Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède à l'examen du rapport et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi n° 682 rectifié (2011-2012), de M. Philippe Marini, pour une fiscalité numérique neutre et équitable.
La fiscalité de l'économie numérique est au coeur de la construction des nouveaux modèles économiques de croissance. Les distorsions de concurrence et les stratégies d'optimisation fiscale des grands groupes de l'Internet, le danger que représente la concurrence déloyale des acteurs basés dans les pays à fiscalité réduite sont une préoccupation majeure des acteurs de l'économie numérique.
Philippe Marini a été à l'initiative du travail d'information engagé par notre commission depuis 2009, il l'a porté dans la durée et l'a enrichi par plusieurs rapports successifs pour aboutir à la présente proposition de loi. Avoir inscrit cette problématique au coeur du débat public et institutionnel est un premier succès, pour lui et pour le Sénat.
De son côté, le Gouvernement a lancé, en juillet dernier, une mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique chargée de faire des propositions en matière de localisation et d'imposition des bénéfices, du chiffre d'affaires ou, éventuellement, sur d'autres assiettes taxables. Nous en avons auditionné hier les auteurs.
Sur le plan international et européen, le Gouvernement s'est associé à la saisine de l'OCDE, en novembre dernier, sur la question de la territorialité des bénéfices et de l'érosion des bases fiscales, et de la Commission européenne afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales dans le domaine de l'économie numérique. Très techniques, les questions soulevées s'insèrent dans un environnement juridique national, européen et international complexe.
Pour M. Marini, « la neutralité est la taxation, quelle que soit la technologie employée pour une même fonction et l'équité est le traitement selon des règles du jeu communes des agents économiques lorsqu'ils interviennent sur un même secteur ». La question fondamentale n'est pas celle du financement de tel ou tel secteur - culture, réseaux numériques ou collectivités territoriales - même si la proposition de loi ne ferme pas pour autant la réflexion sur l'affectation de ces recettes fiscales.
La taxation de la publicité est une pratique de droit commun qui s'applique déjà aux médias télévisuels ou radiophoniques. Pour Philippe Marini, rien ne justifie que la publicité sur Internet échappe à un prélèvement supporté par les médias traditionnels. De même, les services de commerce en ligne ne sont pas soumis à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom). S'agissant de l'équité fiscale, les acteurs de l'économie numérique font remarquer qu'ils sont concurrencés par des sites Internet basés à l'étranger qui n'acquittent ni les mêmes charges en matière de TVA et d'impôt sur les sociétés, ni les taxations spécifiques destinées à financer l'industrie cinématographique, l'audiovisuel public, les réseaux et les collectivités locales. Aussi la proposition de loi étend-elle aux acteurs basés à l'étranger, au moyen d'une obligation déclarative, des dispositifs fiscaux applicables jusqu'ici aux seules entreprises françaises.
Le texte institue une obligation de déclaration d'activité par les acteurs de services en ligne basés à l'étranger au-delà de certains seuils, l'entreprise pouvant opter pour la désignation d'un représentant fiscal, sur le modèle des sites de jeux en ligne, ou pour le régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique.
Le texte prévoit également une série de taxations : taxe sur la publicité en ligne, taxe sur les services de commerce électronique (Tascoé) et taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public.
La taxe sur la publicité en ligne s'appliquerait dorénavant aux régies, et non aux annonceurs comme dans la version votée en 2010, afin que les acteurs étrangers soient redevables au même titre que les régies françaises. Son taux serait de 0,5 % sur la fraction comprise entre 20 et 250 millions d'euros, et de 1 % au-delà. Il ne s'agit pas d'une mesure de rendement : le gain fiscal escompté serait inférieur ou égal à 20 millions.
La Tascoé concerne la vente aux particuliers. Elle ne s'applique pas lorsque le chiffre d'affaires annuel du prestataire du service de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros ; son taux est de 0,25 %, assis sur le montant hors taxe du prix acquitté. Pour épargner les commerçants opérant à la fois dans la grande distribution et en ligne, le montant acquitté serait déductible de la Tascom dans la limite de 50 %. Le rendement de la Tascoé pourrait atteindre 100 millions d'euros dès 2013 et 175 millions d'euros en 2015. Son produit serait affecté au bloc communal pour compenser le préjudice causé aux territoires par l'érosion du commerce physique.
