Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Après une commission mixte paritaire non conclusive, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Ce texte sera examiné demain après-midi en séance publique. Notre rapporteur nous propose d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
La situation de notre pays, du point de vue de l'épidémie, est incertaine. En comparant les chiffres des semaines précédant le reconfinement du 30 octobre 2020 et ceux des quinze derniers jours, je comprends que le Président de la République n'ait pas procédé à un nouveau reconfinement. Nous sommes pourtant sur le fil du rasoir, certains indicateurs étant plus mauvais qu'en octobre, d'autres voisins et d'autres encore meilleurs. Toutefois, nous n'assistons pas à une explosion des contaminations aussi forte qu'en octobre dernier.
Dans la semaine qui a précédé le reconfinement d'octobre, la hausse des nouveaux cas détectés était de 54 %, contre 9 % la semaine dernière, soit 141 000 nouveaux cas, contre 263 000 en octobre. La situation est, à cet égard, préoccupante, mais éloignée de ce qu'elle était en octobre dernier. De même, les nouvelles hospitalisations étaient passées, entre les semaines 42 et 43, de 7 530 à 12 176, soit une hausse de 62 %, tandis qu'elles ont augmenté de 16 % entre la deuxième et la troisième semaine de janvier, passant de 9 631 à 11 155. L'augmentation est donc moins rapide, même si le niveau reste très élevé. De même, les admissions en réanimation sont passées de 1 418 à 1 706 entre les deux semaines de janvier, contre une progression de 1 343 à 1 816 avant le confinement. La hausse est donc légèrement inférieure quoique presque égale en valeur absolue. Quant aux décès, la situation est bien plus grave qu'avant le reconfinement. Quelque 2 567 décès ont eu lieu la troisième semaine de janvier, contre 1 318 à la veille du reconfinement.
La situation est donc contrastée et ne donne pas le sentiment d'une flambée comme celle que la France a connue fin octobre, mais elle montre un très haut niveau de contaminations, tandis que l'appareil hospitalier est très fortement sollicité.
Il me semble que cela justifie la position du Sénat de ne pas refuser la reconduite des pouvoirs exceptionnels que nous avions déjà accordés au Gouvernement, tout en étant très prudents sur un éventuel reconfinement, que nous ne pouvons accepter sans que l'on inscrive dans la loi que sa prolongation, au-delà d'un mois, devra être autorisée par la loi.
Nous avons abordé la commission mixte paritaire (CMP) dans cet état d'esprit, mais n'avons pas obtenu satisfaction. Certes, la majorité gouvernementale a fait un pas, acceptant le report de la CMP en fin d'après-midi, parce que le Premier ministre avait convoqué les présidents des assemblées ainsi que les présidents de groupes politiques pour discuter de la situation sanitaire. À cette occasion, le Président du Sénat et le président du principal groupe du Sénat, ainsi que plusieurs autres présidents de groupes, ont demandé le renforcement du contrôle du Parlement sur l'exercice des pouvoirs exceptionnels. Le Premier ministre a bien voulu proposer le recours à l'article 50-1 de la Constitution qui prévoit un débat du Parlement sur une déclaration du Premier ministre, assorti éventuellement d'un vote. Et le soir, en CMP, c'est la proposition qui nous a été opposée pour tenir en échec la disposition législative que nous voulions adopter. Nous souhaitions une entente entre le Sénat et l'Assemblée nationale, mais un débat sur une sorte de déclaration de politique sanitaire générale, suivi d'un vote, ne vaut pas une loi !
À l'automne déjà, une disposition analogue, que nous avions ciselée ensemble, avait été refusée. Je me méfie de ces débats avec vote par lesquels les gouvernements tentent de faire cautionner l'ensemble de leur politique dans un domaine donné. L'interprétation du vote, dont la force juridique est nulle, risque, à l'instar de celle d'un référendum, d'être ambiguë. J'avoue n'avoir pas compris l'obstination du Gouvernement à refuser un vrai contrôle parlementaire sur ses pouvoirs exceptionnels quand ils sont portés à leur point culminant.
