La délégation procède à l'examen du rapport de Mme Marie-Thérèse Bruguière, rapporteur, sur la politique territoriale de la santé.
Pour préparer ce rapport, j'ai procédé à de nombreuses auditions : médecins, syndicats de praticiens et des personnalités d'origines diverses, mais toutes grandes connaisseuses de la question, parmi lesquelles je citerai le professeur François-Bernard Michel, notre collègue Jacques Blanc ou encore le docteur Élisabeth Hubert. Nous avons également réalisé des déplacements : à l'Agence régionale de santé (ARS) de Lille ou à celle de Montpellier par exemple.
Nous sommes tous conscients du fait que notre système de santé est, si j'ose dire, grippé. Ce n'est pas une question de qualité, car notre pays peut s'enorgueillir de jouer les premiers rôles dans le monde sur bien des terrains : ceux de la compétence des praticiens, de la qualité des produits, des performances de la recherche ou de la protection sociale, même si, l'actualité nous le rappelle parfois cruellement, tout n'est pas toujours parfait.
Je pense donc que la crise de foi que ressentent nombre de nos concitoyens, et que relaient les élus et les professionnels, réside surtout dans une inadaptation quantitative de l'offre de soins à la demande. Certes, la France n'a jamais compté autant de professionnels de santé qu'actuellement. Mais aujourd'hui, elle a un triple défi à relever :
Le premier est de répondre à la tendance de long terme de devoir faire beaucoup plus avec beaucoup moins. La demande de soins est en effet appelée à croître au cours des prochaines décennies sous l'effet de l'augmentation de la population, de son vieillissement et de ses nouvelles attentes : nos concitoyens n'attendent plus seulement de la médecine qu'elle les soigne ; ils réclament, et c'est bien légitime, de la prévention sous ses formes diverses (vaccination, dépistage précoce...) ; ils demandent aussi, et de plus en plus, une médecine de confort : orthodontie, kinésithérapie, chirurgie esthétique. Parallèlement, l'offre globale de soins est, elle, appelée à diminuer, du fait d'une double évolution :
- premièrement, la baisse annoncée du nombre de praticiens. Nous avons déjà connu en 2010, et pour la première fois, une diminution du nombre de médecins en activité de 2 % ; la baisse devrait être de 10 % au cours des quinze prochaines années, si bien que, la densité médicale, c'est-à-dire le nombre de médecins par habitant, retrouverait vers 2025 un niveau proche de celui du milieu des années 1980 ;
- deuxièmement, la diminution du « temps médical disponible ». Je veux dire par là que les médecins consacrent en moyenne de moins en moins de temps à des tâches de santé. D'abord, parce que les nouvelles générations sont désireuses de se consacrer davantage que leurs « aînés » à la vie familiale ou aux loisirs, volonté qui n'est d'ailleurs pas propre aux professionnels de santé ; la forte féminisation des effectifs renforce cette tendance générale. Ensuite, le temps médical disponible diminue parce que les professionnels consacrent de plus en plus de leur temps de travail à des activités annexes, en particulier à des tâches administratives (comptabilité, rédaction de certificats médicaux...).
Le deuxième défi est de surmonter les graves déséquilibres sectoriels. C'est un point que l'on oublie parfois quand on évoque la désertification médicale : la situation varie considérablement selon les spécialités. D'ici à 2015, on s'attend à une diminution de plus d'un tiers du nombre de médecins du travail et de près d'un quart de spécialistes en rééducation. Je pourrais vous citer, hélas, bien d'autres exemples de disciplines en situation de grande fragilité, de l'anesthésie à l'obstétrique, en passant par la dermatologie.
Le troisième défi, bien connu, est l'aggravation de la fracture médicale. Non seulement l'évolution du nombre de médecins s'annonce globalement préoccupante, mais leur répartition sur le territoire s'effectue dans des conditions qui entraînent de fortes inégalités géographiques, contribuant à la formation de véritables déserts médicaux.
La densité médicale nationale est d'environ 290 médecins pour 100 000 habitants. Mais, au niveau départemental, elle va de 172 dans l'Eure, à 741 pour Paris, soit du simple à plus du quadruple. Dans un même département, on observe parfois des inégalités de répartition criantes. C'est par exemple le cas dans les Alpes-Maritimes, entre le littoral, très bien couvert, et l'arrière-pays, en situation très fragile. Pour beaucoup de praticiens, en particulier des spécialistes, l'exercice en zone urbaine est préféré à l'exercice en zone rurale pour des raisons diverses. J'en évoquerai rapidement trois :
- des raisons de choix de vie, d'abord : à titre privé, les professionnels de santé préfèrent généralement vivre en ville pour un meilleur accès aux loisirs, à la scolarisation des enfants... ;
- des raisons tenant au métier du conjoint, ensuite : le temps n'est plus où le médecin était le seul à travailler dans son couple. Les conjoints des médecins souhaitent travailler et la quête d'un emploi est jugée plus aisée en ville qu'en zone rurale ;
- des raisons de rentabilité, enfin, pour les professionnels qui optent pour un exercice à titre libéral. Le plateau technique nécessaire à l'exercice de certaines professions (dentistes, cardiologues...) correspond à un investissement dont l'amortissement est bien plus aisé dans les villes.
