Au cours d'une réunion commune ouverte aux membres de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, la commission des affaires économiques et la commission des lois examinent le rapport d'information sur le répertoire national des crédits aux particuliers.
Nous sommes réunis pour entendre la présentation du rapport du groupe de travail et autoriser sa publication. Ce groupe de travail résulte d'un engagement pris en séance en décembre 2011 à l'occasion de l'examen du projet de loi consommation dont le rapporteur était, pour la commission de l'économie, Alain Fauconnier, et le rapporteur pour avis de la commission des lois, Mme Nicole Bonnefoy. Il renvoie à un débat récurrent sur le surendettement et les moyens d'y remédier. Ainsi, je me souviens que, déjà, lors de la discussion du projet de loi dite « Lagarde », la ministre de l'économie s'alarmait du risque d'une restriction excessive du crédit lié à la création d'un fichier positif, et qu'on lui opposait, en retour, le problème de l'afflux massif des dossiers de surendettement. On a aussi parfois évoqué la nécessité de dissocier les cartes de fidélité et les cartes de crédit proposées par les grandes enseignes.
Le débat que nous allons ouvrir grâce aux travaux du groupe nous permettra d'examiner les arguments en faveur de la création d'un fichier positif des crédits et les objections qui sont apportées, ainsi que les grandes lignes d'un dispositif éventuel si sa création devait être proposée par le futur projet de loi relatif aux droits des consommateurs.
Lors des débats en décembre 2011 sur le projet de loi « Lefebvre » renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, trois amendements émanant de différents groupes proposaient, selon des modalités différentes, la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers, autrement appelé « fichier positif », dans le but de lutter contre le surendettement. Ces amendements n'ont pas été adoptés, compte tenu des difficultés que soulevait cette question, mais un groupe de travail regroupant quatre commissions a été constitué pour étudier l'opportunité et les conditions de mise en place du fichier positif.
Nous avons conduit de nombreuses auditions et effectué plusieurs déplacements, dont un à Bruxelles pour bien comprendre le fonctionnement de la centrale belge des crédits aux particuliers, qui sert souvent de référence aux promoteurs français du fichier positif et aux réflexions conduites en France sur le sujet.
Au sein du groupe, nous sommes également partagés sur l'opportunité de créer un fichier positif. Dans ces conditions, le groupe de travail n'a pas adopté de conclusions, mais se borne à apporter sa contribution au débat et à la décision, en énonçant les arguments en faveur comme opposés et en précisant les modalités d'un éventuel fichier si celui-ci venait à être créé.
La décision de principe a été prise par le Gouvernement, puisque le Premier ministre a indiqué, en clôture de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté le 11 décembre 2012, qu'un registre des crédits aux particuliers serait créé à l'occasion du prochain projet de loi sur la consommation. Pour autant, le Gouvernement ne sous-estime pas les difficultés que présente ce projet, puisque Benoît Hamon, ministre chargé de la consommation, a déjà indiqué lors de débats parlementaires récents qu'il fallait imaginer un dispositif simple et respectueux de la vie privée, ce qui justement n'est pas simple.
Ce sujet est débattu depuis les années 1980, en particulier à l'occasion de la « loi Neiertz » de 1989 relative au surendettement, qui a créé un « fichier négatif », c'est-à-dire le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP, géré par la Banque de France.
Un « fichier positif » enregistre tous les contrats de crédit en cours, crédit immobilier ou crédit à la consommation, crédit amortissable ou crédit renouvelable, indépendamment de la survenance d'un incident de paiement. Compte tenu du rôle du crédit, notamment de l'excès de crédit, dans le phénomène de surendettement, l'objectif du fichier positif est de prévenir le surendettement en empêchant d'octroyer le « crédit de trop ». Le banquier ou la société de crédit pourra constater en consultant le registre que son client a déjà un niveau élevé d'endettement. Le débat porte justement sur l'efficacité du registre des crédits dans la prévention du surendettement, compte tenu de son coût et du nombre de personnes enregistrées. Le crédit n'est pas le facteur exclusif d'explication du surendettement, il y a aussi ce qu'on appelle les « accidents de la vie », qui conduisent à une perte de revenus face aux charges financières ou de la vie courante : chômage, divorce, veuvage et même retraite.
La Banque de France, qui est très réticente à la mise en place de ce registre des crédits et qui gère les commissions de surendettement, nous a indiqué que le registre permettrait d'éviter selon elle seulement 20 à 30 000 cas de surendettement par an, sur un total d'environ 220 000, à comparer au « fichage » d'environ 25 millions de personnes titulaires d'un crédit. La Cour des comptes montre dans un rapport de 2009 que les études statistiques sur le phénomène de surendettement sont trop rudimentaires pour en comprendre les causes, de sorte que la distinction entre surendettement actif, par accumulation de crédit, et passif, dû aux accidents de la vie, ne permet pas de rendre compte de la réalité du phénomène. Dans ces conditions, il est difficile d'apprécier l'impact réel du fichier positif sur le surendettement.
Ceci étant dit, un tel registre serait objectivement un outil utile d'aide à l'analyse de la solvabilité de l'emprunteur par le prêteur. Il donnerait une information exhaustive et fiable sur son niveau d'endettement et ses charges de crédit. On sait qu'il n'est pas rare qu'un emprunteur omette, pas toujours sciemment bien sûr, de déclarer les crédits qu'il a déjà souscrits lorsqu'il demande un nouveau crédit, a fortiori lorsqu'il est déjà très endetté. Certains considèrent que le fichier positif donnerait un accès plus facile au crédit classique pour des ménages modestes qui en sont aujourd'hui généralement exclus.
