Commission des affaires européennes

Réunion du 31 mars 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous avons pu entendre hier Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur, au cours d'une longue audition rassemblant trois commissions. Nous avons parlé avec lui autonomie stratégique, politique industrielle et production de vaccins. Il a confirmé que l'Union européenne pourrait assurer son immunité collective mi-juillet car elle aura de quoi vacciner 70 % des Européens. Il a fait observer qu'elle était d'ores et déjà le premier producteur de vaccins au monde - elle en a produit 180 millions de doses - et avait mobilisé 53 usines sur son sol qui montaient en puissance. Il a indiqué que, contrairement aux États-Unis, l'Union européenne avait exporté 40 % de sa production de vaccins pour contribuer à la lutte contre la pandémie car cette lutte ne saurait qu'être mondiale. Enfin, il entend à présent doter l'Union d'une force de recherche et développement aussi puissante que la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) américaine.

Notre réunion va nous permettre de creuser le sujet qui est au centre de l'agenda politique cette semaine : nous traversons de fait une passe critique, où la vaccination n'arrive pas à aller aussi vite que le virus et ne parvient pas à en freiner la course, au risque de devoir imposer un nouveau confinement à notre pays. Nous serons fixés ce soir.

Aussi, c'est avec le plus grand intérêt que nous allons entendre nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey sur la stratégie vaccinale de l'Union européenne : l'Union européenne est-elle la cause de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui ? Nous avons besoin d'informations précises pour répondre à cette question qui nous taraude tous. À cet égard, j'attire votre attention sur le dernier numéro des « Actualités européennes » que notre commission publie et qui donne des éléments objectifs d'information sur le sujet : chacun d'entre vous l'a reçu sous forme électronique et en format papier.

Nous pourrons ensuite évoquer la proposition de texte qu'a publiée la Commission pour établir un certificat - et non un passeport - vert destiné à restaurer la libre circulation au sein de l'Union européenne : nos deux rapporteures nous soumettront une proposition de résolution européenne afin de nous positionner sur ce sujet qui devrait faire l'objet d'une négociation européenne rapide, puisque l'ambition est de rendre le certificat opérant avant l'été. Je les remercie pour le travail qu'elles ont effectué et leur cède la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Aujourd'hui, nous allons tout d'abord vous présenter une communication sur la stratégie mise en oeuvre par l'Union européenne pour développer, acquérir et déployer des vaccins contre la covid-19. Puis, nous vous proposerons d'adopter une proposition de résolution et un avis politique sur le « certificat vert numérique », Thierry Breton refusant le terme de passeport, que la Commission européenne souhaite créer.

L'Union européenne a souvent été mise en cause et désignée comme responsable des nombreuses difficultés que nous rencontrons aujourd'hui avec la vaccination. Comme nous suivons ces questions depuis un certain temps, il nous apparaissait dès lors nécessaire d'établir les faits tels qu'ils sont pour permettre à chacun de se positionner face à l'euroscepticisme ambiant, qui nous heurte. La rigueur scientifique et l'honnêteté intellectuelle sont requises pour pouvoir ensuite se faire librement une opinion.

Tout d'abord, on constate une vraie implication de l'Union européenne : elle a investi 350 millions d'euros dans la recherche et garanti à hauteur de 400 millions d'euros des prêts accordés par la Banque européenne d'investissement. Les sociétés BioNTech et CureVac ont bénéficié de ces prêts. L'Union européenne a donc bien soutenu la recherche et ce, dès le mois de février 2020. Toutefois, il faut reconnaître que les budgets alloués restent modestes si on les compare à ceux observés aux États-Unis, où Moderna a reçu à lui seul un milliard de dollars de subventions pour la recherche. J'ai interrogé hier Thierry Breton sur ce point.

Ensuite, l'Union, comme les États-Unis ou Israël, a eu recours à des contrats d'achats anticipés. En échange du droit d'acheter un nombre défini de doses de vaccins dans un délai donné et à un prix donné, l'acheteur verse une avance aux entreprises pharmaceutiques, destinée à couvrir une partie des coûts initiaux liés au développement et à la production de masse du vaccin. Les contrats signés par la Commission prévoient bien qu'elle pourra réaliser des audits sur pièce et sur place pour vérifier comment sont utilisées les avances versées. Ces contrats sont conclus avant que les vaccins ne soient finalisés et il existe donc un risque que ces avances soient perdues si le vaccin développé n'est pas sûr et efficace. Dans le cas contraire, si leur mise sur le marché est autorisée, ces avances sont déduites du prix de vente.