Pour autant, il serait erroné de réduire le champ de la fracture médicale à une opposition entre les zones urbaines et les zones rurales. Toutes les zones rurales, heureusement, ne sont pas menacées de désertification. Inversement, de nombreux secteurs, situés dans des zones urbaines, subissent, en raison notamment d'un climat d'insécurité, un exode de professionnels conduisant à les considérer comme des zones déjà sous-médicalisées ou en passe de l'être.
Le constat dressé, une question se pose : que faire ? Répondre à cette question dans le cadre d'un rapport sur la politique territoriale de la santé suppose préalablement de s'interroger : les collectivités territoriales ont-elles un rôle à jouer en matière de santé ?
Pour moi, la réponse est clairement oui, mais c'est un « oui » plus ou moins catégorique, ou plus ou moins nuancé, selon l'angle sous lequel on envisage le concept de santé.
La première manière d'aborder le concept de santé est sous l'angle juridique, autrement dit en tant que compétence. La responsabilité première et essentielle revient alors à l'État. C'est l'État (ou des organismes qui en dépendent) qui en assure le financement et perçoit à cette fin les cotisations nécessaires ; c'est lui qui procède aux remboursements, dans des conditions qu'il définit. Cette situation fait l'objet d'un consensus et une décentralisation du système de santé n'est pas, selon moi, à l'ordre du jour.
Le rôle des collectivités territoriales, alors, n'est pas nul, mais il est résiduel :
- il porte sur les volets de la santé que l'État leur a transférés, tels que la protection sanitaire de l'enfance pour les départements ;
- les collectivités peuvent aussi intervenir en appui de l'action de l'État, par la voie de conventions prévues par la loi, comme il en va, par exemple, pour le dépistage du cancer, pour les campagnes de vaccination ou pour la lutte contre le SIDA ;
- enfin, la compétence de principe de l'État n'exclut pas que les collectivités territoriales soient associées à la gouvernance de notre système de santé, en particulier par leurs représentants au sein des ARS.
J'insiste sur le fait que si le rôle des collectivités territoriales en matière d'exercice de la compétence santé est résiduel, cela ne signifie pas qu'il soit négligeable. Bien au contraire : comme l'a démontré la dernière campagne de vaccination contre la grippe H1N1, pour laquelle l'État les a formellement mises à contribution, une véritable action de proximité ne peut être menée sans la collaboration des collectivités territoriales.
La deuxième manière d'aborder la santé est en tant qu'objectif d'intérêt général. La protection de la santé constitue, pour reprendre les termes du préambule de la Constitution de 1946, un principe particulièrement nécessaire à notre temps, donc de valeur constitutionnelle. La réalisation de cet objectif d'intérêt général passe par des actions diverses et complémentaires (prévention, soins, diagnostics...) dont la conduite implique l'activation de multiples leviers relevant de la compétence des collectivités territoriales.
Parmi ces leviers, citons, entre autres : la formation, à commencer par celle des professionnels de santé ; l'environnement, via par exemple la lutte contre la pollution de l'air, la gestion de l'eau ou l'assainissement ; l'enseignement, qu'il s'agisse du volet éducatif stricto sensu (informations sur la nutrition, sur les comportements à risque...) ou des actions parascolaires (restauration scolaire...) ; le sport, dont la contribution à la santé n'est plus à démontrer ; les transports, notamment en ce que la mobilité (du médecin vers le patient ou inversement) contribue directement à l'amélioration de l'offre de soins.
Juridiquement, les collectivités territoriales exercent donc des compétences dans des domaines indispensables à une politique de santé efficace. Ainsi, lorsque l'on envisage la santé en tant qu'objectif d'intérêt général, l'État et les collectivités territoriales ont une responsabilité partagée qui découle de leurs compétences respectives.
La troisième manière d'aborder la santé est sous l'angle de la préoccupation d'ordre privé. Nous sommes tous attachés à notre santé. Il en résulte d'abord que la santé (offre de soins, qualité de l'air...) est un facteur essentiel d'attractivité d'un territoire et que, à ce titre, les collectivités territoriales doivent absolument le prendre en compte.
Il résulte également de l'attention que nous portons à notre santé une tendance à nous adresser aux élus locaux lorsque nous nous trouvons confrontés à des problèmes d'accès aux soins. Les élus, sur un sujet aussi fondamental pour les citoyens, peuvent difficilement se retrancher derrière les règles relatives à la répartition des compétences. Ils ne le font d'ailleurs pas, et les exemples ne manquent pas d'interventions locales - à commencer par la mise en place de maisons de santé - rendues nécessaires par la carence des autorités, juridiquement investies de la « compétence santé ».