Le fichier positif est revenu régulièrement dans les débats parlementaires depuis plus de vingt ans. Le débat a été très important au moment de la « loi Lagarde » de 2010 réformant le crédit à la consommation. Le Sénat avait adopté un amendement prévoyant la remise d'un rapport sur l'opportunité et les modalités de création d'un registre des crédits, l'Assemblée nationale a modifié cette disposition pour la limiter aux modalités. En effet, la ministre Christine Lagarde considérait que le principe de la création du fichier positif était politiquement acquis et qu'il s'agissait désormais d'en prévoir les modalités.
La « loi Lagarde » a donc prévu la mise en place d'un comité de préfiguration du registre, qu'on appelle « comité Constans », du nom de son président Emmanuel Constans, par ailleurs président du Comité consultatif du secteur financier. Le comité Constans a remis ses conclusions en 2011. Il propose que soient recensés dans un registre géré par la Banque de France tous les crédits, y compris les autorisations de découvert de plus de trois mois, avec une reprise du stock des crédits en cours. Il prévoit une obligation d'alimentation du registre à la charge des établissements de crédit et une obligation de consultation à la charge des mêmes avant toute offre de crédit. Pour en garantir la fiabilité, il propose que l'identifiant utilisé pour alimenter et consulter et permettant d'identifier chaque personne soit dérivé du NIR, c'est-à-dire le numéro de sécurité sociale, mais pas le NIR directement pour tenir compte des réserves de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : on parle de NIR avec « double hachage ». Enfin, le financement est assuré par la consultation payée par les établissements de crédit. Un comité de gouvernance est prévu. Le comité Constans prévoit un coût d'investissement de 15 à 20 millions d'euros pour la Banque de France et un coût annuel de fonctionnement de 30 à 35 millions. Le coût d'investissement pour les établissements de crédit est évalué entre 525 et 820 millions, ce qui paraît excessif.
Les travaux du comité Constans ont servi de point de départ à notre réflexion, de même qu'une étude de droit comparé que nous avons demandée au service compétent du Sénat. Cette étude a porté sur l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suisse. Elle montre qu'il n'existe pas de modèle unique en Europe, étant entendu qu'aucun texte n'existe ou n'est prévu dans ce domaine par l'Union européenne : parfois il existe un fichier positif unique dont la gestion est publique, dans d'autres cas un fichier public coexiste avec des fichiers privés, dans d'autres cas encore plusieurs fichiers privés sont concurrents, dans un cadre légal très variable d'un pays à l'autre. Parfois le fichier comporte des informations qui dépassent la sphère du crédit (téléphonie mobile par exemple). En tout cas la prévention du surendettement est rarement l'objectif affiché de ces fichiers, il s'agit plutôt de fiabiliser des informations sur l'endettement d'un consommateur accessibles aux prêteurs, à d'autres professionnels ou encore aux bailleurs. Tout ceci figure dans le rapport.
En Belgique, où nous nous sommes rendus avec Nicole Bonnefoy, un fichier négatif géré par la Banque nationale de Belgique existe depuis les années 1980. Une loi de 2001 a institué la centrale des crédits aux particuliers, qui a repris les données du fichier négatif (incidents de paiement et données sur les procédures de médiation de dettes, équivalentes de nos procédures de surendettement) et recense tous les crédits. Sont mentionnés l'état civil de l'emprunteur, le prêteur, le type de crédit, le montant de la mensualité, la durée... Les prêteurs doivent, sous peine de sanctions, alimenter la centrale et la consulter avant toute offre de crédit. Des délais légaux de conservation sont prévus. Un comité d'accompagnement de la centrale contrôle son fonctionnement, avec des représentants des banques et des consommateurs notamment.
Aujourd'hui 6 millions de personnes sont enregistrées pour 11 millions de crédits, soit les trois quarts de la population adulte. Il a fallu deux ans à compter de l'adoption de la loi pour que la centrale soit pleinement opérationnelle, y compris avec la reprise du stock des crédits en cours, avec un coût de fonctionnement raisonnable de moins de 5 millions d'euros par an.
L'identifiant retenu en Belgique est l'équivalent du NIR, mais il ne comporte que la date de naissance, alors que le NIR intègre d'autres données personnelles. Selon les personnes que nous avons rencontrées à Bruxelles, l'utilisation de ce numéro national d'identification garantit la fiabilité absolue du système et n'a pas posé de problème de principe, pour des raisons de mentalités sans doute, alors que c'est un point d'achoppement en France. De fait, il n'y a pas à la Banque nationale de Belgique, contrairement au service de la Banque de France qui gère le FICP à partir de données d'état civil, de personnels chargés de vérifier les données d'état civil fournies par les établissements de crédit pour garantir la fiabilité des enregistrements. Enfin, les risques de consultation illicite de la centrale semblent très faibles, à l'inverse des risques d'utilisation détournée des données par les consommateurs eux-mêmes, pour répondre par exemple à un bailleur dans le cadre d'une location.
Les banques belges sont aujourd'hui satisfaites, alors qu'elles étaient hostiles au départ pour des raisons d'organisation du marché et de concurrence. Pour améliorer leur analyse de solvabilité, les banques demandent même à présent que d'autres impayés soient intégrés dans la centrale (téléphonie en particulier), ce que refusent les organisations de consommateurs, qui ont été moteurs dans la création de la centrale. Cependant, il n'y a pas eu d'étude pour mesurer l'impact de la création de cette centrale sur le phénomène de surendettement et le nombre de dossiers évités : on sait seulement que cela a permis de faire baisser le taux de défaillance dans le remboursement des crédits, mais à partir de 2008, début de la crise économique, la tendance s'est inversée. On ne connaît donc pas l'efficacité réelle de la centrale en matière de prévention du surendettement, alors que c'est son premier objectif.
