Déposé le 30 janvier 2019 par : M. Hugonet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Cardoux, Danesi, Mme Lopez, MM. Paccaud, Retailleau, Mandelli, Mouiller, Piednoir.
Supprimer cet article.
Cet article a pour objet le régime juridique et les conditions liés à la privatisation d’Aéroport de Paris (ADP).
Comment et pourquoi vendre une telle entreprise qui fonctionne alors qu’elle apporte tant à notre pays et qu’elle n’est, par nature, aucunement délocalisable ?
Les élus que nous sommes doutent sérieusement de la pertinence de cette opération et les arguments sont nombreux pour s’opposer à la vente d’une infrastructure qui incarne l’image de la France et de l’Europe.
Par le passé, des grands équipements ont déjà été privatisés – nous pensons évidemment aux autoroutes. Les sociétés actuellement concessionnaires de ces autoroutes ont probablement capté un surprofit ; il convient donc de ne pas reproduire cette erreur.
Nous pensons également à la vente des bâtiments de l'Imprimerie nationale, situés rue de la Convention à Paris, en 2003 au fonds d'investissement américain Carlyle pour 85 millions d'euros et racheté en 2007, à ce même Carlyle ¬pour 376, 4 millions d'euros ?
Aussi, l’argument du gouvernement consistant à pointer le faible rendement de cet investissement ne nous semble pas adapté.
On nous dit que les recettes de la privatisation placées auprès de BpiFrance permettraient d’assurer un rendement plus important que celui des dividendes de la société. Or, sur les cinq dernières années, le rendement moyen des dividendes d’Aéroports de Paris est de 2, 2 % alors que le rendement attendu des fonds placés sera de 2, 5 %. Dans cette démonstration, le gouvernement omet toutefois de préciser, qu’en tant qu’actionnaire principal, c’est lui-même qui fixe le montant de ces dividendes qu’il juge trop faible. Or, sur cette même période le cours de l’action ADP a plus que doublé, et les prévisions pour les années à venir sont très encourageantes.
En effet, le trafic aérien devrait progresser de 4, 5 à 6% chaque année d’ici 2035 selon le FMI, et Roissy-Charles de Gaulle ambitionne de devenir le premier aéroport européen en 2030. Selon l’agence Thomson Reuters, les dividendes du groupe pourraient ainsi atteindre 5, 23 euros par action en 2022 contre 3, 46 cette année. Se priver d’une telle poule aux œufs d’or n’est peut-être pas aussi judicieux que semble le suggérer le gouvernement.
Rappelons également la faible valorisation de cette cession. En effet, la privatisation devrait rapporter environ 9 milliards d’euros à l’Etat, soit à peu près le coût annuel des mesures annoncées par le Président Emmanuel MACRON pour calmer le mouvement des « gilets jaunes ». Et encore, cette somme ne tient pas compte du calcul alambiqué qu’il convient de faire pour déduire l’indemnisation des actionnaires actuels. Sans parler des importantes commissions auxquelles les banquiers d'affaires auront droit mais il n'est plus question, là, d'intérêt général.
Cette privatisation interpelle également dans la mesure où la plupart des pays, à commencer par le plus libéral d’entre tous, les Etats-Unis, détiennent leurs grands aéroports pour des raisons de souveraineté nationale. Que ce soit à Munich, Francfort, Madrid, les aéroports demeurent sous strict contrôle public. A l’exception de Londres, Il n’y a que dans les pays en voie de développement que l’on observe une majorité d’aéroports privatisés. Ces infrastructures stratégiques entrent donc dans le périmètre régalien et nous ne voulons pas nous en en séparer si facilement ; a fortiori lorsque cette cession risque de laisser un secteur entier de notre économie contrôlé par une poignée d’entreprises.
Un aéroport c’est aussi une frontière. Peut-on privatiser une frontière ?
Se pose en outre la question de l’actionnaire non souhaitable : tout actionnaire n’est évidemment pas souhaitable pour un aéroport aussi sensible.
