurs d'asile hébergés dans le parc généraliste mais il ignore la part de personnes non régularisées, alors que certains opérateurs ont effectué des enquêtes sur la situation administrative des publics qu'ils accueillent. Or il est nécessaire d'avoir une connaissance précise des publics accueillis pour adapter au mieux les structures d'hébergement et l'accompagnement social. Nous proposons donc qu'un travail soit engagé entre l'État et les opérateurs visant à compléter et préciser la nature des données à recueillir pour disposer d'une meilleure connaissance des publics hébergés.
Plusieurs personnes rencontrées nous ont également indiqué que l'une des principales sources de complexité dans la gestion des dispositifs d'hébergement était l'accueil du public migrant.
L'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés fait l'objet d'une prise en charge par des dispositifs spécifiques, sous la responsabilité du ministère de l'intérieur. Le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile (DNA) comprend un parc d'hébergement de 86 000 places, réparties en diverses structures. Malgré l'existence de ce dispositif dédié, l'importance des flux migratoires a conduit à la création, souvent en urgence, de places d'hébergement pour l'accueil des migrants au sein du parc généraliste, financées par le programme 177. Des clarifications progressives ont été opérées entre les financements des deux dispositifs.
Toutefois, la saturation du parc dédié aux demandeurs d'asile et le principe d'accueil inconditionnel qui gouverne l'hébergement généraliste n'ont pas fait disparaître la porosité entre les deux dispositifs. Lors d'une enquête réalisée par l'État en mars 2019, 11 400 demandeurs d'asile ont été comptabilisés dans l'hébergement généraliste, soit 8 % des places du parc.
Il résulte de cette situation d'importantes difficultés de gestion. Les services de l'État sur le territoire doivent agir sous la responsabilité de deux tutelles : le ministre de l'intérieur et le ministre chargé du logement. Par ailleurs, l'accueil de demandeurs d'asile ou de réfugiés complexifie le financement des structures d'hébergement généraliste, au regard du principe de spécialité budgétaire. En effet, les services déconcentrés ont pour instruction d'identifier la présence de demandeurs d'asile dans l'hébergement généraliste afin que les places occupées par ce public soient facturées au programme « asile et immigration ». Enfin, les centres d'hébergement d'urgence accueillant des demandeurs d'asile doivent accompagner ces personnes dans des démarches pour lesquelles les centres d'accueils pour demandeurs d'asile (CADA) sont plus à même d'offrir un accompagnement satisfaisant.
Nous proposons donc de mettre fin à l'accueil de publics relevant du dispositif national d'accueil au sein du parc généraliste, en poursuivant l'accroissement du nombre de places dédiées aux demandeurs d'asile et en renforçant la coordination interministérielle.
Pour les personnes en situation irrégulière, qu'elles soient déboutées du droit d'asile ou hors du parcours de l'asile, la situation est différente. Ces personnes relèvent de l'accueil inconditionnel et peuvent donc être hébergées au sein du parc généraliste. Plusieurs opérateurs nous ont d'ailleurs indiqué qu'au sein de leur parc d'hébergement généraliste, la présence de personnes en situation irrégulière représentait environ 50 % du public accueilli.
Or, ces personnes ne peuvent prétendre à un logement social ou à un emploi : leur sortie de l'hébergement d'urgence est donc très compliquée, ce qui contribue à la saturation du parc et à l'allongement des durées de séjour. Nous estimons que les personnes en situation irrégulière ont besoin d'un accompagnement spécifique pour les aider à sortir de l'hébergement. Elles peuvent être orientées vers les dispositifs d'aide au retour ou être accompagnées dans des démarches de régularisation de leur situation lorsqu'il existe des perspectives d'obtention d'un titre de séjour.
Par conséquent, nous considérons que le public en situation irrégulière doit faire l'objet d'un accueil et d'un accompagnement spécifiques. Certains centres sont déjà dédiés à l'accueil prioritaire de publics particulièrement vulnérables tels que les femmes victimes de violences ou les sortants de détention, pour leur apporter un suivi spécifique. Nous proposons donc que certaines structures de l'hébergement généraliste soient identifiées pour l'accueil prioritaire de ce public, afin de lui assurer un accompagnement adapté.
Concernant les outils de gestion et de financement des opérateurs, de nombreuses démarches sont en cours pour améliorer la gestion des dispositifs.
La nécessité d'obtenir une meilleure connaissance des coûts selon les structures d'hébergement s'est traduite par le développement des enquêtes nationales de coûts (ENC), obligatoires depuis 2018 pour les gestionnaires de CHRS et de CHU.
