Les circonstances ont quelque peu affecté l'organisation de la présente audition. Aussi, je remercie Jérôme Salomon, directeur général de la santé, de sa présence. Notre commission d'enquête souhaite mieux comprendre l'approche du ministère de la santé dans la prévention et la gestion des risques sanitaires consécutifs à une pollution industrielle ou minière des sols.
L'exposition à des polluants, notamment par l'alimentation en raison de la contamination des sols agricoles, des ressources en eau potable ou des jardins, préoccupe de plus en plus nos concitoyens. Les pollutions au plomb, au cadmium et à l'arsenic résultant de l'exploitation minière de sites dans le Gard, notamment à Saint-Félix-de-Pallières, et dans l'Aude, à Salsigne, inquiètent les riverains, d'autant que la migration des polluants peut être aggravée par des phénomènes climatiques tels que des inondations ou des vents forts.
Les populations comme les élus locaux s'interrogent sur le système de surveillance sanitaire et épidémiologique mis en place par les autorités face à de tels risques, notamment par les agences régionales de santé (ARS), Santé publique France et ses cellules d'intervention en région. En outre, l'évaluation des risques sanitaires sur la base de valeurs de toxicité de référence menée par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), Geoderis et l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) est parfois critiquée par ses biais : il semble que le suivi sanitaire ne soit déclenché que lorsque les études de sols révèlent des teneurs supérieures à ces valeurs et uniquement pour des polluants dont les effets sur la santé sont connus.
Or de nombreuses associations de riverains insistent sur la nécessité de mettre en oeuvre un principe de précaution face à des pollutions mal cernées dans leur diffusion et leurs effets sur la santé et réclament un suivi sanitaire plus réactif. Il serait utile que vous reveniez sur la politique mise en oeuvre par votre direction à cet égard et que vous nous précisiez comment est garanti un traitement homogène de ces situations sur l'ensemble du territoire.
Enfin, notre commission d'enquête s'interroge sur les modalités d'indemnisation des victimes des pollutions industrielles ou minières, qui constituent une voie contentieuse lourde et complexe pour que les victimes parviennent à faire reconnaître la responsabilité de l'exploitant. Toutefois, certains sites pollués sont orphelins lorsque l'exploitant a disparu, qu'il est insolvable ou que sa responsabilité est éteinte. Face à ces situations, quelle est la réponse de l'État pour indemniser des victimes atteintes de maladies graves dont le lien avec la pollution est établi ?
Je vous invite à prêter serment et vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Salomon prête serment.
es enjeux de l'impact, quotidien parfois, de l'environnement sur la santé sont au coeur des préoccupations de bon nombre de nos concitoyens. Vos interrogations sur l'impact spécifique des sites et des sols pollués apparaissent donc essentielles, d'autant que la pression s'accroît, compte tenu de la densification des zones urbaines et du souhait légitime des Français de vivre non loin de leur lieu de travail, pour habiter à proximité de sites qui peuvent s'avérer dangereux, avec des risques d'incendie, d'explosion ou de pollution. L'exposition de la population existe près des anciens sites miniers ou industriels, des zones d'épandage d'eaux usées, parfois sur de très grandes superficies à l'instar de la plaine d'Achères, ou de produits phytosanitaires qui ont conduit à des pollutions chroniques. Nous suivons, à cet égard, avec attention l'impact de l'utilisation ancienne de chlordécone aux Antilles : un comité de pilotage se réunit régulièrement et associe la population, les médias, les élus et les scientifiques. Par ailleurs, des phénomènes naturels ou météorologiques sont susceptibles de générer des expositions itératives - je pense notamment aux inondations qui ont touché le site de Salsigne.
La perte de mémoire des populations vis-à-vis d'activités industrielles ou minières anciennes apparaît, dès lors, fort préoccupante. La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR, a, pour y remédier, rendu obligatoire l'inscription d'informations relatives à l'historique des sites dans les documents d'urbanisme.
