Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Son excellence, M. Stephan Steinlein, ambassadeur d'Allemagne en France. Monsieur l'Ambassadeur, à titre liminaire, je souhaite vous présenter nos condoléances, et vous faire part de toute la compassion de notre commission, pour l'assassinat samedi dernier d'un de vos concitoyens, un citoyen européen, sur le sol français, vraisemblablement par un terroriste, selon les premières données de l'enquête.
Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Vous avez été nommé, il y a seulement trois mois à Paris et il nous paraissait important de lier connaissance sans tarder avec vous, qui représentez dans notre pays notre partenaire européen le plus proche. Originaire d'Allemagne de l'Est, vous avez rencontré la France en août 1989, pour y suivre, à l'université de Strasbourg, un troisième cycle de théologie afin de devenir pasteur. Vous avez rapidement bifurqué vers la diplomatie et la politique, aux côtés du président, M. Frank-Walter Steinmeier, dont vous êtes devenu l'homme de confiance. Vous n'ignorez d'ailleurs pas que le Président Steinmeier a récemment rencontré le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, lors de son déplacement en Allemagne, il y a dix jours, auquel j'ai moi-même participé. Ils ont pu évoquer ensemble la mobilisation franco-allemande contre la montée de l'antisémitisme depuis le 7 octobre et le « changement d'époque » que vit l'Allemagne depuis l'agression de l'Ukraine (« Epochenbruch » selon le Président fédéral).
L'objectif de votre audition aujourd'hui devant la commission des affaires européennes est de faire le point sur la relation franco-allemande dans une perspective européenne. Cette relation a connu des moments plus critiques. Je me souviens notamment du report, il y a un an, d'un conseil des ministres franco-allemand, manifestation sans équivoque d'une crise de confiance entre la France et l'Allemagne, alors en pleine crispation sur la façon de sortir au mieux l'Union européenne de la crise énergétique. Les motifs de tension restent nombreux. Toutefois, même s'ils peuvent donner le sentiment de faire parfois cavaliers seuls, nos deux États sont condamnés à s'entendre. Cette entente est à la fois le socle et l'avenir de l'Union européenne, et, à cet égard, la prochaine visite d'État du Président de la République, M. Emmanuel Macron, en Allemagne devrait marquer une étape importante.
Je me félicite également que nos ministres des affaires européennes aient mandaté un groupe d'experts franco-allemands pour appréhender ensemble le défi commun que représente la perspective d'élargissement de l'Union européenne et réfléchir aux nécessaires réformes de l'Union européenne qu'un tel élargissement impliquerait si l'on veut maintenir sa capacité d'action, protéger ses valeurs fondamentales, renforcer sa résilience et la rapprocher des citoyens européens. Nous avons récemment auditionné deux de ces experts qui nous ont présenté les fruits très intéressants de leur travail. Nous serions intéressés de savoir comment ce rapport a été reçu de l'autre côté du Rhin.
L'élargissement qui s'annonce à l'Est ramène encore plus l'Allemagne au centre de l'Europe, ce qu'avait manifesté le discours du chancelier, M. Olaf Scholz, à Prague en août 2022. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur l'avenir de la relation franco-allemande. Les sujets de friction restent nombreux, notamment en matière de règles de gouvernance budgétaire, dans le nouveau contexte créé par la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande, en matière de stratégie commerciale, notamment à cette heure avec le Mercosur, ou encore en matière de réforme du marché de l'électricité, de vision de l'autonomie stratégique dans le domaine économique mais aussi spatial et militaire, d'articulation entre atlantisme et défense européenne, de vision géopolitique mondiale par rapport à l'Ukraine, Israël, la Turquie, l'Afrique..., autant de vastes chantiers.
Sur tous ces sujets, l'Allemagne est-elle, selon vous, disposée à articuler ses intérêts propres avec l'intérêt stratégique supérieur que nos deux pays partagent, à savoir une Europe de la paix et de la liberté ?
Monsieur le Président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour vos condoléances, en ce moment difficile pour la France et pour l'Allemagne.
Je suis très honoré et heureux d'être parmi vous aujourd'hui. J'ai eu le plaisir de rencontrer votre président, M. Gérard Larcher, avant son voyage à Berlin, auquel, monsieur le Président, vous avez participé. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez aux relations franco-allemandes. J'ai entendu dire que vos discussions à Berlin étaient intéressantes et importantes. Elles ont certainement contribué à une meilleure compréhension mutuelle dans les différents domaines, qu'il s'agisse de la politique de sécurité, de l'économie ou de la politique énergétique.
En amont de votre déplacement, j'ai pu expliquer à certains de vos interlocuteurs à Berlin, l'importance du Sénat dans le système politique français, souvent méconnu ou mal compris. J'ai souligné que son rôle s'était encore considérablement accru, compte tenu de la composition de la majorité à l'Assemblée nationale.
