Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Romestaing prête serment.
Je vous remercie d'avoir invité le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) pour évoquer la lutte contre le dopage, sur lequel le CNOM n'a pas pris position publiquement depuis un certain nombre d'années. Notre dernier document relatif à la lutte contre le dopage date de 2005 et n'avait qu'un usage interne. La lutte contre le dopage n'en est pas moins une composante de la mission de service public dont le Conseil de l'ordre est investi, en tant qu'il est chargé de faire respecter les règles imposées par le code de déontologie. Je suis quant à moi et pour quelques semaines encore en charge de la section santé publique.
Le dopage ne touche qu'une faible part de la population. Il nous préoccupe toutefois car il remet en cause le rapport de confiance établi entre le patient, sportif ou non, et son médecin. Si certains patients ont recours, à cette fin, à un professionnel de santé inscrit régulièrement au tableau de l'ordre, d'autres s'appuient sur des praticiens étrangers désormais soumis, en vertu d'une disposition récente, à une obligation de déclaration de prestation de services.
Concilier le respect du secret professionnel et la sanction des professionnels prescripteurs de produits interdits, telle est la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés. La position du CNOM est néanmoins claire, qui figure dans la nouvelle édition des commentaires du code de déontologie, codifié aux articles R. 4127-1 et suivants du code de la santé publique. Les commentaires de son article 4 rappellent l'article L. 232-3 du code du sport, qui dispose que « Le médecin qui est amené à déceler des signes évoquant une pratique de dopage : 1° Est tenu de refuser la délivrance d'un des certificats médicaux définis aux articles L. 231-2, L. 231-2-1 et L.231-2-2 ; 2° Informe son patient des risques qu'il court et lui propose soit de le diriger vers l'une des antennes médicales mentionnées à l'article L. 232-1, soit en liaison avec celle-ci et en fonction des nécessités, de lui prescrire des examens, un traitement ou un suivi médical ; 3° Transmet obligatoirement au médecin responsable de l'antenne médicale mentionnée à l'article L. 232-1 les constatations qu'il a faites et informe son patient de cette obligation de transmission. Cette transmission est couverte par le secret médical ».
La formation initiale et continue des médecins accorde-t-elle une place suffisante aux questions de dopage, et notamment à sa prévention ?
L'inadéquation de l'enseignement universitaire à la pratique médicale est une question qui nous occupe beaucoup. Les savoirs dispensés sont souvent très théoriques. Nous avons débattu récemment des pratiques non conventionnelles, très répandues dans notre pays, mais ignorées à l'université. Le ministère de la santé, dont relèvent les professionnels de santé, et celui de l'enseignement supérieur, chargé des études médicales, ne semblent guère travailler ensemble.
En février 2012, un rapport de l'Académie nationale de médecine estimait « évident que les protocoles de dopage ne peuvent être établis que grâce à la contribution active de scientifiques médecins et pharmaciens ». Quelle est la responsabilité du CNOM dans tout cela ?
Le Conseil est chargé de faire respecter les règles déontologiques. Les professionnels de santé ne sauraient, à peine de sanctions disciplinaires, prescrire, délivrer ou administrer de produits non autorisés.
Des sanctions ont-elles déjà été prononcées contre des médecins en exercice ? Si oui, combien, et de quelle nature ?
Je n'ai pas connaissance de sanctions prononcées, ni même de saisine d'un conseil départemental sur de tels fondements. Je poserai la question à la greffière en chef du CNOM, véritable mémoire de l'institution.
Vous pourrez nous communiquer tout élément d'information complémentaire par écrit.
Quelle que soit la discipline concernée ou l'institution qui les diligente, les contrôles antidopage sont positifs dans 1 % à 2 % des cas. Cela vous semble-t-il refléter la réalité du dopage ?
Je découvre ce type d'information, comme tout un chacun, par le biais des médias. À titre personnel, il m'arrive de penser que les contrôles ne sont pas assez nombreux ni assez efficaces, mais le CNOM n'a pas de position officielle sur la question.
De nombreuses personnes auditionnées, en particulier celles issues du monde du cyclisme, nous ont affirmé que les maillons principaux de la chaîne de dopage étaient le directeur technique et le médecin. Vous avez sans doute entendu parler de l'affaire Puerto qui secoue l'Espagne : le docteur Fuentes vient d'être condamné à un an de prison et quatre ans d'interdiction d'exercer dans le sport. Que vous inspire cette condamnation ?
J'ai évoqué le cas des médecins étrangers exerçant en France mais échappant à la juridiction ordinale. Nous souhaitons, en Europe, resserrer la coopération entre les diverses instances professionnelles et avec les ministères. L'échange d'informations entre les différents pays est très difficile à mettre en oeuvre. Le CNOM y travaille au sein de la conférence des ordres européens. Le système d'information du marché intérieur (IMI) ébauché par la Commission européenne pour faciliter la libre circulation des professions au sein de l'Union européenne y contribue également.
Sans me substituer aux chambres disciplinaires, je crois pouvoir dire que les sanctions prononcées dans ce type de cas sont l'interdiction d'exercer, voire la radiation définitive.
Pas à ma connaissance, en effet.
La liste des substances interdites est mise à jour annuellement à l'échelle mondiale. Est-elle suffisamment connue des médecins ? Son maniement n'est-il pas trop difficile ?
La plupart des médecins méconnaissent la liste des médicaments interdits. Ces questions sont absentes des enseignements, et les programmes de développement professionnel continu (DPC) - nouveau nom de la formation continue obligatoire depuis le 1er janvier 2013 - relatifs aux enjeux de santé publique et de développement économique n'en font pas plus grand cas.
Le CNOM pourrait-il contribuer à la lutte contre le dopage en participant à la formation continue dispensée à ses membres, par exemple en communiquant sur les substances et les méthodes dopantes ?
