Mission d'information situation psychiatrie mineurs en France

Réunion du 10 janvier 2017 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 17 heures 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Madame le professeur, monsieur l'inspecteur, je vous remercie d'avoir répondu favorablement et si promptement à notre invitation à être auditionnés au Sénat. Comme vous le savez, notre mission d'information en est encore au tout début de ses travaux puisqu'elle s'est constituée à la fin de l'année dernière.

Vous avez remis en novembre 2016 un rapport relatif à la santé et au bien-être des jeunes, pour l'élaboration duquel vous aviez été mandatés par le Gouvernement.

L'état des lieux que vous dressez et les préconisations que vous formulez s'articulent autour de quatre objectifs : repérer plus précocement les signes de grand mal-être, mieux orienter les jeunes vers les professionnels compétents, mieux accompagner les personnels et améliorer les prises en charge.

Le champ d'investigation de notre mission d'information est moins étendu : il s'agit plus spécifiquement de la prise en charge psychiatrique des mineurs.

Dans ce cadre, il nous a paru important de vous rencontrer afin que vous nous fassiez part de votre appréciation de l'état de cette prise en charge et des évolutions que vous jugez utile d'y apporter.

Je vous cède donc la parole pour un propos introductif après lequel notre rapporteur, Michel Amiel, puis les autres membres de la mission, vous poseront quelques questions.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo qui sera diffusée sur le site du Sénat.

Madame, monsieur, vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Merci pour votre aimable invitation.

La mission « Bien-être et santé des jeunes » a en effet remis son rapport au Président de la République le 29 novembre dernier, préconisant un plan actuellement en cours d'élaboration. Nous sommes missionnés pour mettre celui-ci en place.

Notre mission était centrée autour de l'école, de ses acteurs, de la famille et de tous ceux qui interviennent autour des adolescents.

Nous avons analysé, auditionné, réfléchi, comparé. Nous avons également étudié ce qui se fait au plan international du point de vue de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. C'est à ce titre qu'il existe des éléments communs avec vos propres préoccupations.

Je suis pédopsychiatre, professeur de pédopsychiatrie à Paris Descartes et je m'occupe de la Maison des adolescents de l'hôpital Cochin.

J'aimerais insister, en introduction, sur l'importance de l'enseignement, de la recherche et de la formation.

La psychiatrie des mineurs est actuellement en grand développement sur le plan international. À ce titre, la psychiatrie périnatale occupe un champ de plus en plus important. C'est une demande légitime de la société, par exemple en matière de dépression des bébés ou de dépression post-partum. Celle-ci touche en effet 10 % des femmes qui accouchent aujourd'hui sur notre territoire. Il faut donc savoir la déceler, la prendre en charge, reconnaître les effets de cette dépression sur le développement des enfants et, surtout, ne pas séparer les mères et les enfants, mais prévoir une prise en charge holiste globale de cette situation avec tous ceux qui s'occupent des bébés et de leurs parents. C'est une question très technique.

Ce champ extrêmement novateur de la psychiatrie des tout-petits s'est développé dans les années 1980.

Les enfants ne sont pas des adultes en miniature. Ils ont leur développement propre, des besoins, des particularités. On leur demande également d'être capables et heureux d'apprendre. La souffrance va donc s'exprimer dans tous ces champs.

Sur le plan international, la psychiatrie des adolescents est apparue à peu près en même temps que celle des bébés. Cette discipline est extrêmement poreuse par rapport à toutes les questions de société. Quand ils vont mal, les adolescents usent de comportements auxquels recourt la société dans laquelle ils évoluent : tentatives de suicide, troubles du comportement alimentaire, radicalisation.

Le concept de maison des adolescents a été novateur et on nous l'envie internationalement. Ceci a permis de vrais progrès mais ce qu'on est capable de faire aujourd'hui pour les adolescents n'est toujours pas suffisant.

Cette hétérogénéité suppose que l'on travaille sur toutes les phases de transition, que l'on développe la recherche et que l'on soit capable de traduire ce que l'on apprend dans des programmes de formation adéquats.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Cette aventure a été marquée dès le début, il y a un peu plus d'un an et demi, par l'originalité de la lettre de mission qui a été adressée par le Président de la République à une spécialiste éminente de la pédopsychiatrie et des adolescents comme Marie-Rose Moro et à l'administrateur généraliste que je suis, inspecteur d'académie lambda.

L'institution scolaire a été rétive durant des années - et elle l'est encore - à la psychologie générale des adolescents, les collégiens et les lycéens devant laisser de côté leurs états d'âme, leur singularité personnelle, individuelle et, le cas échéant, linguistique pour devenir en quelque sorte de purs esprits, acceptant la discipline scolaire dans le seul but d'apprendre et de travailler.

La souffrance intense de ces jeunes gens et leurs pathologies, ne figurent pas dans la culture de l'éducation nationale. Il était donc original de vouloir faire en sorte d'analyser ensemble la situation et de proposer des éléments de remédiation.

Le bien-être des jeunes, c'est aussi celui de tous. Le bien-être est un véritable objectif d'apprentissage, qui vaut pour tous les élèves, ceux qui réussissent comme ceux qui sont en échec scolaire, la réussite se payant parfois un prix très élevé.

La bienveillance et le bien-être apparaissent dans la loi d'orientation 2013 comme des points de repère importants. J'en veux pour seul exemple qu'en classe de cinquième, le bien-être et la santé sont devenus des objets d'enseignement.

Enfin, tous les jeunes, quels qu'ils soient, passent par l'école, qui constitue un lieu privilégié pour identifier, reconnaître et percevoir les souffrances que quelques-uns peuvent subir de manière extrêmement intense. Il arrive parfois que l'institution scolaire elle-même exacerbe certaines de ces souffrances.

En tout état de cause, dans l'esprit des parents - et parfois même des jeunes - l'institution scolaire est un recours pour résoudre une situation difficile.

C'est dans cet esprit que nous avons conduit nos travaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Pouvez-vous définir la frontière entre souffrance psychique et trouble psychiatrique ? Comment peut-on passer de l'un à l'autre ? S'agit-il de deux phénomènes distincts ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

C'est une question fréquente, à la fois conceptuelle et pratique. Il faudrait ajouter à ces termes ceux de bien-être et de crise d'adolescence - même si, comme le disait Winnicott, celle-ci passe spontanément.

L'intensité compte également. Un enfant ou un adolescent peut avoir un soir le sentiment que personne ne l'aime, qu'il n'est pas beau, qu'il ne sait pas bien faire les choses. Ce sera passé le lendemain matin. Ce n'est ni intense ni durable. Il s'agit d'un vécu existentiel lié au développement et aux apprentissages de la vie. La question de l'intensité d'une part et le fait que ce soit variable ou que cela dure compte dans le fait de savoir à quel niveau mettre le curseur.

Il existe donc une continuité dans ces états et des catégories. À un certain moment, on bascule dans une catégorie. Celle qui relève du registre de la pédopsychiatrie est bien sûr la souffrance psychique qui se transforme en trouble psychiatrique.

Dans une situation de développement et de transformation, un certain nombre de cas peuvent passer par un mal-être, une souffrance, puis finir en une dépression constituée, alors que cela a débuté par une difficulté d'estime de soi, de l'ordre d'un petit mal-être. Cela devient ensuite une véritable souffrance qui se répète, avant de basculer dans un état qui tire vers le bas, qui empêche de prendre du plaisir et d'être heureux.