La population peut être exposée à trois types de polluants principaux : les métaux présents dans les sols, les solvants volatils comme le toluène ou le triéthylène, et les produits phytosanitaires à l'instar du chlordécone aux Antilles. Il s'agit, pour les autorités sanitaires, de gérer des situations d'exposition multiples, avec souvent plusieurs polluants, généralement à de faibles niveaux de concentration, mais avec des effets chroniques ou différés dans le temps. Compte tenu de la complexité des situations rencontrées, il apparaît indispensable de renforcer les connaissances scientifiques et techniques sur les conséquences sanitaires de ce type de pollutions, notamment s'agissant des doses nocives, de l'impact physiopathologique des expositions, des effets dits cocktail et des enjeux de biodisponibilité des polluants. Apparaît également nécessaire la coordination interministérielle et, sur les territoires, entre services concernés pour user au mieux des moyens d'action disponibles. Cela relève d'un enjeu de santé environnementale majeur pour nos concitoyens, pris à ce titre en compte dans les différents plans nationaux santé environnement (PNSE), dont le troisième est en application. Il comprend un volet relatif à la prévention de l'exposition aux contaminations environnementales des sols, notamment aux métaux lourds - plomb, mercure, cadmium - et une stratégie de réduction de cette exposition. Ces dispositifs, dont le Gouvernement a fait une priorité, seront encore renforcés dans le cadre du quatrième PNSE, en cours d'élaboration. Les travaux ont pris du retard en raison de la crise sanitaire, mais il devrait être prochainement présenté. Parallèlement, nous nous trouvons dans une phase d'élaboration de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Le ministère de la santé défend, dans ce cadre, l'idée qu'une part importante de la recherche porte sur l'impact de l'environnement sur la santé.
Les expositions liées aux sites et aux sols pollués participent à l'exposome, concept inscrit dans la stratégie nationale de santé pour la période 2018 à 2022 consistant à prendre en compte l'effet, sur la santé d'un individu, de son exposition à des facteurs environnementaux tout au long de sa vie. Ainsi, la stratégie nationale de santé prévoit de développer les connaissances en matière de santé environnementale en prenant en compte, par exemple, les perturbateurs endocriniens, les nanomatériaux, les poly-expositions, les effets cumulés des combinaisons de facteurs de stress ou effets cocktail.
La gestion des sites et des sols pollués, notamment des sites industriels et des anciennes mines, relève du ministère de la transition écologique et solidaire. Les actions de la direction générale de la santé (DGS) s'inscrivent donc dans le cadre de la méthodologie nationale de gestion de ces sites, portée par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) de ce ministère, ce qui implique une collaboration étroite et permanente entre les deux ministères, mais également avec celui chargé de l'agriculture, du fait de la possible contamination des denrées végétales et animales par la pollution des sols, ainsi qu'avec celui de l'éducation nationale, puisque certains établissements scolaires sont construits sur d'anciens sites industriels. La gestion des sites pollués requiert ainsi une coordination permanente des échanges, un travail d'harmonisation des positions des différents services et des saisines communes des agences sanitaires nationales, des financements d'études complexes sur le terrain et l'élaboration d'instructions interservices.
Le rôle du ministère de la santé, et celui de la DGS en particulier, est défini par le code de la santé publique ; il concerne la mise en oeuvre d'actions de prévention, de surveillance et de gestion des risques sanitaires liés à l'environnement, au milieu professionnel, aux accidents de la vie courante, à l'eau et à l'alimentation. S'agissant des sites et des sols pollués, il s'agit de contribuer, sur le plan sanitaire, à la politique publique de gestion desdits sites pilotée par le ministère de la transition écologique et solidaire. Nous sollicitons, à cet effet, les agences sanitaires en fonction de leurs compétences. L'ANSéS produit ainsi les valeurs toxicologiques de référence (VTR) utiles à la réalisation des études d'interprétation de l'état des milieux et des évaluations quantitatives des risques sanitaires. Santé publique France et ses cellules en région favorisent une approche populationnelle de surveillance en santé, afin d'estimer les conséquences sanitaires éventuelles d'une exposition environnementale à des contaminants. La Haute Autorité de santé (HAS) est aussi sollicitée, avec une approche plus médicale, sur des protocoles de prise en charge par les professionnels de santé. Enfin, le Haut Conseil de santé publique, dans une approche d'aide à la décision, définit des mesures de prévention. Nous avons organisé, en 2017, deux séances du comité d'animation des agences sanitaires dédiées aux sites et aux sols pollués, qui nous ont permis de valider une feuille de route et de coordonner les saisines.
