Comme pour chacune de nos études, nous cherchons à recueillir l'information au plus près des territoires, ce qui nous conduit à organiser des visioconférences avec nos interlocuteurs locaux. Nous sommes donc en liaison aujourd'hui avec M. Gora Patel, directeur de la station Réunion La 1ère, avec qui nous avons déjà eu un échange lors de notre visite au siège de France Ô, lundi 21 janvier. Je remercie très vivement le conseil départemental qui a accepté d'abriter la visioconférence et M. Patel qui a consenti à se rendre dans ses locaux.
Notre étude sur la représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public, engagée à la suite de l'annonce faite par le Gouvernement de la suppression de France Ô sur la TNT et de l'élaboration, en contrepartie, d'une offre numérique ainsi que d'une meilleure représentation sur les chaînes nationales, a pour ambition de dresser un état des lieux et de formuler des recommandations pour rendre effective la prise en compte des outre-mer.
Nous voulons rapidement mener cette réflexion et définir des exigences et des garanties. Le rôle joué dans les territoires par les stations La 1ère est évidemment au coeur du sujet, raison pour laquelle nous voulons vous entendre. La Réunion est en effet le territoire le plus peuplé des outre-mer et la scène audiovisuelle y est très concurrentielle, ce qui lui confère une configuration doublement particulière.
Comme vous le savez, les rapporteurs que nous avons désignés sont Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, et M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique.
Notre secrétariat vous a fait parvenir une trame qui retrace les points saillants sur lesquels nous désirons recueillir vos observations.
À moins que les rapporteurs ne désirent intervenir, je vous cède la parole.
M. Gora Patel, directeur de la chaîne Réunion La 1ère. - Je vous remercie pour l'organisation de cette audition, depuis le conseil départemental de La Réunion. Avant de répondre à vos questions, je tiens à apporter quelques précisions sur la situation de la station Réunion La 1ère.
Vous le disiez, nous sommes à La Réunion dans une situation spécifique de forte concurrence. Si nous devions nous comparer à la métropole, nous dirions que La 1ère est face à Antenne Réunion dans la situation de France 2 par rapport à TF1. Il faut noter que la station Réunion La 1ère couvre la télévision, mais aussi la radio et le numérique.
Longtemps, La 1ère a été la seule télévision du territoire, avant l'arrivée de la concurrence et avant, surtout, l'arrivée de la TNT. L'arrivée du bouquet TNT a provoqué une chute mécanique d'audience du service public. Si nous prenions une métaphore, nous sommes passés d'un supermarché avec une multitude de rayons à une dispersion de rayons spécialisés et, partant, à une mission réduite pour le distributeur initial, et ce du jour au lendemain. Le fonds de commerce de Réunion La 1ère, sa grille, reposait sur les programmes de France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô : ceci n'était plus possible quand ces chaînes ont été diffusées en direct. Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés sans presqu'aucun programme. Nous avons connu, je le disais, une chute de l'audience, qui s'est cependant restaurée depuis quelques années dans le paysage audiovisuel réunionnais, pour la télévision comme la radio. Cette remontée se fait notamment grâce à l'appui d'internet.
Je prendrai ici un exemple pour expliquer l'importance d'internet. Hier soir, se tenait à la Cité des arts à Saint-Denis une cérémonie pour le nouvel an chinois, avec la visite du consul de Chine et d'une délégation chinoise, un défilé de mannequins avec des vêtements en brocart venus spécialement. On nous a demandé de retransmettre cet événement non pas à la télévision mais sur internet : nous avons fait un Facebook Live suivi par des milliers de personnes à travers le monde, jusqu'en Chine. Cela était inimaginable hier, nous n'aurions fait que de la télévision : internet nous donne une autre dimension. Nous nous inscrivons complètement dans les nouvelles technologies et prenons toute notre place dans le numérique.