On tombe dans quelque chose de l'ordre de la dépression. Or, la dépression - c'est une découverte de ces dernières années - existe à tous les âges, même chez les petits. Il s'agit alors d'un trouble psychiatrique.

L'enfant est souvent très bon juge de ce qui lui arrive. Un petit garçon d'environ dix ans ayant fait une tentative de suicide - ce qui est heureusement assez rare - avait dit, plusieurs jours auparavant, qu'il n'était pas heureux, que les choses n'allaient vraiment pas bien, que cela ne « tournait pas rond dans sa tête » et qu'il était « aspiré par le vide ».

Il n'a pas été pris au sérieux car on a le sentiment que les enfants ne sont pas capables de faire la différence entre la vie et la mort. On se demande souvent à quel âge ils se représentent la mort. On peut se représenter la mort très tôt lorsqu'on est confronté à des situations difficiles.

Si l'enfant est assez bon juge encore faut-il le repérer. Dans le cas que j'évoque, il fallait se mettre à son niveau et lui demander ce qui n'allait pas.

Ce sont les adolescents en particulier qui nous permettent de déterminer si l'on en est à un simple niveau existentiel ou au stade d'une souffrance qui se répète et qui commence à peser, d'un état psychique, d'un trouble psychiatrique, d'une dépression constituée, ou celui d'un autre état encore plus grave.

L'enfant est capable de dire ce qu'il ressent de son point de vue. Les adultes oublient le point de vue de l'enfant. C'est ainsi. C'est peut-être une nécessité pour devenir adulte. On oublie la force que peut avoir une vexation, la répétition de petites brimades ou de rivalités car on considère que ce n'était pas si grave.

Or, il n'en est rien car, quand on est enfant et en développement, on constitue ses valeurs de jugement et ses valeurs relationnelles.

Trois niveaux vont permettre d'évaluer où en est l'enfant. Le premier niveau est celui de son développement intrinsèque. Le deuxième niveau concerne le relationnel et consiste à savoir comment il se comporte avec les autres - frères, mère, père, grand-mère, amis, professeurs. Enfin, troisième niveau : dans quel environnement l'enfant évolue-t-il ? Y a-t-il des ruptures, des violences ou est-il content ? L'environnement est-il capable de consoler, de réparer ?

On évalue ces trois niveaux et on voit si l'on se situe au début ou à la fin d'un processus.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Comment mettre précocement en oeuvre des méthodes permettant de faire le distinguo entre la pathologie psychiatrique déjà constituée et la simple souffrance, qui peut devenir chronique ? Compte tenu de la faiblesse des moyens et des connaissances, on peut être tenté de prendre en charge les troubles les plus visibles et négliger ceux qui le sont moins, qui vont progressivement s'aggraver.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Lorsqu'on travaille avec les enfants et les adolescents, on ne peut faire le tri entre les cas les plus graves et les moins graves car il existe une continuité. Lorsqu'on fait attendre trop longtemps un adolescent qui présente des idées noires ou une rupture, on aura un passage à l'acte car le temps, pour les enfants et les adolescents, s'accélère. Faire attendre un bébé, un enfant, un adolescent, n'a donc pas de sens.

Je comprends qu'il faille hiérarchiser mais il est préférable d'organiser un diagnostic et une prise en charge précoces. Par exemple, on a fait beaucoup de progrès en matière de détection de l'autisme mais pas en matière de prise en charge précoce de la maladie. Elle doit être très intensive, pluri-institutionnelle, et réclame des moyens souvent très pointus. On fait donc des diagnostics et on fait attendre les patients, ce qui est pire que tout.

C'est comme le fait de reconnaître qu'un adolescent est déprimé ou qu'une jeune fille est atteinte de troubles du comportement alimentaire et d'annoncer que l'on ne pourra commencer la thérapie que dans trois mois, les psychothérapeutes n'ayant plus de place.

C'est une question d'outils, d'adaptation de ceux-ci aux différents âges de la vie, de formation. Je plaide pour que ces outils puissent être utilisés par tout le monde. Il existe bien sûr des outils très spécialisés pour les pédopsychiatres mais, la plupart du temps, les outils doivent pouvoir être utilisés par une infirmière scolaire, une infirmière de la protection maternelle et infantile (PMI). On peut mettre la plupart des outils à la disposition de tous, à condition qu'en même temps qu'on organise le dépistage de la dépression post-partum, on organise la prise en charge de celle-ci. Dans le cas contraire, il vaut mieux ne rien faire.

Créer un centre de diagnostic de référence et ne pas réaliser de prise en change n'a pas de sens. Or, ces derniers temps, on a mis en place des centres de diagnostic sans programme de soins à la hauteur des programmes desdits centres.

Les programmes d'excellence sont des programmes qui articulent interventions et diagnostics. Si tel n'est pas le cas, il ne s'agit pas de programmes d'excellence. On est satisfait intellectuellement parce qu'on a réalisé un diagnostic mais on n'a pas rendu service aux enfants ni à leurs parents.

C'est à mon sens un enjeu important, qui constitue une sorte de paradigme de soins.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Vous affirmez qu'en matière de diagnostic, on peut former des personnes qui ne soient pas spécialisées outre mesure.

Cela étant, il s'agit d'annoncer des diagnostics très lourds. Or, si le repérage est possible grâce à l'aide d'un grand nombre de personnes, le diagnostic précis doit être établi par des personnes spécialisées. Il est également nécessaire, comme vous l'avez souligné, de bénéficier de propositions de prise en charge immédiate.

Ce que vous dites est passionnant mais quel hiatus existe-t-il entre ce que vous décrivez - et qui devrait être mis en oeuvre - et la réalité ?

Je suis élue du Pas-de-Calais : la prise en charge d'un enfant diagnostiqué comme autiste nécessite deux à trois ans d'attente - et je ne pense pas que cette situation soit exceptionnelle.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

C'est ce que je dénonce et c'est ce qui s'est largement passé ces derniers temps.

Vous soulignez deux points à juste titre. En premier lieu, lorsque je dis qu'un certain nombre d'outils sont utilisables par tous, ce n'est pas pour établir des diagnostics et les annoncer aux parents mais pour repérer des situations où il faut établir un diagnostic et une prise en charge. Si on n'en est pas capable, il ne faut pas le faire. À ce moment-là, on ne conduit que des accompagnements généralistes et cela ne sert à rien.

Je vois à quoi vous faites allusion : faire des diagnostics sophistiqués d'autisme précoce - sur lesquels on peut en outre se tromper, car c'est compliqué - sans prendre immédiatement en charge les enfants est cruel : on sidère les parents et on les met même en difficulté.

C'est vrai pour la dépression et pour les prises en charge des troubles des grands apprentissages. On dépiste des tas de choses à l'école, et on conseille ensuite aux parents de s'adresser au généraliste ! Qu'est-ce que cela signifie ? Si l'on met en place un dépistage, c'est que l'on pense pouvoir agir et qu'on a un programme pour ce faire. Dans le cas contraire, qu'est-ce que cela peut produire ?

C'est pourquoi il est si important de réfléchir au parcours de soins et de savoir ce que l'on veut proposer à nos enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

On voit bien que la pédopsychiatrie est une discipline au carrefour du médical, du médico-social, de l'éducatif - et votre binôme en est l'exemple. Ce n'est pas un hasard si votre mission a été configurée de cette façon.