Sur ce sujet, il est important de souligner que l'action de l'Union a permis d'éviter une concurrence entre États membres pour l'acquisition de vaccins et que la responsabilité de l'Union se limite à la passation des marchés.

Recourir à des contrats d'achats anticipés négociés par la Commission européenne se justifie pleinement au nom de la solidarité entre États membres : l'objectif est que tous les États membres aient accès au vaccin. On compare régulièrement les politiques de l'Union européenne et des États-Unis en ce qui concerne l'achat de vaccins : imaginons une telle comparaison, mais entre État membre et État membre... Rappelons qu'en mai dernier, le directeur général de Sanofi estimait devoir réserver prioritairement aux États-Unis l'accès à un éventuel vaccin, au motif que les États-Unis partageaient davantage les risques liés à la recherche et au développement avec les entreprises pharmaceutiques. À la suite de cette déclaration, et pour garantir l'accès aux vaccins le plus rapidement possible, quatre États membres - l'Allemagne, la France, l'Italie et les Pays-Bas - réunis dans « l'Alliance européenne pour des vaccins inclusifs » ont annoncé, le 13 juin 2020, avoir signé un accord avec l'entreprise AstraZeneca pour garantir la fourniture à l'Union de 300 millions de doses d'un éventuel futur vaccin contre le coronavirus. Soucieuse de maximiser la solidarité et l'équité entre les États membres, la Commission a alors publié, le 17 juin 2020, une communication présentant la stratégie de l'Union pour assurer un approvisionnement suffisant des États membres en vaccins au moyen de contrats d'achat anticipé conclus avec des producteurs de vaccins. Dès lors, le contrat avec AstraZeneca fut signé par la Commission comme tous les autres contrats.

Celle-ci mobilisa 2,7 milliards d'euros via l'instrument d'aide d'urgence, dont les fonds sont prélevés sur le budget de l'Union pour conclure des contrats d'achats anticipés avec cinq autres entreprises pharmaceutiques : BioNTech-Pfizer, Moderna, Sanofi-GSK, CureVac et Johnson&Johnson. L'objectif pour la Commission était de maximiser la solidarité et l'équité entre les États membres. Il est prévu que les doses commandées soient attribuées aux États membres au prorata de leur population. Un débat est en cours à ce sujet, notamment pour favoriser les États les plus touchés. La vaccination a pu débuter dans l'ensemble des États membres au même moment, entre le 27 et le 29 décembre 2020. Si chaque État membre avait négocié séparément, il n'est pas certain que chacun aurait pu acquérir des doses de vaccin.

Cette avancée importante a été obtenue alors que c'était une première pour l'Union européenne qui, rappelons-le, ne dispose pas de compétences en matière de santé. Notons aussi que, dans le cadre des contrats d'achats anticipés, les compétences des États membres ont été respectées. Certes, ceux-ci se sont engagés à ne pas lancer leurs propres procédures d'achats anticipés de vaccins en négociant avec des entreprises déjà en négociation avec la Commission. Toutefois, ils restent libres de contracter ou non via la Commission : lorsque la Commission souhaite signer un contrat avec une entreprise pharmaceutique, celui-ci est notifié aux États membres qui disposent de cinq jours pour éventuellement indiquer à la Commission qu'ils ne souhaitent pas prendre part à ce contrat. En outre, les États membres sont associés aux négociations. Un comité de pilotage où chaque État membre est représenté assiste la Commission dans le choix des candidats vaccins qui pourront être financés. Un contrat ne peut être approuvé qu'avec l'accord de quatre États membres au moins. Les négociations, elles, sont menées par la Commission, assistée de représentants de sept États membres, parmi lesquels la France.

Enfin, ce sont les États membres qui commandent, acquièrent et règlent les doses de vaccins auprès des producteurs. Ils doivent préciser un seul et unique lieu de livraison à chaque entreprise. Ce sont ensuite les États membres qui sont responsables du déploiement de ces vaccins sur leur territoire et qui décident quel public doit être vacciné en priorité. Il ne faudrait donc pas imputer à la Commission européenne des manquements nationaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Toutefois, il apparaît clairement aujourd'hui que l'Union européenne a commis des erreurs dans l'élaboration de sa stratégie vaccinale.