Je vous le disais lors de la brève visioconférence réalisée à Malakoff la semaine passée, notre présence sur internet s'est illustrée récemment avec les manifestations des gilets jaunes à La Réunion. Lors de la visioconférence avec la ministre des outre-mer depuis la préfecture, une retransmission était annoncée de ses échanges avec une délégation de gilets jaunes en direct à la télévision, la radio et internet. Une décision a finalement été prise, avec une communication confuse, au ministère ou à la préfecture, de ne pas faire cette retransmission. Les gilets jaunes refusaient tout dialogue si cette séquence n'était pas diffusée. Nous avons été mobilisés et avons retransmis sur internet, par Facebook live, avec reprise ensuite à la télévision : cette opération a permis de faire baisser la pression et de favoriser l'instauration du dialogue.
Comment s'organise votre station en termes d'effectifs et quels sont ses moyens et son budget ainsi que sa ou ses implantations géographiques ? Pouvez-vous également préciser la situation de la station sur le territoire - je veux parler des audiences et de la concurrence ?
La station a longtemps été implantée uniquement à Saint-Denis de La Réunion. Depuis quelques années, le sud a été développé avec un bureau décentralisé et une équipe de 10 personnes sur la télévision et la radio ; cette création s'est faite dans le contexte du projet de bidépartementalisation de l'île. 2 personnes assurent également une représentation dans l'ouest ; nous avons aussi la possibilité de rayonner sur l'est, plus proche de Saint-Denis. Au total, la station compte 208 équivalents temps plein, titulaires ou occasionnels : ce sont les personnels dédiés à la télévision, à la radio, à internet mais aussi aux tâches administratives.
Nous disposons d'un budget annuel d'une trentaine de millions d'euros, négocié chaque année. Ce budget est issu d'une dotation du groupe France Télévisions mais aussi de recettes - parrainages - à trouver par nous-mêmes.
Dans l'île, nous n'avons pas une position de leader, mais de challenger. Cela est vrai pour la télévision face à une chaîne de qualité, Antenne Réunion, très bien installée, dont la grille s'appuie sur des programmes de TF1 et M6 ainsi que des productions locales. C'est encore vrai pour la radio, où La 1ère est en troisième position avec un peu plus de 10 % d'audience, derrière un canal ouvert en permanence, Radio Free Dom.
Nous veillons à ce que la diversité de La Réunion soit présente tant dans les personnels qu'à l'antenne ou dans les programmes. Nous sommes ici à La Réunion une société multiculturelle : nous sommes ainsi présents aussi bien à Noël - avec les émissions religieuses et la messe du 24 décembre - que pour le Dipavali, la fête des lumières pour les Tamouls, que pour le Ramadan pour les musulmans, que Guan Di pour la communauté chinoise, que le 20 décembre... Nous veillons à ce que toutes les communautés qui forment le peuple de La Réunion se retrouvent sur nos différentes antennes.
Pourriez-vous m'indiquer quelles sont vos relations avec l'autre chaîne La 1ère de votre bassin, Mayotte La 1ère ?
Aussi, on nous répète régulièrement que les chaînes La 1ère doivent être des relais de l'information des pays étrangers de leur zone géographique, au nom de leur proximité. Est-ce le cas pour La Réunion ? La station que vous dirigez a-t-elle les moyens financiers et humains de réaliser des déplacements dans votre bassin océanique ?
Pour vous répondre franchement, nos relations avec la station de Mayotte sont excellentes. Cela dépend beaucoup des personnes et, en l'espèce, le directeur régional actuel de Mayotte La 1ère est mon ancien bras droit lorsque j'étais directeur régional de Réunion La 1ère. J'ai en effet passé seize ans au siège France Télévisions, puis médiateur du groupe France Télévisions en 2013 et je suis revenu à La Réunion depuis mars dernier à la demande de la présidence et de la direction générale, pour apaiser le climat social tendu au sein de la station. Pas plus tard que ce lundi, le directeur de Mayotte La 1ère était présent à La Réunion pour que nous préparions des rendez-vous prochains : les élections aux Comores et les Jeux des îles à l'île Maurice notamment. Nous avons assez régulièrement des relations au sein de l'association régionale des radios et télévisions de l'océan Indien. Cette région représente un bassin de plusieurs millions de francophones. Avec Maurice - plus d'un million de personnes -, Madagascar, les Seychelles, les Comores, Mayotte et nous, la francophonie est un atout. Nous avons tissé des relations avec les différentes directions et nous échangeons avec ces partenaires, modestement certes, mais quasi-quotidiennement, des images et des sons.
