Je veux vous dire, monsieur le ministre, la joie que nous avons de vous retrouver, à un rang très élevé qui plus est - vous êtes maintenant numéro deux du Gouvernement. Nous connaissons votre intérêt pour le Sénat et vous savez que vous pouvez compter sur notre soutien : nous sommes à vos côtés.
Nous sommes convenus de faire aujourd'hui avec vous un point sur la Méditerranée, où la montée des tensions nous préoccupe.
La Turquie ne cesse d'adopter des positions toujours plus agressives ; vous nous ferez part du contenu de votre entretien avec l'ambassadeur Musa, qui était à votre place il y a quelques jours pour une audition « décoiffante » - sans la Turquie, nous a-t-il dit, plus d'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ! L'attitude de la Turquie fragilise plus que jamais l'Alliance atlantique, et l'absence de solidarité au sein des alliés - je pense en particulier, mais pas seulement, à l'allié américain - donne à réfléchir. Nous avons même cru comprendre que votre collègue allemand, Heiko Mass, était resté assez silencieux lorsque le ministre des affaires étrangères turc a réclamé des excuses à la France. N'y a-t-il pas là un relâchement coupable de la solidarité européenne, sachant que l'incident naval qui a eu lieu au mois de juin ne semble guère se prêter à des interprétations divergentes ?
L'Union européenne dispose d'un certain nombre de leviers pour agir sur la Turquie. Les ministres des affaires étrangères des États membres se réuniront le 13 juillet prochain ; que pouvons-nous attendre de cette réunion ? L'Europe n'a-t-elle pas tort de tolérer systématiquement la multiplication des provocations de la part de nos « amis turcs », comme dit l'ambassadeur Musa, intarissable sur la longue amitié qui nous unit ?
Vous nous parlerez de la Libye, où la situation est également très préoccupante. Ici même, devant notre commission, vous avez parlé d'une « syrianisation » de la Libye. Les engagements du sommet de Berlin restent des voeux pieux, l'embargo sur les armes est continuellement violé et « l'importation » de milliers de combattants étrangers sous forme de milices de toutes sortes ne cesse de progresser. Nous sommes inquiets ; vous nous direz ce que la France compte faire pour prévenir les risques terroriste et migratoire qui pèsent ainsi sur l'Europe.
Vous avez eu des mots très forts, il y a un instant, en séance publique, sur la situation catastrophique du Liban, pays avec lequel tant de liens nous unissent. C'est à un véritable effondrement que nous assistons. Comment l'État libanais va-t-il faire face au défaut de sa dette souveraine ? Au mois de mars, ce pays n'a pas honoré ses engagements financiers, ce qui est évidemment gravissime : ce genre de décision est un pistolet à un coup. Le chômage a explosé, le taux d'inflation atteignait 56 % le mois dernier, et plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le 25 juin, le président Aoun s'inquiétait d'une « atmosphère de guerre civile ». La France a, en la matière, une responsabilité, qu'elle doit assumer ; mais la diaspora libanaise n'a pas toujours le comportement que nous attendrions.
Nous évoquerons aussi la situation en Israël. La menace d'annexion de la vallée du Jourdain ne fait l'objet, pour le moment, d'aucune mise en oeuvre. La crise économique liée à la pandémie est en train d'exploser. L'Europe n'a pas toujours, à propos de ce projet d'annexion, une réaction homogène. Benjamin Netanyahou commence à craindre le poids des menaces, notamment celles que, par votre voix, la France a proférées ; il s'inquiète également des éventuels effets de la prochaine élection américaine. Si ce projet était mis en oeuvre, quelle serait la réaction de la France ? Une solution à deux États serait-elle encore possible ?
Pour le dire en quelques mots, la Méditerranée ne va pas très bien - c'est le moins que l'on puisse dire -, singulièrement dans sa partie orientale.
Je suis très heureux d'avoir été invité à poursuivre ma mission à la tête de la diplomatie française, et de pouvoir continuer d'avoir avec votre commission, comme c'est le cas depuis plus de huit ans, des relations de confiance totale et des échanges très fructueux.
