Nous allons poursuivre nos travaux avec l'audition de M. Jacques Caron, responsable du centre de pharmacovigilance de Lille, Mme Françoise Haramburu, responsable du centre de pharmacovigilance de Bordeaux, M. Jean-Pierre Kantelip, responsable du centre de pharmacovigilance de Besançon, et Mme Marie-Christine Perault, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers, présidente de l'Association française des centres de pharmacovigilance.
Nous avons souhaité vous auditionner ensemble afin d'évoquer les nombreux dysfonctionnements de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en général, et de la pharmacovigilance en particulier par rapport au Mediator.
Vous aurez l'occasion chacun d'intervenir, puis vous répondrez aux questions posées par le rapporteur et nos collègues. Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Etant donné que cette audition est soumise à l'article L. 4113-13 du code de la santé public, pourriez-vous présenter vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé, ou des organismes de conseil intervenant sur cette production ? Monsieur Jean-Pierre Kantelip, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis le directeur du centre régional de pharmacovigilance de Besançon. Je n'ai ni conflit d'intérêts ni lien avec ces sociétés.
Je n'ai pas de conflit d'intérêts. Je tiens à préciser que je suis membre d'Arme-pharmacovigilance, association de recherche méthodologique en pharmacovigilance. Je fais également partie d'un groupe de travail sur l'actualisation de la méthode d'imputabilité. Comme plusieurs d'entre nous, je participe à plusieurs groupes de travail sur l'amélioration des bonnes pratiques en matière de pharmacovigilance.
Avez-vous d'autres liens d'intérêts ? Nous avons parlé de cette association lors de l'audition du Docteur Bernard Bégaud.
Je suis la présidente de l'association française ces centres régionaux de pharmacovigilance. J'ai aussi été élue du conseil d'administration de la société française de pharmacologie. A ce titre, j'ai côtoyé un salarié du groupe Servier, que vous avez par ailleurs auditionné.
Je crois savoir de qui vous parlez. Je ne sais si on peut considérer ce lien comme un conflit d'intérêts.
Je n'ai aucun lien avec des sociétés pharmaceutiques.
Je vous remercie. J'invite Jean-Pierre Kantelip à intervenir en préambule.
Je propose d'expliquer ma situation. Je suis professeur de pharmacologie à la faculté de médecine de Besançon, et chef de service de pharmacologie et toxicologie du CHU de Besançon. Je suis également le directeur du centre régional de pharmacovigilance de Franche-Comté.
Ma carrière s'est déroulée en deux périodes. J'ai été formé à la pharmacologie à Clermont-Ferrand, puis je suis me suis installé à Besançon en 1988. J'ai été nommé professeur en 1991. Il y avait à l'époque deux structures de pharmacologie à Besançon, dont une avait en charge la pharmacovigilance. J'ai été recruté puis nommé sur la partie hospitalière, dans un service que le recteur dirigeait à l'époque. Je suis venu à Besançon pour lui succéder. Il s'occupait d'exploration fonctionnelle.
Suite au départ de MM. Magnin et Bechtel, les deux services ont été fusionnés. Les explorations fonctionnelles ont été redistribuées. A partir de septembre 1999, je suis devenu le directeur du centre régional de pharmacovigilance. J'ai pris la suite des travaux de M. Bechtel que j'ai supervisés. Ils étaient menés par son adjointe qui est devenue mon adjointe des travaux de la pharmacovigilance.
Cette personne est-elle signataire avec le professeur Bechtel des rapports sur l'Isoméride et le Mediator ?
Oui.
Nous aurions souhaité convier le professeur Bechtel à nos débats, mais il n'a pas souhaité venir.
Je n'ai plus de relation avec cette personne depuis longtemps, mais j'ai pris en charge la suite de ses dossiers. En ce qui concerne l'histoire de la pharmacovigilance à Besançon, j'ai pris la direction du centre en septembre 1999. Le centre de pharmacovigilance a changé de lieux. Il y a deux hôpitaux dans cette ville. Le centre de pharmacovigilance a été déménagé dans l'hôpital central. J'ai commencé à participer aux travaux du comité technique à partir de septembre 1999.
Mon travail a surtout consisté à implanter des correspondants de pharmacovigilance dans les hôpitaux de la région. J'ai été investi de la mission sur le Mediator à partir de 2004, en association avec Mme David-Laroche qui poursuivait les enquêtes confiées en 1998 sur les effets indésirables du Mediator. J'ai cosigné avec elle les rapports qu'elle a instruits et rédigés en 2005, 2007 et 2009. A la suite des travaux et de l'enquête sur les anorexigènes et l'Isoméride, l'enquête sur le Mediator a été confiée au centre de pharmacovigilance.
Ensuite, l'enquête a progressivement évolué avec des mises au point, initialement sur les effets addictogènes éventuels du Mediator, puis sur les cas d'hypertension artérielle pulmonaire, enfin sur les valvulopathies. Mme David-Laroche a instruit ces cas. Pour les cas d'hypertension artérielle pulmonaire imputables au Mediator, elle a demandé à un service, qui avait expertisé les cas relatifs aux anorexigènes et à l'Isoméride, de poursuivre son étude. Ces cas ont par la suite été présentés au sein du comité technique et à la commission nationale de pharmacovigilance.
Je suis intervenu après le départ à la retraite de Mme David-Laroche en juillet 2009, après un long congé maladie qui était terminé lors de la relance de l'enquête sur les hypertensions artérielles pulmonaires.
Je n'ai pas prévu d'intervenir.
Moi non plus.
J'ai dirigé la commission nationale de pharmacovigilance de 2001 à 2004, puis lors d'un second mandat de 2004 à 2007. Je suis de nouveau le Président de la commission nationale de pharmacovigilance.
J'ai déjà été auditionné par le Sénat lors de la mission d'information sur les médicaments. Nous nous sommes déjà rencontrés à cette occasion.
Nous sommes venus pour répondre aux questions. Je pensais que vous mettiez en situation les différentes interventions.
Cette interprétation est tout à fait légitime. Madame le rapporteur, vous avez la parole.
J'ai posé les mêmes questions à l'ensemble des participants à cette table ronde : comment expliquez-vous qu'aucun signal de pharmacovigilance n'ait été enregistré sur le Mediator avant 1999 ? Certains considèrent que la pharmacovigilance française s'est montrée trop prudente dans l'analyse des cas signalés, notamment au regard de la problématique énoncée en Italie. Quelle est votre analyse de la situation ? Comment la pharmacovigilance s'est-elle comportée ? Monsieur Caron, vous étiez directement concerné par cette question.
J'ai été surtout concerné à partir de la fin de l'année 2001 et du début de l'année 2002. Je vais répondre aux deux questions. Tout d'abord, je souhaiterais rappeler que le premier signal a été détecté tardivement dans notre pays. Vous faites remonter ce signal à 1999, date de la première notification d'hypertension artérielle pulmonaire. Les centres de pharmacovigilance recueillent des informations de manière correcte sur le territoire français. Dans le dossier du Mediator, la relation entre le médicament et la norfenfluramine a été mise en évidence tardivement, alors qu'elle était présente depuis longtemps. Nous savions que la norfenfluramine était un métabolite du Mediator.
Pour quelle raison n'y a-t-il pas eu de notification ? Il y a douze ans, nous attendions la notification spontanée en pharmacovigilance des cas d'hypertension artérielle pulmonaire. La notification n'a pas eu lieu en 1999 alors que le produit était anciennement commercialisé dans notre pays. Quelle en est la raison ? Nous n'avons pas communiqué suffisamment tôt les préoccupations concernant le Mediator aux prescripteurs de ce pays. C'est le point de départ important de l'affaire.
Le Mediator est-il un anorexigène ? J'invite les quatre intervenants à répondre à cette question. Je parle de la situation actuelle, puis nous envisagerons la situation telle qu'elle était en 1995-2000, lorsque les premiers problèmes sont apparus.
La dénomination internationale nous permettait de penser que ce produit était classé parmi les anorexigènes. En revanche, la classification clinique de ce produit en anorexigène est plus difficile à statuer. En tout cas, le produit a été utilisé dans ce but.
Actuellement, je vous répondrais positivement : cette molécule est un anorexigène. Il était plus difficile de tenir cette affirmation de façon aussi certaine il y a quelques années. Un certain nombre de doutes perduraient.
Pour quelle raison peut-on dire qu'il s'agit d'un anorexigène, ce qu'on ne pouvait pas faire dans les années 90 ?
Au niveau des études cliniques, le développement n'ayant pas été effectué dans le but de fixer l'anorexigène, nous avons mis en évidence un effet thérapeutique qui n'est pas le principal effet du médicament, celui sur lequel nous aurions dû nous attarder.
Il eût été utile de s'intéresser à cette époque à la littérature qui paraissait sur le Mediator. J'ai noté dans le rapport de l'Igas qu'il existait des publications qui remontaient aux années 70, indiquant clairement que le benflluorex était un puissant anorexigène. Les publications de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ou de l'Agence du médicament à propos de ce médicament sont frustrantes. Qu'est-ce qui interdit à un pharmacologue de faire appel à ceux qui ont déjà expérimenté ce produit ? Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? Est-ce que ça ne se fait pas ? J'ai l'impression que nous nous sommes limités à la thèse du laboratoire, qui n'a toujours pas changé, alors que vous donnez l'impression d'avoir évolué. Comment peut-on expliquer cette évolution ?
Les non-médecins prétendent que le Mediator est un anorexigène sans connaître toutes les propriétés de ce type de médicament.
La structure chimique du benflluorex le rattachait aux anorexigènes. Nous le savions de très longue date.
Je rappelle que l'on s'intéressait plus au versant négatif du médicament.
Cela signifierait qu'il aurait des versants positifs. Pourriez-vous les décrire ? Il ne nous est pas apparu que le Mediator en avait de nombreux.
Je n'ai pas tenu un tel propos. Il est apparu dans des études que le Mediator diminuait l'hémoglobine glyquée dans un pourcentage non négligeable, même si ce n'était pas extraordinaire. La structure et les effets secondaires très indésirables du Mediator l'ont rattaché à sa classe pharmacologique initiale, à savoir que c'est un produit anorexigène et amphétaminique. C'est un anorexigène dans le sens où il coupe la faim, même s'il est difficile d'être affirmatif sur cette question.
Bien entendu.
En 1974, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) indique dans son rapport que la revue Psycho-pharmacologia, qui est peut-être une revue de référence, mais que je ne connais pas, publie les résultats d'une étude financée par les laboratoires Servier, indiquant que le benflluorex est un anorexigène très puissant. Déjà en 1974, on considérait que ce médicament avait cet effet. Je veux bien qu'on ait des hésitations aujourd'hui, mais il faut les motiver. Cette étude n'était pas opposée au produit, mais financée par Servier. Avez-vous eu connaissance de cette étude ?
Nous en avons eu connaissance très tardivement.
Je suis dans la même situation, sauf que je ne travaillais pas dans la pharmacovigilance. Comment expliquez-vous que des médecins généralistes aient pu identifier avec précision la nature de ce produit dès 1974 ? Comment expliquer que des médecins a priori non compétents puissent déterminer la nature exacte d'un produit, alors que l'Afssaps et les centres régionaux ne soient pas parvenus à émettre un raisonnement différent de celui des laboratoires ? Madame Haramburu, le Mediator est-il ou non un anorexigène ?
Le Mediator est d'abord une amphétamine. Un effet coupe-faim est constaté, mais il est peu utile en thérapeutique car il fait maigrir ponctuellement, avant de faire reprendre des kilos, ce qui est plus dangereux en termes de risque cardiovasculaire que le surpoids. Nous avons beaucoup parlé de sa structure. Or je ne sais pas ce que cela signifie. Cet argument est présenté par les laboratoires Servier pour le distinguer des amphétamines.
Pourquoi la DCI du Mediator n'est-il pas relié au segment-clé des amphétamines ?
Je ne sais pas répondre à cette question. Ce produit a été volontairement distingué des amphétamines. Le point commun des effets indésirables des médicaments à base de norfenfluramine est l'hypertension pulmonaire. Nous avons, il y longtemps à l'hôpital à Bordeaux, utilisé le benflluorex dans la lutte contre le diabète. Les effets immédiats sont ceux d'une amphétamine : mauvaise tolérance, vertige, etc. Ces symptômes rattachaient le Mediator aux amphétamines. Ceci dit, au tout début, nous ne pouvions pas imaginer le développement de valvulopathies, qui ont été découvertes aux Etats-Unis. Nous ne connaissions en Europe que des cas d'hypertension artérielle pulmonaire.
La valvulopathie est apparue en raison de l'association de médicaments ?
Elle est effectivement liée à une interaction de ces deux produits au niveau pulmonaire.
Nous avons observé cette situation aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous que la pharmacovigilance ou la pharmacologie de l'Afssaps n'aient pas été capables de développer un raisonnement autonome qui soit différent de celui du laboratoire ? Pourquoi jusqu'à une date récente l'Afssaps tenait-elle le même discours que le laboratoire alors que ce point de vue n'était pas scientifique ?
Je n'ai pas de réponse à cette question importante. J'ai découvert l'existence du rapport italien du professeur Pimpinella en lisant le rapport de l'Igas en janvier 2011.
N'aviez-vous pas connaissance de l'étude italienne ? Ne faisiez-vous pas partie du comité technique ou de la commission de pharmacovigilance ?
J'ai été membre suppléant de la commission de pharmacovigilance mais je n'ai pas entendu parler de cette étude italienne jusqu'au rapport de l'Igas.
Je n'ai pas d'explication.
Il est anormal qu'un rapport établi à la demande du centre de spécialités pharmaceutiques (CSP), c'est-à-dire l'autorité européenne de l'époque, qui passe par la structure de pharmacovigilance présidée par Mme Castot, comprenne deux volets, l'un réalisé par l'Italie, l'autre par la France. Il apparaît étonnant que la France n'ait pas eu connaissance de l'autre étude. Vous vous étonnez, mais vous êtes incapable de nous dire ce qui aurait pu se passer.
J'ai eu jusqu'à récemment très peu de retour sur les débats européens sur le Mediator.
Non, sur les débats au niveau européen.
Jean-Pierre Kantelip, le benflluorex est-il un anorexigène ou un antidiabétique ?
C'est un anorexigène. En se référant à son métabolisme principal qui est la norfenfluramine, et en retraçant la bibliographie de cette molécule, celle-ci entre dans la catégorie des dérivés amphétaminiques. Elle peut être classée dans les manuels de pharmacologie anciens. En effet, les manuels de pharmacologie actuels ne comportent plus de chapitre sur les anorexigènes. Les documents des années 80 évoquent ces métabolites. Elle est classée parmi les anorexigènes. Sur ce point, je peux donner mon opinion sur l'action de ce médicament utilisé par les collègues comme un coupe-faim, donc comme un anorexigène.
Oui.