Avons-nous les moyens d'une politique ambitieuse dans la zone depuis La Réunion ? Je ne vais pas vous mentir : cela est compliqué et difficile tant cela est cher. Aller à Maurice coûte aujourd'hui aussi cher que d'aller à Paris. Les relations avec certains États, comme les Comores ou les Seychelles, sont en outre compliquées. Les nouvelles technologies et les échanges réalisés grâce à internet font que l'océan Indien est cependant toujours plus présent sur nos antennes.
Comment s'établissent vos relations avec France Ô ? Avez-vous des liens directs avec d'autres chaînes de France Télévisions ?
On constate une présence de sujets réalisés par les chaînes La 1ère dans les grilles de France info : y a-t-il des commandes spécifiques ? Êtes-vous en lien direct avec France info ?
Comment s'organisent les collaborations avec les rédactions nationales lorsque celles-ci couvrent une actualité dans le territoire ?
Nos relations avec les rédactions nationales sont toujours très compliquées. Est-ce de notre faute et une incapacité de notre part à nous imposer ou est-ce dû à une incompréhension des autres rédactions qui n'ont pas compris qu'il y avait des relais intéressants dans les différentes zones ? Il faudra mettre cette question sur la table.
J'ai toujours milité pour des « pôles d'excellence » de France Télévisions dans les différentes régions du monde où sont les stations La 1ère. S'il se passe quelque chose à La Réunion ou Maurice, nous serons toujours les premiers sur place, avant France 2 et France 3 ; il faut que demain ces chaînes travaillent davantage avec nous. Ce n'est pas encore tout à fait le cas, nous sommes mis de côté quand ils arrivent lors d'une actualité. Le travail conjoint n'est pas encore la norme avec les autres chaînes de France Télévisions mais tout ceci est en train de changer : il y a une volonté de travailler davantage ensemble. Nous n'avons pas encore trouvé le bon rapport avec le national, entre ce que nous pouvons apporter et ce que l'on nous demande : nous pouvons encore offrir davantage.
Concernant France info, cette collaboration passe par le canal de Malakoff. Il y a des commandes régulières, mais nos propositions sont aussi retenues : quand il y a une actualité dans notre zone, nous la proposons immédiatement à Malakoff pour que celle-ci soit relayée à France info. Cela se fait de plus en plus. C'est aussi une question de relations humaines, de liens de proximité entre les uns et les autres. Paris restera Paris... J'y ai vécu treize ans et ai été six ans médiateur de France Télévisions. Sans vouloir blesser quiconque, je connais le regard condescendant porté à l'outre-mer, alors même qu'il y a autant de bons professionnels ici qu'à France 2 et France 3.
Il y a une question de volonté de travailler ensemble mais aussi une question de confiance. Il est possible pour France 2 et France 3 de sélectionner des collaborateurs « privilégiés » dans les chaînes La 1ère. Ceux-ci pourraient être sélectionnés pour correspondre à l'écriture nationale pratiquée dans les rédactions. C'est un travail que Wallès Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer a engagé avec Yannick Letranchant, directeur exécutif en charge de l'information de France Télévisions : nous sommes au début de quelque chose.
Concernant nos relations avec France Ô, il faut dire que celles-ci ont souvent été compliquées. Si aujourd'hui il n'y a pas autant de mobilisation dans les stations d'outre-mer pour sauver France Ô, cela s'explique par le comportement de France Ô vis-à-vis des stations. Quand RFO Sat a été créée par Jean-Marie Cavada, il s'agissait de faire une chaîne sur le satellite pour afficher les programmes d'outre-mer : il s'agissait de faire la continuité territoriale « à l'envers » et faire remonter les meilleurs programmes des outre-mer.