Sur la pandémie de covid-19, je dois vous faire part de ma préoccupation : nous vivons, nous, Français, comme si le virus était en train de disparaître définitivement ; or, au niveau mondial, c'est-à-dire au niveau qui relève de ma responsabilité, la pandémie connaît une phase d'accélération. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'a signalé à plusieurs reprises. Le bilan global dépasse aujourd'hui les 11,5 millions de cas et les 535 000 décès, soit plus de 1 million de cas et 20 000 décès supplémentaires en une semaine.
La pandémie a désormais pour épicentres les Amériques, l'Amérique du Sud en particulier, ainsi que l'Asie du Sud. Dans le même temps, des autorités sont amenées à remettre en place des mesures restrictives concernant des centaines de milliers de personnes, en Australie, en Inde, en Afrique, en Espagne, en Allemagne. Ces sujets exigent des mesures de coordination au niveau européen. Je suis de près la question des frontières ; nous avons progressivement rétabli, depuis le 15 juin dernier, la liberté de circulation dans l'espace européen, en faisant preuve néanmoins d'une grande vigilance. Nous avons aussi mis en oeuvre un dispositif européen d'identification des pays avec lesquels il est possible de se mettre d'accord sur une réouverture des frontières. Nous avons sélectionné 14 pays avec lesquels nous avons désormais des relations ouvertes, sous réserve de réciprocité et de maintien d'un taux d'incidence faible, la situation étant revue tous les quinze jours en tenant compte d'un certain nombre de critères.
Concernant le Royaume-Uni, l'obligation de quarantaine sera levée après-demain pour les voyageurs en provenance d'une cinquantaine de pays, dont la France, ce qui devrait améliorer notre attractivité touristique auprès des ressortissants britanniques.
Un conseil restreint de défense sanitaire est organisé très régulièrement autour du Président de la République. La dernière audition que j'ai eue avec vous était essentiellement centrée sur la pandémie ; je ne m'y attarde donc pas plus longuement.
J'en viens aux sujets sur lesquels vous m'avez interrogé.
Concernant la Libye, je voudrais commencer par dire quelques mots sur les propos de certains commentateurs qui, à défaut de bien connaître l'histoire, prétendent que la France aurait choisi le camp du maréchal Haftar. Déroulons le fil de l'histoire : des élections ont eu lieu à l'été 2014. Une chambre des représentants, le Parlement de Tobrouk, a été reconnue fin 2015 par l'accord de Skhirat, sa légalité étant entérinée par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est ce parlement qui a validé l'unification progressive, entre 2011 et 2014, de l'Armée nationale libyenne, regroupant plusieurs forces non islamistes autour de M. Khalifa Haftar, nommé le 24 février 2015 commandant général des forces armées arabes libyennes - sa nomination, émanant d'un pouvoir parlementaire légitime, est donc elle-même légitime. L'objectif principal de l'Armée nationale libyenne était bien, à ce moment-là, de lutter contre Daech. À l'époque, nous appuyions cette armée internationalement reconnue pour son combat contre Daech, non pas par des soutiens militaires actifs, mais par un soutien politique. Nous étions en 2014-2015 : Daech attaquait la France sur son territoire, et ses forces occupaient plusieurs villes libyennes, comme Benghazi. Ce n'est qu'à partir du début de l'année 2019 que la guerre a changé de nature : les forces de l'Armée nationale libyenne ne se sont plus mobilisées pour combattre le terrorisme, mais se sont organisées militairement dans un combat de guerre civile. Il faut mettre toute cette histoire en perspective pour comprendre la relation de la France avec le maréchal Haftar.
Je rappelle également que les accords de Skhirat, en 2015, validaient un gouvernement d'entente nationale coiffé par un pouvoir présidentiel, mais que ce dispositif était prévu pour un an, reconductible. Ensuite sont venues les dérives, et le mandat de Skhirat, qui prévoyait l'adoption d'une nouvelle Constitution, n'a pas été mis en oeuvre.
Tout cela nous amène à une situation aujourd'hui insupportable. La syrianisation de la Libye est réelle et pas uniquement symbolique. Les forces qui soutiennent le gouvernement d'entente nationale du président el-Sarraj sont organisées par les Turcs autour des milices de la région ouest de la Libye. Il s'agit de combattants pro-turcs rémunérés et transportés en avions de la zone d'Idlib pour combattre en Libye, encadrés par des officiers turcs.