Je suis d'autant plus heureux de pouvoir échanger aujourd'hui avec vous que je suis naturellement très intéressé par votre avis sur les enjeux des relations franco-allemandes ainsi que par vos propositions pour rendre l'Europe plus efficace et plus forte. Je ne cesse de le répéter, le secret des relations franco-allemandes ne réside pas dans le fait que nous soyons d'emblée d'accord, car souvent nous ne le sommes pas, mais dans le fait que nous parvenions presque toujours, par un dialogue parfois ardu et patient, à trouver des solutions qui sont bonnes pour tous, des solutions auxquelles la plupart des européens peuvent se rallier. Dans ce dialogue, vous, les parlementaires des deux côtés, pouvez et devez jouer un rôle crucial. La relation franco-allemande, c'est un travail quotidien, permanent, pas toujours facile, mais toujours fascinant, surtout connaissant notre passé. Notre partenariat est unique et précieux. Il forme la base de la construction européenne. Je me réjouis de travailler avec vous pour rendre cette base aussi solide que possible.
Permettez-moi d'abord quelques remarques personnelles. Certains d'entre vous sauront peut-être que j'ai déjà été une fois, il y a 33 ans, ambassadeur à Paris, pour une courte période, de six semaines, pour être précis. J'ai été ambassadeur d'un autre État allemand, la République démocratique allemande (RDA), envoyé par le premier et dernier gouvernement démocratiquement élu de ce pays.
Le monde autour de nous a profondément changé, malheureusement pas pour le mieux. À l'époque, nous avons tous, moi y compris, célébré la victoire de la liberté et de la démocratie. Certains ont parlé de la victoire définitive des démocraties libérales sur la dictature, et même de la fin de l'histoire. Si nous regardons autour de nous aujourd'hui, nous voyons à quel point ces espoirs étaient trompeurs.
Aujourd'hui, nous assistons au retour de la guerre sur notre continent. Nous assistons à une escalade extrêmement dangereuse de la situation dans notre voisinage immédiat. Nous assistons à une remise en cause des valeurs de l'Occident et de la démocratie libérale sans précédent depuis les années 1930. L'Europe est mise au défi. Et si je dis que l'Europe est mise au défi, cela signifie tout particulièrement que l'Allemagne et la France sont mises au défi.
Au cours des 25 dernières années de ma vie professionnelle, j'ai travaillé très près de la politique berlinoise, à la Chancellerie fédérale, au ministère des Affaires étrangères, au Bundestag, à la Présidence fédérale. J'ai vécu le 11 septembre à la Chancellerie fédérale, la crise de l'Euro au Bundestag et la crise des réfugiés au ministère des Affaires étrangères. Toutefois, je ne me souviens pas d'une situation dans laquelle les fondements de notre société, notre démocratie, notre liberté, notre sens de la tolérance et de l'ouverture, notre insistance sur l'État de droit et le droit international, aient été autant mis à l'épreuve qu'aujourd'hui. Les dangers ne viennent malheureusement pas seulement de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. En Allemagne comme en France, la confiance dans le fonctionnement et dans l'efficacité des institutions démocratiques a nettement diminué.
Face au monde dans lequel nous vivons, nous avons la responsabilité de trouver des solutions ensemble, des solutions européennes, et de rendre notre Europe plus forte, dans un monde où l'avenir de notre continent est tout sauf assuré.
Je suis un ambassadeur chargé de nos relations bilatérales. Je ne suis donc pas un expert de tous les sujets discutés à Bruxelles. Cependant, il est évident que l'Europe et son avenir sont au coeur d'un grand nombre de mes échanges à Paris.
Le Conseil européen de la semaine prochaine marquera une nouvelle étape dans l'histoire de l'Union européenne, de notre continent. Nous pressentons tous que les décisions à venir marqueront un véritable tournant pour notre Europe.
L'Ukraine meurtrie par la brutale invasion russe, au motif qu'elle a choisi la voie européenne, devrait avancer très concrètement vers l'adhésion à l'Union européenne. C'est une question de solidarité avec le peuple ukrainien, mais aussi un test de notre crédibilité et de notre fermeté dans la défense de nos valeurs communes. Le gouvernement fédéral a souligné à plusieurs reprises que l'Ukraine avait fait des progrès considérables en matière de réformes et que son avenir était au sein de l'Union européenne. Le gouvernement fédéral soutient pleinement l'Ukraine dans ses réformes, conformément aux priorités identifiées par la Commission européenne. Nous sommes donc favorables à l'ouverture de négociations d'adhésion avec l'Ukraine. Cela vaut aussi pour la Moldavie.
Aux yeux du gouvernement allemand, nous devrions aussi maintenir notre engagement en faveur de l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans occidentaux et encourager tous les États de la région à progresser sur la voie européenne et à se rapprocher de l'Union. Lors d'une conférence sur l'Europe, le 2 novembre, au ministère des affaires étrangères à Berlin, notre ministre des affaires étrangères, Mme Annalena Baerbock a déclaré que, face à la guerre d'agression russe, l'élargissement de l'Union européenne était une nécessité géopolitique, une position qui est partagée par beaucoup en France. Elle a estimé que nous ne pouvions plus laisser de zones d'ombre. Ainsi, le gouvernement fédéral soutient sans réserve la perspective d'adhésion des pays candidats.
