Au cours d'une première séance qui s'est tenue le matin, la commission a entendu M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, sur le projet de loi n° 3 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie.
a rappelé que cette audition avait été organisée en réponse notamment à la demande de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe communiste républicain et citoyen, et de M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, suite aux informations relayées par la presse la semaine passée. Il a observé que les membres de la commission des finances et ceux du groupe d'études sur l'énergie avaient été conviés à cette audition.
a confirmé son entière disponibilité pour apporter des réponses à toutes les questions des sénateurs. Il a rappelé que l'objectif du projet de loi était de permettre à Gaz de France (GDF) d'aller de l'avant et de créer un groupe de premier plan dans le secteur du gaz et du gaz naturel liquéfié (GNL). Il a répété que la Commission européenne s'était légitimement saisie du dossier, puisque le fait que GDF réalise le tiers de son chiffre d'affaires à l'étranger la rendait compétente. Evoquant les dernières propositions faites le 13 octobre par GDF et Suez à la direction générale de la concurrence pour faire approuver leur éventuelle fusion, il a rendu hommage à la vraie diligence manifestée par les services de la Commission, dont la réponse était annoncée de manière imminente.
Il a exposé les nouveaux « remèdes » proposés par les groupes Suez et GDF, en précisant que ces « remèdes » ne consistaient qu'en des cessions d'actifs en Belgique :
- cession de la participation détenue par Suez dans Distrigaz, entreprise de commercialisation de gaz employant 100 salariés ;
- cession de la participation de 25,5 % détenue par GDF dans SPE, entreprise de distribution d'électricité concurrente d'Electrabel ;
- diminution de 57 % -aujourd'hui pour Suez- à 45 % -pour le futur groupe- de la participation dans Fluxys, entreprise de réseau de distribution de gaz et renforcement de l'autonomie de gestion de Fluxys par des mesures complémentaires de gouvernance.
Il a précisé que le changement entre les « remèdes » initialement proposés le 20 septembre dernier par les deux groupes et ceux proposés le 13 octobre concernait principalement Distrigaz, qui prend en charge :
- les contrats d'approvisionnement de gaz pour les centrales thermiques d'Electrabel ;
- les contrats d'approvisionnement et la distribution de gaz pour les clients industriels ;
- les contrats d'approvisionnement et la distribution aux clients particuliers, dont le nombre s'élève à 2,1 millions en Belgique.
La modification proposée concerne le négoce des contrats de long terme pour les clients industriels : Suez ne peut plus rester propriétaire de Distrigaz et doit céder au nouvel opérateur concurrent, qui sera créé, cette activité employant 120 personnes, tout en récupérant les contrats de long terme relatifs aux centrales thermiques et aux clients finaux. En définitive, le nombre de salariés du groupe qui résulterait de la fusion serait de 210.480 aux termes de la proposition faite le 13 octobre, contre 210.600 selon l'ancienne proposition du 20 septembre.
Le chiffre d'affaires du groupe fusionné devrait s'élever à 61,5 milliards d'euros aux termes de la seconde proposition (au lieu des 62 milliards résultant de la première proposition), le nombre de clients du gaz demeurant strictement identique, soit 15,9 millions de personnes, et le nombre de TWh détenus par la nouvelle structure estimé à 974 avec la nouvelle proposition, contre 1.009 avec la précédente, ce nombre devant être progressivement abaissé à 924 en 2012.
a fait observer que les présidents des deux groupes GDF et Suez avaient communiqué, à l'occasion de la transmission de leur nouvelle proposition, pour confirmer que leur projet industriel n'était pas modifié. Il a rappelé que cette nouvelle proposition devait être acceptée par l'ensemble du collège des commissaires européens.
a remercié les ministres d'avoir accepté cette nouvelle audition devant la commission des affaires économiques, tout en déplorant l'excès d'incertitude et de non-dit qui entourait le projet de loi depuis le début. Il a estimé que les informations sur l'environnement économique du projet n'étaient obtenues qu'à l'arraché et que celles relatives aux exigences bruxelloises et à l'intérêt supposé de M. François Pinault pour le dossier restaient lacunaires, ce qui soulevait la question de la poursuite du processus législatif. Il a souhaité savoir s'il était vrai que GDF serait irrité des cessions imposées à Suez. Il s'est inquiété aussi de la renonciation obligée de Suez au contrôle majoritaire de sa filiale propriétaire de terminaux gaziers, remettant en cause l'intérêt de la fusion au vu des fortes réductions du périmètre du futur groupe. Dans ce contexte, il a également jugé hasardeuse la capacité du nouveau groupe à éviter les démantèlements, avant de conclure qu'une privatisation de GDF sans projet industriel devait conduire à retirer du projet de loi son article 10 prévoyant cette privatisation.
