Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête relative aux mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en recevant de manière conjointe Réserves naturelles de France et la Fédération (CRNF) des conservatoires d'espaces naturels (CFEN).
Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau.
Notre objectif est d'identifier, à partir d'exemples concrets, les principaux obstacles qui empêchent aujourd'hui une bonne application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) et de faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre concrète, l'efficacité et le suivi des mesures compensatoires en France.
Nous entendons cet après-midi Emmanuel Michau, administrateur de Réserves naturelles de France, Benoît Biteau, président du conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes et Frédéric Breton, directeur du conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire.
Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo, et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.
Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment en rappelant que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Emmanuel Michau, Benoît Biteau et Frédéric Breton prêtent successivement serment.
A la suite de vos propos introductifs, Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les projets concernés par notre commission d'enquête ?
Le conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire a une relation contractuelle avec COSEA, concessionnaire de la LGV Sud-Europe-Atlantique (SEA) pour le portage des mesures compensatoires. Il s'agit du seul lien d'intérêts du conservatoire avec les quatre projets que vous avez cités.
Je n'ai pas de liens d'intérêts à titre personnel. La réserve naturelle de la Crau a un lien d'intérêts avec l'opération de réserves d'actifs naturels de Cossure.
Le conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes est uniquement concerné par la LGV SEA en tant qu'opérateur de mesures compensatoires, en partenariat avec LISEA et COSEA.
Je vous donne la parole, notamment pour répondre aux questions que nous vous avons adressées.
Les réponses que nous allons apporter aujourd'hui au questionnaire que vous nous avez transmis seront complétées par l'envoi d'une note rédigée par le réseau des conservatoires d'espaces naturels. Certaines des réponses contenues dans cette note sont confidentielles : nous souhaitons que vous disposiez de la meilleure vision possible des points forts et des points faibles de la mise en place des mesures compensatoires sans pour autant mettre en péril notre relation contractuelle avec le maître d'ouvrage.
Votre première question concerne l'implication du réseau des conservatoires d'espaces naturels dans les mesures compensatoires. Elle s'exerce à deux niveaux. Le premier est celui de l'élaboration des doctrines et des lois. Nous avons défendu plusieurs amendements lors de l'examen de la loi relative à la biodiversité dont certains ont été retenus. Ce texte représente une avancée considérable du point de vue de la compensation qui est désormais obligatoire, après quarante années où s'est appliquée la règle du « si possible ».
Nous avons édicté une charte éthique sur la mise en oeuvre de la compensation. Afin de ne pas être juge et partie, nous n'intervenons pas au stade de l'évaluation des impacts et de la dette compensatoire, mais uniquement dans la mise en oeuvre des mesures compensatoires, une fois qu'elles ont été validées par l'Etat et les autorités scientifiques. Cette mise en oeuvre s'effectue principalement à travers le portage foncier et la restauration puis l'entretien des zones de compensation dans la durée, plutôt que par la conservation de zones qui sont déjà en bon état fonctionnel. Nous pouvons refuser de mettre en oeuvre des mesures de compensation lorsque nous estimons qu'elles ne correspondent pas aux principes contenus dans notre charte éthique.
Les réserves naturelles sont, par nature, moins concernées par les grands aménagements. Pour autant, elles sont régulièrement concernées par d'autres types de travaux qui impliquent des compensations - entretien de barrages hydro-électriques, pistes forestières, digues de protection contre la mer notamment. Leurs gestionnaires sont alors associés à la mise en oeuvre de la séquence ERC et dialoguent avec le maître d'ouvrage.
Le plus souvent, les réserves naturelles sont indirectement concernées pour des espaces externes à l'espace protégé. A ce titre, elles sont consultées par l'autorité administrative en tant qu'expert.
Les réserves naturelles peuvent également être bénéficiaires de mesures compensatoires liées aux infrastructures. Ces mesures compensatoires peuvent conduire à renforcer les mesures de protection sur des espaces qui ont un lien de fonctionnalité avec les réserves naturelles.
Nous intervenons au stade de la mise en oeuvre des mesures compensatoires. 26 conservatoires sur les 29 existants interviennent dans le portage de mesures compensatoires. Tous les types d'infrastructures sont concernés, depuis les parcs éoliens jusqu'aux infrastructures linéaires de transports. L'essentiel des missions porte sur le portage du foncier, la restauration et la gestion des sites de compensation.