Partagez-vous les propos du docteur Emmanuel Canet des laboratoires Servier ? Celui-ci a déclaré à la commission que « la fenfluramine et la dexfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique, alors que pour le benflluorex, la norfenfluramine ne représente environ que 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benflluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine. »
Le rapport de l'Igas rappelle que l'état anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal, mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benflluorex. Chez le rat, après administration du benflluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal. Elle est retrouvée en quantité très supérieure au métabolite S1475, qui est le métabolite principal retrouvé après administration du benflluorex chez l'homme. Nous sommes donc à un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent, et un ratio de composés circulants totalement inverse selon que la pharmacologie est faite chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi chez le rat, on est capable de mettre en évidence des taux d'exposition élevés de norfenfluramine d'une activité de type anorexigène, que l'on ne constate pas chez l'homme.
M. Emmanuel Canet ajoute « qu'un certain nombre d'autres antidiabétiques ont un effet bénéfique sur le poids. Je pense à la metformine, aux agonistes du GPL-1, et même à l'insuline qui a un effet central sur la prise alimentaire. Pour autant, on ne dit pas que ce sont des produits de type anorexigène. »
Je ne suis ni médecin, ni pharmacien. En tant que pharmacologues, partagez-vous cette analyse ?
C'est plutôt au rapporteur du dossier qui connaît bien le dossier pharmacocinétique d'y répondre. Nous ne sommes pas des spécialistes de pharmacocinétique ou de pharmacodynamique, mais des effets indésirables du médicament. Dans ce domaine, notre discipline est partagée entre pharmacologues expérimentaux, pharmacologues cliniciens dont je fais partie, pharmacogénéticiens, etc. Je ne possède pas le dossier pharmacocinétique contrairement à un pharmacogénéticien. L'exposition en norfenfluramine du benflluorex chez l'homme était identique en partie à l'exposition entraînée par exemple par l'Isoméride. Nous nous sommes effectivement égarés en 1999. Quelques années plus tard, nous nous sommes aperçus que l'exposition pouvait être identique en norfenfluramine chez les sujets soumis à 450 milligrammes de benflluorex ou à 30 ou 60 milligrammes d'Isoméride.
Je ne peux que confirmer les propos de M. Caron, raison pour laquelle je ne comprends pas les propos de M. Canet sur le rat. La norfenfluramine ne peut être négligée même avec une quantité faible chez l'homme.
Je suis d'accord avec mes collègues.
Je suis d'accord avec les explications de Jacques Caron. Par ailleurs, la metformine fait baisser le poids dans le diabète de type 2. L'objectif est de savoir si un résultat similaire peut être obtenu par un régime, ou plutôt par une modification complète du comportement alimentaire, dans une société où la perte de poids est souhaitée, où le mode de vie de l'industrie alimentaire favorise la prise de poids, donc l'évolution du diabète. La réponse au surpoids ne se trouve pas forcément dans un médicament.
D'anciennes études sur le métabolisme révélaient des discordances entre les concentrations plasmatiques et les concentrations en norfenfluramine. A ma connaissance, il n'y a pas eu d'autres vérifications pour expliquer cette discordance. Le taux de concentration en norfenfluramine après administration de 450 milligrammes de benflluorex était identique dans les autres produits qui comprenaient la même molécule. Le reste est constitué d'hypothèses. Nous ne pouvons pas comparer les études chez le rat avec celles menées chez l'homme. En outre, il conviendrait d'avoir des précisions sur la manière dont ces études métaboliques ont été menées, en précisant leur méthodologie et les techniques datant du passé.
La pharmacologie française s'est-elle montrée trop prudente dans l'analyse des cas ? Pouvez-vous nous répondre ? Cette question est régulièrement posée dans le cadre de la mission d'information. Un certain nombre de médicaments est mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Lorsque ces médicaments sont appliqués pour des pathologies chroniques, le dysfonctionnement pour la population prise en charge génère des effets indésirables en raison d'une inadéquation du modèle par rapport à la population. Est-ce pour cette raison que la pharmacovigilance se montre parfois prudente ? Prenez-vous cette donnée en considération ?
Certainement, mais ce dossier a été établi par les successions fréquentes d'anorexigènes qui sont des amphétaminiques. Dans les cas qu'il nous a été donné d'examiner, la prescription d'Isoméride et de Pondéral a été suivie de prescription de benflluorex. En pharmacovigilance, nous raisonnons en termes de critères chronologiques. Les valvulopathies apparaissaient sous Isoméride puis étaient confirmés bien plus tard, alors que le patient avait été transféré de l'Isoméride au benflluorex. Il y a eu un chevauchement de ces dossiers relatifs aux anorexigènes. Le benflluorex a été identifié comme une amphétamine à juste titre par les pharmacologues.
Le Mediator était-il considéré par le pharmacologue comme une amphétamine dans les années 90 ?
Je suis très surpris par cette affirmation. M. Bechtel, lors de la rédaction de son rapport de 1998 sur le benflluorex, indiquait en conclusion de son analyse pharmacocinétique et du métabolisme du médicament : « nous rappellerons que malgré la production de norfenfluramine, la propriété pharmacodynamique d'anorexigène n'a jamais été attribuée au benflluorex ». En 1998, les pharmacologues étaient d'accord avec le laboratoire. Ils tenaient les même propos que Servier. Je me permets de vous rappeler que M. Bechtel et Mme David-Laroche tenaient un propos similaire à celui du Laboratoire.
J'ai argumenté sur la notion de structure amphétaminique du Mediator.
A cette époque, les pharmacologues tenaient le même propos, malgré un rapport rendu public en 1999 ou 2000. La nature anorexigène du benflluorex n'était pas reconnue par les pharmacologues de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Il faut interroger les personnes qui connaissent bien le sujet : chimistes, toxicologues, etc. Nous ne pouvons parler pour l'Afssaps dans sa globalité. Des personnes de l'Afssaps connaissaient bien mieux que moi la structure et les propriétés pharmacodynamiques du Mediator.
Je me permets de citer un rapport confidentiel résultant d'une enquête officielle. M. Bechtel et Mme David-Laroche s'expriment au nom de l'Afssaps, car ils ont été chargés de l'enquête par cette agence. Nous n'allons pas interroger l'ensemble des parties. Il faut simplement se fonder sur les faits. Le rapport démontre que ces pharmacologues désignés par l'Afssaps estimaient que le benflluorex n'était pas un anorexigène.
J'ai posé une question sur l'inadéquation du modèle par rapport à la population qui prend un médicament. Vous avez précédemment employé deux mots, d'une part le besoin de signal potentiel, d'autre part le recueil de données. Vous ajoutez le critère chronologique. Cette inadéquation joue-t-elle pour que vous ayez une collecte suffisante de données avant de déclencher un signal réel ? Comment travaillez-vous à partir du recueil des données ? Nous voulons comprendre votre méthode. Nous menons une mission d'évaluation de contrôle de la politique sanitaire. Nous avons besoin de comprendre pour faire évoluer les institutions. Ce sujet est-il un élément important ?
Je propose de décrire comment nous travaillons. Nous vérifions la chronologie des faits lorsque nous recevons une observation : le médicament a-t-il été pris ? Un effet indésirable est-il survenu ? Lorsqu'un effet indésirable est nouveau, il est porté à la connaissance des centres régionaux de pharmacovigilance afin de vérifier que le même effet n'est pas survenu. La collecte d'un ou deux signaux déclenche une alerte pour faire que l'on s'intéresse précisément à ce produit. Un nombre limité de signaux est suffisant. Un ou deux signaux suffisent pour déclencher une enquête et surveiller le produit de façon très stricte. Nous n'avons pas besoin de nombreux cas, mais d'un cas bien documenté et d'une observation médicale qui tienne la route, à savoir un diagnostic clinique.
Nous étudions désormais tous les cas survenus sur le territoire français. Nous pouvons dorénavant demander des précisions à l'Europe et analyser la bibliographie parue sur le sujet. Vous avez évoqué une analyse bibliographique.
Ce n'est apparemment pas une bonne bibliographie, la revue que j'ai citée n'ayant pas une bonne cote.
La cote des revues n'a pas d'importance. Nous avons besoin en pharmacovigilance de cas publiés pour nous mettre en alerte. L'impact factor n'a pas de rapport avec la gravité des effets indésirables d'un médicament. Ce qui est important pour la bibliographie est que vous avez pris l'époque des années 90. Or nous disposions dans les années 90 de moyens réduits pour effectuer une recherche bibliographique. Nous recevions des livrets une fois par semaine sur la littérature internationale que nous devions éplucher. Il est possible que notre vigilance n'ait pas été maximale et que nous soyons passés à côté d'éléments importants. Actuellement, nous disposons d'outils plus performants. L'abstract que vous avez cité, publié en 2003, était un résumé de publications qui étaient très difficiles à trouver à cette époque. Je ne prétends pas que nous n'avons pas commis d'erreurs, mais il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Nous avons besoin de l'appui de professionnels pour nous aider dans notre tâche.
Comment voyez-vous l'articulation entre les études épidémiologiques à partir de données de la Cnam et la pharmacovigilance ? Le dispositif français manque-t-il d'une structure adaptée pour mener à bien ces études ?
Les études sont très utiles, mais nous ne pouvions certainement pas les faire à l'époque du Mediator, en 1999 ou au début des années 2000. Les bases de données de la Cnam n'étaient pas disponibles à l'époque. Elles sont utiles dans certains cas, mais elles n'apportent pas toujours de réponse. Une étude pharmaco-épidémiologique n'apporte pas tous les éléments. Il ne faut pas s'en priver pour autant dans certains dossiers où elles sont indispensables.
Votre propos est très important. Vous indiquez que l'étude pharmaco-épidémiologique rétrospective n'est pas suffisante pour déterminer les effets indésirables d'un produit. L'étude pharmaco-épidémiologique rétrospective sur le Mediator qui donne des estimations de cinq cents à deux mille morts est-elle insuffisante ?
Ce n'est pas ce que je prétends. Cette étude a emporté la conviction. De nombreuses personnes étaient convaincues du risque, mais il a fallu cette étude pour entraîner la décision d'interdire le médicament. Je ne suis pas certain qu'elle apportera des informations nouvelles. Je pense qu'une décision devra être prise même si l'étude n'est pas concluante.
Les éléments ont entraîné l'interdiction du Mediator sont-ils liés à des critères cliniques ?
Nous disposons de faits expérimentaux et cliniques, c'est-à-dire de nombreux éléments réunis. Dans l'éventualité où l'étude de la Cnam n'apportait pas de nouvelles informations, nous devons tout de même nous demander s'il convient de donner la prééminence à l'étude pharmaco-épidémiologique ou à l'ensemble des éléments pharmacologiques et toxicologiques réunis.
Vous indiquez que les études pharmaco-épidémiologiques ne sont pas suffisantes.
Je dis plutôt qu'elles n'apportent pas de réponse dans tous les cas.
Certes, mais le seul fait que le Mediator ait des effets indésirables ne suffit pas à emporter la conviction. L'observation en 1999 de deux cas cliniques, dont l'un est contesté et l'autre concerne une insuffisance aortique de Marseille. Un cas est incontestable, l'hypertension artérielle pulmonaire survenue en 1999. Cet élément était insuffisant, sans quoi le Mediator aurait été retiré. Il n'a pas été possible de prendre une telle décision à cette époque. Si nous avions pu faire une étude pharmacologique rétrospective, nous aurions pu détecter un certain nombre de cas. Une étude rétrospective permet de compléter la recherche. Je ne pense pas qu'une étude pharmaco-épidémiologique puisse démentir des faits cliniques. Que voulez-vous dire en affirmant que ce type d'étude peut être insuffisant ? Elle vient compléter les observations effectuées d'un point de vue clinique.
En 1999 et 2000, il n'était pas possible d'effectuer ce type d'étude sur le benflluorex. Nous aurions emporté la conviction si nous n'avions pu le faire. Nous n'avons souvent pas besoin de mener des études longues d'une dizaine d'années pour obtenir des résultats probants. Les études pharmaco-épidémiologiques sont très utiles dans certaines situations, mais il ne faut pas retarder la décision pour autant.
Je partage votre point de vue. Le rapport de l'Igas évoque l'article du professeur Bernard Bégaud dans le traité de pharmacologie du Professeur Giroud : « un seul cas peut, à la limite, suffire à démontrer la capacité que possède un médicament de produire un effet donné ». Ce cas est-il suffisant pour retirer ce médicament ? Faut-il un grand nombre de cas ? Si oui, combien de cas ? Y a-t-il des normes ? L'étude pharmaco-épidémiologique n'est qu'un moyen de retarder le retrait de ce médicament qui provoque des cancers de la vessie en nombre suffisant pour l'interdire. Il semble intéressant d'effectuer une étude pharmaco-épidémiologique après le retrait du médicament pour en évaluer les dégâts. Est-ce concevable ?
Oui.
La pharmacovigilance est confrontée à un problème de sous-notification. L'apparition d'un cas signifie qu'il y en a peut-être vingt. Vous comprenez la problématique. Pouvez-vous répondre ou faire des commentaires sur ce point ?
Il n'y a pas de cas général. Dans certains moments, même l'absence de cas est suffisante pour interdire un médicament. Par exemple, nous n'allons pas attendre d'avoir un doute sur la toxicité du parabène en attente d'un désastre pour le retirer. Ce n'est pas un médicament, mais il peut être utilisé comme conservateur de certains médicaments. Tout dépend du cas de figure. Très peu de cas suffisent pour prendre une décision susceptible de sauver des milliers de vies.
Oui.
Nous devrions lancer moins de médicaments sur le marché, et nous aurons moins de problèmes, ou plutôt nous aurions des médicaments efficaces qui amèneront moins de difficultés. Ou encore ces difficultés concerneraient des médicaments inefficaces, ce qui générerait moins de difficultés pour prendre des décisions.
Vous avez évoqué un médicament inutile qui a été classé ASMR 5 par la commission de la transparence. Cela signifie qu'il n'aurait pas dû être mis sur le marché ou pris en charge par la sécurité sociale. C'est un problème en amont, davantage qu'en aval. La commission de pharmacovigilance a fait son travail dans ce domaine. Vous avez demandé la suspension de ce médicament, mais cette demande n'a pas été suivie, ce qu'on peut regretter.
Je souhaite revenir sur la relation entre les études épidémiologiques et les données cliniques. Quelle est la robustesse des études pharmacologiques rétrospectives ? Un certain nombre de cardiologues qui se sont exprimés devant la commission prétendent que la méthodologie de la Cnam utilise le PMSI, outil économique précieux, mais qui a des insuffisances. Les cardiologues expliquent que la Cnam n'a pas de code pour les valvulopathies médicamenteuses. Les auteurs de l'étude ont tenté de recenser toutes les insuffisances, quelles qu'en soient les causes. Ils ont fait appel à un code binaire, alors qu'en France les valvulopathies sont rarement d'origine rhumatismale. Les épidémiologistes et les médecins, qui disposaient de données cliniques pour s'accorder, ont eu un dialogue de sourds.