Tout d'abord, les États-Unis ont investi dès le début de la pandémie des montants plus importants pour s'assurer de disposer d'un maximum de doses dans les plus brefs délais. Quand les États-Unis investissaient 10 milliards de dollars dans la recherche et le développement de vaccins dans le cadre de l'opération Warp speed, l'Union européenne mobilisait un budget moindre, correspondant à environ un tiers de cette somme, avec 750 millions d'euros pour la recherche et 2,7 milliards d'euros pour les contrats d'achats anticipés. Plus frileuse, l'Union européenne a aussi été plus lente : les États membres et l'Union européenne n'ont proposé des financements aux entreprises pharmaceutiques dans le cadre de contrats d'achats anticipés qu'au mois de juin 2020, alors que les accords de la Barda, agence chargée de la biodéfense aux États-Unis, avec Johnson&Johnson datent du 11 février 2020, et ceux avec Sanofi-GSK du 18 février 2020. Les États membres avaient pourtant la possibilité de renforcer l'instrument d'aide d'urgence mais ils ne l'ont fait qu'en 2021 et à hauteur de 750 millions d'euros seulement.

De plus, la communication de la Commission du 17 juin 2020 précisait les critères de sélection des candidats-vaccins pour la conclusion d'un contrat d'achat anticipé. Il s'agit notamment de la rigueur de l'approche scientifique - en essayant de couvrir les différentes technologies possibles -, de l'état d'avancement des travaux, de la capacité à fournir rapidement et à grande échelle des quantités suffisantes du vaccin, et du prix proposé associé aux avantages offerts en contrepartie du préfinancement octroyé. Il est aujourd'hui reproché à la Commission d'avoir opté en priorité pour des vaccins qui seraient produits sur le territoire de l'Union, comme AstraZeneca ou Sanofi-GSK, au détriment de vaccins plus prometteurs sur le plan scientifique comme Moderna. Ainsi, 300 millions de doses des vaccins AstraZeneca ou Sanofi-GSK ont été commandées contre seulement 80 millions de Moderna. Si l'Union européenne avait préféré miser davantage sur des vaccins produits hors de ses frontières, n'aurait-elle pas aussi essuyé des critiques ? On est toujours très prompt à dire que c'est la faute de l'Union européenne...

Il est également reproché à la Commission de ne pas avoir suffisamment encadré les délais de livraisons ou de ne pas s'être assurée que les entreprises seraient en mesure d'honorer les commandes - ce qui n'est pas si simple ! À ce jour, une seule entreprise pose vraiment des difficultés. Il s'agit d'AstraZeneca, qui ne livrera probablement que 70 à 100 millions des 300 millions de doses négociées pour une livraison complète au 30 juin 2021. Sur cette question, certains estiment que la Commission, à trop vouloir obtenir les prix les plus bas possibles, n'a pas posé de conditions suffisantes pour garantir les délais de livraison. La Commission se justifie en faisant valoir que c'est grâce au nombre plus important de doses commandées que les prix payés par les États membres sont plus faibles. Quoi qu'il en soit, la partie rendue publique du contrat conclu avec AstraZeneca ne permet pas de savoir si la Commission a prévu des pénalités en cas de retard. Toutefois, on peut lire dans le contrat que l'entreprise doit engager l'ensemble des moyens dont elle dispose pour honorer ses engagements. On parle de best reasonable efforts. Cette notion implique, selon le contrat signé entre la Commission et AstraZeneca, la production de vaccins pour l'Union dans des usines situées sur le territoire de l'Union et au Royaume-Uni. Or, selon les autorités britanniques, le contrat signé par AstraZeneca avec le Royaume-Uni contiendrait une clause qui empêche AstraZeneca d'exporter les vaccins produits sur le territoire du Royaume-Uni tant que le marché britannique n'a pas été approvisionné conformément au contrat. Cette question est source de tensions entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Concernant la responsabilité des États membres, et sous réserve d'un certain nombre d'informations qui n'ont pas été rendues publiques, on comprend que les États membres pourraient indemniser les entreprises pharmaceutiques si elles venaient à être condamnées en cas de dommages pour la santé causés à un tiers par le vaccin, ce qui contraindrait les États membres à financer des fonds d'indemnisation. Toutefois, la Commission assure que les entreprises pharmaceutiques restent responsables dans de nombreux cas, selon certaines dispositions prévues par les contrats qui n'ont pas été rendues publiques. Par ailleurs, la vente ou le don de doses achetées en surplus à des États tiers est conditionnée à l'acceptation par ces États des clauses des contrats signés par la Commission, notamment en matière d'indemnisation. Cela peut compliquer la mise à disposition de ces doses dans le cadre du mécanisme Covax destiné à approvisionner en vaccins les États les moins riches.