Pour rétablir l'équité fiscale entre acteurs français et étrangers, la proposition de loi étend aux acteurs du Net établis hors de France la taxe sur la fourniture de vidéogrammes à la demande (VOD). Le rendement actuel de cette taxe est limité : 32 millions d'euros. Les professionnels auditionnés sont dans l'ensemble favorables à ce dispositif, qui n'implique aucune charge supplémentaire pour les entreprises établies en France.
Enfin, la proposition de loi prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement évaluant l'impact sur les finances publiques des pratiques d'optimisation fiscale de certains acteurs de l'économie numérique basés à l'étranger. Le rapport de la mission confiée à MM. Collin et Colin satisfait largement cette demande.
L'auteur de la proposition de loi défend « l'idée de jeter les bases de la fiscalité numérique d'abord sur le plan national car, même incomplète, elle préfigurerait l'adoption d'une taxation plus globale au niveau européen ». Le Gouvernement et la mission d'expertise de MM. Collin et Colin poursuivent clairement le même objectif.
Dès lors, quel dispositif adopter ? La mission d'expertise dresse un état des lieux de l'inadaptation de la fiscalité directe et indirecte. L'érosion des bases d'imposition justifie l'urgence d'agir aux niveaux européen et international.
La mission souligne que les grandes entreprises de l'économie numérique ont pour point commun l'exploitation intense des données issues du suivi systématique de l'activité de leurs utilisateurs. Les données personnelles sont la ressource essentielle de l'économie numérique ; leur collecte est rendue possible par le travail gratuit que fournissent les utilisateurs, à leur insu ou volontairement. La mission propose dès lors de créer de nouvelles assiettes fiscales reposant sur ces données. Elle considère que la collecte de celles-ci est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement ; il s'agit d'inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d'intérêt général tels que la protection des libertés individuelles, l'innovation sur le marché de la confiance numérique, l'émergence de nouveaux services.
Cette fiscalité incitative reposerait sur le principe du « prédateur-payeur ». Seraient concernées les entreprises françaises comme les entreprises non établies sur notre territoire. Pour ces dernières, la mission d'expertise propose que l'objectif de protection des libertés individuelles soit considéré comme un motif d'intérêt général suffisant pour justifier une restriction à la libre prestation de services au sein de l'Union européenne.
Toutefois, la taxation de la collecte et l'utilisation des données ne paraît pas immédiatement opérationnelle. Quelles données, personnelles ou non, le dispositif concernera-t-il ? Comment sera fixée la valeur de ces données ou de leur traitement afin de déterminer l'assiette d'imposition ? Qui seront les redevables ? À partir de quel volume de données et pour quelles utilisations ? L'objectif d'intérêt général invoqué sera-t-il suffisant pour justifier une dérogation à la libre circulation des biens et services ? À ce stade, il conviendra de solliciter l'avis de la Commission européenne. Le rapport de la mission d'expertise n'avance aucun chiffrage, aucune modalité de recouvrement. Ces propositions ne constituent pas en l'état une alternative opérationnelle à la proposition de Philippe Marini.
En outre, les critiques formulées à l'encontre de la taxation de la publicité en ligne et du commerce électronique peuvent être transposées à la taxation de la collecte et l'utilisation des données. En effet, la fiscalisation des données affecterait les acteurs français sans que l'efficacité de la procédure déclarative applicable aux acteurs étrangers soit assurée. La mission propose d'ailleurs que les entreprises quantifient elles-mêmes, sous le contrôle de l'administration fiscale, le volume de données qu'elles collectent et exploitent, ce qui conforte le principe de procédure déclaratoire proposée par M. Marini. Les arguments en faveur de la taxation des données (seuils d'assujettissement et phase d'expérimentation) reprennent ceux qu'il a avancés : ainsi, la taxe sur la publicité en ligne prévoit déjà un barème progressif d'imposition.