Les auditions ont permis de confronter les points de vue.
Concernant les représentants des consommateurs, les deux grandes associations que sont UFC-Que Choisir et CLCV sont très hostiles, ainsi que les associations proches des organisations syndicales. L'association des usagers des banques est également hostile. En revanche, les associations familiales agréées pour la défense des consommateurs sont majoritairement favorables.
L'association bien connue CRESUS, qui accompagne des personnes surendettées, en partenariat parfois avec des banques, promeut depuis longtemps le fichier positif.
Concernant les banques et sociétés de crédit, la Fédération bancaire française, l'Association des intermédiaires bancaires et les grandes banques sont hostiles, disposant déjà d'importants fichiers clients et craignant peut-être son éventuel impact en termes de concurrence et d'évolution des parts de marché, ce qui ne s'est pas vérifié en Belgique. Certains établissements, nouveaux entrants parfois sur le marché du crédit à la consommation ou filiales de la grande distribution, sont en revanche favorables au fichier. L'Association française des sociétés financières, qui regroupe les sociétés spécialisées dans le crédit, n'a pas d'avis officiel, ses adhérents étant partagés.
Les représentants du commerce et de distribution sont favorables au fichier positif.
Les représentants des professions juridiques sont favorables, qu'il s'agisse des avocats, des notaires ou des magistrats, les huissiers semblant plus réservés. A cet égard, l'Association nationale des juges d'instance considère qu'un fichier permettrait d'engager plus facilement la responsabilité d'un prêteur qui accorde un crédit trop facilement et accroît les difficultés financières de l'emprunteur, dont il peut toujours aujourd'hui invoquer la mauvaise foi.
La Banque de France est quant à elle très hostile à la création d'un registre des crédits, considérant que son efficacité sera réduite face au surendettement, pour un coût très élevé. A tout le moins souhaiterait-elle, si le registre était créé, pouvoir utiliser le NIR directement, au vu de son expérience difficile de gestion du FICP, qui fonctionne à base de données d'état civil pour identifier et repérer les personnes enregistrées.
Enfin, la CNIL exprime depuis longtemps des réserves de principe sur la création du fichier. Elle est à l'origine de l'identifiant proposé par le comité Constans, le NIR avec « double hachage », de façon à ce que le NIR en tant que tel demeure utilisé uniquement dans la sphère de la sécurité sociale, au nom du principe de cantonnement des identifiants pour une meilleure protection des données personnelles et du refus des identifiants à large périmètre. La CNIL avait d'ailleurs refusé en 2007 à une société commerciale l'autorisation de créer un fichier positif privé en agrégeant des données issues de fichiers bancaires.
Je vous exposerai les modalités d'un éventuel dispositif possible après la présentation par André Reichardt et Nicole Bonnefoy des arguments pour et contre la création d'un fichier positif.
Quatre séries d'arguments paraissent plaider en faveur de la création d'un fichier positif des crédits.
Le premier argument part d'un constat : des dispositifs similaires existent dans d'autres pays européens et le droit européen incite à leur mise en place. En outre, on observe d'ores et déjà en France la multiplication de fichiers privés présentant les mêmes caractéristiques dans les mains de groupes bancaires importants. Un fichier positif national serait de nature à placer l'ensemble des opérateurs de crédit sur un pied d'égalité, ce qui permettrait en particulier de favoriser le développement des nouveaux entrants sur ce marché, notamment les entreprises de crédit solidaire.
Deuxième série d'arguments : les objections à la création d'un fichier positif des crédits ne semblent pas probantes. Ainsi, l'argument selon lequel le fichier ne servirait à rien, le surendettement trouvant plus sa cause dans les accidents de la vie que dans l'accumulation des crédits, est contredit par le fait qu'entre octobre 2011 et septembre 2012, le nombre de dossiers de surendettement a légèrement baissé. En effet, on peut raisonnablement considérer qu'en cette période de crise économique, les accidents de la vie n'ont pas diminué et qu'il faut plutôt attribuer cette baisse à l'entrée en vigueur des dispositifs de la « loi Lagarde » sur l'encadrement du crédit.
L'objection de la disproportion entre l'objet et les effets du fichier positif ne paraît pas non plus devoir être retenue. Le dispositif concernera certes 25 millions d'emprunteurs pour 220 000 personnes surendettées. Mais il évitera la fragilisation financière des classes moyennes qui recourent parfois à la « cavalerie financière » pour échapper à l'incident de paiement.
Les craintes liées à l'atteinte portée à la vie privée ou au détournement mercantile du fichier ne paraissent pas plus fondées. De nombreux intervenants ont rappelé au cours des auditions que d'ores et déjà, les individus étaient soumis à un recueil de leurs données personnelles beaucoup plus important, à l'ère des technologies de l'information et de la communication. En outre, il suffira de prévoir des sanctions suffisamment lourdes contre les utilisations dévoyées du fichier. J'ajoute que ce dispositif devrait finalement être moins intrusif que d'autres solutions défendues par ceux qui s'y opposent, comme la consultation de fichiers spécifiques de charges personnelles ou d'impayés, ou celle des trois derniers relevés bancaires de l'intéressé.
Troisième argument en faveur du fichier positif : il sera un signal d'alerte automatique. Il responsabilisera les prêteurs et les emprunteurs sur les engagements qu'ils souscrivent. Il suffira en effet de subordonner la délivrance du prêt à la consultation du fichier. Trop souvent, les emprunteurs dissimulent leur situation : le fichier les protègera. On s'étonnerait à juste titre que le Sénat, prompt à défendre la sécurité dans de nombreux domaines, s'abstienne de le faire en cette matière. Le fichier aura un rôle préventif.