En tant que pharmacologues, vous avez besoin d'éléments de plus en plus robustes pour mener vos enquêtes. Vous pouvez agir auprès de la Cnam pour que les éléments et les codes soient modifiés, ou pour rencontrer un certain nombre de données cliniques. Comment répondez-vous à ce que disait le professeur Acar par rapport à toutes ces insuffisances ? Quelle est la robustesse des études pharmaco-épidémiologiques de manière rétrospective ?
Il faut être très prudent. Une étude pharmaco-épidémiologique présente ses limites : elle est rétrospective. De nombreux biais sont possibles. Deux études aux résultats concordants plutôt qu'une sont plus pertinentes. En ce qui concerne le traitement hormonal de la ménopause, des dizaines d'études pharmaco-épidémiologiques rétrospectives ont été additionnées. Elles concluaient toutes que le traitement était coronaro-protecteur. Une étude bien faite, prospective, menée aux Etats-Unis, prouvait l'inverse. Il faut accepter cette situation.
Je n'ai pas compris votre allusion. Les études pharmaco-épidémiologiques sont un outil extrêmement important qui va se développer, dont la finesse va s'améliorer, mais il faut les accepter avec cette logique et le bon sens requis. Il était extrêmement difficile de statuer sur un cas en 1999. Le bruit de fond de l'hypertension pulmonaire est permanent. La distinction entre le bruit de fond et un cas réel est extrêmement difficile.
Pensez-vous que l'on pouvait suspendre le médicament dès cette époque ? Sinon, que pouvions-nous faire qui ne l'a pas été ? Imaginez que l'on préconise pour le Mediator une enquête équivalente à celle commandée pour l'Isoméride du type International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS). Etait-ce envisageable ? Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
Le benflluorex n'a-t-il pas été inclus dans l'IPPHS ?
Non. C'est justement le problème. J'ai interrogé plusieurs personnes sur ce sujet, notamment le professeur Lucien Abenhaïm. Je ne comprends pas que l'on ait pu étudier l'impact des fenfluramines sans s'occuper du Mediator. En outre, certains cas analysés ne concernaient pas des malades qui prenaient de l'Isoméride, mais aussi du Mediator. Nous enregistrons quatre ou cinq cas dans le rapport de 1994 sur l'Isoméride. Le rapport Bechtel relève le nombre d'hypertensions artérielles pulmonaires consécutifs à la prise. Quatre ou cinq patients prenaient de l'Isoméride, mais aussi du Mediator.
Nous aurions pu nous poser une question à partir de ces cas. Nous aurions dû nous demander pourquoi ce médicament produit par Servier aurait pu avoir un rôle dans l'apparition de l'hypertension artérielle. Nous aurions pu commander une étude sur le benflluorex. Cela n'a pas été fait. Nous avons simplement commandé une étude qui n'a donné des résultats qu'au bout de sept ou huit ans. Avez-vous des réponses à apporter à cette question ? Pourquoi avoir tant attendu ? Quelqu'un souhaite-t-il répondre ?
Le benflluorex n'est pas le seul médicament pour lequel des études ont été longues à produire.
Lorsque un médicament n'a pas une grande utilité, c'est, selon moi, une perte de temps et d'argent de mener des études. Il aurait fallu le retirer en 1999.
Vous étiez sans doute très isolée à tenir cette position, sans quoi le médicament aurait été retiré.
Je m'en veux de ne pas l'avoir dit assez fort.
Que pense le président de la commission nationale de pharmacovigilance de cette question ?
Le signal existait à cette époque. Il était extrêmement difficile de l'interpréter en l'état. Face à la faible efficacité de ce produit, nous pouvions nous interroger sur l'opportunité de le laisser sur le marché. Je lui reconnais une petite efficacité au niveau de l'hémoglobine glyquée. Mon objectivité s'arrête sur ce point.
Je n'ai pas d'avis personnel. Je m'en remets à l'avis de la commission de la transparence, qui considère que ce médicament n'était pas suffisamment efficace pour que nous puissions recommander son remboursement par la sécurité sociale. Cet avis émis en 1999 a été rappelé en 2006. Je n'ai pas de position personnelle sur ce sujet.
La position du comité technique de pharmacovigilance a évolué car nous avons demandé la réévaluation du rapport bénéfices-risques du Mediator en 2005. Nous étions beaucoup plus précis en 2007 lorsque nous nous sommes fermement interrogés sur l'intérêt de ce produit et en se prononçant pour un rapport bénéfices-risques défavorable.
Je ne le nie pas.
L'Europe s'est emparée du dossier du benflluorex. A ce moment, nous avons le sentiment que le dossier s'éloigne, que le problème doit être transposé au niveau européen, ce qui est bien entendu une erreur. L'Europe a eu besoin de temps pour réagir. Elle n'a même pas réagi concernant ce dossier, puis les observations sont arrivées de façon lente et fragmentée. En 2005, nous nous sommes aperçus que des cas d'hypertension pulmonaire étaient évidents, ce qui nous amène à réévaluer le rapport bénéfices-risques du médicament en 2007.
Ce problème pourrait perdurer aujourd'hui sans l'intervention d'Irène Frachon. Cette situation est désespérante.
Comme vous le rappelez souvent, au-delà de comprendre ce qui s'est passé, l'objectif des travaux de cette commission est que ce que nous avons connu avec le Mediator ne se reproduise pas et d'améliorer l'avenir. Je souhaiterais revenir sur le sujet des études épidémiologiques rétrospectives et prospectives. Je partage le point de vue sur les études pharmaco-épidémiologique rétrospectives, dans la mesure où un outil statistique doit être adapté a priori à ce que l'on cherche à démontrer, jusque dans la construction des échantillons ou la construction expérimentale du recueil des données.
La méthodologie rétrospective peut ne pas apporter des réponses proches de la vérité ou des éléments dont nous sentons pourtant qu'ils sont pertinents. La méthode n'est pas idéale car nous récupérons des données prouvées pour les manipuler et les adapter à l'outil statistique. Cette approche est nécessairement négative. Nous n'avons pas effectué systématiquement des études épidémiologiques prospectives. Lorsque l'efficacité d'un médicament n'est pas prouvée, il ne faut pas le commercialiser plutôt que de perdre de l'argent en effectuant une étude.
Sur un médicament qui a une efficacité, vous semble-t-il possible d'établir des critères simples permettant d'enclencher une étude épidémiologique prospective adaptée à vos besoins sur le médicament ? Comment peut-on faire pour mettre en place cette étude épidémiologique prospective sans attendre les effets indésirables du médicament ?
La difficulté des études prospectives est liée au fait que l'on travaille souvent sur un risque très faible en pharmacovigilance qui nous oblige à suivre des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de patients. Avec trois mille patients, vous êtes certain de trouver un cas ayant une incidence d'1 sur 3 000. Or nous travaillons sur des incidences faibles d'1 sur 10 000 ou 1 sur 100 000. Des études prospectives supposent de suivre énormément de patients pour évaluer un impact.
Malgré les difficultés des études prospectives, de quoi auriez-vous besoin ?
Nous aurions besoin en France de bases qui nous permettent de travailler correctement. Certains critiquent l'Internet protocol multicast standards initiative (IPMSI). Ce système n'était pas idéal, mais il nous a permis de progresser. Il comporte quelques atouts malgré toutes les erreurs envisagées. Nous avons besoin d'effectuer des études rétrospectives et de travailler sur des études cas non-cas qui nous permettent de valider nos idées. La France doit se doter de moyens conséquents si nous devons mener des études prospectives. Il y a très peu de cohortes en France par rapport aux pays scandinaves ou du Nord. Il est fondamental de constituer ces grandes cohortes qui nous permettent de construire une étude scientifique sérieuse. Nous avons pu le faire concernant la cohorte E3N, mise en place par des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la rechercher médicale (Inserm).
La cohorte est liée au fait d'inclure à un moment donné tous les patients présentant une caractéristique homogène et de les suivre au cours du temps : exposition ou non à un médicament, mise en évidence d'une exposition, etc.
Certes, mais nous n'avons pas d'expérience de la cohorte en France.
Nous n'avons pas non plus la culture de l'étude pharmaco-épidémiologique prospective. Nous ne pouvons pas trouver un langage commun. Ce sont deux approches différentes.
Etant donné que nous évoquons les données épidémiologiques, je souhaiterais rappeler que les professionnels de santé britanniques disposent de la base GPRD. Il serait aisé d'implanter quelques données médicales supplémentaires dans la base de la sécurité sociale. La construction de ce genre de base dépend de la volonté des pouvoirs publics.
Il y a plusieurs possibilités. Nous étudions dans les plans de gestion de risque si nous avons besoin de certains types d'étude pour une molécule donnée. Ce type de réflexion est basée sur le fait, quand nous suivons des médicaments pour une mise sur le marché européenne, d'effectuer des études pharmaco-épidémiologiques. Or, ces études sont généralement prévues dans d'autres pays que la France, ce qui est regrettable. En effet, cela ne permet pas de voir à quoi la population française est exposée.
Vous affirmez que l'étude comporte un certain nombre d'erreurs. Aurait-il été possible de les démasquer pour avoir une étude plus fine ? Sinon, pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Nos entreprises pharmaceutiques ont-elles la faculté de limiter les signaux de pharmacovigilance ? Cela fut-il le cas sur le Mediator ? Pourquoi ces erreurs n'ont-elles pas été dénoncées ? Les estimations portent sur une base de 500 à 2 000 morts. Une erreur dans l'évaluation serait dramatique.
Catherine Hill estime que le Mediator a causé près de 500 décès. C'est une estimation. Elle a expliqué dans son article les biais qu'elle a rencontrés au cours de son étude. L'étude de Mme Fournier et M. Zureik est construite différemment. L'objectif de ces études consistait à estimer le nombre de patients et décès, sans autre vocation. Catherine Hill a été très précise sur ce sujet : elle n'avait pas d'autre objectif que de conforter une hypothèse établie.
Catherine Hill a été très précise lorsqu'elle est venue au Sénat, en indiquant qu'il s'agissait d'une estimation de la réalité. Son estimation est l'outil qui permet de se rapprocher le plus de ce qui s'est passé dans la réalité. Je ne pense pas que l'on soit en mesure de produire une étude qui permette d'approcher de plus près de ce qui s'est passé dans la réalité. Il sera très difficile de procéder à cet examen. Il est parfois nécessaire d'avoir recours à ce type d'outil pour approcher la réalité. Vous êtes d'accord avec cette affirmation ?
Les entreprises pharmaceutiques tentent-elles de limiter la pharmacovigilance ?
Oui. Tout dépend de quelle manière la firme enregistre le signal qu'elle reçoit. Nous reprochons beaucoup aux entreprises pharmaceutiques de ne pas tenir compte des entités cliniques. Le codage MedDRA permet d'« exploser » une entité clinique. Un syndrome est divisé en de nombreux symptômes. Lorsqu'on interroge la base de données pour identifier des événements similaires, par exemple pour le Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (Dress Syndrome), notre recherche s'effectue à plusieurs niveaux. L'arborescence MedDRA impose de reconstituer a posteriori une entité clinique, ce qui est difficile pour nous.
Cela peut nous amener à interpréter un cas différemment selon la recherche que nous effectuons dans la base. Globalement, nous parlons un même langage de pharmacovigilance industrielle. L'objectif de l'enquête est de nous réunir, c'est-à-dire de confronter nos données afin de parvenir à un consensus. L'enquête nous offre un aperçu assez exact de la réalité.
A ma connaissance, il n'a pas été prescrit dans les hôpitaux où je travaille et que je connais.
Sur l'évaluation de contrôle du médicament, faut-il fusionner le comité national de pharmacovigilance (CNPV) et la commission de l'AMM ? Comment éviter que la première soit subordonnée aux réunions de la seconde ? La CNPV doit-elle disposer d'un pouvoir de suspension d'un médicament présentant des risques ? Quelle procédure proposeriez-vous dans ce cas ?
Que proposez-vous pour améliorer la procédure ? Nous avons un avant-goût d'une réunion commune avec celle que nous avons visionnée sur le site de l'Afssaps. Considérez-vous que cela constitue un progrès ou que nous devons créer un meilleur dispositif ? M. Jacques Caron, qu'en pensez-vous en tant que président de l'Association nationale de pharmacovigilance ?
L'augmentation des prérogatives de la commission nationale de pharmacovigilance me semble nécessaire. Je ne sais si les instances doivent continuer de fonctionner de manière parallèle ou fusionner. Nous apprenons toujours au contact des uns et des autres. La commission d'AMM confie des informations importantes à la CNPV. Encore faut-il que nous puissions confronter nos données de manière paritaire. Encore faut-il que le président de la CNPV ne se présente pas seul au sein de la commission d'AMM pour défendre un dossier.
La stricte parité serait nécessaire si nous mettions en place des réunions mixtes, commission d'AMM et CNPV. Par ailleurs, nous pouvons imaginer que la commission nationale de pharmacovigilance puisse statuer sur un médicament de façon ferme et définitive afin qu'un problème soit très rapidement réglé. Ce projet peut être rapidement mis en application.
Je ne pense pas qu'il faille détacher le post-AMM du pré-AMM.
Nous tirons en partie nos informations du pré-AMM. Nous en avons besoin, et encore plus actuellement. Nous ne sommes pas des spécialistes de toxicologie ou de pharmacocinétique. Nous maîtrisons mal certaines informations en raison du manque de spécialistes qui nous permette d'appréhender ces informations de manière claire, didactique et efficace. J'ai toujours été étonné que la commission nationale de pharmacovigilance ne contienne pas de toxicologue, qu'il existe un groupe PGR/PPI qui se réunisse sans intégrer officiellement des représentants de la commission nationale de pharmacovigilance. Je suis favorable à une restructuration de la CNPV.
Votre propos est inquiétant car le groupe PGR/PPI assure la prise en considération des plans de gestion des risques et de l'examen des études post-AMM, dont nous constatons qu'elles ne sont pas réalisées comme il se doit. Je suis étonné que vous ne soyez pas partie prenante de ce groupe.
Ce groupe de travail donne des avis sans avoir des représentants officiels au niveau de la CNPV.
Oui. Je souhaite que ce groupe soit représenté au sein de la commission. Nous nous nourrissons des données du pré-AMM. Les deux instances ne doivent pas fonctionner en parallèle. Nous avons besoin d'informations. La création d'une commission paritaire avancée par notre nouveau directeur général est une solution qui me paraît à envisager.
S'agit-il de la commission qui s'est réunie dernièrement à propos de l'Actos ?
Cette commission n'était pas composée de manière paritaire car elle regroupait trois ou quatre personnes de la CNPV. Nous étions noyés au sein de la commission d'AMM.