Il me semble prématuré de porter un jugement définitif tant sur les propositions de Philippe Marini que sur celle du rapport de la mission d'expertise. Ces deux approches prônent l'élaboration d'un droit national propre à peser dans les négociations internationales et le rapport de force avec les multinationales de l'Internet. Si la proposition de loi se veut concrète et opérationnelle, le rapport de la mission apparaît davantage académique, technique et prospectif. Or, la date d'examen de la proposition de loi est trop précoce pour que ce travail puisse concrètement aboutir à une solution opérationnelle et être comparée aux dispositions proposées par Philippe Marini.
Il est nécessaire de prolonger la réflexion. Les trente nouveaux membres du Conseil national du numérique, qui devra donner un avis sur ces propositions, ont été nommés le 18 janvier dernier ; le rapport Lescure sur les contenus numériques sera remis en mars ; enfin, il faudra tenir compte des décisions que prendra le G20 sur la base du rapport de l'OCDE. Quelles sont les intentions et les projets du Gouvernement ? Au bénéfice de ces observations, je vous proposerai une motion de renvoi en commission de la proposition de loi.
La commission du développement durable n'a pas achevé ses travaux sur ce texte. Nous avons été agréablement surpris de voir que la question de la fiscalité numérique devenait un axe de travail important de la commission des finances. Il faudra y travailler encore, pour éviter que la régulation de l'économie de marché par la taxation que vous proposez ne vienne contrarier l'écosystème numérique que le Gouvernement et les collectivités territoriales s'efforcent de bâtir, dans un contexte de financements tendus. Nous devons couvrir le territoire en fibre optique si nous voulons que la Nation retrouve compétitivité et attractivité.
Il est dès lors nécessaire de mieux contrôler la captation de richesses par les grands réseaux internationaux, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). L'Etat-nation doit se doter d'outils de régulation pour éviter une captation de richesse. La réflexion doit se poursuivre, les propositions du rapport de MM. Collin et Colin méritent d'être creusées. La commission du développement durable souhaite que le produit d'éventuelles taxes soit affecté au budget de l'Etat pour permettre aux collectivités territoriales d'apporter leur pierre à la couverture du territoire en fibre optique.
Je n'ai aucun amour-propre d'auteur sur le texte que je propose : l'important est que le sujet avance, s'impose et que nous trouvions les voies raisonnables pour traiter cette question fondamentale, qui doit transcender les clivages.
ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. - Nous partageons le même objectif. Monsieur Marini, vous contribuez depuis des années à la prise de conscience, par le Parlement et par nos concitoyens, du changement radical que connaît notre économie et de la nécessité d'adapter notre fiscalité à ces bouleversements. Votre engagement est ancien, votre expertise reconnue. En 2010, vous faisiez adopter par le Parlement la « taxe Google ». Dans la foulée du rapport Zelnik, vous aviez déposé un amendement au collectif budgétaire en février 2010, puis à nouveau en décembre afin de taxer à 1 % les investissements publicitaires en ligne réalisés en France. Cela étant, la taxe a finalement été abrogée avant d'entrer en vigueur. Depuis, vous vous êtes attaché à trouver d'autres moyens de faire contribuer les géants du Net aux recettes fiscales.
Il est en effet urgent d'assujettir les grands acteurs internationaux du numérique aux impôts acquittés par toute entreprise qui commerce en France. La fiscalité est un facteur structurant, non seulement pour préserver les recettes de l'Etat mais aussi pour protéger notre tissu économique et la compétitivité des acteurs européens du numérique face aux distorsions de concurrence. De fait, les grands opérateurs du Net, américains notamment, échappent à la fiscalité de droit commun grâce à des montages juridiques.
Dès juillet 2012, j'ai donc demandé à Pierre Collin et Nicolas Colin de réaliser un constat objectif des impôts et taxes qui pèsent aujourd'hui sur les acteurs de l'économie numérique. Il fallait cesser de centrer le débat sur les problématiques culturelles, car le glissement de valeur provoqué par la dématérialisation de l'économie touche tous les secteurs. Le Gouvernement a en outre chargé les rapporteurs de formuler des propositions d'évolution du droit afin de taxer les opérateurs fournissant des biens et services à des consommateurs français. Il fallait mettre fin à la rupture d'équité fiscale entre les acteurs.