A la date du 1er septembre 2016, le cumul des surfaces acquises au titre de la compensation représentait 1 270 hectares. Les conventionnements, censés être plus ponctuels car moins pérennes, portaient sur une surface de 2 880 hectares. Au total, les sites de compensation représentent en moyenne moins de 10 % du bilan foncier des conservatoires. Un conservatoire est engagé à hauteur de 30 %. Les personnels mobilisés pour la mise en oeuvre des mesures compensatoires peuvent représenter jusqu'à 10 % des équipes des conservatoires.
Les conservatoires ont parfois refusé de mettre en oeuvre les compensations, pour l'essentiel lorsqu'il n'y avait pas de maîtrise foncière ou lorsque les moyens proposés étaient jugés insuffisants pour assurer la restauration et l'entretien dans la durée des zones concernées.
Les réserves naturelles sont très souvent mandatées par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour la mise en oeuvre des mesures de compensation. Cette notion de « mandatement » est importante pour situer notre responsabilité.
L'expérience de nos conservatoires ne nous permet pas de dégager d'appréciation générale sur la façon dont nous sommes associés au choix des sites de compensation. Les choses se font au cas par cas : dans certaines situations, les sites sont déjà définis dans l'arrêté ; dans d'autres cas, c'est le porteur des mesures qui propose les sites, qui sont ensuite validés par l'autorité environnementale.
Le critère de proximité est relativement important. Un ouvrage a un impact local sur la biodiversité : il détruit un écosystème ou induit une perte de fonctionnalité ; il conduit à la disparition ou à la fragmentation de certaines populations d'espèces. La compensation doit donc se faire à proximité de l'ouvrage afin de préserver les espèces et d'agir sur des milieux écologiques présentant des caractéristiques relativement comparables. De plus, compenser à proximité permet d'éviter d'avoir des territoires qui seraient été entièrement sacrifiés en raison des aménagements qui y sont réalisés.
La territorialisation est également importante pour nous. S'y ajoute le besoin de cohérence avec les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Il serait à ce titre intéressant que les conservatoires et les réserves naturelles, en raison de leur couverture territoriale et biologique, puissent proposer des réseaux de sites agréés de compensation.
Certaines mesures compensatoires peuvent également venir conforter les politiques menées par des réserves naturelles, au moins dans leurs périmètres de protection. La réserve des marais d'Yves est par exemple directement impactée par la création d'ouvrages de protection contre la mer : des mesures compensatoires plutôt fonctionnelles ont été proposées par le gestionnaire sachant que la reconstitution de surfaces analogues est difficile dans ces milieux qui sont très particuliers - marais à halophytes.
S'agissant de la maîtrise foncière, le réseau des conservatoires estime essentiel d'assurer la pérennité de la compensation. Tant que cette garantie de pérennité est assurée, toute structure capable de porter du foncier doit pouvoir mettre en oeuvre des mesures compensatoires. Le réseau des conservatoires a pour principe d'inscrire l'inaliénabilité des terrains dans les actes des sites qu'il acquiert. Il porte également un fonds de dotation auxquels peuvent être versés des sites de mesures compensatoires et travaille à la création d'une fondation reconnue d'utilité publique qui pourrait accueillir des sites de compensation provenant de porteurs de projets publics.
La pérennité doit être appréciée au regard de la durée de l'impact sur le territoire. Les enjeux ne sont donc pas les mêmes pour un parc éolien, qui peut être démonté au bout de vingt ans, et pour une infrastructure linéaire de transports, qui a priori ne sera jamais abandonnée.
L'acquisition et le bail emphytéotique sont les outils les plus adaptés pour assurer la pérennité. La création de servitudes foncières inscrites aux hypothèques est également prévue par les textes, sans que soit nécessaire l'existence d'un fonds servant.
Il convient de ne pas sous-estimer les difficultés et les délais liés à l'acquisition foncière, parfois difficilement compatibles avec la mise en oeuvre de la compensation. On pourrait réfléchir à l'inscription automatique des zones de compensation dans les zones de préemption espaces naturels sensibles (ENS), qui offrent ensuite certaines garanties d'inaliénabilité.
Pour être efficace, la compensation doit respecter les principes de cohérence écologique, de proximité géographique et d'acceptabilité locale. Dans ce but, il pourrait être utile de travailler, à une échelle territoriale cohérente, à des schémas de planification permettant de croiser les projets d'aménagements envisagés sur plusieurs années et les sites de compensation qui pourraient être mobilisés. Cette planification viendrait à l'appui de la concertation avec les acteurs locaux et permettrait d'anticiper de futures acquisitions foncières.