De manière postérieure et moins significative, l'Armée nationale libyenne reçoit également le soutien des groupes parallèles dits « forces Wagner », qui sont également des combattants syriens, mais pas du même bord. Ils viennent plutôt de la zone du Nord-Est et sont fournis indirectement par les autorités syriennes officielles et par les Russes.
Une victoire militaire en Libye n'est pas envisageable. Il importe néanmoins que l'Union européenne prenne conscience que la maîtrise de cette partie du nord de l'Afrique sera assurée par des acteurs qui n'ont pas les mêmes normes de sécurité que nous ni les mêmes intérêts. Cette situation réduit considérablement nos marges de manoeuvre stratégiques. Il y a là pour l'Europe des risques en termes de sécurité et de souveraineté, qu'il s'agisse des flux migratoires incontrôlés ou de la menace terroriste. Ce n'est pas acceptable. Nous oeuvrons donc à une solution politique, mais sans l'ingérence de puissances extérieures, comme c'est le cas aujourd'hui.
Seul point de relative satisfaction : les hostilités sont à peu près stabilisées dans la zone de Syrte et de Joufra. Il faudrait pouvoir transformer cette situation de statu quo en processus de trêve, puis de cessez-le-feu. Sur ce point, nous parlons d'une même voix avec nos homologues allemands et italiens. Cette demande de cessez-le-feu s'inscrit dans la suite logique des accords de Berlin validés en janvier dernier, en présence du président Poutine, du président Erdogan, du président Macron, de la chancelière Merkel, du président Sissi, etc.
Autre priorité : avoir une approche européenne de fermeté autour de la mise en oeuvre de l'embargo sur les armes. C'est une condition nécessaire pour mettre fin à toutes les ingérences. Ce point sera examiné lundi à Bruxelles. Nous devons renforcer l'embargo sur les armes, notamment à travers l'opération européenne Irini. Il y va de notre crédibilité. Je n'en dirai pas trop, car cette audition est publique. Nous avons déjà eu l'occasion de dénoncer les manoeuvres de la Turquie en Méditerranée pour permettre la poursuite des violations de l'embargo. Il importe d'obtenir les clarifications sur l'articulation entre les missions de l'OTAN et de l'Union européenne pour le contrôle de l'embargo. Tant que les conditions d'exercice de l'opération Sea Guardian ne sont pas clarifiées, nous nous retirons de l'opération.
Enfin, dernier point, il importe que nous ayons aussi un processus politique pour suivre la mise en oeuvre de l'accord de cessez-le-feu. Nous insistons beaucoup auprès des Nations unies pour que le successeur de M. Ghassan Salamé soit nommé.
Je m'entretiens très régulièrement avec l'ensemble des acteurs libyens : le président el-Sarraj, le maréchal Haftar, le ministre Bachagha, le président Saleh. On essaye de faire avancer les choses, mais c'est parfois une partie de poker menteur.
Vous m'avez interrogé sur le Liban. La prise de conscience du risque d'effondrement est très nettement insuffisante de la part de l'ensemble des partenaires politiques libanais. Des échanges ont eu lieu sur la base du programme de travail proposé par le premier ministre Diab, qu'il s'agisse de la banque centrale libanaise, de la réforme du système électrique, de la gestion des déchets ou de la gouvernance. Après beaucoup d'hésitations de la part de l'autorité libanaise, des discussions se sont engagées avec le Fonds monétaire international (FMI), mais elles viennent de rompre. Tout cela est très préoccupant. La communauté internationale - y compris la partie arabe - réunie en décembre dans le cadre du groupe de soutien des Amis du Liban était tout à fait favorable à un soutien financier significatif en faveur de ce pays, à condition que des réformes soient engagées.
Des manifestations, plutôt sociales que confessionnelles, ont eu lieu à l'automne et ont abouti au départ du premier ministre Hariri. Actuellement, la confrontation est en train de redevenir confessionnelle, avec des risques majeurs de dérives extrêmement préoccupants. Il importe donc que les autorités libanaises mettent en oeuvre le plus vite possible les premières mesures de réorganisation du nouveau modèle économique libanais.
