Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Bernard Amsalem et Ghani Yalouz prêtent serment.
En préambule, je tiens à signaler que vous nous avez demandé un certain nombre de documents et de statistiques, dont certaines requièrent un travail de recherche dans les archives : nous vous les transmettrons dans les prochains jours.
En 2012, la fédération d'athlétisme a procédé à 1 021 contrôles antidopage directement, en compétition et hors compétition. Dans ce cadre, dix-sept licenciés ont connu une procédure disciplinaire, dont quatre sportifs de haut niveau. Deux dossiers n'ont pas eu de suites, notamment parce qu'il s'agissait de cas de blessures avec autorisation d'usage thérapeutique (AUT). Les deux autres, en revanche, ont été suspendus pour dopage ; nous avons d'ailleurs, pour l'un d'eux, qui était récidiviste, formulé la sanction la plus lourde qui, je crois, ait jamais été prise par une fédération : une suspension de dix ans, ce qui équivaut à la fin de la carrière de ce sportif.
Les treize autres sont plus anonymes et appartiennent aux licenciés qui pratiquent l'athlétisme en loisir. Au global, quatre sanctions étaient liées à l'EPO.
Je préconise depuis de nombreuses années une évolution de la lutte antidopage. Contrairement à beaucoup de fédérations, nous avons, à la fédération française d'athlétisme (FFA), pris le taureau par les cornes : le sujet du dopage ne doit pas être tabou. Depuis 2006, il y a une prise de conscience et une attention croissante à ce problème. Ainsi, nous nous sommes rapprochés des services de la Gendarmerie (OCLAESP) et de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ; nous avons ainsi une meilleure connaissance des produits, des circuits et des traitements « biologiques » qui préparent à l'amélioration de la performance.
Passionné de statistiques de la performance, j'ai, à titre personnel, observé les évolutions des athlètes de l'équipe de France et je suis attentif aux progressions erratiques, aux pics de performance qui, notamment lorsqu'ils se produisent en fin de carrière, à un âge avancé, sont suspicieux.
En 2006-2007, nous avons suspendu environ douze athlètes en améliorant le contrôle sur la durée, en étant plus présents sur les stages, notamment les stages individuels ou collectifs non encadrés par la fédération.
Depuis six ans, nous mettons en place des campagnes de prévention, avec des affiches, des brochures et l'organisation régulière de colloques, environ vingt interventions par an sur le territoire, auxquels sont associés les entraîneurs, les dirigeants de clubs, les athlètes de haut niveau, parfois anciens dopés repentis, ainsi que, parfois, des représentants de l'AFLD.
Cependant, nous nous posons un certain nombre de questions sur la pertinence de la réglementation.
Nous avons un exemple récent : un athlète français a récemment gagné le marathon de Daegu (Corée du Sud) avec l'un des meilleurs temps mondiaux. Or, il est suspendu par la fédération française non pour raison de dopage, mais dans le cadre du suivi médical : le médecin de la fédération, qui a observé des irrégularités sur les paramètres et sans me préciser exactement ce qu'il en était - en l'occurrence, nous avons des suspicions de dopage -, nous a demandé de le suspendre, ce que nous avons fait. Mais cette suspension n'a pas de portée au-delà du territoire national, et ne l'empêche pas de concourir à Daegu.
Peu de pays ont une réglementation spécifique sur le suivi médical, qui consiste en France à contrôler trois fois par an les athlètes par des médecins extérieurs. Pour les athlètes de fond et de demi-fond, nous avons même porté de quatre à six contrôles par an en raison du risque plus important de prise d'EPO. Mais l'athlète en question est d'origine kenyane, passé par la Légion étrangère, et il vit et s'entraîne au Kenya : il n'y a donc aucun moyen de contrôle.
Un autre exemple : un athlète français a été suspendu pendant les Jeux olympiques de Londres. Il a été très difficile de le localiser, nous avons dû faire appel aux services de police pour cela. Lorsque nous avons pu le contrôler, les deux contrôles se sont révélés positifs. Mais, en raison de divers problèmes d'organisation, il a pu réaliser sa course avant d'être suspendu. Par la suite, il a encore réussi à jouer la montre pour l'examen de l'échantillon B jusqu'au 31 août, date d'expiration de sa licence et donc de la compétence de contrôle de la fédération. Il a fallu attendre le 25 mars 2013 pour qu'il soit sanctionné par l'AFLD, pour des faits d'août 2012 !
Par ailleurs, je souhaite faire plusieurs observations générales.
En particulier, je m'interroge de façon générale sur le suivi médical réglementaire. Le code du sport indique qu'il s'agit d'un suivi de la santé des athlètes. Or, nous l'utilisons comme un moyen de prévention du dopage, pour traquer les tricheurs, la recherche de pathologies étant secondaire. Il y a donc une certaine hypocrisie dans ce système et il conviendrait de clarifier les choses.
De même, le secret médical du médecin me gêne pour les sportifs de haut niveau, car c'est, d'une certaine façon, une façon de protéger l'athlète qui se dope. C'est contraire à l'esprit de la loi sur la lutte contre le dopage. Je préconise donc que le secret médical soit levé pour les sportifs de haut niveau. On peut en effet penser que certains médecins protègent les sportifs, non pas dans l'athlétisme, mais dans certains sports professionnels, surtout lorsque les médecins sont salariés d'un club.
Sur le plan des sanctions, je suis depuis longtemps favorable à ce que la première sanction soit fédérale et la deuxième externalisée. Cela a été proposé récemment et c'est une bonne chose. Il faudrait maintenant aller vers des juridictions spécialisées dans le dopage. En effet, aujourd'hui, les avocats qui viennent défendre les sportifs trouvent des vices de formes, en particulier parce que l'évolution constante de la réglementation internationale laisse parfois des vides ou des décalages juridiques avec la réglementation française. La justice classique non spécialisée est mal informée sur la lutte contre le dopage, permettant ainsi la réhabilitation d'un athlète pour un simple vice de procédure.
C'est pourquoi il convient d'externaliser les sanctions : les fédérations ne peuvent pas être juge et partie. La fédération sportive doit faire de la prévention, mais la sanction doit relever d'une instance extérieure spécialisée.
Je rejoins parfaitement Bernard Amsalem, avec qui je travaille en étroite collaboration, avec le même objectif de conserver un sport propre. S'agissant du marathonien évoqué, je signale qu'il était sélectionnable en raison des minima, mais il n'est pas sélectionné car il n'est pas à jour sur son suivi médical : c'est un acte fort.
Par ailleurs, sur les défauts de localisation, nous avons le sentiment qu'il y a deux poids, deux mesures. Dans l'athlétisme, les sanctions peuvent aller de un à trois ans de suspension. Pour d'autres disciplines, c'est de trois à six mois. Heureusement, nous avons de très bonnes relations avec l'AFLD, car ils sont à l'écoute des athlètes et de la fédération pour expliquer aux athlètes les contraintes de localisation, qui ne sont pas évidentes à comprendre et à appliquer pour certains sportifs isolés. En athlétisme, trois défauts de localisation conduisent à une suspension de deux ans : c'est une sanction très lourde. Nous n'y sommes pas opposés, mais il convient alors que ce soit la même chose dans les autres disciplines.
Pourquoi y a-t-il de telles différences de traitement s'agissant des durées de suspension ?
Je n'en connais pas les raisons, mais je sais que ces différences existent, puisque je m'intéresse à ce qui se passe dans les autres sports.
Il serait intéressant de consulter les statistiques de l'AFLD sur le traitement selon les fédérations, et de demander aux fédérations les raisons de ces différences. Nous appliquons quant à nous la réglementation. Dans les sports professionnels collectifs, le défaut de localisation est sanctionné par un arrêt de travail, de un à trois mois. Dans les sports qualifiés de non professionnels, on est dans une suspension entre un ou deux ans. Nous sommes prêts à l'admettre, mais souhaiterions que ce soit alors pareil pour les autres disciplines.
Faudrait-il que l'AFLD soit instance de sanction pour que les sanctions soient plus uniformes entre les disciplines ?
C'est le sens de ma préconisation visant à confier la responsabilité des sanctions à une instance extérieure, compétente pour tous les sports, qui reste à définir.
En tout état de cause, l'AFLD est en permanence à notre écoute pour expliquer aux athlètes les règles antidopage. Il est en tout cas nécessaire d'uniformiser.
L'objet de notre commission d'enquête est d'améliorer l'efficacité de la lutte antidopage, à partir du moment où nous sommes dans un système de tolérance zéro. Quel regard portez-vous, de manière générale, sur l'organisation de la lutte antidopage en France et les responsabilités respectives de l'AFLD, de l'État, du mouvement sportif, etc. ? Quelles modifications apporter ?
Aujourd'hui, nous avons un système avec des intervenants multiples. Or, si les fédérations sont concernées par l'éthique et la prévention du dopage, l'hygiène de vie et l'accompagnement de la performance, le rôle d'imposer des sanctions, dès lors que la tricherie est avérée, doit plutôt être extérieur aux fédérations. Cette instance extérieure peut être l'AFLD, ou une instance qui rassemblerait aussi des représentants du mouvement sportif, des experts, etc., de manière à uniformiser les sanctions.