Le devenir des mesures de compensation est une question cruciale. Rien n'étant prévu une fois écoulée la durée fixée par les arrêtés, des sites de compensation pourraient être radicalement transformés, ce qui entraînerait la perte du gain de biodiversité obtenu au préalable. De plus, aucun mécanisme de cession ne semble mis en oeuvre pour garantir la vocation environnementale des terrains concernés.
La question de la poursuite des mesures de gestion est importante. Une partie des crédits destinés aux mesures de compensation pourrait venir alimenter une fondation qui permettrait d'asseoir de façon pérenne les mesures de gestion.
S'agissant de la pérennité du foncier, il serait possible de réfléchir à la cession des territoires aux conservatoires du littoral lorsqu'ils sont compétents, aux départements ou aux communes par un aménagement des textes sur les ENS, voire aux conservatoires d'espaces naturels.
S'agissant des réserves d'actifs naturels et des sites naturels de compensation, l'expérience de la Crau est intéressante tout en présentant certaines limites. Les aspects positifs sont : l'anticipation des gains de biodiversité, qui interviennent avant impact ; la mise en oeuvre des mesures compensatoires à grande échelle, ce qui permet de renforcer leur effet ; la création d'une offre dans des zones où les tensions foncières sont importantes ; l'existence d'un seul porteur de mesures compensatoires, estimé compétent, ce qui facilite la relation avec le maître d'ouvrage mais aussi le contrôle.
En revanche - et ces remarques s'appliquent à la compensation de façon plus générale -, la notion d'intérêt public, sur laquelle s'appuient certaines dérogations, est parfois dévoyée : l'argument de la création d'emplois est par exemple souvent avancé, sans faire l'objet de contrôles a posteriori. La compensation par l'offre peut également générer des risques de contournement des étapes éviter et réduire au lieu de rester résiduelle. Existent également des incertitudes liées aux durées et aux surfaces d'engagement.
Nous craignons nous aussi que l'existence de sites de compensation agréés ne conduise à négliger les étapes éviter et réduire.
S'agissant de l'A 65, le conservatoire des espaces naturels d'Aquitaine est intervenu uniquement en tant que prestataire de CDC Biodiversité, qui porte les mesures compensatoires. Il ne dispose pas à ce jour d'une vision globale du projet et de l'impact effectif des mesures compensatoires.
Concernant le projet d'aéroport de Notre-Dames-des-Landes, nous pouvons vous indiquer qu'il s'agit d'un projet important sur une vaste surface, qui rend complexe l'appréciation des fonctionnalités écologiques et des communautés d'espèces à compenser. Cette complexité est renforcée par le fait qu'il s'agit d'une zone source pour la fonctionnalité des écosystèmes, tant du point de vue hydro-écologique que du point de vue de la biodiversité.
Nous disposons de davantage d'informations sur la LGV SEA, qui s'étend sur trois régions et concerne donc trois conservatoires différents, qui portent les mesures compensatoires. Ces dernières sont définies par des arrêtés au contenu relativement sibyllin : sont définis une dette cumulée de 24 180 hectares ainsi que des objectifs de sécurisation foncière de 20 % pour la faune et 50 % pour la flore, soit un objectif d'acquisition à l'échelle de la ligne de 78 hectares pour la flore et 4 800 hectares pour la faune. Les bilans qui nous ont été présentés nous permettent d'estimer que la fourchette de réalisation pour les acquisitions est comprise entre 550 et 797 hectares, soit entre 11 % et 15 % de la surface à acquérir, avec de fortes disparités entre régions naturelles. Le conventionnement pourrait atteindre 2 660 hectares, soit 13 % de la dette fixée dans les arrêtés.
Un dispositif partenarial a été mis en place par LISEA et COSEA dans le but d'associer largement les acteurs territoriaux, ce qui est positif mais risque aussi de faire perdre à ces derniers leur regard critique sur la mise en oeuvre des mesures compensatoires.
Nous estimons par ailleurs que les arrêtés ne sont pas suffisamment précis quant à l'obligation de résultats. Nous regrettons également que les mesures foncières soient limitées à la durée de la concession et que le conventionnement soit la solution privilégiée.