Nous finançons, avec le ministère de la transition écologique et solidaire, le programme national de biosurveillance, créé par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et destiné à évaluer la valeur moyenne d'imprégnation de la population française à certains polluants pour disposer d'une échelle de comparaison avec les résultats des dosages biologiques effectués autour des sites et des sols pollués. Ce travail, dont la réalisation est confiée à Santé publique France, est piloté par les ARS. Il présente déjà plusieurs études majeures, dont un volet périnatal ; leurs conclusions seront publiées dans les prochains jours et permettront aux ARS d'adapter au mieux à ces risques la politique de prévention, la prise en charge des cas et l'information des populations.
Nous intervenons également en appui des ARS pour la définition du cadre d'intervention au travers d'instructions, d'un appui financier à des études et d'un soutien technique ponctuel sur des dossiers particulièrement sensibles. Nous menons enfin une politique de recherche en toxicologie, au niveau national, européen et international. Nous participons, à ce titre, à des études européennes et internationales de biosurveillance.
Le sujet des conséquences sanitaires de la pollution des sites et des sols est complexe et constitue une priorité de santé publique pour le Gouvernement. Nous avons, à cet égard, cinq messages clés à faire passer. D'abord, il nous faut mieux évaluer, à l'échelon national, l'impact sur la santé des sites et des sols pollués. Ensuite, nous devons renforcer les travaux engagés par les agences sanitaires pour consolider les outils à disposition des ARS. Par ailleurs, doivent être développées les études de biosurveillance indispensables pour mieux identifier l'imprégnation de la population aux polluants. En outre, il convient de faire financer des études de santé par l'exploitant ou par de grands programmes de recherche. Enfin, certains sites ont un impact sur l'environnement, mais ne relèvent pas du régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou du code minier, et il s'agira de définir les moyens permettant d'assurer un suivi sanitaire des populations exposées. L'enjeu est majeur ; il emporte des relations de qualité avec les élus locaux, car l'échelon territorial apparaît essentiel pour le traitement de ces dossiers. Il nous faut également nous rapprocher de la communauté scientifique et de nos collègues de l'Union européenne, car l'approche ne peut être que multidisciplinaire. Enfin, des efforts apparaissent indispensables en matière de pédagogie et de communication, en associant, comme ce fut le cas lors du colloque international sur le chlordécone, les scientifiques, la population, les journalistes et les élus locaux. De fait, c'est ensemble que nous pouvons améliorer l'information du public sur les données disponibles sur l'état d'imprégnation des sols et renforcer l'effet mémoire.
Je vous remercie d'avoir évoqué, dans votre exposé liminaire, la situation des outre-mer. Il fallait effectivement agir dans le dossier du chlordécone, dont les incidences sont fort néfastes pour la population.
Au-delà des actions menées par la DGS, il y a la détermination politique, que la présente audition visait à évaluer. Je ne remets bien entendu nullement en cause les motivations d'intérêt général qui guident les ARS, Santé publique France ou la HAS, laquelle, d'ailleurs, a émis un avis différent de celui de Santé publique France s'agissant du lancement d'une enquête épidémiologique dans mon département : le principe de précaution a prévalu sur les analyses de terrain.
Les Français placent désormais l'écologie et la santé au coeur de leurs préoccupations et réclament des informations. Certes, des données relatives à la pollution des sites, qu'elle soit récente ou historique, sont disponibles sur les sites des préfectures, mais elles ne sont pas intelligibles pour la majorité de nos concitoyens car exprimées en langage scientifique. Il s'agit d'informations techniques fournies par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou de normes difficiles à évaluer. Il convient donc d'améliorer la transparence et la vulgarisation pour renforcer l'information légitimement souhaitée par les Français sur leur environnement immédiat. Lorsque de nouveaux habitants s'installent dans un territoire - je pense à la vallée de l'Orbiel par exemple - ils n'en connaissent pas forcément le passé minier ni les modalités de gestion qui ont prévalu.