RFO Sat est devenue France Ô qui, malheureusement, a été ballotée et a changé d'identité par les décisions successives des tutelles. Chaîne de l'outre-mer, son cahier des charges a changé et elle est devenue celle de la diversité ou, à la suite des émeutes de 2005, une chaîne des banlieues. Elle a perdu son identité et au fil du temps est devenue une chaîne sans âme, contraire à son ADN initial. Il y a aussi eu des moments économiquement compliqués pour les stations régionales avec l'impression dans le même temps que la situation était beaucoup plus facile financièrement pour France Ô : cela a suscité un rejet de France Ô et du ressentiment de la part des stations régionales. Ce souvenir perdure de France Ô aux poches pleines quand les stations outre-mer étaient à la peine. Dès lors, la relation n'a pas été amicale entre France Ô et les stations. Depuis l'arrivée de Wallès Kotra, on constate un repositionnement de France Ô comme réelle chaîne de l'outre-mer : nous avons des relations saines et entretenons un vrai dialogue. France Ô ne décide aujourd'hui de rien sans l'association immédiate des chaînes La 1ère, rien n'est acheté pour France Ô sans être mis en avant-première au service des stations et France Ô reprend des contenus proposés par les chaînes La 1ère, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Cette relation avec France Ô, vous le dites, a évolué et a été très inégale...
Il y a eu plusieurs périodes en effet. Au départ, il y avait une fierté de travailler pour RFO Sat : c'était l'exposition de notre savoir-faire ultramarin. On nous a ensuite regardés de haut, ce qui a provoqué un retrait. Oui, cela a évolué : je le disais, depuis l'arrivée de Wallès Kotra, nous avons une relation saine et intelligente avec cette chaîne qui a retrouvé sa place de chaîne des outre-mer en métropole.
On a parlé des Jeux des îles, du grand Raid, mais, Monsieur le sénateur de la Martinique, on peut évoquer les yoles rondes : France Ô a toujours été là pour la mise en avant de cette manifestation unique au monde. Les Martiniquais arrivent à mettre à l'eau un bateau qui n'est pas fait pour naviguer !
J'ai moi-même été consultant pour Martinique La 1ère durant 10 ans pour le Tour des yoles.
Lors de l'ouragan Irma, Guadeloupe La 1ère a été extrêmement présente et réactive en amont, pendant et après le phénomène. Les chaînes nationales sont ensuite arrivées et ont balayé ces équipes de proximité qui connaissaient le terrain.
Quels sont vos moyens financiers et humains de production au sein de La 1ère ? Quelles sont vos sources de financement et quelle est la part de chaque contributeur ? Les collectivités interviennent-elle en appui ?
Quels montants consacrez-vous chaque année aux coproductions ? France Ô vient-elle en appui de ces montants ? Êtes-vous en mesure de monter des projets avec différentes chaînes 1ère de manière autonome ? Cela a-t-il déjà été le cas ? Le milieu de la production audiovisuelle local est-il « armé » pour répondre à vos commandes ? Des groupes hexagonaux sont-ils intéressés ou présents ?
Sur la question de notre budget : est-il suffisant pour produire et coproduire ? Non, ce n'est jamais suffisant.
Concernant les aides éventuelles des collectivités, nous avons des relations avec la région de La Réunion qui mène une politique dynamique de soutien à l'audiovisuel. Nous avons un siège à la commission d'attribution des aides du conseil régional qui travaille sur des coproductions de qualité.
Je rappelle que la série « Cut » est intégralement tournée à La Réunion. J'étais, avant notre visioconférence, au téléphone avec le réalisateur réunionnais Laurent Pantaléon qui m'informait que le film que nous avions coproduit, « Baba sifon » était retenu pour être en compétition au Fespaco, festival international qui se tient au Burkina Faso.