Le rapport remis le 18 janvier 2013 dresse un panorama inquiétant. Ni notre fiscalité domestique, ni les règles internationales ne répondent aux problématiques de l'économie numérique. Les règles en matière de domiciliation fiscale des entreprises n'ont plus d'accroche sur des entreprises à l'activité dématérialisée, il y a un décalage entre le lieu où se crée la valeur et celui où celle-ci est monétisée. Dès lors, il convient de revenir sur la notion d'établissement stable si l'on veut pouvoir imposer des résultats sur nos territoires.
Les règles en vigueur au niveau européen ne luttent pas davantage contre les comportements d'optimisation. Les entreprises du Net peuvent en effet choisir l'Etat dans lequel elles établissent leur siège tout en commerçant dans d'autres Etats. Faute de règlement pour lutter contre les délocalisations de bénéfices vers les paradis fiscaux, certains membres de l'Union européenne ont facilité les stratégies de délocalisation de multinationales : ce sont les fameux « Etats tunnels », qui n'ont pas de dispositif de rapatriement des bénéfices ou de retenue à la source sur les redevances versées à l'étranger. Ainsi est né le « sandwich hollandais », parfois agrémenté à la sauce irlandaise, qui a été médiatisé ces derniers mois avec l'exemple de Google. Ces pratiques sont légales, sauf à démontrer que les activités sont effectivement réalisées sur notre territoire, ce qui suppose un contrôle fiscal.
Plus encore, le rapport de MM. Collin et Colin démontre que les géants du Net ont mis en place des schémas d'optimisation pour réduire leur taux effectif d'impôt sur les sociétés. De tels comportements, scandaleux et moralement inacceptables, ont des conséquences fiscales et économiques. Ces multinationales peuvent ainsi consacrer tous leurs efforts à l'investissement. L'écart lié à l'absence de fiscalité entraine un véritable écart de compétitivité, qui handicape le développement d'acteurs européens. En période de crise, il est inacceptable que certains tirent de la ressource des citoyens européens sans jamais participer aux recettes fiscales ni au financement des réseaux et des contenus : c'est un avantage comparatif exorbitant.
La volonté d'agir progresse. Après l'opinion publique britannique, d'autres pays se mobilisent, comme l'Italie ou l'Espagne. Une prise de conscience s'opère : derrière la fiscalité se cache un enjeu de souveraineté et de développement de notre propre économie. Les Etats-Unis eux-mêmes sont engagés dans la démarche BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE pour mettre fin aux stratégies d'évasion fiscale dont ils souffrent également.
Le Gouvernement compte mettre en oeuvre un plan d'action et peser sur les négociations internationales afin de faire émerger une définition de l'établissement stable qui convienne aux entreprises dont l'activité est purement numérique.
La proposition de loi du président Marini instaure une obligation de déclarer et de payer les taxes soit par l'intermédiaire d'un représentant fiscal établi en France, soit selon le régime spécial de déclaration des services par voie électronique. Cette proposition a l'avantage d'asseoir les prélèvements sur notre territoire. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne exige un motif ayant trait à l'ordre public pour justifier l'obligation de désigner un représentant fiscal. Par ailleurs, je remarque que le portail informatique de déclaration de la TVA pour les prestataires hors Europe n'a pas atteint, loin s'en faut, sa pleine efficacité.
Le rapport de MM. Collin et Colin propose une piste : partir de la collecte des données, sur laquelle repose la création de valeur, pour donner une nouvelle territorialité à l'établissement stable. Notre stratégie de protection des données personnelles pourrait, à terme, justifier d'imposer une représentation en France aux entreprises qui collectent des données. Il faudra toutefois avancer un motif qui dépasse la simple considération administrative pour faire accepter cette obligation au niveau européen - je vous renvoie à la récente décision sur les sociétés d'assurance en Belgique.