L'athlétisme est, avec le cyclisme, un des sports les plus contrôlés et les plus exposés médiatiquement au dopage. Or, des efforts ont été faits ces dernières années dans ces deux fédérations et je me réjouis que des statistiques aient récemment montré que ce ne sont pas ces deux sports qui sont en tête des contrôles positifs, même si nos sports continuent d'être concernés.
Nous avons une fédération internationale très stricte sur ce sujet. Elle a mis en place le passeport sanguin, qui a donné ses premiers résultats. Ainsi, quinze athlètes ont déjà été suspendus sur cette base, pour leurs résultats aux mondiaux de 2011 et même de 2009 - ce qui, d'ailleurs, a permis à des athlètes français de récupérer des médailles. Il y a donc une prise de conscience internationale en faveur d'un sport exemplaire, qui n'est certes pas encore partagée par tous les pays.
Les opinions sur l'implication des fédérations dans la lutte contre le dopage sont assez partagées. Ne craignez-vous pas que le retrait aux fédérations de leur pouvoir de sanction ne conduise ces dernières à se démobiliser dans cette lutte ?
Je n'ai pas cette crainte, surtout si l'on renforce parallèlement les règles qui s'appliquent à la prévention, laquelle est véritablement du ressort des fédérations. Ma proposition vise avant tout à rétablir davantage d'équité entre les sports. En athlétisme, contrairement à d'autres sports, la saison est organisée de telle façon qu'il n'est pas nécessaire de prendre des compléments pour résister aux efforts permanents imposés par le calendrier. Il faut enfin crever l'abcès et reconnaître qu'il est impossible d'être à son meilleur niveau tous les jours.
Pourriez-vous décrire brièvement le programme « athlé santé loisirs » que vous avez mis en place ?
Nous sommes la première fédération olympique à avoir initié ce programme il y a presque sept ans. Il s'agit de diversifier la pratique de l'athlétisme en l'utilisant pour faire de la prévention auprès des personnes peu sportives ou pour accompagner des personnes malades.
À ce titre, nous avons travaillé avec les associations nationales de pneumologie, de cardiologie, de cancérologie et dans le cadre du plan Alzheimer. Des emplois de « coachs athlé santé » ont été créés ; ils sont pourvus par des professionnels recrutés par les clubs. Les coachs sont titulaires du brevet d'État en athlétisme. Il leur est apporté un complément de formation axé sur la santé. Nous avons également pu développer des relations avec un réseau de médecins sur tout le territoire. Il est ainsi fréquent aujourd'hui de voir des médecins prescrire des activités d' « athlé santé » encadrées par des professionnels dans des clubs.
Ce programme, reconnu par le ministère de la santé, fonctionne très bien. La délégation de service public qu'exerce la fédération française d'athlétisme ne concerne d'ailleurs pas que la délivrance de titres de champions de France mais aussi et surtout la promotion de la santé par le sport. En outre, la fédération a gagné un appel d'offres lancé en 2011 dans le cadre de l'Union européenne, ce qui nous a permis de développer le programme en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Hongrie.
Cent soixante coachs « athlé santé » sont en activité et quarante sont formés chaque année. La mise en oeuvre du programme repose sur le volontariat des clubs mais nous constatons une certaine émulation.
Nous entretenons également des contacts avec des collectivités territoriales, par exemple la région Île-de-France et bientôt le département de Seine-Maritime. Une vingtaine de conventions ont été signées avec elles afin de leur permettre de recourir à leurs propres agents.
Estimez-vous que les dotations, notamment celles de l'État, ne tiennent pas suffisamment compte de ce type d'implication ?
Le ministère de la santé nous a quelque peu aidé au départ pour la formation. Il y a six ans, une aide de soixante mille euros nous a ainsi été accordée. Mais depuis, la mise en oeuvre du programme s'appuie sur les ressources propres de la fédération.
Lorsque nous négocions la convention d'objectifs avec le ministère, il nous est indiqué que le programme relève d'une priorité nationale. Cependant, les dotations ne suivent pas et nous devons aller chercher des moyens ailleurs qu'au seul plan national. L'appel d'offres remporté à l'échelle européenne nous a permis de bénéficier d'une somme de deux cent quarante mille euros répartis sur l'ensemble du territoire. Les clubs fournissent en outre des financements complémentaires. Enfin, nous avons récemment signé une convention avec les mutuelles Eovi et MCD avec lesquelles la fédération développe des programmes « sport santé » destinés à leurs clients et au grand public.
Si elle était déployée à grande échelle, cette action permettrait de lutter contre le déficit de la sécurité sociale. Nous avons noué des contacts avec la direction de la sécurité sociale afin d'étudier la possibilité de rembourser les frais de licence aux personnes malades bénéficiant du programme « athlé santé ». Un dispositif de ce type a commencé à être mis en place à titre expérimental à Strasbourg.
Les coureurs de fond ou de demi-fond effectuent souvent des stages à l'étranger. Cela pose-t-il des difficultés pour le suivi des athlètes ?
Par ailleurs, si l'athlétisme est une discipline universelle, n'avez-vous pas le sentiment d'un sport à double vitesse, certains pays n'ayant peut-être pas les moyens de mettre en place une lutte contre le dopage aussi efficace que les autres ?
Les stages encadrés par la fédération, qui ont lieu aussi bien en France qu'à l'étranger, donnent bien sûr toutes les garanties de suivi du sportif. En revanche, il existe parfois, mais de moins en moins, des groupes de sportifs qui effectuent des stages à l'étranger autour d'un coach aux attributs de quasi-gourou et qui échappent donc au contrôle de la fédération. Dans ces cas-là, nous essayons de faire plus attention en ciblant davantage les athlètes concernés par des contrôles inopinés, mais cette vigilance accrue présente toujours des limites.
La réglementation antidopage est un domaine où règne l'inégalité la plus totale. Les pays économiquement plus développés ont mis en place des contrôles assez développés mais d'autres sont encore très en retrait de ces avancées, notamment en Afrique, voire dans les pays de l'Est (Ukraine, Biélorussie, Russie). Le sport n'y est pas organisé de la même façon qu'ici et les fédérations y contrôlent très peu leurs athlètes en raison d'enjeux financiers pris en main par des groupes. Dans les stades, je constate d'ailleurs à quel point il est facile de repérer des signes physiques clairs de prise de produits dopants, notamment chez les athlètes féminines.
Au sein du comité de sélection, nous aimons à rappeler qu'un athlète est sélectionnable et non sélectionné, ce qui signifie qu'il doit être à jour dans son suivi pour faire partie de l'équipe de France.
Pour faire face au problème du suivi que vous évoquiez, nous avons mis en place il y a quatre ans un dispositif qui prévoit l'obligation pour le manager général de regrouper au moins trois fois par saison tous les athlètes, quelle que soit leur spécialité. En outre, nous incitons les sportifs présentant un fort potentiel olympique à se préparer avec un entraîneur fédéral d'État.
Vous avez mentionné le cas des sportifs dont le physique ou les résultats peuvent laisser songeur. Avez-vous parfois des remontées de certains sportifs qui refusent de se confronter à d'autres dont ils savent pertinemment qu'ils ne respectent pas les règles antidopage ?
Dans leur préparation psychologique, les sportifs doivent avoir conscience qu'il existera toujours des tricheurs, qu'il ne faut surtout pas se focaliser sur cette réalité et être acteur plutôt que spectateur. Il faut rester positif : de très nombreuses prises de sang sont effectuées aujourd'hui au niveau de l'association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF) et de plus en plus d'athlètes se sont fait rattraper par les contrôles. Les jeunes générations d'athlètes ont intégré cet état d'esprit.
Malgré les apparences, l'athlète reste un être humain vulnérable. Dans le domaine de l'athlétisme, au-delà de la question de la technicité, nous avons eu pendant longtemps un déficit de communication entre les différents acteurs.
Il arrive fréquemment que des athlètes consomment un produit pollué à titre accidentel. Quant au dopage intentionnel, il se produit souvent en cas de défaite. Pour réduire les risques, il faut éviter autant que possible que ces sportifs soient isolés et accroître les échanges dans un objectif de prévention. Il reste que nous ne pouvons tout maîtriser.
Pour certains athlètes, notamment ceux issus de pays plus défavorisés, le dopage a un motif financier. Dans d'autres cas, il est le fait de petits groupes d'expatriés autour d'un pseudo-coach qui n'est pas l'entraîneur officiel, qui se fait rémunérer en fonction de la performance et qui ne réside pas en France. Enfin, l'athlète en perdition peut passer à l'acte pour obtenir enfin une bonne performance.
Aujourd'hui, les sanctions consistent essentiellement à suspendre les athlètes convaincus de dopage. Pour une plus grande efficacité, je souhaiterais que ces sanctions soient assorties d'amendes financières. En effet, pour un jeune athlète, une suspension n'est pas véritablement dissuasive : il peut continuer à s'entraîner, voire à se doper, pour revenir à la compétition à l'issue de la période de suspension.
Les sportifs blessés font-ils l'objet d'une sensibilisation particulière à l'égard du dopage ?