Par ailleurs, une clarification du rôle et des responsabilités des différents acteurs apparaît indispensable, comme la définition d'une politique nationale s'agissant de la dépollution des sols, que la pollution soit liée à une activité actuelle, comme pour l'usine de Lubrizol ou Notre-Dame de Paris, ou historique. La direction politique doit prévaloir sur la technocratie administrative. Les commissions locales se réunissent, certes, mais aucun suivi n'est ensuite mis en oeuvre, par manque de moyens, s'agissant de la dépollution des sites.
Nous avons entendu les riverains du Gard, qui nous ont dit que des analyses sanguines avaient été conduites par des personnes potentiellement exposées, et que, alors même que le premier dépistage avait vis à l'évidence une surexposition, ces analyses n'avaient pas bénéficié d'une prise en charge par l'assurance maladie. Comment expliquer une telle situation ?
L'instruction du 27 avril 2017 de votre ministère prévoit que des comités de coordination associant les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et les ARS doivent être systématiquement créés par les préfets dans les départements. Est-ce vraiment une réalité ? Pouvez-vous nous décrire la situation sur le terrain ?
J'espère que vous suivez attentivement les situations liées aux pollutions historiques sur notre sol.
J'avais eu beaucoup de plaisir à vous entendre, parce que pour rapportiez une situation particulière et qui nous préoccupe tous. Ce que vous dites reflète de nombreuses situations d'investigation où, à mon sens, il faut à la fois du local et du national.
Prenez le chlordécone, par exemple. Son impact a d'abord été ignoré, puis il est devenu un sujet local, avant une prise en compte nationale, même si les élus des Antilles ont eu l'impression que le national avait oublié le local. Il faut donc toujours des allers-retours entre un niveau pertinent au niveau local et un niveau pertinent au niveau national. Il faut une vie locale, un référent local, et il faut une personnalité capable de vulgariser, ce qui est un exercice complexe, car il faut expliquer à tous les enjeux d'une situation qui est souvent particulièrement technique, avec des expositions multiples et des caractérisations de risques faisant appel à des dosages de métaux ou de produits phytosanitaires...
Je suis allé plusieurs fois aux Antilles pour gérer le dossier du chlordécone, que je pilote avec mon collègue des outre-mer. J'y ai constaté qu'il faut associer tous les acteurs. Au niveau national, le ministère de l'agriculture était impliqué, mais pas celui de l'environnement ni celui de la recherche, alors que l'expertise de ces acteurs était absolument indispensable. Et on ne pouvait pas faire une politique nationale sans être à l'écoute des citoyens, de leurs questions, de leur quotidien, de leurs pratiques : il fallait pouvoir dire si, concrètement, ils pouvaient laisser leurs enfants jouer dans le jardin, ou bien manger telle ou telle production locale. Pour entretenir l'effet mémoire, enfin, il faut aussi impliquer des éducateurs locaux, à l'école, au collège, pour une déclinaison locale des spécificités environnementales. Il est bon, en effet, que les enfants soient informés, qu'il s'agisse d'un épandage ou d'une exposition à telle ou telle substance. Le radon, par exemple, est une pollution naturelle, mais son impact sur la santé est réel, avec une mortalité non négligeable. Les élus locaux et les responsables de l'éducation doivent en être informés. Il est donc nécessaire d'organiser la vulgarisation autour d'un acteur central, qui est en principe le maire - même si tous les élus du territoire concerné ont un rôle à jouer - tout en assurant un suivi national.
Ce que vous dites sur les données m'interpelle. Je crois que vous avez raison, il est très difficile au citoyen de retrouver ces données. Elles sont publiques et accessibles, mais encore faut-il connaître les sites et savoir faire des croisements entre des données concernant des toxiques, des sites, la santé... Un site de Santé publique France fait état, département par département, de l'état de santé de la population. Je propose que, dans le cadre du plan national santé-environnement à venir, nous créions un observatoire santé-environnement à destination des citoyens, pour que ceux-ci retrouvent dans des termes accessibles l'information sur les différentes expositions et leurs conséquences pour la santé, ainsi que des conseils à suivre - pour entretenir l'effet mémoire, aussi.