J'ai prévu, à la demande du Président de la République, de me rendre au Liban dans quelques jours pour adresser le message que j''ai transmis précédemment lors des questions d'actualité : il est nécessaire que les autorités libanaises prennent en main leur destin. C'est seulement à partir de ce moment-là que la communauté internationale se mobilisera.
Pour les écoles, deux dispositifs seront mis en place. Le premier concernera les 50 écoles homologuées du Liban liées à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Elles bénéficieront du dispositif financier mis en place dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative. Le deuxième concernera les écoles non homologuées. Le fonds Personnaz permettra d'aider dès cet été certaines écoles chrétiennes non homologuées en raison de leur importance au Moyen-Orient. Je souligne que 61 000 enfants sont inscrits dans l'enseignement français au Liban, soit 15 % de l'ensemble des élèves des établissements français dans le monde.
Sur le Proche-Orient, je ne dirai rien de plus que ce que j'ai dit il y a quelques jours. La pression internationale permet une prise de conscience des risques que représente une intervention d'annexion, quel que soit le périmètre. Comment se sortir d'une telle situation si d'aventure elle tournait mal ? Je me suis entretenu hier en visioconférence avec mes collègues allemand, égyptien et jordanien pour prendre des initiatives visant à rendre encore plus publique la nécessité de ne pas agir et de faire pression sur les autorités israéliennes. Au niveau européen, il n'y a pas unanimité, mais il existe quand même une très forte majorité.
En ce qui concerne l'Iran, je suis très préoccupé du détricotage progressif du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) en réponse à la sortie américaine de l'accord de Vienne en mai 2018. Toutes les mesures qui ont été prises par l'Iran depuis un an nous rapprochent d'une situation de crise et de prolifération nucléaire contre laquelle le JCPOA avait vocation à nous prémunir. Concrètement, cela signifie que le délai de break out, c'est-à-dire le délai nécessaire pour produire assez d'uranium enrichi permettant la fabrication d'une arme nucléaire, se réduit de plus en plus, ce qui est très inquiétant.
Dans cette perspective, nous formons un front uni avec le Royaume-Uni et l'Allemagne. Nous avons affirmé il y a quelques jours dans une déclaration commune que nous conservions l'objectif de préserver le JCPOA et que nous souhaitions que l'Iran revienne au respect de ses obligations. Tout cela fait l'objet de démarches auprès des Iraniens, dans un contexte politique dominé par une majorité beaucoup plus conservatrice et radicale que celle qui soutenait le président Rohani.
L'Irak doit faire face à des défis simultanés : une crise sanitaire avec la recrudescence de l'épidémie de covid-19, une crise économique due à l'effondrement du prix du pétrole, une crise sécuritaire du fait des tensions entre les États-Unis et l'Iran, et une crise interne puisque le précédent gouvernement a démissionné après des mois de manifestations. À cela s'ajoute la résurgence du Daech clandestin.
Le nouveau gouvernement, dirigé par Moustafa al-Kazimi, a été formé en mai, et j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec mon homologue ministre des affaires étrangères. Nous souhaitons aider les autorités irakiennes à réaliser les réformes nécessaires pour répondre à ces crises multiples. C'est un souci majeur pour la France qui peut jouer un rôle très important et bénéficie de longue date de la confiance des autorités irakiennes. Les préoccupations fondamentales concernent la poursuite de la lutte contre Daech, le redressement du pays, en évitant que celui-ci ne se retrouve « coincé » dans un affrontement entre l'Iran et les États-Unis, et la préservation de la souveraineté de l'Irak. Il convient d'affermir l'autorité du premier ministre et de l'État dans une dynamique inclusive, tenant compte des communautés chiite, sunnite, chrétienne et kurde.
Notre collègue Alain Milon a déploré aujourd'hui, lors de la séance publique, l'affaissement de la vigilance concernant l'épidémie de covid-19, notamment dans les aéroports. Lorsque les voyageurs atterrissent à Roissy, ils ne sont soumis à aucun contrôle. C'est inquiétant !