Je partage tout à fait votre approche. Nous pourrions sensibiliser les 200 000 médecins en activité grâce aux canaux de communication dont nous disposons déjà : le bulletin trimestriel du CNOM, dont une récente édition traitait des dérives sectaires, notre newsletter ou encore notre site internet lui-même. Je m'engage à relayer cette initiative.
Merci. Elle me paraît utile, y compris pour les nombreux sportifs du dimanche.
Compte tenu de l'importance du sport dans nos vies quotidiennes, la médecine du sport est-elle suffisamment développée en France ? Elle semble l'être davantage chez certains de nos voisins.
Les cabinets de médecine du sport se multiplient. Ce n'est toutefois pas une spécialité médicale au sens des textes, pas plus que ça ne l'est, à ma connaissance, chez nos voisins. On dit souvent que nous avons une médecine d'organes, spécialisée, faisant passer au second plan la vision synthétique du processus de soin. C'est pourquoi à mon sens, la médecine du sport relève d'abord du médecin généraliste.
Une médecine très spécialisée n'en est pas moins nécessaire pour traiter certaines pathologies sportives spécifiques à une discipline. Ainsi, en tant qu'ORL, je suis de nombreux adeptes de la plongée sous-marine.
Certains sportifs nous ont dit avoir fait confiance à leur médecin de club ou à leur préparateur sportif, avant d'être reconnus coupables de dopage. Cela vous paraît-il crédible ?
Un médecin traitant peut très bien, par ignorance de la liste des médicaments interdits par exemple, commettre une erreur porteuse de telles conséquences. Quant au médecin sportif qui, au sein d'une équipe sportive, délivrerait au sportif des substances douteuses sans lui donner toutes les informations sur le produit, son comportement serait intolérable. Peut-être ce genre de cas existent-ils... L'honnêteté intellectuelle veut en principe que le médecin informe en toute transparence son patient de son état de santé. Sur ce point, la loi Kouchner de 2002 a repris les exigences du code de déontologie médicale.
Vous dites ne pas avoir connaissance de cas semblables à ceux que nous évoquons. Il y a pourtant actuellement plusieurs procès en cours. Le dossier relatif au club d'Aubervilliers est toujours en cours d'instruction. Le médecin a avoué. Le CNOM est-il au courant, et s'en préoccupe-t-il ?
Il est en informé par voie médiatique. Mais il ne peut agir que si un conseil départemental est saisi, qui transmettra alors le dossier à une chambre de discipline.
Une chambre disciplinaire peut s'autosaisir pour connaître du cas d'un médecin inscrit au tableau de l'ordre. Mais je doute que les médecins susceptibles de contrevenir au code de déontologie en matière de dopage soient encore inscrits : à l'instar de ceux versés dans les pratiques sectaires, ils s'en font radier pour échapper aux juridictions ordinales.
Certaines substances pharmaceutiques sont prescrites dans des quantités qui excèdent de loin les besoins thérapeutiques. Le CNOM collabore-t-il avec la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pour identifier des pratiques prescriptives douteuses ?
Le CNOM et la Cnam ont très peu de contacts. Les rencontres passées entre nos deux organismes n'ont pas porté sur ces questions. L'inscription au tableau de l'ordre et le numéro d'identification dans le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) donnent à l'assurance maladie accès à l'ensemble des prescriptions effectuées par un praticien. Via sa section des assurances sociales, structure hébergée par le CNOM, l'assurance maladie peut être saisie d'un problème de nomenclature ou d'une anomalie de prescription. Mais je n'ai pas connaissance d'affaires instruites sur de tels fondements.
Quel est votre sentiment sur les compléments alimentaires ? D'aucuns ont exprimé ici des doutes sur leur composition réelle.
Le CNOM n'a pas d'avis sur les compléments alimentaires, mais il s'interroge plus largement sur les pratiques non conventionnelles. L'engouement que rencontrent ces méthodes nous interdit de les ignorer ou de les dédaigner. Il faut faire confiance aux professionnels, mais garder un esprit critique. Nous avons besoin d'une évaluation scientifique de ces techniques, analogue à celle qui précède la mise sur le marché d'une nouvelle molécule.
Existe-t-il des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) de complaisance ? On nous a dit qu'elles étaient courantes dans certains sports.
Nous nous trouvons là à la frontière entre ce qui est interdit et ce qui est autorisé. Les AUT sont parfois justifiées. Lorsqu'elles deviennent systématiques ou portent sur des doses inadaptées, il faut alors s'interroger. La délivrance d'une AUT de complaisance est passible de sanctions disciplinaires.
La réflexion du CNOM n'a pas abouti sur ce point. L'échange entre le patient et le professionnel de santé a un caractère unique. Par exemple, tous les diabétiques sont différents et nécessitent une prise en charge particulière. Il est difficile de concevoir des règles applicables à tous.
Revenons sur les compléments alimentaires : la progression continue de leur consommation en fera à terme un véritable problème de santé publique. Le risque de leur contamination par des molécules suspectes n'est-elle pas un problème à mettre au centre de la réflexion du CNOM ?
Nous devons étudier le problème sous l'angle scientifique. Le succès que rencontrent les compléments alimentaire est indissociable de la défiance à l'égard des médicaments. Adjoindre à ces produits des molécules interdites serait purement et simplement illégal. Nous étudierons la possibilité de communiquer de manière ciblée à ce propos, d'attirer l'attention des professionnels qui exercent dans ce secteur. Notre seul moyen d'action consiste actuellement à radier ceux qui se livreraient à de tels agissements.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? Quelles pistes de travail vous semblent prioritaires dans la lutte contre le dopage ?
Je ferai un parallèle avec les dérives sectaires. Il y a des pratiques occultes, dont certaines impliquent des médecins. Ceux-ci ne sauraient rester inscrits au tableau de l'ordre. L'essentiel, c'est que le CNOM en soit informé et saisi. Dépourvus de pouvoirs d'enquête, nous ne pouvons monter au créneau dès qu'une affaire éclate médiatiquement. Nous sommes en tout cas disposés à travailler avec vous pour rendre la lutte contre le dopage plus efficace.