Vous parlez des retards de diagnostics. Vous évoquez également la nécessité de disposer d'interfaces entre les différents services - PMI, travailleurs sociaux, etc.

L'une de vos questions est de savoir comment mieux articuler tout cela.

Pour autant, nous n'avons pas encore abordé le sujet du diagnostic et l'aspect stigmatisant des maladies psychiatriques. Certaines familles, dont les enfants ont fait l'objet d'un dépistage de différentes pathologies, l'autisme et bien d'autres, refusent de faire face à cette réalité et la nient, car elle est stigmatisante. Quelles sont vos préconisations pour dépasser ceci ?

Dans certains départements, quelques établissements hospitaliers spécialisés très avancés en la matière recourent à des pratiques de prévention et de suivi hors les murs concernant les soins avant la naissance, dès lors que les mamans ou la famille sont en difficulté.

Je pense en particulier au centre hospitalier Esquirol de Limoges mais il existe bien d'autres établissements hospitaliers dans ce cas. Beaucoup d'expérimentations ont lieu. C'était le sens du rapport de M. Laforcade : ne faudrait-il pas que celles-ci fassent sens et qu'il y ait, à travers votre mission également, une sorte de recueil des bonnes pratiques qui permettraient d'aller plus loin ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Une partie de notre mission consiste à recueillir les bonnes pratiques sur l'ensemble du territoire. On a essayé de le faire durant la phase de réaction du rapport. On a conduit deux cents auditions. Nous nous sommes beaucoup déplacés pour rencontrer des équipes particulièrement innovantes.

Ce travail de recensement, qui est extrêmement riche mais qui est isolé, organisé en archipel, où les gens sont quelque peu prisonniers du lieu où ils travaillent, est un sujet dont il faut que la puissance publique se saisisse pour le rendre apparent.

Le pari que nous faisons, même si cela apparaît comme un voeu pieux, est de faire en sorte que la totalité des collèges et des lycées de France et de Navarre disposent d'un projet de santé afin que l'Éducation nationale, reprenne à son compte ce qui fut peut-être autrefois, dans d'autres temps et pour d'autres raisons, sa mission sociale par rapport à la santé. On sait que, tout au long du XXe siècle, et depuis ses fondations modernes par Jules Ferry, l'instruction publique et l'Éducation nationale ont assumé, pour le reste du pays et de la Nation, une politique sanitaire qui, sans cela, n'aurait pas été aussi efficace.

Autre temps, autres moeurs, autres organisations, mais le fait que la souffrance mentale et la souffrance intérieure des jeunes deviennent un véritable objet de descriptions, de discussions, d'appropriation par des équipes enseignantes, un conseil d'administration, un comité d'éducation à la santé et à la citoyenne au sein des établissements, dans lesquels les parents sont parties prenantes, peut permettre d'augmenter le niveau moyen de représentation sur ces questions. Ceci contribue à installer un sentiment de sécurité plus grand que si l'on reste isolé.

Marie-Rose Moro disait que les jeunes sont parfois excellents juges de ce qu'ils vivent et ressentent. Ils doivent pouvoir trouver dans les établissements scolaires de la formation générale, de la formation statistique et de la formation clinique sur ce que sont ces moments et ces caractéristiques d'une difficulté qui n'est peut-être que passagère mais qui peut, si on n'y prend garde, s'installer définitivement.

Pour le dire d'un mot, la réforme en cours des missions dévolues aux psychologues de l'Éducation nationale va enfin dans ce sens. C'est une histoire qui vient de loin. Cela ne produira pas des effets immédiats mais tous les conseillers d'information et d'orientation au sein des établissements scolaires vont devenir des psychologues de l'Éducation nationale. Ils vont se voir décharger, dans les années qui viennent, de leurs fonctions de conseillers en orientation, mission qui peut être dévolue au professeur principal, au principal de collège ou à d'autres instances, pour devenir des psychologues au service des équipes éducatives du collègue et du lycée, et de mener ce travail d'animation et d'information au sein des établissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Je suis très heureuse d'entendre vos propos, monsieur l'inspecteur.

Je défends depuis 2008 le bien-être à l'école au sens de l'OMS. Avec la commission de la culture, nous avons réussi à le faire inscrire dans la loi de refondation de l'école. C'est un premier pas.

Je réclame avec tous mes collègues la revalorisation de la médecine scolaire et des infirmiers scolaires. Notre médecine scolaire est en effet malade. Que peut-on faire pour ce premier lieu d'écoute ? L'infirmerie scolaire est l'endroit où les enfants vont pour se plaindre d'un mal de ventre. Ce n'est parfois pas un simple mal de ventre, il y a derrière cela tout un processus.

Ces professionnels ont été auditionnés mais on n'arrive pas véritablement à combler ce manque, alors qu'ils ont une année de formation spécifique.

Faire en sorte que les parents retrouvent leur place à l'école est aussi quelque chose que favorise la loi, en permettant aux établissements scolaires de devenir un lieu d'écoute.

Nous avons également travaillé sur les fiches métiers relatives à l'Éducation nationale, qui ont été revues.

Enfin, vous avez rappelé que les psychologues scolaires vont être désormais réunis dans une seule entité, sans distinction entre le premier et le second degré. Comment faire pour susciter la vocation des infirmiers et des médecins scolaires ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Nous avons bien sûr croisé ces questions mais un rapport a été précédemment rendu à propos de la médecine scolaire, vous le savez.

C'est une question qui n'est pas résolue et qui préoccupe tout le monde à juste titre. Il faut en outre associer à la médecine scolaire la médecine universitaire, qui est dans le même état. Il existe des dispositifs expérimentaux géniaux mais, la plupart du temps, il n'y a rien.

Cela fonctionne pourtant très bien dans certains endroits, comme le modèle canadien. On n'a même pas besoin de l'inventer : il est là !

S'agissant de la médecine scolaire, je ne reviendrai pas sur les psychologues de l'Éducation nationale. C'est une véritable révolution qui est en cours. J'espère qu'elle va aller jusqu'au bout. Il est inédit de penser que l'on va désormais s'occuper du bien-être et du mal-être à l'intérieur de l'école, en donnant entre autres cette possibilité aux psychologues scolaires, en lien avec des équipes médico-psycho-sociales.

Il est vrai que la médecine scolaire n'est guère attirante aujourd'hui. Les problèmes sont connus : il s'agit des rémunérations et de l'harmonisation entre médecins, infirmiers, assistantes sociales et autres personnels.

Le fait de créer des dispositifs d'alerte, qui fait partie de nos propositions, va permettre d'utiliser les ressources extérieures. On a l'impression que l'école est seule au monde et ne peut utiliser tout ce qui existe dans le dispositif de soins. Les médecins scolaires sont très isolés. Les infirmières scolaires se battent seules sur ce sujet. Elles savent que si elles ne sont pas en lien avec l'extérieur, elles ne pourront rien faire à l'intérieur de l'école.

Nous avons proposé de nouvelles organisations à l'école, en lien avec le système de santé, celui-ci pouvant également entrer à l'école quand c'est nécessaire, par l'intermédiaire des maisons des adolescents ou des possibilités d'interventions de médecins généralistes, comme le médecin scolaire par exemple.