Enfin, dernier intérêt de ce dispositif : il serait possible, dans un souci de rationalisation, de le fusionner avec le fichier des incidents de remboursement de crédit aux particuliers (FICP), au bénéfice de la prévention et du traitement des difficultés de remboursement de crédit.
Il me revient d'exposer les arguments qui militent contre la création d'un tel fichier positif.
Une première série d'arguments nous vient des associations de consommateurs, qui sont, dans leur grande majorité, hostiles à la création d'un tel fichier ; c'est notamment le cas des deux plus importantes d'entre elles - UFC-Que Choisir et CLCV. Ces associations estiment tout d'abord qu'il faut prendre le temps d'évaluer, dans le long terme, les effets de la « loi Lagarde ». Par ailleurs, elles font valoir que les sociétés de crédit n'évaluent pas suffisamment la solvabilité d'un emprunteur avant d'octroyer un crédit à la consommation, et que les contrôles de la DGCCRF et de l'Autorité de contrôle prudentiel sont insuffisants. En outre, elles s'inquiètent des éventuels usages détournés d'un fichier positif. L'essentiel du surendettement, soulignent-elles, ne résulte pas de l'excès de crédit mais des accidents de la vie. Pour elles, le problème de fond posé par le surendettement réside dans le développement d'une société d' « hyperconsommation », qui incite à consommer toujours plus et qui, pour cela, a besoin de développer et de faciliter le crédit. Or, le pouvoir d'achat stagne aujourd'hui, rendant l'achat à crédit plus attractif. C'est une augmentation des salaires, plutôt qu'un développement du crédit, dont notre société a besoin.
Je développerai une deuxième série d'arguments, qui a trait aux informations disponibles sur la solvabilité des emprunteurs. Les données qui figureraient dans un tel fichier positif ne sauraient suffire pour évaluer véritablement la capacité d'une personne à rembourser un crédit : en effet, pour apprécier de façon sérieuse la capacité de remboursement d'un emprunteur, il convient non seulement d'analyser ses revenus et son patrimoine, mais également ses autres charges - locatives, fiscales, dépenses contraintes, etc. - qu'il ne saurait être question d'intégrer dans un fichier positif. Aucune des personnes entendues par notre groupe de travail n'a d'ailleurs préconisé d'enregistrer de telles informations, alors même qu'elles sont nécessaires pour évaluer la réelle solvabilité de l'emprunteur.
La troisième série d'arguments est relative aux pratiques commerciales inadéquates que l'on peut observer chez certains prêteurs. Notre groupe de travail s'interroge en particulier sur le caractère sérieux d'opérations effectuées par certains prêteurs, en particulier dans le cadre de crédits souscrits sur le lieu de vente. De ce point de vue, il nous semble que la mise en oeuvre d'un fichier positif n'aurait guère d'impact sur les pratiques irresponsables de certains prêteurs. Il conviendrait plutôt de renforcer le contrôle des pratiques commerciales, ce qui suppose d'en donner les moyens à la DGCCRF, et de fournir un effort supplémentaire de formation des salariés concernés, dans les sociétés de crédit comme chez les commerçants. Est également mis en cause le mode de rémunération des vendeurs de certains magasins, intéressés à la vente d'un crédit autant qu'à la vente d'un bien de consommation... A l'évidence, la création d'un fichier positif ne saurait résoudre ces difficultés.
Quatrième série d'arguments : la réalité de l'impact du fichier positif sur le surendettement est très sujette à caution, en raison même de la multiplicité des causes du surendettement. Une large majorité des parcours d'endettement puis de surendettement s'expliquent par des aléas de la vie, qui se traduisent par une chute brutale des revenus et donc des capacités de remboursement, ainsi que par une progression insuffisante du pouvoir d'achat et des salaires, dans un contexte économique difficile, alors que la société de consommation incite à acquérir des produits de plus en plus coûteux. Selon les enquêtes menées par la Banque de France depuis dix ans, la part des dossiers de surendettement liés à un accident de la vie est en progression constante. Le nombre de dossiers dans lesquels le surendettement a pour seule et unique cause un recours excessif au crédit n'était que de 13 % en 2010. Et, de ce point de vue, force est d'admettre qu'un fichier positif n'aura jamais la réactivité suffisante pour empêcher un acheteur compulsif de souscrire plusieurs crédits dans la même journée.
Je souhaite également insister sur les risques d'utilisation détournée des données. Comme le montre l'exemple de la centrale belge des crédits, il est techniquement possible de procéder à des consultations du fichier à des fins autres que celles prévues par la loi, sans que cela soit repérable en cas de consultations isolées. Il n'est donc pas possible d'exclure toute utilisation détournée des données du fichier. Un prêteur pourra, par exemple, à des fins commerciales, chercher des personnes peu endettées, même si cette finalité est interdite par la loi. Par ailleurs, des bailleurs ou des créanciers divers pourraient être tentés de demander à une personne de fournir un état de son endettement tel qu'il figure dans le fichier afin d'apprécier sa solvabilité, alors même que la loi l'interdirait. Cette possible dérive n'est pas un cas d'école : elle a été observée en Belgique en matière d'accès à la location et au logement.
On ne peut pas non plus écarter les risques d'atteinte à la vie privée. C'est une question sensible dans l'opinion publique française. Enregistrer dans un fichier, même géré par la Banque de France ainsi que le préconise le rapport du comité Constans, des données sur les crédits de 25 millions de personnes pose une difficulté sérieuse, a fortiori si l'emprunteur ne dispose d'aucun droit d'opposition à l'enregistrement de ses données personnelles. Contraintes de figurer dans ce registre, la très grande majorité des personnes enregistrées ne présenteront sans doute jamais de difficulté de remboursement de crédit ou de situation de surendettement. Par exemple, les données d'une personne inscrite pour un seul crédit immobilier pourront être conservées pendant trente ans. L'atteinte à la vie privée dans cette hypothèse nous paraît manifeste.