Si, malheureusement, une privatisation devait être prononcée, il faut au moins éviter que n’importe qui puisse souscrire au cahier des charges et devenir propriétaire d’Aéroport de Paris ou devenir majoritaire ou décideur dans cette société. Comment éviter ce risque et comment éviter qu’une entreprise, même française, acquière la majorité d’Aéroport de Paris ? Comment éviter aussi que, sur la période de 70 ans, l’entreprise propriétaire soit elle-même rachetée par un actionnaire dont nous ne voudrions pas – et dont, souvent, aucun pays ne voudrait dans aucun aéroport ?
Plusieurs investisseurs ont en effet exprimé leur vif intérêt pour la privatisation d’ADP, et sont parfois déjà au capital de cette société. Or ces quelques entreprises trustent les concessions dans le domaine des transports. Ainsi une même société peut contrôler la moitié du réseau autoroutier français, être depuis mars 2017 le premier concessionnaire d’une ligne ferroviaire à grande vitesse : celle permettant de relier Paris à Bordeaux, être la principale société des parkings publics et posséder déjà 8% du capital de ADP dans une procédure de gré à gré. Est-ce réellement souhaitable ? Ne faut-il pas plutôt prendre des précautions en introduisant des mesures anti-trust ?
Plusieurs faiblesses nous inquiètent par ailleurs. Aéroport de Paris est en effet l’un des plus grands propriétaires fonciers d’Ile-de-France avec près de 7000 hectares. Si l’Etat devrait conserver des droits de veto sur le foncier de l’entreprise, ce dispositif semble faible pour s’assurer de l’avenir de ces terrains. D’autre part, en inscrivant dans la loi le système de la « double caisse » dissociant les recettes régulées (celles des redevances aéroportuaires) des recettes commerciales extra-aéronautiques (boutiques, hôtels, parkings, etc.) le gouvernement acte définitivement ce principe de comptabilité controversé. Afin de rentabiliser le fonctionnement et la modernisation des équipements aéroportuaires, dans la mesure où les fructueuses recettes des commerces n’y participent pas, les redevances perçues auprès des compagnies aériennes - et donc des passagers - ne cessent d’augmenter. Ainsi, années après années, Aéroport de Paris n’a jamais baissé ses tarifs alors que, dans le même temps, l’aéroport d’Amsterdam Schiphol a diminué ses redevances de plus de 25% entre 2015 et 2017. Lorsqu’un Boeing 777 se pose à Roissy, la facture atteint 16 000 euros, tandis qu’elle n’est que de 8 000 euros à Amsterdam. En pérennisant ce système comptable, et en risquant de l’étendre à l’ensemble des aéroports français, nous allons mettre encore un peu plus en difficulté le principal client d’Aéroport de Paris qui n’est autre qu’Air France.
Si cette privatisation devait avoir lieu, il serait légitime que les principaux bénéficiaires en soient les contribuables. Ce sont eux qui doivent payer des taxes nouvelles, décidées il y a quelques semaines, pour financer le dérapage de la Société du Grand Paris, près de 13 milliards en 3 ans. Le contribuable francilien paye depuis trop longtemps les errements de l’Etat qui ne tient pas ses engagements. Dans cette affaire, l’état veut privatiser les recettes et laisser des charges aux contribuables.
Enfin, il pourrait est intéressant de connaître comment cela se passe avec les aéroports qui viennent d’être cédés. La reprise du rapport de la Cour des Comptes (11/2018) appelait l’Etat à mieux maitriser les investissements étrangers dans les aéroports français, particulièrement en s’appuyant sur la vente de l’aéroport de Toulouse en 2015 à un consortium chinois.
A ce sujet l’investisseur chinois inquiète du fait de son manque d’expérience en matière de gestion aéroportuaire et de son manque de transparence financière.
Que dire encore de l’aspect stratégique lorsque l’on sait que l’aéroport de Toulouse est la base du consortium européen Airbus et de centres de compétence aéronautique français…
Pour l’ensemble de ces raisons et bien d’autres encore, il convient dès lors de supprimer cet article.
NB:La présente rectification porte sur la liste des signataires.
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