Commission des affaires européennes

Réunion du 8 février 2022 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • britannique
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Nous vous remercions, monsieur le président efèoviè, d'honorer notre invitation à rendre compte, cet après-midi, de votre action en qualité de vice-président de la Commission européenne, en charge des relations interinstitutionnelles et de la prospective. Depuis votre entrée en fonctions au mois de décembre 2019, vous êtes chargé du suivi de la mise en oeuvre du Brexit. Vaste tâche...

C'est sur ce sujet que nous aimerions vous interroger plus particulièrement. La question du Brexit, puis celle de la nouvelle relation euro-britannique sont, depuis plusieurs années, un sujet de préoccupation majeure pour notre institution. Dès le mois de juillet 2016, nous y avons consacré un groupe de suivi, que j'ai l'honneur de coprésider avec Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Il est impératif pour l'Union européenne d'assurer un suivi très attentif des conséquences du Brexit. Nous sommes donc convaincus de l'importance de la tâche qui vous incombe, consistant à vérifier le respect par le Royaume-Uni de ses engagements, et déterminés à faire en sorte que l'accord signé le 24 décembre 2020 soit mis en oeuvre intégralement et de bonne foi.

Nous ne reviendrons pas sur les nombreux rebondissements qui ont émaillé vos rencontres avec votre homologue britannique, David Frost, remplacé en décembre dernier par la ministre des affaires étrangères Liz Truss. Vous pourrez néanmoins nous dire votre sentiment sur la réalité de la volonté de négocier de nos partenaires. En un mot, le « changement de ton » que vous évoquiez dès le mois de novembre 2021 s'est-il confirmé, et vos échanges actuels laissent-ils espérer un aboutissement à moyen terme des négociations sur les points de désaccord persistants ?

À ce sujet, nous aimerions vous interroger sur deux points particulièrement saillants de la nouvelle relation entre l'Europe et le Royaume-Uni.

Le premier est la gouvernance de l'accord de commerce et de coopération (ACC) du 24 décembre 2020. Vous pourrez nous donner des éléments sur le volet parlementaire de cette gouvernance, qui doit associer les parlements nationaux, au même titre que le Parlement européen, au contrôle de notre coopération avec le Royaume-Uni. Alors que la délégation du Parlement européen à l'Assemblée parlementaire de partenariat s'est réunie pour la première fois le 9 décembre dernier, sous la présidence de l'eurodéputée française Nathalie Loiseau, vous nous éclairerez sur les relations de travail à venir entre cette assemblée et le Conseil de partenariat, auquel vous appartenez.

Enfin, au-delà de ce lien institutionnel, vous nous direz comment la Commission européenne compte associer les parlements nationaux au suivi des relations entre l'Union et le Royaume-Uni. Ces relations auront des conséquences structurantes sur les plans aussi bien diplomatique qu'industriel ou de défense, et il est essentiel que les représentations nationales des États membres soient parties prenantes de cette relation future. Croyez bien que le Sénat a l'intention de s'investir dans ce domaine.

Le second point saillant est l'Irlande du Nord. Vous pourrez nous donner des détails sur la proposition de la Commission, présentée le 13 octobre dernier, visant à aménager les conditions d'application du protocole nord-irlandais pour tenir compte des difficultés actuelles de mise en oeuvre par la partie britannique. Vous nous direz en particulier comment la Commission propose de concilier l'objectif de simplification des contrôles douaniers entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni avec l'objectif de défense du marché intérieur, qui suppose une application stricte et effective de nos normes sur le territoire nord-irlandais.

Alors que, cet été encore, le gouvernement britannique remettait en cause la compétence de la Cour de Luxembourg prévue par le protocole lui-même et menaçait d'en suspendre unilatéralement l'application, vous nous direz quel est l'état actuel des négociations à ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

C'est un réel plaisir d'accueillir aujourd'hui au Sénat le vice-président de la Commission européenne, M. Maros efèoviè. Nous avons la joie de nous rencontrer occasionnellement à Strasbourg, lors des sessions de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, dont vous présidez le groupe de travail Santé, auquel j'appartiens. Mais il est rare de vous recevoir au Sénat et nous sommes très sensibles à votre présence ici, dans les circonstances difficiles que nous connaissons.