Je terminerai en mettant en avant la question de la proportionnalité. La création d'un fichier positif soulève la question de la disproportion entre les moyens employés et l'utilité du dispositif : disproportion manifeste liée au coût et à la lourdeur technique d'un tel fichier ; disproportion manifeste, également, entre les moyens déployés et les atteintes à la vie privée, d'une part, et l'utilité réelle du fichier au regard de l'objectif poursuivi, à savoir la prévention du surendettement. Je souligne que cette question de la proportionnalité se pose également sur le terrain constitutionnel : dans sa décision de mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité, le Conseil constitutionnel a censuré un traitement de données à caractère personnel destiné à recueillir et conserver les données requises pour la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport - autrement appelé « fichier d'identité biométrique » car il devait comporter, outre l'état-civil et le domicile du titulaire, sa taille, la couleur de ses yeux, deux empreintes digitales et sa photographie. Le Conseil a rappelé sa jurisprudence en la matière : « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». En tout état de cause, c'est à l'aune de cette jurisprudence qu'il faut analyser la possible création du fichier positif, qui devrait être justifié « par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ».
Je propose de donner la parole aux autres membres du groupe de travail.
Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je dirai d'abord quelques mots sur les modalités que pourrait revêtir un éventuel registre positif, avant de laisser la parole à nos collègues pour qu'ils nous donnent leur position sur ce sujet.
Je résumerai les deux axes de notre rapport sur ce point. Le premier impératif est d'asseoir le fichier sur des fondations solides pour réussir sa phase de lancement. Nous avons également envisagé des recommandations sur une seconde phase d'évolution et d'unification des registres positif et négatif.
En premier lieu, notre exigence fondamentale est de ne pas créer une « usine à gaz ». Il est vrai qu'à la lecture du rapport Constans, on peut avoir quelques craintes...
Je présenterai d'abord nos recommandations pour garantir l'intégrité du registre et optimiser son coût ainsi que les délais de sa phase de lancement.
Quatre sujets sont sur la table. Tout d'abord -et nous sommes unanimes sur ce point- la gestion du fichier devrait être confiée à la Banque de France ; il est hors de question à notre sens d'en confier la gestion à un organisme privé. Jusqu'à présent, les fichiers privés se sont développés de façon relativement opaque -certains banquiers nous ont même assuré qu'ils n'en avaient pas... Un registre national géré par la banque centrale offrira des garanties au consommateur et permettra peut-être à de nouveaux acteurs du crédit de proposer des prêts à des taux plus faibles.
S'agissant du contenu du registre, je rappelle que l'objectif est de déclencher un signal d'alerte automatique. A lui seul, le fichier positif ne permettra pas d'analyser en détail la solvabilité d'un emprunteur, sauf à y faire figurer toutes ses charges et ressources... Les études les plus récentes évoquent la possible valeur prédictive des impayés de charges de la vie courante, mais l'interconnexion des fichiers (crédit, téléphonie mobile, gaz, électricité) soulève des difficultés techniques et juridiques majeures : il n'est donc pas question pour nous d'aller sur ce terrain.
Enfin, la consultation du registre positif par l'établissement de crédit serait obligatoire avant toute conclusion de prêt. Il y a va, naturellement, de l'efficacité du dispositif.
J'en viens à présent à la question de l'identifiant : c'est un sujet technique mais fondamental. Soyons précis : à l'heure actuelle, pour interroger le fichier dit « négatif » des incidents de paiement (FICP), on utilise la date de naissance et les cinq premières lettres du nom de la personne. Le résultat, c'est beaucoup d'homonymies, environ 7 % d'erreurs et une grande quantité de réclamations auprès de la CNIL. Notre collègue Jean-Paul Amoudry, vice-président de la CNIL, nous a indiqué que cela représentait quasiment 10 % de l'activité de ses services. Imaginons que le registre positif - qui contiendrait dix fois plus de personnes - suive la même méthode : la CNIL risquerait de se trouver totalement saturée ! A l'opposé, l'identifiant le plus fiable est le numéro de sécurité sociale, le NIR. Mais, comme vous le savez, les chiffres qui le composent en disent beaucoup sur la personne, son genre, son âge et son lieu de naissance. C'est pourquoi, tout en étant très favorable à l'utilisation de cet identifiant du point de vue de la fiabilité, la CNIL y est en revanche opposée du point de vue du respect de la vie privée. D'où l'idée de crypter ce numéro pour le rendre anonyme.
Ce choix expliquerait en grande partie le coût - largement excessif selon nous - de 500 à 800 millions d'euros que pourrait coûter le fichier positif pour les établissements de crédit, car il faudrait saisir pour chaque prêt déjà existant ce nouvel identifiant. En contrepartie, j'observe que l'expérience belge a démontré la fiabilité de l'utilisation du numéro de sécurité sociale : le taux d'erreur est infime et la centrale des crédits belge fonctionne très bien, avec une équipe de six personnes.
Quelles seraient les alternatives à ce choix présenté comme étant le plus fiable ? Notre collègue Valérie Létard nous parlera dans un instant du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Cette alternative est contestée par le rapport Constans.