Monsieur Jean-Pierre de Vincenzi, vous êtes directeur général de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) ; merci d'avoir accepté de venir nous parler.
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre de Vincenzi prête serment.
Merci pour votre accueil. Je ne suis pas un spécialiste des questions de dopage, car je n'y ai guère été confronté dans ma carrière : certains secteurs sportifs sont plus exposés que d'autres. Je ne suis directeur général de l'Insep que depuis le 11 mars dernier ; mais j'ai été directeur technique national et directeur général de la fédération française de basket (FFB), où j'ai pris des mesures de prévention classiques : définition de populations-cibles, contrôles inopinés, saisie des emplois du temps sur une application informatique afin de localiser des athlètes. Pour les joueurs de l'équipe nationale qui jouaient à l'étranger la localisation était plus difficile : nous déclarions donc à l'agence française de lutte contre le dopage (AFLD) le programme d'entraînement de l'équipe de France, et les athlètes devaient déclarer leur localisation. Les questions de dopages étaient traitées par le président de la commission médicale de la fédération, et je n'avais pas accès aux résultats des analyses, qui étaient confidentiels.
Les sportifs de l'Insep sont, bien sûr, particulièrement exposés. L'un des objectifs de la lutte contre le dopage est la protection de leur santé. Nous avons des mineurs, qui sont pensionnaires, et des majeurs. Tous sont sous l'autorité de leur fédération : l'Insep n'est qu'un opérateur, les entraîneurs sont des entraîneurs fédéraux. Les médecins et kinésithérapeutes le sont aussi ; chaque équipe a un médecin référent. Chaque année, le service médical de l'Insep organise une session d'information pour les mineurs sur les risques et les conséquences du dopage. Des contrôles inopinés - environ 150 par an - sont diligentés à l'Insep par l'AFLD et par les fédérations internationales. Certains spécialistes pensent que ces contrôles pourraient être mieux coordonnés. L'année la plus chargée en contrôle est l'année préolympique : tous les athlètes présents à l'Insep sont contrôlés, par une action concertée entre le comité national olympique et sportif français et l'AFLD.
Il n'y pas eu de gros cas de dopage avéré à l'Insep ces dernières années. Le cas le plus connu est celui d'un cycliste, qui n'a pas pu être localisé à trois reprises sur le logiciel Adams... En 1997, il y avait eu un problème avec un judoka. L'usage festif de marijuana, qui n'a guère d'impact sur la performance, peut donner lieu à des contrôles positifs pendant un certain temps. L'absence de coordination entre les contrôles de l'AFLD et ceux diligentés par les fédérations internationales n'est pas forcément mauvaise : elle maintient un peu d'incertitude. Avoir été contrôlé ne permet pas de se doper tranquillement, un autre contrôle peut survenir.
Les athlètes sont contrôlés deux ou trois fois par an par le service médical de l'Insep. Une anomalie relevée peut être pathologique - elle est alors traitée - ou suspecte : le médecin fédéral est alors informé, et c'est à la fédération qu'il revient de demander à l'AFLD de diligenter un contrôle, inopiné ou non. Il faudrait que les résultats des contrôles sanguins soient transmis au médecin de l'Insep, qui assurerait ainsi un meilleur suivi des athlètes. Au lieu de cela, le réflexe est de régler les problèmes entre soi. Il serait souhaitable que des contrôles soient effectués en plus grand nombre et plus régulièrement tout au long de l'année : cela accroîtrait leur effet dissuasif. Nous nous efforçons de bien faire comprendre aux athlètes les conséquences que le dopage peut avoir sur leur santé.
Merci. Vous avez pris vos fonctions à l'Insep trop récemment pour avoir une connaissance approfondie du dossier. Mais vous avez appartenu à la fédération de basket-ball : vous souvenez-vous des mesures qui y ont été prises pour participer à la lutte contre le dopage ? Témoignaient-elles d'une volonté de débusquer les tricheurs ?
Il est important de responsabiliser les sportifs. Le dopage est une tricherie, mais il menace aussi la santé. Les jeunes ont un sentiment d'invulnérabilité qui est bien dangereux pour eux. Un cycliste le déclarait un jour sans honte : si on lui avait dit que pour gagner le Tour de France il fallait boire un litre de pétrole, il en aurait bu deux pour être sûr de l'emporter ! Aucun ne songe aux dégâts ultérieurs.
Il est essentiel que les dirigeants ne tiennent pas un discours ambigu. En 1999, nous avions organisé le championnat d'Europe en France, alors que j'étais entraîneur de l'équipe de France. J'avais demandé au médecin de l'équipe nationale de procéder à des tests urinaires sur tous mes joueurs, en France et à l'étranger, pour faire passer un message clair de fermeté. Les médecins fédéraux informent les sportifs des risques que représentent les produits dopants : c'est leur rôle, qui réclame une certaine indépendance par rapport aux entraîneurs. Dans le basket, les choses ont donc été claires, à la fois sur le plan éthique et en termes d'image.
Je vous félicite pour votre récente nomination à la direction générale de l'Insep. Vous avez été entraîneur de l'équipe de France, directeur technique national, directeur général de fédération : bref, vous avez connu de nombreux maillons de la chaîne de la performance sportive. Comment une fédération est-elle organisée ? Dans l'organigramme, quelle doit être, d'après vous, la position du médecin de la fédération ? Doit-il être coupé du directeur technique national, voire rattaché directement au président, pour être indépendant ?
J'ai eu la chance de n'avoir jamais de problème avec les médecins de fédération que j'ai connus. Mon sport est cependant moins que d'autres affecté par des affaires de dopage. L'équipe médicale doit être indépendante et soumise au secret, pour préserver son statut. Les entraîneurs ont tendance à vouloir constituer leur équipe, y compris médecin et kinésithérapeute, qui occupent une place spéciale auprès des sportifs et sont bien placés pour faire passer des messages : lorsqu'ils sont couchés sur la table de massage, les athlètes sont plus réceptifs... Les meilleurs médecins sont de très bons canaux de communication. Les commissions médicales des fédérations essaient d'imposer une rotation, car fréquenter des stars peut infléchir les comportements.