Nous vous remercions d'être venu jusqu'à nous, parlementaires français, car nous sommes particulièrement avides d'un dialogue direct avec la Commission européenne, sur un sujet qui nous concerne au premier chef du fait de notre position géographique : la nouvelle relation à construire entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après le Brexit, intervenu il y a treize mois. Vous avez, en effet, pris le relais du négociateur Michel Barnier pour assurer le suivi des accords qu'il a obtenus, et vous représentez l'Union au Conseil de partenariat établi par l'accord de commerce et de coopération. Ce n'est pas une sinécure, car notre partenaire britannique est remuant et les soubresauts de politique intérieure qu'il connaît le conduisent souvent à la surenchère, avec des discours mystificateurs sur les bénéfices du Brexit - malgré un soutien public aux régions britanniques clairement en recul - et avec l'annonce d'un projet de loi « libertés du Brexit », pour s'affranchir des lois héritées de l'Union européenne.

Vous avez déjà fait des concessions au gouvernement britannique, mais vous avez maintenu l'unité entre les vingt-sept en posant deux limites claires : ne pas renégocier le protocole, mais aménager sa mise en oeuvre pratique, et ne pas renoncer à la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Outre ceux qu'a évoqués le Président Cambon, nous avons deux sujets de préoccupation principaux. D'abord, la gestion des flux migratoires à travers la Manche, sur laquelle nous avons déjà échangé. Les drames humains que nous vivons quotidiennement dans ces territoires ne peuvent pas durer : la Manche étant devenue une frontière extérieure de l'Union, cette question ne peut plus relever exclusivement d'accords bilatéraux comme ceux du Touquet et de Sandhurst, qui ont montré leurs limites. La Commission européenne entend-elle engager l'Union dans la négociation d'un accord euro-britannique dédié à la gestion de cette frontière ?

Nous sommes aussi très inquiets pour l'avenir de nos pêcheurs. Les Britanniques n'ont toujours pas accordé toutes les licences de pêche que ceux-ci sont en droit de recevoir - il en manque encore des dizaines selon notre Gouvernement. Quant à ceux qui ont obtenu leur licence, ils sont harcelés de nouvelles mesures techniques et de contrôles tatillons.

Comment comptez-vous obtenir l'application pure et simple du volet Pêche de l'accord conclu avec le Royaume-Uni ? La France a demandé la saisine du Conseil de partenariat chargé de mettre en oeuvre cet accord : qu'en est-il ? Envisagez-vous des mesures de rétorsion ? Si oui, lesquelles et à quelle échéance ? Il n'est pas question que la filière pêche soit la victime collatérale du Brexit. La réserve d'ajustement au Brexit ne peut être la seule réponse à des professionnels qui craignent de perdre leur métier et à une région côtière comme la mienne, menacée de dévitalisation. Pour ouvrir des perspectives, notre Gouvernement promet qu'un régime ad hoc en matière d'aides d'État serait à l'étude : pouvez-vous nous le confirmer et nous en dire plus ?

Il y a deux semaines, vous avez conclu votre rencontre avec Mme Liz Truss, votre nouvelle homologue britannique, en vantant « une atmosphère constructive » : pouvez-vous justifier votre optimisme au regard de toutes les difficultés que nous venons d'évoquer, des tensions qui s'accumulent en Irlande du Nord et de la confusion croissante à Londres, où Mme Liz Truss doit démentir le Premier ministre quand il juge « fous » les contrôles à Belfast, auxquels il a pourtant lui-même consenti ?

Le Royaume-Uni, après le Brexit, aurait pu en tempérer l'impact en se rapprochant de ses voisins européens ; il a choisi de jouer la carte de l'agressivité en identifiant ceux-ci comme la principale source de ses difficultés. Croyez-vous possible d'obtenir que les accords conclus soient finalement appliqués sans en appeler au juge ?

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Je commencerai par trois remerciements. Le premier parce que nous avons eu, il y a deux mois, une excellente discussion au Sénat, quand le collège des commissaires s'est rendu en visite officielle à Paris pour l'ouverture de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Le deuxième remerciement est adressé à vos deux commissions, notamment la commission des affaires européennes dont nous apprécions beaucoup les avis sur les politiques de la Commission européenne. Votre regard, vos idées sont très importants pour notre travail.