Dans son discours, la ministre fédérale a souligné également l'importance de pleinement préparer l'Union européenne à l'adhésion de nouveaux membres. Ce processus de réforme prendra beaucoup de temps. C'est pourquoi, pour bien l'encadrer, pour élaborer et mettre en oeuvre les réformes nécessaires, il faudrait définir une feuille de route concrète. Il ne devrait pas y avoir de concessions concernant l'État de droit, qui est un fondement de notre Union. Concrètement, il s'agit aussi de lier encore plus systématiquement les versements de fonds européens au respect des normes de l'État de droit. Il faudrait trouver un moyen de ne pas agrandir la Commission. Il est évident que 36 droits de veto, c'est trop. Il faudrait donc élargir le champ des décisions à la majorité qualifiée. Tout cela demandera encore beaucoup de travail. Faut-il changer les traités ? Peut-on utiliser les clauses passerelles prévues dans les traités ?
Je sais à quel point ces questions sont sensibles, notamment en France. Je suis heureux que nos deux gouvernements aient l'intention de se coordonner étroitement à cet égard. Le document du groupe de réflexion, mis en place à la demande de nos deux ministres des affaires européennes, a fourni d'importantes suggestions. Mais ce n'est bien sûr que le début d'un long chemin. Nos deux pays veulent et doivent jouer un rôle important de pionniers dans ce domaine. Mais il est tout aussi important d'associer, dès le début, les pays d'Europe centrale et orientale à ce processus de réflexion. Une relance du Triangle de Weimar, rendue possible par le résultat des élections en Pologne, peut être utile à cet égard. Dès que le nouveau gouvernement polonais sera en place, nous devrions entamer la discussion, tout en sachant que celui-ci devra également tenir compte de nombreuses considérations de politique intérieure.
Monsieur le Président, au cours des derniers mois, nous avons réussi à trouver de bons compromis sur nombre de sujets importants sur lesquels la France et l'Allemagne avaient des positions divergentes. C'était le cas pour l'organisation future du marché européen de l'énergie, malgré nos positions divergentes sur l'énergie nucléaire, qui sont d'ailleurs, si je peux me permettre cette remarque, moins problématiques que beaucoup ne le pensent. Ceux qui connaissent un peu la politique énergétique européenne admettent, même en Allemagne, que l'Europe ne pourra pas se passer de l'énergie nucléaire française dans les années à venir. Des deux côtés du Rhin, on sait aussi que nos pays doivent faire d'énormes efforts pour pouvoir respecter les engagements pris en matière de développement des énergies renouvelables. Ceux d'entre vous qui connaissent le débat en Allemagne savent qu'il n'y aura pas de retour au nucléaire dans ce pays. Quant à ceux qui connaissent la France, ils savent qu'elle ne renoncera pas à cette énergie. Mon conseil est de ne pas se livrer à des combats idéologiques, mais à un travail pragmatique pour assurer un approvisionnement énergétique sûr et abordable pour toute l'Europe.
Un autre accord important pour l'avenir d'Ariane 6 et de la politique spatiale européenne a aussi été trouvé après d'âpres débats, lors du sommet de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) à Séville, le 6 novembre, garantissant l'avenir financier du programme Ariane et laissant la place à une concurrence accrue.
Je me réjouis également que les deux grands projets d'armement, le char du futur (MGCS) et le système de combat aérien du futur (SCAF), soient à nouveau sur les rails, après une très bonne réunion des deux ministres de la défense, à Évreux en septembre, marquant leur engagement clair et définitif en faveur de ces deux projets importants.
Le seul grand dossier européen qui reste encore en suspens et sur lequel une solution doit être trouvée cette année, c'est l'avenir du pacte de stabilité et de croissance. Nos deux gouvernements travaillent de manière soutenue pour parvenir à un accord avant la fin de l'année. D'après tout ce que j'entends, je suis confiant quant à la possibilité d'y parvenir. On me dit, et j'espère sincèrement que cela se vérifiera, que la crise budgétaire dans laquelle l'Allemagne s'est retrouvée à la suite du récent arrêt de la Cour constitutionnelle allemande, ne rendra pas plus difficile un accord. Toutefois, il est certain que les négociations à venir sur le cadre financier pluriannuel n'en seront pas facilitées. Le respect du frein à la dette imposé par la Constitution et le fait qu'au moins un partenaire de la coalition, les libéraux, exclut catégoriquement les exceptions et les augmentations d'impôts, réduisent la marge de manoeuvre du gouvernement fédéral. Des négociations sont en cours pour trouver une solution à cette crise. Je ne peux pas prédire quel en sera le résultat. Je suis néanmoins confiant sur le fait qu'un accord sera rapidement trouvé.
