Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante

Réunion du 22 septembre 2005 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • amiante
  • barrot
  • exposition
  • interdiction

La réunion

Source

La mission a procédé à l'audition de M. Jacques Barrot, ancien ministre, vice-président de la Commission européenne en charge des transports.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Baudot

a d'abord souligné que sa nomination au ministère du travail et des affaires sociales, en 1995, était intervenue à un moment charnière dans le déroulement du dossier de l'amiante : les associations de victimes étaient mobilisées par les événements de la faculté de Jussieu et une étude alarmante de l'épidémiologiste britannique Julian Peto venait d'être publiée dans une revue scientifique.

Dès le second semestre de 1995, la direction des relations du travail, en partenariat avec la direction générale de la santé, a élaboré des mesures destinées à renforcer la protection des salariés. Un décret du 7 février 1996 a ainsi abaissé les valeurs limites d'exposition des salariés à l'amiante et a introduit de nouvelles mesures de protection. Le même jour, un autre décret imposait aux propriétaires de bâtiments collectifs de rechercher l'éventuelle présence d'amiante dans les structures de construction. La loi du 26 mai 1996 a, en outre, donné aux inspecteurs du travail le pouvoir d'ordonner l'arrêt d'un chantier de désamiantage lorsque les règles de sécurité ne sont pas respectées.

a ensuite rappelé que l'INSERM avait rendu public en juin 1996 le rapport qui lui avait été commandé par les pouvoirs publics pour évaluer la dangerosité de l'amiante. Ce document contenait une estimation inquiétante, mais crédible, de l'augmentation à venir du nombre de décès provoqués par l'amiante et mettait en évidence les conséquences pathogènes d'une exposition à de faibles doses. Les conclusions de cette étude ont joué un rôle déterminant dans la décision du gouvernement d'interdire l'utilisation de l'amiante à compter du 1er janvier 1997, sous réserve de quelques dérogations destinées à tenir compte de l'absence de produits de substitution pour certaines fabrications. La consommation d'amiante en France a connu, en conséquence, une chute spectaculaire à partir de cette date, passant de 36.000 tonnes en 1996 à 20 tonnes en 1999. Le champ des dérogations a été progressivement réduit, la décision d'interdiction ayant favorisé la recherche de nouveaux produits de substitution. Les dernières dérogations ont disparu en 2002. Pour éviter de nouvelles expositions à l'amiante, le ministère a également imposé une exigence de qualification aux entreprises de désamiantage.

Interrogé sur les raisons de l'interdiction tardive de l'amiante dans notre pays, M. Jacques Barrot a rappelé que les possibilités d'utilisation de l'amiante avaient été progressivement restreintes à partir de 1977 et qu'il avait lui-même, en qualité de secrétaire d'Etat au logement, décidé l'interdiction du flocage pour les locaux d'habitation, puis pour l'ensemble des bâtiments. Il a noté que la politique d'utilisation contrôlée de l'amiante, qui a longtemps prévalu, était compatible avec le droit communautaire et que l'évolution du débat scientifique avait modifié la perception des enjeux de santé publique. Il a ajouté que les valeurs limites d'exposition avaient été abaissées en 1987 et 1992, mais qu'il n'y avait pas eu d'importants développements réglementaires au sujet de l'amiante avant le milieu des années 1990.

a ensuite abordé la question de la réaction des industriels de l'amiante face au durcissement de la réglementation : ils ont d'abord critiqué la diminution des seuils limites d'exposition, jugée difficilement applicable, puis ont contesté le champ des dérogations à la décision d'interdiction, en invoquant le manque de produits de substitution. Le ministère s'est également préoccupé du devenir des salariés de ces entreprises, sans pour autant remettre en cause la priorité accordée à l'objectif de santé publique.

Cependant, l'action de lobbying la plus intense est venue du gouvernement canadien, qui a contesté la décision française d'interdiction de l'amiante devant les autorités de la concurrence à Bruxelles et devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), lesquelles ont estimé que la décision française était fondée sur des impératifs de santé publique justifiant une exception aux règles de la concurrence.

Interrogé sur les conditions d'indemnisation des victimes de l'amiante, M. Jacques Barrot a indiqué avoir assoupli, par un décret de février 1996, les conditions de reconnaissance, au titre des maladies professionnelles, des cancers broncho-pulmonaires provoqués par l'amiante. Il a évoqué brièvement les conditions de fonctionnement et de financement du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) et du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), estimant ne pas disposer d'une expertise suffisante sur ces questions. S'appuyant sur son expérience de parlementaire, il a néanmoins souligné que les conditions d'accès au FCAATA étaient contestées et nourrissaient un sentiment d'injustice, avant de s'interroger sur le bien-fondé des modalités de financement de ces fonds, qui reposent principalement sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale.

Concernant le passage éventuel à une réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles, il a rappelé que le régime actuel reposait sur un compromis défini en 1988, qui, en contrepartie d'une reconnaissance de la responsabilité sans faute de l'employeur, prévoit une réparation forfaitaire du préjudice subi par le salarié. Ce compromis est remis en cause par la création du FIVA, qui indemnise l'intégralité du préjudice subi par les victimes de l'amiante. Le passage à la réparation intégrale aurait un coût considérable, de l'ordre de 3 milliards d'euros, et obligerait à repenser les règles actuelles. Devant l'importance des enjeux en présence, M. Jacques Barrot a jugé raisonnable d'attendre que les partenaires sociaux formulent leurs propositions avant d'envisager des mesures législatives.