Vous m'interrogiez sur les entreprises de production locales. Nous travaillons de plus en plus avec elles. Dans le cadre de ces coproductions, nous apportons de l'« industrie » quand cela est nécessaire ou des liquidités, de l'ordre de 15 000 à 20 000 euros en moyenne. Souvent, nous travaillons avec France Ô qui contribue aux financements et permet des coproductions de qualité.
Nous comptons une vingtaine de coproductions par an. Le tissu est-il suffisamment solide sur le territoire ? Malheureusement, non. On constate beaucoup de commandes non livrées en temps et en heure. Des entreprises sont encore fragiles, peu structurées et peinent à tenir leurs engagements.
Il a fallu changer les mentalités et faire de la pédagogie en interne. Il était difficile, il y a encore peu de temps, de dire qu'on ne produirait pas tout en interne et qu'il faudrait faire vivre le tissu local. Les syndicats y voyaient notamment une perte de potentiel de recrutement. Mais l'époque n'est pas favorable aux recrutements supplémentaires : France Télévisions engage un plan de départ de 2 000 personnes pour recruter 1 000 jeunes.
Coproduire, c'est enrichir. Nous disposons aujourd'hui d'entreprises de production locale solidement installées, sérieuses et capables de fournir des produits de qualité, mais leur nombre est très réduit ; le secteur est encore peu développé. Concernant les entreprises parisiennes ou hexagonales, nous sommes souvent sollicités et trois portraits sont par exemple en cours de réalisation actuellement sur des personnalités réunionnaises en haut de l'affiche : Dimitri Payet, Manu Payet et Valérie Bègue.
Vous nous avez parlé de l'arrivée de la TNT à La Réunion et du bouleversement que cela avait produit. Vous avez également évoqué les enjeux numériques dans vos missions. Nous allons aborder maintenant, sur cette base, les questions que pose l'arrêt annoncé de la chaîne France Ô.
Que va changer pour vous l'arrêt de la diffusion de France Ô sur la TNT annoncé pour 2020 ? Quels sont les enjeux attachés à un passage de votre chaîne en HD ?
Qu'attendez-vous de la plateforme numérique annoncée dans le cadre de la réforme ? Quelle est votre stratégie de développement numérique pour la station ?
Je vais commencer par la stratégie de développement numérique. Nous ne pensons plus aujourd'hui en termes de médias mais autour d'une marque. Nous sommes là, à la télévision, en radio, sur internet ou les trois à la fois. Nous avons eu un exemple douloureux hier avec un pêcheur happé par un requin en bordure de mer : en une demi-heure, l'information a été développée sur les trois canaux. Nous ne travaillons plus en silos mais pour Réunion La 1ère et chaque média prend la main à un moment. La première information, immédiate, est sortie sur internet, avant que la radio ne prenne le relais sur de premières explications et que l'analyse trouve sa place à la télévision à 12h30 et 19h. C'est notre stratégie. Nous nous inscrivons pleinement dans le numérique qui nous permet d'être partout.
Télévision, radio, internet : je note que vous n'oubliez pas la télévision dans vos analyses alors qu'on nous annonce aujourd'hui presque la mort de ce média. Cela est sans doute vrai pour les jeunes, mais les plus anciens y restent très attachés. Je pense également aux conséquences sociales de ces nouveaux modes de consommation des médias, et à la perte de conversation dans les familles...
En effet, chaque canal a eu un leadership à un moment donné. Je prenais l'exemple plus tôt du nouvel an chinois relayé sur Facebook Live.
Pour ce qui est de la disparition de France Ô de la TNT, la tutelle a pris une décision d'arrêt de la diffusion sur la TNT et de transformation en une plateforme numérique. Dont acte. Nous pourrions crier en tant que dirigeants de stations mais cela ne changerait rien... Ce qui m'inquiète aujourd'hui en tant que collaborateur de France Télévisions, c'est l'avenir des personnels de Malakoff. Nous voyons déjà des départs... Ma position est simple et connue : si demain des collaborateurs de Malakoff devaient venir à La Réunion, je leur ouvrirais les portes de la station avec plaisir ; ils ont des compétences et nous en avons besoin. Il faudra être vigilant sur le devenir de ceux qui ont cru à cette histoire de France Ô et de Malakoff.