En 2007, nous étions convaincus de l'importance de retirer le Mediator. Nous nous sommes retrouvés isolés au sein de la commission d'AMM.
La présence de cardiologues est-elle souhaitable en raison des types de pathologies ?
Bien entendu.
Faut-il élargir les compétences de la pharmacovigilance pour une meilleure prise en compte du risque lié au médicament ?
Le champ de compétence de la pharmacovigilance doit évoluer avec la directive européenne sur ce point. Il conviendra de veiller à ce que la pharmacovigilance soit davantage intégrée à la gestion de risques médicamenteux.
La Commission européenne sera vraisemblablement influencée avec retard.
J'ai siégé dix ans au Parlement européen. J'ai constaté que nous ne prenions pas, contrairement aux anglo-saxons, les discussions en amont. Avez-vous envie d'élargir le champ de la pharmacovigilance ?
Nous avons participé aux travaux de l'association des centres régionaux de pharmacovigilance. Nous avons alerté les représentants français de divers sujets qui nous paraissaient problématiques. Le cabinet de Mme Roselyne Bachelot a accepté de nous recevoir pour discuter de ce problème. Il nous paraissait déraisonnable que la pharmacovigilance doive être assurée uniquement par les industries du médicament.
Nous avons revendiqué une pharmacovigilance forte. Nous avons reçu du soutien pour qu'une pharmacovigilance forte, financée par les états, soit maintenue. Nous étions initialement menacés de disparition. Je ne suis plus informée de ce qui se passe. Le champ de compétence de la pharmacovigilance sera élargi. L'erreur médicamenteuse doit intégrer notre champ de compétence, ce qui nous ouvrira vers des collègues pharmaciens en vue d'accroître la culture de la pharmacovigilance.
Nous avons essayé de défendre au mieux les intérêts de la pharmacovigilance publique, mais nous n'avons pas été entendus sur certains points. Nous voyons que dorénavant une commission donnera les AMM et une autre commission donnera un avis sur la pharmacovigilance. En cas de désaccord, l'équivalent de la commission d'AMM devrait justifier pour quelle raison elle ne suit pas l'avis de la seconde. Pour la première fois, cette décision reconnaît à la pharmacovigilance une existence et un rôle dans la décision. Le fait que les membres de la commission d'AMM doivent justifier leur décision est une évolution importante.
Quel degré d'autonomie doit-on accorder à la commission de pharmacovigilance ? La commission nationale de pharmacovigilance n'est pas une instance majeure. Tout avis qu'elle émet doit transiter par la commission d'AMM. Les avis relatifs à la suspension des médicaments ou sur les effets indésirables d'un médicament ne devraient pas transiter par la commission d'AMM, mais être confiés directement au directeur général qui alors prendrait sa décision.
En conclusion, je serais favorable à ce que la commission nationale de pharmacovigilance prenne plus de poids qu'actuellement. Cela éviterait de vous retrouver en situation minoritaire comme vous l'étiez à propos de l'Actos, alors que vous disposez de tous les éléments pour prendre la bonne décision. Pour ma part, je défendrais plutôt ce type de proposition dans le cadre de notre mission. Je voudrais votre avis sur ce sujet.
Cette deuxième solution est envisageable. Une troisième solution consiste à réunir cette commission paritaire en cas de désaccord entre la CNPV et la commission AMM. Les différents scénarii présentent des avantages et des inconvénients. Je pense qu'il faut accorder davantage de prérogatives à la commission nationale de pharmacovigilance. Cependant, il ne faut pas la couper de l'AMM afin de favoriser un échange indispensable entre ces deux instances.
Certains prétendent que la commission d'AMM éprouve quelques difficultés à retirer les médicaments qu'elle met sur le marché, alors que la commission nationale de pharmacovigilance en a moins.
Je pense que l'on peut donner un avis favorable sur un médicament, puis changer d'avis. Il n'y a aucune honte à changer d'avis. En outre, les membres de la commission d'AMM sont renouvelés tous les trois ans.
Je ne veux pas préjuger, mais il y a eu une opposition très claire entre la CNPV et la commission d'AMM sur ce point.
La confrontation des arguments de la CNPV et de l'AMM au sein d'une commission paritaire aurait permis de prendre une décision plus structurée.
Nous pouvons également imaginer plusieurs scénarii susceptibles de fonctionner selon les problématiques auxquelles nous sommes confrontés.
Faut-il renforcer le contrôle des prescriptions en dehors de l'AMM ? Dans l'affirmative, de quelle manière cela peut-il avoir lieu ? En ce qui concerne les signalements de pharmacovigilance, le signalement direct par les patients doit-il être encouragé ?
Bien entendu, il faut mieux appréhender et évaluer la prescription en dehors de l'AMM. La prescription peut être parfois justifiée. Il faut le rappeler dans les hôpitaux où 30 % des prescriptions sont effectuées en dehors de l'AMM. Nous explorons un domaine peu connu qui mérite une attention particulière. Les données de l'assurance maladie et les évaluations sont de plus en plus importantes dans nos dossiers de pharmacovigilance. Une prescription en dehors de l'AMM ne peut être acceptée sur un grand nombre de produits. Ce motif doit modifier notre raisonnement face à un problème de pharmacovigilance.
Le second point que je veux souligner est la nécessité de se doter d'un outil de communication qui puisse toucher l'ensemble des praticiens. En informant les praticiens sur les risques potentiels avérés, nous pourrions infléchir une prescription en dehors de l'AMM. Nous ne disposons pas actuellement d'un outil de communication adapté des enjeux auxquels nous serons confrontés dans quelques années. Nous devons pouvoir intéresser les praticiens à notre démarche, sans les inonder d'informations, mais en leur donnant les informations qui permettent d'identifier un cas par l'intermédiaire d'un bilan de pharmacovigilance qui leur est fourni.
Si nous ne nous dotons pas de cet outil de communication, nous manquerons une des actions importantes de pharmacovigilance et favoriserons un mauvais usage du médicament. Ils reçoivent actuellement un document au milieu d'un grand nombre de courriers et qui finit malheureusement souvent à la poubelle sans être lu. Combien de médecins s'intéressent-ils à la documentation de l'Afssaps ?
L'Afssaps doit-il être « prescripteur » du système dont vous recommandez la mise en place ?
Oui. C'est une action extrêmement importante, également en termes de remontée d'informations.
A propos de remontée d'informations, il existe un problème spécifique concernant les outils de pharmacovigilance liés aux médicaments destinés aux enfants. Les médicaments pédiatriques sont rarement mis sur le marché. Ils donnent parfois lieu des erreurs de dosage. Cette problématique spécifique sur la pédiatrie risque de se poser également pour la population gériatrique. Est-ce une préoccupation actuelle de la pharmacovigilance d'avoir un regard spécifique sur la pédiatrie et la gériatrie ? Nous avons malheureusement peu parlé des enfants et des personnes âgées au cours de notre mission.
Je voudrais revenir sur la pharmacovigilance de terrain, que l'on est obligé de mener avec nos moyens. Concernant le premier point sur la pédiatrie, je confirme que peu d'études sont faites par les firmes. Cette situation traduit un manque important pour juger de l'efficacité, mais surtout de la sécurité des médicaments destinés aux enfants. Le système est balbutiant. Je le vois dans mon établissement. En revanche, ce système se développe davantage avec le milieu gériatrique. Nous pouvons commencer notre étude avec les centres de long séjour, mettre en place une formation continue et faire apparaître une surveillance des effets indésirables.
A la base, la pharmacovigilance est un travail relationnel, personnel, qui nécessite des moyens humains. Il est difficile de mener une pharmacovigilance régionale exhaustive. Nous menons des missions d'enquête, des missions de santé publique au niveau du terrain. Je suis impliqué très personnellement sur ce sujet. Chaque centre de pharmacovigilance souffre de difficultés de fonctionnement car les petits centres sont amenés à se renouveler régulièrement, avec des missions complexes et des perspectives dans des domaines peu explorés comme la pédiatrie et des domaines actuellement plus explorés comme la gériatrie.
Cette situation est-elle davantage liée au problème des centres de pharmacovigilance qu'au fait qu'il n'y a pas de dosage spécifique des médicaments pédiatriques ? Le nombre limité de médicaments pédiatriques est-il lié à un problème de moyens des centres de pharmacovigilance ?
Non, cela vient aussi de l'industrie qui lance peu de médicaments pédiatriques.
Il n'y a pas suffisamment d'essais cliniques sur les sujets âgés de plus de soixante-quinze ans. Cependant, deux centres de pharmacovigilance à Tours et à l'hôpital Cochin de Paris consacrent leur activité à la pharmacovigilance pédiatrique. Les deux représentants remplissent leur rôle au niveau du CRPV en se chargeant des dossiers pédiatriques. Quant à la gériatrie, nous gérons beaucoup de dossiers. Certains centres se sont spécialisés, et la pharmacovigilance est souvent à destination de sujets âgés, insuffisants rénaux, etc.
En conclusion, nous manquons effectivement de moyens. A Lille, nous disposons d'1,3 équivalent temps plein (ETP) pour assurer une pharmacovigilance régionale de plus de 4 millions d'habitants. C'est dérisoire !
L'essentiel est fait une fois que les médicaments sont vendus. Le reste est « à la fortune du pot ».
Une circulaire de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) de 2005 prévoyait une modélisation du nombre de praticiens hospitaliers nécessaire à la CNPV. Nous sommes en 2011. Nous sommes loin d'avoir atteint le modèle préconisé par cette circulaire de la Dhos.
Il serait bon que vous puissiez constater la différence entre les préconisations et la réalité pour faire fonctionner correctement les commissions de pharmacovigilance. En ce qui concerne le signalement des patients, nous avons travaillé sur une fiche pour que les patients puissent déclarer les effets indésirables. Cette fiche est théoriquement en cours de relecture ou validation. Il serait important que cette possibilité officielle du patient de déclarer les effets indésirables d'un médicament soit mise en oeuvre.
Cette modalité est offerte. Vous n'avez pas besoin d'attendre la transposition de la directive. Nous attendons simplement les décrets d'application. Leur publication prend un certain temps. Nous ferons le nécessaire pour rappeler au Gouvernement la nécessité que ces décrets paraissent le plus rapidement possible.
Ces informations très intéressantes nous apportent une autre vue que celle apportée par les professionnels de santé.
Je partage votre point de vue. Mesdames Messieurs, Mes chers collègues, nous disposons encore d'une minute pour clore nos débats.
Nous sommes en mai 2011. Avez-vous aujourd'hui dans vos dossiers de pharmacovigilance un certain nombre de médicaments qui vous inquiètent à part l'Actos ? En dehors de ceux connus médiatiquement, d'autres pourraient-ils nous préoccuper, en admettant que nous remettions notre rapport le 28 juin ?
Je dois prendre la parole sur ce sujet. Je n'ai jamais connu dans le secteur de la pharmacovigilance de période où il n'y a pas eu plusieurs dossiers qui nous inquiétaient très régulièrement. Depuis vingt-cinq ans que je travaille sur ce sujet, il n'y a jamais de période durant laquelle nous avons eu le sentiment qu'il n'y avait pas de problème.
Nous accueillons M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. Nous avons souhaité vous auditionner car la publication de votre livre Un air de santé vous a amené à établir des propositions sur le statut du lanceur d'alerte. Nous allons déborder de ce cadre, mais c'est essentiellement ce problème qui nous intéresse. Nous envisageons d'émettre des propositions allant dans ce sens. Nous souhaitons vous entendre pour présenter des propositions dans ce domaine. Vous savez que cette audition est ouverte à la presse. En ce qui concerne vos liens d'intérêts, je n'ai pas à vous poser la question traditionnelle car vous n'êtes pas médecin. Nous pouvons passer au coeur du sujet. Je vous transmets la parole.
Je vous remercie de m'avoir invité. La question des lanceurs d'alerte, je pense y avoir contribué par ce livre, ayant été moi-même en situation de lanceur d'alerte sur les éthers de glycol. Je travaillais à l'époque à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). A cette occasion, j'ai piloté un grand programme de recherche européen avec une quinzaine d'équipes. Quelques jours avant le colloque international censé dresser le bilan de cette étude, j'ai été licencié pour faute lourde et le colloque a été annulé. A l'étranger, le Whistleblower Protection Act donne une certaine protection aux lanceurs d'alerte.
Je suis à l'origine de la première jurisprudence sur la protection des lanceurs d'alerte, qui a reconnu aux salariés le droit de désobéir, c'est-à-dire de ne plus être soumis au principe de subordination hiérarchique en cas de risque pour la santé publique. La première jurisprudence a été prononcée par la Cour de cassation en l'an 2000, basée sur un jugement de la Cour d'appel de Nancy rendu en 1998 sur mon cas. Cela m'a amené à créer la fondation science citoyenne, qui a initié une proposition de loi. Il est important de comprendre le lien entre alerte et expertise qui n'est pas nécessairement compris immédiatement.
C'est une fausse bonne idée de raisonner en termes de statut du lanceur d'alerte. En effet, le lanceur d'alerte n'est pas un métier, mais une situation dans laquelle on se trouve. Il faut protéger l'alerte, ce qui suppose de protéger l'expertise et le processus d'expertise. Il n'est pas souhaitable de gérer le problème en aval. Il faut le gérer en amont en dehors de toute situation de crise en vue de protéger la santé publique. Pour ce faire, il faut dans tous les lieux de production de connaissance et d'expertise avoir des dispositifs qui permettent de gérer les contradictions autour de l'expertise et de l'alerte. Comment s'expriment-elles sans que cela se traduise par des mesures de sanction ? Je l'ai vécu directement en ayant été licencié pour avoir organisé un colloque sur les éthers de glycol.
Le lien entre alerte et expertise suppose de comprendre correctement l'enjeu de la déontologie de l'expertise. L'analyse de la littérature scientifique amène à se poser un certain nombre de questions. Il faut étudier les conflits d'intérêts et traiter cette question. Un autre aspect est encore plus important : la déontologie de l'expertise. Sur quels critères prend-on une décision sur les parabènes, pour reprendre l'actualité récente ? J'ai été interviewé abondamment sur ce sujet, notamment dans le quotidien Le Monde. Les données chez l'animal montrent une remise en cause des mécanismes de reproduction chez le rat après l'exposition orale au parabène, ou la consommation de produits alimentaires utilisant les parabènes comme conservateur.
En février 2011, une étude parue dans la meilleure revue de santé environnementale, Environnemental Health Perspectives, a analysé une population d'hommes ayant consulté dans un centre de fertilité. Cette étude a mis en évidence une relation entre l'imprégnation du parabène et l'atteinte du sperme, et notamment de l'acide désoxyribonucléique (ADN). Les données sur l'animal existent depuis plusieurs années. Nous avons la première confirmation de cette atteinte du parabène chez l'homme.