Nous avons donc échoué à nous entendre et nous sommes revenus bredouilles. Devons-nous alors adopter de nouveau le projet de loi en y réintroduisant l'ensemble des dispositions que nous y avions insérées, ou bien devons-nous prendre acte qu'il n'y a pas d'accord possible et rejeter, par une motion tendant à opposer la question préalable, purement et simplement le texte de l'Assemblée nationale, cette dernière n'ayant que très partiellement tenu compte des apports du Sénat ? Après avoir hésité, je vous propose cette dernière solution.
Je me souviens qu'en octobre, quelques jours avant l'annonce du couvre-feu, vous étiez aussi assez optimiste. La difficulté n'est pas simplement l'évolution des chiffres, mais plutôt la propagation des variants. Cela rend difficiles les comparaisons et les décisions. La décision prise, la semaine dernière, de fermeture des frontières est plus politique que sanitaire. En tant que sénateur des Français de l'étranger, cette question me touche particulièrement et je regrette que nous n'ayons pas mis en place certains garde-fous dans les textes précédents. Aujourd'hui, un certain nombre de Français ne peuvent plus rentrer en France ou ne peuvent plus en sortir. De ce point de vue, monsieur le rapporteur, j'aimerais savoir où trouver les décisions du Conseil d'État relatives à ces contentieux. C'était d'ailleurs l'objet de notre amendement, en première lecture. Il n'est pas possible d'accéder à ces décisions que nous ne connaissons que parce que les requérants nous les ont envoyées. Il est dommage que, parce que nous n'avons pas vu ces décisions, le Gouvernement persévère dans cette voie.
Lors de la CMP, j'ai eu le sentiment, à la différence des fois précédentes, que les députés de la majorité présidentielle avaient l'envie de partager avec nous les décisions. Sans en avoir discuté avec mon groupe, à titre personnel donc et compte tenu de notre demande d'un débat au Parlement - légitime en ce qu'il est question de la liberté des Français -, il me semble paradoxal d'opposer une question préalable alors que nous pourrions peut-être obtenir quelques concessions.
Monsieur le rapporteur, je suis tout à fait d'accord avec votre proposition de question préalable, le groupe de l'Union centriste aussi. Par un chemin quelque peu différent, je suis arrivé aux mêmes conclusions que vous.
Je n'étais pas favorable à l'état d'urgence sanitaire la semaine dernière car, dans l'équilibre entre libertés et mesures sanitaires, les mesures restrictives de libertés vont beaucoup trop loin, notamment par leur systématisation. Il s'agit ainsi, en cinq ans et demi, de la douzième décision d'état d'urgence... Je rejoins votre analyse quant à l'article 50-1 qui ne remplace pas une décision normative. Le vote du Parlement me paraît nécessaire sur une mesure de confinement et non pas seulement sur une déclaration de politique générale.
Par ailleurs, au début de l'épidémie, l'état d'urgence sanitaire ne se justifiait que par la perspective du confinement, car le code la santé publique permet déjà de prendre des mesures restrictives de libertés à des fins sanitaires. Je crois que le confinement comme l'état d'urgence sanitaire nécessitent discussion et accord du Parlement. Je suis extrêmement réservé quant à cette systématisation de l'état d'urgence et au refus de dissocier ce dernier du confinement.
Nos citoyens oscillent entre résignation et exaspération, mais je crains que cette dernière ne prenne le dessus. En d'autres mots, notre société est devenue une vraie cocotte-minute. Refuser de partager la décision avec le Parlement constitue une erreur du Gouvernement, car cela renforcerait l'acceptabilité des mesures. Je rejoins donc la position du rapporteur.