Cette enquête, déployée depuis 2014 puis généralisée, a révélé d'importantes disparités de coûts selon les territoires, les structures et les prestations proposées. Alors que cette ENC n'était au départ qu'un outil d'information destiné à améliorer le dialogue de gestion, elle a été suivie d'une démarche de convergence tarifaire pour les CHRS. Cette démarche de bonne gestion a été mal comprise par les opérateurs dans la mesure où certains d'entre eux ont vu leurs dotations baisser alors qu'ils se trouvaient en-dessous des tarifs plafonds. Reconnaissant ces difficultés, le Gouvernement a pris des mesures correctrices pour cette année. Nous pensons que ces démarches sont à poursuivre et à généraliser.
Concernant l'enquête nationale des coûts, celle-ci doit être précisée afin que les données transmises soient davantage uniformisées, car les charges ne semblent pas prises en compte de la même manière par l'ensemble des gestionnaires. En outre, cette enquête devrait être étendue aux nuitées d'hôtel qui représentent un tiers du parc de l'hébergement généraliste et qui ne font, à l'heure actuelle, pas l'objet d'un recensement national de leurs coûts.
Nous estimons que la convergence tarifaire doit être poursuivie sans pénaliser les établissements dont le coût est inférieur à la moyenne. Après l'expérience de son déploiement pour la tarification des CHRS, une réflexion doit être engagée pour étendre la démarche de convergence à l'ensemble des structures d'hébergement. Deux tiers du parc n'ayant pas le statut de CHRS, la rationalisation des coûts de la politique d'hébergement doit passer par une extension de cette démarche.
Les démarches de contractualisation pluriannuelle avec les opérateurs doivent également être renforcées.
Le recours à la contractualisation pluriannuelle s'est progressivement développé pour les places de CHRS. La loi ELAN a rendu obligatoire la signature de CPOM entre l'État et les CHRS, à l'horizon du 31 décembre 2022. Des travaux sont en cours entre le ministère et les opérateurs pour élaborer un modèle de CPOM au secteur de l'hébergement. Il serait selon nous pertinent que les structures d'hébergement subventionnées puissent être intégrées au CPOM d'un CHRS si ces établissements relèvent du même gestionnaire, et qu'au sein de ces CPOM, une fongibilité des financements soit permise afin de de mutualiser des moyens ou des fonctions support pour la gestion de plusieurs types d'établissements.
En cohérence avec notre recommandation d'unifier les statuts des dispositifs d'hébergement, nous proposons donc d'étendre la démarche de contractualisation pluriannuelle à l'ensemble des centres d'hébergement pérennes et de prévoir des possibilités de fongibilité des financements pour certaines activités mutualisées entre structures.
Enfin, ces évolutions doivent s'accompagner d'un renforcement du contrôle de l'État sur les opérateurs. La responsabilisation des gestionnaires par la contractualisation pluriannuelle implique un contrôle effectif de la dépense et des objectifs fixés.
Or nous avons constaté que les contrôles des gestionnaires étaient bien souvent limités à des contrôles comptables et que certains d'entre eux ne faisaient pas l'objet de vérifications régulières sur les conditions d'accueil et leur fonctionnement par des contrôles sur place. Des campagnes de contrôle ont été lancées en 2017 dans les régions Grand-Est, Normandie et Hauts-de-France. Elles ont permis de récupérer des excédents et de redéployer les crédits obtenus. De telles démarches sont donc à reconduire régulièrement dans les autres régions. Il est par conséquent indispensable de renforcer les opérations de contrôle sur l'ensemble des structures, en particulier des nuitées hôtelières qui ne font pas l'objet de vérifications suffisantes. Alors qu'une réorganisation de l'administration territoriale de l'État est en cours, une attention particulière devra être portée sur les effectifs et les compétences nécessaires au sein de l'administration déconcentrée pour assurer ces contrôles.
Au total, d'importantes mesures ont été engagées pour améliorer le pilotage et le financement d'une politique dont la conduite est éminemment complexe. Nous proposons donc d'aller au bout de cette logique pour véritablement renforcer le pilotage et mieux maitriser les financements alloués aux opérateurs de l'hébergement.
Ces propositions sont, selon nous, de nature à améliorer la gestion, l'accueil et la fluidité du parc d'hébergement d'urgence. Néanmoins, la sortie des publics de l'hébergement ne sera satisfaisante que lorsque les solutions de logement adapté et social seront suffisantes. Le développement de l'offre de logement fait partie des objectifs du plan « logement d'abord » mais ceux-ci sont loin d'être atteints. Nous invitons d'ailleurs le Gouvernement à augmenter les financements pour le logement adapté, en cohérence avec les ambitions affichées. Ces mesures ne concernent pas directement l'hébergement d'urgence, qui était l'objet de notre mission, mais elles sont nécessaires pour remplir l'objectif assigné à cette politique : accompagner les personnes vulnérables vers un logement pérenne.
