La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire s'est réunie à l'Assemblée nationale le 14 février 2012.
La commission mixte paritaire procède d'abord à la désignation de son bureau, qui est ainsi constitué :
Jean-Luc Warsmann, député, président ;
Jean-Pierre Sueur, sénateur, vice-président ;
Jean-Paul Garraud, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.
J'invite les deux rapporteurs à faire état de leur point de vue respectif.
Je suis revenu avec mes collègues sur les modalités du déroulement des dernières réunions de commission mixte paritaire. Celles-ci ont engendré un certain sentiment de frustration. À peine les crayons avaient-ils pu être posés, que déjà la réunion était achevée. Il pourrait être opportun de laisser les rapporteurs s'exprimer de manière plus conséquente. Sur le présent texte, les travaux au Sénat ont été importants, ils se sont déroulés dans un esprit constructif. Il s'agit d'appliquer au mieux la loi pénitentiaire de 2009.
Lors de la dernière réunion de commission mixte paritaire, les rapporteurs ont pu s'exprimer aussi longtemps qu'ils l'avaient souhaité ainsi qu'ils avaient été invités à le faire. En tout état de cause, l'objet d'une telle réunion n'est pas d'engager un nouveau débat de fond, dont on ne doute pas qu'il ait eu lieu de manière approfondie dans chacune des deux assemblées. L'unique objet de la réunion de la commission mixte paritaire est de déterminer si, oui ou non, il existe un texte susceptible de réunir une majorité dans chacune des assemblées.
On peut d'ailleurs rappeler que, lors de la législature au cours de laquelle M. Lionel Jospin était Premier ministre, avec une majorité différente au Sénat, les réunions des commissions mixtes paritaires étaient très souvent tout aussi rapides car elles ne débouchaient sur l'adoption d'aucun texte commun. On ne se trouve certes pas entraînés dans une course contre la montre, mais dans un exercice institutionnel bien défini, qui vient d'être rappelé.
Aussi chacun des deux rapporteurs est-il maintenant appelé à donner son avis et, le cas échéant, à présenter des dispositions susceptibles de susciter l'assentiment de la commission mixte paritaire aux fins de recueillir ensuite l'accord des deux assemblées.
Je souhaiterais préciser le sens de ma démarche et de celle de la majorité sénatoriale. Celle-ci s'est opposée à l'orientation retenue par le Gouvernement, pour deux raisons essentielles.
D'une part, en raison de l'annexe, assez substantielle, intégrée au projet de loi. L'objet de ce projet est de programmer la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Un postulat - qui n'a pas été démontré et ne semble pas pouvoir l'être - a été posé, à savoir la nécessité de construire 80 000 places de prison d'ici 2017. Cela est problématique à la veille d'échéances électorales importantes, à l'occasion desquelles les citoyens seront précisément amenés à se prononcer sur les orientations en matière de justice et de politique pénale.
D'autre part, certains choix figurent dans le projet de loi, en particulier celui de recourir, pour les constructions précitées, aux partenariats publics-privés, partenariats dont la Cour des comptes et d'autres commentateurs ont contesté le bien-fondé, dans la mesure où des dépenses lourdes et incompressibles à long terme ne peuvent qu'hypothéquer l'avenir. Les échéances électorales seront naturellement aussi l'occasion pour les citoyens de se prononcer sur l'usage ainsi proposé des deniers publics.
Ce texte a été inspiré par certains faits dramatiques. Mais ni le temps de la réflexion, ni celui du débat, n'ont été pris - rappelons en particulier, que la procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement.
Le Sénat a donc préféré une autre option : partir d'un socle commun existant, la loi pénitentiaire de 2009, qui a été votée et a pour objectif de faire de l'incarcération un dernier recours, tout en améliorant les conditions de la détention. À partir de cette loi, le Sénat a souhaité décliner les mesures susceptibles de faire l'objet d'un débat, de sorte que le nombre d'incarcérations puisse diminuer dans un délai de cinq ans.
Ce nombre peut être considéré comme important, si l'on garde à l'esprit que les peines non exécutées sont, à hauteur de 90 %, voire plus, des peines de courte durée pour partie en cours d'aménagement. En somme, il est possible de se passer, dans un nombre non négligeable de cas, de l'exécution des peines en prison.
Il convient, dans cette perspective, de proposer des peines alternatives. Le Sénat a retenu les dispositions suivantes : supprimer les peines planchers ; favoriser l'aménagement des peines de prison inférieures ou égales à trois mois ; intégrer au texte les dispositions de la proposition de loi de M. Dominique Raimbourg sur la prévention de la surpopulation carcérale ; intégrer de même les dispositions contenues dans la proposition de loi de M. Jean-René Lecerf, telle qu'elle a été adoptée par le Sénat, mais jamais examinée par l'Assemblée nationale, sur la question de l'atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d'infraction - il n'y a pas lieu, par exemple, de prévoir des modalités d'incarcération longues pour les malades mentaux.
Par ailleurs, la majorité sénatoriale a aussi supprimé les articles du projet de loi tendant à accroître les incarcérations. Elle s'est attachée à s'assurer, avant même l'échéance de 2017, de la présence des postes nécessaires, pour ce qui concerne notamment l'amélioration du fonctionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les possibilités de recrutement des conseillers d'insertion et de probation.
Mais il est difficile, encore une fois, compte tenu des conditions d'organisation de la discussion, de débattre plus avant de ce sujet important de l'exécution des peines.