a remercié les ministres pour la transparence et la rapidité de l'information fournie, faisant observer qu'il avait été mis au courant dès samedi matin de l'accord survenu la veille entre la Commission de Bruxelles, d'une part, et les présidents de Suez et GdF, d'autre part. Il a également fait valoir que la nouvelle proposition des deux groupes ne prévoyait aucune cession en France. Il a, par ailleurs, souhaité que le ministre évoque devant les commissaires les difficultés envisageables de gouvernance du nouveau groupe GDF/Suez, en raison des inévitables rivalités apparaissant en cas de fusion, et de l'intérêt manifesté en juin dernier par M. François Pinault, notamment, pour le pôle environnement du groupe Suez, mais révélé la semaine passée par le journal Les Echos.
a souhaité poser plusieurs questions :
- alors que l'objectif de la fusion est de renforcer GDF, les cessions exigées sur Distrigaz n'empêcheront-elles pas GDF de se renforcer sur le gaz ?
- pourquoi GDF maintient-elle son projet de fusion, alors qu'il avait annoncé son intention d'y renoncer si étaient exigées des cessions excessives ?
- la précipitation du Gouvernement, qui soumet au Parlement un projet de loi en septembre sans attendre le retour de la Commission européenne sur le projet de fusion GDF/Suez, le conduit-elle à accepter toutes les exigences de la Commission ?
- quelle est la place accordée à la concertation dans ce projet, alors même que le conseil d'administration et les institutions représentatives du personnel n'ont pas débattu de la stratégie et de l'organigramme du groupe qui résulterait de la fusion ?
- si le conseil d'administration de GDF demande aujourd'hui une gouvernance équilibrée pour le futur ensemble, cela ne signifie-t-il pas que la culture de service public de GDF est menacée ?
- quelle sera la marge de manoeuvre de l'Etat actionnaire minoritaire sur le futur groupe, alors même qu'aujourd'hui, actionnaire à 80 % de GDF, il refuse de s'immiscer dans les tensions existantes entre les présidents des deux groupes appelés à fusionner ?
- quelle sera finalement la parité d'échange entre les actions Suez et les actions GDF ?
après avoir remercié les organisateurs de la réunion, a fait part de deux interrogations :
- d'une part, après avoir souligné que les parts au capital du futur groupe de l'Etat, de la Caisse des dépôts et consignations et des salariés représenteraient ensemble 53 %, il a souhaité connaître quelle serait la stratégie d'actionnaire de l'Etat dans le nouveau groupe et si serait privilégié un objectif de croissance, de profit ou de sécurité. Se félicitant que le projet de fusion n'ait pas été singulièrement modifié par la Commission européenne et maintienne la puissance d'achat du nouveau groupe, il a toutefois fait observer que la nécessité de passer par un projet de loi obligeait GDF à afficher son intérêt d'acheteur, ce qui fragilisait sa position de négociation face à Suez ;
- d'autre part, s'agissant du marché de l'électricité, il s'est inquiété de savoir si le texte adopté par l'Assemblée nationale permettait à de nouveaux capitaux d'investir durablement dans la production électrique nucléaire, et plus généralement « dans la pointe comme dans le ruban ».
a remercié les ministres pour leur présence. Il a rappelé que le groupe centriste avait abordé la discussion de ce projet de loi avec un grand esprit de disponibilité et qu'il appréciait le soin mis par le ministre à expliquer son projet. Il a demandé au ministre de confirmer les propos du Premier ministre qui avait demandé au Parlement de se prononcer sur la fusion entre GDF et Suez. Il a également voulu connaître quelle serait la politique de l'Etat dans le nouvel ensemble ainsi que l'avenir du pôle environnement de Suez, à propos duquel l'article paru dans les Echos avait au moins eu le mérite de fixer à 18 milliards d'euros le prix plancher.
En réponse, M.Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a tout d'abord assuré qu'il communiquait en temps réel aux sénateurs les informations dont le Gouvernement disposait. Il a fait observer que si le projet de fusion entre GDF et Suez avait contribué à accélérer l'élaboration et le dépôt du projet de loi, ce rapprochement émanait de ces entreprises, en particulier GDF et qu'il était de l'intérêt de l'Etat, en tant que premier actionnaire, de l'accompagner. Il a jugé indispensable que le pôle environnement de Suez demeure dans le futur groupe et a déclaré que l'Etat y veillerait grâce à sa minorité de blocage au sein du conseil d'administration. Après avoir rappelé que le débat autour du projet de fusion se déroulait en trois temps (le temps de la concertation sociale, celui du débat au Parlement et celui des actionnaires), il a estimé que la question de la gouvernance de la nouvelle entité relevait du troisième temps et qu'il n'était pas souhaitable de l'examiner dès à présent.