Voilà ce que nous pouvons dire des contrats conclus par la Commission, sachant que leur évaluation est compliquée par leur confidentialité, demandée par les entreprises pharmaceutiques au nom du secret des affaires.

Autre sujet qui a suscité de nombreuses polémiques : la procédure d'évaluation et d'autorisation de mise sur le marché des vaccins est jugée trop lente. Avant que la Commission n'autorise la mise sur le marché d'un vaccin, celui-ci fait l'objet d'une évaluation par l'Agence européenne des médicaments qui doit s'assurer que ce vaccin est sûr et efficace. Les vaccins ont été évalués selon la procédure prévue à l'article 14 du règlement (CE) n° 726/2004. Celui-ci prévoit qu'une autorisation de mise sur le marché peut être soumise à certaines obligations spécifiques qui sont réévaluées tous les ans. Pour permettre une évaluation plus rapide des demandes, un groupe de travail sur la pandémie de covid-19 a été institué au sein de l'Agence européenne des médicaments pour fournir des avis scientifiques sur les essais cliniques et la mise au point des produits. Enfin, alors que dans le cadre d'une procédure d'évaluation classique, l'ensemble des données relatives à la qualité, à l'efficacité et à l'innocuité du vaccin doivent être fournies au début de l'évaluation pour être ensuite examinées, les données destinées à l'évaluation des vaccins contre la covid-19 sont examinées au fur et à mesure de leur disponibilité, dans le cadre d'une révision en continu de l'évaluation avant qu'une demande formelle ne soit soumise : cela permet un gain de temps. Dans les faits, le Royaume-Uni a été le premier à autoriser le vaccin BioNTech-Pfizer le 2 décembre 2020, suivi par les États-Unis le 11 décembre et l'Union européenne le 21 décembre, soit seulement 19 jours après le Royaume-Uni et 10 jours après les États-Unis. Le vaccin Moderna a été autorisé le 18 décembre 2020 aux États-Unis, le 6 janvier 2021 par la Commission européenne et le 8 janvier au Royaume-Uni. Celui d'AstraZeneca a été autorisé au Royaume-Uni le 30 décembre 2020 et le 29 janvier 2021 sur le territoire de l'Union. On note là un décalage un peu plus long d'un mois qu'il faut toutefois relativiser sachant qu'AstraZeneca n'a déposé sa demande d'autorisation officielle auprès de l'Union que le 12 janvier 2021. Enfin, le vaccin Johnson&Johnson a été autorisé aux États-Unis le 27 février 2021 et le 11 mars sur le territoire de l'Union. Si, dans un contexte de pandémie, chaque jour compte, on remarque que l'Union a en moyenne une dizaine de jours de retard seulement. Il semble difficile d'imputer les retards actuels des campagnes de vaccination des États membres à ces décalages. En effet, l'Union n'a, à ce jour, vacciné pleinement que 4,9 % de sa population contre 15% aux États-Unis. De même, 11,3 % des plus de 18 ans résidant sur le territoire de l'Union ont reçu une première dose contre 40 % au Royaume-Uni, chiffre à relativiser dans la mesure où seuls 3 % des plus de 18 ans y ont reçu une seconde dose. Toutefois, on peut noter que la Chine et la Russie vaccinent deux fois moins vite que l'Union européenne et que la France vaccine plus rapidement les adultes de plus de 18 ans que l'Allemagne ou l'Italie.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Ces insuffisances sont sans doute révélatrices à la fois d'une faiblesse structurelle de l'industrie pharmaceutique et des failles de notre régime d'exportation. En réalité, ces difficultés sont principalement logistiques, donc du ressort des États membres, et aussi liées aux problèmes rencontrés par les entreprises pharmaceutiques pour honorer leurs commandes.

La chaîne de valeur est opaque, ce qui complique l'application de règles restreignant les exportations. En réponse aux difficultés d'approvisionnement de l'Union européenne en vaccins, l'Union a créé, le 29 janvier 2021, un mécanisme de contrôle des exportations de vaccins pour lesquels elle a signé un contrat d'achats anticipés. Les entreprises doivent solliciter une autorisation d'exportation auprès de l'État membre où sont produits les vaccins. Cette demande est transmise à la Commission, qui se prononce sur celle-ci. Ainsi, 249 demandes d'exportation de vaccins ont été transmises aux autorités des États membres et notifiées à la Commission européenne. Celle-ci ne s'y est opposée qu'une seule fois : le 17 mars 2021, la Commission a bloqué l'exportation de 250 000 doses du vaccin AstraZeneca d'Italie vers l'Australie.