Sur les prises de sang et les examens biologiques, la déclinaison doit être la plus fluide possible, pour que la prise en charge soit adaptée aux recommandations de prise en charge nationale et que les populations exposées puissent en bénéficier. Cela relève d'une instruction à faire donner par la caisse nationale de l'assurance maladie aux caisses primaires d'assurance maladie - dans le champ qui dépend de la sécurité sociale, donc. Lorsqu'un examen est utile, il doit évidemment être pris en compte par la sécurité sociale.
La coordination n'est pas simple entre le niveau départemental, piloté par le préfet, le niveau régional, avec la Dreal, qui est sous l'autorité du préfet, et l'ARS. Des comités, de création récente, se réunissent dans certaines régions, peut-être pas dans toutes. Il est important que les instances se parlent, en étroite coordination avec les élus des collectivités concernées. Pour autant, l'échelon régional est souvent considéré par nos concitoyens comme éloigné des communes et des réunions de quartier. Nous incitons les directeurs d'ARS, qui sont souvent des médecins, à assister à des réunions d'information du grand public, pour un exercice, absolument indispensable, de pédagogie locale.
Pour les situations d'urgence, nous avons des plans de sauvegarde communale. J'ai beaucoup de respect pour l'État et ses préfets. Je vois bien, pour vivre sur un site historiquement pollué, que, malgré les politiques de dépollution, il reste vivant. Lorsque se produit un accident, comme l'incendie de Lubrizol ou de Notre-Dame de Paris, un processus est déclenché. Dans le cadre des pollutions historiques, qui mettent en danger la santé, voire la vie d'autrui, il faudrait aussi une sorte de plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile), avec une feuille de route bien précise pour chaque intervenant. En effet, l'échelon régional est trop vaste : avec une dizaine de départements, les corps administratifs ont du mal à suivre ! Il faut un dispositif pour agir dans l'urgence et sérier les questions qui se posent. Dans mon département, ce sont les parents qui ont été dans un hôpital : il n'y a pas eu un déclenchement par une cellule particulière.
Dans le suivi des sites pollués, les préfets sont relevés en moyenne tous les deux ans, et les commissions mises en place voient les représentants des corps administratifs changer régulièrement. Il faudrait des cellules-ripostes pour protéger nos concitoyens du risque sanitaire et déclencher une chaîne de responsabilités, au-delà de l'amoncellement de toutes les structures existantes. Un cadre interministériel peine à faire preuve de la réactivité nécessaire.
D'ailleurs, la crise sanitaire ne vous a-t-elle pas convaincu de la nécessité de disposer d'un système de réaction allégé et plus incisif ? Juridiquement, les pollutions ne sont guère définies, et les populations et leurs élus locaux se sentent souvent démunis.
Je partage votre analyse, à un bémol près. Au niveau national, les réactions à un événement grave peuvent être très rapides. L'État peut réagir vite. Pour autant, nous avons besoin de déclinaisons locales, pour tenir compte des spécificités territoriales. Ainsi, notre territoire compte des endroits à risques sismiques, volcaniques, ou autres... Ce type d'événements doit évidemment être anticipé. Le plan Orsan (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) est décliné selon différents aspects : climatique, épidémique, nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC). Il peut compter des annexes régionales, en fonction de l'exposition des populations aux risques. Nous prévoyons, par exemple, l'éventualité d'un accident industriel grave dans la vallée du Rhône. Ce plan doit être disponible au niveau régional, auprès du préfet, pour une réponse rapide des services de secours. Au niveau communal, le maire est en droit de disposer d'un plan particulier de réponse à un risque communal. Cela existe depuis longtemps chez nos voisins suisses, qui ont des plans communaux de réponse à une alerte particulière, chimique ou naturelle, par exemple. Le maire d'une zone fortement exposée pourrait élaborer un plan communal d'intervention basé sur des enjeux de sécurité civile de protection des citoyens.