Au sein de la fédération il y a l'organisation administrative du suivi médical : comment organiser les équipes médicales, comment les préparer à assumer des responsabilités croissantes au fur et à mesure que l'équipe monte en puissance ? Il faut aussi gérer le secret médical, ce qui réclame de l'indépendance. La commission médicale doit donc être intégrée au sein d'un pôle de compétences - chez nous, par exemple, c'était le pôle « haut niveau », qui rassemblait les ligues professionnelles, les équipes nationales de jeunes et de seniors, les cadres techniques, les entraîneurs nationaux et le service médical - mais pouvoir se retrancher derrière une nécessaire confidentialité, afin d'échapper à la pression des résultats.
Ce n'est pas simple : dans une compétition majeure, face à un joueur blessé mais qui veut disputer la finale, le médecin doit prendre une décision dont les conséquences sont considérables, au-delà même de la fédération, qui n'est pas propriétaire de ses joueurs... Le médecin décide en son âme et conscience, mais il ne doit pas être seul, il a besoin du soutien du coach, de l'entraîneur. La relation de confiance est donc primordiale, pour que le médecin ne se protège pas en arrêtant trop les joueurs, ou, à l'inverse, ne les expose pas excessivement pour que l'équipe obtienne des résultats. Sans un certain recul, une certaine hauteur de vue, on ne fera pas une longue carrière de médecin sportif.
À qui la décision revient-elle finalement ? À l'entraîneur ou au médecin ?
Il y a aussi l'athlète, qui peut faire pression. Le médecin donne un avis, mais c'est l'entraîneur qui décide de faire entrer, ou non, le joueur sur le terrain. Je parle, bien sûr, des cas de blessures. J'ai connu deux finales, l'une européenne et l'autre olympique, l'une masculine, l'autre féminine, où j'ai bien vu que si le médecin est seul pour prendre la décision, face à un joueur qui veut jouer, c'est perdu d'avance. Il doit être soutenu dans son indépendance par l'entraîneur.
Vous avez indiqué qu'environ 150 tests par an étaient pratiqués à l'Insep. Quelle est la part des tests urinaires, capillaires, sanguins... ?
Je ne connais pas le détail des chiffres.
Oui.
Le basket est typiquement un sport international, les joueurs français sont nombreux aux États-Unis. Or la NBA n'a pas signé le code mondial antidopage - l'une des raisons d'être de notre commission est de formuler des propositions pour la prochaine révision du code mondial antidopage. Ne craignez-vous pas de retrouver en équipe de France des joueurs qui auraient été concernés par le dopage à l'étranger ? Cela pose un problème que la NBA ne soit pas signataire du code mondial antidopage...
C'est une crainte que l'on a toujours. Aux États-Unis, les règles ne sont certes pas les mêmes, et les joueurs évoluent dans un contexte différent... Personne n'avoue spontanément avoir recours à des produits dopants, une omerta pesante règne. J'observe toujours l'attitude des joueurs lors de contrôles inopinés, et je dois dire que c'est plutôt rassurant : je n'y ai jamais décelé la volonté de se soustraire à ces tests, ni même le moindre embarras. Ils acceptent les contrôles avec une sérénité qu'ils n'auraient pas s'ils étaient dopés. Mais la NBA est un monde à part : le monde du spectacle sportif, qui a sa propre conception de la lutte contre le dopage. Le nombre de matchs effectués par les joueurs est impressionnant, et se traduit d'ailleurs par de la « casse » : les blessures sont fréquentes. Trois matches par semaine, même en se déplaçant en avion privé, cela laisse des traces. Comment les joueurs tiennent-ils ? Je ne sais pas.
Aviez-vous ce type de débats au sein de la fédération internationale de basket ? Le basket est un sport olympique, et le CIO finance à 50 % l'agence mondiale antidopage. La NBA est un monde à part, certes...
Les institutions conviennent volontiers de la nécessité de lutter contre le dopage, reconnaissent que les calendriers sont trop chargés ; mais chacune doit vivre et les compétitions s'additionnent. La concertation est insuffisante pour que ce problème soit correctement pris en compte, à mon avis.
Quels sont les motifs qui poussent un sportif à se doper ? La recherche de la performance ? L'appât du gain ?
C'est compliqué. J'ai connu deux sportifs qui jouaient dans un pays européen, il y a plus de dix ans. Ils m'ont dit qu'ils ne buvaient pas l'eau et n'absorbaient pas les pilules qu'on leur donnait. Cela posait deux problèmes : leur performance en dents de scie contrastait avec la régularité des autres membres de l'équipe et risquait de les faire exclure ; leur excellente technique ne suffisait pas face à la puissance physique des autres joueurs. Ils jouaient l'Euroligue : ils n'ont pas tenu longtemps.
C'est affaire d'intelligence, de conscience, mais aussi d'entourage. Il y a le choix entre plusieurs voies : court terme, long terme, santé... Bien sûr, l'appât du gain est fort, mais celui de la simple réussite n'est pas à négliger : dans bien des sports, les athlètes de haut niveau sont au smic...
Entre 9 000 et 12 000 euros.
Vous avez pratiqué aussi le rugby, la natation, ainsi que d'autres sports : y avez-vous été confronté à la question du dopage ?
Directement, non ; mais parfois par ouï-dire. J'ai entendu dire que certains prenaient des amphétamines, du captagon : du dopage à la petite semaine. Entraîneur de l'équipe de France de basket, j'avais déclaré en 2000 que mes joueurs ressemblaient à des haricots verts par rapport aux autres : les journaux avaient écrit « De Vincenzi fait son potager »... Certains joueurs d'équipes adverses avaient, eux, connu une véritable métamorphose physique en peu de temps. Cela ne nous a pas empêchés d'aller en finale olympique.