Le troisième remerciement est pour votre vigilance et votre activité sur les relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

L'objectif de l'Union européenne reste d'établir une relation positive et stable avec le Royaume-Uni, parce que nous allons demeurer des partenaires, que nous sommes des voisins et alliés et que nous partageons des valeurs communes. Nous devons relever ensemble un certain nombre de défis mondiaux.

La coopération euro-britannique a ainsi été essentielle pour faire aboutir la conférence de Glasgow. Je pourrais également citer la situation précaire et dangereuse à l'est de l'Union européenne, le défi stratégique que posent la Russie et la Chine, et la défense de nos valeurs démocratiques. De nombreux sujets appellent un travail en commun.

Vous avez décrit de manière très précise, dans vos remarques, comment nous appréhendons les relations avec le Royaume-Uni. Nous avons réglé la question du divorce, avec l'accord de retrait dont le protocole nord-irlandais fait intégralement partie ; nous avons réglé celle de l'avenir de nos relations avec l'ACC. C'est une base solide pour les relations constructives et stables auxquelles nous aspirons. Le respect du règlement de divorce est cependant une condition préalable à la relation future. L'accord de commerce et de coopération, l'accord de retrait et le protocole sont intrinsèquement liés.

Depuis le début, la Commission européenne s'est engagée à une pleine mise en oeuvre de l'accord de retrait, tel qu'il a été signé et ratifié par l'Union européenne et le Parlement et le gouvernement britanniques - lesquels sont toujours en place. C'est l'aboutissement d'un travail diplomatique énorme pour maintenir la paix, la stabilité et la sécurité de l'Irlande du Nord. C'est la raison d'être de ce protocole.

Nous avons cependant eu des difficultés pratiques de mise en oeuvre. Le Royaume-Uni a demandé une renégociation du protocole en juillet 2021. Notre réponse a été claire : nous ne le renégocierons pas. Mais nous sommes restés constructifs, nous attachant à trouver des solutions concrètes pour faciliter la circulation des marchandises entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, en exploitant les flexibilités offertes par le protocole.

J'ai directement échangé avec les représentants d'entreprises, de la société civile, et les représentants politiques de Stormont - l'Assemblée nord-irlandaise. Nous devons et nous pouvons trouver les solutions dans le cadre du protocole.

Le plus important était d'apporter de la stabilité et de la sécurité, et de mettre fin à l'incertitude juridique. C'était la seule solution pour protéger le marché unique tout en respectant l'accord du Vendredi saint dans le cadre du Brexit. Le protocole était une requête claire du gouvernement britannique, et la solution trouvée a été proposée par Theresa May.

Le paquet proposé par la Commission européenne le 13 octobre dernier a marqué un grand pas vers la résolution de la situation. Il contient un ensemble de solutions pour faciliter la circulation des marchandises entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. Nous avons aussi, en décembre, garanti unilatéralement la continuité de l'approvisionnement en médicaments de l'Irlande du Nord, même si j'aurais préféré que ce soit dans le cadre d'un accord. Il fallait agir vite.

Nous avons aussi fait des propositions pour renforcer la participation des autorités d'Irlande du Nord à la mise en oeuvre du protocole. C'était très attendu par les entreprises, les membres de l'assemblée législative et la société civile. Nous avons mis en place une coopération structurelle.

Nous proposons également la suppression de 80 % des contrôles sur les produits sanitaires et phytosanitaires destinés à la consommation en Irlande du Nord, ainsi que la réduction significative des formalités douanières entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord.

Ces propositions sont le résultat de discussions approfondies menées au cours des derniers mois. Elles visent à régler durablement le problème, dans un souci de stabilité et de prévisibilité pour l'Irlande. Elles faciliteraient les échanges entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, et sur l'ensemble de l'Irlande. Ce serait une situation gagnant-gagnant pour tous.

Mais cette flexibilité est conditionnée à la protection de l'intégrité de notre marché unique. Pour cela, le Royaume-Uni doit respecter son engagement de construire des postes frontaliers permanents.