La blessure est effectivement un moment de fragilité psychologique. Cependant, en athlétisme plus que dans d'autres sports, l'athlète vit avec la blessure. Cela réduit considérablement le risque d'aller se procurer des produits dopants mais ne l'écarte pas entièrement bien sûr.
Partagez-vous vos informations avec les autres fédérations sportives, l'Oclaesp (Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique), les services de police et de gendarmerie, les douanes, le bureau de prévention du ministère des sports ?
Nous sommes en contact avec l'Oclaesp. Cela a surtout été le cas en 2006 et 2007.
À l'inverse, le dopage constitue un sujet tabou entre fédérations. Il ne fait jamais l'objet de débats au CNOSF (Comité national olympique et sportif français).
S'agissant du ministère des sports, nous avons certes un contact annuel au moment de la négociation de la convention d'objectifs. Celle-ci fournit l'occasion de discuter de l'ensemble des problèmes, y compris du dopage. Nous présentons les actions proposées pour l'année en cours et le département médical spécialisé nous accorde une modeste subvention. Mais au-delà de ce rendez-vous annuel, les relations sont quasiment inexistantes s'agissant du dopage.
En 2006 et 2007, vous aviez dénoncé l'existence de « petits réseaux » de trafiquants placés auprès des sportifs ? Ces réseaux existent-ils toujours aujourd'hui ?
Oui, d'autant plus qu'ils sont basés hors de France, en Espagne et au Maroc. Les athlètes concernés ont été suspendus, certains ne sont pas revenus, certaines sont revenues avec un niveau de performance inférieure. Ces réseaux sont souvent composés d'anciens athlètes de haut niveau de ces pays, avec des palmarès éloquents, qui vivent de ces pratiques. En tout cas, tous les athlètes français concernés ont été sanctionnés ou ont cessé ces pratiques, mais cela continue pour d'autres athlètes en Belgique ou en Italie par exemple.
Puisque vous souhaitez une amende financière des sportifs s'étant dopés, pouvez-vous préciser si vous êtes favorable à la pénalisation de l'usage de produits dopants ?
Si l'amende financière implique la pénalisation, oui, mais pas au-delà. En tout cas, il est certain qu'en athlétisme, l'amende pécuniaire serait radicale pour dissuader certains sportifs.
Nous vous remercions pour votre présence, et avons pris bonne note de vos pistes de réformes.
La procédure engagée avec cette commission d'enquête débouchera-t-elle sur un toilettage de la loi et de la réglementation ?
L'objectif est en effet de faire des propositions en vue de la prochaine loi-cadre sur la modernisation du sport. Une dernière question : percevez-vous une évolution depuis 2001, au niveau des athlètes, dans la pression et les risques de dopage ?
Non, la France a pris le problème à bras le corps, avec un ciblage des athlètes suspects, des contrôles, s'il le faut avec le concours de la fédération internationale. Il n'y a pas plus de pression. Les petits réseaux sont les mêmes, les comportements sont les mêmes, mais il y a moins de problèmes car nous sommes davantage vigilants.
La commission organise une table ronde sur les enjeux sociétaux du dopage à laquelle participent :
coureur cycliste ;
- M. Erwann Menthéour, coureur cycliste ;
médecin et chercheur à l'Institut biotechnologique de Troyes ;
professeur de psychopathologie à l'Université de Bordeaux II ;
responsable national du Syndicat national de l'éducation physique de l'enseignement public (SNEP-FSU).
Nous allons commencer notre rencontre. Pour la première fois, nous avons souhaité réunir une table ronde. Je vous remercie d'avoir accepté d'y participer.
Nous avons voulu avoir le point de vue des sportifs avec Christophe Bassons et Erwann Menthéour, le point de vue médical avec Gérard Dine et Grégory Michel, le point de vue sociologique avec Patrick Laure, ainsi que le point de vue des professeurs d'éducation physique avec Jean Lafontan, parce que la prévention du dopage doit commencer dès le plus jeune âge et être poursuivie tout au long de la carrière sportive.
Puisque nous nous trouvons dans le cadre d'une commission d'enquête, je vous demanderai de bien vouloir prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Bassons, Erwann Menthéour, Grégory Michel, Gérard Dine, Jean Lafontan et Patrick Laure prêtent serment.
Nous avons décidé d'organiser nos travaux, qui vont durer deux heures, de la manière suivante : chacun d'entre vous pourra s'exprimer pendant cinq minutes pour nous exposer sa vision du dopage, puis nous ouvrirons une discussion sur ce sujet important qui nous préoccupe.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, mes chers collègues, je vous remercie beaucoup de me laisser l'occasion d'exprimer mon point de vue sur cette lourde question qu'est le dopage.
Je suis professeur de psychopathologie à l'université de Bordeaux Segalen, où je dirige le laboratoire « psychologie, santé et qualité de vie ». Je travaille depuis une quinzaine d'années sur les comportements à risques, ainsi que sur les conduites de consommation, en milieu scolaire et dans le domaine sportif.
J'ai été amené à travailler sur la question des liens entre la consommation de substances dopantes et la pratique sportive. J'axerai mon propos sur les aspects psychopathologiques de la question, s'agissant en particulier des adolescents.
En 2010, j'ai participé, à la demande de l'Académie de médecine, à l'élaboration d'un rapport sur l'état des lieux des connaissances sur le dopage et les pratiques dopantes, essentiellement chez les adolescents, à partir d'un recensement des littératures nationale et internationale. Dans ce travail scientifique et universitaire, il s'agissait de faire un bilan des connaissances, à partir d'aspects consensuels et d'autres plus controversés, et de repérer les facteurs associés, voire les facteurs de risques et les déterminants.
Il est apparu que les comportements dopants ne sont pas si rares que cela chez les adolescents. Ils ne concernent pas seulement les adolescents engagés dans une pratique d'excellence, mais aussi ceux qui ont une pratique du sport plus récréative.
Ces conduites sont déterminées par des facteurs propres à certains types de sports, basés notamment sur l'aspect corporel ou la recherche de la performance. Elles peuvent être liées à des modalités de la pratique, telles que l'hyperspécialisation du sport.
Les aspects individuels propres aux adolescents - tels que l'âge, le genre (les garçons sont deux fois plus à même de prendre ce type de produits), etc. - m'ont particulièrement préoccupé. La prise de produits dopants correspond souvent à une poly-consommation, qui s'étend bien au-delà des produits dopants reconnus. Des facteurs psychologiques, tels qu'une faible estime de soi ou l'anxiété, semblent par ailleurs associés à ce type de consommation.
Certains jeunes se trouvent également dans une conduite transgressive, sans doute déterminée par des attitudes et des représentations sociales singulières et spécifiques vis-à-vis des produits dopants.
L'objectif du rapport de l'Académie de médecine était d'aider la mise en place de programmes de prévention du dopage et de lutte contre le dopage. La question du dopage s'étend toutefois bien au-delà du domaine sportif, si l'on en juge par exemple d'après l'importance du culte de la performance dans la société.
Bonjour. Je suis médecin biologiste des hôpitaux et je dirige le département d'hématologie clinique et biologique du centre hospitalier de Troyes depuis 1992. J'ai été nommé professeur d'ingénierie en santé et biotechnologie à l'École centrale de Paris en 2001.
Je suis spécialiste des biotechnologies, et en particulier impliqué dans de nombreuses relations public-privé du point de vue du transfert de technologies dans le domaine des biotechnologies appliquées à la santé. Je suis par ailleurs consultant pour une quinzaine d'entreprises. Pour des raisons de conflit d'intérêts, je n'ai jamais voulu occuper de fonction nationale dans le cadre des institutions publiques s'occupant de dopage.
Si je suis concerné par la question du dopage, c'est parce que je viens moi-même du sport. En 1985, Jacques Fouroux m'a demandé de l'aider, en tant que programmateur, à la préparation de l'équipe française de rugby à la première coupe du monde. La deuxième place obtenue lors de cette compétition a laissé penser que la méthode que nous avions appliquée méritait d'être suivie. Nous avons travaillé sur l'introduction de la biologie dans le sport de haut niveau. Notre équipe s'est trouvée à la base du concept de suivi biologique longitudinal à partir de 1985.
En 1995, le cabinet Drut, puis le cabinet Buffet, en relation avec Alain Garnier, ont souhaité utiliser nos moyens biologiques indirects pour mettre en place le « passeport biologique du sportif » que nous avons formalisé en 1998. Celui-ci n'a pas été appliqué sur le Tour de France, ce qui a permis à une personnalité connue d'en remporter sept.
En raison de mon impossibilité d'occuper des fonctions officielles, je joue depuis quinze ans un rôle d'expert national et international auprès de nombreuses organisations internationales sportives afin d'utiliser la biologie préventive pour comprendre le dopage et entraver son développement.
Dans le cadre de demandes ponctuelles de la part d'autorités, je joue ainsi un rôle d'expert dans deux domaines qui concernent potentiellement le dopage dans le sport de haut niveau : le mésusage médicamenteux, qui est aujourd'hui une réalité, et la contrefaçon médicamenteuse, notamment par les médicaments biotechnologiques. Une partie de ces produits sont potentiellement dopants.