Quel serait le temps nécessaire pour la mise en place du registre ? Deux ans, nous dit-on, si on utilise le numéro de sécurité sociale, car il faudrait saisir ce dernier dans l'ensemble des dossiers de prêt existants. Une grande partie des 500 à 800 millions d'euros annoncés par les banques correspond au coût de cette saisie. Nous souhaiterions savoir quelle réduction de coût on pourrait attendre si l'on utilisait le FICOBA à la place du NIR.
Enfin, même si l'identifiant FICOBA présente l'avantage de ne pas interférer avec la sphère sociale, il est essentiel de tester et de mesurer les risques d'erreurs que comporterait cette solution.
Dans l'hypothèse où le recours au numéro de sécurité sociale apparaîtrait -chiffres à l'appui- comme la meilleure solution, le groupe de travail estime nécessaire d'évaluer précisément les inconvénients et les surcoûts imputables à son cryptage. En Belgique, l'homologue de notre CNIL avait également contesté, en 2001, l'utilisation de l'équivalent du NIR mais, à présent, le registre belge fonctionne sans recours au cryptage et cela ne suscite plus de critiques relatives à la protection des données personnelles. Si nous souhaitons suivre cet exemple, le Parlement français devra prendre ses responsabilités et prévoir une éventuelle exception au principe de cantonnement du NIR à la seule sphère sociale.
J'en viens aux grandes lignes de la deuxième phase de gouvernance et d'évolution du fichier positif. Tout d'abord, nous estimons nécessaire de bien distinguer la gestion du registre, dévolue à la Banque de France, et sa gouvernance. A travers ce fichier, nous traitons, en effet, d'un sujet qui se situe au carrefour du droit de la consommation, du droit social et du droit bancaire. De plus, le fichier positif sera sans doute amené à évoluer sur la base d'initiatives parlementaires ou associant le Parlement. Nous approuvons donc le principe de la création d'un comité de gouvernance, suggéré par le rapport Constans, tout en souhaitant qu'une place importante soit réservée aux élus de la nation et à la société civile dans la composition de ce comité. Concrètement, j'observe que, dans le passé, on a peut-être trop limité la problématique du surendettement à sa seule dimension bancaire alors qu'aujourd'hui, nos déplacements de terrain témoignent de la nécessité d'une meilleure prise en compte de sa dimension sociale. De façon analogue, le registre positif pourrait nous permettre de décloisonner l'analyse du « mal-endettement ».
L'une des principales missions de ce comité serait de préparer l'unification des registres négatif et positif. A plus long terme, ce comité pourrait réfléchir au perfectionnement de l'analyse de la solvabilité de l'emprunteur. Aujourd'hui, chez nos voisins européens, nous avons pu constater que l'idée selon laquelle les impayés de charges courantes sont des indicateurs précoces du surendettement progresse. Cela amène à réfléchir sur des solutions concrètes, à la fois respectueuses de la vie privée et de nature à renforcer l'efficacité du registre positif.
Pour terminer, l'ensemble de nos travaux nous ont convaincu d'une chose : au-delà de la question de savoir s'il faut ou non mettre en place un répertoire des crédits, il est certain que le répertoire des crédits n'est pas « LA » solution au problème du surendettement. Comme l'ont évoqué nombre de nos interlocuteurs, si l'on veut lutter efficacement contre ce phénomène, il est indispensable d'adopter des mesures permettant de progresser dans le sens à la fois d'une réelle responsabilisation des organismes prêteurs et de l'accompagnement des personnes en situation de surendettement.
La plupart de ces mesures ont déjà été évoquées dans le cadre du rapport sur l'application de la « loi Lagarde » de nos collègues Dini et Escoffier.
Concernant la responsabilisation des prêteurs, trois mesures ont souvent été citées par les associations de consommateurs et ont retenu notre attention.
Les deux premières concernent l'application effective de la « loi Lagarde ».
Il faut d'abord faire respecter l'obligation de remplir la fiche d'information, ou fiche de dialogue, imposée à tous prêteurs dans le cadre du crédit sur le lieu de vente ou par internet. Cette fiche est censée reprendre les revenus, les charges et les éventuels crédits de l'emprunteur et donc permettre une analyse de sa situation financière. Mais le constat est que cette fiche n'est souvent remplie que très sommairement. Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de permettre à la DGCCRF de procéder à des contrôles anonymes.
Toujours concernant les crédits sur le lieu de vente ou par internet, la DGCCRF devrait pouvoir, par le biais de ses contrôles, faire respecter l'obligation pour les organismes prêteurs de proposer un crédit amortissable à la place d'un crédit renouvelable. Là aussi, la pratique, et notamment une enquête d'UFC-Que Choisir, a montré que cette alternative au crédit renouvelable n'était que rarement proposée.
Enfin, nous sommes en faveur de l'interdiction des cartes de fidélité couplées avec une carte de paiement qui sont souvent le moyen de contracter, sans vraiment le savoir, un crédit renouvelable.
Concernant l'accompagnement des personnes en situation de surendettement, nos travaux et notamment notre visite au sein d'une commission de surendettement nous ont montré que la prise en compte de l'aspect social du problème du surendettement était essentiel. Le constat est en effet souvent le même : au-delà d'un contexte économique et social difficile, les personnes qui sont en grande difficulté financière ne connaissent pas les plus simples règles de gestion d'un budget. Par ailleurs, leur suivi social est insuffisant.
Là encore, nous rejoignons les propositions faites par Mmes Dini et Escoffier. Il est nécessaire d'introduire des modules d'éducation budgétaire dans le cadre scolaire, de développer des instruments de détection des personnes en difficulté financière et de proposer un accompagnement budgétaire à ces dernières.