Au final, le maître d'ouvrage répond aux objectifs et mobilise les moyens nécessaires, notamment humains. Pour autant, les exigences applicables au maître d'ouvrage retardent la mise en oeuvre de mesures qui étaient enserrées dans un calendrier de cinq ans et sont intervenues en parallèle de la construction de l'ouvrage alors qu'elles auraient dû lui être préalables.
S'agissant de Notre-Dame-des-Landes, j'ajouterai que l'avis des experts sur la quasi-impossibilité de compenser des milieux humides oligotrophes situés en zone source interroge sur le projet.
L'une de nos principales propositions consiste à séparer plus nettement les phases de diagnostic et de définition relatives à l'évitement et à la réduction de la compensation de l'impact résiduel. Celle-ci doit être calibrée en amont de la déclaration d'utilité publique (DUP) et inscrite dans cette dernière, ce qui faciliterait sa réalisation. Une telle mesure pourrait être vécue par la profession agricole comme une confiscation supplémentaire d'espaces agricoles. Il faut cependant savoir que les principaux bénéficiaires de la gestion des espaces restaurés par les conservatoires d'espaces naturels sont des exploitants agricoles.
Nous insistons sur l'anticipation, qui doit aussi permettre de consulter des experts. Il serait également important de disposer d'une définition fiable de ce qu'est l'intérêt public majeur, parfois difficile à apprécier pour l'autorité administrative. Les protocoles scientifiques d'acquisition des données naturalistes ne sont pas toujours appliqués avec le même soin, les mêmes moyens et la même pression sur les variantes envisagées. Il serait également important que l'ensemble des mesures qui composent la séquence ERC soient reprises in extenso dans les arrêtés et attestées et préparées avant le dépôt du projet. Les mesures doivent s'appliquer sur la durée de vie du projet, ce qui pose la question des infrastructures pérennes.
Les comités de suivi ont un rôle important à jouer pour ces grandes infrastructures et pourraient être complétés par un rapport annuel ou bisannuel aux comités régionaux de protection de la nature (CRPN).
L'établissement d'éléments de doctrine pour les autorités administratives doit être poursuivi. La DREAL Bourgogne-Franche Comté a une action intéressante en la matière. La doctrine doit se doubler d'outils techniques permettant une meilleure cohérence des méthodes d'action et de suivi, sans nuire pour autant à l'inventivité. L'Agence française pour la biodiversité (AFB) pourrait porter ces éléments en lien avec les DREAL. Dans ce domaine, les réseaux d'espaces naturels peuvent également avoir un rôle d'appui.
Des méthodes claires d'approche de la notion d'additionnalité écologique et de mutualisation de la compensation entre espèces et habitats mériteraient également d'être établies.
Nous constatons un effet pervers des mesures compensatoires qui se traduit parfois par une frilosité des collectivités pour s'engager sur les autres politiques de protection - réserves naturelles, arrêtés de biotope notamment - dans la mesure où elles souhaitent se réserver des marges de manoeuvre pour des mesures compensatoires. En tant que directeur du parc national de la Vanoise, j'ai vu des communes gestionnaires de stations de ski refuser d'adhérer à la charte du parc national en raison des contraintes qui pesaient déjà sur elles pour la mise en oeuvre de mesures compensatoires. Dans certains cas, il devient plus recevable de favoriser des mesures de gestion et de restauration de certains sites déjà protégés mais ne disposant pas de gestion plutôt que de systématiquement rechercher de nouveaux sites à protéger.
Vous avez parlé de la logique de planification et de l'importance d'avoir une stratégie globale sur la biodiversité dans laquelle s'insèrent les mesures de compensation. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques dans certaines régions ?
S'agissant de la région Centre-Val de Loire, le SRCE a été approuvé et validé. En revanche, je n'ai pas connaissance d'un travail de planification spécifique sur la question de la compensation.
Je peux apporter mon éclairage de conseiller régional. Nous n'avons pas effectué de comparaisons qui nous permettraient d'identifier des régions plus avancées que d'autres. Il est sûr cependant que les réflexions sont conduites. En Nouvelle Aquitaine, la réflexion sur l'anticipation des mesures compensatoires est menée avec les acteurs naturels du foncier que sont le Conservatoire du littoral, la Safer ou les établissements publics fonciers (EPF). Les conservatoires des espaces naturels y sont étroitement associés.
Vous nous avez parlé tout à l'heure de la DREAL Bourgogne-Franche Comté, je me demandais s'il y avait d'autres exemples.