Il doit donner des assurances sur le conditionnement et un étiquetage indiquant que les marchandises expédiées en Irlande du Nord sont exclusivement destinées à la vente au Royaume-Uni.

Il doit donner un accès complet en temps réel à ses systèmes informatiques, pour que les autorités européennes puissent constater par elles-mêmes ce qui se passe à la frontière commerciale.

Il doit mettre en oeuvre la législation douanière pour la livraison de colis « B to B » en Irlande du Nord, et la déclaration sur le libre accès de marchandises expédiées d'Irlande du Nord vers la Grande-Bretagne. Le Royaume-Uni doit enfin assurer la mise en oeuvre par les autorités douanières et de surveillance des mesures de suivi et de contrôle appropriées.

Cela doit s'accompagner d'un mécanisme de réaction rapide pour répondre aux problèmes liés à un produit ou un opérateur individuel, et de la possibilité de mesures unilatérales en cas d'incapacité des autorités britanniques ou de l'opérateur à y remédier.

Ces garanties seraient un mécanisme solide de suivi et de contrôle, qui réduirait les vérifications sans menacer l'intégrité du marché unique. Au Royaume-Uni de faire un pas dans notre direction.

Vous m'avez demandé où en étaient les discussions. Bien que le ton ait changé avec la reprise des dossiers post-Brexit par la ministre des affaires étrangères britannique Liz Truss, il y a eu peu d'avancées sur le fond. Elle déclare vouloir une solution rapide ; j'ai la même ambition. J'ai toujours précisé que la renégociation du protocole n'était pas une option.

Nos équipes techniques se réunissent chaque semaine pour trouver un terrain d'entente. Nous faisons régulièrement le point avec la ministre, et les États membres et le Parlement européen sont tenus informés de l'avancée des discussions.

Il faudrait trouver des moyens de vous informer des discussions de manière plus rapide et directe. La prochaine réunion du comité mixte pour l'accord de retrait se tiendra le 21 février. Nous poursuivons activement nos échanges avec le Royaume-Uni pour trouver des solutions communes.

Je vous remercie de votre intérêt et votre vigilance : l'unité est notre carte maîtresse dans la discussion. Nous comptons sur votre soutien. Je transmets régulièrement ce message aux représentants permanents et aux ministres des États membres.

J'en viens à l'ACC qui est entré en vigueur voici plus d'un an. Durant cette première année, nous avons mis en place les structures prévues par l'accord, avec une première réunion du Conseil de partenariat et des 19 comités chargés de la mise en oeuvre de l'accord.

La mise en oeuvre des dispositions sur la pêche et la concurrence équitable appelaient une attention particulière cette année. Il est trop tôt pour évaluer l'impact que le remplacement de l'adhésion au marché unique par l'ACC a eu sur les flux commerciaux, mais il est certain que le commerce ne sera plus aussi fluide et dynamique. C'est une conséquence type du Brexit voulu par le gouvernement britannique.

Les opérateurs économiques font de leur mieux pour s'adapter, des deux côtés de la Manche. Nous sommes conscients des difficultés, notamment pour ceux dont l'activité est très dépendante du marché britannique. Le retrait a eu des effets négatifs dans toute l'Europe. Nous soutiendrons les régions les plus touchées, via la réserve d'ajustement au Brexit. La France étant l'un des États membres les plus touchés, il est juste qu'elle reçoive la part la plus élevée de cette réserve : 735 millions d'euros en prix courants, manifestation de l'engagement indéfectible de l'Europe envers la France. La première tranche sera versée au mois de février.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci de votre engagement personnel pour trouver un compromis tout en préservant les intérêts des vingt-sept. Le Sénat est à vos côtés ; il convient de maintenir ce dialogue avec la Grande-Bretagne qui demeure nécessaire, en particulier dans les domaines des affaires étrangères et la défense, sans transiger sur les principes qui nous ont réunis, dont le non-respect ouvrirait la porte à d'autres contestations.

Enfin, je tiens à vous féliciter pour votre excellent français. À l'heure où le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, il est bon d'entendre un responsable européen qui ne s'exprime pas dans la langue de Shakespeare !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Le Nay

L'arrêt des contrôles sur les produits agroalimentaires en mer d'Irlande, décrété la semaine dernière, pourrait être suivi d'un recours à l'article 16 du protocole nord-irlandais par le gouvernement britannique.