Hier, le président brésilien Lula était à Berlin. Comme vous pouvez l'imaginer, le Mercosur a occupé une place importante lors de cette visite. Tant le gouvernement allemand que le gouvernement brésilien espéraient pouvoir signer, lors du sommet UE-Mercosur prévu, l'accord commercial négocié depuis de nombreuses années. Malheureusement, le président argentin encore en fonction a décidé de ne pas le faire, de sorte que l'avenir de cet accord est aujourd'hui en suspens. Je sais qu'en France aussi, de nombreuses voix critiques s'élèvent contre cet accord, à commencer par celle du Président de la République. Néanmoins, je voudrais plaider pour que l'on ne sous-estime pas les opportunités qu'offre cet accord de libre-échange. Il ouvrirait la voie à un marché de plus de 700 millions d'habitants qui pourraient plus facilement échanger entre eux. Il pourrait, et c'est le plus important, contrer l'influence croissante de la Chine dans cette région. Il aiderait l'Europe dans sa transition énergétique et améliorerait les normes environnementales dans les pays du Mercosur. J'espère sincèrement que la décision argentine ne sera pas le dernier mot. Mais je suis également conscient qu'il est peu probable qu'une percée ait lieu avant les élections européennes.
Avant de conclure, permettez-moi d'évoquer quelques dates clés de l'année prochaine. 2024 marquera le début d'une série de commémorations, à commencer par le 80e anniversaire du Débarquement. À cette occasion, nous célèbrerons notre histoire commune et la réconciliation unique au monde de nos deux pays.
Le début du mois de juin sera également décisif pour l'Europe avec la tenue des élections européennes. L'enjeu est de taille, à une époque où la liberté et la démocratie sont menacées de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. Dans ce contexte, la visite d'État du président de la République française, M. Emmanuel Macron, en Allemagne juste avant ce scrutin enverra un signal fort qui soulignera la force et l'unité de l'Europe.
Nous nous réjouissons avec vous à la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Juste avant cet événement, l'Allemagne accueillera le championnat d'Europe de football. Deux immenses événements sportifs qui se dérouleront enfin à nouveau dans des sociétés ouvertes, démocratiques et diverses, chez des voisins et amis européens. Sous le titre de travail « Été sportif 2024 », nous souhaitons célébrer cela ensemble et montrer au monde entier que le sport lui aussi s'épanouit plus et apporte plus de joie là où règne la liberté.
Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le Président, encore une fois, merci de m'avoir invité à m'exprimer devant vous aujourd'hui. S'il y avait un seul message à retenir de mes propos, ce serait le suivant : « L'Allemagne reste fidèle à son partenariat d'exception avec la France. Travaillons ensemble pour rendre notre Europe forte, agile et solidaire dans un monde plein de dangers ».
Merci, monsieur l'Ambassadeur : vous avez abordé des sujets qui nous intéressent beaucoup et sur lesquels nous travaillons en ce moment. D'ailleurs, nous entendrons tout à l'heure le ministre délégué en charge du commerce extérieur Olivier Becht, en particulier sur la question de l'accord commercial avec le Mercosur: là aussi, nous avons des divergences mais aussi des points de rapprochement. Lors de la dernière réunion de la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne) qui s'est tenue à Madrid fin novembre et à laquelle je participais avec mes collègues Didier Marie et Claude Kern, la question a bien entendu suscité un vif intérêt. Initialement, la position des opposants au projet d'accord commercial UE-Mercosur a pu sembler fragile mais elle s'est finalement renforcée dans les dernières heures de la conférence, compte tenu des positions de l'Argentine et des tergiversations du Brésil.
Par ailleurs, vous avez évoqué la révision du pacte de stabilité et de croissance : Christine Lavarde, qui nous présentera demain une communication avec Florence Blatrix Contat sur ce sujet, aura sans doute des questions à vous poser.
Nous avons également eu un échange assez dense avec le Chef de la Chancellerie fédérale, Wolfgang Schmidt, sur la situation engendrée par la décision de la Cour de Karlsruhe : elle semble provoquer chez vous un cataclysme et, en plaisantant, je me suis demandé si les Allemands n'allaient pas désormais devoir s'habituer aux déficits.
Je vais à présent donner la parole aux membres de la commission, en commençant par Ronan Le Gleut qui préside le groupe d'amitié entre nos deux pays.
Monsieur l'Ambassadeur, vous avez rappelé que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a réaffirmé la règle du frein à l'endettement qui plafonne le déficit budgétaire à 0,35% du PIB. Je souhaite vous poser trois questions sur les conséquences de cette décision qui impose au Gouvernement allemand de revoir son projet de budget. Est-elle de nature à déstabiliser la coalition de trois partis politiques avant la fin de son mandat prévue en septembre 2025 ? Un débat s'ouvre-t-il en Allemagne sur la dimension politique de la décision de la Cour ? En France, dans une situation analogue, le réflexe serait sans doute de considérer que la Cour rentre trop dans le champ politique. Enfin, certains remettent-ils en cause le principe même de cette règle d'or du frein à la dette « schwarze Null » ?
Je souhaite également vous interroger sur les élections régionales qui se tiendront en septembre 2024 dans le Brandebourg, en Saxe et en Thuringe. Certains sondages, notamment dans l'Est de l'Allemagne, positionnent l'AFD (Alternative für Deutschland) en tête, à plus de 30 % des suffrages. Je constate également l'émergence d'un nouveau parti politique, le BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht- Für Vernunft und Gerechtigkeit / e.V. Alliance Sahra Wagenknecht - Pour la raison et la justice / association déclarée) : son approche de gauche radicale opposée à l'immigration ne me paraît incarnée aujourd'hui en France par aucun parti. Les sondages montrent que ce positionnement semble rencontrer une certaine résonance dans l'opinion publique allemande.