En Rhône-Alpes, et plus particulièrement dans le département de l'Isère, un travail d'identification a été réalisé. La corrélation avec les mécanismes de compensation n'est pas forcément faite mais les territoires où elle pourrait s'appliquer en priorité sont identifiés, grâce au SRCE.
Les gestionnaires d'espaces naturels, qu'il s'agisse des conservatoires ou des réserves, ont un rôle important à jouer, notamment pour proposer des sites susceptibles d'être agréés.
Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Nous parlons de proximité et envisageons dans le même temps d'identifier des sites de compensation liés à des aménagements dont nous ne savons pas où ils se situeront.
Avec une cohérence malgré tout, par exemple s'agissant des espaces de montagne.
Le SRCE permet souvent d'identifier des espaces de proximité qui peuvent être intéressants. Quand je parle de sites agréés de compensation, je fais référence à la capacité qu'ont les gestionnaires d'espaces naturels à proposer un réseau de milieux suffisamment variés pour porter, dans certains cas et non pas de façon systématique, des mesures compensatoires.
La question posée par Jérôme Bignon est centrale. Il ne faut pas tomber dans le travers de sites de compensations dédiés, conduisant à une forme de financiarisation de la biodiversité et n'apportant pas nécessairement les réponses attendues en termes de compensation au niveau local.
Pour la LGV SEA, CDC Biodiversité a proposé de la compensation avec de l'outarde en plaine de Crau. Or, non seulement les deux espèces d'outardes sont éloignées géographiquement mais elles n'ont rien à voir dans leurs caractéristiques - les populations d'outardes que l'on trouve en Poitou-Charentes sont des outardes migratrices, ce qui n'est pas le cas des outardes de la plaine de Crau. Il faut donc être très vigilant.
En revanche, lorsqu'un projet est en gestation, on doit pouvoir commencer à identifier des zones foncières pouvant être supports de compensation. Cela permettrait d'évacuer la difficulté à avancer aussi vite sur la compensation que sur la réalisation des travaux. Dans la mesure où la compensation est aujourd'hui admise comme incontournable, on doit pouvoir exiger, si elle a été anticipée le plus tôt possible, que l'ensemble des mesures compensatoires ait été mis en oeuvre avant la fin des travaux. Cela est loin d'être le cas pour la LGV SEA et nous sommes très inquiets quant à la possibilité de finaliser les mesures compensatoires une fois les travaux terminés et les trains mis en circulation.
Notre principale préoccupation est de savoir si les mesures compensatoires sont vraiment efficaces. Nous essayons de mesurer la fragmentation des milieux. L'expérience dont vous disposez en termes de gestion de milieux assez différents vous permet-elle de mesurer cette fragmentation et à d'identifier des enjeux en termes de rétablissements de corridors et les risques qu'entraîneraient des barrières supplémentaires ?
C'est là qu'on mesure tout l'intérêt de la géolocalisation des mesures de compensation. Sans celle-ci, il n'est pas possible de disposer du recul suffisant concernant l'effet correctif potentiel des mesures de compensation sur la fragmentation des milieux.
Sans aller jusque-là, avez-vous le sentiment aujourd'hui d'un impact fort de fragmentation des milieux ?
La fragmentation créée par la LGV sur les petites régions agricoles est en effet observable en Indre-et-Loire. Les mesures compensatoires ont à ce titre un effet pervers puisque leurs effets sont appréciés, non pas à l'échelle de ces petites régions agricoles, mais à l'échelle de la ligne, avec la possibilité d'effectuer des mutualisations. Les arrêtés permettent dès lors au maître d'ouvrage de regrouper les compensations sur un territoire donné, par exemple au sud de la région Poitou-Charentes et pas en Indre-et-Loire. Pour les populations de ce département, l'impact additionnel est alors nul et l'objectif de compensation n'est pas atteint.
Pour sortir de cette difficulté, il pourrait être utile de mettre fin au cloisonnement des compensations. La compensation agricole et la compensation environnementale sont intimement liées et pourraient être conciliées afin de mutualiser les mesures : les espaces de compensation agricole pourraient aussi être utilisés pour la compensation environnementale et inversement. Les fragmentations s'en trouveraient atténuées.
Avez-vous identifié des sites présentant un intérêt pour la compensation - sites militaires par exemple - qui ne sont ni agricoles ni en bon état de restauration écologique ?
L'identification d'espaces de compensation n'est pas dans le coeur de métier des conservatoires...
Vous pouvez malgré tout avoir une vision sur les sites qui seraient intéressants de ce point de vue.