A partir de quel moment une agence doit-elle statuer ? Il y a un conflit sur cette question. Il faut prendre une décision à partir du moment où nous disposons des données expérimentales chez l'animal. Tout ce qui est acquis pour le rongeur doit être considéré comme ayant une implication pour l'homme. Nous avons de nombreux points communs avec le rat. Le fait d'être des mammifères est une proximité importante. Or nous disposons des données sur les animaux. A partir de ces données expérimentales, on aurait dû considérer un risque pour l'homme. Nous avons eu confirmation en février 2011 du risque constitué par le parabène pour l'homme. Or je n'avais pas noté de réaction immédiate des autorités compétentes à cette question.
Cette situation est relativement courante mais je continue à la considérer comme anormale. Une agence doit se baser sur le fait non pas que des articles paraissent dans la presse, mais que des données scientifiques sont publiées. Je comprends qu'il n'y est pas de réaction dans les vingt-quatre heures, mais un délai de trois mois est excessif. En outre, j'ai reçu la version électronique des conclusions de cette étude quelques mois avant février 2011. Nous avions posé la question des parabènes en octobre 2008, d'ailleurs juste avant la création du Réseau environnement santé, une population fragile, en posant la question des nourrissons pour lesquels on utilise des lingettes qui contiennent les cinq parabènes induisant un risque de pénétration cutanée. En effet, la peau est la principale voie d'exposition de cette substance. L'Afssaps ne nous a pas répondu. Il a fallu attendre quelque temps pour qu'il soit répondu qu'elle se préoccupait du problème. Nous n'avions pas jusqu'à présent considéré que les parabènes présentaient un tel risque. Les études récentes ont présenté un risque de cancer du sein lié au parabène. Enfin, les études récentes ont complété le tableau des risques liés au parabène.
A qui s'adresser si nous estimons que l'agence ne réagit pas dans les délais impartis ? L'agence peut défendre son point de vue. Pour le moment, la seule manière de gérer cette question est de s'adresser à la presse et aux médias. Le Réseau environnement santé a aujourd'hui suffisamment de crédibilité pour être écouté, mais ce fonctionnement est anormal.
Cet article dans Le Monde n'est-il paru qu'à la suite de l'intervention de votre réseau ?
Non. L'article fait référence à un rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), mais la question des perturbateurs endocriniens est liée à notre action menée depuis quelques mois. Le Sénat a voté à l'unanimité l'interdiction du bisphénol dans les biberons. C'est la première décision politique importante considérant qu'il y a suffisamment de données scientifiques pour prendre des décisions, alors que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), devenue l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) n'a toujours pas pris de décision officielle sur cette question.
Vous aurez l'occasion de récidiver sur le parabène, le bisphénol et les phtalates. En effet, les députés ont voté l'interdiction de ces molécules. Le message politique consiste à dire que nous avons suffisamment de données, que nous poursuivons la veille systématique sur un certain nombre de substances. Il y a eu trente études au cours des derniers mois sur les phtalates. Nous avons suffisamment de données pour prendre des décisions. Le vote des députés dans ce domaine me semble totalement justifié.
En réponse à votre question sur les perturbateurs endocriniens, le colloque que nous avons organisé à l'Assemblée nationale le 14 septembre portait sur le thème suivant : « Perturbateurs endocriniens, changement de paradigme pour l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux ».
Nous avons organisé un second colloque au mois d'avril 2011, au Muséum d'histoire naturelle, sur le thème « Biodiversité et perturbateurs endocriniens ». Sur le plan scientifique, nous avons suffisamment d'informations aujourd'hui pour considérer que les substances classées comme perturbateurs endocriniens ne peuvent plus être analysées comme des substances chimiques. Nous assistons à un changement de paradigme résumé en cinq points aux Etats-Unis.
Le premier point est lié au fait que c'est la période qui fait le poison, et non la dose, c'est-à-dire la période d'exposition, pendant la gestation, qui induit des effets sanitaires.
Le second point vient d'un effet différé du produit. L'exposition au distilbène, même courte, a été très dangereuse. L'exposition de quelques semaines à ce médicament a eu des impacts sur la première génération (cancers du sein, malformations génitales), et la seconde génération (malformation génitale liée au fait que leur grand-mère a pris un médicament cinquante ans auparavant), alors que la vision pharmacologique portait uniquement sur la durée de la vie de la personne qui avait pris le médicament.
Le troisième point est l'effet cocktail. L'étude publiée en février montre que lorsqu'il y a co-exposition chez les hommes entre butylparabène et bisphénol qui sont deux perturbateurs endocriniens, il y a un effet de synergie. Des essais ont révélé, par exemple pour les effets anti-androgéniques, selon une interview de Gordon Kemp dans un documentaire que « 0+0+0 = 60 » est une caractéristique des perturbateurs endocriniens.
Le quatrième point concerne la dose. La relation dose/effet du perturbateur endocrinien suit une courbe en cloche : l'effet grandit au fur et à mesure que la dose diminue. En effet, la forte dose induit une suppression des récepteurs qui annule l'effet.
Le cinquième point est l'effet transgénérationnel que j'ai évoqué dans le cas du distilbène : il y a une exposition durant la gestation à la génération F0 et des effets aux générations en F1, F2, F3. Nous disposons de données sur l'impact sur l'arrière-petit-fils d'une consommation de bisphénol au niveau de l'arrière-grand-mère. Nous avons une illustration de la nécessité de réfléchir à la déontologie de l'expertise, puisqu'il révèle un véritable problème de dysfonctionnement lorsqu'une agence ne tient pas compte de cette question.
Je vous remercie pour cette analyse et le fait de ne pas opposer expertise au lancement d'alertes. Pensez-vous qu'à un moment donné, avant d'aller devant les médias, il serait opportun qu'un lanceur d'alerte qui a découvert un dysfonctionnement puisse en informer les institutions comme la commission nationale de pharmacovigilance ? Nous avons évoqué plusieurs scénarii qui donnent la possibilité aux institutions d'auditionner des personnes sur tel ou tel médicament. En cas de découverte, pourrait-il y avoir une relation automatique entre le lanceur d'alerte et la commission nationale de pharmacovigilance ?
Dans les réformes qui seraient à apporter, quelles seraient vos suggestions ?
J'insiste beaucoup sur la déontologie de l'expertise. Il faut que nous puissions saisir une instance. Ce pourrait être une Haute Autorité de l'expertise, une sorte de commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) de l'expertise, qui dispose d'une autorité pour définir la déontologie de l'expertise et la faire respecter. A l'heure actuelle, il n'existe aucune instance qui puisse être saisie pour prendre en considération votre désaccord. En cas de refus, votre insubordination s'accompagne d'une sanction, avec une gradation d'effets pour la carrière personnelle sans aller jusqu'au licenciement, par exemple une mise au placard, une perte de moyens, une absence de promotion, etc.
D'une manière générale, il est important qu'une instance puisse être saisie en cas de conflits tant en interne qu'externe. Prenons l'exemple, des médicaments qui comportent de l'aspartame. Il est extraordinaire qu'une substance consommée par 200 millions de personnes, non seulement dans l'alimentation, mais aussi incluse dans les médicaments pour enfants, soit associée à une dose journalière admissible (DJA) sur la base d'études datant de 1973 et 1974 qui n'ont jamais été publiées dans une revue scientifique. Or, ces études sont totalement fausses. Nous disposons des témoignages de toxicologues de la Food and Drug Administration (FDA) de l'époque devant le Sénat américain. Ils affirment que des tumeurs retirées chez des animaux étaient replacées dans l'expérience. Cette procédure est tout à fait anormale. Ces études ont néanmoins servi de base à la DJA en 1980.
En 2011, trois études ont été faites depuis sur la cancérogénicité par l'Institut Ramazzini, centre de recherche toxicologique dont les travaux sont reconnus par l'ensemble de la communauté scientifique. Nous avons invité le directeur scientifique de l'Institut Ramazzini à la faculté de médecine en 2011. Les trois études n'ont pas été retenues, et nous continuons d'utiliser des études manifestement véreuses pour justifier une DJA. Qui saisir aujourd'hui, à part les médias ?
Pourrait-on saisir les instances sanitaires, la Haute Autorité de santé, les agences sanitaires et les présidents de la commission des affaires sanitaires de l'Assemblée nationale et du Sénat ? En Italie, chaque année, les présidents de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat présentent leurs réflexions. Ne pourrait-on pas déclencher une alerte si l'on était saisi officiellement ?
Le rôle des commissions des Parlements est important pour le contrôle de la Haute Autorité de santé. J'imagine difficilement que les parlementaires aient un avis sur chaque problème afférent à la déontologie de l'expertise.
La Haute Autorité de santé a des comptes à rendre, notamment aux parlementaires. Mais c'est un échelon différent. Nous avons besoin d'un échelon qui n'existe pas aujourd'hui. J'entends d'avance les critiques que ce serait une usine à gaz, mais cela simplifierait au contraire le dispositif. Actuellement, des comités font fonction de commissions de déontologie, mais ils n'ont aucun compte à rendre. Ils définissent eux-mêmes leur déontologie. En cas de conflit, personne n'analyse le conflit. Nous avons besoin d'une instance qui dispose d'une vision d'ensemble et doive rendre des comptes dans un rapport annuel au Parlement. Si les élus étaient saisis en permanence de toutes ces questions, ils seraient submergés.
Oui, par exemple un rapport annuel montrant l'évolution de l'état de la science. Dans le domaine des cellules souche, je lis tous les quinze jours une revue scientifique sur le sujet. Nul ne le fera si nous ne le faisons pas. Si une instance donnait l'état de la science, nous pourrions alors peut-être saisir les autorités.
Ce point relève d'un autre sujet. La veille scientifique n'est aujourd'hui pas effectuée correctement par les agences sanitaires. Nous effectuons de la vieille scientifique sur le bisphénol au niveau de notre réseau pour prouver qu'il y a un dysfonctionnement. Enfin, la Haute Autorité de santé devrait superviser cette activité.
Il existe une fonction de veille à l'Institut national de veille sanitaire.
Il s'agit d'une veille sanitaire qui a vocation à produire des connaissances sur la situation sanitaire de la population, localement et nationalement. La veille scientifique d'une agence consiste à étudier le contenu de la littérature scientifique et à l'analyser en vue de produire des résumés disponibles en fonction de l'évolution des connaissances.
Des organismes comme l'Anses sont en charge de produire des rapports, mais dans des délais assez longs. Et surtout, quelles conséquences en sont tirées ? Le bulletin de veille de l'Anses est intéressant, mais il ne permet de ne tirer aucune conséquence. L'Anses devrait réagir à partir du moment où une publication confirme que l'impact du parabène chez l'homme est identique à celui notifié chez le rat. Nous avons l'impression qu'il faut que les données s'accumulent pour avoir une certitude absolue et agir.
L'aspartame est la quintessence du dysfonctionnement de la veille scientifique, avec des conflits d'intérêts évidents, et les résultats des études varient en fonction des financements. Cette situation est malheureusement commune.
Pour partie, car l'aspartame est utilisé dans les médicaments et l'alimentation, comme le parabène qui est un conservateur également utilisé dans l'alimentation.
Existe-t-il d'autres médicaments que le distilbène dans cette situation ?
Je n'ai pas de connaissance d'ensemble. Je remarque un dysfonctionnement sur deux sujets.
Les phtalates interviennent-ils dans la composition de certains médicaments ?
Lors de la mission d'enquête parlementaire du Sénat sur la grippe A (H1N1)v, il nous avait été dit que des études auraient été faites sur le vaccin induisant des problèmes respiratoires. Avez-vous été informés de la conséquence de la grippe A (H1N1)v sur l'homme ?
Pensez-vous qu'il soit préférable de créer une instance plutôt que d'ouvrir les commissions sanitaires (autorisation de mise sur le marché, transparence, pharmacovigilance) aux seules associations de patients sans lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
Cette proposition est difficile à mettre en oeuvre car elle suppose une grande disponibilité et des moyens. Ce sujet soulève la question du financement des associations, car il serait impossible de fonctionner sans moyens. Les membres des associations doivent pouvoir venir siéger en faisant avancer le débat. Le mouvement associatif ne dispose pas d'une manière générale de cette capacité. Nous le vivons très concrètement en tant que réseau : nous n'allons pas nous positionner comme une contre-agence. Le fait d'être présent dans ces commissions supposerait une capacité de financement bien supérieure à celle du mouvement associatif. Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème plus général de financement des experts et des centres de recherche.
Avez-vous des propositions pour l'expertise ? L'essentiel est-il de créer une veille scientifique pourvue d'une dimension déontologique ?
Il faut faire en sorte que l'ensemble des disciplines scientifiques soient représentées dans l'expertise. J'ai travaillé sur d'autres dossiers qui recoupaient les questions du médicament, en particulier les éthers de glycol. A cette occasion, j'ai constaté des dysfonctionnements similaires. La seconde expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les éthers de glycol pour actualiser les connaissances a été publiée en 2006. Le comité d'experts réunissait cinq personnes dont deux provenaient du même laboratoire. Cette situation était problématique. En outre, il y avait un conflit d'intérêts dans ce comité car l'Afssaps, directement impliquée dans une intoxication mortelle liée à une autorisation donnée pour un médicament utilisant l'éther de glycol, était présente dans ce comité. Il faut aussi veiller à ce que ce type de conflit d'intérêts soit pris en considération. Le problème de la composition du comité en matière de diversité des disciplines scientifiques fait partie de la déontologie de l'expertise.
Comment constituer une base publique centralisant toutes les données sur le médicament, ne dépendant pas du financement de l'industrie ? Est-ce le sujet majeur ou la veille scientifique est-elle plus importante ?
Ce n'est pas contradictoire. Les observations concernent le domaine de la pharmacovigilance, qui constitue un autre aspect du problème. Ma compétence ne porte pas précisément sur ce champ.
Que pensez-vous de l'introduction dans le droit français des actions de groupe dans le domaine sanitaire ?
Une telle décision permettra évidemment de faire progresser la santé publique en France.
Je souhaite poser une dernière question concernant la création de cette Haute Autorité que vous préconisez pour vérifier l'authenticité d'une alerte. Nous souhaiterions créer une instance, une autorité indépendante chargée de contrôler l'expertise. Or cette autorité pourrait être en charge du contrôle des lanceurs d'alerte.
C'est exact. Cette autorité pourrait aussi être chargée de faire le tri dans les alertes. La création de ce dispositif peut attirer un certain nombre de gens qui lanceront des alertes pour exister. Cela ne signifie pas qu'une alerte même en apparence folklorique ne présente aucun intérêt.
Le temps imparti est révolu. Je vous remercie Monsieur Cicolella, pour votre intervention.
Le quotidien Le Monde dresse une liste impressionnante de ces médicaments, comprenant notamment la Biafine, le Primpéran, la Josacine, le Zinnat et le Sargenor.