Le travail présenté par nos deux rapporteurs est remarquable. Cette problématique prend une dimension particulière au sein des grandes agglomérations, comme l'agglomération lyonnaise : le bon fonctionnement des systèmes sociaux y produit mécaniquement un appel d'air, et une concurrence, qui ne devrait pas exister, peut s'installer entre différents publics prioritaires.
Différentes catégories de personnes requièrent un accompagnement spécifique. Les femmes en danger vis-à-vis de leurs conjoints doivent ainsi être placées dans des lieux protégés et surveillés jour et nuit. Les personnes ayant purgé une peine ont également droit à la réinsertion. À cet égard, la solution que j'ai conçue avec des chefs d'entreprise de l'agglomération lyonnaise, qui a consisté à les accueillir dans le secteur locatif normal, a suscité des réserves qu'il a fallu dissiper.
Trop souvent, les préfets ont pris des décisions sans même prendre soin d'en informer les maires, alors que la responsabilité de l'accompagnement social incombe aux centres communaux d'action sociale (CCAS). Les services de l'État doivent donc tenir compte des responsabilités des collectivités territoriales en matière d'accueil des personnes vulnérables, en particulier des villes et villages d'accueil à fort taux de logements sociaux situés en périphérie des agglomérations et dont les dépenses d'accompagnement social devront être remboursées. Une collaboration étroite entre les services de l'État, les départements et les communes est donc indispensable.
À l'échelle du département du Rhône, avant la création de la métropole, pour une population d'1,7 million d'habitants, nous étions dans l'impossibilité de préserver les spécificités de certains types d'accueil. L'insuffisance de places conduit à une recherche délicate de solutions en urgence.
Avez-vous tenu compte, dans le périmètre de vos travaux, des ouvertures de places et des liens avec les collectivités ? Certains d'entre nous ont fait cette expérience de l'absence de concertation avec les collectivités territoriales il y a quelques années : le groupe Accor a procédé à des ventes d'hôtels « Formule 1 », rachetés par un fonds d'investissement à impact social, moyennant un certain niveau de rentabilité, et confiés à un gestionnaire, Adoma. Cet épisode a été très mal vécu au niveau local : non pas que les maires étaient réticents à l'accueil, mais le fait est que, d'une part, ils n'avaient pas été prévenus, et, d'autre part, les « Formule 1 » sont généralement implantés dans des zones d'activité qui n'étaient pas le lieu idéal pour l'intégration des publics accueillis qui comptaient des enfants. Dès lors qu'il y a ouverture de places, un lien doit être assuré avec les communes et les départements, de sorte que nous puissions faciliter ces intégrations.
Les rapporteurs ont souligné la faiblesse des crédits alloués à l'hébergement d'urgence, qui sont consommés intégralement tous les ans. Les moyens sont encore moins suffisants pour la pérennisation du suivi des personnes.
Le Gouvernement a fait de la protection des femmes victimes de violences conjugales une grande cause nationale, mais les paroles demandent encore à être traduites en actes. Depuis le début de cette année, on recense déjà 67 féminicides. La violence des conjoints touche tous les âges et tous les milieux sociaux. Les rapporteurs pourraient-ils nous préciser les solutions prévues et le financement des opérateurs d'hébergement d'urgence en matière d'accueil spécifique de cette population particulièrement vulnérable ? Des mesures spécifiques sont-elles envisagées pour les femmes migrantes, notamment les demandeuses d'asile, encore plus vulnérables ?
Énormément de progrès restent à faire pour l'hébergement des femmes victimes de violences.
Je partage l'accent mis par les rapporteurs sur la nécessité d'un contrôle accru des différents opérateurs. Ce contrôle ne doit pas être uniquement budgétaire et porter aussi sur les conditions d'accueil. Mais n'oublions pas que de l'argent public peut financer des marchands de sommeil qui orientent les personnes vers des hôtels ou des logements très anciens. Il est particulièrement préoccupant de savoir que, notamment en région parisienne, des hôtels accueillent essentiellement des personnes en hébergement d'urgence, percevant des fonds de l'État, et dont on apprend qu'ils sont gérés par des marchands de sommeil.