Dans la vallée de l'Orbiel, il y a une exposition à la fois chronique et aiguë à des événements climatiques intenses. Un plan de prévention communal pourrait faire que l'ensemble des citoyens soient informés très vite qu'on est devant une exposition non plus faible et chronique, mais forte et aiguë, en cas par exemple de déversement de produits toxiques lié à un phénomène météorologique. Chaque citoyen qui aura participé à ce plan saura ce qu'il doit faire. De même, pour les communes situées à proximité d'une centrale nucléaire. Face au risque chimique, et au risque de sites et de sols pollués, la population concernée doit être informée à son arrivée, mais aussi régulièrement, par des réunions au niveau communal, de la conduite à tenir pour se protéger au mieux.
Nous avons eu de l'arsenic stocké à l'air libre ! La pollution a donc été aérienne, et la substance a aussi contaminé les cours d'eau et les nappes phréatiques. Beaucoup d'enfants ont été touchés. Or la Haute Autorité de santé n'a pas considéré qu'un nourrisson ayant des doses énormes d'arsenic dans les urines, cela posait problème. Quand je parle de plan de riposte, à l'échelon communal ou à un échelon territorial comme celui de la vallée, je pense aussi à une mobilisation des acteurs comme l'ARS. Un plan à l'échelle communale ou locale, mais impliquant les acteurs nationaux, serait plus réactif. Nous avons besoin de passer à un échelon supérieur pour orchestrer, sur les territoires, des réponses à l'aune de ce qu'attendent les élus locaux, et à la hauteur des missions régaliennes de l'État.
En tous cas, il y a aujourd'hui une inquiétude sur l'efficacité de la chaîne de réactivité et de responsabilité de chacun. Tout le monde est de bonne foi et tout le monde a envie d'agir dans le sens de l'intérêt général. Pourtant, chacun reste replié dans son jeu, et ne voit pas la portée universelle des dispositifs.
Un acteur dont vous n'avez pas parlé, alors qu'il doit jouer un rôle, est la médecine généraliste. Lorsqu'on est confronté à l'émergence d'une crise liée à une pollution, avec tout l'irrationnel que cela peut engendrer, les médecins généralistes sont souvent démunis par rapport aux questions scientifiques que cela pose, sans parler de l'aspect pédagogique.
Tous les échelons sont pertinents. Nous avons besoin d'un cadre national et nous insistons pour parvenir à un nouveau plan national santé- environnement ambitieux qui serait élaboré avec tous les acteurs : les sociétés savantes, les associations... Il aurait vocation à être décliné au niveau régional. Il est aussi important de définir des plans communaux de réponse et de sauvegarde. Outre les maires et les élus, la population a aussi un rôle à jouer ; on constate d'ailleurs qu'elle s'approprie de plus en plus ces questions. La définition des seuils ou des valeurs toxicologiques de références relèverait du niveau national, de même que la mise en place de cohortes de suivi le cas échéant.
On n'insiste pas assez, vous avez raison, sur le rôle fondamental des médecins, et plus largement de tous les professionnels de santé, pour relayer des informations fiables. En cas d'événement, la population se tourne naturellement vers eux pour leur demander conseil et ils doivent donc être bien informés afin de pouvoir prescrire les actions de prévention ou de traitement nécessaires. Grâce au dispositif DGS-urgent, on peut envoyer une information dans l'heure à tous les professionnels de santé - on compte 850 000 inscrits - et ce dispositif peut aussi être utilisé pour envoyer des informations à l'occasion d'un événement local. Les officines de pharmacie sont réparties sur tout le territoire. Nous avons une très bonne collaboration avec le conseil national de l'ordre des médecins et avec celui des pharmaciens. Il existe un dispositif d'alerte dans toutes les pharmacies, par le biais du dossier pharmaceutique, qui permet également de transmettre dans l'heure des informations à toutes les officines d'un territoire afin que celles-ci puissent prodiguer ensuite des conseils à la population. C'est ce qui s'est passé dans le cas de l'incendie de l'usine Lubrizol et les pharmacies ont pu répondre aux questions des personnes qui les interrogeaient.