M. Marini propose une taxe sur les publicités en ligne, sur le modèle de celle créée par l'article 27 de la loi de finances pour 2011. La nouveauté est de taxer les régies publicitaires et non plus les annonceurs. Ces derniers avaient en effet été à l'origine de la suppression de la taxe Google, car ils estimaient qu'elle pénalisait exclusivement les annonceurs français. Le Gouvernement n'est pas favorable à cette nouvelle taxe, qui sera inévitablement répercutée sur les annonceurs. On risque notamment de frapper les PME qui accèdent au marché publicitaire grâce à des coûts d'entrée très bas. Nous avons d'ores et déjà de nombreuses taxes sur la publicité. Ne manquons pas la cible des géants du Net tout en alourdissant la fiscalité sur des acteurs français déjà fragiles. Il faudrait préciser la définition de la régie publicitaire comme celle de l'audience. Difficile pour une régie d'évaluer la part des sommes versées par l'annonceur afférente à des services dont l'audience est réalisée en France. L'obligation de désigner un représentant fiscal est contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Enfin, comment recouvrer cette taxe pour les entreprises hors Union européenne ?
M. Marini propose ensuite une taxe sur les services de commerce électronique. Là encore, on taxerait des acteurs français sans que l'Etat ait les moyens de taxer les entreprises ayant leur siège à l'étranger. Cette taxe serait déduite de la TASCOM pour ne pas alourdir les prélèvements pesant sur des acteurs déjà soumis à la fiscalité de droit commun. Une telle différence de traitement entre résidents et non-résidents n'est sans doute pas euro-compatible. De surcroît, la taxe pèserait sur les acteurs de la vente à distance, alors que leur transition technologique vers l'offre en ligne est indispensable à leur survie. Les acteurs de ce secteur, comme la plupart des représentants du commerce physique, s'inquiètent à juste titre de ce projet. En l'état, le Gouvernement y est défavorable.
Enfin, le texte étend aux opérateurs établis à l'étranger la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes, qui est affectée au Centre national du cinéma. Une telle extension parait pertinente, mais difficile à mettre en oeuvre, l'administration ne disposant d'aucun élément de recoupement pour estimer les recettes. Celle-ci sera en revanche possible à compter de 2015, avec le changement de territorialité et le guichet unique de TVA. À échéance 2013, une telle extension semble prématurée.
En définitive, le Gouvernement est favorable au renvoi en commission, car les propositions ne sont pas mûres à ce stade. Cela étant, nous expertiserons toutes les taxations qui sont évoquées : la taxe sur les données personnelles proposée par le rapport de MM. Colin et Collin, la taxe au clic, la rémunération de l'usage de bandes passantes.
Cette proposition de loi vient à point nommé, au moment où le Gouvernement lance une nouvelle séquence d'action. Elle servira de point d'appui. Je viendrai volontiers vous rendre compte des avancées sur ce sujet essentiel ; il en va de notre compétitivité et de notre souveraineté.
L'audition hier de MM. Collin et Colin nous a inspiré une réaction de vive estime pour cette mise en perspective internationale brillante et pédagogique. Ils ont mis en évidence les évolutions en cours aux Etats-Unis, où s'est imposée la sales tax, qui ressemble à la taxe sur la vente par les réseaux électroniques que je propose.
Comment nous situons-nous dans le droit communautaire ? La loi de 2010 sur les paris en ligne a, pour la première fois, conçu un dispositif opérationnel pour faire rentrer des sites étrangers dans la légalité, via la technique du représentant fiscal. C'est un élément de comparaison utile. MM. Collin et Colin ont repris cette problématique en proposant une taxation des données, justifiée par l'enjeu en matière de libertés publiques. J'ai soutenu qu'une telle représentation fiscale pouvait se justifier par la simple poursuite de l'intérêt général communautaire, c'est-à-dire des objectifs de la politique de la concurrence. Paradoxalement, c'est dans l'Union européenne, fondée sur un droit exigeant de la concurrence, que les positions dominantes sont les plus écrasantes.
La proposition de MM. Collin et Colin est-elle susceptible à vos yeux de déboucher sur un texte fiscal opérationnel ? Notre rapporteur estime qu'il faudrait pour cela définir un taux, une assiette, des conditions de contrôle et de déclaration, sans parler de l'affectation. Pensez-vous qu'un texte puisse prochainement être examiné par le parlement, et dans quel délai ?