Quant à la plateforme, je vous mentirais si je vous disais aujourd'hui que je sais ce qu'elle va apporter. Je sais ce que la station que je dirige peut apporter en contenus et les produits que nous sommes en capacité d'apporter. Est-ce que je crois aujourd'hui en cette plateforme ? Il y a trop d'informations que je n'ai pas à ce jour pour me prononcer, si je veux être honnête.
Delphine Ernotte a garanti que les personnels de Malakoff, comme personnels du groupe France Télévisions, ne feraient pas l'objet d'un traitement particulier. Mais, vous le disiez, il y a un plan global de restructuration des effectifs.
Que doit selon vous être cette plateforme, pour vous et en collaboration avec Malakoff ?
Elle doit être le lieu d'exposition de ce qui se passe outre-mer, de ce qui se fabrique chez nous, la vie des onze territoires. Nous devons prendre toute notre place sur cette plateforme. Nous pensons « digital first » : tout ce que nous allons produire sera proposé pour cette plateforme.
Il ne faut cependant pas sous-estimer les problèmes de couverture numérique, notamment le faible accès au haut débit de portions significatives du territoire hexagonal comme des territoires ultramarins. Qu'en est-il à La Réunion ? Enfin, le numérique et le haut débit ont un coût non négligeable pour les consommateurs...
À La Réunion, l'objectif régional est une couverture aboutie avant 2025. Le coût est en effet un sujet : une des revendications des gilets jaunes à La Réunion était le coût et la vitesse de débit par rapport à la France métropolitaine.
Je reste persuadé que la télévision, comme Madame la sénatrice, a encore de beaux jours devant elle. On ne va pas basculer du jour au lendemain vers une consommation de programmes sans télévision, seulement sur des plateformes. La haute définition de qualité sur internet n'est pas encore pour demain en considérant la couverture de La Réunion, et le département n'est pas seul dans ce cas.
Le sénateur Maurice Antiste m'interrogeait sur la haute définition pour la télévision. Elle est annoncée pour le mois de septembre prochain, mais son déploiement ne se fera que pour le satellitaire - box internet et offre de bouquets satellite. La TNT n'est pas comprise... mais c'est un début.
Je vais pour ma part vous faire une critique, que je veux constructive. Vous évoquiez la réactivité de la station hier sur le cas des requins. C'est très bien et La 1ère est fiable sur les actualités. Mais je voudrais pointer son manque, parfois, d'anticipation. Je prendrai un exemple personnel : lors des élections sénatoriales de l'an dernier, les quatre sénateurs élus étaient sur le plateau d'Antenne Réunion au soir du scrutin, et non sur La 1ère. Nous avions tous été invités huit jours avant, quand La 1ère nous a contactés seulement après l'annonce des résultats... Et on nous a reproché ensuite de ne pas être venus ! Je pense qu'une meilleure anticipation de certaines actualités permettrait de retrouver une audience à mon sens méritée.
Si Wallès Kotra m'a envoyé ici reprendre la tête de cette station à ce stade de ma carrière, c'est, en partie, pour ces raisons. Nous avions ici tourné le dos au pays, nous étions dans un comportement de bunkérisation. Nous avions oublié que si nous voulons exister il faut aller au-devant des Réunionnais. Nous avons mené de grands changements dans la rédaction, parmi les présentateurs mais aussi dans les contenus des journaux et la façon de traiter l'information. Ce travail sera long mais il est engagé.
Le Gouvernement actuel a tendance à considérer ses décisions comme irrévocables, au prétexte d'un « cap » qu'il ne faudrait changer sous aucun prétexte. La métaphore maritime indique pourtant qu'un changement de cap est parfois nécessaire pour mieux atteindre son objectif. Je regrette cette décision et, surtout, la méthode qui a été celle du Gouvernement.