Ne pensez-vous pas que les Turcs regrettent leur ingérence en Libye ? Ankara s'attendait-il à une telle inertie de la part de son allié libyen ? J'en veux pour preuves le refus des groupes armés contrôlés de se joindre à la bataille et le fait que les autorités de Tripoli soient peu enclines à accélérer l'offensive contre l'Armée nationale libyenne.
Ma question porte sur le partage des ressources en Méditerranée. Exclue du marché unique du gaz, la Turquie entend créer son propre gazoduc, TurkStream, et mène des opérations navales visant à empêcher l'exploitation par les puissances européennes des gisements gaziers en Méditerranée. Elle soutient Fayez el-Sarraj en Libye en échange d'accords territoriaux avantageux, qui ont pour effet inverse de léser les ressources gazières grecques. Une des solutions politiques au conflit libyen ne réside-t-elle pas dans un accord gazier mutuellement avantageux entre l'Union européenne et la Turquie ? Serait-il possible, par exemple, d'intégrer la Turquie au marché gazier regroupant la Grèce, l'Italie, Chypre, l'Égypte, Israël, la Jordanie et la Palestine ? Pensez-vous que la Turquie soit prête à accepter une réunification de l'île de Chypre aux dépens de ses revendications gazières ?
La position française sur la Libye n'est-elle pas insuffisamment soutenue par l'Union européenne et par l'OTAN ? Le gouvernement de Fayez el-Sarraj serait infiltré par des djihadistes. Qu'en est-il, selon vous, sachant qu'au début de la crise libyenne, les deux objectifs poursuivis étaient d'éviter les flux migratoires et la montée de l'islamisme ? Ne craignez-vous pas que la Russie et la Turquie passent un accord sur notre dos ou celui de la communauté internationale pour parvenir à une partition du territoire libyen ?
Le problème du contrôle sanitaire dans les aéroports n'est pas nouveau. Ce laisser-aller dure depuis quatre mois !
Le 30 avril, vous nous annonciez un plan de soutien aux Français de l'étranger prévoyant, notamment, 50 millions d'euros destinés à aider nos compatriotes touchés financièrement par la crise. La semaine dernière, le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne nous déclarait que seuls 2 700 de nos concitoyens vivant à l'étranger avaient pu bénéficier de l'aide d'urgence, pour un total d'à peine 390 000 euros, soit moins de 1 % de l'enveloppe prévue. La déception est immense dans ce domaine. Le problème est lié aux critères d'attribution définis par l'administration. Accepteriez-vous une réunion d'urgence de votre cabinet avec les parlementaires des Français de l'étranger sur cette question ? Votre volontarisme ne se concrétise pas sur le terrain ; or l'urgence est là.
Pour ce qui concerne la mise en application du projet de loi chinois de « protection de la sécurité nationale » à Hong Kong, le Royaume-Uni a annoncé un chemin d'accès à la nationalité britannique pour près de 3 millions de Hongkongais. Les arrestations des défenseurs des droits de l'homme se multiplient en Chine. Quelle est la réaction de la France à cette décision de Pékin ?
Les amis du Liban que nous sommes éprouvent une grande inquiétude et un sentiment de gâchis. Des démarches de diplomatie parlementaire coordonnées seraient-elles pertinentes pour soutenir votre action dans ce pays ?
On dénombre des bases militaires turques, outre en Libye, au Soudan, en Irak, au Qatar, en Somalie et en Albanie... D'aucuns parlent d'une volonté de reconstituer l'Empire ottoman. Avec l'accord de certains États, les Turcs semblent vouloir imposer leur autorité sur la Méditerranée orientale. Quelle est votre analyse ?
Monsieur Bockel, je vais me rendre au Liban, mais pas pour négocier avec les autorités libanaises, car c'est à elles de prendre leurs responsabilités en cette période de crise. J'assurerai nos compatriotes vivant dans ce pays de notre soutien et de notre présence, notamment dans le domaine éducatif. En l'occurrence, la diplomatie parlementaire peut être une démarche positive, mais il faudra respecter les normes sanitaires lors de vos déplacements.