Nous sollicitons la HAS pour inclure dans son programme de travail, qui est déjà très dense, des enjeux liés à la santé et l'environnement ; elle a déjà émis des recommandations sanitaires en cas d'exposition au plomb, à l'amiante ou à l'arsenic. Son programme de travail inclut la pollution de l'air, source majeure de mortalité, et l'exposition au cadmium et aux perturbateurs endocriniens.
Une campagne de diagnostic des sols des écoles bâties sur d'anciens sites industriels avait été lancée en 2010, puis interrompue pour des raisons budgétaires en 2016. La moitié des établissements identifiés a été testée. Quelles seront les suites pour les sites testés ? La campagne de diagnostic reprendra-t-elle dans le cadre du PNSE ?
Cette action relève du ministère de l'environnement. Il est toujours utile de disposer d'une cartographie des risques. Dans le cadre de cette campagne, 2 800 établissements ont été identifiés et 1 400 établissements testés. Ce programme fut, en effet, très coûteux. Il est intéressant de poursuivre ce genre de démarche, éventuellement sous d'autres angles et avec d'autres approches. Je suis favorable à ce que l'on collecte plus de données sur les expositions d'un point de vue sanitaire. Nous soutenons ainsi la mise en place d'études de biosurveillance, et la France est bien placée en Europe sur ce plan, pour obtenir des informations sur les niveaux d'exposition des populations en fonction de leur âge, de leur sexe, des lieux... Nous nous appuyons beaucoup sur les centres antipoison, qui sont adossés à des centres hospitaliers, et sur les centres régionaux des pathologies professionnelles et environnementales qui sont susceptibles de repérer des expositions dans le cadre professionnel et de garantir une prise en charge aux personnes concernées.
Quelle est votre doctrine sur les valeurs toxiques de référence ? On s'interroge beaucoup sur les effets de seuil et les risques associés. Il faudrait aussi améliorer la pédagogie sur la signification de ces valeurs, car celles-ci ne signifient pas grand-chose pour quelqu'un qui n'est pas scientifique...
La question est très complexe. Les approches ne sont pas tout à fait les mêmes entre toxicologues et cliniciens. Les toxicologues cherchent à identifier la présence d'une substance dans le sang, les urines ou un organe, et à répartir la population sur une courbe de Gauss en fonction du taux de présence, ce qui permet d'indiquer à chacun sa place par rapport à la moyenne. Cependant un taux élevé n'entraîne pas toujours de conséquences sanitaires, tout dépend de la substance. Certaines substances peuvent s'avérer toxiques au-delà de certains seuils ; mais, la toxicité peut être aiguë, chronique, ou alors temporaire et ne pas poser de problème. D'où la difficulté de la pédagogie ! La réponse est différente pour chaque toxique.
De plus, il est rare de n'être exposé qu'à un seul toxique ! Et là encore, les situations varient en fonction de l'âge, des expositions, de la durée et de la combinaison des substances - certaines pouvant aggraver la toxicité d'une autre. C'est le fameux effet cocktail et il faut avouer que nos connaissances sont assez ténues en la matière. Il est donc utile de disposer de données de biosurveillance, de pouvoir suivre les personnes dans une démarche à la fois toxicologique et épidémiologique : on y parvient grâce aux réseaux professionnels, qui suivent étroitement des cohortes de jeunes adultes ou d'employés de secteurs potentiellement exposés, afin d'identifier des relations entre l'exposition à certaines substances et l'apparition de certaines maladies.
Il ne s'agit évidemment pas d'exposer les jeunes enfants de la vallée de l'Orbiel pour savoir si dans quinze ans ils seront ou non malades ! Il faut bien sûr réduire les expositions. Mais on dispose malheureusement de peu de données scientifiques de qualité. On peut étudier ce qui se passe chez les animaux ou voir si des situations comparables d'exposition à l'arsenic ont déjà été décrites dans d'autres pays. Mais, pour l'instant, il faut reconnaître les limites de notre savoir ; on ignore beaucoup de choses sur les expositions multiples, sur les liens entre une valeur toxicologique de référence, l'imprégnation réelle chez l'homme et ses conséquences sur la santé. Chaque individu est différent, et chaque situation l'est aussi ! Il est évident que les nourrissons ou les personnes âgées sont potentiellement plus vulnérables. Tout dépend des situations, des expositions, de l'état de santé, de l'état du système rénal, des médicaments pris... C'est pourquoi j'ai demandé à l'ANSéS, qui travaille sur les risques environnementaux, de collaborer étroitement avec Santé publique France, qui a une approche épidémiologique et populationnelle. Les deux approches sont complémentaires.