Elle menace à présent de bloquer les exportations vers le Royaume-Uni de vaccins produits par l'usine Halix aux Pays-Bas pour faire pression sur le Royaume-Uni, qui n'exporte vers l'Union européenne aucun des vaccins AstraZeneca produits sur son sol. En comparaison, 21 millions de doses ont été exportées depuis le territoire de l'Union vers le Royaume-Uni. Toutefois, la chaîne de valeur qui permet la production de doses de vaccins n'est guère transparente, comme l'a souligné Thierry Breton hier : certaines de ces doses ont peut-être seulement été embouteillées sur le territoire de l'Union à partir de substances actives produites au Royaume-Uni. De surcroît, dans le cadre de sa demande d'autorisation de mise sur le marché du vaccin, AstraZeneca n'avait pas déposé de demande d'homologation auprès de l'Agence européenne des médicaments pour l'usine Halix, à laquelle AstraZeneca sous-traite la production de son vaccin. Sans cette homologation, les doses produites dans cette usine ne pouvaient être inoculées sur le territoire de l'Union. Une demande d'homologation a finalement été déposée le 25 mars 2021. Son homologation, désormais effective, devrait permettre une augmentation du nombre de doses livrées à l'Union. Des accords de production croisés sont à développer. Il en est d'ailleurs question actuellement, car le Royaume-Uni a besoin d'avoir accès à un certain nombre de doses pour assurer la seconde injection.

Pour maximiser l'approvisionnement des États membres, l'Union cherche également à accroître la production de vaccins. Le 4 février 2021, la Commission européenne a mis en place un groupe de travail chargé d'accroître la production industrielle de vaccins, sous l'autorité du commissaire chargé du marché intérieur, Thierry Breton. L'objectif du groupe est d'identifier, en temps réel, les goulots d'étranglement, avec un suivi intrant par intrant, pour garantir la transparence de la chaîne de production, tant en ce qui concerne la fabrication du vaccin que les produits nécessaires à son embouteillage et à son inoculation. Les composants essentiels des vaccins mais aussi les cuves en plastiques nécessaires à la fabrication ou les flacons en verre pour le conditionnement sont ainsi particulièrement surveillés.

Ce groupe travaille également à créer des synergies entre les différentes entreprises européennes et à développer leurs capacités pour prévenir ces goulots d'étranglement et accroître la production. Il s'agit par exemple de favoriser la mise à la disposition d'autres entreprises pharmaceutiques des capacités de production de Sanofi qui ne sont pas utilisées, compte tenu du retard pris dans le développement de son vaccin. L'enjeu est double : garantir la traçabilité et développer les synergies, voire une forme de solidarité, entre les entreprises du secteur pharmaceutique.

Contrairement aux États-Unis, l'Union européenne ne dispose pas d'un organisme comme la Barda, qui est dotée de moyens considérables et est chargée de coordonner la recherche et l'industrie. On sait que cette articulation entre les deux domaines constitue un des problèmes de l'Europe. J'ai interrogé Thierry Breton hier à ce sujet. La Commission doit présenter une proposition de règlement à la fin de l'année pour doter l'Union d'une telle agence.

En conclusion, je vous dirai qu'il faut souhaiter que cette crise soit une occasion de repenser les bases de la politique industrielle européenne en matière pharmaceutique pour assurer la souveraineté sanitaire de l'Union. En tout cas, la solidarité n'a pas fait défaut.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Votre rapport éclairant montre que l'on blâme autant l'Union européenne lorsqu'elle agit que lorsqu'elle n'agit pas !

Vous avez évoqué un financement européen de 2,7 milliards d'euros et 750 millions d'euros pour la recherche, en indiquant que l'achat des vaccins était à la charge des États : le montant de 2,7 milliards correspond-il à des sommes issues du budget européen ou s'agit-il d'argent communautarisé ? Avez-vous aussi une idée du coût global de la vaccination tant au niveau européen que national ?

Le système de sélection des entreprises et des vaccins a été mixte, associant l'Union européenne et les États, notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas. Je m'interroge sur le choix de Sanofi. Les intérêts français ont sans doute pesé lourd. Son premier vaccin a été un échec et le second, avec GSK, est encore en phase de test. On ne peut faire porter le chapeau à l'Europe !