Interrogé enfin sur le rôle et les moyens de l'inspection et de la médecine du travail, il a insisté sur la nécessité d'associer l'ensemble des intervenants pour parvenir à une prévention efficace des risques professionnels. Il a approuvé les modifications apportées par le décret du 28 juillet 2004 au statut des médecins du travail, qui a renforcé leurs garanties d'indépendance face à l'employeur. Il a cependant considéré que l'on ne pouvait expliquer un éventuel manque de vigilance sur le dossier de l'amiante par les caractéristiques du statut des médecins du travail, qui les protégeait déjà suffisamment pour qu'ils puissent remplir leur fonction d'alerte. Le problème principal résidait plutôt dans le manque de temps des médecins du travail, accaparés par des tâches administratives, et dans un défaut de sensibilisation.

Pour conclure son propos liminaire, M. Jacques Barrot a insisté sur la nécessité de bien distinguer les fonctions d'évaluation de la toxicité des produits, de recherche épidémiologique et d'élaboration des mesures légales et réglementaires, afin que chacun assume pleinement ses responsabilités. Il a estimé qu'un nouveau dispositif de prévention se mettait en place, articulé notamment autour de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

a demandé pourquoi la mesure d'interdiction du flocage en 1977, qui traduisait une prise de conscience de la dangerosité de l'amiante, n'avait pas été suivie rapidement d'autres mesures d'interdiction et s'est interrogé sur le rôle joué par le comité permanent amiante (CPA).

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Baudot

a fait part de sa perplexité devant l'absence de réaction plus précoce de la part du ministère du travail. Nommé ministre en 1995, il fut surpris de constater que l'amiante demeurait un important enjeu de santé publique, alors qu'il avait déjà été confronté à ce problème dans les années 1970. Il a déclaré ensuite avoir appris l'existence du CPA dans une émission de télévision, au cours de laquelle la FNATH (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés) avait vivement attaqué ce comité, lui reprochant de vouloir conseiller les pouvoirs publics alors que siégeaient, en son sein, des représentants des industriels. Il a estimé que le CPA n'avait pas empêché l'adoption des mesures nécessaires, mais qu'il n'avait pas non plus joué le rôle positif attendu d'un comité consultatif, puisqu'il avait entretenu l'illusion de l'usage contrôlé de l'amiante et de l'absence de produits de substitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

S'agissant du fonctionnement des structures gouvernementales, Mme Marie-Christine Blandin a souhaité savoir comment les ministres étaient saisis d'une alerte, par exemple sur un problème de santé publique, et a demandé des précisions sur le rôle joué dans l'affaire de l'amiante par le ministère de l'industrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Baudot

a d'abord précisé qu'il ne pouvait bien sûr témoigner que de son expérience personnelle. Il a indiqué qu'un inspecteur du travail, M. Jean Roigt, très compétent sur le dossier de l'amiante, l'avait sensibilisé à ce sujet, de même que le directeur des relations du travail d'alors, M. Jean Marimbert. Il a également souligné l'importance de ses contacts personnels avec les dirigeants de la FNATH, qui l'ont conforté dans l'idée que l'amiante posait un grave problème de santé publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

a fait part de sa propre expérience ministérielle et a insisté sur la nécessité d'établir de bonnes relations entre le ministre, son cabinet, les services et les organisations représentatives dans son secteur de compétence. Plus généralement, se pose un problème de fonctionnement de notre démocratie, qui souffre d'une propension à voir dans l'Etat le détenteur de la vérité, et à négliger les avis émanant de la société civile.

Evoquant ensuite les difficultés soulevées par les chantiers de désamiantage, elle a rappelé que la réglementation était mal respectée et a souligné que les vêtements de protection portés par les salariés étaient fort contraignants et difficiles à supporter tout au long d'une journée de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Baudot

a répondu que l'Etat avait effectivement besoin de personnels attentifs et perméables aux informations qui leur parviennent. Il a noté que des conditions de travail trop difficiles pouvaient inciter les salariés à prendre des risques et mettre en danger leur sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

En réponse à une question de Mme Catherine Procaccia, qui lui demandait si les conclusions du rapport INSERM de 1996 l'avaient étonné, M. Jacques Barrot a reconnu avoir éprouvé, à l'époque, un sentiment de grande surprise, ne comprenant pas pourquoi le problème de l'amiante, qui s'était déjà manifesté dans les années 1970, n'avait pas été traité plus tôt. Il a insisté sur l'angoisse ressentie par les personnes ayant été exposées à l'amiante, qui, en raison du temps de latence très long de certaines maladies, vivent avec la crainte de développer une pathologie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

a enfin évoqué les problèmes soulevés par la proposition de règlement « Registration, evaluation and autorisation of chemicals » (REACH).

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Baudot

a indiqué qu'il convenait de trouver un équilibre entre les impératifs de protection des salariés et de l'environnement, d'une part, et de maintien de la compétitivité de l'industrie chimique européenne, d'autre part, sous peine d'assister à de nombreuses délocalisations. Il a précisé que ce projet serait examiné avant la fin de l'année par la Commission européenne. Il s'est enfin interrogé sur la capacité de l'Europe à porter, à elle seule, la prévention contre les risques chimiques et a souhaité une action internationale plus large sur ces dossiers.