En définitive, je pense donc, d'une part, que les collectivités ont un véritable rôle à jouer en matière de santé : un rôle complémentaire, d'appui, d'accompagnement de celui de l'État ; d'autre part, que la politique de la santé doit revêtir une forte dimension territoriale pour relever les défis auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés. Pour cela, je vous soumets une vingtaine de propositions : les unes, la moitié, tendent à augmenter le nombre de professionnels exerçant dans les zones fragiles ; les autres tendent à faire en sorte que le temps médical, en particulier dans les zones fragiles, soit utilisé au mieux afin qu'un même professionnel dispense demain davantage de soins qu'aujourd'hui (et à une qualité évidemment au moins identique).
Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, Monsieur le Président, je vous les présenterai une à une, peut-être après que les membres de notre délégation auront à leur tour fait valoir leurs points de vue sur les questions que je viens de présenter : les défis que nous devons relever et la place des collectivités dans la politique de santé.
Nos collègues ont en effet sûrement des questions relatives au diagnostic que vous formulez.
Ce rapport traite d'un thème très important pour nos territoires. Le constat est, hélas, partagé et les prévisions ont malheureusement des chances d'être vérifiées dans le sens d'un accroissement de la fracture territoriale.
Je suis personnellement frappé de constater que les professions médicales sont des professions dont les études sont essentiellement financées par des fonds publics, tout comme les prescriptions qui découlent ensuite de l'exercice de ces professions. Je suis ancien élève de l'École nationale d'administration, qui est financée par l'État, et, à ce titre, je me suis engagé à servir la collectivité publique pendant dix ans au moins. Dès lors, pourquoi s'interdire de réfléchir à la possibilité d'instaurer une quelconque obligation envers les médecins en contrepartie des efforts que la collectivité publique leur concède ?
Les collectivités territoriales jouent aujourd'hui en matière de santé un rôle incontestable, et ce sur de nombreux plans : prévention, organisation de la médecine scolaire, maisons de santé pluridisciplinaires, etc. Mais elles ne pourront pas, à elles seules, régler les problèmes sans une implication poussée de la part des professions médicales. J'exprime ici un point de vue personnel, qui ne préjuge en rien des propositions que nous allons examiner dans le cadre de ce rapport, et il s'agit, à mon avis, d'un point essentiel, car le règlement des problèmes rencontrés n'est pas seulement l'affaire des pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) mais également de toute la profession médicale.
Je crois qu'il faut préciser que l'exercice auquel nous nous livrons reste dans le cadre de la médecine libérale telle que nous la connaissons et telle que nous souhaitons la conserver. Ce sont les limites de l'exercice.
Le rapport de notre collègue part de l'hypothèse selon laquelle les médecins ou les futurs médecins éviteraient les zones rurales parce qu'ils ne les connaîtraient pas suffisamment, et conclue qu'il faudrait les leur faire découvrir. Il propose donc des résolutions en ce sens, notamment l'instauration d'une année obligatoire de formation pratique des étudiants en médecine dans des zones fragiles.
Peut-être pourrions-nous cependant souligner que le rapport que nous nous apprêtons à présenter sera certainement l'un des derniers s'inscrivant dans une logique de sensibilisation de la profession et que, si nous ne parvenons pas à nos fins avec ces mesures, les pouvoirs publics pourraient s'engager dans une démarche réellement contraignante.
Il y a effectivement un problème de prise de conscience et nous pouvons peut-être voir dans ce rapport une dernière alerte avant de grosses difficultés. Nous le ressentons sur nos territoires, avec la multiplication des maisons médicales et d'initiatives locales, souvent intercommunales, intéressantes mais qui, parfois, ne répondent pas véritablement à un souci de cohérence territoriale.
Le problème, selon moi, c'est que la médecine libérale est composée de médecins désireux de conserver un système essentiellement libéral sans accepter un certain nombre de contraintes. Nous le voyons avec les systèmes de gardes, puisque, aujourd'hui, même dans les villes moyennes où il n'existe pas encore de difficultés de démographie médicale, la maison médicale financée par les pouvoirs publics est mise en avant pour retirer des contraintes aux médecins libéraux, ce qui n'est pas de nature à les responsabiliser et à les inciter à s'impliquer davantage. Les gardes des pharmacies sont, quant à elles, désormais réparties dans les agglomérations dans un périmètre le plus large possible, ce qui oblige parfois, comme dans ma ville, autrement dit même en zone urbaine, à faire vingt à trente kilomètres pour trouver une officine.
Dans le rapport, également, il est naturellement beaucoup question des ARS. S'il est difficile de dresser le bilan de la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), dont l'application est très récente, une difficulté est perceptible au sujet du dialogue entre ARS, acteurs de santé et collectivités territoriales. Un message devra être adressé en ce sens.
J'ai un point de vue qui va peut-être être iconoclaste. J'agis dans le domaine de l'action publique depuis un demi-siècle. J'ai donc connu deux périodes : la période où les médecins étaient nombreux et ravis de travailler, y compris en zone rurale ; la période actuelle, où les médecins libéraux ne veulent plus travailler comme ils le faisaient et souhaitent avoir des journées libres dans la semaine, ce qui correspond à un phénomène de société au demeurant bien compréhensible.