Monsieur Cigolotti, je n'ai pas eu le sentiment que la Turquie regrettait son action sur le territoire libyen. J'observe que les capacités militaires se renforcent de façon significative. Il s'agit aussi de prendre en considération les voisins de la Libye. Avec l'Égypte, les relations de la Turquie ne sont pas très conviviales. Il n'est pas certain que les Tunisiens ou les Algériens apprécieraient la présence à leurs frontières des successeurs de l'Empire ottoman, dont se revendique le président Erdogan. Ces interrogations peuvent être partagées par les milices installées dans la zone de Tripoli. Le message de la France est qu'il ne saurait y avoir de solution militaire, sauf au détriment des acteurs concernés.
Monsieur Vaugrenard, l'hypothèse d'un accord russo-turc sur notre dos ne serait pas à exclure si la communauté internationale se montrait incapable de résoudre la crise et d'aider les différents acteurs à trouver une solution politique. Nous agissons pour que tel ne soit pas le cas. Par ailleurs je ne suis pas certain que la population libyenne accepterait volontiers une partition du territoire.
Il peut y avoir des résurgences de Daech au sud de la Libye, voire même à Derna. Il est vraisemblable que les forces militaires syriennes accompagnant les manoeuvres de la présence turque soient infiltrées par d'anciens responsables de groupes djihadistes qui soutenaient les Turcs à Idlib. Ces militaires rentreront-ils en Syrie ? On ne le sait pas. Nous parlons de milliers de soldats, tout cela à 200 kilomètres de Lampedusa. La situation est extrêmement préoccupante, d'où la nécessité d'agir ensemble pour aboutir à une solution.
Sur le plan économique, celui qui prend Syrte et Koufra a la maîtrise du croissant pétrolier ; cela semble être le cas de l'Armée nationale libyenne. Nous agissons auprès d'elle pour que soient levés les blocages pétroliers et que les ressources financières liées au pétrole soient stockées dans des banques relais, et espérons aboutir à des solutions acceptables par tous. Cette bataille est essentielle.
Revenons à nos relations avec la Turquie. Nous avons en la matière besoin de clarification : sur le non-respect par la Turquie des accords de Berlin sur la Libye, notamment sur le non-respect de l'embargo sur les armes - les preuves sont impressionnantes - ; sur les zones nord-est et nord-ouest de la Syrie ; et sur l'utilisation des ressources gazières en Méditerranée orientale.
Ce dernier sujet comporte deux aspects. D'une part, la Turquie ne reconnaît pas la convention de Montego Bay sur le droit de la mer alors que tous les pays de l'Union européenne l'ont fait.
Nous avons eu droit, à ce sujet, à une longue explication de l'ambassadeur turc, avec une comparaison avec Saint-Pierre-et-Miquelon...
D'autre part, la Turquie a un accord avec le gouvernement d'entente nationale de Libye, dont la légitimité internationale est relative, sur la délimitation des frontières maritimes.
Par conséquent, la République de Chypre et la Grèce sont inquiètes. La Turquie a réalisé des forages en mer, au sud de Chypre, dans les zones 7 et 8, que la Turquie considère comme relevant de son domaine économique maritime, et elle a annoncé des forages au large de la Crète, en violation du droit international maritime. Nous réagissons fortement contre cela et, sans entrer dans les détails, nous allons prendre des initiatives. Du reste, nous en avons déjà pris, notamment au Caire, avec mes homologues égyptien, chypriote, grec et italien, afin de définir une position commune sur cette zone. On pourrait commencer à avoir des ouvertures sur ce sujet, mais la balle est dans le camp de la Turquie. Cette question peut entraîner des tensions majeures ; il faut donc discuter.
Bref, cela fait beaucoup, sans compter l'intervention au nord de l'Irak...
Face à une crise si grave entre pays membres de l'OTAN, quelle est la stratégie du Président de la République ? Peut-on imaginer une discussion entre chefs d'État ou une conférence internationale ? Le Président de la République a indiqué que l'OTAN devait clarifier la situation, mais cet organisme ne le fera jamais. Une initiative doit avoir lieu pour éviter toute escalade, d'incident en incident. L'ambassadeur turc nous a laissés entendre que cela continuerait tant qu'on ne reconnaîtrait pas le droit de ce pays à disposer de sa zone économique exclusive.