Il en va de même pour la médecine universitaire, fondamentale entre dix-huit et vingt et un ans, moment de grande vulnérabilité. C'est le moment où l'on quitte parfois ses parents, où l'on se retrouve seul. Il faut être capable de se soigner, de reconnaître que l'on va mal - addictions, souffrance, éclosion des pathologies psychiatriques.

Plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l'adulte apparaissent avant seize ans. Ces chiffres proviennent de l'OMS, qui les a récemment communiqués.

Enfin, énormément de bonnes choses sont réalisées. Jean-Louis Brison le disait : on en a répertorié un certain nombre dans les champs qui nous intéressaient. On s'est demandé quelles étaient les raisons pour lesquelles on n'était pas capable de les généraliser, alors qu'on les évalue, qu'on sait qu'elles sont bonnes et que cela fonctionne.

Par ailleurs, afin de permettre d'utiliser les compétences d'autres pays qui ont réussi à mettre des dispositifs en place, nous proposons la création d'un institut, l'Institut national de la santé des jeunes. Il repose sur le modèle australien et permettrait de constituer un lieu où toutes ces ressources pourraient être analysées, colligées, évaluées et transformées en modèles.

Ce lieu pourrait peser sur les politiques de recherche, d'enseignement, de formation, etc. et permettre d'agir sur la société pour faire en sorte que la santé des jeunes soit considérée comme un véritable objet.

Vous avez soulevé la question de la discrimination et de la stigmatisation. Peut-être pratique-t-on parfois la politique de l'autruche.

C'est de moins en moins vrai, les nouveaux dispositifs innovants ayant poussé les murs. Ainsi, mon service, la maison des adolescents de Cochin, ne ressemble pas à un hôpital - et il n'y a pas que le mien. Il existe des équipes de liaison et des dispositifs qui vont dans la cité ou qui viennent de la cité.

J'ai lu dans une étude récente - et je le constate au quotidien - que la stigmatisation est plus importante chez les parents que chez les enfants et les adolescents eux-mêmes. Nous disposons d'un système d'accueil sans rendez-vous, anonyme. On peut venir seul à la maison des adolescents de Cochin, la maison de Solenn, sans ses parents, et on peut même ne pas donner son nom, même s'il est assez rare que les adolescents gardent l'anonymat.

Toutefois, certaines ne veulent pas que leurs parents connaissent leur état, par crainte de les faire souffrir. C'est assez caricatural. Ils disent tous la même chose, quel que soit le niveau social. Une jeune fille en classe préparatoire, issue d'une famille très aisée, m'a ainsi confié qu'elle ne pouvait avouer à ses parents qu'elle se sentait déprimée et m'a demandé de ne surtout pas les prévenir. La stigmatisation vient de la société, des parents. Cela va bien sûr changer mais c'est à ce niveau qu'il faut agir.

Sauf pour les petits, ce n'est toutefois pas le problème majeur, qui demeure partout l'attente de soins.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Je reviens sur le sujet de la médecine scolaire, qui est sinistrée. Aujourd'hui, c'est un problème de démographie médicale en général. Or, vous avez évoqué le modèle canadien...

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Pour la médecine universitaire...

En revanche, le système est très bon jusqu'à 6 ans, grâce à la PMI. La question vient après. Il pourrait y avoir un cadre comprenant la PMI, la médecine scolaire et la médecine universitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

J'ai eu la charge de cette délégation au conseil général des Bouches-du-Rhône durant de nombreuses années : c'est le même problème de démographie médicale que celui que rencontre la population de médecins de plus de cinquante-cinq ans. La relève est loin d'être assurée, pour des raisons d'attractivité diverses et variées.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Pas partout !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Ceci est exacerbé par le cadre de la fonction publique territoriale, qui ne permet pas de rémunérer les médecins de PMI au niveau qu'ils souhaitent, du fait des études qu'ils ont suivies.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

C'est pareil pour la médecine scolaire. Ils ne sont pas du tout rémunérés comme à l'hôpital.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Je suis élue du Haut-Rhin, proche des frontières allemande et suisse. J'ai travaillé moi-même en Suisse : ces pays agissent différemment dans le domaine des soins, de l'encadrement et de l'orientation.

Le Sénat représente les collectivités territoriales. Vous avez évoqué les outils qui sont en place et leur diversité. Énormément de choses se font dans mon département. Il est vrai que mettre en relation les différentes structures et aider les parents et les enseignants est souvent très difficile. L'association des maires du Haut-Rhin a créé une commission sur la santé mentale. Les maires y ont des délégués et les réunions se tiennent régulièrement. Cela fonctionne depuis quelques années. On a ainsi fait progresser certaines informations. Quand les parents sont perdus, ils vont souvent voir le centre communal d'action sociale.

On a perdu un certain nombre d'aides depuis quelques années. Dans ma commune, trente enfants se faisaient aider lorsque les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) ont été supprimés. Aujourd'hui, il devrait y en avoir cinquante ou soixante, étant donné l'augmentation des élèves. Beaucoup d'enfants ne sont pas traités. Les psychologues se trouvent à Mulhouse, à trente ou quarante kilomètres, les trajets sont longs, sans parler des remboursements. C'est un véritable casse-tête pour les parents qui travaillent. Ils aimeraient bien aider leurs enfants, mais c'est très difficile.

Beaucoup viennent me rencontrer au sujet de l'autisme ou de l'hyperactivité. Ce qui me frappe, c'est qu'ils ne sont pas pris au sérieux. Ils font remarquer à leur généraliste que leur enfant ne va pas bien mais on ne les envoie pas pour autant chez le psychiatre. Un long moment se passe avant que les enfants ne soient pris en main.

Quand on découvre des troubles, l'organisation est tout aussi terrible, du fait de la sectorisation : on pourrait aller dans un autre secteur, mais il n'existe pas de dérogation.

Je ne sais comment faire, mais il y a trop de structures. On finit par en avoir le tournis ! Les assistantes sociales n'ont jamais assez de temps et les choses sont également difficiles.

J'aimerais avoir votre avis : les collectivités territoriales ont un certain poids et peuvent aider les structures à s'organiser à ce niveau.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Vous évoquiez les comparaisons européennes. Les modèles sont très différents d'un pays à l'autre en matière de pédopsychiatrie. Nous faisons toutefois globalement partie du pays où l'offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible du point de vue des praticiens.

L'ordre national des médecins a publié une enquête en juin dernier sur l'évolution des spécialités en médecine. Entre 2007 et 2016, les pédopsychiatres ont dû diminuer de 49 % dans notre pays. Ils sont devenus une denrée rare ! Il existe des départements français où il ne reste qu'un pédopsychiatre, comme dans le centre de la France. Qu'est-ce que cela signifie dans un pays comme le nôtre ?

Les universitaires, qui sont très importants dans le domaine de la pédopsychiatrie, car ce sont eux qui vont mener la recherche, dispenser l'enseignement, et organiser la formation sur tout le territoire, n'existent même pas dans certaines régions.

Aujourd'hui, en France, les professeurs de pédopsychiatrie représentent 0,70 % des professeurs de médecine à l'université. Nous encadrons des promotions de cinquante-six internes lorsque les cardiologues en encadrent cinq ! Clermont-Ferrand, Dijon, Saint-Étienne, ne compte aucun professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent...