Impossible de trouver une solution avec les instruments fiscaux actuels, TVA ou impôt sur les sociétés : nous devons être créatifs. À défaut d'un impôt dont l'assiette serait évaluée à l'échelle européenne, avec répartition au prorata des chiffres d'affaire réalisés dans chaque pays, il nous faut trouver une solution nationale. Les autres pays nous regardent.
L'idée de taxer l'utilisation des données personnelles est inédite. Nous avons saisi la direction de la législation fiscale pour qu'elle examine les modalités concrètes que pourrait prendre une telle taxation et pour en estimer le rendement. Le rapport de MM. Collin et Colin a dessiné des axes innovants ; aux services désormais d'expertiser ces pistes. Il ne faut pas se tromper de cible et imposer une nouvelle couche de fiscalité à nos acteurs locaux. L'objectif est bien de rétablir la neutralité et l'équité fiscales, dans le respect des principes communautaires.
La commission des finances souhaite que ce sujet aboutisse rapidement : le manque à gagner fiscal augmente en même temps que le risque pour les acteurs nationaux. L'optimisation pratiquée par Google peut décourager les initiatives sur notre territoire et mettre en danger certains opérateurs. Il en va de la préservation des forces économiques en France.
La proposition de Philippe Marini contribue à dégager des orientations utiles. Certains points méritent d'être approfondis, ce que permettra un renvoi en commission pour quelques semaines ou quelques mois. La proposition de loi pourrait être musclée et servir de base à un travail conjoint avec vos services. Nous souhaitons aboutir rapidement, d'autant que la mise en place d'une fiscalité innovante appellera des arbitrages et des concertations à l'échelle européenne. La commission des finances sera à l'avant-garde, cette avancée est nécessaire afin de préserver les équilibres pour l'avenir.
Dans la déclaration franco-allemande publiée hier pour les 50 ans du traité de l'Elysée, figure, à la demande de la Chancelière, un petit alinéa qui semble appuyer l'intention allemande de mettre en oeuvre un régime juridique protégeant les contenus captés par les moteurs de recherches ou les agrégateurs de données. C'est une voie non fiscale, mais qui touche à notre sujet. Pouvez-vous nous en dire un mot de commentaire ?
Des pressions s'exercent de plusieurs côtés sur certaines grandes entreprises du Net - sur une en particulier. Nous avons engagé une médiation entre les acteurs de la presse et Google à la suite du projet de loi déposé en Allemagne pour établir un nouveau droit voisin sur l'utilisation des contenus des articles de presse par les moteurs de recherches. Cette médiation se conclura à la fin du mois. Le président de la République a annoncé qu'en cas d'échec, nous pourrions légiférer.
Je suis réticente à aborder la question de la répartition de la valeur ajoutée sous le seul angle des contenus culturels et intellectuels. Le sujet est bien plus vaste. Google vient de publier son bénéfice annuel net : 10 milliards de dollars pour un chiffre d'affaires mondial de 100 milliards de dollars. Sur ces montants considérables, Google ne paye même pas 5 % d'impôt sur les sociétés.
Indépendamment des questions fiscales, se pose celle de la concurrence. Ces entreprises ont en effet une stratégie de déploiement latéral : à partir d'un monopole sur les services de recherche, elles développent peu à peu des activités de commerce en ligne, d'agence de voyage, etc. En modifiant son algorithme de recherche le 15 août dernier, Google a littéralement balayé des sites français du marché. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une procédure européenne pour abus de position dominante a été enclenchée : des acteurs ont disparu dans les deux ou trois heures suivant la mise en place de ce nouvel algorithme. Et demain, d'autres industries seront touchées : Google produit des google cars, va sur le marché de l'électricité, déploie de la fibre optique dans le Kansas... Ces entreprises remontent petit à petit la chaîne des valeurs, pour capter l'ensemble de la valeur ajoutée, depuis la production des contenus jusqu'aux consommateurs.