Pour suspecter, il faut des indices. Ce sont tous d'excellents joueurs. Ils sont très forts. Les mauvais athlètes ont peu de chance de réussir uniquement grâce à des produits dopants.
Vous avez connu l'évolution de la lutte contre le dopage en France. Avez-vous le sentiment que nous avons progressé ? En faisons-nous assez ? Trop ?
Prendre le problème à bras le corps il y a une dizaine d'années a été très courageux. La France a été montrée du doigt. Mais cette singularité me plaît.
On a dénoncé les mesures de lutte contre le dopage comme une intrusion dans le monde du sport. Les athlètes suggéraient que l'on contrôle toute la population, toutes les catégories socioprofessionnelles... L'idée que le dopage est anormal entre enfin dans les moeurs. Les contraintes qu'impose son éradication sont désormais acceptées. Le logiciel Adams a d'abord été vu comme une atteinte aux libertés individuelles. C'est vrai qu'il pose un problème, d'autant que les athlètes ne sont pas toujours très bien organisés. Mais on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs, et le suivi biologique au long cours est certainement la meilleure solution pour lutter contre le dopage. Cette lutte est désormais vécue non plus comme une obligation, mais comme un devoir.
Il ne faut pas opposer les éducateurs et les entraîneurs de haut niveau. Tous travaillent sur la matière humaine, quel que soit le niveau sportif !
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Bénézech prête serment.
Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les sénateurs, mon propos sera dense puisque j'évoquerai lors de mon propos introductif trois époques distinctes : le passé, le présent et l'avenir. Je tiens à préciser que je ne suis pas ici pour vous parler de dopage mais d'accompagnement médicalisé de la performance. Je m'expliquerai sur cette distinction de langage plus loin.
S'agissant de mon expérience passée, j'indique que j'ai mis fin à ma carrière professionnelle de joueur de rugby en 2000. L'année précédente, en 1999, j'ai été opéré d'un décollement de la rétine dont les effets ont nécessité un traitement à la cortisone. Ce traitement était administré pour des raisons médicales, j'ai donc pu reprendre normalement l'entraînement dans mon club. C'est à cette occasion que j'ai mesuré les effets bénéfiques de la prise de ce produit, son effet euphorisant. Vous éprouvez en effet nettement moins la fatigue et la douleur, ce qui permet de vous entraîner beaucoup plus et d'aller vers la performance. À cette époque, j'ai découvert que j'avais déjà connu par le passé un ressenti physique similaire à celui causé par la prise de cortisone alors même qu'à ma connaissance je n'avais jamais pris un tel produit. Je me suis alors souvenu du mode de fonctionnement de l'équipe dans laquelle j'évoluais à l'époque : chacun était responsable de sa propre boisson, aucun joueur ne devait boire dans le bidon d'un autre officiellement pour éviter la transmission des maladies. Lors des prises alimentaires, on nous administrait ce qui me semblait être des fortifiants naturels, semblables à ce que je prenais lorsque je passais le baccalauréat.
En jetant un regard rétrospectif sur cette partie de ma carrière, je me suis progressivement forgé la conviction que j'avais été traité à la cortisone sans en avoir été informé et sans mon accord. La période que j'évoque, c'est la période de la Coupe du Monde de Rugby 1995 avec l'équipe de France de rugby.
On m'a reproché de ne pas avancer de faits précis lorsque je m'exprime sur le dopage dans le rugby. Je souhaite porter à votre attention quelques expériences qui m'ont concerné directement ou indirectement. La première d'entre elles concerne le club de Brive entre 1997 et 2000 et plus particulièrement le médecin de l'équipe qui était le Dr Hervé Stoïcheff. Ce dernier a été condamné par le Conseil de l'Ordre des Médecins régional à un an d'interdiction d'exercer suite aux prescriptions médicales administrées aux joueurs. Ce fait établi est relaté dans des articles de journaux que je transmettrai à votre commission d'enquête.
J'ai par ailleurs deux témoignages à l'appui de mes propos. Laurent Seigne, manager de l'équipe de Brive, m'a confié en 1994 alors que nous évoluions tous deux en équipe de France qu'il était suivi pour du « rééquilibrage hormonal » par le Dr François Bellocq, un médecin de la région de Bordeaux, bien connu pour avoir oeuvré précédemment dans le milieu du cyclisme. Ce traitement de « rééquilibrage hormonal » a d'ailleurs par la suite été repris par le Dr Stoïcheff.
J'ai un témoignage plus récent d'un joueur briviste de cette époque qui m'a également expliqué que lorsque le Dr Stoïcheff lui faisait une injection et qu'il lui demandait s'il s'agissait de produits dopants, celui-ci répondait systématiquement qu'il n'y aurait pas de problème et que le contrôle antidopage serait négatif. Ce verbatim est intéressant car il révèle les problématiques liées à la définition de ce qu'est le dopage.
Autre cas précis entre 1997 et 2000 : je jouais à cette époque dans le club de Narbonne mais habitais à Toulouse. En raison de la distance qui séparait mon club de mon domicile, je m'entraînais de manière individuelle. Je me rendais notamment dans un club de musculation toulousain fréquenté par des culturistes. À cette époque, le monde du culturisme, à l'image du monde du cyclisme où la parole se libérait - c'est à ce moment qu'éclate l'affaire Festina - souhaitait extérioriser les pratiques dopantes dont il faisait l'objet. J'ai découvert en parlant avec certaines de ces personnes l'importance des pratiques dopantes dans ce sport ainsi que l'importance de vivre à proximité d'un pays comme l'Espagne où il était facile de se procurer les produits désirés. Les culturistes avec qui j'ai parlé m'ont expliqué qu'ils se rendaient en Espagne pour leur consommation personnelle qui était importante. Mais pour des raisons économiques, les salles de musculation étaient également devenues des lieux de revente des produits illicites achetés en Espagne, sous la forme officielle de plans d'entraînement. C'est ainsi que j'ai vu à cette époque un joueur du club de Toulouse venir prendre un plan d'entraînement dans la salle où je m'entraînais. Voici un panorama des pratiques existant dans le monde du rugby dans la décennie 1990.