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Il faut former plus de pédopsychiatres, avoir une option de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Pensez que nous n'en avions pas jusqu'à présent ! Peut-être allons-nous avoir une option dans la réforme qui va se mettre en place cette année, alors qu'il en existe dans la majorité des pays européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Comment rendre plus attractive cette spécialité, passionnante au demeurant ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Oui, c'est passionnant. C'est un luxe absolu d'être professeur ou pédopsychiatre !

Il faut qu'il y ait au moins trois professeurs par université, cinq ou six dans les grandes universités, et créer des postes.

En deuxième lieu, il faut que les pédopsychiatres, dans les institutions et en ville, soient formés et rémunérés correctement. En ville, les consultations sont très longues et payées comme des consultations médicales psychiatriques générales, alors que cela n'a rien à voir.

En Belgique, on les paie deux fois et demie plus. Cela dépend des taux, mais on reconnaît là-bas le temps passé et la compétence.

Nous avons demandé dans la réforme du diplôme d'études spécialisées (DES) qu'un minimum de pédopsychiatres soient formés chaque année. Entre 30 et 40 % des psychiatres devraient être spécialisés dans le domaine des enfants et des adolescents. On me dit que c'est difficile, mais il faut prévoir des incitations.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Sauf erreur de ma part, il n'existe pas de DES de pédopsychiatrie.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Il n'y en aura toujours pas après la réforme. Il existera une option. On passera un DES général en quatre ans. On deviendra alors psychiatre pour adultes. Après un an, on sera psychiatre pour enfants et adolescents, soit au bout de cinq années.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

En effet, la reconnaissance de l'option en est une. Il faut reconnaître l'option et former suffisamment de praticiens. Selon moi, il faut exercer une contrainte en matière de nombre de nominations. C'est une petite discipline, en ce sens qu'il n'y a pas beaucoup de professionnels par rapport aux autres disciplines. Elle perd donc tous les arbitrages dans les conseils universitaires, et au lieu de nommer un psychiatre d'enfants et d'adolescents, on nomme quelqu'un d'autre, l'arbitrage se faisant en faveur des disciplines qui comptent le plus grand nombre de personnes.

C'est un problème politique. Il faut nommer des psychiatres universitaires, mieux rembourser les consultations et permettre aux praticiens de travailler collectivement, d'où la question des équipes avec des psychologues. Notre mission sur le bien-être et la santé des jeunes propose un « pass santé jeunes », avec un remboursement de dix consultations de psychologues. Cela se fait déjà dans certains endroits, et l'on voudrait que ce soit généralisé.

Les enfants ont parfois besoin de pédopsychiatres, de psychologues, de psychomotriciens, de pédagogues spécialisés, d'orthophonistes, etc. Ce sont de nouvelles organisations.

Il faut enfin un moratoire sur les postes en pédopsychiatrie. On a fermé des lits dans certains départements où l'on ne compte aucun lit en pédopsychiatrie.

Lorsqu'un adolescent fait une tentative de suicide, toute bonne pratique oblige à l'évaluer et à l'hospitaliser, comme un adulte. Aujourd'hui, en France, la plupart ne le sont pas parce qu'il n'existe pas de lieu pour cela. Heureusement, on compte encore quelques lits dans des services comme le mien, mais la plupart du temps, dans vos départements, on doit hospitaliser les enfants dans les services de psychiatrie pour adultes, avec des patients atteints de pathologies chroniques lourdes. Les médecins ne le font donc pas.

Affirmer qu'il faut former des pédopsychiatres et que chaque université doit en avoir est sûrement la meilleure façon d'y arriver. Même en Grande-Bretagne, où le système de soins n'est pas le même que le nôtre, on compte vingt fois plus de professeurs que chez nous, à nombre égal d'étudiants.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

On voit bien, dans la façon dont vous abordez les choses, qu'il existe des réponses spécifiques, une situation globale.

Vous avez indiqué que la psychiatrie fait face à une pénurie de moyens de manière globale, ainsi que la pédopsychiatrie, et vous soulignez le fait que le nombre de pédopsychiatres a diminué de 50 % en dix ans en le mettant en corrélation avec les déserts médicaux.

Quand parle de pédopsychiatrie - vous l'avez vous-même expliqué - on parle d'équipes pluridisciplinaires. Or, quand on se trouve dans des déserts médicaux, il y a pénurie de professionnels, dans un contexte de pénurie générale.

Je trouve important de le répéter, de même qu'il est important que les sénatrices et les sénateurs puissent réfléchir à la question d'un moratoire. Je pense à une proposition de loi de 2014 sur un moratoire contre les fermetures d'établissements et les regroupements : quand on produit des actes, il faut réfléchir aux conséquences.

Il me semble qu'en France, l'évaluation est assez peu répandue. J'aimerais recueillir votre appréciation dans ce domaine. On pratique des politiques de santé mais on n'évalue pas suffisamment souvent ou pas assez les conséquences des actes que l'on a produits. Quand on s'aperçoit des conséquences, il faut « ramer », si je puis dire de manière familière, mais surtout rattraper les choses.

Ma deuxième remarque concerne l'articulation entre les différentes structures et ce vous avez souligné au niveau de l'école. Il faut là aussi mener une réflexion car la suppression des RASED n'est pas arrivée seule, pas plus que le manque de professionnels, de psychologues scolaires, etc.

Il faut aussi tenir compte de l'articulation entre ces structures scolaires et les structures de santé, et de la façon dont les professionnels peuvent travailler ensemble et coopérer avec des passerelles. Encore faut-il que les structures le permettent, avec des plages horaires pour pouvoir formaliser ces rencontres et ces échanges.

Troisième remarque : peut-être n'a-t-on pas assez souligné le fait qu'il faut parler de reconnaissance des professionnels et des différentes professions. On trouve de moins en moins de professionnels dans certaines disciplines, et il faut aussi réfléchir à la façon dont ceux-ci sont reconnus. On peut parler des médecins, des pédopsychiatres, des psychiatres, mais il faut aussi se pencher sur la reconnaissance des psychologues. Il existe aujourd'hui une véritable difficulté dans ce secteur, et une vraie souffrance de ces professionnels.

J'ai cru comprendre que l'une de mes collègues estime que les structures sont trop nombreuses. Je ne le crois pas ! On a fermé énormément d'établissements qui n'ont pas été obligatoirement remplacés, et on a aujourd'hui des pathologies très diverses dans ces mêmes établissements, ce qui ne devrait pas être le cas, me semble-t-il.

À tout le moins, il faudrait que les établissements soient plus diversifiés et dirigés différemment pour pouvoir accueillir toutes ces pathologies. Il faut que ces structures s'adaptent aux différentes pathologies et recourent des équipes pluridisciplinaires extrêmement pointues.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

On retrouve souvent dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) de jeunes gens qui n'y ont pas forcément leur place. Faute de mieux, le juge, en utilisant je ne sais quel article du code, les y place directement.

Comment mieux articuler l'action des différents intervenants s'agissant de ce problème de souffrance de l'adolescent ou de l'enfant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

On ne trouve pas de lits de pédopsychiatrie en Corrèze ou dans la Creuse. On en compte seulement huit à Limoges pour toute la région. Ceci pose beaucoup de problèmes en matière de prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) des enfants qui sont placés dans des structures qui ne sont pas adaptées, alors qu'ils devraient se trouver dans des services de pédopsychiatrie.

C'est un problème qu'il faudra essayer de résoudre rapidement.