s'étant de nouveau interrogé sur la protection que la fusion GDF-Suez représenterait face à une éventuelle offre publique d'achat (OPA), M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a expliqué qu'en continuant à détenir 34 % du capital de l'entreprise, l'Etat dispose du pouvoir de bloquer tout projet d'absorption. En outre, de facto il ne pourra jamais être exproprié, puisque le droit boursier nécessite d'atteindre 95 % avant de forcer le retrait d'autres actionnaires. Il a ajouté que le fait que le secteur énergétique demeure fortement régulé en Europe contribuerait aussi à décourager toute tentative d'OPA venant d'opérateurs non européens, citant à titre d'illustration l'exemple de Gazprom, qui avait renoncé à s'emparer de Centrica, entreprise britannique de distribution de gaz, dont l'Etat britannique ne détient pourtant aucune part du capital. En réponse à M. Gérard Longuet, après avoir indiqué que la croissance, le profit et la sécurité des approvisionnements constituaient des objectifs stratégiques que le futur groupe devrait poursuivre simultanément, il a proposé de revenir en temps utile devant la commission des affaires économiques pour évoquer plus précisément les missions qui seront assignées à la future entreprise. A M. Yves Coquelle, il a rappelé que non seulement la fusion allait mettre le futur groupe en position de « numéro un » européen dans le secteur du gaz et de « numéro un » mondial dans celui du GNL, mais qu'elle permettrait aussi à GDF de proposer une offre mixte, combinant fourniture de gaz et d'électricité, qui lui faisait défaut jusqu'à présent.
Il a considéré, en outre, que certaines des mesures annoncées comme des remèdes dans la presse dans le domaine électrique n'étaient en réalité que des contreparties exigées par le Gouvernement belge lors du rachat d'Electrabel par le groupe Suez et qu'elles n'avaient donc aucun lien avec le projet de fusion.
Il a estimé que la question de la parité d'échange entre les actions de GDF et celles de Suez ne se posait pas pour l'heure et qu'elle serait résolue entre les entreprises concernées, après le vote de la loi, ajoutant que le Gouvernement en saisirait la commission des participations et des transferts et suivrait son avis. Concernant la rumeur d'un éventuel rachat du pôle environnement de Suez par François Pinault, il a indiqué qu'elle ne se fondait sur aucun fait nouveau, mais renvoyait à une hypothèse évoquée puis écartée en juin dernier avant l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour du Parlement en session extraordinaire. Il a mis en garde, à cet égard, contre la parution dans la presse d'informations inexactes susceptibles d'avoir un impact sur les cours des actions des entreprises concernées, lesquels, a-t-il signalé, faisaient généralement l'objet, à l'approche d'opérations importantes, d'une surveillance particulière de la part de l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Revenant sur la question de M. Gérard Longuet, M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a indiqué que le Gouvernement entendait favoriser les investissements dans le domaine énergétique, y compris dans celui de l'électricité. Il a alors distingué entre les investissements de pointe et les investissements de base. Concernant les premiers, il a relevé l'existence de nombreux projets, citant ceux de la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), de POWEO, de Gdf/Suez et d'EDF. S'agissant des investissements de base, ayant mis l'accent sur la nécessité de renouveler les centrales nucléaires à compter de 2017, il a considéré qu'il suffisait, d'ici à 2012, de mener à bien le projet d'EPR. Il a assuré qu'en tout état de cause, les discussions actuelles n'avaient aucune incidence sur le rythme des investissements en cours.
a considéré que M. Thierry Breton pouvait difficilement ignorer les projets de M. Jean-François Cirelli s'agissant de GDF, compte tenu des relations qu'ils entretenaient lorsque ce dernier était conseiller auprès du Président de la République. Il a souhaité savoir si l'Etat prendrait les mesures nécessaires pour se maintenir au seuil de 34 % du capital en cas de recapitalisation de la future entité GDF/Suez.
Relevant l'importance des besoins en investissements dans le secteur de l'énergie, Mme Bariza Khiari a souhaité savoir si le Gouvernement privilégierait l'endettement ou l'augmentation de capital pour y faire face.
a assuré que la loi imposerait à l'Etat de se maintenir à 34 % du capital en cas de recapitalisation. Il a rappelé que cette part lui permettait de bloquer en assemblée générale extraordinaire toute décision stratégique qui ne lui conviendrait pas, faisant observer qu'elle privait aussi de tout intérêt l'hypothèse d'une OPA, puisqu'un opérateur qui prendrait le contrôle des 66 % restants ne pourrait de toute façon pas aller au bout de son projet en procédant à une fusion ou à un retrait de la cote. Il a précisé que le mécanisme de l'action spécifique permettait, quant à lui, de protéger en outre les investissements stratégiques tels que les infrastructures de transport, les ports méthaniers, et les capacités de stockage. Enfin, évoquant la naissance du projet de fusion, il a rappelé qu'il avait été précédé par de nombreux projets industriels communs.