France Ô produit également pour les chaînes La 1ère. N'avez-vous pas des craintes à cet égard ? Vous a-t-on promis des moyens supplémentaires à la suite de sa disparition ?
Nous n'avons eu aucune promesse. On nous a indiqué que France Ô allait disparaître. France Ô est pour nous un allié, il nous arrive de coproduire des choses ensemble. Sur notre antenne, au moins trois émissions existent grâce au soutien et à l'apport de France Ô : « De l'or sous la tôle » par exemple, sur la remise en état des cases créoles, morceaux de patrimoine de La Réunion, ou encore « L'amour lé dou », émission très populaire ici. C'est le cas aussi des Jeux des îles de l'océan Indien, que nous préparons en étroite collaboration avec France Ô car les magazines que nous ferons seront repris sur France Ô en juillet et août.
Il y a en effet une grande inquiétude quant à une possible perte de financement. Vous évoquez un transfert financier vers les chaînes La 1ère : je n'y crois pas vraiment, cela ne se fait en général pas. De plus, la plateforme annoncée va demander des investissements.
Je suis un employé du groupe France Télévisions, homme du service public ; j'ai à ce titre un devoir de réserve, mais je suis aussi un ultramarin. En tant qu'ultramarin, je suis très malheureux, très déçu par la disparition de France Ô. France Ô était une belle histoire, une belle chaîne, un beau produit. On nous parle de 0,8 % d'audience, mais d'autres existent avec ce score ! Le coût de cette chaîne est, de surcroît, très mesuré. Cette chaîne apportait quelque chose aux ultramarins de l'hexagone ; le choix aurait pu être fait de la repenser, tout est perfectible. On aurait pu réfléchir collectivement, mais la décision a été prise. En tant qu'ultramarin, c'est un grand regret. J'ai travaillé pour cette chaîne, pour aider à ce que les outre-mer n'apparaissent pas seulement sur les écrans lors de crises : nous avons animé, avec Luc Laventure, patron de France Ô, durant treize ans l'émission « Dix minutes pour le dire ». Cette émission est partie du constat que l'on ne parlait de nous qu'en cas de cyclone ou de crise sociale ; elle a montré, s'il le fallait, qu'il y a matière à donner la parole aux ultramarins de l'hexagone, à Paris, de passage ou même à l'étranger.
On nous promet d'être plus présent sur France 2 et France 3 : le dire est une chose, mais il faut désormais le faire. Il faut des engagements fermes. Je n'aime pas le terme de « quotas », mais il faut des engagements. Il faut des ultramarins dans les décideurs finaux, il faut que nous soyons autour de la table.
Je reviens sur la question du CNC que soulevait ma collègue Jocelyne Guidez.
Le CNC ne peut intervenir pour nous que dans le cadre de coproductions.
Votre collègue Gerald Prufer nous parlait hier de l'ambition d'une chaîne numérique de la France dans le monde, tournée vers une mission de sentinelle du changement climatique : avez-vous eu écho d'un tel projet ?
Nous avançons à chaque séminaire sur ce que sera Malakoff et ce que sera la plateforme. Il n'y a pas de projet établi en ce sens. Mais nous savons que tous les outre-mer, où que nous soyons dans le monde, sont des sentinelles du changement climatique et il y a une volonté de réussir dans cette chaîne ou plateforme, quel que soit le format nouveau que l'on veut lui donner.
Je vous remercie de m'avoir donné la parole aujourd'hui et permis de vous dire ce en quoi je crois. Les engagements ne doivent pas être seulement des paroles. Les engagements concernant les outre-mer dans le cadre de cette réforme doivent être forts mais, surtout, tenus, si l'on veut aboutir à une réelle présence des outre-mer sur les chaînes nationales ; ils doivent aussi se traduire par de belles opérations à monter avec France Télévisions. Il y a les compétences, il y a la qualité : il faut une volonté.