Bonjour. Merci pour ce travail. Certaines affaires attendent depuis quinze ans, et nous avons du mal à rester motivés. Il est donc plaisant de pouvoir continuer à travailler sur ce sujet avec vous.
Je ne reviendrai pas sur mon expérience de sportif. Je souhaite aborder le problème d'une manière différente. J'ai reçu une convocation pour les enjeux sociétaux des pratiques dopantes, et je me retrouve finalement à devoir parler des enjeux sociétaux du dopage. La distinction est peut-être volontaire ; nous pourrons y revenir.
Les enjeux sociétaux du dopage sont ceux du sport en général. Nous nous retrouvons dans une situation où nous souhaitons de la performance, et en contrepartie, nous voulons lutter contre le dopage. Or, l'un et l'autre ne vont pas ensemble. Il va donc peut-être falloir faire un choix.
Il faudra éventuellement élargir la réflexion dans la perspective de la loi-cadre sur le sport.
Pour moi, le dopage constitue une solution à plusieurs problèmes, à différents niveaux, notamment celui de l'individu (problème d'argent, de reconnaissance ou encore de bien-être). Il ne faut pas oublier l'aspect mental et sociétal. Souvent, le dopage offre à un sportif un bien-être social, et ensuite seulement un bien-être mental.
Cela enlève-t-il pour autant le bien-être physique ? Nous devons nous poser la question.
De nouveaux produits arrivent, dont il est dit qu'ils sont très dangereux.
Pourquoi lutter contre le dopage ? Le dopage a un aspect politico-économique : nous voulons un pays au niveau des autres sur le plan sportif. Les fédérations doivent également exister. Or, elles sont aussi valorisées par les résultats internationaux.
Je pense que nous luttons contre le dopage par souci d'éthique, de respect et de dignité de la personne. Le fait d'être capable de se regarder dans un miroir est la première des choses. Si je persiste à me battre, c'est parce que je souhaite que les jeunes continuent à se regarder dans le miroir, et qu'ils soient fiers de le faire.
Il est possible de se regarder dans le miroir même si l'on a fait des erreurs. Il s'agit surtout de les assumer. Lorsque des tricheurs reviennent après deux ans de suspension avec un grand sourire, cela pose problème.
Si une personne qui a triché n'est pas affectée par son geste, c'est que quelque chose a failli dans son éducation quinze ou vingt ans auparavant. En effet, dès lors qu'un enfant entre dans le milieu sportif, il est poussé vers une performance globale, que j'intitule « la réussite ». Nous nous trouvons alors dans un système de compétition qu'il faut revoir.
Je suis content d'être parmi vous, mais je suis un peu plus mesuré que certains. J'ai le sentiment que le fait de s'attaquer au dopage revient à s'attaquer à la nature de l'homme. Je suis entré dans le milieu professionnel du cyclisme très jeune. Contrairement à Christophe Bassons, dès mes quinze ans, j'ai su que j'allais me doper. J'avais vu mon frère le faire avant moi. Cela revenait à satisfaire les exigences de ce métier.
Je pense que le dopage est consubstantiel à l'homme. Nous le retrouvons dans tous les compartiments de la société. Je trouve triste que soit affichée une volonté politique de lutter contre le dopage de manière totalement parcellaire.
Le dopage se trouve aujourd'hui principalement dans le cyclisme, mais en la matière, d'autres disciplines sont négligées. Je suis content que des questions philosophiques soient abordées par Christophe Bassons, qui intellectualise la démarche.
J'ai été élevé dans la compétition : les meilleurs devant et les mauvais derrière. Une personne confrontée à ce milieu aura nécessairement envie de progresser, fût-ce en se dopant.
Les sportifs sont confrontés à une pression très importante. Je pense que la compétition induit nécessairement la triche.
Je représente les professeurs d'éducation physique. Il me semble qu'en tant qu'enseignants, nous sommes confrontés à une question redoutable, entre l'injonction morale, la façon dont nous percevons le dopage, et ce qu'il convient de faire. Si le dopage est la confrontation aux limites de l'homme, avec deux heures d'éducation physique au lycée, les adolescents sont loin de leur limite.
Le dopage est d'abord pour moi un problème social, qui ne se définit pas par la physiologie ou la médecine. Dans le programme d'éducation physique, la mission impartie aux professeurs d'éducation suivante est la suivante : « former un citoyen cultivé, lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué. »
Le milieu de l'éducation physique peut être individuellement très sportif, mais du point de vue de sa fonction, il prend beaucoup de distance avec le sport. Il développe même une approche très critique du sport.
La compétition se retrouve beaucoup dans le sport scolaire. La lutte contre le dopage y est microscopique puisqu'on y recense douze contrôles. Sur la période 2007-2011, il est fait état d'aucun contrôle positif. C'est lors de la compétition scolaire de l'Union nationale du sport scolaire (UNSS), avec des phases nationales et internationales, que les jeunes sont réellement confrontés à des niveaux plus élevés de compétition.
Dans les lycées, un enseignement d'exploration est proposé, pour une minorité de trois mille élèves, avec cinq heures par semaine en plus de l'éducation physique. Il existe également une option facultative, qui comprend des thèmes d'étude dans lesquels le dopage est abordé. Nous avons aussi des sections sportives dans les collèges, pour quarante-quatre mille élèves. Le thème du dopage doit y être abordé au détour de débats plus généraux.
S'agissant de l'éducation physique, il serait peut-être heureux d'augmenter le volume horaire. Je pense par ailleurs que la question du dopage ne doit surtout pas être médicalisée. C'est le système qui crée le dopage.
J'estime également qu'il ne faut pas trop moraliser. Nous vivons en effet à une époque où la morale n'est faite que pour les pauvres. Nous nous montrons très attentifs à ne pas surcharger les responsabilités des enseignants.
Par ailleurs, l'éducation fait actuellement l'objet d'énormes pressions pour sa transformation. J'ignore ce que sera l'enseignement moral et civique annoncé par le ministre.
Je crois que nous en venons aux questions de morale lorsque la société ne sait plus se réguler ; il faut certainement et mettre en place des bornes clairement établies et développer une surveillance intraitable et impartiale, ne tolérant aucune dérogation à tout dépassement. La crise morale est une crise sociale. C'est un peu ainsi que les collègues le vivent lorsqu'ils sont confrontés à ces questions. Je vous remercie.
Je vous remercie de m'avoir convié à cette commission d'enquête. Je suis un peu surpris car ma triple formation ne me rend compétent dans aucun des champs abordés. Je suis médecin et docteur en sciences, et j'ai également une formation en sociologie. Mais je suis très mauvais à la fois comme médecin, comme sociologue et comme docteur en physique, n'exerçant pas dans ces trois champs. Ceci dit, j'ai eu le privilège et l'honneur de mener des travaux dans le champ qui nous occupe, en particulier auprès du jeune public, notamment sportif.
En effet, les quelques travaux que j'ai réalisés ont soulevé des questions épidémiologiques. À la fin des années 1990, la question ne se posait pas encore de savoir si les jeunes sportifs se dopaient ou non.
Le dopage sportif ne représente pour moi qu'une conduite dopante parmi d'autres.
Je suis l'heureux père du concept de conduite dopante, qui est une conduite de consommation de substance pour être performant, quelle que soit la nature de la substance et de la performance, sportive ou non.
Il s'agissait de pouvoir étendre la notion de dopage à ce que nous observons en général dans la vie quotidienne. Dès lors, nous pouvions nous extraire du climat idéologique qui régnait autour du dopage à la fin des années 1990, pour ramener le dopage à l'état d'objet scientifique parmi d'autres, et ainsi se poser des questions scientifiques pour pouvoir l'étudier.
Au-delà de ces travaux, j'ai renforcé un modèle explicatif qui essaie de prendre en compte l'ensemble des valeurs. La notion de conduite dopante et de dopage sportif résulte de la rencontre et de l'interaction entre trois éléments : la personne (le sportif), la substance (sa nature, sa dangerosité, son accessibilité) et l'environnement (les notions de performance, de contrainte, de recherche, de culte).
Nous avons réussi à montrer, tant au plan national que régional, que trois à cinq pour cent des jeunes sportifs affirment avoir déjà consommé une substance interdite au cours des six derniers mois.
S'agissant des sportifs amateurs, nous avons mis en évidence l'importance de l'estime de soi. Les jeunes en situation de mal-être peuvent trouver dans l'usage de substances une solution à leur malaise, du moins le croient-ils. Il peut aussi s'agir de rejoindre un groupe de pairs, qui consomment des substances dopantes. Il s'agit alors d'une sorte de rite initiatique.
Pour terminer, j'en reviens à l'efficacité de la lutte contre le dopage, qui me pose un certain problème. Si nous nous en référons à la théorie des jeux ou au fait social d'Émile Durkheim, nous ne pouvons que craindre que la notion de dopage dépasse l'homme. Nous ne pourrions faire quoi que ce soit pour l'éradiquer. Cela ne signifie pas que nous devons baisser les bras mais il est surprenant qu'aucune évaluation de la lutte contre le dopage n'ait eu lieu jusqu'à présent.