Le système de santé américain est très différent du nôtre : peu de dépenses sociales, mais des dizaines de milliards investis en recherche et développement. Surtout, ils appliquent la règle de l'entonnoir en soutenant de nombreux projets sans les pré-sélectionner, afin de permettre l'éclosion de projets couronnés de succès. En Europe, en revanche, on est gouvernés par la logique des tuyaux : on veut retrouver ce que l'on a investi au départ. On prend moins de risques. Les moyens qui seront alloués au projet HERA (Health Emergency Response Authority) seront bien faibles en comparaison des moyens de la Barda, car nos États consacrent beaucoup d'argent à la dépense sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Tous les États de l'Union européenne ne sont pas égaux en ce qui concerne les dépenses sociales. Il suffit de comparer la France et l'Allemagne. Nous n'avons rien à envier aux autres pays de l'Union en la matière. Ensuite, sans vouloir faire de reproches à la Commission, on ne peut que souligner les limites de sa stratégie de négociation qui a porté principalement sur le prix des vaccins ; or la santé n'a pas de prix et en recherchant des économies à tout prix, on a eu ce que l'on méritait !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Les crédits de 2,7 milliards d'euros correspondent à des crédits débloqués via l'instrument d'aide d'urgence dont les fonds sont prélevés sur le budget de l'Union pour conclure des contrats d'achats anticipés. Comme il s'agit d'avances, ils seront déduits de la facture des États. Quant aux 750 millions, ils sont prélevés sur le programme Horizon 2020, le programme d'innovation et de recherche de l'Union européenne.

Certes, l'initiative HERA est modeste au regard de la Barda, mais il s'agit de la première initiative commune en la matière. Plus que les montants, il faut être sensible au changement d'ordre culturel. Notre politique industrielle reposait plutôt, jusque-là, sur le marché unique, non sur une vision industrielle commune. On note donc un petit frémissement en faveur d'une autre approche. Le budget de l'Union européenne est modeste, il ne représente que 1 % du PIB européen et ne permet guère d'agir. L'essentiel est donc plutôt l'amorce nouvelle d'une politique européenne en matière d'industrie de la santé.

Il faut aussi donner les moyens à la Commission de prendre en compte d'autres éléments que le prix dans les négociations. Mais si la Commission avait négocié autrement, on aurait eu des dérives et d'autres critiques... Le travail que mène Thierry Breton est intéressant. On verra ses résultats.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Cette pandémie a été l'occasion d'apprendre à travailler ensemble différemment, de manière plus réactive. On reproche souvent à la Commission européenne la lenteur et le caractère très administratif de ses procédures ; en l'espèce, elle a été capable d'agir dans l'urgence. Imaginez si les Vingt-Sept avaient chacun travaillé de leur côté. Certains auraient tiré leur épingle du jeu, mais pas tous...

L'existence d'une autorité européenne telle que HERA me paraît indispensable. Sur les moyens, nous nous battrons ; nous en avons l'habitude. Chaque pays a sa propre recherche ; mutualiser ces efforts dans un pot commun assorti de fonds européens ne vaudrait-il pas mieux ? Thierry Breton nous disait que la réflexion avait déjà commencé sur les variants, qui ne seront peut-être pas tous couverts par les vaccins actuels. Un travail est également en cours sur les maladies contre lesquelles les antibiotiques n'ont plus d'efficacité. Il faut sans attendre soulever toutes les questions qui pourraient se poser.

Un mot sur la négociation : chaque État membre pouvait choisir quels vaccins il voulait commander et quelles quantités, dans la limite de sa quote-part définie pour chaque vaccin, en proportion de sa population. L'Union européenne a négocié les prix, mais les vaccins ont ensuite été distribués aux États membres en fonction de leurs commandes. L'Union européenne n'a pas décidé qu'un État membre recevrait plutôt des doses d'AstraZeneca que d'un autre vaccin : chaque État membre a eu la maîtrise de sa commande.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Pour ce qui est de Sanofi, il est toujours facile de réécrire l'histoire. Du point de vue des risques, les deux technologies dont on parle sont totalement différentes. Des intérêts industriels nationaux sont évidemment en jeu.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je ne réécris pas l'histoire ; je partage les informations dont je dispose.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

J'ai eu des échanges avec la direction de Sanofi à un moment délicat... Sanofi adopte une stratégie de « deuxième coup », c'est-à-dire de long terme, dans la perspective de vaccins combinés intégrant d'autres vaccinations nécessaires dans le futur.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Nous allons maintenant vous présenter une proposition de résolution européenne et un avis politique sur le certificat vert européen.