J'aimerais livrer quelques réflexions relatives aux soignants qui sont fatigués face à un virus déroutant. Les variants ne sont pas forcément plus dangereux, mais plus contagieux. Des progrès ont été réalisés dans les traitements et les séjours en réanimation sont moins longs qu'au début de la pandémie. En revanche, des services hospitaliers ferment faute de soignants, beaucoup de ces derniers étant malades et la vaccination n'étant systématique que pour les soignants de plus de 50 ans. Les hôpitaux se préparent à la troisième vague et les programmes opératoires sont arrêtés pour libérer des places de réanimation.
Je veux vous alerter sur le « stock » de patients, sachant que des patients âgés dont l'opération pour une prothèse de hanche ou de genoux est repoussée d'un an se retrouvent dans un bien moins bon état, dans la mesure où ces patients souffrent déjà souvent de comorbidités. Les suites opératoires seront d'autant plus compliquées. Je souhaite également vous alerter sur l'aspect symbolique d'un simple couvre-feu qui peut donner l'impression, comme le titre un journal de Saône-et-Loire, que rien ne change et conduire à sous-estimer la menace sanitaire. Enfin, la situation est d'autant plus compliquée pour les soignants que la couverture vaccinale n'est pas assurée, du fait de l'absence de deuxième dose. Nous ne sommes donc pas tirés d'affaire.
Nous voulions, lors des CMP précédentes, renforcer le rôle du Parlement dans le contrôle de cet état d'exception. À cet égard, cette question préalable pourrait être perçue comme un paradoxe en ce qu'elle éviterait de débattre. En outre, je ne voudrais pas qu'elle soit uniquement vue comme une réponse à une forme de lassitude devant la surdité de la majorité présidentielle. Il faut toujours débattre et toujours proposer, bien que nous n'ayons que peu d'illusions sur l'issue de nos propositions. C'est pourquoi, sans avoir consulté mon groupe, je trouve dommage d'adopter cette question préalable qui nous ôte la possibilité de débattre.
L'épisode de la semaine dernière est problématique. Le Premier ministre a réuni les présidents de groupe et les présidents des assemblées pour leur faire état d'une situation sanitaire très inquiétante et leur annoncer un débat suivi d'un vote. Mais le lendemain, ses annonces étaient contraires à ce qu'il nous avait dit la veille ! Ce n'est pas acceptable. J'en viens même, en tant que présidente de groupe, à réfléchir à notre prochaine participation à une telle réunion. Le Parlement, et tout particulièrement le Sénat, sont considérés comme des figurants.
Concernant la question préalable, il faudrait être clair sur ses motivations profondes. Notre groupe n'a pas voté l'état d'urgence et j'ignore encore quelle sera notre position sur cette motion.
Notre rapporteur et les sénateurs membres de la CMP n'ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de trouver un accord avec les députés : suspension de séance, discussions, nouvelles propositions, etc. Le point d'achoppement était que nous estimions que le Parlement devait se prononcer sur tout prolongement d'un éventuel confinement au-delà d'un mois. Lorsqu'il s'agit de la liberté des Français, force doit rester à la loi. Nous sommes restés fermes sur ce point. C'est le problème de fond, le Parlement est le gardien des libertés individuelles. Il nous semble donc vain d'avoir un nouveau débat au terme duquel nous ne serons pas entendus. Il me semble mieux de redire les choses clairement et d'expliquer pourquoi la discussion, dans ces conditions, ne peut aboutir. Certes, l'Assemblée nationale a accepté quelques mesures que nous avions votées, mais nous ne pouvons accepter que la représentation nationale soit dessaisie lorsqu'il s'agit de maintenir les Français chez eux et de les priver de liberté.
La motion COM-11 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
Les amendements deviennent sans objet.
Il résulte de la décision de déposer une motion que nous n'adopterons pas de texte en commission. Dès lors, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Les amendements qui avaient été déposés pourront l'être de nouveau en vue de la séance publique.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
La réunion est close à 14h35.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :