Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition M. Laurent Cohen-Tanugi, président de la « mission sur l'Europe dans la mondialisation » sur la stratégie de Lisbonne, accompagné de M. Yves Bertoncini, chargé de mission.
Après avoir rappelé que Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie et des finances et M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité lui avaient confié une mission de réflexion sur « l'Europe dans la mondialisation », M. Laurent Cohen-Tanugi a précisé que celle-ci portait plus spécifiquement sur la stratégie de Lisbonne, qui entre dans son troisième cycle. Le Conseil européen du mois de mars devant se prononcer sur les propositions de la Commission européenne relatives au paquet « Lisbonne III » pour 2008-2010, l'objet premier du rapport d'étape de la mission est d'analyser ce « paquet » et d'émettre des recommandations au gouvernement sur l'attitude à adopter au Conseil européen. Le rapport final doit être remis, quant à lui, pour la mi-mars et traitera de l'après 2010.
a ensuite indiqué que la première partie du rapport d'étape, intitulée « Etat des lieux », dressait un bilan complet de la stratégie de Lisbonne fin 2007, prenant en compte les différents points de vue, nationaux et académiques, et recensait les « nouveaux défis », c'est-à-dire la manière dont les changements intervenus dans le monde et dans l'Union européenne pouvaient modifier l'avenir de cette stratégie. Il a ensuite explique qu'il existait, en France, un décalage de perception par rapport à cette dernière, les Français ayant le sentiment qu'elle était un échec, sans prendre en compte son recentrage sur la croissance et l'emploi intervenu en 2005 et le fait qu'un certain nombre de pays avaient rempli les objectifs fixés. Le rapport vise, dans ce contexte, à permettre à la France de se réapproprier cette stratégie, qui est centrale et consensuelle en Europe. Les performances françaises ont été relativement médiocres par rapport aux objectifs fixés du fait d'une mise en oeuvre tardive des réformes structurelles et d'une mise en cohérence insuffisante de celles-ci avec les exigences européennes. En outre, l'écart de compétitivité et de croissance entre l'Europe et les Etats-Unis, à l'origine de la mise en oeuvre de la stratégie en 2000, demeure toujours valable. S'y ajoutent aujourd'hui la forte croissance des pays émergents comme l'Inde et la Chine et l'élargissement de l'Union européenne, qui rendent d'autant plus impérative l'émergence d'une économie de la connaissance en Europe.
Après avoir précisé que le paquet « Lisbonne III » s'inscrivait dans la continuité des précédents, M. Laurent Cohen-Tanugi a relevé que les marges de manoeuvre françaises étaient à court terme limitées, les propositions de la Commission ayant déjà été entérinées par de nombreux Etats membres. Il s'agit plutôt d'accroître la crédibilité de la France dans les deux ans à venir par l'accélération des réformes structurelles et d'élaborer des propositions pour l'après 2010, la réflexion étant extrêmement embryonnaire, voire inexistante, au niveau européen sur ce dernier point. Après avoir indiqué que la présidence française de l'Union européenne devait être l'occasion d'influencer la décennie 2010-2020, il a jugé que la tendance actuelle à intégrer de nombreuses politiques dans la stratégie de Lisbonne était contre-productive, notamment s'agissant du volet « compétitivité externe », qui relève plus des politiques communes intégrées que de la « méthode ouverte de coordination ». Il a précisé que le rapport complémentaire de la mission serait consacré à ce volet externe relatif à la place de l'Union dans le monde, deuxième pilier de la compétitivité de l'Europe et qu'il proposerait, pour le volet interne, un « Lisbonne plus » visant à recentrer la stratégie.
a souhaité connaître les atouts et les handicaps de la France dans la mondialisation, ainsi que l'analyse de l'intervenant sur les raisons de sa mauvaise position internationale en matière, notamment, de taux d'endettement, de compétitivité ou encore de taux d'emploi des seniors.
après avoir rappelé la mise en place par l'actuel gouvernement de réformes structurelles, a demandé comment étaient perçues au niveau européen les dernières décisions françaises.
Précisant que les handicaps de l'Europe comme la rigidité du marché du travail ou encore le vieillissement démographique étaient à l'origine même de la stratégie de Lisbonne, M. Laurent Cohen-Tanugi a annoncé que le rapport final de la mission insisterait sur les atouts européens comme la création d'un grand marché ou l'émergence de l'euro comme monnaie internationale et a déploré que ceux-ci ne soient pas suffisamment mis en valeur, notamment du fait que l'Europe ne parle pas toujours d'une seule voix. Il a considéré que les dernières réformes nationales, notamment le récent accord sur le fonctionnement du marché du travail, allaient dans le bon sens, mais n'étaient pas assez harmonisées à la fois entre elles et avec les objectifs de la stratégie de Lisbonne.
a expliqué que le rapport comportait des tableaux présentant le classement des pays européens en fonction des objectifs chiffrés fixés par les Conseils européens successifs. S'agissant de ses points forts, la France est en 6e position sur 27 pour les dépenses de recherche et développement, qui se situent à environ 2 % du produit intérieur brut, l'objectif étant fixé à 3 % (2 % pour le privé, 1 % pour le public). En outre, elle se classe en 1ère position pour le taux d'accueil des jeunes enfants dans des structures subventionnées, avec un taux de 100 % d'accueil des enfants entre 3 et 6 ans, à relier avec un taux de fécondité le plus élevé d'Europe avec l'Irlande. La France se situe dans la médiane pour la proportion de la population parvenant à un niveau supérieur au bac (13e position), pour le taux de sorties prématurées du système éducatif (15e) et pour le déficit public (17e). En revanche, elle se situe dans les derniers rangs pour les deux objectifs les plus importants : le taux de croissance (23e), pour lequel un décrochage a été observé entre 2002 et 2006 et le taux d'emploi (18e), l'âge moyen de sortie du marché du travail étant également bas (58 ans, ce qui classe la France au 24e rang).
a précisé que le rapport émettait des propositions sur le volet national, dont certaines rejoignaient celles du rapport de la commission présidée par M. Jacques Attali.
a attiré l'attention sur les annexes du rapport, notamment l'annexe 10, qui reproduit les recommandations adressées à la France par la Commission européenne. Elles portent constamment sur trois points principaux : les finances publiques, la libéralisation des industries de réseau et des professions réglementées et la mise en oeuvre d'une « flex-sécurité » sur le marché du travail.
Après avoir demandé des précisions sur la notion « d'investissement dans le capital humain », Mme Evelyne Didier s'est interrogée sur les atouts que pourrait apporter une meilleure convergence des normes au niveau mondial, sur la part respective du public et du privé dans les ressources allouées à la recherche française et sur la qualité du tissu industriel et des entrepreneurs français.
Soulignant l'importance des nouveaux moyens de communication dans l'économie de la connaissance, M. Bruno Retailleau a évoqué le retard français par rapport aux Etats-Unis sur ce point et s'est interrogé sur ses conséquences sur la croissance. Abordant ensuite la question de l'agenda social, il a fait part de ses inquiétudes relatives à la récente jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes concernant les règles salariales applicables en cas de détachement.
En réponse, M. Laurent Cohen-Tanugi a apporté les précisions suivantes :
- l'investissement dans le capital humain est primordial, notamment au regard de la concurrence croissante des Etats-Unis et des pays émergents, qui améliorent leur système universitaire et forment de plus en plus d'ingénieurs. L'Europe doit, de ce point de vue, améliorer son système d'enseignement supérieur et de formation continue afin d'accroître la mobilité géographique et professionnelle ;
- le niveau de recherche publique est satisfaisant en France, le problème se situant plutôt du côté du secteur privé ;
- les universités ayant besoin de ressources privées supplémentaires, le rapport préconise d'aider les étudiants à emprunter avec la garantie de la Banque européenne d'investissement ou de l'Etat, à l'instar du système américain, afin de pouvoir augmenter les frais d'inscription, et ainsi abonder le budget des établissements ;
- la maîtrise d'une norme technique, qui permet d'imposer un standard au niveau international est très importante, comme l'a montré l'exemple de la norme Global System for Mobile communications (GSM) pour laquelle l'Europe avait de l'avance ; celle-ci a également de l'avance pour ce qui concerne les normes environnementales, mais a en revanche pris du retard pour les biotechnologies et les technologies de l'information et de la communication ;
- la France est en retard par rapport à l'Allemagne pour la qualité de son tissu industriel : il faut créer un environnement favorable aux PME, qui exportent et créent des emplois, notamment en accélérant la mise en oeuvre du Small Business Act, leur facilitant l'accès aux marchés publics, et que la Commission européenne veut mettre en oeuvre ;
- s'agissant de l'agenda social, la mission a consulté périodiquement un comité de pilotage d'une quinzaine d'experts et, mensuellement, le comité de dialogue social existant au niveau européen ; elle recommande d'intégrer deux nouveaux critères sociaux dans la stratégie de Lisbonne : la qualité de l'emploi et la lutte contre la pauvreté, ainsi que des indicateurs démographiques et d'intégration.
Revenant sur l'arrêt de la CJCE, M. Yves Bertoncini a précisé que celle-ci avait considéré que les difficultés rencontrées par l'entreprise lettone implantée en Suède pour connaître le salaire minimum applicable - déterminé par secteur ou par région dans ce pays- constituaient un obstacle à la libre prestation de services. Il a estimé qu'un tel cas de figure ne pourrait pas se présenter en France, où le salaire minimal est fixé par la loi. Il a ajouté que le rapport insistait sur la nécessaire amélioration du contrôle de l'application de la directive sur le détachement des travailleurs.
a jugé nécessaire d'élargir la conception du social dans la stratégie de Lisbonne, notamment au secteur de l'éducation, l'accès à la connaissance étant l'un des principaux facteurs d'exclusion sociale.
a rappelé que la commission des affaires économiques avait établi, dans son rapport sur la directive relative au détachement des travailleurs, la nécessité d'établir un accord préalable obligatoire pour le détachement d'un salarié. Le contrôle de l'application de la directive est complexe, les accord douaniers et fiscaux entre pays, par exemple entre la France et l'Allemagne, étant particulièrement difficiles à trouver et à appliquer. Après s'être félicité de la volonté de la Commission européenne de mettre en oeuvre un Small Business Act, il a rappelé que le rapport de la commission des affaires économiques de 1997 préconisait déjà son institution et a déploré le retard pris par la France par rapport aux Etats-Unis, ceux-ci l'ayant adopté dès 1958. Celui-ci se caractérise par trois grandes mesures : la caution de l'Etat pour les PME auprès des banques, l'accès aux marchés publics et la création d'un organisme vérifiant l'absence de complications inutiles pour les PME dans les textes applicables.
a souhaité connaître l'impact sur la stratégie de Lisbonne de l'adoption du nouveau traité européen simplifié, de la hausse de l'euro et, enfin, de la présidence française de l'Union européenne.
En réponse, M. Laurent Cohen-Tanugi a apporté les éléments suivants :
- comme le montre l'annexe 9 du rapport, le traité simplifié apporte des améliorations, car il clarifie la répartition des compétences, renforce les compétences communautaires et institue une reconnaissance institutionnelle de l'Eurogroupe ; à ce sujet, le rapport recommande une appropriation politique de la stratégie de Lisbonne par ce groupe, afin d'en réduire l'aspect bureaucratique ;
- la valeur de l'euro est fixée par les marchés et offre l'avantage de minorer le coût des importations de pétrole ; quant aux exportations, d'autres facteurs de compétitivité interviennent, comme l'atteste la position de l'Allemagne ;
- la préconisation la plus importante du rapport concerne la nécessité pour la France, dans le cadre de sa présidence de l'Union, d'engager une réflexion sur l'évolution de la stratégie de Lisbonne après 2010, les travaux de la mission pouvant, dans cette perspective, constituer une première base de travail.