Je vous rappelle que cette mission est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement en vue d'une éventuelle diffusion sur la chaîne Public Sénat. Vous avez la parole.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous présenter une brève description du cadre européen sur les médicaments. Si vous le permettez, nous interviendrons en deux parties. J'interviendrai tout d'abord en décrivant le système d'autorisation de mise sur le marché et de pharmacovigilance, puis Irène Sacristan-Sanchez interviendra plus précisément sur le « stress-test » de la nouvelle directive relative à la pharmacovigilance, appliqué au cas du Mediator, ainsi que sur la proposition relative à l'information des patients.
La réglementation pharmaceutique européenne est issue d'une longue évolution, la première directive datant de 1965. Celle-ci comportait deux aspects principaux : le principe d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments et l'harmonisation des conditions de cette mise sur le marché, selon trois critères, la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments, sur lesquels sont encore aujourd'hui basées toutes les évaluations.
Le système a évolué. Durant les années quatre-vingt-dix, nous nous sommes dotés d'une architecture institutionnelle et procédurale qui a introduit des mécanismes plus structurés que par le passé.
Le premier point très important a été la création de l'Agence européenne des médicaments (EMA) qui a un rôle de coordination. Les autorités sanitaires nationales mettent leur expertise à la disposition de l'Agence. Celle-ci s'appuie donc sur les ressources scientifiques des Etats membres, pour bâtir son avis sur la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments. Les compétences de l'Agence sont encadrées par la législation et varient selon la procédure d'AMM. Il existe en effet deux voies pour l'autorisation du médicament. La procédure centralisée vaut pour une autorisation du médicament au niveau européen, sur la base d'un avis scientifique de l'Agence, en vue d'une diffusion du produit dans tous les Etats membres de l'Union européenne.
A quelle sanction s'exposerait un Etat qui refuserait la commercialisation sur son territoire d'un médicament bénéficiant de l'AMM européenne ?
Le cadre réglementaire européen s'applique à tous les Etats membres. S'il s'agit d'un médicament qui passe par la procédure centralisée, les Etats membres sont tenus d'en accepter la mise sur le marché sur leurs territoires.
Parfois, l'ensemble des vingt-sept Etats membres ne votent pas de façon unanime, comme nous l'avons vu dans le cas de l'Arcoxia.
La procédure se déroule en deux étapes. La première est l'étape scientifique qui correspond à l'élaboration de l'avis rendu par l'Agence à la Commission européenne. La seconde est l'étape décisionnelle, qui associe la Commission européenne et les Etats membres. Chaque projet de décision de la Commission européenne est soumis au « comité permanent », dans lequel tous les Etats membres qui y sont représentés peuvent demander un débat. Un tel débat a lieu dès lors qu'un Etat le demande. Les « opinions » du comité permanent sont adoptées à la majorité qualifiée, selon une pondération attribuée à chaque Etat membre. Ce n'est qu'en cas d'avis positif que la Commission européenne peut conclure le processus décisionnel. L'Etat membre décide s'il souhaite poser ou non la question au comité permanent.
Un Etat européen qui agirait comme un lanceur d'alerte s'expose-t-il à une sanction ?
Il est rarissime qu'un Etat membre vote négativement au sein du comité. La décision s'applique à tous les Etats membres dès lors que le comité s'exprime en faveur de l'autorisation à la majorité qualifiée. J'insiste sur le fait qu'il est rarissime qu'un Etat membre s'oppose à une décision de la Commission.
Il faut aussi savoir qu'il existe des procédures nationales en matière d'AMM. A partir de 1998, la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché est devenue obligatoire pour tous les médicaments mis sur le marché selon une procédure nationale. On dénombre trois types de procédures sur les AMM : la procédure centralisée, la procédure nationale suite à une reconnaissance mutuelle, et la procédure purement nationale (valable pour les médicaments commercialisés avant 1998).
En quoi consiste la procédure décentralisée ? S'agit-il d'une quatrième possibilité ?
C'est une question de terminologie. Les autorisations sont centralisées ou décentralisées.
Quelles raisons ont motivé la suppression du renouvellement quinquennal des AMM à partir de 2004 ?
Je me propose de répondre à cette question. Tout d'abord, nous n'avons pas complètement supprimé ce système. Nous avons maintenu une procédure de renouvellement. Lorsque le premier renouvellement intervient au bout de cinq ans, il appartient aux autorités de décider si un renouvellement ultérieur est nécessaire. L'objectif des révisions de 2004 et 2010 était de concentrer les ressources des autorités compétentes sur des évaluations plus importantes.
Nous avons constaté que lors du renouvellement, nous reproduisions les évaluations menées durant l'autorisation de mise sur le marché. Les entreprises pharmaceutiques doivent soumettre des rapports périodiques de sécurité sur leurs médicaments. Il arrive un moment où nous connaissons le profil de sécurité et d'efficacité d'un médicament de manière approfondie, les obligations de pharmacovigilance se poursuivant durant toute la vie de l'AMM. Dans la mesure où le renouvellement n'ajoute pas nécessairement de nouvelles données, il n'apparaît pas nécessaire d'en maintenir la systématicité. De cette manière, l'autorité compétente peut décider, au cas par cas, de demander un renouvellement. De plus, le fait de ne pas demander un renouvellement n'empêche pas l'autorité de suspendre ou retirer à tout moment un médicament.
Dans quelles conditions un Etat peut-il retirer un médicament avant même que la Commission européenne n'ait pris cette décision ? Nous avons observé par le passé que certains médicaments ont été retirés de certains pays sans l'être au niveau européen. Dans quelles conditions cette situation est-elle envisageable ?
Il convient préalablement de distinguer les médicaments autorisés nationalement de ceux qui sont autorisés de manière centralisée. La Commission est chargée de retirer les médicaments autorisés de manière centralisée, notamment lorsqu'elle est alertée par un Etat membre qui constate un problème sur le terrain. Votre question vise plutôt les médicaments autorisés nationalement.
Je me suis sans doute mal exprimé. Nous pourrions trouver des médicaments mis sur le marché par l'Agence européenne, puis retirés par l'Agence d'un Etat. Cette situation est-elle possible ? A-t-elle jamais eu lieu ? Un Etat qui prend cette décision encourt-il une sanction de la part de la Commission européenne ?
Un Etat membre ne peut adopter l'acte administratif de retrait - cette prérogative appartient à la Commission européenne -, mais il peut retirer immédiatement des produits de son marché s'il juge qu'ils présentent des risques. A cette occasion, il saisit l'Agence européenne, qui entame une évaluation au niveau de l'Union européenne. La Commission retire l'autorisation à l'issue de la procédure. Dans l'attente, je le répète, l'Etat peut décider de suspendre la commercialisation d'un produit sur son marché.
La majorité des autorisations sont au final données au niveau national. Pour ces médicaments, le suivi est effectué par les Etats membres, notamment le suivi de pharmacovigilance. Cela changera en 2012 avec la mise en place de la nouvelle législation de pharmacovigilance. L'Agence européenne n'intervient pour des médicaments autorisés au niveau national que lorsqu'elle est saisie par un Etat membre, la Commission ou le titulaire d'une AMM. Les conditions de ces saisines sont définies dans la législation.
Je vous ai présenté un résumé très schématique des procédures d'autorisation. L'autre point qui nous intéresse est la pharmacovigilance. C'est en 1993 que nous avons introduit pour la première fois des dispositions de pharmacovigilance dans une directive communautaire, même si les conditions de retrait étaient déjà prévues par ailleurs. Ma collègue l'a déjà expliqué, un Etat membre a toujours eu la possibilité de suspendre une autorisation nationale à tout moment ou de suspendre la commercialisation d'un produit autorisé au niveau central. En conclusion, les Etats membres ont toujours eu les moyens d'agir à leur niveau.
La pharmacovigilance a été introduite progressivement dans la législation communautaire. Nous avons d'abord imposé aux Etats membres de surveiller les médicaments sur le marché, sans prévoir de procédure de coordination. Les mécanismes formels de coordination ont été introduits en 2004. Je rappelle toutefois qu'il existait déjà auparavant au sein de l'EMA, le groupe de travail de pharmacovigilance qui avait un rôle formel dans le cas des médicaments autorisés de façon centralisée. Pour les autres médicaments, ce groupe était utilisé de manière informelle par les Etats membres comme une plateforme pour échanger des informations.
A la faveur de la révision de 2004, le rôle de coordination joué par l'EMA en ce qui concerne les produits autorisés nationalement a été accru. Ce rôle a encore été renforcé en 2010. Cette évolution récente représente véritablement un bond en avant pour l'Agence en matière de pharmacovigilance.
Je propose de livrer quelques exemples pour vous expliquer à quel point cette évolution est significative. A présent, les effets indésirables sont pris en compte dans l'évaluation globale du médicament non seulement lorsque le médicament est utilisé selon les termes de l'autorisation, mais aussi dans des conditions dites « hors AMM ».
Oui, car aujourd'hui, au sens de la définition européenne, un effet indésirable est un effet observé dans l'utilisation normale d'un médicament.
Je n'avais pas le sentiment qu'on écartait les effets indésirables qui étaient liés à un médicament prescrit en dehors de son AMM. Par exemple, le Mediator a été utilisé en dehors de son AMM. Or, il me semble qu'on ne fait pas le tri entre les effets indésirables en fonction de l'usage qui a été fait de ce médicament.
Jusqu'à présent, l'obligation de notifier les effets indésirables ne concernait que les utilisations dans le cadre normal de l'AMM. A présent, un fabricant informé d'un effet indésirable qui se produit même en dehors de l'AMM doit le notifier.
L'obligation de notifier des effets indésirables repose sur le titulaire de l'AMM qui collecte les données, et aussi sur les Etats membres qui ont la responsabilité de répercuter l'information au niveau européen.
Le laboratoire est-il le seul à collecter ces données ? En France, nous avons des centres de pharmacovigilance chargés de collecter les effets indésirables en France. Les laboratoires n'ont pas le monopole de la collecte.
Ce sont les titulaires de l'AMM et les Etats membres qui ont cette responsabilité. Le fait que l'obligation de notification soit étendue à présent à toute utilisation du médicament constitue une évolution importante.
Cette évolution semble aller de soi, mais elle est pourtant très importante car elle a des conséquences sur l'évaluation du rapport bénéfices-risques et sur les motifs de retrait d'un médicament du marché. La législation actuelle permet de retirer ou suspendre une autorisation dès lors qu'un Etat considère que ce rapport est négatif dans les conditions prévues de l'utilisation du médicament. A partir de 2012, il sera possible de faire de même pour des constats faits dans le cadre d'une utilisation hors AMM. Cette décision est très importante car elle offre de nouveaux moyens aux Etats membres et à l'EMA, en ce qui concerne les produits centralisés, en cas de problème de sécurité sur un médicament.
Il est important de savoir également que la nouvelle législation donne la possibilité aux patients et aux médecins de notifier directement les effets indésirables. Jusqu'à présent, il n'était écrit nulle part que le patient pouvait signaler ces effets.
Nous tentons de nous assurer à la fois que cette possibilité existe dans tous les Etats membres et de mettre en place des voies de notification plus directes.
Pourquoi pas une communication des effets indésirables plus directe, mais selon moi, elle doit continuer de passer par l'Etat.
Le rôle des Etats reste essentiel pour effectuer le lien avec le patient, le médecin pour s'assurer de la qualité de l'information, pour éviter les doubles notifications, etc.
Nous sommes d'accord : les Etats membres ne sont pas court-circuités par cette directive ?
Non.
Le but de la législation européenne est de procéder à une harmonisation. Certains Etats membres s'inscrivent éventuellement déjà dans la perspective tracée par la nouvelle législation mais il n'en demeure pas moins qu'un effort d'harmonisation est nécessaire.
Un autre élément important en matière de pharmacovigilance est la création du comité consultatif pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance qui remplacera en 2012 au sein de l'Agence européenne du médicament, l'actuel groupe de travail de pharmacovigilance. Ce comité devra apporter son assistance et son expertise dans la prise de décision au comité des médicaments à usage humain, chargé de rendre des avis sur la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments dans le cadre des procédures d'autorisation centralisées, et au groupe de coordination des Etats membres, compétent dans le domaine des procédures d'autorisation nationales. Les conclusions de ce comité devront être suivies d'effets.
D'autres outils sont introduits dans la législation, notamment les plans de gestion des risques pour tous les nouveaux médicaments et la possibilité d'assortir une autorisation de certaines conditions liées à la sécurité du médicament, y compris la réalisation de certaines études post-AMM, qui peuvent être assorties de conditions de délais. En cas de dépassement du délai, il sera possible d'agir de manière proportionnée...
Nous reconsidérons l'AMM, mais un règlement autorise l'application de pénalités.
Les sanctions financières peuvent être élevées dans ce cas. Lorsque nous demandons des études post-autorisation, nous devons solliciter un outil pour nous assurer que cette étude est réalisée.
Est-ce ce qu'il se passe actuellement ?
Ce qui est important de retenir, c'est que les études post-AMM demandées devront être effectivement réalisées dans le délai imparti et ne pas être reportées indéfiniment.
Non, mais il est important de disposer d'un système qui permette de prendre des sanctions.
En France, nous observons que ces études post-AMM ne sont pas réalisées.
Cet outil permet de fixer un délai pour la réalisation de ces études.
Nous espérons que cela sera de nature à favoriser la mise en place de ces études qui ne sont pour le moment pas réalisées dans des délais acceptables.
Cet outil vise à résoudre ce problème. Un délai est désormais imparti. Nous verrons quelles mesures doivent être prises si le délai n'est pas respecté.
Les dispositifs de contrôle post-AMM incluent les rapports périodiques actualisés de sécurité, les plans de gestions de risques (PGR), ainsi que les études de sécurité post-autorisation. Quelle est la différence entre ces dispositifs ?
Le plan de gestion des risques accompagne l'AMM. Il expose la manière dont le laboratoire va assurer le suivi du produit en matière de pharmacovigilance. Les laboratoires pharmaceutiques mettent en place des systèmes de pharmacovigilance qui s'appliquent à certains voire à tous leurs produits. Le plan de gestion des risques est spécifique à chaque produit. Le degré de complexité du PGR est variable selon les produits.
Le rapport périodique de sécurité est un document qui doit être soumis régulièrement aux autorités sanitaires compétentes et qui propose une évaluation des effets indésirables qui ont été recensés par le laboratoire. L'enjeu, ici, n'est pas de savoir comment assurer le suivi en matière de pharmacovigilance, mais de faire connaître les événements indésirables qui se sont produits depuis le dernier rapport dans le cadre de l'utilisation d'un médicament.
L'Agence centralisera désormais dans une base de données, EudraVigilance, l'ensemble des informations relatives à la pharmacovigilance.
Pourquoi les professionnels de santé n'auront-ils qu'un accès limité à cette base de données ?
La législation ne précise pas pour l'instant l'accès des professionnels de santé.