Certes. Mais cela ne veut pas dire que toute l'activité des conservatoires passe par la compensation. Dès lors qu'existe un enjeu patrimonial de préservation de la biodiversité, le conservatoire est directement impliqué. A titre d'exemple, nous gérons avec l'armée plusieurs milliers d'hectares de sites militaires en Poitou-Charentes. Attention à ne pas faire entrer tous les sites présentant un intérêt patrimonial dans une logique de compensation.
La question de l'additionnalité est bien entendu centrale à nos yeux. Nous étudions l'exemple de la Crau, qui fait l'objet d'un relatif consensus. Est-ce qu'il existe ailleurs en France un stock de surfaces extrêmement dégradées qui pourrait faire l'objet de mesures de compensation du même type ou cet exemple n'est-il pas vraiment reproductible ?
Certaines zones humides situées derrière le lac d'Annecy ne font pas l'objet de mesures de protection spécifiques et pourraient être restaurées afin d'améliorer leur fonctionnalité. Voilà un exemple.
Pensez-vous que l'Agence française pour la biodiversité (AFB) soit l'opérateur idoine pour avoir une vision sur ces zones et définir une stratégie nationale ?
L'AFB peut jouer un rôle qui doit être envisagé en lien avec celui des agences régionales de biodiversité (ARB) créées dans certaines régions. En Centre-Val de Loire, l'ARB a notamment pour objectif de réunir l'ensemble des acteurs qui connaissent le territoire et qui ont une vision des enjeux de biodiversité à l'échelle de celui-ci. Parvenir à avoir une vision anticipée des territoires qui présentent un potentiel en termes de restauration serait en effet utile pour la mise en oeuvre des mesures compensatoire. S'agissant de la LGV, nous avons passé un an et demi à rechercher des sites de compensation, ce qui ne serait pas arrivé si nous avions déjà eu une bonne vision du territoire.
Nous partageons tous les mêmes objectifs concernant la séquence ERC. On constate souvent que les délaissés liés à la réalisation d'un ouvrage pourraient abriter des mesures compensatoires. Je ne partage cependant pas votre propos lorsque vous indiquez que l'agriculture peut tirer un avantage des mesures compensatoires : la construction des ouvrages et les mesures de compensation font perdre de la terre agricole et par conséquent, des capacités de production et du chiffre d'affaires.
En revanche, je partage l'idée selon laquelle on pourrait réfléchir à délocaliser certaines mesures de compensation pour les mettre en oeuvre sur des territoires présentant un intérêt particulier sans être situés pour autant à proximité immédiate des infrastructures construites. Un équilibre doit être trouvé.
Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur des échecs dont vous avez parlé dans les négociations, notamment sur les notions de valeur ?
Je rappelle que l'AFB est une agence « pour » la biodiversité, contrairement aux ARB. Cela a son importance : le « pour » n'est pas exclusif et implique l'intervention d'autres acteurs.
Il serait intéressant, avec l'aide des ARB, d'avoir un inventaire des territoires qui mériteraient d'être restaurés au titre de la compensation. Nous n'avons pas cet état des lieux. Certains sites militaires ou des phares et balises sont dans un état très dégradé. Regardons la réalité en face, cela permettra de progresser.
Je partage ce qu'a dit Jérôme Bignon. Nous travaillons sur ces questions même si les choses sont encore perfectibles.
En réponse à Daniel Grémillet, je ne remets pas du tout en cause le fait que la construction des ouvrages fait disparaître des surfaces agricoles. Le monde agricole n'en est pas moins notre principal partenaire pour gérer les espaces de compensation.
La question derrière est celle de la proximité : pourquoi faire de la compensation à proximité de l'ouvrage sur des terres agricoles très productives lorsqu'il est possible de trouver, un peu plus loin, des terres présentant un potentiel de restauration plus important ?
La question est essentielle. Dès lors qu'on utilise une terre agricole pour faire de la compensation, on leur fait perdre une partie de leur valeur ajoutée. C'est l'agriculture qui paye à chaque fois.
J'insiste sur le fait que nos premiers interlocuteurs sont les agriculteurs. Par ailleurs, si l'on prend l'exemple de l'outarde, elle a besoin de terres céréalières productives pour se développer : on ne peut donc pas faire de mesures compensatoires à destination des outardes sans avoir des plaines céréalières productives à proximité.
Pourriez-vous nous transmettre par écrit des éléments sur les coûts de restauration des milieux ?