Quelle a été la place du gouvernement nord-irlandais dans la négociation du protocole ? Si les nationalistes arrivaient au pouvoir lors des prochaines élections, quelles conséquences ce changement de majorité à Belfast aurait-il sur le protocole ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Cadec

Si le Royaume-Uni invoque l'article 16, comment l'Union européenne pourra-t-elle réagir ? Pensez-vous que le Royaume-Uni est prêt à aller jusque-là ? Cette partie de l'accord concernant les contrôles en Irlande est la plus complexe à mettre en oeuvre, avec la partie relative à la pêche.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je vous remercie à mon tour pour la qualité de votre français.

Même s'il faut faire respecter la parole donnée, notamment sur des sujets politiquement lourds, indépendamment du Brexit, les Britanniques restent nos alliés militaires ; ils participent à Barkhane, à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), et sont membres de l'OTAN. Les négociateurs ont-ils toujours cette réalité à l'esprit ? Les Britanniques restent, comme nous, des défenseurs de la démocratie, et, en matière de soutien militaire, ils sont parfois plus allants que certains pays de l'Union européenne.

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Je commencerai par répondre à la question de M. Vaugrenard. Ma première rencontre avec la ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni a justement porté sur ce thème. Combien de défis, en matière politique, de défense, de stabilité dans ce monde de plus en plus multipolaire et multilatéral ? Pour répondre à ces défis de notre temps, nous avons besoin de renforcer notre coopération avec un pays qui, s'il n'est plus membre du club qu'était l'Union européenne, reste un allié au sein de l'OTAN.

Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse et cette ambition ; mais, pour nous, il est très important d'établir à nouveau la confiance. La crédibilité de nos partenaires britanniques s'est détériorée. Quelques mois après la signature de l'accord de retrait, il a été admis, au Parlement britannique, que le droit international n'était pas respecté.

De notre point de vue, il est clair que, pour avancer dans la coopération, il faut travailler main dans la main dans le respect des accords nécessaires à la construction de notre avenir commun et au cadrage global du divorce, dont le protocole relatif à l'Irlande du Nord.

C'est la quadrature du cercle : pour la première fois de son histoire, l'Union européenne délègue à un État tiers les contrôles en son nom. Dès lors, pourrons-nous compter sur le respect du protocole par cet État ? C'est une difficulté centrale pour nous : le non-respect de cette base met en danger l'ensemble de l'accord ; comment alors s'assurer qu'il est respecté en intégralité ? Les discussions se poursuivent, notamment sur le sujet des citoyens européens résidant au Royaume-Uni.

Bien que l'article 16 ait fait partie des discussions au cours de l'année écoulée, Mme Truss y fait peu référence : l'accord reste applicable, selon sa position officielle. Une remise en cause de l'accord serait un geste spectaculaire du côté britannique, tout particulièrement du point de vue de son impact pour l'Irlande du Nord. Or la prévisibilité est cruciale pour éviter d'aggraver les tensions. J'ai visité Belfast en septembre : on ressent à quel point l'effort pour la paix y est important. Cela nous impose une responsabilité.

Mon objectif était de trouver une solution constructive à la plupart des difficultés avant la fin de l'année dernière, pour éviter des élections en Irlande du Nord trop marquées par cette question du protocole. Je ne sais pas si ce sera encore possible après les événements de la semaine dernière, mais je conserve cet espoir d'une solution trouvée avec Mme Truss d'ici à la fin du mois. En particulier, le comité mixte UE-Royaume-Uni se réunit le 21 février. Le processus démocratique suivra son cours, mais l'assemblée d'Irlande du Nord, qui sera élue le 5 mai, votera en 2024 sur la prolongation ou non du protocole. Les pourparlers et le débat politique en Irlande du Nord revêtent donc une importance particulière.

Sur la pêche, sujet que je sais sensible en France, les inquiétudes étaient importantes avant l'accord conclu avec le Royaume-Uni. Ces dernières années ont été marquées par des négociations permanentes entre les Britanniques et le commissaire Virginijus Sinkevièius, chargé de la pêche, qui a travaillé en étroite collaboration avec Mme Girardin et M. Beaune.