Pour faire la transition avec le présent, je m'arrêterai sur l'année 2006 lors de laquelle j'étais consultant « rugby » pour le groupe L'Équipe. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai été confronté à la difficulté d'expliquer le déroulement de la finale du Top 14 de rugby entre les clubs de Biarritz et de Toulouse. Les joueurs de rugby français sont ceux qui jouent le plus au monde puisqu'une saison s'étend sur plus de dix mois. C'est la raison pour laquelle, à l'issue d'une saison, ces joueurs sont en théorie dans un état de fatigue relativement avancé. Malgré cela, le club de Biarritz qui avait pourtant joué beaucoup plus de matchs dans la saison que le Munster, province irlandaise, auquel il était confronté lors de la demi-finale de H-Cup a dominé physiquement lors des dix dernières minutes du match. Puis ce même club a remporté la demi-finale du championnat de France face à Clermont et a gagné le championnat de France contre Toulouse - pourtant éliminé en Coupe d'Europe depuis les quarts de-finale - en montrant une nette domination physique. En tant que consultant sportif, il m'était à l'époque impossible d'expliquer cette supériorité physique.
Certes, le sport garde sa part de mystère. Néanmoins, lorsque je découvre l'intervention de M. Alain Camborde, préparateur physique installé à Pau, cela ouvre mon spectre d'analyse...
L'analyse des performances de Biarritz ou des faits qui entourent Alain Camborde est intéressante car elle permet une approche psychologique du dopage dans les sports collectifs. En effet, lorsqu'un joueur qui cherche à améliorer ses performances individuelles se tourne vers le dopage, ses partenaires s'en aperçoivent, ce qui engendre naturellement un effet d'entraînement. Par ailleurs, un joueur qui se dope dans un sport collectif a tout intérêt à essaimer sa pratique du moment parmi ses coéquipiers car sa performance individuelle s'inscrit dans une performance collective... Il est aujourd'hui établi que M. Camborde a traité quelques joueurs de Biarritz, dont notamment les anciens Palois. Cela apporte nécessairement un éclairage sur les performances que j'ai pu observer en 2006.
J'en viens à la période présente, que j'ai évoquée dans une récente interview au journal Le Monde. J'ai le sentiment d'avoir été jusqu'à aujourd'hui le témoin de pratiques relativement localisées. Mais nous assistons depuis quelque temps à un développement épidémiologique de ces pratiques. Dans Le Monde, j'ai fait référence à une approche de la performance qui se situe dans la même logique que celle du cyclisme dans les années 1990. Dans le rugby, le temps de jeu effectif a beaucoup augmenté. De mon temps, il s'élevait à vingt minutes. Il est ensuite monté à trente minutes dans un contexte de professionnalisme et surtout de changement des règles, ce qui apparaît normal. Mais je doutais qu'il y ait encore une marge de progression possible. Or, nous nous situons déjà à plus de quarante minutes aujourd'hui et on nous annonce cinquante minutes de temps de jeu effectif à la Coupe du Monde en 2015.
Lorsque j'ai lancé mon cri d'alarme, je me suis concentré sur un produit en particulier, à savoir l'hormone de croissance. Cette dernière agit indifféremment sur la partie musculaire et sur la partie osseuse du corps humain. L'un de ses effets secondaires de long terme est la modification des extrémités osseuses, notamment la mâchoire qui semble perdre en souplesse. On m'a rétorqué que je n'avais aucune preuve scientifique à avancer sur ce point. Mais je n'ai trouvé aucune explication scientifique endogène à ces modifications morphologiques hors périodes de croissance. Je ne me les explique que par un apport exogène d'hormone de croissance.
Le problème est que la période de détection de l'hormone de croissance est de deux à trois jours après la prise, si bien que les sportifs qui ont recours à cette substance ne peuvent véritablement être attrapés qu'à la suite d'une dénonciation. De plus, le test de détection de l'hormone de croissance coûte cher.
J'ai pris la parole pour dénoncer une escalade dans le rugby qui me paraît dangereuse, ce qui m'a valu d'être convoqué par le syndicat des joueurs dans le cadre d'une audition devant environ quatre-vingt joueurs professionnels et plusieurs anciens joueurs aux ordres de Serge Simon. Cette assemblée m'a envoyé un message clair : elle ne souhaitait aucun changement dans le mode de fonctionnement actuel.
Concentrons-nous à présent sur le futur. Il faut saisir la période récente, marquée par l'affaire Armstrong, pour essayer de développer un regard nouveau sur l'approche de l'accompagnement médicalisé de la performance. Le dopage ne m'intéresse pas car la lutte contre le dopage constitue un échec. L'affaire Armstrong l'a prouvé.
Dans un système qui fait la part belle au sport-spectacle, qui serait intéressé par un retour de cinquante ans en arrière ? Il faut aujourd'hui anticiper les situations et faire des propositions. Le pragmatisme apparaît nécessaire car le tout-contrôle coûte cher et les résultats sont trop peu souvent au rendez-vous.
Le changement doit privilégier trois axes. Premièrement, la répression : l'agence américaine antidopage (USADA) a montré que son action n'avait pu être efficace que parce que le volet répressif était important. En France, les autorités de police chargées de lutter contre le dopage devraient avoir accès aux résultats des contrôles antidopage. Le cyclisme a changé de philosophie à partir du moment où les douanes ont arrêté Willi Voet.
Deuxièmement, il faut faire appel à un comité scientifique indépendant. La mise en place de l'agence mondiale antidopage (AMA) va plutôt dans le bon sens. Cependant, cette agence n'est pas en mesure d'élaborer des études épidémiologiques qui permettent de définir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas en termes d'accompagnement médicalisé de la performance. Aucune publication de ce type n'existe à l'heure actuelle.