Il faut également instaurer une réelle articulation entre procédure de surendettement et suivi social, notamment en développant l'accompagnement social lors de la procédure ou en imposant un suivi social en cas de redépôt d'un dossier en commission de surendettement. À cet égard, notre déplacement en Belgique nous a permis de prendre connaissance de leur système de médiation de dettes, qui semble beaucoup mieux intégrer la procédure de surendettement dans un suivi social.
Enfin, la nécessité de développer le microcrédit social a été régulièrement mentionnée par les interlocuteurs du groupe de travail. Par définition plus accessible que le crédit classique, malgré un taux souvent élevé, il constitue aussi un outil de prévention du surendettement.
Je vais vous présenter la contribution que nous avons préparée, Hervé Marseille et moi, au nom du groupe UDI-UC.
Le groupe de travail est partagé sur la nécessité d'aller ou non jusqu'à la création d'un fichier positif. Je vais essayer de vous indiquer quelle est notre position sur cette question.
Je vais commercer par les arguments opposés à la création d'un fichier positif.
S'agissant de la nécessité d'un recul suffisant sur la « loi Lagarde », cette loi avait pour objet d'améliorer et de moraliser le crédit à la consommation. Mais ce type ne crédit n'étant qu'une composante de l'ensemble de la problématique du mal-endettement, un répertoire ne permettra pas, même amélioré, de prendre en compte l'ensemble de la question du mal-endettement. Si cet argument est fondé, il n'est pas suffisant.
Le deuxième argument est que le répertoire ne serait pas efficace pour prévenir les « accidents de la vie ». Certes il y a davantage d'accidents de la vie et moins de crédit à la consommation, pour autant, le répertoire peut être un outil de prévention supplémentaire.
Troisième argument : l'atteinte aux libertés. Cet argument peut s'envisager sous différents aspects. Il y a en effet un certain paradoxe à demander, en lieu et place d'un fichier dont les informations seraient vérifiées et uniquement accessibles en cas de demande de prêt, dont le fonctionnement serait supervisé par la Banque de France, la production des trois derniers relevés bancaires dans lesquels toute votre vie privée apparaît. En termes de confidentialité, je préfère un fichier dont le mésusage par les prêteurs serait sanctionné, y compris pénalement, ce qui est tout de même plus sécurisant que trois relevés bancaires sur lesquels défile toute votre vie.
Pour ce qui est de la difficulté à trouver un identifiant fiable et à consulter le fichier en temps réel, un nombre conséquent d'acteurs bancaires importants ont jugé que des aménagements techniques du FICOBA pourraient permettre, pour un coût raisonnable, de mettre en place un identifiant fiable, largement partagé par toute la place financière et permettant à terme également une intégration du FICP. J'y reviendrai.
En ce qui concerne la question du coût, l'exemple de la Belgique et les extrapolations qu'il permet, ainsi que les estimations de plusieurs établissements bancaires permettent de relativiser certains chiffres avancés par les associations professionnelles, notamment les 525 à 820 millions d'euros en investissement et 37 à 76 millions d'euros en fonctionnement.
Au sujet de la proportionnalité, je m'associe à ce qui a été dit précédemment. Ce raisonnement ignore l'objectif principal de la création du fichier qui est un objectif de prévention. Quel intérêt de s'intéresser aux 900 000 personnes déjà en commission de surendettement ? L'intérêt est de faire de la prévention pour les quelques millions de personnes qui ne sont pas encore dans ce dispositif, notamment à l'égard de ces classes moyennes dont le « reste à vivre » est de plus en plus faible et qui risquent de basculer dans le surendettement. Doit-on attendre qu'elles soient tombées dans le surendettement ou bien se doter avec le fichier positif, même si ce n'est pas l'alpha et l'oméga, d'un outil utile de prévention, complémentaire de la démarche d'accompagnement social ?
J'en viens maintenant aux arguments en faveur du répertoire.
Se centrer sur le surendettement, c'est passer à côté d'un problème majeur pour les classes moyennes : la prévention du mal-endettement.
Un nombre grandissant d'acteurs économiques et sociaux y sont favorables : notaires, juges d'instances, associations familiales, associations accompagnant les personnes en surendettement comme la fondation Crésus. Les associations de terrain estiment que la création du fichier positif est indispensable.
Au niveau des prêteurs, il est temps de constater que des fichiers existent et que certains rapprochements de fichiers sont déjà pratiqués de fait. Ne vaut-il pas mieux avoir, comme en Belgique, un fichier public, qui rendrait le marché du crédit plus concurrentiel au profit des consommateurs ?
Je le redis : la présentation des trois derniers relevés de compte ne peut apporter les mêmes garanties qu'un répertoire national des crédits.
Sur la question de la protection des données personnelles et de l'identifiant, la position de la CNIL a abouti à focaliser le débat sur un NIR « haché », complexe et coûteux. Il est temps d'étudier d'autres options. Celle d'un FICOBA amélioré et disponible en temps réel doit être envisagée d'une manière plus approfondie. Le FICOBA est en effet l'un des plus gros fichiers bancaires, 100 millions de comptes y sont recensés et il est d'ores et déjà soumis à de fortes demandes d'évolution pour contrôler notamment l'accès à l'épargne réglementée. Sa fiabilité est désormais assurée. Depuis 1998, la DGFIP procède aux inscriptions à réception de la déclaration de l'établissement bancaire qui a procédé à l'ouverture du compte, sa modification ou sa clôture. Les éléments d'état civil des personnes physiques sont certifiés par l'INSEE, qui signale également à la DGFIP toute modification. Les données sont donc vérifiées et non plus fondées uniquement sur les informations enregistrées par l'établissement bancaire qui procède à l'ouverture du compte. En outre, les marges d'erreur sont gérables et là encore le besoin d'interrogation préalable pour un nombre croissant de produits bancaires va aider à en assurer la fiabilité. L'investissement sera nécessaire pour tout le système bancaire. L'administration fiscale, qui l'utilise pour un nombre toujours plus large de produits réglementés, n'a pas signalé d'erreurs significatives. Le FICOBA présente donc l'avantage d'être un outil existant et permettant d'être utilisable très rapidement.