L'urgence à agir est grande et je partage vos préoccupations pour des raisons fiscales mais également de concurrence : comment nos acteurs locaux peuvent-ils développer des modèles alternatifs ? Aborder ces questions sous un angle particulier, que ce soit celui des droits d'auteur ou du droit de la presse, me semble risqué : après la presse, nous aurons les jeux vidéo, la bande dessinée, la photographie... Nous n'avons pas intérêt à morceler le débat, même si des solutions temporaires peuvent être envisagées.
Le sujet est d'actualité : nous auditionnions hier les auteurs du rapport de la mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique, et sur l'impact, que nous n'avions pas perçu aussi finement, de la révolution numérique. Le président Marini le signale depuis plusieurs années, je lui en donne acte.
Sur le plan économique, vous mettez en évidence, et les propos de la ministre vont également dans ce sens, la captation des marges des entreprises de production par les entreprises de services de l'économie numérique. Sur le plan fiscal, la structuration de ces entreprises se distingue par un faible niveau d'imposition. Mettant en oeuvre une stratégie d'optimisation fiscale, elles échappent grâce à leur localisation, à l'impôt dans les lieux où elles réalisent leurs affaires.
Il y a une difficulté réelle pour appréhender et définir précisément la nature des bases d'imposition. Le rapport d'expertise sur l'économie numérique précise que le droit fiscal, tant national qu'international, peine à s'adapter à la révolution numérique. Il convient dès lors de prendre certaines précautions, de trouver des alliances.
La proposition de loi et le rapport poursuivent un but identique avec des moyens différents. Le rapport préconise une fiscalité liée à l'exploitation des données issues du suivi des utilisateurs sur le territoire national. Ses rapporteurs estiment que l'impôt sur les sociétés serait plus adapté - à condition qu'il soit possible d'adapter la notion d'établissement stable aux spécificités de l'économie numérique.
La proposition de loi propose deux taxes, une sur le commerce en ligne, l'autre sur la publicité en ligne, et l'extension aux opérateurs étrangers de la taxe relative à la vidéo à la demande.
Ces réponses sont de nature différente, et l'on peut supposer que le Gouvernement est actuellement plongé dans l'étude des propositions du rapport sur l'économie numérique. Dans ces conditions, et étant donné l'importance du sujet, le renvoi en commission me semble justifié, sous réserve qu'il n'empêche pas le Gouvernement d'intégrer la problématique et son urgence. Avançons vers une solution.
Cette réunion a le mérite d'apporter un regard concret et pratique. Je salue l'initiative de cette proposition de loi : même si elle est un peu incomplète, elle a le mérite de poser clairement les questions, de remettre au coeur du débat le principe d'équité fiscale et de mettre en évidence les pratiques d'évasion fiscale - cela nous renvoie aux travaux de la commission d'enquête de l'an dernier. A ce titre, je partage le constat que certains aspects ne sont pas traités : le financement de la culture, les droits d'auteur, ou encore la captation de la valeur des oeuvres par Google sans contrepartie financière. Je me rallie, avec mon groupe, au renvoi en commission pour approfondir ces sujets.
Nous touchons également une dimension européenne. A cet égard, je me félicite du courrier adressé en novembre dernier par MM. Moscovici et Cahuzac à MM. Barnier et Semeta, dont un paragraphe sur l'économie numérique aborde la réflexion sur la territorialité des bénéfices et s'inspire pour partie des préconisations de la commission d'enquête.
Nous nous rendons lundi prochain à Bruxelles avec le rapporteur général pour rencontrer les cabinets des commissaires à la fiscalité et à la concurrence, ainsi que celui du commissaire Barnier. Nous les questionnerons donc sur ces sujets.
Apparemment, nous avons les plus grandes difficultés à mesurer ce qui se passe en France et à taxer ce qui devrait l'être. J'entends parler d'une taxe sur le nombre de clics ou sur l'utilisation de la bande passante : cela me paraît bien compliqué. J'ai une idée simple, peut-être saugrenue : lorsqu'un bien est acheté sur Internet, il y a bien un compte qui est débité, un autre crédité. A-t-on envisagé de demander aux banques françaises d'utiliser un tiers de confiance pour opérer un prélèvement immédiat de la TVA ? J'ai l'impression qu'on commence par chercher à récupérer l'argent à l'étranger. A-t-on pensé à inverser le problème ?