En réponse à votre interrogation sur la possibilité d'une déstabilisation du gouvernement fédéral, je rappelle que, comme vous le savez, la capacité à trouver des compromis est dans l'ADN de la politique allemande, y compris dans des situations très difficiles, et je suis assez confiant que tel sera encore le cas. Je reconnais cependant que cela ne sera pas facile car les trois partis qui composent la coalition ont des lignes rouges qu'il ne faut pas franchir. Pour les libéraux, la ligne infranchissable serait de ne pas trouver une réponse budgétaire exceptionnelle et d'augmenter les impôts ; pour les verts, la priorité va au financement de la transition écologique et pour les sociaux-démocrates, à l'amélioration de la situation des personnes les plus pauvres. Il sera donc extrêmement difficile de trouver un compromis mais je suis assez confiant sur notre capacité à y parvenir.
J'attire ensuite l'attention sur le fait que notre rapport à la magistrature se caractérise par un degré d'acceptabilité très élevé des décisions de justice et a fortiori de celles de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe : personne ne les critique ouvertement. Il n'en reste pas moins que, dans le contexte de crise que nous connaissons, c'est aussi à la Cour elle-même de s'interroger - comme elle a coutume de le faire - sur les limites politiques de ses décisions. En vertu de la quasi-sacralisation de l'institution judiciaire, il est vraisemblable que personne en Allemagne ne formulera directement une telle remise en question.
S'agissant des trois régions de l'Est où des élections régionales auront lieu, nous sommes effectivement confrontés à une situation dans laquelle, selon les sondages, le parti d'extrême droite AFD serait largement majoritaire, avec 30 à 35% des intentions de vote. Il en résulte que tous les autres partis démocratiques de droite ou de gauche devront travailler ensemble : comme vous pouvez le constater en France, la difficulté est que, dans cette situation, les distinctions entre les différents courants ramenés au centre du jeu politique ont tendance à s'effacer, ce qui peut renforcer les extrêmes. Cette configuration politique que connaissent nos deux pays appelle des réponses adaptées que nous n'avons pas encore trouvées.
Le nouveau parti politique d'extrême gauche que vous avez mentionné est tout à fait particulier et assez difficile à comprendre puisqu'il se présente comme anti-européen et surtout contre l'immigration. En Allemagne, l'image du fer à cheval permet de représenter le phénomène - dont il faut peut-être nuancer la singularité - des extrêmes qui se rapprochent. Ce parti n'existe pas encore et on ne sait pas encore quel score il enregistrera mais les sondages le créditent d'intentions de vote avoisinant 10%, ce qui est assez considérable et témoigne de son potentiel.
Monsieur l'Ambassadeur, vous avez largement évoqué les liens entre la France et l'Allemagne ainsi que le rôle moteur du couple franco-allemand dans la construction européenne. Je rappelle que demain et après-demain, va se tenir le conseil Ecofin (Conseil des Affaires économiques et financières) qui portera sur l'avenir du pacte de stabilité et de croissance. D'après les dernières informations que j'ai pu recueillir, un accord semble assez peu probable surtout en raison des divergences fortes entre la version proposée par la France et les exigences allemandes. Partagez-vous ces craintes et quelle est la stratégie envisagée par l'Allemagne pour faire face aux défis auxquels sont confrontés les États membres ? En effet, en cas d'échec de la négociation après-demain, le système ancien va perdurer à titre transitoire pendant une durée maximale de deux ans selon la Commission européenne, ce qui va poser un certain nombre de difficultés pour plusieurs pays de l'Union et ne va pas faciliter la convergence des pays dépensiers vers la trajectoire privilégiée par les pays dits frugaux.
Je suis toujours optimiste quant à la possibilité de trouver des compromis. Pas forcément d'ici la fin de l'année pour le Conseil Ecofin que vous avez mentionné. Je pense qu'il n'est pas souhaitable de retomber dans le système précédent car cela ne renforcerait pas la crédibilité du système de gouvernance de l'euro. Il faut donc trouver un compromis et en Allemagne tout le monde y travaille, y compris notre ministre des finances qui me l'a confirmé quand je me suis entretenu avec lui, juste après une de ses discussions avec son homologue français. Je sais également que les équipes en charge du dossier se parlent quasi quotidiennement.
Merci, monsieur l'Ambassadeur, pour vos propos et votre optimisme que je souhaite partager mais je ne suis pas certain que nous puissions le faire en permanence. Je vais revenir sur les points qui viennent d'être abordés et ensuite évoquer un autre sujet.
Tout d'abord, l'Europe est à un tournant : elle a besoin d'investir massivement pour sa transition écologique et numérique tout en relançant son activité industrielle. Or avec la définition actuelle du pacte de stabilité et de croissance, elle risque de manquer de moyens pour investir. Dès lors, devons-nous recourir à un emprunt commun, comme celui qui a financé la sortie de la période Covid ? Quelle est la position de l'Allemagne à ce sujet ainsi que sur l'évolution des ressources propres de l'Union européenne, le but étant d'aller de l'avant en finançant une stratégie industrielle commune ?