Je suis personnellement convaincu que nous n'obtiendrons strictement rien par le seul dialogue avec les médecins. Il en est de même pour les pharmaciens, qui considèrent, par exemple, comme anormal le fait qu'un pharmacien soit de garde un dimanche tous les quatre mois. Il y a donc un fossé entre leurs préoccupations et les nôtres puisque, en ce qui nous concerne, nous trouvons sans doute tous scandaleux que, dans une ville-centre, l'on soit obligé de faire vingt-cinq kilomètres pour trouver une pharmacie.
A mon sens, le développement d'une offre complémentaire, alternative, constitue une possibilité de réponse à développer. Au niveau local, l'établissement d'une parapharmacie au sein d'une grande surface ouverte le dimanche matin permet, par exemple, d'assurer la vente de proximité de certains produits, qui ne sont certes pas des médicaments, mais ont une véritable utilité, et peut inciter les pharmaciens à repenser leur politique de garde lorsqu'il est impossible d'y parvenir autrement.
Je pense également à l'installation de médecins formés à l'étranger, par exemple en Roumanie, pour prendre le cas d'un pays que je connais bien. Ces médecins bénéficient d'une excellente formation, d'ailleurs mise en place en collaboration avec des Faculté françaises, également suivie par des Français souhaitant échapper au numerus clausus. L'installation de ces médecins en France se passe très bien et ils sont très appréciés de leurs patients.
En ce qui concerne les maisons de santé, enfin, j'ai vu des expériences contre-productives. Les murs seuls ne résolvent pas le problème, et leur octroi à certaines catégories d'acteurs de santé peut entraîner de nouvelles exigences de la part des autres catégories.
Je vous propose désormais de passer à l'examen de la première proposition.
Proposition 1 : « Définir, en concertation avec les professionnels et sans allonger la durée totale des études, les modalités d'une année de formation pratique des étudiants en médecine dans des zones fragiles ».
Cette proposition, comme les trois suivantes, vise à impliquer les futurs professionnels de santé dans l'exercice de la médecine en milieu rural. Mme Élisabeth Hubert, que nous avons reçue le mois dernier, a insisté sur le fait que la formation dispensée aux futurs médecins, qui s'effectue à 100 % en faculté et en CHU, ne leur permettait pas de connaître les conditions d'exercice du métier en milieu rural.
Pour remédier à cela, je vous propose donc de prévoir qu'une année de formation qualifiante des futurs médecins s'effectue en zone fragile. Comme je ne crois pas utile d'allonger la durée totale des études, déjà suffisamment longues, je préconise que cette proposition soit concrétisée dans le cadre d'une redéfinition de l'ensemble du cursus, à décider en concertation avec les professionnels.
Proposition 2 : « Permettre aux étudiants en médecine d'accomplir leurs formations pratiques en tout endroit du territoire national, y compris en dehors de leur région universitaire ; prévoir la nullité de toute clause subordonnant l'octroi d'une bourse à l'obligation d'accomplir les formations qualifiantes sur le territoire de la région qui l'accorde ».
C'est une proposition qui m'a été inspirée par votre témoignage, M. Belot. Lorsque nous avons auditionné le DATAR, vous avez fait remarquer que la régionalisation des études de médecine empêchait de fait les internes d'accomplir leurs stages en dehors de leur région universitaire de rattachement. C'est ainsi, pour reprendre votre exemple, que les étudiants inscrits à Bordeaux ne viennent plus à Jonzac, qui ne se trouve pourtant qu'à une heure de route...
dont le centre hospitalier est formellement rattaché à la région Poitou-Charentes. Mais ceux qui sont inscrits à Poitiers n'y viennent pas pour autant, Jonzac en étant éloigné d'environ 200 kilomètres.
Pour remédier à cette situation, je vous propose de permettre aux étudiants d'accomplir leurs formations qualifiantes en tout endroit du territoire national, y compris en dehors de leur région universitaire. Pour éviter que cette possibilité ne soit qu'une « coquille vide », il y a lieu d'interdire de subordonner l'octroi d'une bourse d'étudiant en médecine à l'obligation d'accomplir les stages pratiques sur le territoire régional.
Yves Détraigne. - Cette proposition présente une difficulté. En effet, les collectivités territoriales accordent ces bourses afin d'attirer des étudiants sur leur territoire. Or, cette proposition pourrait, au final, les priver d'un étudiant en médecine qui choisirait d'effectuer son stage ailleurs.
En effet... Je vous propose donc d'amender cette rédaction en recommandant clairement que les étudiants en médecine pourront accomplir leurs formations pratiques en tout endroit du territoire national, y compris en dehors de leur région universitaire.
Proposition 3 : « Prévoir l'obligation d'informer tout étudiant en médecine, au moment de son inscription, de son droit de solliciter une bourse auprès de toute collectivité territoriale, y compris auprès de celles situées en dehors du territoire de sa région universitaire ».