La Commission européenne a présenté, le 17 mars dernier, une proposition de résolution dont l'objectif est de faciliter la libre circulation entre les États membres de l'Union. Cette proposition prévoit que les États membres seront tenus de délivrer gratuitement à tout citoyen de l'Union et aux membres de sa famille ressortissants d'un État tiers un certificat vert numérique qui attestera qu'ils ne peuvent pas propager le virus SARS-CoV-2. Un tel certificat pourra prendre les formes suivantes : une attestation confirmant que le titulaire a reçu un vaccin contre la covid-19 dans l'État membre qui délivre le certificat ; une attestation indiquant le résultat négatif pour le titulaire et la date de réalisation d'un test d'amplification des acides nucléiques moléculaires, habituellement de type PCR, ou d'un test rapide de détection d'antigènes ; une attestation confirmant que le titulaire s'est rétabli d'une infection par le SARS-CoV-2 à la suite d'un résultat positif à un test.

Les certificats verts numériques afficheront un code-barres interopérable lisible numériquement et contenant les données pertinentes. Ces données devront également être lisibles par l'oeil humain et être traduites au moins en anglais. Les États membres garantiront l'authenticité, la validité et l'intégrité des certificats par des cachets électroniques ou des moyens similaires. Ce document pourra également être délivré sous format papier.

La Commission prévoit d'investir 49 millions d'euros pour aider les États membres à mettre en place le certificat vert numérique et garantir son interopérabilité. L'objectif serait qu'il soit opérationnel en juillet 2021.

En parallèle, la Commission a présenté une proposition de règlement dite « miroir » qui permet d'étendre le droit à la délivrance d'un certificat vert numérique, dans les mêmes conditions, aux ressortissants d'États tiers qui résident ou séjournent légalement sur le territoire d'un État membre et sont autorisés à se rendre dans d'autres États membres, conformément au droit de l'Union.

Deux points doivent être bien compris.

Premier point : le certificat vert numérique est un outil qui garantit la fiabilité des informations qu'il contient. Il n'est pas un titre garantissant l'accès au territoire d'un État membre. Chaque État membre reste libre d'imposer les restrictions qu'il juge utile pour éviter la propagation du virus, dans le respect des principes de non-discrimination et de proportionnalité.

Ainsi, un État membre peut soumettre le titulaire du certificat vert numérique entrant sur son territoire à une quarantaine, à un autoconfinement ou à un test de dépistage dès lors qu'il a auparavant notifié ces mesures à la Commission européenne et aux autres États membres. Les États membres d'accueil peuvent aussi choisir de ne pas exiger la présentation d'un certificat vert numérique à l'entrée sur leur territoire. Ils restent libres d'apprécier la nature du test et le délai préalable dans lequel un test sera réalisé avant l'entrée sur le territoire, mais ils doivent appliquer les mêmes dispositions en matière de tests à tous les États membres. Si les États membres choisissent d'accepter les certificats établis sur la base d'une vaccination, la proposition de règlement prévoit simplement qu'ils ne peuvent refuser un certificat établi à la suite d'une vaccination effectuée avec l'un des vaccins autorisés par la Commission européenne. Toutefois, ils restent libres d'accepter aussi un certificat indiquant une vaccination par un autre vaccin.

Un second point doit être bien compris : la proposition de règlement ne fait pas de la vaccination une condition nécessaire pour pouvoir circuler librement sur le territoire de l'Union. La Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales limite la possibilité de créer une obligation vaccinale. L'article 3 de la proposition de règlement prévoit des alternatives à la vaccination pour la délivrance du certificat vert : test négatif ou certificat de rétablissement après avoir été malade. Le considérant 26 rappelle expressément qu'il y a lieu d'empêcher toute discrimination à l'encontre des personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner. De toute façon, la mise en oeuvre d'une obligation vaccinale relève de la compétence des seuls États membres. Les États membres d'accueil devront donc accepter de manière équivalente des certificats verts numériques délivrés à la suite d'une vaccination, d'un test ou d'un rétablissement consécutif à une infection par le virus SARS-CoV-2.