Tout le monde dit qu'il faut aller vite. Quel est le calendrier du Gouvernement ?
Le prélèvement de la taxation directement auprès du compte bancaire pose des problèmes d'identification. De nombreux sites, y compris français, proposent d'utiliser Paypal, qui est domicilié au Luxembourg. Rares sont les sites où le débit est direct entre le consommateur et le vendeur. En général, le paiement passe par une banque, et il est difficile de connaître le siège de l'e-commerçant bénéficiaire de l'achat.
En outre, nous sommes tenus par le calendrier européen de la TVA : les Etats seront tenus de déclarer la TVA afférente aux transactions effectuées par les services en ligne sur leur territoire à partir de 2015 - ce ne sera plus le siège d'établissement qui déterminera le taux applicable. Le dispositif entrera progressivement en application de 2015 à 2019. L'inversion et le prélèvement de la TVA dans le pays du consommateur pour les services en ligne sont prévus à compter de 2015. Anticiper cette date est difficile, la décision ayant été prise à l'unanimité.
Les opérateurs de télécoms peuvent mesurer beaucoup de choses sur la bande passante. Des acteurs comme Dailymotion payent déjà l'interconnexion avec les opérateurs, pour l'utilisation de la bande passante avec un bon niveau de qualité de service. Google le ferait avec certains des opérateurs. Même si de tels accords sont très confidentiels, il y a bien une facturation à l'octet utilisé dans le cadre des accords de peering payant. Nous explorerons toutes ces possibilités. Sur tous ces sujets, nous sommes impatients : il faut arriver à taxer ces 100 milliards de chiffre d'affaires.
Nous allons immédiatement saisir le Conseil national du numérique du rapport de MM. Collin et Colin pour que les acteurs du secteur expriment leur avis. Nous devrions vous présenter le résultat de cette concertation après l'été, l'instruction par les services intervenant simultanément. Nous devons tenir compte à la fois du calendrier international et de celui de l'OCDE. En février, les conclusions des groupes de travail de l'OCDE sur l'érosion des bases et le transfert des profits seront présentées au G20, qui est une bonne instance pour faire avancer ces sujets. Les services de l'OCDE ont bon espoir d'arriver rapidement à une définition de l'établissement stable numérique. Leur calendrier est ambitieux, puisqu'il vise 2014, voire 2013. Restera à définir l'économie numérique. Nous pourrons alors modifier les conventions fiscales bilatérales.
Le rapporteur propose le renvoi en commission. La discussion générale aura lieu le 31 janvier. D'ici là, les réflexions auront peut-être un peu progressé.
La motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi est présentée dans un esprit d'ouverture, pour que la proposition de loi continue à vivre et soit, le moment venu et à l'issue des travaux complémentaires, réinscrite à l'ordre du jour du Sénat ou associée à l'examen d'un éventuel projet de loi. Idéalement, une telle mesure fiscale a vocation à être examinée dans le cadre d'une loi de finances plutôt que dans celui d'une proposition de loi.
Il s'agit, tout en respectant le dispositif présenté par Philippe Marini, de préserver le temps nécessaire au Parlement comme à l'exécutif, pour étudier des solutions complémentaires ou alternatives, parmi lesquelles l'idée d'une taxation de la collecte et de l'exploitation des données. Il y a urgence, la volonté est là, et une certaine unanimité semble se dégager : les choses doivent avancer.
La commission vote à l'unanimité la motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable.
En conséquence, elle n'adopte pas de texte. En application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.
La commission procède enfin au dépouillement, simultané au sein des commissions des finances des deux assemblées, du scrutin sur la proposition de nomination du directeur général de la Banque publique d'investissement.
MM. Philippe Dallier et Claude Haut, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.
Mes chers collègues, voici le résultat du vote :
- Nombre de votants : 21
- Blancs : 7
- Suffrages exprimés : 14
- Pour : 14
- Contre : 0
Ce vote sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
La commission émet un avis favorable à la nomination de M. Nicolas Dufourcq en tant que directeur général de la Banque publique d'investissement.