Ma première question s'adresse à M. Michel. Parmi les conduites addictives, existe-t-il une spécificité dans l'usage des produits dopants, ou retrouvons-nous les mêmes caractéristiques de n'importe quelle conduite de dépendance ?
Il existe des caractéristiques individuelles qui répondent à une fragilité de l'adolescent. Nous retrouvons cette fragilité dans l'ensemble des conduites de consommation chez l'adolescent. La fragilité intérieure se situe souvent en amont de la confrontation à un produit, qui va résoudre momentanément un conflit intérieur, lié par exemple à une insatisfaction corporelle.
L'autre aspect, très généraliste également, concerne la prise de produits reconnus comme étant interdits et néfastes pour la santé. Il s'agit là de tendances qui évoquent la tricherie ou de la transgression.
Au lieu de programmes de prévention spécifiques aux comportements ou aux conduites dopantes, je préconise des programmes plus généralistes. Les problèmes de consommation chez les sportifs de haut niveau, mais aussi chez ceux qui se trouvent dans une logique plus récréative, doivent trouver une solution dans des programmes de prévention plus généraux et plus précoces, qui s'inscrivent dans la durée et prennent en compte certains déterminants, notamment psychologiques. Ces actions doivent faire intervenir différents acteurs qui participent au développement de l'enfant, que ce soit sur le plan sportif ou éducatif.
Je ne peux qu'abonder dans le sens de M. Michel. Au-delà de programmes qui s'inscrivent dans la durée, l'éducation nationale ou le mouvement sportif doivent mettre en place des programmes qui aborderont régulièrement la notion de conduite dopante sous l'angle de la santé.
Durant mes quinze années de licence, je n'ai jamais participé à des actions de prévention sur le dopage. Dans le code du sport, il est pourtant mentionné que chaque fédération doit mener des actions de prévention auprès de tous ses licenciés.
On a tendance à critiquer les sportifs et à leur jeter la pierre. Or, finalement, je crois que les sportifs font un choix avec les capacités qui sont les leurs.
Les enfants, pendant leurs quinze premières années, sont éduqués à dire oui à tout. En ce qui me concerne, j'ai dit non car j'ai vécu dans du coton. Je n'ai pas connu de manque affectif ni financier. Je n'ai pas eu besoin de reconnaissance de la part des pairs.
Pour avoir rencontré plusieurs psychologues, rares sont ceux qui ont réussi à dire pourquoi, parmi l'équipe de vingt-huit coureurs dont je faisais partie, j'ai été le seul à ne pas m'être dopé.
Les raisons sont multiples. Il s'agit d'abord d'avoir une bonne estime de soi et de s'apprécier soi-même, et non par comparaison aux autres.
Je suis très sceptique vis-à-vis de l'idée de prévention, car si nous voulions agir, il faudrait aller dans les familles apprendre aux parents à éduquer leurs enfants. La vulnérabilité correspond au schéma familial.
À vingt ans, l'idée des limites ou de la mort n'est pas importante. Comment en arrive-t-on là ? Peut-être parce que l'on manque d'amour ou que l'on entretient une relation déséquilibrée avec sa mère ou son père.
Il n'est pas possible d'affecter un psychologue à plein temps aux personnes qui se dopent. En revanche, pour lutter contre le dopage, il faut s'assurer que les contrôles qui sont mis en place fonctionnent. Alors le dopage disparaîtra car les sportifs auront peur de la sanction.
Non, il existe désormais des contrôles. Le nombre de contrôles est aujourd'hui impressionnant, à tel point que des coureurs peuvent être suspendus sans s'être dopés.
Il existe une telle disparité dans les contrôles selon les différents sports et les pays qu'il faudrait légiférer sur le dopage au niveau mondial.
Dans la région Aquitaine, les critériums sont contrôlés.
S'agissant de la lutte de manière globale, l'indépendance de la sanction me paraît très importante.
Il semblerait que j'aie enfin réussi, au bout de huit mois, à être relaxé d'une sanction qui m'avait été attribuée par la fédération française de cyclisme pour ne pas m'être soumis à un contrôle dont je n'avais pas connaissance, ce qui est ahurissant.
Il est évident que l'indépendance est nécessaire sur le plan disciplinaire.
Une réflexion m'est venue suite à l'intervention de Grégory Michel et de Christophe Bassons. Les choix devant lesquels les compétiteurs de ce niveau sont placés et le type de solutions qui leur sont offertes me paraissent difficiles.
En tant qu'éducateur, je suis très critique à l'égard du sport tel qu'il se développe. Il existe une vision de la compétition féroce, qui s'effectue au détriment de l'individu. Je crois que le sport ne représente plus un développement multilatéral de l'individu. Certaines capacités sont hypertrophiées, au détriment d'autres. Ce sont alors des citoyens désorientés qui sont formés.
Dans notre société, le sport crée des héros. Je souhaite que nous ne laissions pas le sport de haut niveau « voguer seul sa galère ».
Le travail doit être mené systématiquement, dès l'école. Il faut inventer de nouveaux contenus d'enseignement, qui enrichissent la part de la formation citoyenne. Or, nous n'en sommes pas là aujourd'hui.
Il me semble que le rôle de l'éducateur, mais surtout de la loi, consiste à définir les contours des comportements les plus justes et conformes à l'aspiration républicaine.
Je ne suis pas un désespéré de la prévention. Je crois beaucoup à celle-ci, à condition qu'elle soit large et précoce, et qu'elle ne débouche pas sur une stigmatisation. Il s'agit de soutenir des jeunes qui n'ont pas la chance d'avoir un milieu familial étayant.
Certains travaux montrent leur efficacité. Il faut tenir compte de l'environnement de l'enfant dans sa globalité. Des programmes, assez lourds, montrent une réelle efficacité et s'avèrent assez intéressants du point de vue du rapport entre les coûts et les bénéfices.
Ces programmes s'inscrivent néanmoins dans une réflexion beaucoup plus large. Il existe un réel paradoxe de cette société, qui privilégie « le faire » et « l'avoir », alors que les valeurs de « l'être » reviennent mais de façon encore très embryonnaire sur le plan de la réflexion.
Les interventions me semblent importantes mais nous ne devons pas nous limiter au seul domaine sportif.
Enfin, la notion de personnalité peut apparaître circonscrite uniquement à la performance, et non à d'autres domaines, ce qui pose aussi la question de l'adaptation à la société.
Je suis moi aussi convaincu de l'idée que créer un écosystème autour d'un enfant pour qu'il aille mieux serait bénéfique, mais cela pose la question des moyens. Cette proposition me semble illusoire. Je ne vois pas comment elle pourrait être mise en oeuvre.
En revanche, si nous fixons des règles strictes et identiques dans tous les sports, l'envie de se doper ne sera plus la même.
Que dire à nos enfants eu égard aux champions qui trichent ?
Dans l'image que se forge un enfant, qui réussit ? Celui qui utilise des produits dopants gagne de belles courses, gagne de l'argent et « devient quelqu'un ». C'est aussi une personne à laquelle une reconversion est offerte par la suite.
Parallèlement à ce problème d'image, je souhaite aborder la place du domaine médical dans le sport. À l'origine, le médical est arrivé pour améliorer la performance. J'ai fait six années de cyclisme professionnel sans faire appel à mon médecin d'équipe.
Ce n'est pas seulement auprès des jeunes qu'il faut intervenir, mais également auprès de leur entourage et de leur encadrement sportif, afin de tenir un discours commun à ces jeunes.
Je suis plutôt un technicien, mais je partage les points de vue qui sont exposés aujourd'hui.
J'ai moi-même pratiqué la compétition. J'ai été associé à la recherche de la performance et je continue à l'être en raison de ma fonction d'expert auprès de nombreuses fédérations. Du point de vue de la technologie, l'offre correspond souvent à des mésusages et à une forme de criminalité internationale. Le dopage représente en effet une niche de la contrefaçon.
En 1983, les Américains, qui avaient trouvé avant nous le gène de l'érythropoïétine (EPO), nous ont demandé de travailler avec eux. À la fin des années 1980, avant que l'EPO ne soit mise sur le marché, nous savions donc exactement ce qui allait se passer au sujet des transfusions sanguines dans le dopage. Nous l'avons signalé. Il a fallu vingt ans pour réfléchir au problème des EPO, qui n'est d'ailleurs toujours pas réglé à l'heure actuelle : plus de cent types d'EPO se trouvent en effet sur le marché.
Nous avons donc affaire à un décalage par rapport à la technologie du vivant, comme entre toutes les autres technologies et nos sociétés. L'EPO n'a pas été inventée pour les sportifs, mais pour les personnes atteintes de cancer.
Le marché de l'EPO pour les personnes malades représente quatre milliards d'euros. Par contraste, le marché de l'EPO consacrée au dopage est estimé à cent millions d'euros. Cette somme est importante, mais elle ne représente donc rien par rapport à ce que nous avons fait pour l'ensemble des malades.
Il existe également une hétérogénéité des règles appliquées en matière de dopage, notamment d'une fédération à une autre.