Cette proposition vient renforcer la précédente : la possibilité pour un étudiant d'effectuer un stage sur tout endroit du territoire national ne sera vraiment efficace que si les étudiants en médecine ont la possibilité de bénéficier d'une bourse d'une collectivité située en dehors de leur région universitaire. Il faut donc non seulement que l'étudiant concerné puisse, juridiquement, « frapper à une autre porte », mais également qu'il soit informé de ce droit.
C'est en effet le corollaire de la proposition précédente.
Proposition 4 : « Mettre en place des dispositifs, de nature informative ou conventionnelle, assurant la cohérence des aides à la mobilité des étudiants en médecine ; associer au minimum, au sein de tout dispositif applicable à un territoire, la région, l'ARS, la faculté de médecine et les collectivités infrarégionales impliquées dans ces aides ».
Les étudiants désireux d'accomplir un stage en dehors de leur zone universitaire, et donc ceux tentés par une formation en milieu rural, peuvent se heurter à plusieurs obstacles pratiques, par exemple pour le transport et le logement sur place.
Les collectivités territoriales ont donc à l'évidence un rôle important à jouer en la matière.
Néanmoins, pour donner les meilleurs résultats, leurs initiatives ne sauraient être prises isolément et aveuglément. Les collectivités tentées par une politique volontariste d'accueil des étudiants doivent, pour « viser juste », disposer d'informations dont elles ne sont pas forcément à la source : le nombre de bénéficiaires potentiels de leurs décisions, les initiatives prises par les collectivités voisines (pour éviter une concurrence stérile)... En outre, les initiatives des collectivités doivent être relayées auprès des bénéficiaires potentiels, les étudiants. Au final, une politique d'« attractivité estudiantine » en milieu rural implique de fédérer les énergies des différentes parties prenantes, à savoir, au minimum, les collectivités territoriales candidates, l'université, la région et l'ARS. La proposition 4 s'en remet à l'intelligence territoriale et recommande donc de privilégier les dispositifs de coopération plutôt que les mesures réglementaires.
Proposition 5 : « Prévoir, dans les épreuves applicables aux études de médecine, des entretiens de motivation affectés de coefficients élevés ».
C'est ce que j'expliquais précédemment. J'ai été frappée, au cours de mes auditions, d'apprendre la proportion d'étudiants qui, à un stade avancé, réalisaient ne pas être faits pour la médecine et y renonçaient : 20 %. Cette situation est un véritable gâchis : en premier lieu, pour l'étudiant, qui aura consacré des années de formation (avec les frais qui leur sont liés) à un métier qui ne lui correspond pas ; en second lieu, pour la société, qui aura engagé des frais inutiles et qui, surtout, aura « perdu » un médecin puisque, du fait du numerus clausus, l'admission à la faculté de l'intéressé se sera faite au préjudice d'un candidat (le mieux placé des non-admis) qui, lui, avait peut-être véritablement « la fibre » du médecin.
Cette proposition vise à sensibiliser précocement les étudiants aux spécificités de l'exercice de la médecine, et notamment au fait que la relation patient-médecin n'est pas, comme beaucoup le croient, une forme de relation professionnel-client : la dimension humaine, pour des raisons évidentes, y est essentielle ; elle suppose de la part du médecin un savoir-être, un savoir-faire, un savoir-parler spécifiques dont il faut avoir conscience quand on s'engage dans cette voie, et pas seulement sept, huit ou neuf ans après. Aller annoncer à une famille que leur femme, leurs enfants sont en train de vivre leurs dernières heures n'est pas donné à tout le monde. Il faut passer du temps avec les patients et la famille. Il faut des personnes qui soient formées ou aient le tempérament pour cela. Cette sensibilisation à cet aspect du travail d'un médecin pourrait notamment prendre la forme d'entretiens de motivation à des stades d'études à déterminer, mais précoces (peut-être dès le concours d'accès aux études ou en fin de première année) et affectés de coefficients suffisamment forts pour que le candidat éprouve le besoin de se renseigner parfaitement sur les conditions d'exercice du métier auquel il postule.
Je me pose la question de savoir si l'on peut, dès le début des études, déceler telle ou telle aptitude. Il y a parfois d'excellents chirurgiens qui n'ont pas cette habilité. Faut-il pour autant se priver de médecins pointus en chirurgie ou en cardiologie ?
L'examen d'entrée en médecine est fondé aujourd'hui pour 80 % sur des compétences mathématiques. Est-ce le critère idéal pour devenir médecin ? Le facteur humain est aussi important. C'est dès l'entrée en études de médecine qu'il faut évaluer ce critère.
Dans ma carrière à l'hôpital, j'ai connu des médecins faisant preuve d'une immense empathie. Mais d'autres médecins n'avaient aucune considération, ou se montraient souvent maladroits, envers les patients et la douleur des familles.
Je pense que nous sommes tous d'accord sur le principe.
Proposition 6 : « Créer, au sein de chaque ARS, ou éventuellement de chaque conseil régional de l'Ordre des médecins, un guichet unique centralisant toutes les informations nécessaires aux candidats à l'installation ».