Je regrette que, d'une certaine manière, à l'occasion de ce débat, on veuille refaire tous les débats ayant eu lieu sur les questions pénales au cours de l'actuelle législature. Comme rapporteur de la loi pénitentiaire, il a également été chargé de veiller à son application : or tous les décrets requis pour la mise en oeuvre de cette loi ont été publiés, à l'exception d'un seul.
Le débat d'aujourd'hui est distinct. Il ne s'agit pas, à la faveur de cette discussion, de remettre en cause tout ce qui a été fait et tranché dans plusieurs lois, par exemple pour ce qui concerne les peines planchers. On ne peut, profitant d'un changement de majorité au Sénat, vouloir en une loi réexaminer cet ensemble.
Il faut certes saluer l'adoption conforme, au Sénat, des articles relatifs à l'exécution des peines de confiscation, introduits dans le texte à l'initiative du président Warsmann.
Mais pour le reste, le Sénat a adopté un texte qui n'a plus rien à voir avec celui qu'avait adopté l'Assemblée nationale. De ce fait, la réunion de la commission mixte paritaire risque de ne pas aboutir à l'adoption de mesures communes.
De façon synthétique, l'ampleur des désaccords peut être présentée en trois points.
Premièrement, le Sénat a supprimé l'essentiel des articles du projet de loi qu'avait adopté l'Assemblée (onze sur vingt-et-un) ; parmi les principaux articles rejetés, on peut citer l'article 2, qui donne au Gouvernement les moyens juridiques de réaliser le programme immobilier de 24 000 nouvelles places de prison prévues par le rapport annexé, et les articles 4 bis et 5 qui améliorent le partage d'information entre l'autorité judiciaire et les médecins en charge de soins pénalement ordonnés. Or il s'agit de points essentiels : il y a un engagement fort du Gouvernement, concernant quelque 7 000 emplois en équivalent temps plein et plus de 3 milliards d'euros d'ici 2017.
Deuxièmement, le Sénat a totalement dénaturé les quatre articles qu'il n'a pas supprimés ; on vise ici principalement le rapport annexé à l'article 1er, qui prévoit un nouveau programme immobilier et de nouveaux moyens humains et financiers très ambitieux pour résoudre les graves problèmes de l'exécution des peines en France.
Or ce dispositif est indispensable précisément pour répondre à la préoccupation du Sénat d'appliquer la loi pénitentiaire, et son opposition est dès lors quelque peu paradoxale.
On peut citer également l'article 4 ter qui prévoit l'information des chefs d'établissement scolaire lorsqu'ils accueillent une personne poursuivie ou condamnée pour des faits d'une particulière gravité, que le Sénat a certes adopté, mais en réduisant son champ d'application au point de le vider de sa substance.
Cet article est le seul qui soit en rapport direct avec le fait dramatique que chacun garde en mémoire. Pour le reste, ce projet de loi avait été établi préalablement à cet événement, car il traite de manière globale la question de l'exécution des peines. On rappelle notamment qu'il vise à favoriser la bonne application des décisions de l'autorité judiciaire, seule souveraine.
Le reste du texte résultait d'un premier fait divers plus ancien à Nantes...
Troisièmement, le Sénat a complété le texte par neuf nouveaux articles totalement incompatibles avec les dispositions du projet de loi adopté par l'Assemblée : aménagement systématique et sans aucune exception de toutes les peines de moins de trois mois, ce qui va à l'encontre de l'individualisation du traitement pénal après la condamnation, notamment par le juge d'application des peines ; instauration d'un numerus clausus, auquel on ne peut qu'être totalement opposé ; réduction systématique d'un tiers de la peine encourue par les personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement, système dont l'automaticité doit être combattue ; suppression des peines minimales prévues pour les récidivistes et les auteurs de violences aggravées : il s'agit des fameuses peines planchers et l'on doit rappeler à cet égard que les magistrats ont toute latitude pour aller en deçà d'un tel plancher s'ils motivent leur décision.
Dans ces conditions, tout accord entre les deux chambres paraît aujourd'hui exclu.
Les propos des rapporteurs témoignent d'une franche différence d'appréciation entre les deux assemblées et que, dans ces conditions, un accord paraissait impossible.
Je partage totalement l'analyse du rapporteur de l'Assemblée nationale.
Je constate l'échec de la commission mixte paritaire à parvenir à élaborer un texte susceptible d'être adopté par les deux assemblées.
A titre de rappel historique, sous le Gouvernement de M. Lionel Jospin, auquel a fait allusion le président Warsmann, il était fréquent que les commissions mixtes paritaires convoquées à propos de textes relevant des commissions des Lois aboutissent à un texte commun. Tel avait été le cas, par exemple, lors de la discussion de ce qui devint la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement de la coopération intercommunale : compte tenu de l'ampleur des discussions, la commission mixte paritaire avait dû se réunir à trois reprises, mais avait fini par parvenir à élaborer un texte de compromis. Pour l'avenir, ce rappel historique montre donc que si les positions des deux assemblées sont parfois très éloignées, un accord n'est pas toujours impossible.
L'exemple de la loi sur l'intercommunalité a constitué sans doute l'une des rares exceptions de la période considérée et que, en tout état de cause, chacun avait pu constater qu'aucun texte commun acceptable par les deux assemblées n'était susceptible d'être adopté aujourd'hui.
La Commission a constaté qu'elle ne pouvait parvenir à élaborer un texte commun.