J'en viens à la relation commerciale avec nos partenaires. S'agissant du Mercosur, je pense que la discussion est reportée conformément au souhait du nouveau président argentin. Je m'interroge également sur les relations de l'Allemagne avec la Chine : on perçoit un ralentissement des échanges entre vos deux pays et j'aimerais que vous puissiez nous donner votre sentiment sur cette situation ainsi que nous préciser les orientations du gouvernement allemand sur le sujet.
Enfin, sur la politique migratoire, le chancelier Scholz s'est déclaré favorable à l'externalisation du traitement des demandes d'asile dans des pays africains, supervisé par le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés. Pouvez-vous nous confirmer ce projet et nous en indiquer les conséquences sur les discussions relatives au futur Pacte européen sur la migration et l'asile ?
Je rejoins votre constat : faire face à la transition énergétique ainsi qu'aux dangers extérieurs qui se manifestent va nécessiter la mobilisation de financements importants. Cela donnera lieu à de longues discussions dont je ne peux pas prédire les résultats. Dans l'immédiat, nous devons mener à bien la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP) avant la fin de l'année. Nous estimons que la mobilisation de fonds supplémentaires pour l'Ukraine est une priorité. L'arrêt de la Cour constitutionnelle ayant limité nos marges de manoeuvre, nous demandons à la Commission européenne dans quelle mesure il serait possible de redéployer et de réactiver des fonds non utilisés. La discussion est en cours et j'espère qu'elle aboutira à une solution positive sans quoi il faudra s'engager dans un débat extrêmement compliqué sur l'augmentation des ressources propres de l'Union.
L'Allemagne a adopté l'année dernière une stratégie de redéfinition de ses relations avec la Chine. Vous connaissez sans doute la formule que nous employons : « la Chine est pour nous un partenaire important mais c'est aussi un concurrent et un rival ». L'Allemagne est très liée économiquement à la Chine et nous insistons sur la nécessité de conditions de concurrence équitables, de lutte contre le dumping et de renforcement de la protection de la propriété intellectuelle. Désormais, les entreprises allemandes veillent à ne pas trop s'exposer aux risques du marché chinois. Un des mots-clés importants pour nous est celui de « de-risking » sans que nous parlions de « decoupling ». La réduction des risques vis-à-vis de la Chine sans couper les relations avec ce pays est une thématique de l'Union européenne et les principes que je viens d'évoquer nous guident dans les négociations sur la stratégie à adopter envers la Chine. Je rappelle qu'un sommet UE-Chine se tiendra demain à Beijing. Il faut tenir compte du fait que la Chine est un acteur important au niveau mondial pour résoudre les grandes questions planétaires comme la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut donc adopter, dans le dialogue avec la Chine, une attitude plus critique - comme celle a privilégiée par l'Allemagne - et maintenir un nécessaire partenariat pour relever les défis de la planète.
Je rappelle enfin que la discussion sur un nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile est en cours au sein de l'UE et il me semble opportun de la mener à son terme avant d'envisager de nouvelles mesures. D'après mes informations, les négociations en trilogue avancent bien et s'orientent vers l'approbation des propositions retenues par le Conseil de l'Union européenne. Je souligne que la position allemande, qui a fait l'objet de débats animés, est avant tout gouvernée par le souci de ne pas abaisser le niveau de protection offert aux réfugiés.
Monsieur l'Ambassadeur, je suis sénatrice du Nord, membre du groupe d'amitié France-Allemagne et, il y a quelques jours, j'ai eu le plaisir d'accompagner, avec le président Rapin et le président du groupe d'amitié, la visite officielle du président du Sénat à Berlin. Par ailleurs, je rentre d'un déplacement à Sarrebruck qui nous a donné hier l'occasion de rencontrer, dans un cadre plus restreint, un certain nombre de parlementaires allemands qu'on peut qualifier d'assez proches du chancelier Scholz. Concernant la coopération en matière énergétique, nous étions hier dans le Land de Sarre où nous avons pu partager une approche pragmatique de ce sujet : au regard des enjeux, il nous a paru préférable de passer outre nos désaccords sur le nucléaire pour nous concentrer sur les coopérations opérationnelles dont nous avons besoin en matière d'hydrogène et d'énergies renouvelables. Vous pouvez donc compter sur un certain nombre d'entre nous pour accompagner cette coopération absolument nécessaire si nous voulons retrouver un esprit similaire à celui de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) dans le domaine de l'hydrogène et des énergies renouvelables.