Or, il faut pouvoir se fonder sur des certitudes scientifiques. Le problème du dopage est un problème à la fois de dosage et de posologie par produit et par mélange de produits.
Un biologiste venu témoigner au procès Festina a indiqué qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, personne n'était capable d'expliquer ce que pouvaient être les conséquences pour le corps humain du mélange de deux médicaments. Je rappelle que Richard Virenque était à dix prises médicamenteuses par jour. L'obscurantisme volontairement recherché aujourd'hui doit être combattu. Lorsque je parle d'accompagnement personnalisé de la performance, j'ouvre un spectre très large qui part des compléments alimentaires, protéines et autres substances connues, pour aller jusqu'à l'armement lourd, tel l'EPO.
Le troisième axe qu'il convient de mettre en avant, qui est sans doute le plus important pour moi en tant que père de famille et parce qu'il est peut être mis en oeuvre immédiatement, c'est la prévention. Aujourd'hui l'AFLD ne remplit plus ce rôle. La prévention est importante auprès des jeunes, en particulier de la tranche des 12-16 ans. Après 16 ans, il commence à être difficile à convaincre les adolescents contre le dopage, alors qu'ils refusent déjà le système, qu'ils rêvent déjà d'une pratique sportive de haut niveau. Mais auprès des plus jeunes, il est encore possible et nécessaire d'inculquer un regard qui soit différent de celui des rugbymen que j'ai récemment rencontrés.
Selon vous, les rythmes imposés aux rugbymen, en termes de temps de jeu et de répétition des épreuves, seraient donc à l'origine du problème du dopage dans le rugby ?
Non. On ne peut pas parler du dopage ou d'accompagnement médicalisé de la performance sans parler à l'échelle internationale. Il y a des pays où l'on joue peu et d'autres où l'on joue beaucoup, comme la France. Pourtant, je ne crois pas qu'il y ait de différence du point de vue du dopage. Ainsi, en Afrique du Sud, il existe un culte du corps, pour différentes raisons historiques liées sans doute à la période de l'apartheid et à leurs racines paysannes. Pour les Sud-Africains, les muscles font partie de la culture du rugby, si bien qu'il y a le même problème qu'en France, même si le calendrier est différent.
En revanche, je crois qu'il y a en effet une accélération de la course à la performance pus prégnante en France, à la fois parce que nous rattrapons notre retard, parce que notre championnat est devenu le phare du rugby mondial par sa capacité à attirer les meilleurs joueurs mondiaux, et qu'il y a donc une compétition exacerbée pour remporter un maximum de titres.
La recherche de la performance à tout prix doit donc avoir un lien quelconque avec le dopage...
Le nombre de matchs en France est un paramètre à prendre en compte qui va rendre plus difficile le fait de trouver une solution à la performance dans le cadre de cet accompagnement médicalisé. Dans le cadre de la construction de la performance, on sait qu'il est possible d'amener un athlète à maximum un, deux voire trois pics de forme sur toute une saison : si la saison dure, c'est déjà plus compliqué. D'un point de vue scientifique, la longueur de la saison pousse à davantage d'accompagnement médicalisé de la performance.
Lors de son audition, M. Felipe Contepomi a soulevé le lien qu'il pouvait y avoir entre dopage et compléments alimentaires. Quel est votre avis ?
Prenons l'exemple de la créatine : cette dernière a été un parfait écran de fumée pour faire croire au grand public que l'éventuel problème du dopage était dû à une tromperie sur la marchandise. La créatine est un acide aminé naturellement produit par le corps, qui est censé favoriser la prise de masse musculaire. Mais sur une prise exogène, elle n'a aucun effet : je le sais d'expérience, cela ne sert à rien sinon à avoir une crampe au mollet au bout de 40 minutes de jeu...
Vous avez mentionné votre convocation ou invitation à vous exprimer devant le syndicat Provale. Devant eux, leur avez-vous tenu le même discours qu'ici aujourd'hui ? Quelles ont été les réactions ?
J'avais négocié une prise de parole introductive de 10 minutes, que j'ai concentrée sur mon inquiétude pour la santé des sportifs et le risque que fait courir la fuite en avant vers davantage de performance. Cependant, l'audition avait été bien scénarisée par le Président du syndicat, dont l'objectif était, par une série de questions, que je sois décrédibilisé et amené à regretter mes propos. Mon discours ne les a donc déstabilisés que pendant quelques minutes. Leur message était clair : il s'agissait de dire que tout le monde était satisfait du mode de fonctionnement du rugby professionnel actuel.
Vous avez mentionné le nom du Dr Stoïcheff, qui a succédé au Dr Bellocq. Aujourd'hui, est-il toujours en relation avec le milieu sportif ?
Il semblerait que oui, mais je n'ai pas d'éléments concrets à avancer.
Vous avez anticipé nos questions en rappelant votre expérience dans l'équipe de France 1994 et 1995. Quelle organisation, quelles complicités, quels produits, quelles méthodes ?
A mes yeux, il ne se passait rien : j'ai passé un mois et demi en Afrique du Sud à l'entraînement. Ce n'est que quelques années plus tard, en reconstituant les pièces du puzzle, que mon ressenti physique et ma conviction intime m'indiquent que j'avais dû prendre un produit spécifique, la cortisone. En tout état de cause, cette expérience me semble intéressante pour voir qu'il est possible de faire prendre aux sportifs certains produits dans un cadre légalisé, qu'il s'agisse d'un club ou d'une équipe. Cela fait le lien avec ce que vous a exposé Felipe Contepomi, selon qui trop de joueurs sont capables de prendre des pilules proposées par le médecin ou l'entraîneur sans se poser de question.
J'ai lu que, normalement, un protocole d'accompagnement médicalisé de la performance associe plusieurs produits, mais je n'ai pas d'éléments allant dans ce sens.