S'agissant de la zone économique exclusive britannique de 200 milles marins, plus de 1 700 licences de pêche, soit 96 % des demandes, ont été accordées. Pour les eaux territoriales, de 12 milles marins, nous parlons de 323 licences octroyées, soit 82 % des demandes. Un dernier élément positif porte sur le volume total des prises, le total admissible des captures (TAC), pour lequel nous avons trouvé un accord.

Je sais que, malgré ces succès, la satisfaction n'est pas totale en France, car certaines licences n'ont pas été octroyées. Nous en parlons étroitement avec les ministres français, pour rassembler tous les arguments juridiques possibles à opposer au Royaume-Uni afin d'obtenir des licences supplémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

2,5 millions d'Européens, dont 90 000 Français, ont un titre de séjour temporaire de cinq ans au Royaume-Uni, dit « pre-settled status ». Le gouvernement britannique prévoit de mettre fin à ce statut en cas de non-demande, avant la fin des cinq ans, de « settled status », statut de résident permanent. Or l'accord de sortie ne prévoit pas cette option dans les raisons permettant aux signataires de priver quelqu'un du statut de résident. L'interprétation faite par le Royaume-Uni des règles de la perte de statut de résident est donc différente de celle de la Commission.

L'association the3million a été la première à soulever ce problème en décembre 2020, avec la Commission et l'Autorité de contrôle indépendante (IMA). Celle-ci a intenté une action en justice contre le Home Office. Que fait la Commission et comment protégerez-vous les résidents européens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Bien que l'accord du 24 décembre 2020 prévoie l'accès des pêcheurs français et européens aux eaux britanniques, il reste source de querelles : vous avez mentionné le refus de licences. De nouvelles crises sont à prévoir à partir de 2026, fin de la période transitoire. Quels seront les travaux conduits au niveau européen pour anticiper ces difficultés ? Le cas échéant, l'Union européenne est-elle prête à prendre les mesures coercitives prévues par l'accord ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Contrairement à ce qui avait été annoncé, de nombreux étudiants ne se sont plus inscrits aux universités britanniques à la suite de l'augmentation des frais de scolarité et des difficultés d'obtention de prêts garantis : c'est un échec. Que fera le Royaume-Uni pour y remédier selon vous ?

Par ailleurs, sénatrice du Nord, je suis concernée par les migrations : depuis des décennies, hommes, femmes et enfants cherchent, parfois au péril de leur vie, à rejoindre le Royaume-Uni via la Manche et la mer du Nord. Avec les accords du Touquet, la France est devenue le bras policier de la politique migratoire du Royaume-Uni, permettant à ce dernier de se soustraire à ses obligations en matière d'asile. La traversée coûte que coûte entraîne des drames humains, dont la population ne veut plus. Le Royaume-Uni pourra-t-il reprendre la frontière sur son sol ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Sur la pêche, l'Europe, contrairement à son habitude, doit avoir une vision moins macroéconomique. Au-delà d'un pourcentage, c'est tout un territoire qui en vit. De même qu'un village souffre de perdre son médecin ou son épicier, certains lieux, qui ont bâti leur développement sur la pêche et ses infrastructures, sont en péril.

Ensuite, la situation qui prévalait à la signature des accords bilatéraux du Touquet a changé : c'était avant le Brexit et les migrations étaient différentes, moins fortes. Puisque le Royaume-Uni est redevenu un État tiers, en cohérence avec le pacte européen sur la migration et l'asile tel qu'il est envisagé par la Commission européenne, un accord entre l'Union et le Royaume-Uni sur ce dossier serait souhaitable, au bénéfice de ce territoire que je connais bien.

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Sur la question de nos citoyens résidant au Royaume-Uni, je rejoins l'analyse d'Olivier Cadic. Nous abordons régulièrement cette question avec nos collègues britanniques. L'IMA arrive aux mêmes conclusions que la Commission européenne.