L'hébergement d'urgence doit par ailleurs être suivi d'effets en termes d'hébergement pérenne.
Les dernières mesures législatives adoptées l'année dernière produiront des dégâts qu'on ne tardera pas à mesurer sur le financement de nouveaux logements sociaux.
Comme l'ont rappelé les rapporteurs, le programme 177 a vocation à financer une partie des dispositifs à destination des populations migrantes dont le nombre ne cesse d'augmenter et dont les conditions d'accueil sont déplorables.
Le Conseil d'État vient de condamner la préfecture du Nord, le 21 juin 2019, à prendre les mesures sanitaires nécessaires pour le gymnase de Grande-Synthe où sont abrités des migrants, les équipements étant jugés insuffisants, notamment en matière d'accès à l'eau potable et aux toilettes. Le Conseil d'État a rappelé que l'État devait garantir le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants. La commune de Grande-Synthe va d'ailleurs engager une action indemnitaire contre l'État afin de le contraindre à participer aux dépenses importantes engagées en faveur de l'accueil décent des migrants. Est-il prévu un plan de financement supplémentaire pour faire face à cette insuffisance de l'hébergement d'urgence ?
Il s'agit d'un sujet très complexe, qui à mon sens requiert surtout une réorganisation totale avec un rôle accru pour la ruralité. Il faudrait que les CCAS y soient particulièrement attentifs. Les communes urbaines arrivent à saturation. La commune de Ferette dans mon département accueille 100 migrants pour seulement 1 000 habitants, avec un grand succès. L'accueil massif dans les hôtels, qui alimente une misère sociale scandaleuse, doit cesser. Les jeunes femmes migrantes avec des enfants sont particulièrement vulnérables.
Je vous remercie de vos questions. Tout d'abord, il y a effectivement une nécessité de clarifier les compétences. Les problèmes doivent être traités en premier ressort par la politique du logement, et le ministère afférent. En 2017, 59 hôtels « Formule 1 » ont été vendus par le groupe Accor à la Caisse des dépôts et consignations, dont 23 sont des résidences hôtelières à vocation sociale, assurant de l'hébergement d'urgence, et qui consacrent leur activité à l'accompagnement de personnes en difficulté. Cela représente 2 300 places gérées par Adoma.
Pour aller dans le sens des propos de Madame Puissat, le ministère du logement doit être attentif à ne pas déconnecter la mise en oeuvre de cette politique de la maille locale. Il est arrivé que les maires apprennent très tardivement l'ouverture d'une résidence hôtelière à vocation sociale sur leur territoire, celle-ci étant exclusivement financée par l'État sans concertation obligatoire avec les élus locaux. Cela peut donner lieu à quelques frottements : le maire de Linas conditionnait l'ouverture de la résidence hôtelière que nous avons visitée dans l'Essonne à la situation régulière des personnes hébergées.
Pour les demandeurs d'asile, bien que la demande exprimée soit similaire, le programme budgétaire et les opérateurs diffèrent, ce qui donne lieu à des incompréhensions. Le cas de Grande-Synthe, évoqué par Madame Gréaume, fournit une illustration particulièrement vive de ces conflits de compétences. Nous avons pu rencontrer M. Michel Lalande, préfet du Nord, qui nous a assuré de l'effort important fourni par les services de l'État mais de l'urgence d'une meilleure organisation entre le ministère du logement et le ministère de l'intérieur.
Pour répondre à l'une des questions posées, la mission ne s'est pas spécifiquement penchée sur le cas des femmes victimes de violences. Nous avons visité une structure majoritairement ouverte à des femmes seules avec enfants, qui semblaient satisfaites de leur prise en charge. L'apparition et la disparition impromptues de leur conjoint peut néanmoins fragiliser leur accompagnement.
Je souhaiterais revenir sur le volontarisme de certaines communes, qui acceptent de recevoir et de prendre en charge des gens en situation de précarité mais dont l'accompagnement financier est lacunaire. Nous avons pu voir qu'à Lille, grâce à d'importants efforts organisationnels, le recours aux nuitées d'hôtels avait quasiment disparu et c'est une piste à creuser.
Madame Cohen, je ne conteste pas le fait que les crédits soient insuffisants, mais si nous regardons les deux programmes budgétaires distincts - le 177 sur l'hébergement d'urgence et le 303 sur l'aide apportée aux demandeurs d'asile - c'est une progression considérable que nous constatons.
Je suis un peu étonnée de la remarque de M. Arnell. Plusieurs budgets ont tout de même chuté de près de vingt millions d'euros.