L'équipe de France avait deux principaux cadres : un médecin responsable, le Dr Marc Bichon, et un manager, Pierre Berbizier. Je ne pense pas que le docteur ait pris la responsabilité de mettre en place un tel protocole sans en référer au manager, et ce dernier, que je connais bien pour l'avoir eu comme entraîneur de club, je ne pense pas qu'il ait pu prendre non plus une telle décision, dans le cadre de l'équipe de France, sans en référer au président de la fédération française. En équipe de France, le capitaine est choisi par proposition du manager et par décision de la fédération : je ne peux donc pas croire que la même procédure n'ait pas été suivie pour une question aussi sensible que l'accompagnement médicalisé de la performance.
S'agissant du contexte, je rappelle que nous étions dans une Coupe du Monde 94-95 où des équipes favorites, comme l'Afrique du Sud et l'Angleterre, prenaient du volume à vue d'oeil. Il y avait une course à l'armement qui peut expliquer une certaine fuite en avant pour devenir performant sur cette épreuve.
Dans la période actuelle, cette fuite en avant connaît-elle une accélération, un ralentissement, une confirmation ? Se confirme-t-elle par l'évolution du jeu, du calendrier, par l'arrivée massive de l'argent, etc. ?
J'ai fait un parallèle avec une épidémie qui s'étend à partir de foyers localisés, car c'est exactement ce qui est en train de se passer depuis quelques années. Si mon raisonnement correspond à la réalité, il est impossible que le rugby ne soit pas dans cette logique du dopage : les temps de jeu qui augmentent, les chocs, l'obligation dans un sport de combat de prendre le dessus physiquement sur l'adversaire, et le fait qu'il faut être performant en permanence pour rester dans le Top 14, avec les avantages économiques qui y sont liés, comme les droits télé et les partenariats.
Le dopage part non pas du meilleur joueur, mais du second : ce dernier va prendre le pas sur le premier, et tout le monde va devoir suivre. On est contraint de suivre une logique que l'on n'avait pas nécessairement voulue à l'origine.
Puis-je vous demander quelles raisons vous poussent à faire aujourd'hui ces révélations ?
C'est une bonne question dont je n'ai pas toutes les réponses. Je suis père de famille, j'ai trois enfants et ils font du sport. Il y a donc un risque éventuel qu'ils soient confrontés à la question. Je ne sais pas aujourd'hui comment je pourrai les accompagner. Je n'ai jamais eu, quant à moi, à choisir entre la fin du rêve et le début du cauchemar. Je ne voudrais pas qu'ils aient à le faire.
Je mets un coup de pied dans la fourmilière du rugby car j'ai une certaine crédibilité mais mon approche est évidemment tout sport. Un facteur explicatif est ainsi lié au fait que je sois un citoyen, et en tant que tel censé révéler les faits délictueux. Je considère qu'on n'est pas très loin de la mise en danger d'autrui dans les faits que j'évoque...
Quand vous étiez pilier de l'équipe de France de rugby, parliez-vous du sujet du dopage, notamment pendant les tournées ?
Oui et non. Déjà, ce sujet n'était absolument pas abordé avant l'affaire Festina. Mais il est vrai que celui qui est entré dans la logique du dopage va avoir besoin de trouver des points d'appui, pour des raisons psychologiques et pour crédibiliser sa pratique. Cela explique la constitution de petits groupes aux pratiques similaires.
Mon échange avec Laurent Seigne constituait probablement une manière de me tester et relevait d'une pratique de ce type.
Plus ponctuellement, le cas des sud-africains revenait dans la conversation. En 1997, lors du dernier match au Parc des Princes, plus d'une dizaine d'asthmatiques d'Afrique du sud ont ainsi balayé l'équipe de France. Des questions étaient aussi posées sur l'équipe de Brive.
En revanche, parler peut être un peu efficace. Suite à mes déclarations, un joueur professionnel m'a ainsi appelé.
Sinon le sujet revient fréquemment mais souvent sur le ton de l'humour, jusqu'à ce qu'on parle entre initiés. À cet égard, la ligne de séparation est très nette entre ceux qui sont dans le système et ceux qui sont à sa marge.
Lorsqu'au vous étiez joueur, avec quelle régularité avez-vous été contrôlé ?
J'ai subi quatre ou cinq contrôles urinaires. Aujourd'hui, lors du Tournoi des Six Nations, seuls deux joueurs sont contrôlés, ce qui reste faible sur 23 joueurs.
Je ne connais pas ce sujet en particulier. Mon propos est en outre davantage tourné vers le futur. Comment faire pour que cela n'arrive plus ? Comment trouver des solutions à cette question difficile ?
Que pensez-vous qu'il faille faire précisément ? Que pensez-vous des contrôles inopinés ?
Les contrôles ont prouvé leur manque d'efficacité. Peut-on monter en puissance ? Une approche à la fois géolocalisée et des contrôles inopinés, notamment pendant les périodes de préparation, est le meilleur moyen de progresser. Sur la géolocalisation et le rugby, je tiens à souligner qu'il n'y a pas plus sédentaire qu'un joueur de rugby. Il s'entraîne lundi et mardi, se repose le mercredi, se déplace vendredi et samedi, un week-end sur deux. Il est donc assez simple de respecter la géolocalisation, surtout quand on constate que les cyclistes y sont parvenus, alors que leur mobilité est beaucoup plus importante.
Je pense qu'il faut néanmoins surtout intervenir en matière de prévention, notamment sur les 12-16 ans. La prévention me paraîtra toujours plus efficace que de changer la logique du sport spectacle qui répond à son propre mode de fonctionnement et à ses propres règles.
Vous évoquez un créneau d'âge pour intervenir, mais qui doit porter le message ? Les parents, les éducateurs ?
Plus il y a de porte-paroles, plus c'est efficace. Un sportif professionnel pourrait être efficace. Pourrait-il être crédible ?