J'abonde tout à fait dans le sens de Gérard Dine. Certains propos dans la salle peuvent paraître contradictoires, en ce qui concerne la prévention notamment, alors que nous utilisons en réalité des référentiels différents, s'agissant par exemple de la notion de sportif. L'engagement en termes de volume horaire, de pratique hebdomadaire et d'enjeux est très variable d'un sportif à l'autre.
La notion de prévention consiste à essayer d'anticiper des comportements qui sont jugés problématiques par rapport à des valeurs données. Dans un groupe quelconque, sans valeur, aucun comportement ne sera jugé problématique, et il n'existera donc pas d'actions de prévention.
De ce fait, des objectifs de prévention différents apparaissent, qui consistent soit à ce qu'aucun sportif ne touche jamais à un produit dopant, soit à diminuer l'usage de produits dopants chez des sportifs qui en consomment déjà, soit à réinsérer des sportifs qui ont utilisé des produits dopants.
L'objectif de la prévention ne consiste pas à s'orienter vers un monde idéal comme le décrivait Erwann Menthéour.
Tout à l'heure, Gérard Dine affirmait que les tricheurs avaient toujours eu une longueur d'avance, car une armada de produits dopants est proposée sur le marché. J'ai cependant été fasciné par le fait que les produits utilisés par Armstrong pour se doper étaient exactement ceux que j'avais pris en 1997. Que faisons-nous donc depuis vingt-cinq ans ?
La question est effectivement complexe. Du point de vue de la technologie des produits, il était évident que la réponse apportée au cas Armstrong du point de vue de la technologie des produits n'était pas appropriée. En effet, globalement, les tests réalisés vis-à-vis des EPO ne sont pas toxicologiques, car les EPO sont une hormone recombinante très complexe à identifier.
Dès lors que les experts l'ont compris, ils ont su comment faire pour passer à travers ces tests. C'est la raison pour laquelle Armstrong est passé entre les mailles du filet.
La deuxième question est la difficulté des institutions à comprendre la réalité du problème. Les moyens de lutte ne sont pas à la hauteur du problème posé et nous restons dans une vision traditionnelle.
Nous nous trouvons depuis très longtemps dans une situation de confrontation, dans laquelle la société reprend les éléments dont il a été question sur certaines technologies, qui plus est très différentes les unes des autres, ce qui accroît la difficulté analytique.
Je reste très impliqué dans le monde du sport, mais je n'ai pas de solution miracle à proposer.
Je reste positif quant à l'évolution de la lutte contre le dopage ces dernières années. En effet, la recherche a évolué, mais nous ne nous en rendons pas compte, car elle est « tamponnée » par l'internationalisation de la lutte contre le dopage.
Nous disposons de moyens techniques bien meilleurs qu'auparavant. Nous parvenons à détecter un nombre important d'EPO.
Selon moi, nous sommes confrontés à une internationalisation qui, depuis douze ans, nous a fait reculer sur certains plans. Des moyens ont été investis sur les techniques de recherche. Il faut toutefois faire un choix. Si la France souhaite changer la lutte contre le dopage sur le plan international, nous devons d'abord protéger nos sportifs.
Je reviens à l'échange que vous avez eu plus tôt sur la fragilité, notamment de l'adolescent, qui pourrait expliquer le recours au dopage.
L'accès au statut de sportif haut niveau implique souvent l'obligation de partir tôt de chez soi et de s'entraîner beaucoup. Ne crée-t-on pas ainsi cette fragilité, qui dérive ensuite naturellement vers l'usage du produit dopant ?
Par ailleurs, aujourd'hui, faut-il aller plus loin dans la répression du sportif dopé ? En particulier, faut-il pénaliser ? J'ai cru comprendre que vous étiez plutôt en faveur de cette évolution, compte tenu en particulier de son aspect dissuasif.
Enfin, pour convaincre quelqu'un de dopage, faut-il se contenter du contrôle positif ou trouver d'autres moyens d'investigation, tels les témoignages ou le statut de repenti pour les anciens sportifs ?
S'agissant des jeunes, j'ai lu de nombreux articles sur ce qui est appelé « les vertus de l'ennui ». Le jeune se trouve dans une situation de « sur-sociabilisation ». La réussite qui est demandée au sportif de haut niveau est double : réussite scolaire d'un côté, réussite professionnelle et sportive de l'autre.
Le jeune se trouve seul dans un établissement où il ne peut penser qu'au sport et à l'école. Il n'éprouve pas de moment de solitude où il peut réfléchir à ce qu'il est réellement. Il se trouve en permanence dans un système de comparaison. Je crois qu'il reste un gros travail à mener sur le sujet.
S'agissant de la question de l'amnistie des sportifs dopés, je ne suis pas d'accord. Je ne veux pas que ces gens ressentent un malaise toute leur vie, mais il faut assumer son erreur ; on a le droit d'avoir honte.
J'aime bien prendre le cas de Lance Armstrong, car il est symptomatique. Il a été élevé par un beau-père très dur, qui le frappait. Lance Armstrong a obtenu une revanche. Je ne sais pas si la prévention l'aurait sauvé. Il s'est construit ainsi.
Nous partons effectivement très tôt de chez nous. Nous sommes nécessairement beaucoup plus vulnérables et nous adoptons les usages des autres. Nous sommes prêts à satisfaire toutes les exigences pour toucher notre rêve du doigt.
Il faudrait que nous examinions de plus près les systèmes de production des sportifs performants. Je sais que le ministère des sports mène des enquêtes, car nous avons des syndiqués dans le milieu.
Ce point ne revient néanmoins jamais publiquement. Que se passe-t-il dans ces centres ? Le système de production du sportif de haut niveau s'avère très vorace. Tout le monde se trouve suspecté.
Je me demande si nous allons assister à une accélération de la lutte contre le dopage. C'est un pari. En effet, allons-nous faire accepter par le public les « héros » que le sport produit, et, s'ils sont « frelatés », aurons-nous encore les moyens d'assainir le marché ?
Je souhaite dire à quel point je suis admiratif de la profondeur des propos de nos deux champions. J'ai deux questions, dont la première s'adresse à M. Menthéour, qui nous a demandé de mettre en place des contrôles qui fonctionnent. Est-ce à dire que les contrôles actuels ne fonctionnent pas ? Si tel est le cas, comment faire pour améliorer la situation ?
Ma deuxième question s'adresse à M. Dine, qui a évoqué l'existence de plus d'une centaine d'EPO différentes. Celles-ci entrent-elles dans les trois générations que nous connaissons ou s'agit-il d'autant de générations différentes, c'est-à-dire de méthodes et de procédures de contrôle différents ?
Il est possible de détecter l'EPO et certaines substances aujourd'hui. Il faut ensuite une réelle volonté d'y parvenir. Ces dernières années, on a recensé de nombreux dysfonctionnements du système s'agissant des agences qui sont chargées des contrôles.
S'il existait une réelle volonté politique de détecter le dopage dans le sport, les résultats seraient au rendez-vous. Je me demande par ailleurs si, à l'avenir, les autres sports seront également concernés par la lutte contre le dopage et si, au sein même du cyclisme, la lutte sera aussi efficace partout, notamment au niveau mondial.
En effet, il n'est pas normal que certains pays tolèrent des produits et des modus operandi que nous n'acceptons pas en France.
Enfin, je suis d'accord pour qu'une personne qui transgresse la loi aille en prison, car c'est ce qui va établir des valeurs dans notre société. Si nous ne le faisons pas dans le sport, celui-ci sera à l'image de notre société. La société aura alors le sport qu'elle mérite.
Nous nous trouvons déjà à la quatrième génération d'EPO officielle. Cette génération d'EPO complètement synthétiques va sortir, mais en 2020 ou 2025, on ne prendra plus d'EPO pour avoir les mêmes effets que ceux obtenus avec les EPO actuels.
Nous sommes en effet en train de travailler sur des produits qui vont stimuler l'autoproduction d'EPO par le rein. Les contrôles qui sont réalisés actuellement n'auront donc plus aucun intérêt. Ces recherches ne sont pas menées pour les sportifs, mais parce qu'il existe des enjeux de santé publique énormes.
Ce sont les sociétés biomédicales, biotechnologiques et biopharmaceutiques qui, pleinement conscientes des possibilités de mésusage et de contrefaçon médicamenteuse internationale dans le domaine des EPO, se portent volontaires pour collaborer avec les instances internationales du contrôle antidopage.
Il convient de trouver les interlocuteurs pour chacune des différentes fédérations sportives. Par ailleurs, les cent-cinquante EPO dont il a été question ne concernent que les trois générations actuelles. Parmi elles, plus de la moitié sont des EPO de contrefaçon médicamenteuse, fabriquées en Chine, en Inde ou en Amérique du Sud. Elles posent donc d'énormes problèmes, à deux niveaux. D'une part elles s'avèrent très difficiles à contrôler parce qu'elles ne sont pas identifiées ; d'autre part elles sont mal fabriquées, donc moins efficaces.
Il est donc difficile de parvenir à une harmonisation. Par ailleurs, il convient de ne pas accuser des gens de dopage alors qu'ils bénéficient simplement d'un avantage biologique qui explique peut-être pourquoi ils sont champions. Ce n'est pas un hasard d'être bon en cyclisme si l'on affiche un taux de 49 % d'hématocrites. Telle est la réalité. Nous sommes des êtres complexes, à tous points de vue.