Sur ce sujet, j'apporterai quelques précisions d'ordre technique. Il est tout à fait vrai que certaines structures, notamment les CHRS, ont vu leurs dotations diminuées en raison de la convergence tarifaire récemment entreprise par le ministère. M. Julien Denormandie, que nous avons rencontré, a reconnu le dommage de certaines baisses et a pris l'engagement de rajouter 10 millions d'euros au programme 177 pour le financement des CHRS, ponctionnés sur la stratégie pluriannuelle de lutte contre la pauvreté.
Il est à mon sens normal que l'État demande qu'un effort de rationalisation soit fourni par les opérateurs. Mais nous devons tout de même constater que cette politique publique, en pleine expansion depuis 4 ans - 43 % d'augmentation de crédits de paiement - ne bénéficie pas de financements adéquats. Les documents annexés au projet de loi de règlement pour 2018 révèlent un écart de 100 millions d'euros entre l'exécution 2018 et les crédits que nous avons votés l'an dernier pour 2019. J'ajoute que ces crédits sont particulièrement contraints par le principe d'accueil inconditionnel prévu à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.
En Nouvelle-Aquitaine, région qui comporte douze départements, les crédits sont répartis depuis Bordeaux et le manque de personnel à l'échelon départemental oblige parfois à conduire les négociations et les répartitions par téléphone ! Enfin, le Gouvernement s'était engagé en 2017 à verser un forfait de 1 000 euros aux communes pour chaque enfant migrant accueilli, qui n'est jamais venu !
Dans la construction de ce rapport, nous avons veillé à être aussi objectifs et aussi sincères que possible, sans parti-pris contre le Gouvernement. On ne peut passer sous silence certains chiffres, et en particulier le fait que les crédits soient passés de 1 470 millions d'euros en 2014 à 2 099 millions en 2018, soit une hausse de 43 %. Lors de la programmation budgétaire, le plus souvent, la prévision pour l'année N est inférieure à l'exécution de l'année N-1 ; une rectification est donc presque toujours nécessaire. S'il y a eu une nette augmentation des crédits, elle reste cependant largement inférieure aux besoins.
Je souhaite vous faire part d'une information. Dans la métropole de Lyon, la mise en oeuvre du plan pauvreté ne représente que 0,33 % du budget social : c'est une goutte d'eau, un affichage qui n'apportera aucune amélioration. En réalité, il s'agit de crédits pris au pot commun et réaffectés. Le plan pauvreté est une usine à gaz qui « retricote » des dispositifs déjà existants.
J'insiste sur les points à retenir de nos recommandations : il convient d'améliorer la gestion des dispositifs, de maîtriser le financement de l'hébergement d'urgence, de créer un statut unique de centre d'hébergement ; il est également essentiel d'étendre la convergence tarifaire et de renforcer le contrôle de l'État sur les opérateurs. L'État a en effet un rôle essentiel à jouer mais il nous est apparu qu'il ne connaît pas suffisamment les publics accueillis.
Au sein des dispositifs que vous avez décrits, où se situent les personnes sans domicile fixe que l'on peut voir le jour comme le soir sur les trottoirs à Paris ?
On ne connaît pas avec précision leur nombre. Pour les identifier et les orienter, il y a d'abord les maraudes. Pour ces personnes, les haltes de nuit proposent un accueil chaque soir. En outre, les centres d'accueil de jour sont ouverts de 8 heures du matin à 8 heures du soir. Il n'y a toutefois pas suffisamment de places pour accueillir l'ensemble de ces personnes.
Il faut bien comprendre que lorsque l'État ouvre 14 000 places en hiver, cela fonctionne de gré à gré avec les opérateurs. Au mois de mars, les gestionnaires attendent que le Gouvernement dise combien de places il va pérenniser ; cette année, il a fallu attendre jusqu'au 1er avril. Il y a donc un effort d'anticipation à fournir.
On a souvent un regard compatissant sur la situation hivernale, mais il faut savoir qu'il y a en réalité autant de morts en été qu'en hiver.
Merci pour ce rapport très intéressant. Il devra être mis en application dès que possible afin de clarifier et d'harmoniser ces situations. Madame Lubin a parlé de « marchands de sommeil » : il faut savoir qu'il en existe de toutes sortes, y compris dans le secteur caritatif. Ce rapport est d'autant plus important que moins une situation est claire, moins nos concitoyens la comprennent et plus ils se tournent vers les extrêmes en réaction. Face à ces derniers, il est important qu'il n'y ait pas un unique barrage, qu'il soit de droite ou de gauche.
La commission est-elle favorable à la publication du rapport d'information ?
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 10 h 40.