Ce qui est certain, c'est que le renforcement de la présence turque en Libye entraîne le renforcement de la présence russe dans ce pays. Nous affirmons que le règlement de la question libyenne doit se faire hors de toute présence étrangère. C'est du reste ce que nous avions déjà dit lors de nos discussions à Berlin. Tous les pays étaient représentés, nous avions conclu avec un texte commun comportant des engagements clairs - ce n'étaient pas des paroles en l'air -, mais ces engagements ne sont pas respectés. Il faut retrouver l'esprit de cette réunion, car les bases de cet accord sont bonnes. En particulier, il faut respecter l'embargo sur les armes. Notre constat sur l'intervention turque à l'égard de notre frégate Courbet a alerté nos partenaires et nous avons pris la décision de nous retirer de l'opération de l'OTAN tant qu'il n'y aurait pas de clarification.
La prise de conscience de l'Union européenne a bien lieu. Il était important que les trois pays les plus impliqués en Libye - Italie, Allemagne, France - parlent d'une seule voix. Nous sommes tous les trois très clairs les uns avec les autres, nous avons le même discours à l'égard des Libyens, ce qui n'a pas toujours été le cas. L'insouciance de l'Union européenne s'atténue, on prend conscience de la gravité de la situation.
Monsieur Cadic, sur Hong Kong, nous n'allons pas rester inactifs. Nous envisageons des mesures et nous essaierons de le faire de manière coordonnée. Il y a effectivement une rupture par rapport à la loi fondamentale de 1997 et au principe « un pays, deux systèmes » et cela peut affecter nos ressortissants.
M. del Picchia vous a envoyé un courrier sur le sujet de l'aide sociale à nos compatriotes.
Il y a le problème des bourses et celui de l'aide sociale.
Il faudrait organiser une réunion entre votre cabinet et les sénateurs représentant les Français de l'étranger, car il y a un décalage entre votre volontarisme - nous sommes convaincus de votre bonne foi - et ce qui se passe sur le terrain.
Nous avons des critères d'attribution, qui nous semblaient suffire, pour les bourses et l'aide sociale, mais je suivrai ce sujet de près.
Quant aux tests de la covid 19, un Français ou un résident en France qui revient de tel ou tel pays considéré comme rouge doit obligatoirement faire une quatorzaine, mais celle-ci est volontaire, car il serait trop compliqué de le faire dans des hôtels. Cela vaut pour les Français et les résidents, les autres ne rentrent pas. Nous réfléchissons à la question des tests, mais c'est difficile, car il faudrait le faire au départ. Il y a quatorze pays pour lesquels l'accueil est ouvert, y compris l'Espagne - sauf pour la Catalogne - et nous réviserons la liste en tant que de besoin.
La question portait surtout sur l'arrivée à Roissy, hub important. À l'arrivée, personne n'est contrôlé, tout le monde débarque librement.
J'aimerais que vous nous parliez des relations entre la France et l'Algérie.
Nos relations avec ce pays sont bonnes et fondées sur la confiance.
Le président Larcher a souhaité que l'on prenne des initiatives parlementaires pour renforcer nos relations avec ce pays.
Nous avons restitué des restes humains identifiés datant de la colonisation. Cela a entraîné une intervention très positive du président algérien. Nous allons réunir prochainement le comité interministériel de haut niveau, sous la présidence des deux premiers ministres.
La Méditerranée cumule un nombre impressionnant de crises. Nous ne pouvons plus voyager, mais nous avons soulevé un nombre important de questions que nous allons suivre de près.
Nous voulons profiter de cette audition pour vous offrir, afin de célébrer votre positionnement comme numéro 2 du Gouvernement, une version imprimée de notre rapport franco-russe, qui fait un état précis de nos relations avec la Russie. Le Président de la République avait demandé une révision de nos relations avec ce pays aux ambassadeurs.
Nous apportons cette contribution importante. Le rapport français est traduit en russe et le rapport russe est traduit en français, avec des commentaires croisés.
C'est intéressant, je vous en remercie.
La réunion est close à 18 h 20.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.