J'entends vos propos sur les valeurs toxicologiques de référence, mais, dans le cas que j'évoquais, la HAS a mis en avant le principe de précaution. C'est pour cela que je voudrais vous interroger sur le système de précaution. Dans notre vallée, les inondations ont entraîné une pollution imprévue à l'arsenic. Dans plusieurs villages les stades ne peuvent plus être utilisés, car les sols sont pollués ; il en va de même des cours de récréation de plusieurs écoles où les maires ont dû installer des bâtiments provisoires. Ne pourrait-on pas instaurer un suivi épidémiologique systématique des populations dans les bassins industriels ou miniers ? La création d'un registre des expositions ne serait-elle pas utile, car on sait très bien que l'arsenic peut provoquer des maladies des années plus tard ? Nous avons eu un préfet qui partageait cette optique et qui avait pris contact avec l'ARS pour suivre les populations, mais le préfet qui a suivi a changé de politique. Tous les médecins n'ont pas non plus la même vision des choses.
Vos propos illustrent parfaitement la complexité du sujet ! La direction générale de la santé est tout à fait favorable à ce que l'on dispose du plus de données possible sur la santé des populations. Le principe de précaution est déjà consacré dans le champ de l'environnement ; il inclut la préservation de l'état de santé de la population. La gestion des sols pollués s'inscrit tout à fait selon moi dans ce cadre : dès lors que la politique de santé et de prévention vise à faire en sorte que les gens vivent en bonne santé le plus longtemps, il convient de mettre l'accent sur la réduction des risques.
Les médecins généralistes bénéficient d'une grande liberté dans l'exercice de leur profession ; c'est une spécificité de notre système à laquelle sont attachés nos concitoyens, mais parfois ils sont surpris de constater que tous les médecins ne suivent pas les recommandations des sociétés savantes... La HAS a rédigé un guide de dépistage et de prise en charge des personnes exposées à l'arsenic. Il s'impose normalement aux professionnels de santé ; malheureusement, il n'a pas de caractère opposable.
Vous préconisez un suivi épidémiologique : c'est ce que nous souhaitons faire dans différents domaines. Il faut d'abord suivre les personnes exposées professionnellement, car elles travaillent dans des usines chimiques ou traitant des métaux lourds... Elles sont souvent très bien suivies ; cela permet de récolter des données très précises sur les conséquences sanitaires d'une exposition.
Il serait aussi judicieux d'inclure dans le dossier médical les données sur l'exposition ; les parents peuvent le demander : savoir qu'une personne est née dans une vallée où l'air est très pollué pourrait ainsi, par exemple, s'avérer une information précieuse pour son médecin des années plus tard.
Vous avez aussi évoqué des registres. La France a des registres sur les malformations des nouveau-nés, car celles-ci constituent un signal important susceptible de révéler des expositions très diverses, à des pollutions ou à des médicaments par exemple. On peut aussi déclarer les cancers et les médecins généralistes ou les gynécologues ont un rôle important à cet égard. Enfin, comme les personnes bougent, il serait pertinent que l'on puisse savoir, en consultant le dossier de santé, que le patient a séjourné dans une zone polluée. Il est donc fondamental que les Français s'emparent de la notion d'exposome qui figure désormais dans la loi et le code de la santé publique, car l'exposition à des facteurs multiples a certainement un impact sur l'état de santé ; ils doivent être capables de dire à leur médecin qu'ils ont vécu dans une zone exposée et de lui demander de l'inscrire dans leur dossier médical pour pouvoir être mieux pris en charge par la suite.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
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