Pour ce qui est de l'autisme, on a accompli des progrès en matière de diagnostic mais les parents sont ensuite obligés de se rendre en Belgique ou ailleurs pour faire prendre leur enfant en charge individuellement.

Les maisons d'accueil spécialisées comptent souvent des autistes adultes qui n'ont pas été diagnostiqués et qui sont pris en charge de façon non adéquate.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Je vais être provocatrice mais je voudrais intervenir sur le sujet de la démographie médicale, qui connaît aujourd'hui des problèmes du fait de l'inégalité d'installation des médecins et du mode d'exercice de la médecine, qui a beaucoup changé. On sait qu'il faut former plus de médecins.

Or - et cela remet peut-être en cause le principe de l'autonomie des universités : les doyens font ce qu'ils veulent ! Il existe des spécialités pauvres. On parle beaucoup de la médecine scolaire, des pédopsychiatres, mais pas des psychiatres qui s'installent massivement en ville, où ils trouvent une reconnaissance ad hoc de leur profession. Ce sont les psychiatres hospitaliers qui manquent.

Il faut surtout insister sur le fait que les doyens font ce qu'ils veulent : la médecine du travail et la médecine scolaire sont les parents pauvres de notre système de santé. Lorsque je parle de la médecine, il ne s'agit pas seulement de la formation des médecins mais de tout ce qui concerne ces spécialités.

C'est une question de volonté, non de moyens. Je pense qu'il faudrait être plus coercitif par rapport aux doyens des facultés de médecine, qui font ce qu'ils veulent.

Par ailleurs, concernant la médecine scolaire, certaines décisions politiques ont été selon moi assez catastrophiques - RASED, psychologues scolaires. Même lorsque le budget de l'Éducation nationale était prospère, la médecine scolaire était le parent pauvre de l'Éducation nationale. De ce fait, le ministre de la santé et la faculté de médecine ont laissé pour compte la médecine scolaire.

Que pensez-vous de l'idée que la médecine scolaire ressortisse à nouveau de la compétence de la santé et non de celle de l'éducation nationale ? C'est une question provocatrice mais que je souhaitais vous poser.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Devant cette pénurie, ne peut-on travailler avec ceux qui se trouvent sur le terrain ? Il existe pas mal de structures, même si l'harmonisation entre elles manque parfois...

Par ailleurs, comment organiser l'Éducation nationale afin qu'elle se charge de l'accompagnement nécessaire aux soins ? Une fois l'adolescent soigné, il faut le réintroduire dans un milieu normal, celui de l'éducation, au milieu d'adolescents correspondants à son âge. J'ai compris qu'on avait souvent des difficultés à trouver le bon interlocuteur ou les assouplissements nécessaires pour cet accompagnement...

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Dans notre rapport, nous avons estimé que les maisons des adolescents sont des institutions avec lesquelles des regroupements d'établissements scolaires peuvent passer convention afin d'avoir des accès privilégiés à des professionnels qui accepteraient de conventionner une partie de leur travail avec les plates-formes que constituent les maisons des adolescents. On n'y trouve pas que des thérapeutes mais aussi des éducateurs ou des gens capables de conseiller et d'accompagner les adolescents.

Placer le monde de l'Éducation nationale, avec ses contraintes et sa culture, face au monde des soins ne permet pas d'aller assez loin. C'est pourquoi on développe à nouveau des institutions qui ont fait leurs preuves.

Vous posiez la question de savoir si le fait de confier la gestion des médecins de santé scolaire à la santé et non plus à l'Éducation nationale pourrait résoudre le problème : je ne le crois pas.

Le dernier élément qui nous tient à coeur concerne le retour à la scolarité des élèves qui doivent bénéficier de manière prioritaire d'une prise en charge thérapeutique lourde.

Ces retours sont si compliqués que les thérapeutes eux-mêmes en font un motif de soins. Une scolarité avec laquelle on se réconcilie et qui redémarre constitue un facteur de retour vers des normes de vie plus classiques pour les adolescents et leurs parents.

Nous pensons aussi que l'on peut favoriser ces retours, à condition qu'une commission ad hoc accompagne l'élève, autour du médecin scolaire, du psychologue de l'éducation nationale et de l'infirmière, sollicités par le professeur principal ou le professeur d'EPS - qui portent parfois un regard plus acéré que d'autres sur les élèves - voire par les agents de service, souvent témoins d'un certain nombre de signes.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Vous préconisez donc la nomination d'un médiateur par établissement afin de suivre les signalements et de veiller au bon déroulement de l'accompagnement au retour...

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Oui, c'est une formule.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Nous avons appelé cela un « dispositif d'alerte », en l'envisageant plus en termes de fonctions que de personnes.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Le dispositif doit être assez simple. On est souvent dans l'urgence. Il faut quelqu'un de responsable et que cette cellule ne soit pas compliquée.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Ce n'est pas compliqué mais ce n'est jamais individualisé. Ce système ne peut reposer sur une seule personne. Les différents métiers doivent se réunir à l'intérieur de l'école.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Je pense cependant qu'un responsable identifié est nécessaire. Dans le cas contraire, je crains que cela ne fonctionne pas très bien.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Cela existe déjà.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Des expériences très intéressantes ont été tentées avec les services d'assistance pédagogique à domicile (SAPAD), l'académie et les centres hospitaliers spécialisés. Il faut absolument une banque de données.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

On a déjà un institut et une application avec l'ensemble des ressources. C'est ce qu'on a proposé avec le « pass santé jeunes ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Votre proposition est intéressante.

Nous n'avons pas parlé des groupements hospitaliers de territoire (GHT). J'ai plaidé, dans ma région, pour un GHT intégrant la médecine psychiatrique. Je ne suis pas une professionnelle mais j'ai pensé que la prise en charge psychiatrique s'inscrit dans un parcours de soins général. C'est ce qui s'est fait.

J'y vois une amorce de solution temporaire pour pallier cette pénurie via la télé-médecine, grâce à un établissement référent et à des équipes mobiles. Cela existe déjà. Dans le milieu rural profond, où l'on ne peut avoir de pédopsychiatre, il est impératif que la prise en charge se déroule hors les murs, comme pour les adultes.

Qu'en pensez-vous ? Croyez-vous qu'il faille que la médecine psychiatrique et, singulièrement, la pédopsychiatrie soient parties prenantes ? Estimez-vous qu'il aurait mieux valu continuer à séparer la médecine psychiatrique de la médecine générale ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

La psychiatrie est maintenant une spécialité médicale. C'est plutôt une bonne chose.

Un certain nombre d'organisations s'y sont toutefois opposées pour des raisons très pragmatiques. Malheureusement, il existe des hiérarchies entre médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), psychiatrie, et pédopsychiatrie.

Ce n'est pas ma position mais la crainte était de perdre certains budgets. Il faut donc améliorer l'organisation et rendre l'offre de soins lisible, ce qui n'est pas toujours le cas, ainsi que vous le disiez.

Certes, des dispensaires et des équipes entières ont disparu, et les professionnels se sont sentis considérés comme quantités négligeables.

En outre, les patients en psychiatrie atteints de pathologies structurées sont mal soignés sur le plan somatique.

Par ailleurs, certaines pathologies doivent être traitées par les deux systèmes. Par exemple, certaines maisons des adolescents, comme la mienne, sont pluridisciplinaires. On y trouve à la fois des pédiatres et des psychiatres - mais c'est extrêmement rare.