Le certificat vert a pour seul objectif de garantir la fiabilité des attestations exigées par l'État membre d'accueil à l'entrée sur son territoire. En effet, l'absence de formats normalisés et sécurisés complique les déplacements et donne lieu à un trafic de documents frauduleux ou falsifiés. Le 1er février 2021, Europol a ainsi diffusé une alerte précoce sur les ventes illicites de faux certificats de test négatif de la covid-19. Ces difficultés pourraient s'accroître encore avec les certificats de vaccination que certains États membres pourraient être amenés à délivrer.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Pour toutes ces raisons, cette proposition de règlement nous paraît justifiée et mérite d'être soutenue. Elle appelle néanmoins quatre remarques.

Tout d'abord, une évaluation scientifique régulière permettant d'actualiser la durée de validité du certificat vert numérique nous paraît absolument nécessaire compte tenu des incertitudes relatives à l'immunité et à la contagiosité.

Deuxièmement, la Commission doit préciser dans quels délais et à quelles conditions le certificat vert numérique continuera d'être utilisé une fois que l'Organisation mondiale de la santé aura déclaré la fin de l'urgence sanitaire.

Notre troisième remarque concerne la protection des données à caractère personnel - notre collègue Catherine Morin-Desailly est en ligne avec nous : leur collecte doit être limitée au strict minimum pour la mise en place du certificat vert. Or la Commission prévoit de permettre la collecte de données supplémentaires par le biais d'un acte délégué. C'est un sujet récurrent : la Commission prévoit souvent des actes délégués pour compléter une réglementation ; autoriser la Commission à procéder ainsi peut nous mener très loin... Il serait souhaitable que la Commission précise directement dans le règlement ou son annexe les données à caractère personnel supplémentaires qu'elle pourrait envisager d'inclure à terme dans le certificat vert numérique.

Le règlement devrait en outre prévoir que les autorités compétentes des États membres effectuent des contrôles réguliers des prestataires de services de transports pour éviter toute infraction à la législation relative aux données à caractère personnel.

Enfin, il nous semble souhaitable, en tant que défenseurs de la démocratie parlementaire, que la Commission rende compte au Parlement européen et au Conseil, qui est l'émanation des exécutifs nationaux, de la mise en oeuvre de ce règlement de manière régulière et publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Trois observations rapides.

Premièrement, je partage votre avis, beaucoup plus indulgent que l'opinion publique, sur le travail de la Commission. Elle a tâché de tenir compte des demandes des États et d'équilibrer les risques dans l'attente de savoir quels vaccins fonctionneraient.

Je serais beaucoup plus sévère néanmoins sur les difficultés de production que nous rencontrons aujourd'hui : elles viennent de très loin ; elles sont le fruit d'une histoire vieille de trente années, pendant lesquelles tous nos gouvernements successifs ont fait le choix d'un prix du médicament le plus bas d'Europe, ce dont nous nous sommes souvent faits les propagandistes. Ce choix a affaibli les capacités de production de nos industriels : la France était le premier opérateur européen voilà trente ans ; elle n'est plus qu'au quatrième ou cinquième rang. Cette facilité budgétaire a certes permis de limiter les déficits de la sécurité sociale mais, sur le plan industriel, les résultats ne sont pas brillants.

Deuxièmement, la Commission a commandé beaucoup plus de vaccins qu'il n'est besoin en réalité. Il sera probablement reproché à l'Europe d'en avoir trop commandé. Il faudrait donc que les contrats offrent davantage de souplesse, en permettant soit que les achats soient réorientés vers des vaccins un peu différents pour tenir compte de l'évolution du virus, soit que les commandes puissent servir à l'achat de doses à plus long terme pour une deuxième vague de vaccination si, comme pour la grippe, une vaccination annuelle est nécessaire.

Troisièmement, sur le certificat vert, je ne me fais aucune illusion. Il va susciter l'enthousiasme général : tout le monde va avoir envie de respirer, d'aller au restaurant ou dans le pays voisin. Ce certificat de vaccination va être interprété comme un certificat de liberté. À titre personnel, je suis très réservé sur la pertinence dans la durée de ce type d'opérations.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Le surplus de vaccins pourra être absorbé par le mécanisme Covax.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous aurons le 5 mai prochain, en séance publique, un débat sur la réponse européenne à la pandémie organisé à la demande de notre commission. Soyez attentifs à solliciter vos groupes pour pouvoir y prendre la parole.

La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique en ligne sur le site du Sénat qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 heures.