J'en viens à mes questions. Nous avons évoqué, dans nos différents déplacements, le traité d'Aix-la-Chapelle. Il nous tient à coeur de prouver qu'il se traduira par des actes concrets en s'efforçant d'éviter les mauvais signaux, comme la fermeture des Goethe Institute en France. Je crains qu'elle soit irréversible mais cette fermeture nous attriste tout particulièrement à Strasbourg, à Lille et à Bordeaux. J'ai entendu dire que l'on se tournerait vers les collectivités locales pour essayer de compenser le désengagement de l'État allemand. Nous sommes dubitatifs sur ce point et je dois dire que, par principe, nous ne sommes pas favorables à de tels désengagements de l'État français ou allemand avec un report de charge sur les collectivités. Avez-vous des informations sur ce point et comment pourriez-vous nous accompagner dans ces trois territoires ?
Enfin, quelle est aujourd'hui la position de l'Allemagne sur le fonds souverain ? Il nous semble que la plateforme STEP (Strategic Technologies for Europe Platform) dédiée aux technologies stratégiques pour l'Europe n'est finalement qu'une version très allégée de ce que pourrait être un tel fonds. Or un fonds d'intervention plus largement doté et plus puissant pour favoriser la transition industrielle et énergétique est plus que jamais nécessaire pour l'Europe et pour nos deux nations, qui veulent se réindustrialiser, préserver leurs industries et les emplois qui vont avec.
La fermeture de sites de l'institut Goethe nous attriste tous. Je précise qu'elle a été demandée par la commission budgétaire du Bundestag qui a jugé excessifs leurs surcoûts de fonctionnement - avoisinant 60 % - . Il ne s'agit en aucun cas d'une mesure dirigée contre la France ou l'Italie, qui subit également une réduction du format des implantations. Il s'agissait de la réponse apportée par l'institut à une demande de plan de réforme.. Au final, il nous faut respecter cette décision. J'ai par exemple visité l'institut Goethe de Toulouse où on m'a indiqué que le déficit correspondant au fonctionnement et à la programmation avoisinait 7 000 euros par an. Par ailleurs, certaines implantations en France été maintenues s'apparentaient en réalité à des coquilles vides, avec des locaux qui s'étaient dégradés comme à Strasbourg, et une seule personne employée mais parfois absente. J'ai plaidé auprès de notre ministère des Affaires étrangères ainsi que de l'institut Goethe à Munich pour que le financement des dépenses de fonctionnement et de programmation des implantations puisse être maintenu : je suis plutôt confiant pour la suite des événements et je rappelle que la France est le pays le plus doté en instituts Goethe. Je précise également que l'idée de travailler avec les collectivités locales est inspirée des solutions qui ont été mises en oeuvre avec les instituts français. Ces derniers ont connu une vague de réformes et de restrictions. Ils se sont alors adressés aux collectivités locales allemandes qui ont co-financé les moyens permettant d'assurer une forte présence des instituts français en Allemagne : il semble logique de rechercher des solutions analogues pour les instituts Goethe en France.
Je ne suis pas un spécialiste de la problématique des fonds souverains européens mais je rappelle que la Cour constitutionnelle a interdit de créer en Allemagne des fonds souverains spécialisés pour le financement, par exemple, de la modernisation industrielle ou de la transformation énergétique. Par conséquent, mettre en oeuvre à l'échelle européenne un dispositif similaire à celui qui a été proscrit en Allemagne va sans doute être politiquement difficile mais la discussion doit se prolonger.
Vous avez évoqué le soutien à l'Ukraine en précisant qu'il s'agit là pour l'Allemagne d'une des priorités de la révision du cadre financier pluriannuel. Des moyens assez importants sont prévus d'y être consacrés mais les partenaires de l'Ukraine et l'Europe en particulier n'ont pas tenu tous leurs engagements : en effet, l'Union avait prévu de livrer un million de munitions pendant l'année 2023 à l'Ukraine ; or elle n'en a livré aujourd'hui que 300 000 unités. Cela pose la question de notre appareil industriel militaire et de notre politique de défense commune. Vous avez, là encore, fait preuve d'optimisme en indiquant que les projets communs franco-allemands - auxquels pourraient s'adjoindre d'autres pays comme l'Italie ou l'Espagne - d'avions et de chars du futur étaient relancés. Du côté français, nous avons le sentiment que cette relance est extrêmement modeste et qu'elle n'a pour l'instant pas beaucoup avancé. Peut-être pouvez-vous nous apporter plus de précisions à ce sujet ?
Par ailleurs, je voudrais recueillir votre sentiment sur la position de la France qui souhaite la mise en place d'une véritable politique industrielle de défense commune, d'achats communs de matériels militaires et une plus grande interopérabilité entre les forces armées européennes dans l'hypothèse malheureuse d'un changement politique aux États-Unis où un candidat pourrait considérer que l'OTAN coûte trop cher aux États-Unis et décider de nous laisser seuls face à l'adversité. Je crois qu'on a vraiment besoin d'une défense européenne plus intégrée qu'aujourd'hui.