Merci. Nous allons arriver au terme de cette rencontre. Je vais vous donner la parole pour tirer les conclusions que vous souhaitez.
Je reviendrai, dans le cadre de ces conclusions, sur la conquête du continent sud-américain, lorsqu'ont été découverts des usages traditionnels, notamment avec les feuilles de coca. Rapidement, la population andine a détourné ce produit par les politiques de l'époque, notamment dans les mines d'argent de Potosi, afin d'augmenter la productivité des ouvriers et de limiter les velléités de révolte.
Nous pouvons nous demander dans quelle mesure nous n'en sommes pas encore arrivés là avec certaines conduites dopantes, et si nous n'arrivons pas à un monde de plus en plus performant, mais chimiquement performant, à tous les degrés d'activité et à tous les âges. J'ai le souvenir d'une dame de soixante-quinze ans qui s'était présentée plusieurs fois chez son pharmacien pour obtenir une plaquette de pilules contraceptives sans ordonnance. Elle plantait les pilules au pied de ses géraniums pour obtenir de belles fleurs pendant l'été.
Même si ce cas est anecdotique, il illustre le détournement des médicaments qui a cours. Dès lors, la crainte pourrait être de revenir vers le « meilleur des mondes » d'Aldous Huxley, qui m'effraie quelque peu je dois dire.
En tant qu'éducateurs, nous devons partir de l'idée qu'il ne faut désespérer de rien. Par ailleurs, nous devons mieux percevoir les exigences du sport dans notre société.
Le débat revêt un caractère public d'intérêt national ; il guide l'ensemble des convictions que nous allons développer sur ce terrain.
Je me demande s'il ne faudrait pas que soit repensé un nouvel appel de Paris, cent-cinquante ans après la naissance de Coubertin, dans lequel le sport serait un peu transformé.
Cet appel correspondait à une vision généreuse du sport. Nous devrions reprendre ce débat. Je crois qu'il devrait traiter l'ensemble des questions qui sont liées au sport, à sa vision citoyenne et analyser l'ensemble des éléments qui pèsent sur lui et qui correspondent à des intérêts particuliers, mercantiles et honorifiques, qui sont à reprendre dans un rapport assaini à la société.
Nous devrions être conviés à mieux rebâtir cette société, et je pense que votre rapport le fera.
Moi aussi je souhaiterais que nous redéfinissions le rôle du sport dans notre société, mais il faut également redéfinir le ressenti des gens par rapport au sport, surtout le sport professionnel.
Je me souviens qu'au début du Tour de France 1998, l'équipe Festina a été retirée du Tour de France. Or, trois jours plus tard, des banderoles fleurissaient sur les routes : « Rendez-nous Virenque ! Rendez-nous Festina ! »
Ces réactions signifiaient que les coureurs pouvaient prendre ce qu'ils voulaient dès lors qu'ils proposaient du spectacle. Je crois que le sport aujourd'hui se trouve à ce niveau : panem et circenses, du pain et des jeux.
Je voudrais pour ma part qu'il soit dit que l'on souhaite faire du sport ; nous pourrons alors peut-être intervenir.
Pour poursuivre dans ce qui a été dit tout à l'heure, il faut savoir que j'ai démarré le cyclisme à l'âge de dix-huit ans, avec un taux d'hématocrites s'élevant à 48 ou 49 %. À présent, je ne dépasse plus 41 %, après être passé à 35 % à certaines périodes.
J'ai donc fait du sport, sain, c'est vrai, mais je ne suis pas certain d'avoir préservé ma santé pour autant.
Je souhaite également revenir sur la médiatisation du sport, qui est de deux types : la première est « spécialiste » du sport, la seconde plus « généraliste ». Il est difficile de bénéficier d'un journalisme de qualité.
Pour promouvoir des valeurs, nous devons obtenir un soutien, que ce soit des médias, des organisateurs ou des personnes responsables des équipes.
Je tiens également à évoquer la « médecine des symptômes », c'est-à-dire la médecine sportive que nous retrouvons dans les équipes de haut niveau et qui consiste à enlever ou cacher un éventuel problème. On ne cherche pas à savoir pourquoi un sportif est malade. Je souhaite pour ma part un sport qui soit tel que je l'ai vécu, c'est-à-dire une école de la vie. Le sportif doit également avoir des moments pour savoir ce qu'il est et ce qu'il souhaite faire de son avenir, en tenant compte du passé et de son présent.
J'ai quelques propositions. Je pense tout d'abord qu'il convient d'optimiser les moyens et de mieux coordonner l'ensemble des structures qui s'occupent du sport.
Ensuite, les conflits ne doivent pas surgir entre les instances sportives et les instances d'éducation.
La place de l'Europe me paraît aussi très importante. Dans le cadre de l'Agence mondiale anti-dopage, elle a notamment joué un grand rôle.
Il est par ailleurs nécessaire d'obtenir une indépendance totale entre les structures d'observation, de prévention et de contrôle d'une part et les institutions sportives d'autre part.
La collaboration avec les entreprises biotechnologiques et biomédicales me paraît également impérative.
Peut-être suis-je naïf. Le sport de haut niveau étant une économie, je pense en effet que le budget, sous forme d'une taxe du « sportif bio », doit venir des différents financiers du sport - et pas uniquement des États - car ce sont eux qui détiennent le vrai pouvoir. Je parle là des médias, des équipementiers, etc.
Pour finir, je pense qu'un sportif n'est pas un malade. L'activité sportive améliore la santé. Le sport de haut niveau pratiqué intensément peut toutefois rendre malade, nous en sommes tous convaincus. Un sportif de haut niveau ne devrait pas être médicalisé à outrance. Il faut donc réglementer l'exercice du sport s'agissant de la médicalisation.
J'aimerais conclure sur la notion plus large de la « fabrique des champions ». Comment accompagner ces derniers ? Je pense que nous devons travailler sur les notions de pression : celle des entraîneurs, mais aussi celle, plus insidieuse, qui s'exerce en termes de réussite, et celle qui peut être projetée par les parents.
L'adolescence peut apparaître comme une période de fragilité, mais aussi et surtout comme une période de protection, dans la mesure où le jeune peut se trouver totalement en désaccord et en rupture par rapport aux exigences parentales.
Les enfants n'ont pas le choix. C'est à l'adolescence que cette question du choix se pose.
Il est donc important de discuter de toutes ces valeurs, qui s'étendent bien au-delà d'un parcours tenant compte de la notion de goût de l'effort, c'est-à-dire de la performance stricte. Nous avons tendance à voir s'effriter dans les nouvelles générations cette notion de goût de l'effort. Or, le sport de haut niveau apparaît comme un formidable moyen de la valoriser.
Cette réflexion plus large prend ainsi en considération des enjeux subjectifs et parentaux.
Merci d'avoir accepté ce moment de réflexion, qui sera utile à la commission.
Nous accueillons M. Felipe Contepomi, rugbyman professionnel, membre du Comité des sportifs de l'Agence mondiale antidopage. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Felipe Contepomi prête serment.
Nous vous entendons M. Contepomi pour un propos liminaire qui vous permettra d'exposer votre expérience en tant que sportif encore en activité et impliqué dans les instances de l'Agence mondiale antidopage (AMA).
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre invitation. Je suis membre du Comité des sportifs de l'Ama depuis 2012. Ce Comité se réunit deux fois par an et s'intéresse aux questions relatives au dopage dans tous les sports. Le rugby, sport que je pratique, est assez peu présent dans nos discussions. L'une des principales contributions de l'Ama et de son Comité des sportifs consiste en la mise au point du nouveau code mondial antidopage qui devrait être adopté en novembre 2013.
Le dopage est au coeur de l'actualité à travers de récentes « affaires » qui sont parues dans la presse et qui ternissent l'image du sport et des sportifs. Il faut savoir que la lutte antidopage est très difficile à mener. En réalité, seuls les « mauvais » tricheurs sont en définitive convaincus de dopage. Beaucoup de tricheurs échappent aux contrôles antidopage. Seul 1 % environ des contrôles effectués par l'Ama est positif, ce qui montre selon moi leur manque d'efficacité et la capacité de certains sportifs à échapper aux sanctions.
Beaucoup de sportifs expérimentent des drogues « sociales » ou les compléments alimentaires. Ce sont souvent les plus naïfs qui se font contrôler positif. Les « professionnels » du dopage sont eux épargnés.
Je pense qu'il faut à tout prix lever les doutes sur les soupçons de dopage car dans le sport, l'exemplarité est essentielle. Personnellement, j'ai longtemps cru en Lance Armstrong et en son parcours. Pour beaucoup, ce coureur était un modèle. Les révélations sur ses tricheries ont suscité beaucoup de désillusions. Les vrais gagnants, ceux qui ne trichent pas, doivent être les vrais gagnants. Il ne faut plus que l'on ait de soupçons sur les champions. Que dirait-on si Usain Bolt ou Lionel Messi se dopaient ? Ce serait terrible.