La procédure auprès de la Cour est entamée. Nous considérons les démarches les plus efficaces dans ce domaine, et les comités spéciaux et le comité mixte en discuteront. Selon nous, l'accord de retrait est sans ambiguïté : des citoyens européens ne doivent pas perdre leur statut en raison de simples obligations administratives. Il est bon que vous souleviez cette difficulté, dont nous sommes conscients. Nous avons reçu une réponse négative du Royaume-Uni, mais nous continuons à insister. L'autorité indépendante est de notre côté et les procédures judiciaires suivent leur cours devant les tribunaux britanniques.

Sur la pêche, vos questions portent, madame Raimond-Pavero et monsieur Rapin, sur la situation actuelle et à l'horizon 2026. Nous avons des discussions quotidiennes sur ce sujet avec nos partenaires français. Nous voulons nous assurer que chacun pourra bénéficier d'une position juridiquement solide. Nous cherchons à avoir le plus d'éléments possible d'ici à 2026, et je précise que certaines décisions peuvent aussi être contestées devant les tribunaux de l'Union européenne et britanniques. Tel est le sens de nos discussions avec le ministère de la pêche.

Madame Gréaume, la situation est compliquée pour beaucoup d'étudiants. L'Union européenne a insisté auprès du Premier ministre britannique pour inclure Erasmus dans le cadre de l'accord, ce qui a été refusé. Malheureusement, nous n'avons pas de cadre commun pour améliorer les échanges étudiants. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas d'intérêt du Royaume-Uni pour trouver une solution sur ces sujets. Selon moi, même si ce n'est pas pleinement satisfaisant, il faut aider nos étudiants actuellement sur place à achever leurs études au Royaume-Uni. Je rappelle que les étudiants britanniques ont eux aussi plus de difficultés à étudier en Europe. J'espère que nous arriverons à trouver une solution.

Sur la problématique sensible des migrants, les personnes risquant leur vie pour franchir la Manche sont souvent les victimes d'activités criminelles, dont les réseaux de passeurs, qui profitent de cette tragédie humaine, avec un mépris total des droits de l'Homme. Des familles sont séparées entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Comme vous le savez, le traité ne comprend pas de chapitre sur les migrations. Par ailleurs, si le Royaume-Uni n'était pas dans l'espace Schengen, il était partie aux accords de Dublin. Son retrait change la façon d'envisager la situation et les arrivées de migrants.

Toutefois, grâce au leadership français, la coopération sur le sujet au sein de l'Union européenne pourrait nettement s'améliorer, avec des réunions de ministres de l'intérieur se poursuivant au niveau des chefs d'État ou de gouvernement. Ainsi, la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, avec la Commission, Europol et Frontex, ont largement amélioré l'échange d'informations à l'échelle européenne et la lutte contre les passeurs. Pour la France, il est important que cette question prenne en compte les mouvements de migrations secondaires vers le Royaume-Uni.

Un autre élément fondamental est une meilleure coopération opérationnelle entre les forces de l'ordre françaises et britanniques. Les contrôles communs aux frontières, avec des partages de renseignements, donnent déjà des résultats positifs.

Je suis d'accord avec M. Jean-François Rapin sur le pacte européen sur la migration et l'asile. La présidence française est active : son approche graduelle, cherchant à établir la confiance, est importante. J'espère que cette ambition française aidera à trouver des solutions constructives.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Monsieur le commissaire, je vous remercie pour cet échange franc et courtois. Nous continuerons à intensifier nos échanges avec les instances européennes. Avec mes homologues d'autres parlements, nous sommes convenus que le dialogue régulier avec des commissaires était important, car il nous permet d'être plus en prise avec l'actualité.

Nous restons preneurs d'une relation de travail plus étroite et d'éléments supplémentaires sur la relation de l'Europe avec le Royaume-Uni : j'ai confiance en la précision et la sincérité de vos réponses.

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Je vous remercie pour votre accueil, vos questions et votre soutien, car aucune action européenne n'est possible sans le soutien des Parlements nationaux. Je demeure à votre disposition, de même que mes collègues.

Sur les développements à venir avec le Royaume-Uni, nous allons nous efforcer de vous transmettre les informations de la manière la plus fluide possible, dès les premières impressions et anticipations. J'espère que cela vous aidera à améliorer vos travaux.

Je serai ravi de revenir ou de vous accueillir à Bruxelles pour toute question supplémentaire. Nos services restent en contact avec les vôtres.

La réunion est close à 16 h 20.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.