On a dit qu'on avait du mal à adapter les trajectoires scolaires des enfants ayant connu des moments de fragilité. Or, il existe en France un système génial, le système soins-études, issu de la Seconde Guerre mondiale. Certains départements, plus chanceux que d'autres, en disposent, d'autres non.

Ce sont des endroits qui sont situés à Paris, mais aussi parfois à la campagne, où l'on se soigne et où l'on poursuit à la fois ses études. Cela fonctionne extraordinairement bien et c'est totalement déstigmatisé : on va à l'école, au collègue, au lycée, dans un centre de formation, mais on se soigne avant, pendant et après, et l'on s'occupe des parents.

Ces endroits ne sont toutefois pas suffisamment nombreux. La Fondation de santé des étudiants de France a été pionnière en ce domaine. Ceci a été évalué très positivement. Croyez-vous que cela soit en voie de généralisation ? Pas du tout ! Pourtant, cela ne coûte pas spécialement cher et remet des collégiens, des lycéens, des étudiants sur la bonne voie, ce qui n'a pas de prix. Tous les pays européens nous envient cette organisation. Certains l'ont même mise en place.

Un institut ou une fondation permettrait de capitaliser ces solutions.

La reconnaissance des professionnels est une vraie question. La formation des psychologues est souvent très exigeante ; or, ils ne trouvent pas toujours beaucoup de travail par la suite et sont peu payés.

Dans certains pays, les psychologues qui ont une fonction de soins suivent un internat comme les médecins. Ils ont des responsabilités à l'intérieur de l'hôpital afin d'être bien formés. C'est le cas en Espagne et dans d'autres pays européens mais pas en France. Cela limite parfois leurs responsabilités et surtout leur reconnaissance.

Quant aux pédopsychiatres, quelques-uns peuvent se sentir peu reconnus. Les débats idéologiques autour de l'autisme ont ainsi été très difficiles pour la communauté des pédopsychiatres. On a même retiré l'autisme du champ de la pédopsychiatrique ou de la formation continue.

C'est là un vrai problème, quasiment spécifique à la France. On est parfois incapable de travailler ensemble sur des objets complexes.

Vous proposez que la faculté de médecine reconnaisse la médecine universitaire, la médecine scolaire, la médecine du travail et la pédopsychiatrie. Connaissant mes collègues, je ne sais si une politique coercitive pourrait être efficace. On pourrait toutefois la rendre incitative et fixer un cadre minimum aux universités.

Je crois plus à la nécessité de définir un cadre minimum si l'on veut que cela fonctionne et que l'on puisse former toutes les spécialités nécessaires à une prise en charge globale des problèmes de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

C'est le problème de l'autonomie des universités, qui font ce qu'elles veulent. Je connais l'exemple d'un doyen de faculté de la région Nord-Pas-de-Calais qui ne s'intéresse pas à la médecine générale et n'organise pas de stage dans ce domaine. C'est pourtant un devoir, en particulier en matière de pédopsychiatrie.

Vous dites que les consultations privées de ce secteur sont sous-payées, alors que les psychiatres du privé gagnent bien leur vie. Pourquoi les pédopsychiatres privés n'ont-ils pas droit à une reconnaissance spécifique ? C'est une spécialité supérieure à la psychiatrie !

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Il n'y a pas de reconnaissance de la compétence pédopsychiatrique dans le privé. Or, un acte pédopsychiatrique nécessite bien plus de temps qu'un acte dans le domaine de la psychiatrie des adultes.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

En effet.

Les psychiatres du privé font toutefois partie des spécialistes les moins payés. Les pédopsychiatres qui s'installent en ville intègrent des réseaux afin de pouvoir travailler avec l'hôpital. Mon propre réseau compte mille professionnels, ce qui n'existe pas dans le Nord-Pas-de-Calais.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Dans certaines régions, des conventions entre l'ARS et le rectorat comportent des référents afin de faire vivre tout cela, avec des conseillers techniques en médecine, dans le domaine infirmier, au rectorat, mais cette architecture n'existe pas encore chez les psychologues.

On manque de conseillers techniques pour coordonner les échanges entre l'ARS, le dispositif santé et soins, et l'Éducation nationale. Il faudrait le mettre en place dans le cadre de la création de l'institut que vous évoquiez.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

En effet !

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Nous avons rendu notre rapport au Président de la République, le 29 novembre dernier, en présence de quatre ministres. Les ministres de la santé et de l'éducation nationale et de la recherche ont signé ce jour-là une convention-cadre qui vaut pour les trente académies de France et de Navarre. Vous l'avez dit vous-même, cela n'existe pas partout. On demande maintenant à chacune des académies de construire une convention obligatoire avec l'ARS adaptée à leur territoire.

Je suis par ailleurs totalement convaincu qu'il faut auprès des recteurs un correspondant de la corporation des psychologues de l'éducation nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Il faut faire la même chose avec les doyens de médecine !

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Il faut un cadre pour les doyens de médecine !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Les addictions, notamment au cannabis, entraînent-elles des troubles psychiatriques ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

C'est une question importante et d'actualité, à propos de laquelle les associations de parents d'élèves me demandent toujours des conférences. J'ai dû en faire une centaine dans ma vie, tant la question se pose au quotidien.

Les addictions sont à coup sûr un problème de santé publique chez les jeunes et ce de plus en plus tôt. Le phénomène est assez diversifié et touche toutes les classes sociales. Les plus défavorisées et les minorités culturelles constituent des milieux qui vulnérabilisent les enfants et leur développement. Il faut donc également s'occuper de l'environnement.

Un certain nombre de jeunes utilisent le cannabis à titre d'expérimentation. D'autres vont s'y accrocher et être pris au jeu. On entre alors dans les addictions au sens psychiatrique du terme.

A priori, les addictions ne créent pas de pathologie psychiatrique structurée - schizophrénie, dépression au sens psychiatrique du terme, comme les maladies bipolaires. C'est toutefois un facteur de vulnérabilité.

Dans un certain nombre de cas, elles déclenchent des pathologies dont on n'est pas sûr qu'elles ne seraient pas arrivées sans cela, les aggravent et rendent le diagnostic beaucoup plus tardif. Il s'agit donc de quelque chose de grave. L'unité de l'INSERM de Bruno Falissard mène un certain nombre d'études sur ces questions.

Cela crée également des tas d'autres pathologies - symptômes dépressifs, troubles de la mémoire, de l'attention, retrait du monde, etc. - mais il faut être nuancé.

Deuxièmement, ceux qui ont une vulnérabilité psychologique ou psychiatrique vont parfois considérer les addictions comme une sorte de médicament pour se soulager, s'endormir, diminuer la souffrance, et avoir une raison objective de ne pas comprendre ce qui se passe.

Il faut donc vraiment s'occuper des addictions à l'adolescence, non seulement pour éviter les pathologies psychiatriques structurées, mais surtout pour éviter à ces adolescents de souffrir et de développer une sorte de rapport difficile au monde.

Lors de nos auditions, nous avons été frappés par l'intérêt des associations de pairs, dont les membres sont capables de repérer l'alcool, l'héroïne et les amphétamines en allant au plus près de leurs camarades en danger.

L'engagement et l'intérêt de ces jeunes sont impressionnants. Cela leur fait également du bien de mener ce travail en rapport avec le lien social.