L'Ama interdit les compléments alimentaires. Mais dans le rugby comme les autres sports, 95 % des sportifs prennent des compléments alimentaires, souvent sans savoir qu'ils peuvent contenir des substances interdites. Il faudrait plus et mieux d'éducation pour les jeunes qui pratiquent un sport collectif, je le dis d'autant plus fermement que je suis rugbyman professionnel.
Enfin, je pense que l'entourage des joueurs, médical ou familial, doit se sentir concerné par la question du dopage car il est souvent à l'origine des pratiques dopantes.
Vous participez aux travaux de l'Ama, vous avez pris des responsabilités dans les instances internationales, pensez vous que les sportifs sont suffisamment impliqués dans le combat contre le dopage ?
Dans les sports individuels, les sportifs sont plus concernés, plus impliqués sur cette question que dans les sports collectifs. Encadrés dans une équipe, les sportifs font confiance à l'entourage médical du club, si bien qu'ils suivent les protocoles ou prennent les produits ou substances qu'on leur prescrit.
Avez-vous ressenti des différences culturelles dans l'approche du dopage selon les pays dans lesquels vous avez évolué comme joueur de rugby professionnel ?
Je n'ai pas ressenti de différence non. Mais j'appartiens à la « vielle école », je ne prends pas de compléments alimentaires par exemple alors qu'en Argentine où j'ai débuté ma carrière, les sportifs en utilisent beaucoup. En Angleterre, ces compléments sont également beaucoup consommés. En France, cette consommation se généralise notamment du fait de la venue dans le championnat français de joueurs anglo-saxons. En équipe nationale d'Argentine, la préparation physique des joueurs est prise en charge par une société « Athletes' Performance » qui administre des compléments alimentaires lors des stages réalisés aux États-Unis.
D'après vous, qui êtes médecin, existe-t-il un risque que les compléments dont vous nous parlez soient contaminés ? Quels sont les dangers associés à la prise de ces produits ?
Ces compléments sont destinés initialement aux malades dans le cadre hospitalier. Je ne suis pas convaincu qu'ils soient nécessaires dans le monde du sport. Ces produits peuvent éventuellement présenter un intérêt dans la phase de préparation des sportifs. La difficulté réside dans l'absence de recul dont on dispose par rapport aux risques engendrés par la prise des compléments alimentaires. Ces produits sont récents et circulent dans le monde du sport depuis seulement 15 ou 20 ans. Le danger principal, ce sont avant tout ces nouveaux produits qui apparaissent dans le sport, dont on ne connaît ni l'origine ni la composition...
Mais existe-il un risque avéré à prendre des compléments alimentaires selon votre expérience ?
Il n'y a pas suffisamment d'études ou d'expérimentations réalisées en la matière. Il est toutefois prouvé que la surdose de protéines peut entraîner des problèmes rénaux ou digestifs par exemple. Les effets sur les muscles sont également connus.
Les compléments alimentaires sont-ils sur la liste des produits interdits par l'Ama ?
Non, ce ne sont pas des produits interdits. Le danger, c'est que ce sont des substances très simples à prendre, comme un sachet à diluer dans l'eau. Cela répond parfaitement au désir de facilité qu'éprouvent parfois les sportifs.
Oui c'était le cas et c'est d'ailleurs tout à fait nécessaire. Simplement, cela représente un investissement en matière d'éducation et un coût financier. Dans le monde du sport professionnel, on essaie d'arriver au bout du chemin de façon la plus rapide, mais ce n'est certainement pas la méthode la plus sage. La sensibilisation à ces questions est longue et difficile. C'est plus facile de donne un « shake » à un joueur que d'accomplir cette mission de prévention et d'explication des enjeux.
Est-ce possible de se doper de manière individualisée dans le rugby sans que les autres équipiers ne n'aperçoivent de cette pratique ?
C'est assez compliqué car les sportifs se regardent beaucoup entre eux et observent les évolutions. Il reste qu'il sera toujours difficile d'avoir des convictions. Il est évident qu'il existe des rugbymen qui se dopent de manière individualisée, mais on ne les trouve pas. Sur ce sujet, certains disent que le rugby est le nouveau cyclisme. Je ne crois pas quant à moi que le dopage collectif soit une pratique dans ce sport. La seule prise collective d'un produit dopant à ma connaissance est liée à la consommation de cannabis, qui est « sociale » dans cette discipline, mais qui ne renforce pas la performance. Il y a sur ce sujet, à mon sens, une discussion à avoir sur sa présence dans la liste des substances prohibées.
Je considère quant à moi que si le cannabis est moins accepté socialement, les fumeurs sont drogués au même titre que ceux qui boivent de l'alcool. Mais pour revenir à son caractère dopant, à moins d'être très énervé avant d'entrer sur le terrain, le cannabis n'est pas une aide à la performance. La grande partie des rugbymen contrôlés positifs l'est au cannabis, mais cela fait partie assurément de pratiques sociales plutôt que dopantes.
Estimez-vous que le calendrier de la saison de rugby soit raisonnable ou déraisonnable ? Selon vous, existe-t-il un risque que ce calendrier puisse inciter les joueurs à recourir au dopage ?
C'est une bonne question. Le calendrier peut effectivement pousser des joueurs à se poser la question du dopage.
Le calendrier est long, mais si à tout le moins la préparation était adaptée, on pourrait faire en sorte que les joueurs puissent s'y adapter. Le problème en France est, pour les internationaux, que la saison finit à la fin du mois de juin et reprend à la mi-août. Provale demande quatre semaines de congés successives et les quinze jours qui restent ne peuvent pas suffire à disposer d'une préparation adaptée pour jouer dix mois. À la rigueur, on peut tenir deux ou trois saisons à ce rythme, mais en aucun cas on peut s'améliorer physiquement dans ces conditions !
En Irlande, les joueurs internationaux qui finissent en juin, ont des vacances d'un mois et de huit semaines supplémentaires de préparation. Les internationaux, ainsi, ne jouent pas les 4 premiers matchs de championnat. C'est la raison pour laquelle O'Driscoll est à son meilleur niveau depuis 15 ans. La grande différence, c'est qu'en Irlande, la fédération gère le calendrier, alors qu'en France, les conflits d'intérêt entre la Ligue et la Fédération créent une forte tension sur le calendrier. C'est aussi ainsi, à mon sens, que l'on peut arriver à prendre des compléments alimentaires et peut-être à des produits prohibés.
Vous voulez dire que la fédération gère l'ensemble des matchs du championnat irlandais ?
Oui
Dans une interview récente, vous disiez que les « stéroïdes sont derrière nous ». Pensez-vous que ces produits étaient vraiment répandus ?
Je parlais en fait pour mon pays qu'est l'Argentine. Je n'étais en effet pas en France dans les années 80 ou 90. Mais c'est vrai que la prise d'anabolisants était courante, comme la prise de compléments alimentaires aujourd'hui. L'augmentation des contrôles et l'arrivée de l'Ama a changé les esprits, même s'il est vrai que la prise de conscience de l'importance de la lutte antidopage n'est pas suffisante.
À cet égard, je considère que l'IRB (International Rugby Board), avec sa commission antidopage, ne doit pas être la seule à travailler sur la prévention. Une action forte doit être menée au sein de chaque fédération avec un relais dans les clubs. Il est évident que ce n'est pas l'IRB qui changera les pratiques d'un petit club de région parisienne.
Quelqu'un vous a-t-il déjà proposé des substances dopantes dans votre carrière ?
Non. Mais comme je ne prends même pas de compléments alimentaires, on ne va pas me proposer d'autres produits. Le mauvais entourage est en effet à l'affut de signes indiquant qu'un sportif est prêt à franchir le pas. Les réseaux de soigneurs proposant les services dopants savent à qui s'adresser...
Estimez-vous qu'il existe des réseaux de trafiquants de produits dopants dans le rugby ou de préparateurs physiques aux pratiques illégales ?
Il n'en existe pas forcément qui soient spécialisés dans le rugby mais ça existe dans le monde sportif. Et un préparateur dans telle ou telle discipline peut rapidement essaimer dans d'autres sports.
Est-ce que vous pensez que les sanctions sont suffisamment dures ? Une pénalisation de l'usage des produits dopants serait-elle utile ?
Les sanctions de dopage existent dans le sport amateur autant que dans le sport professionnel. Une sanction pénale dans le sport amateur me paraitrait nettement disproportionnée. Pour les sportifs de haut niveau, une suspension et une annonce publique de dopage sont déjà des sanctions dures. Je crois cependant que la sanction sportive pourrait être encore renforcée.
Un préparateur physique français, M. Alain Camborde, a été mis en examen pour exercice illégal de la profession de pharmacien et mise en danger de la vie d'autrui. Il était préparateur physique de l'équipe d'Argentine en 2007. L'avez-vous connu ?
À ma connaissance notre entrainement a été assuré uniquement par des préparateurs américains. D'où était-il en France ?
Oui, Alain, ça me dit quelque chose, du club de Patricio Albacete. Mais il n'était certainement pas de manière officielle avec l'équipe argentine. Il reste que des joueurs prennent des compléments alimentaires qui ont pu leur être fournis par certains préparateurs particuliers.
Si des faits de prise de produits dopants sont avérés, je maintiens que des sanctions très dures devraient être prises.