L'Allemagne est aujourd'hui beaucoup plus ouverte à la négociation sur la défense européenne ainsi qu'à la création d'une industrie de défense commune, compte tenu, en particulier, de la politique conduite par les États-Unis sous la présidence de Donald Trump et d'une possible réélection de celui-ci l'année prochaine. Je ne qualifierai pas de modestes les progrès enregistrés par les programmes SCAF (Système de combat aérien du futur) et de char du futur MGCS (Main Ground Combat System ou Système Principal de Combat Terrestre). En effet, il ressort de mes entretiens avec les acteurs étroitement impliqués dans le développement du SCAF que le travail avance très bien au niveau militaire et industriel, ainsi que de la recherche. S'agissant du MGCS, les piliers de compétences pour mener à bien ce programme ont été définis et nous en sommes au stade où nous devons placer les « drapeaux » sur chacun de ces piliers en précisant quel pays doit en assurer le leadership. Nous avons donc beaucoup avancé sur le programme MGCS et, d'ici la fin de l'année ou le début de l'année prochaine, nous pourrons présenter la programmation complète. Je souligne l'importance primordiale de la volonté des gouvernements dans ce processus pour surmonter les réticences qui ne manquent pas de se manifester au niveau des industriels et parfois même des appareils militaires. Cette volonté exprimée par nos ministres en charge de la Défense est bien présente des deux côtés et, sur cette base, je pense que l'objectif va être atteint. La décision de lancer la prochaine étape du programme SCAF sera prise dès l'été prochain et, à un moment donné, nous atteindrons le point de non-retour où on aura investi des sommes si importantes qu'il faudra continuer à avancer.
On peut aussi envisager d'autres projets de coopération militaire ou d'armement mais il faut en priorité s'attacher à la réussite des deux projets clés vers lesquels tous les regards sont tournés.
Monsieur l'Ambassadeur, mon humble expérience dans le domaine du spatial, sur lequel j'ai produit plusieurs rapports, me conduit à faire une observation : il nous faut éviter l'écueil que constitue l'état d'esprit de « retour géographique » qui a entouré le développement des projets dans le spatial ; il a joué un rôle non pas de frein technologique mais de réel frein financier aux opérations, en particulier concernant le programme Ariane. Je reste convaincu par cette idée, même si beaucoup d'experts la contestent. Sur le plan diplomatique et politique, il est compréhensible que chaque pays puisse tenter de s'arroger telle ou telle tâche mais la volonté de retour géographique est très pénalisante sur le plan logistique et financier. L'esprit de corps doit s'imposer dans ce domaine militaire.
Monsieur l'Ambassadeur, tout en saluant votre optimisme, je crois qu'il faut aussi rester réaliste à l'égard du sujet que nous traitons. Il est vrai que le programme SCAF progresse - pas très vite, comme l'a fait observer Didier Marie - mais, comme vous le savez, la question qui demeure est celle de notre capacité à produire suffisamment d'avions pour que le modèle économique soit viable, ce qui renvoie à la problématique des exportations. Or, dans ce domaine, les règles en Allemagne et en France sont différentes. S'agissant du principe même du projet SCAF, on peut certes tenir un discours sur les bienfaits de la coopération mais les besoins de l'Allemagne et de la France ne sont pas non plus tout à fait identiques. Je reste donc très vigilant sur notre capacité à faire rentrer le SCAF dans sa phase active, avec un modèle économique viable pour que cette coopération prenne réellement corps au-delà des discours auxquels nous adhérons et je fais observer que le rendez-vous pour passer aux actes est très proche.
Vous avez évoqué les exportations d'armement et pour avoir pu assister aux réunions gouvernementales qui en décident, je peux témoigner de la très grande sensibilité et de la complexité du sujet. Cependant, s'agissant des productions couvertes par les projets de coopération, je signale que l'accord qui a été conclu prévoit par principe - et pour l'essentiel - que l'autorisation d'exportation est acquise sauf si des enjeux directs de sécurité sont concernés. L'Allemagne est bien consciente du fait que si de lourds investissements sont consentis dans des projets de coopération d'armement comme le SCAF ou le MGCS, il faut ménager des possibilités d'exportation des équipements produits. Nous avons une sensibilité particulière dans ce domaine mais le fameux Zeitenwende (« changement d'ère ») s'y applique également et nous savons que disposer d'une industrie de défense forte implique la possibilité d'exporter. L'Allemagne se fixe, comme la France, des règles pour ne pas exporter des armes tous azimuts et dans tous les pays : nous pouvons très certainement nous entendre sur ce point et nous y travaillons intensivement.
Ma dernière question porte sur le sommet européen qui va prochainement traiter des questions d'élargissement sur lesquelles les décisions sont prises à l'unanimité. Or certains pays, et en particulier la Hongrie, pourraient user de leur droit de veto. Quelle pourrait être la position de l'Allemagne dans une telle situation et votre pays dispose-t-il de moyens de pression spécifiques sur la Hongrie ?
Les propos les plus récents tenus par la Hongrie nous ont semblé étonnants car ils vont au-delà de ce à quoi ce pays nous avait habitués. À propos de ce risque de blocage total sur un sujet stratégique, notre ministre a appelé à cesser de jouer ou de plastronner. Vous pouvez donc imaginer quel est notre état d'esprit et je suis sûr que chacun va faire le maximum pour convaincre la Hongrie de ne pas bloquer cette décision. Je suis certain que votre Président va s'y employer lors du prochain déplacement du Premier ministre Viktor Orban à Paris.