Elle peut être, me semble-t-il, examinée en même temps que la proposition 7.
Proposition 7 : « Nommer, au sein de chaque ARS, ou éventuellement de chaque conseil régional de l'Ordre des médecins, un professionnel de l'ingénierie de projet chargé d'accompagner les particuliers et les collectivités territoriales porteurs d'un projet de santé ».
Qu'il s'agisse d'ouvrir un cabinet personnel, de s'associer au sein d'une société ou de créer une maison de santé, la conduite d'un projet n'est jamais chose aisée. Elle suppose de s'y retrouver dans les dédales administratifs, les maquis financiers et la jungle des normes de notre pays. Elle suppose également de disposer du temps nécessaire et exige souvent de s'y consacrer à temps plein pour un aboutissement dans des délais raisonnables. Elle suppose, enfin, des connaissances multiples (comptables, économiques, juridiques...), permettant d'apprécier la viabilité d'un projet. En matière de santé, la conduite de projet implique notamment une analyse des besoins de la population et une vision globale, sur un territoire, de l'offre de soins.
Dans ces conditions, laisser les professionnels de santé mener eux-mêmes un projet, de A à Z, est la garantie d'un taux de découragement avant terme proche des 100 %...
Ce constat, valable pour tout le territoire national, est encore plus aigu en zone rurale, du fait de difficultés supplémentaires auxquelles se heurte le porteur de projet : déplacements chronophages dès lors que les interlocuteurs (ARS, collectivités territoriales...) ne sont pas concentrés dans une même ville ; recherche de partenaires (associés potentiels, par hypothèse difficiles à trouver dans les zones sous-médicalisées)...
C'est la raison pour laquelle je vous soumets deux propositions :
- la proposition 6 préconise de mettre en place, dans chaque région, un guichet unique centralisant toutes les informations nécessaires à un candidat à l'installation. La question reste ouverte de savoir si ce guichet unique doit être placé sous la responsabilité de l'ARS ou sous celle du Conseil Régional de l'Ordre des Médecins, puisque des suggestions ont été faites dans ces deux sens : l'essentiel est qu'il y ait un guichet unique assurant une centralisation efficace des informations ;
- la proposition 7 recommande la mise en place, également dans chaque région, d'un mécanisme d'ingénierie de projet permettant de conduire à terme, et dans un délai raisonnable, toute initiative tendant à assurer l'installation de médecins, qu'elle soit le fait de particuliers ou de collectivités territoriales. Cette ingénierie doit être confiée à un véritable professionnel de la conduite de projet.
Proposition 8 : « Supprimer, pour l'octroi de la majoration du tarif de la consultation de certains médecins généralistes exerçant en zone sous-médicalisée, l'obligation d'y consacrer au moins les deux tiers de leur activité ».
Cette proposition m'a été inspirée par les interventions de notre collègue Charles Guené lors des auditions du DATAR et de Mme Hubert. M. Guené avait alors mis en avant la situation paradoxale résultant des règles de rémunération de certains médecins généralistes conventionnés en zone sous-médicalisée : le bonus de rémunération (20 % du tarif de la consultation) ne peut leur être accordé que s'ils justifient d'une activité réalisée aux deux tiers auprès de patients résidant en zone sous-médicalisée. Les médecins situés hors de ces zones mais qui consentent à s'éloigner de leur cabinet pour, occasionnellement, y apporter un renfort apprécié ne peuvent donc prétendre à ce bonus... alors que le médecin qui est sur place, lui, le perçoit. Comme M. Guené, j'y vois là une incohérence et je vous propose donc que le bonus soit appliqué à toute consultation en zone déficitaire.
Je suis très sensible à la reprise de cette proposition, mais je me demande si cette possibilité de majoration dès la première consultation en zone sous-médicalisée ne va pas trop loin. Certes, à l'heure actuelle, exiger que les deux tiers des actes soient accomplis dans une zone sous-médicalisée est une contrainte trop importante, car elle suppose que le médecin renonce à sa clientèle habituelle. Mais peut-être n'est-il pas nécessaire de supprimer purement et simplement toute obligation ? C'est pourquoi, je propose de réduire à de deux un tiers l'exigence du taux d'activité en zone sous-médicalisée.
Nous amendons donc la proposition 8 en ce sens.
Proposition 9 : « Coordonner les aides publiques locales à l'installation des médecins par un dispositif assurant l'information des collectivités territoriales sur leurs initiatives respectives ».