J'ai cru comprendre que seules les autorités compétentes et les titulaires de l'AMM pourraient bénéficier d'un accès total à EudraVigilance.
La Commission européenne, l'EMA, et les Etats membres bénéficieront d'un accès illimité à EudraVigilance. Les titulaires de l'AMM disposeront d'un accès à la base de données limité à leurs seuls produits. Par ailleurs, il convient de définir pour l'avenir, l'accès du public, y compris des professionnels de santé. Ce point relève d'une question de protection des données personnelles. Il n'est pas possible de donner un accès total à une base de données qui contient des données personnelles.
L'accès du public, des professionnels de santé ne peut se faire que sur la base de anonymisées.
Si tel est le cas, elles devraient donc être accessibles aux professionnels de santé..
Je ne sais pas si ces données sont anonymisées. La législation impose de prévoir des accès appropriés tenant compte des exigences en matière de protection des données personnelles. Au-delà, la nouvelle législation vise, d'une manière générale, à améliorer la transparence en matière de pharmacovigilance.
D'expérience, nous savons que la transparence de l'EMA est loin d'être complète. Nous éprouvons parfois des difficultés à obtenir des informations de sa part. Nous sommes donc assez sceptiques sur ce sujet.
Nous avons renforcé la transparence avec la nouvelle législation. Les travaux du comité de pharmacovigilance seront publics, au même titre actuellement que les résultats de ses évaluations pour la mise sur le marché. Cette évolution constitue un progrès par rapport à la situation qui prévaut à l'heure actuelle. Il est important de mesurer le chemin parcouru.
Je voudrais encore souligner que la centralisation de toute l'information sur les effets indésirables dans EudraVigilance offrira une meilleure photographie de la situation. Nous pouvons imaginer des effets de basse fréquence qui ne ressortent pas au niveau d'un seul pays. En revanche, avec vingt-sept Etats membres, nous verrons apparaître de manière plus visible certains effets indésirables. Je vous ai donné une image schématique mais complète de l'évolution de la pharmacovigilance et de ses améliorations avec la législation de 2010. Ma collègue va vous présenter les résultats d'une analyse plus fine menée à la suite du problème du Mediator.
Il y a quelques mois, le commissaire chargé de la santé, M. John Dalli, nous a demandé d'effectuer une évaluation du nouveau dispositif de pharmacovigilance, adopté en décembre 2010, à la lumière du cas du Mediator. Les résultats ont été présentés par M. Dalli aux ministres de la santé des Etats membres au début du mois d'avril.
L'évaluation ne portait pas sur le cas Mediator en soi, mais sur la nouvelle législation. Nous avons tenu compte des éléments liés au Mediator en relation avec la législation européenne. Tout d'abord, cela nous a donné la confirmation que les systèmes de pharmacovigilance et les outils associés ont été grandement améliorés. Nous avons identifié toutefois trois points qui pourraient être encore améliorés.
Le premier point porte sur les procédures européennes de pharmacovigilance concernant les médicaments autorisés nationalement. Vous vous rappelez peut-être que lorsque la France a suspendu l'autorisation du Mediator en 2009, cela a déclenché automatiquement une procédure européenne qui a mené au retrait de l'autorisation du médicament dans les quatre pays où il était encore utilisé. Cette procédure s'est appliquée conformément aux dispositions introduites en 2004 dans la législation. D'après ces dispositions, lorsqu'un Etat membre envisage de suspendre, retirer ou modifier une autorisation pour des raisons de pharmacovigilance, cela déclenche automatiquement une évaluation européenne. Cela permet de signaler les problèmes de pharmacovigilance détectés à l'ensemble des pays où le médicament est autorisé.
Cette procédure est maintenue dans la nouvelle législation, mais son automaticité n'est plus de mise. Désormais, une évaluation européenne ne peut être déclenchée que si la Commission européenne ou un Etat membre jugent que des mesures urgentes sont nécessaires. En pratique, cela signifie que si un Etat membre décide de retirer un médicament, tout en estimant qu'il n'y a pas de caractère d'urgence, la procédure européenne n'est pas mise en oeuvre. Les signaux de pharmacovigilance détectés passeraient donc inaperçus dans d'autres Etats membres où le produit est autorisé. Il convient d'améliorer ce point de la législation pour revenir à l'automatisme.
Le deuxième point concerne les actions volontaires des laboratoires. Le Mediator a révélé que des signaux de pharmacovigilance peuvent échapper lorsque le laboratoire retire volontairement un médicament du marché. La nouvelle législation ne résout pas ce problème. Pour le moment, en ce qui concerne la procédure centralisée, nous avons l'instruction du commissaire John Dalli, en cas de retrait volontaire d'interroger le laboratoire sur les motifs de cette décision.
Le troisième point est lié à notre propos sur la transparence. Nous sommes confrontés à une demande accrue de transparence de la part du public concernant le suivi des médicaments. La nouvelle législation y répond au moyen de plusieurs dispositions, notamment en prévoyant de publier une liste des médicaments soumis à une surveillance renforcée. Pourtant, la nouvelle législation n'assure pas que tous les produits qui sont soumis à des conditions de sécurité renforcées seront intégrés dans cette liste. Il reviendra aux autorités compétentes de décider, au cas par cas, de faire figurer certains produits sous surveillance sur ladite liste.
Ce point pourrait être amélioré en permettant au public d'avoir une vue d'ensemble des produits soumis à une surveillance renforcée.
La Commission réfléchit actuellement aux moyens de traduire dans la législation européenne les résultats de son étude.
Vous indiquez qu'un certain nombre de médicaments seront soumis à des contrôles renforcés. Or, nous n'avons pas d'intérêt à multiplier ces médicaments sous surveillance. La prise de risque sur des médicaments efficaces est logique, alors que nous pouvons nous poser des questions concernant des médicaments dont nous n'avons pas la preuve qu'ils sont supérieurs à ceux qui existent. A l'heure actuelle, les médicaments sur le marché n'ont pas été comparés au préalable avec ceux de la même famille. Or, s'ils ne sont pas plus efficaces, il n'y a aucune raison de les mettre sur le marché. Je suis d'accord avec des contrôles renforcés mais dans la mesure où l'on effectue des tests comparatifs en amont pour ne pas mettre n'importe quel médicament sur le marché.
Une note d'orientation indique que la Commission est en train de remettre en cause ces essais pré-AMM avec des comparateurs et d'encourager des essais versus placebo, qui n'offrent pas de garanties sur l'efficacité du nouveau médicament. Tout médicament comporte des risques, mais je considère que ceux-ci ne sont acceptables que dans la mesure où nous avons affaire à des médicaments qui apportent véritablement un progrès thérapeutique. Or, les orientations de la Commission européenne sur ce sujet ne nous tranquillisent pas.
J'aimerais apporter des précisions. En ce qui concerne la procédure d'autorisation des médicaments, le fait d'avoir introduit dans la législation des possibilités nouvelles pour assortir les AMM de conditions ne signifie pas que l'on a diminué les exigences dans l'évaluation du rapport bénéfices-risques.
Il sera nécessaire d'apporter les preuves de votre propos dans les semaines et mois qui viennent.
La manière dont les autorités compétentes évaluent les médicaments n'a pas changé sur ce point. Cependant, dans la législation européenne relative à l'autorisation des médicaments, et plus généralement dans toute législation sur les médicaments, on s'attache à évaluer la qualité, la sécurité, l'efficacité des médicaments, mais sans exiger une comparaison avec d'autres médicaments.
Cependant, la Commission n'encourage pas les placebos plus que d'autres types d'essais.
La législation européenne se limite à établir la procédure d'autorisation des essais cliniques mais ne détermine pas la façon dont ils sont conduits.
Il nous a été dit que l'Agence européenne du médicament conseillerait de privilégier le placebo dans les essais cliniques.
En Europe, il faut une autorisation pour effectuer un essai clinique. Or, cette autorisation est nécessairement nationale. L'Agence européenne est incompétente dans ce domaine.
Cette directive vise simplement à harmoniser au niveau européen la manière dont les essais cliniques sont autorisés, mais elle n'octroie aucune compétence à la Commission européenne en la matière.
La directive invitera nécessairement les Etats membres à modifier leur législation sur les essais cliniques.
La directive prévoit que l'essai clinique soit systématiquement examiné par un comité éthique national. Les exigences éthiques des divers Etats membres ne seront pas harmonisées. Le comité national doit déterminer dans chaque cas s'il est éthiquement justifié de comparer le médicament avec le placebo.
Il existe également des lignes directrices (guidelines) en matière d'éthique pour les essais cliniques. Par exemple, la déclaration d'Helsinki qui est le standard international et qui n'exclut pas les placebos. Il y a aussi les lignes directrices du comité des médicaments à usage humain de l'EMA qui, par pathologie, et en fonction des cas, décrivent parfois les conditions dans lesquelles les placebos sont éthiquement justifiés ou non. Mais la décision finale revient toujours aux comités nationaux.
La législation européenne n'impose pas la comparaison. Un essai clinique est basé sur la procédure d'autorisation nationale. La Commission européenne n'intervient pas dans ce domaine.
J'aurais préféré que la Commission européenne estime que le placebo constitue une procédure d'exception, ce qui éviterait de mettre sur le marché des médicaments qui n'apportent aucune amélioration.
Je voudrais donner un complément d'information. Le problème du comparateur est lié au fait que la législation prévoit que chaque médicament est évalué pour son propre mérite. Ce point est important car il permet une plus grande diversité de médicaments pour traiter certaines pathologies.
Dans certaines pathologies, on n'en manque pas ! 150 antihypertenseurs. C'est plus qu'il ne faut pour guérir.
Certains peuvent être plus indiqués que d'autres dans des sous-groupes de population. Dans l'éventualité où nous commencerions à comparer et que l'on n'autoriserait que le meilleur, ce ne serait pas nécessairement le meilleur pour chaque sous-groupe. De plus, cela évite les problèmes de monopole.
La procédure centralisée n'est peut-être pas la bonne méthode dans ces conditions. Il faudrait laisser les agences nationales adapter les médicaments à leurs différents groupes de population.
Il ne s'agit pas de groupes de population par Etat membre, mais de facteurs intrinsèques à certaines personnes. Il existe une logique dans le fait de ne pas toujours comparer. Ce système est pensé de manière très sérieuse.
Je vous remercie d'avoir bien voulu attendre pour être auditionnés. Je vous rappelle que cette audition est enregistrée en vue d'une diffusion sur le site Internet du Sénat. Elle pourra aussi être diffusée sur la chaîne Public Sénat. Je ne pense pas que vous n'avez pas à déclarer de conflits d'intérêts, puisque vous n'êtes pas médecins. Nous sommes intéressés par l'évolution de la recherche dans notre pays. J'ai été sensibilisé à vos publications, en particulier sur votre site Internet, où vous êtes très critique sur les orientations que prend actuellement la recherche, notamment dans le domaine pharmaceutique. J'aimerais vous entendre sur ce sujet.
Je vous remercie de nous avoir invités.
Nous représentons l'association Sauvons la Recherche. Je suis chercheur d'immunologie et d'hématologie à l'hôpital Cochin. Mon voisin Pierre Aucouturier est professeur de médecine à l'hôpital Saint-Antoine.
Je n'ai aucun conflit d'intérêts.
Il est professeur de médecin, mais non médecin. Angélica Keller est chercheur en biologie, jeune retraitée. Nous ne sommes pas spécialistes de pharmacovigilance, mais nous sommes des chercheurs dans des structures publiques. J'aimerais parler brièvement de deux points en relation avec le Mediator. Pourquoi le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont-ils des institutions importantes en matière de santé publique ? Dans quelle mesure les évolutions récentes de ces établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) sont inquiétantes, y compris par rapport à ces questions de santé publique ?
Ces institutions fournissent un vivier d'experts dans toutes les disciplines, tous les domaines de santé publique, y compris sur les questions qu'ils ne se sont jamais posées. Lors de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), nous avons trouvé des spécialistes de cette question dans les EPST. Il est nécessaire que des scientifiques puissent travailler dans tous les domaines, y compris ceux dont on ne perçoit pas l'utilité immédiate.
Les EPST sont également importantes car elles donnent un cadre pour effectuer des recherches indépendantes des intérêts privés, notamment dans le domaine épidémiologique Nous avons discuté avec Pierre Meneton de l'Inserm qui a travaillé sur le sel. Il s'est heurté à de nombreuses personnes lors de ses recherches. Il a publié un bref article dans lequel il a montré l'influence des sources de financement sur les conclusions des articles scientifiques.
Cet article est paru dans un numéro récent de Biofutur. Pierre Meneton distingue les articles qui informent des dangers du tabac, de l'amiante, de l'alcool, du sucre et des phtalates de ceux qui ne prévoient aucun danger. Or, les articles qui disent qu'il n'y a pas de danger sont financés par des industries privées. Prenons un autre exemple : la moitié des articles prétendent que les abeilles disparaissent en raison du Gaucho, l'autre moitié des articles sont d'un avis contraire. Cependant, les articles qui disent que cette situation n'a rien à voir avec le Gaucho sont financés par Monsanto. Dans les agences comme l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), les experts peuvent travailler honnêtement sans tenir compte de ce facteur et être leurrés. Il est extrêmement important que des structures puissent effectuer des études sur des questions de santé publique sans dépendre d'un financement par des intérêts privés.
Pour l'ensemble de ces raisons, les EPST doivent être considérés comme des structures à protéger. L'évolution récente de ces établissements est-elle satisfaisante ? Pour moi et d'autres, elle est inquiétante. Nous nous apercevons qu'une part croissante du financement des laboratoires publics provient du privé. Ce n'est pas important quantitativement, les laboratoires privés finançant de petites opérations au bon endroit, ce qui crée un effet de levier leur permettant d'influer, surtout dans les laboratoires dont les crédits de base diminuent et sont à l'affût de tout complément de financement.
Les laboratoires privés peuvent être influents dans la recherche publique sans investir beaucoup d'argent. Sanofi-Aventis a effectué d'énormes économies en matière de recherche en licenciant près de 20 % de ses effectifs, en préférant sous-traiter la recherche dans le public. Ils investissent quelques millions d'euros correspondant à 1 % ou 0,1 % de ce qu'ils ont économisé en licenciant les chercheurs. De plus en plus de laboratoires sont financés par Sanofi-Aventis. Ils perdront immanquablement leur autonomie. Les faits sont là : on sait que l'influence de la source de financement sur les résultats est très importante.
J'ai assisté à une réunion de directeurs d'unité du CNRS. Le programme action thématique et incitative sur programme (ATIP) du CNRS, qui concerne des postes de jeunes chercheurs, est financé en grande partie par Sanofi-Aventis. Cette situation est anormale. Le CNRS devrait avoir suffisamment de fonds sans devoir faire appel aux entreprises privées. C'est clairement l'une des évolutions récentes du système de la recherche en France. Dans de plus en plus d'endroits, le privé s'insinue dans le fonctionnement normal des laboratoires publics. Le portail du site Internet de l'Agence nationale de la recherche (ANR) décrit les entreprises privées qui proposent des contrats de trois à six mois, assortis de sommes d'argent conséquentes. Cette évolution me semble parfaitement malsaine.