Il s'agit de quelque chose à encourager. C'est le cas dans les textes sur les lycées et les collèges. Cela devrait être organisé et soutenu. Il s'agit d'une véritable action en lien avec le système scolaire et le système de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Pouvez-vous nous dire deux mots sur l'épidémiologie de la pédopsychiatrie ? De nouveaux troubles qui n'existaient pas il y a trente ans sont-ils apparus ? Comment voyez-vous les choses en fonction des catégories sociales et des territoires ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

C'est tout l'objet de notre unité INSERM. Très peu d'unités de l'INSERM traitent de l'épidémiologie des troubles des enfants et des adolescents. Cela devrait pourtant être encouragé.

Ces trente dernières années ont en effet connu une évolution des pathologies du développement, qui sont très influencées par les organisations familiales, l'école et la société.

Par ailleurs, la société tolère beaucoup moins de souffrances et de dysfonctionnements chez les enfants - et c'est tant mieux. Elle demande donc qu'on les reconnaisse, qu'on les diagnostique et qu'on les soigne.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Ne trouvez-vous pas que le seuil de frustration individuelle a beaucoup baissé ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Vous voulez parler de la tolérance individuelle... En effet, mais j'ai l'impression que c'est la tolérance des parents et de la société qui a reculé, plus que celle des enfants.

La dépression des enfants n'existait pas auparavant. Elle existe à présent. Il en va de même chez le bébé. Il est vrai qu'on était moins capable de la diagnostiquer mais cela devient un objet de la pédopsychiatrie.

La dépression, chez l'adolescent, reste très importante. Elle touche entre 8 % à 10 % d'une classe d'âge, ce qui est beaucoup, et prend des formes en rapport avec la société, comme les troubles du comportement alimentaire qui, il y a trente ans, n'existaient que dans certaines classes sociales, surtout les plus favorisées.

Aujourd'hui, les troubles du comportement alimentaire se sont démocratisés. Ils appartiennent non seulement à toutes les classes sociales, mais également à toutes les cultures de notre pays. Auparavant, les enfants de migrants n'avaient aucun trouble du comportement alimentaire, contrairement à ce qui se passe à présent.

Cela signifie que la souffrance, qui est parfois diffuse, prend une forme qui attire l'attention de l'adulte.

Les troubles de l'attention ont augmenté de façon très importante ces dix dernières années. Ceci est peut-être lié à la nécessité de se concentrer à l'école et d'être bon élève. Peut-être acceptait-on auparavant que les enfants ne se concentrent pas tous, ne soient pas tous parmi les meilleurs et n'apprennent pas tous ce qu'ils devaient apprendre. Les pathologies sont également liées aux attentes et aux projections.

Des pathologies comme les phobies scolaires apparaissent. Elle n'existe pas sur tous les territoires. On les trouve surtout dans les grandes villes. On parle même d'épidémies à Paris, Lyon, etc. La phobie scolaire touche les élèves qui n'arrivent pas à aller à l'école et qui sont pris d'une angoisse sur le chemin de celle-ci, ou lorsqu'ils y arrivent. Ils sont angoissés par le rapport aux autres, mais aussi par le rapport au savoir et aux adultes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Est-ce que la violence a véritablement augmenté, en particulier en milieu scolaire ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Pour en finir avec l'épidémiologie, les troubles psychotiques ne se sont pas modifiés. Il y a des discussions autour de l'autisme, mais ce sont à peu près les mêmes prévalences.

Pour ce qui concerne la violence à l'école, je dois dire que ni les études ni mon expérience clinique ne me permettent vraiment de dire si les choses sont objectives ou ressenties.

Toujours est-il qu'il existe une violence ressentie importante, qui se modifie avec les réseaux sociaux, et qui fait que les enfants ne sont pas toujours armés pour y répondre. Ils ont beau connaître les réseaux sociaux, ils doivent se protéger seuls, les parents ne connaissant pas trop le sujet, qui est nouveau pour eux. C'est peut-être là la nouveauté. Les formes changent et les enfants y sont exposés seuls, comme si les adultes ne pouvaient pas correctement les protéger. On doit donc faire en sorte de protéger ces enfants. La notion de protection et le fait que l'école soit un havre de paix sont importants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Qu'en est-il des jeux de rôle et du jeu du foulard ?

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Le jeu du foulard est un jeu dangereux, mais ce n'est pas un jeu de rôle. Il se répand un peu comme une épidémie : il arrive à un endroit, s'étend, puis on n'en parle plus. Il continue à exister, mais il a diminué.

Vous n'avez pas évoqué la radicalisation : voilà un processus qui peut fasciner les personnes fragiles ou qui n'ont plus d'idéaux, et que la guerre excite. Ce sont des pathologies de la fragilité et de la désespérance.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Je pense qu'on a encore énormément de progrès à faire pour faire en sorte que les élèves aient le sentiment d'avoir des moyens de recours et puissent parler de ces choses au sein de l'établissement scolaire.

Je l'ai dit en introduction, notre institution solaire n'a pas l'habitude de ces prises de parole et de ces recours. Il n'en demeure pas moins qu'il faut faire savoir que le cabinet de l'infirmière constitue un espace de protection où déverser sa souffrance ou ses difficultés, dont on peut se débarrasser. Toutes ces choses méritent d'être mises en place.

J'en veux pour dernier exemple les conditions de travail du lycéen, qui ne font pas l'objet de discussions réelles ni objectives. Lorsqu'on est apprenti, on est protégé par le droit du travail. Il existe une réglementation qui s'impose à l'employeur, et la santé et les conditions de travail doivent répondre à un certain nombre d'exigences.

Combien de temps un lycéen de terminale travaille-t-il ? À quel rythme ? Quelle est l'ergonomie du lycéen par rapport au travail ? Où en parle-t-on ? Le statut du lycéen de terminale, qui a souvent dix-huit ans et est donc majeur, est le même que celui d'un élève de sixième !

Interrogeons-nous sur les formes de scolarité. Le recueil de la parole de l'élève doit sans doute être adapté à son âge, afin de faire en sorte qu'il existe une écoute particulière.

Je ne me situe pas sur le même plan que Marie-Rose Moro qui, par son métier, ses compétences et son expérience, traite des cas les plus lourds, mais les souffrances passagères, les difficultés, les incompréhensions, le sentiment de la dignité des élèves en échec scolaire peuvent sans doute être entendus et traités de manière plus fine et plus efficace.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Il s'agit au fond de démocratie scolaire !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Des budgets participatifs à l'initiative de la région existent...

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Sauvez la pédopsychiatrie !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Grâce à votre investissement, on voit qu'il existe des pistes et des solutions, comme le projet de santé, la formation, la recherche...

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Brison, inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional

Marie-Rose Moro vient de demander avec humour que l'on sauve la pédopsychiatrie. Je vous recommande également, si vous me le permettez, d'être attentif à l'évolution du statut des psychologues de l'Éducation nationale. Nous sommes actuellement sur une ligne de crête. Les arbitrages sont en train d'être rendus. Des choses importantes vont se jouer dans les semaines qui viennent.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Cela aurait dû sortir en fin d'année dernière. Ce n'est pas encore le cas et l'inquiétude est vive, car le concours arrive.

Debut de section - Permalien
Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service à l'université Paris Descartes

Surveillez bien les choses !