Tout comme la proposition 10, qui suit, il s'agit d'inciter les professionnels à investir en zone fragile. L'ouverture d'un cabinet médical nécessite, en effet, la mobilisation de fonds qui peuvent se révéler particulièrement importants. Outre les « murs », c'est souvent tout un plateau technique qu'il convient de financer. L'opération se révèle particulièrement coûteuse pour des spécialistes (cardiologues, dentistes, radiologues...), dont le matériel est parfois soumis à une obsolescence rapide du fait des progrès scientifiques... ou des changements de normes. La rentabilité de l'investissement total suppose ainsi la garantie d'un minimum de clientèle, ce que les professionnels ont tendance à considérer comme loin d'être acquise dans les zones rurales. Les collectivités territoriales peuvent les inciter à franchir le pas par des mesures diverses : prêts à taux réduit (voire à taux zéro), location ou vente de locaux à des tarifs incitatifs, etc. C'est à chaque collectivité qu'il appartient de décider si elle prend de telles mesures et, si oui, lesquelles. Mais je crois que, avant de prendre une décision, chacune trouverait grand intérêt à savoir ce que font les collectivités voisines. La méconnaissance de leurs initiatives respectives pourrait les conduire à se livrer involontairement à une concurrence qui rendrait certaines mesures totalement inefficaces. Ma proposition 9 appelle donc à un dispositif invitant les collectivités à se rapprocher pour articuler au mieux leurs interventions.
Proposition 10 : « Mettre en place un dispositif national d'assurance investissement au profit des candidats à l'installation en zone sous-médicalisée ou en zone fragile ».
Cette proposition reprend une recommandation formulée par Mme Élisabeth Hubert : la mise en place de ce que j'appelle un dispositif d'«assurance investissement ».
Il s'agit de rassurer un candidat à l'installation en zone fragile en lui garantissant qu'il récupérera sa mise de départ, sous réserve qu'il s'engage à rester en place un minimum de temps (par exemple cinq ans). Pour cela, on assurerait à l'intéressé, s'il ne trouve pas d'acheteur pour son cabinet au moment de sa cessation d'activité, un « fonds-tampon » qui prendrait à sa charge la recherche du professionnel susceptible de lui succéder.
La question de l'assurance investissement en zone sous-médicalisée me semble un faux problème. Le médecin, s'il reste, est sûr de gagner sa vie. Le problème, c'est s'il s'en va. Un médecin en zone rurale gagne sa vie confortablement, c'est une question de choix.
A Paris, il y a 741 médecins. Dans ma commune de 3 050 habitants, Saint-Aunès, on compte 5 médecins (généralistes, ostéopathe, etc.).
Pour qu'un ostéopathe s'installe, il faut un bassin de vie d'au moins 15 000 habitants.
Mais il n'est pas uniquement question de la rémunération, il faut également tenir compte des conditions de vie.
Nous rencontrons deux problèmes dans les zones fragiles. Premièrement, nous avons des espaces de 3 000 ou 4 000 habitants qui se retrouvent sans médecin. Et deuxièmement, autrefois, un médecin qui exerçait dans un bassin de 3 000 habitants travaillait toute l'année, samedi et dimanche compris. Il y avait toujours quelqu'un. Aujourd'hui, pendant le week-end, il n'y a personne, il faut se rendre au chef-lieu d'arrondissement.
Même à Paris, il n'est pas simple de trouver un médecin le week-end : vous devez passer par des structures d'urgence telles que « SOS Médecins » et c'est coûteux. Nous parlons des zones rurales, mais le problème existe ailleurs.
Proposition 11 : « Organiser, chaque année et dans chaque région, une journée de sensibilisation des professionnels et futurs professionnels sur les conditions d'exercice dans les différents territoires, tant sur le plan professionnel que sur celui du cadre de vie ».
C'est ce que j'appellerai la « recommandation-promotion ».
Elle part du constat que le milieu rural souffre d'un déficit d'image de nature à décourager des candidatures à l'installation : les professionnels ont souvent le sentiment qu'ils n'y trouveraient pas assez de loisirs, pas de travail pour leur conjoint, pas de services au public (écoles, commerces, transports, haut débit, poste...)...
Cela correspond souvent à une erreur d'appréciation, due à la méconnaissance des réalités locales.
D'où ma proposition 11, dont je n'exagère pas la portée mais qui me semble de nature à permettre, dans une certaine mesure, de revenir sur certaines impressions négatives, dont beaucoup relèvent du domaine des préjugés.
Proposition 12 : « Reconnaître les certificats médicaux multi-usages afin d'éviter la multiplication des demandes de certificat à des fins identiques ».
Proposition 13 : « Assurer une information rapide et complète des administrations et organismes concernés sur toutes les décisions prises pour simplifier les formalités administratives des professionnels de santé ».
Nous abordons ici les propositions qui tendent à optimiser le temps médical, autrement dit à faire en sorte qu'une heure de travail d'un professionnel permette de réaliser le maximum de soins (sans nuire à leur qualité, bien entendu).
Comme nous l'avons vu, les professionnels de santé, et en particulier les médecins, sont confrontés à des tâches pseudo-médicales souvent lourdes, qui grèvent exagérément le temps médical effectif. Je pense notamment au temps passé à délivrer des certificats médicaux, et aux consultations qui vont avec.
Par exemple, lorsqu'une famille s'adresse à plusieurs établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (pratique fréquente du fait des listes d'attente), elle doit demander à un médecin de remplir un formulaire pour chacun d'eux.