Cette évolution est-elle particulière à la France ou l'observe-t-on dans les autres pays européens et aux Etats-Unis ?
Je ne sais vous répondre en ce qui concerne l'évolution récente. L'idée selon laquelle la recherche aux Etats-Unis serait largement soutenue par les entreprises est fausse. Le National Institutes of health (NIH), équivalent de l'Inserm en France, dispose de moyens très conséquents. Le budget du NIH est vingt-cinq fois supérieur à celui de l'Inserm, ce qui signifie que les Etats-Unis investissent massivement dans la recherche publique même en considérant que la population américaine est cinq fois plus importante qu'en France. En outre, le NIH est financé par le privé et le mécénat. En France, les mécènes investissent dans l'art, et non dans la recherche. Aux Etats-Unis, Howard Hugues a investi une fortune dans des laboratoires entièrement libres de leurs travaux. La Fondation Howard Hugues est libre de toute pression aux Etats-Unis. En conclusion, les systèmes de recherche français et américain sont très différents. Le NIH a néanmoins eu à se préoccuper de conflits d'intérêts, un certain nombre de ses chercheurs travaillant pour des laboratoires privés.
Les évolutions récentes du système de recherche en France sont liées aux pressions politiques. Des choix de plus en plus importants et détaillés, qui relèveraient normalement de la communauté scientifique, sont effectués au niveau des ministères.
Pensez-vous que les choix effectués par les politiques ne correspondent pas à l'attente ou aux besoins de la population ?
Les choix majeurs du domaine de la recherche consistent à financer, par exemple, les grandes installations de physique. Pour ces projets, il est naturel que les gouvernements et les représentants élus au Parlement prennent la décision. En revanche, le politique est nécessairement incompétent dans le détail de l'activité de recherche. Il ne sait pas dans mon domaine, l'immunologie, s'il vaut mieux travailler sur les maladies infectieuses ou la relation entre immunologie et cancer. Aucun homme politique n'est compétent dans ce domaine. Ce choix doit être laissé à la communauté scientifique qui sait où il convient d'accentuer les efforts. Ce niveau de détail de l'activité scientifique doit être laissé aux scientifiques. Or, nous constatons une intrusion de plus en plus grande du politique dans la recherche. Un nombre croissant de choix scientifiques est effectué par le politique.
L'ANR est la seule agence de recherche au monde dépourvue de conseil scientifique. Les choix sont effectués par le ministère au sein duquel tous les lobbies peuvent essayer de s'exprimer. Nous serons confrontés à de graves dérives si nous laissons les politiques choisir sur la base de quelques experts qui sont leurs copains. Il y a quelques années, le financement de la recherche, qui correspondait pour une large part au financement de bases de données des EPST, le CNRS et l'Inserm, provenait de ces organismes pour 40 % à 60 %. Désormais, de 15 % à 20 % des fonds viennent du CNRS et de l'Inserm, le reste étant versé par des fonds comme l'ANR dont le profil a été défini très largement par des non-scientifiques. C'est une intrusion du politique à un niveau où il ne devrait pas intervenir. Le politique doit intervenir au niveau global, et non à ce niveau. Or, il le fait de plus en plus en lien avec l'industrie.
Dans le dernier contrat d'objectifs de l'Inserm, la direction souligne qu'il est important de travailler pour la prochaine période sur divers sujets. J'ai consulté un document des entreprises du médicament (Leem), qui représente l'industrie du médicament. Or ce document stipulait qu'il était important de créer des biobanques, d'effectuer de l'e-médecine, etc. L'ensemble de ces axes de travail définis par l'industrie du médicament figuraient dans le contrat d'objectifs de l'Inserm.
Le Leem dispose d'un membre dans le conseil d'administration de l'Inserm.
Il y a plus encore, avec une grande précarité. Les lobbies sont autant de pouvoirs retirés à la communauté scientifique. Il existe un conseil scientifique à l'Inserm, au CNRS, etc. Or, l'avis des conseils scientifiques qui peut s'y exprimer est de moins en moins pris en compte. L'un des derniers conseils scientifiques de l'Inserm devait donner son avis sur le contrat d'objectifs qui était auparavant un contrat d'objectifs et de moyens, et est maintenant, dirais-je, un contrat d'objectifs sans moyens. Le conseil scientifique de l'Inserm, qui n'est pas composé de gauchistes, a voté à l'unanimité contre ce contrat d'objectifs. Une semaine plus tard, le document a été proposé au conseil d'administration de l'Inserm qui l'a adopté. L'avis unanime du conseil scientifique n'a servi à rien. Les EPST reçoivent chaque année moins d'argent pour les crédits de fonctionnement de base, avec une diminution de 15 % en 2010 et 2011. Et quand les scientifiques s'expriment, on s'assoit sur leur avis. Cette évolution n'est pas saine pour la recherche.
En écoutant Mme Valérie Pécresse, les ressources augmentent de façon impressionnante. Or, les statistiques de l'Observatoire des sciences et techniques révèlent que les fonds consacrés à la recherche n'ont pas augmenté depuis 2000. Cependant, cette enveloppe inclut le crédit d'impôt recherche, qui augmente énormément pour avoir atteint de 5 ou 6 milliards d'euros par an. Il peut avoir de l'utilité pour les petites et moyennes entreprises (PME), mais n'a aucune utilité incitative pour les grandes entreprises comme Saint-Gobain ou plus encore Sanofi-Aventis qui licencie et perçoit simultanément le crédit d'impôt recherche (CIR). Le montant du CIR est dix fois supérieur au budget de fonctionnement des laboratoires du CNRS. La diminution du CIR de 10 % pour doter le CNRS doublerait le budget de ses laboratoires.
A ma connaissance, les moyens de la recherche stagnent en France, alors que l'Allemagne et les pays nordiques constatent une augmentation importante des crédits. Cette évolution est difficile à constater dans la mesure où le discours officiel est lié à l'idée qu'il y a une forte augmentation. Cette augmentation n'est pas réelle.
Enfin, des pressions politiques peuvent être exercées au niveau des choix, ce qui pose la question de la santé publique et de la vigilance. Une enquête a été récemment demandée à l'Inserm sur les perturbateurs endocriniens ou phtalates. Le rapport d'enquête a mené à la conclusion que ces molécules étaient dangereuses. Or quelqu'un a demandé aux experts de se taire. Il s'agit d'Arnold Munnich.
Cette personne m'a récemment invité avec le laboratoire Novartis. Je ne pourrai malheureusement y aller. Il est très connu.
C'est le conseiller du président Nicolas Sarkozy en matière de recherche biologique. Ces pressions deviennent problématiques.
Je m'exprimerai très brièvement pour apporter des précisions sur le fonctionnement des agences qui sont impliquées dans l'évaluation de la recherche. Comme Alain Trautmann vient de le préciser, les résultats de la politique récente de la recherche en France sont liés à une perte de pouvoir des EPST, de leur capacité de décision et d'orientation de la politique scientifique du pays. En outre, il y a eu la mise en place importante des agences d'évaluation que sont l'Agence nationale de la recherche et l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, chargée de proposer des appels d'offres pour des financements de projets financés à court terme, de deux à quatre ans, tandis que pour sa part l'ARS est chargée de l'évaluation des structures.
Nous avons le sentiment que cette décision vise à démontrer la force et l'autonomie du CNRS et de l'Inserm, impliquées dans la recherche publique. Le Gouvernement avait mis en avant la volonté de recentrer la recherche autour de structures d'évaluation qui permettraient de simplifier l'évaluation et de la rendre plus objective, indépendante et transparente, comme annoncé dans le pacte de la recherche en 2006. Le résultat est exactement le contraire. L'Agence nationale de la recherche n'a effectivement pas de conseil scientifique mais elle fonctionne au moyen de comités thématiques. Chaque appel d'offres comprend un comité d'évaluation et un comité de pilotage. Ces comités sont composés de membres non connus de la communauté scientifique au moment des appels d'offres, c'est-à-dire dont l'identité n'est révélée qu'a posteriori. En outre, l'ensemble des membres des comités sont nommés par le directeur de l'ANR.
Le détail du fonctionnement de l'évaluation, sujet sur lequel nous pouvons faire l'analogie avec les agences sanitaires, n'est jamais rendu public. Les comités ne rendent public qu'un résumé extrêmement bref des conclusions effectuées à l'issue de leur délibérations. Enfin, il n'y a aucune mémoire des décisions prises au fil du temps alors que les comités sont renouvelés. Il n'y a pas de possibilité de réponse, contrairement au NIH dont les projets sont par ailleurs développés pour cinq ans, et non deux ou trois ans comme pour l'ANR.
Tel est le constat du fonctionnement de l'évaluation de la recherche, l'ANR a aussi vocation à piloter les orientations scientifiques. Un certain nombre d'appels d'offres sont cités avec des moyens fléchés pour chaque thème. Le système se met en place de manière pyramidale. L'organisation des appels d'offres s'effectue au niveau de la direction des agences. Il s'agit de recherches sur projet pour lesquelles on nous demande d'annoncer ce que nous comptons trouver. Or, chacun sait qu'aucune grande découverte n'émerge à partir d'un programme qui connaît les découvertes qu'il est susceptible de faire.
Nous trouvons souvent ce qu'on ne cherche pas, comme le prouvent toutes les grandes découvertes.
Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas structurer le programme de recherche. Les financeurs nous demandent de prédire les retombées sociétales des projets. L'un des problèmes majeurs ressentis par la communauté des chercheurs est que le système actuel demande avant tout aux chercheurs de produire. Aucune découverte ne se fera pas dans les domaines où l'on ne sait pas dire quelles seront les retombées et la rentabilité investie.
Une idée simple passe très facilement auprès du grand public : la recherche doit servir à quelque chose. Pour le grand public, il faudrait que les chercheurs puissent par leur travail donner accès à des retombées immédiatement palpables. Bien évidemment, le fait de favoriser l'innovation et la recherche appliquée s'effectue au détriment de la démarche d'acquisition des connaissances fondamentales. Cette situation est extrêmement préjudiciable à l'avenir, car les retombées des progrès de la connaissance se mesurent en décennies.
En conclusion, je souhaitais livrer l'exemple de la maladie d'Alzheimer, à laquelle des sommes importantes sont consacrées. En effet, ce sujet intéresse particulièrement les pays développés. Cette maladie constitue un enjeu extrêmement important pour toutes les grandes industries pharmaceutiques. Or, c'est une maladie devant laquelle nous sommes totalement démunis d'un point de vue thérapeutique. Les médicaments utilisés dans ce domaine, comme les anticholinestérases sont discutés. Les entreprises pharmaceutiques se tournent vers l'immunothérapie qui consiste à comprendre et utiliser les éléments du système de défense immunitaire pour combattre la maladie, par des approches vaccinales consistant à susciter des éléments de réponse contre les dépôts de protéine nocifs dans le cerveau.
Si l'idée de départ est assez pertinente, l'enjeu financier de la découverte de soins contre la maladie d'Alzheimer étant considérable, cette maladie étant fréquente dans les pays riches, les premiers essais ont été lancés extrêmement rapidement. Un premier essai multicentrique international a été mis en place en 2001 par une société importante, Elan Pharmaceuticals. Il a dû être arrêté rapidement en raison de complications inflammatoires du cerveau chez 6 % des patients. L'essai a été immédiatement interrompu, alors que les résultats étaient prometteurs chez la souris.
La maladie n'existe pas chez la souris, mais des souris génétiquement modifiées expriment un transgène et développent une maladie qui ressemble à Alzheimer, et la question se pose de la pertinence de ces modèles par rapport à la maladie naturelle. Les essais vaccinaux ont bien marché chez la souris, mais ceux qui ont été entrepris très rapidement chez l'homme, ont constitué un échec. De la même manière, d'autres essais d'immunothérapie ont été lancés par les grandes entreprises pharmaceutiques dans le monde, basés sur une approche visant à éviter les complications inflammatoires. Les premiers résultats décrivent un effet quasiment nul, mais en revanche il y a moins d'effets secondaires.
Finalement, à cause de cette incitation à obtenir des résultats à tout prix, on oublie qu'on ne connaît rien de l'interaction entre le système immunitaire et la maladie d'Alzheimer. Il faudrait financer dans la perspective d'un vaccin dans dix ou vingt ans des recherches cognitives sur la connaissance de l'évolution de cette pathologie. Or il est extrêmement difficile avec le système actuel de la recherche d'obtenir des moyens pour effectuer ce genre de recherches.
Il faut un retour sur investissement rapide. La recherche fondamentale n'est pas compatible avec le mode de financement actuel de notre recherche. A terme, compte tenu de l'évolution que nous observons, nous pouvons imaginer qu'il n'y aura plus qu'une recherche appliquée qui sera mise en oeuvre.
C'est illusoire de croire qu'il ne peut y avoir qu'une recherche appliquée.
C'est une des raisons pour lesquelles les laboratoires ne font plus aucune découverte, suite à quoi ils ferment leurs centres de recherche plutôt que de les développer. Mais c'est vrai qu'on les attend dans le domaine de la recherche publique. Il apparaît un certain nombre de convergences entre les intérêts des parties.
Je voudrais intervenir sur le CNRS. J'ai été chercheur du CNRS après avoir été formée à l'étranger. Le CNRS était auparavant envié à l'étranger, non pour des salaires mirobolants en comparaison avec les Etats-Unis et l'Allemagne, mais pour son indépendance. Nous avions des crédits récurrents qui permettent aux laboratoires de faire de la recherche fondamentale et de fonctionner sans objectif de rendement et d'application dans les deux ou quatre ans. Nous sommes en train de perdre cette indépendance. Le fait que la recherche soit financée principalement par une agence comme l'ANR fait que les chercheurs formés, qui ont une thèse, disposent de contrats de deux à quatre ans.
De cette manière, la formation d'une population de jeunes chercheurs se trouve dans des situations extrêmement précaires. Comment peut-on mener des projets de recherche fondamentale dans une telle situation ? En outre, la révision générale des politiques publiques (RGPP) est en train d'être mise en place au niveau du CNRS. Par exemple, j'ai pris ma retraite il y a un an. Je n'ai évidemment pas été remplacée. Le vivier des chercheurs qui ont développé des techniques très complexes durant des années disparaît. Nous perdons un savoir-faire important par cette disposition de postes à long terme.
Merci pour cette contribution. Vous avez répondu lors de votre intervention aux questions que nous souhaitions vous poser. Vous n'oublierez pas de nous transmettre l'article auquel vous avez fait référence. Nous tirerons sûrement le meilleur profit de vos contributions. Je vous remercie.