En outre, la mise en place d'un répertoire national des crédits ne fait pas obstacle à un renforcement de l'accompagnement social en vue de prévenir les situations de mal et surendettement. À cet égard, il y a lieu de prendre en compte les propositions formulées par le rapport de nos collègues Dini et Escoffier, au nom de la commission sénatoriale d'application des lois sur la mise en oeuvre de la loi de juillet 2010.
Le répertoire est complémentaire de toutes les politiques de prévention des impayés, en particulier tout ce qui touche aux impayés de logement et d'énergie.
En conclusion, le rapport, même s'il ne débouche pas sur des préconisations concrètes du fait des positions contradictoires des membres du groupe de travail, plaide largement en faveur de la création d'un répertoire national des crédits. À l'évidence, il liste bien davantage de raisons de créer ce répertoire que d'objections vraiment majeures. Après vingt ans de tergiversations et devant la crise qui frappe particulièrement les personnes rencontrant des difficultés financières, il est urgent d'envisager positivement la mise en oeuvre de ce répertoire -ce à quoi les membres du groupe UDI-UC vont s'atteler afin de rendre cet outil efficace rapidement.
Deux éléments confortent cet objectif : les sanctions lourdes en cas de détournement du fichier positif et la consultation obligatoire de celui-ci par les prêteurs au risque de ne pas récupérer leur créance.
Je crois que la constitution de ce groupe de travail va enfin permettre de faire avancer les choses : on ne peut pas attendre 20 ans de plus ! Il faut agir en amont, sur l'accompagnement et la prévention sociale, afin de tarir le flux d'entrée dans le surendettement. Il convient à présent de choisir le système le plus efficient, en prenant garde à ne pas surcharger la Banque de France avec de nouvelles missions. Il est urgent d'agir : depuis deux ans, le nombre des personnes surendettées ou ayant des impayés de logement et d'électricité qui se présentent dans mon CCAS augmente sans cesse !
N'oublions pas les factures de télécommunications et les autres dépenses qui ne font pas partie du « reste à vivre » mais sont souvent très lourdes. La voiture, le téléphone et l'assurance prennent ainsi la première place alors que le loyer et l'électricité ne sont même plus des priorités. On voit plusieurs abonnements téléphoniques dans une même famille. Ce ne sont pas les foyers les plus aisés qui sont abonnés à Canal+... Il est vrai qu'une sortie au cinéma avec deux enfants revient à 40 euros !
En Belgique, le fichier est loin d'avoir coûté aussi cher que ce qui nous est annoncé pour sa mise en place en France. La population est certes plus importante dans notre pays mais les coûts ne sont pas proportionnels au nombre de personnes enregistrées dans le fichier. Le fichier belge ne coûte d'ailleurs rien au contribuable en fonctionnement, puisqu'il est financé par les consultations, au tarif de 50 centimes d'euros chacune. Six personnes suffisent à gérer le système quand la Banque de France nous parle de 20 à 50 employés. Les estimations qui aboutissent à un coût de 500 millions d'euros pour la mise en place d'un fichier en France sont sans doute exagérées. Par ailleurs, en ce qui concerne le problème de l'atteinte à la vie privée, le point fondamental sera le choix de l'identifiant.
Valérie Létard a parlé des évolutions du FICOBA, il faut creuser cet aspect face à la lourdeur de gestion du « double hachage ». C'est l'identifiant qui peut être attentatoire à la liberté.
Je remercie nos collègues pour ce rapport spécial du fait de sa dimension dialectique forte : il expose le pour du contre et le contre du pour... Il y a tous les éléments pour se faire une opinion, c'est une contribution utile puisque le Gouvernement prépare un texte. En tout état de cause, le statu quo est impossible.
Nous sommes dans une société où la marchandise est partout. Je ne jetterai donc pas la pierre à ceux qui consomment, d'autant que les parents se sentent souvent obligés d'acheter des produits de marque à leurs enfants pour que ceux-ci ne soient pas méprisés par leurs camarades. Il y a une tendance générale contre laquelle il est aisé d'avoir des pensées vertueuses mais plus difficile d'agir.
J'ai cru comprendre que le Gouvernement allait nous proposer un fichier : ce que nous venons de dire permettra de l'encadrer. Tout ce qui a été dit doit nous aider à réfléchir. Enfin, « la loi Lagarde » n'est pas réellement appliquée. Nous avions été plusieurs, avec notamment Nicole Bricq, à demander une stricte séparation, dans les commerces, entre ce qui relève de la ristourne commerciale et ce qui relève du crédit. L'acte d'achat doit être clairement distingué de l'acte consistant à souscrire un crédit. Or cette séparation entre carte de fidélité et carte de crédit n'est toujours pas effective.
On ne peut pas aujourd'hui prendre d'autre décision que d'autoriser la publication du rapport.
Avons-nous une idée du contenu du projet de loi en cours de préparation ?
Benoît Hamon a fait savoir par un communiqué qu'il était favorable à la création d'un fichier positif.
Je rends hommage aux rapporteurs et je vais soumettre la publication du rapport à votre approbation. Espérons qu'il ne nous faille pas attendre 20 ans de plus pour voir ce problème résolu !
La commission des affaires économiques et la commission des lois autorisent la publication du rapport d'information sur le répertoire national des crédits aux particuliers.