Un enfant qui veut s'inscrire en natation en septembre et au ping-pong en octobre a besoin de deux certificats, sans parler de celui qu'il aura dû fournir, à la même période, pour le cours d'éducation physique.
Ma proposition 12 vise à reconnaître ce que j'appelle les « certificats multi-usages », c'est-à-dire des certificats médicaux dont un seul exemplaire suffit pour frapper à plusieurs portes.
L'idée est la suivante : au lieu de cumuler les certificats, les familles pourraient présenter un certificat valable pour une certaine durée (six mois, un an, je laisse aux experts le soin de trancher).
Pour reprendre mon exemple d'inscription dans une maison de retraite, le même certificat pourrait servir à toutes les demandes (par hypothèse, identiques) que la famille présenterait pendant la période de validité du certificat.
Il pourrait en aller de même pour les activités sportives avec la délivrance d'un certificat garantissant, de manière générale, l'aptitude d'un enfant (quitte à ce que le médecin accompagne un certificat de réserves du genre : « apte à toute activité sportive hors sports de raquette »).
La proposition 13 vise simplement à assurer que les administrations et établissements ne fassent pas de zèle inconsidéré : il a par exemple été constaté que, par méconnaissance, certains établissements scolaires continuaient à réclamer des certificats dont le ministère de l'Éducation nationale avait pourtant supprimé l'exigence.
Proposition 14 : « Charger sans tarder une structure représentative de l'ensemble des professions médicales et paramédicales de proposer une nouvelle répartition des tâches entre les différents acteurs adaptée aux niveaux de qualification ».
La France se caractérise par le fait que les médecins accomplissent souvent des tâches purement administratives ou qui, dans d'autres pays, relèvent de professionnels du secteur paramédical : ils soignent des plaies qui peuvent parfaitement l'être par des infirmières ; les dentistes effectuent des prises d'empreinte qui peuvent parfaitement relever d'un assistant ; les spécialistes effectuent souvent eux-mêmes les radios, alors que leur rôle est de les interpréter...
Tous les acteurs de la chaîne médicale et paramédicale sont d'ailleurs concernés : je partage, par exemple, le sentiment de gâchis exprimé ici par Mme Élisabeth Hubert en constatant que nos infirmières ultra-performantes consacrent leur temps à des tâches telles que la toilette de malades.
Comme cette nouvelle répartition des tâches relève avant tout des acteurs de la chaîne médicale eux-mêmes, ma proposition 14 ne dit pas qui doit faire quoi, mais en appelle à une réflexion concertée, et urgente, sur ce point.
Les infirmières sont performantes, et sont condamnées à faire des soins, des toilettes, etc. Elles deviennent des aides-soignantes. Nous manquons d'infirmières sur le terrain. Nous pourrions essayer d'avoir des auxiliaires avec les infirmières. Cela créerait des emplois.
Une redistribution s'impose pour dégager du temps médical.
J'ai vu vivre ce système au Canada. Les infirmiers sont ceux qui font toutes les choses urgentes. Ils sont en relation avec un CHU qui leur dit ce qu'il faut faire. C'est une question d'organisation.
Proposition 15 : « Prévoir des formations complémentaires pour assurer la spécialisation des professionnels paramédicaux susceptibles d'assumer des tâches accomplies aujourd'hui par des médecins ».
Nous venons, avec la proposition 14, de recommander une redistribution des tâches entre les différents acteurs de la chaîne médicale.
Si l'on veut aller jusqu'au bout de cette logique, pour en tirer tous les bénéfices, il faut développer les spécialisations paramédicales.
Par exemple, si l'on veut que des infirmiers soient chargés de réaliser des anesthésies, il faut que nous disposions d'un vivier d'infirmiers spécialisés en ce domaine.
D'où ma proposition 15 qui recommande le développement de formations de spécialisations à l'intention des professionnels paramédicaux.
Proposition 16 : « Développer les plates-formes de télésanté, le cas échéant en lieu et place de maisons de santé ».
A partir de cette proposition, et jusqu'à l'avant-dernière, il s'agit de développer le recours à la télémédecine, cette forme de pratique médicale à distance dont parlait le président de notre délégation lorsqu'il nous a fait part de ce qui se faisait au Québec le jour où nous avons auditionné le DATAR.
Les avantages de la télémédecine ne sont plus à démontrer.
- pour les patients, la télémédecine permet un meilleur accès aux soins, accélère le diagnostic, facilite le suivi thérapeutique, favorise une prise en charge pluridisciplinaire...
- pour les professionnels, elle favorise le travail en commun, assure des gains de temps (moins de déplacements, une gestion administrative plus rapide,...)...
- pour le système de santé dans son ensemble, elle facilite la permanence des soins, elle réduit la durée du séjour en hôpital (dans la mesure où le patient peut être suivi à domicile, avec les mêmes garanties de sécurité), elle limite le recours aux urgences, etc.
Les plates-formes de télésanté (dotées d'instruments de télétransmission de données et d'images, de visioconférence, etc.) permettraient de tirer partie de ces avantages.
Elles s'inscriraient en outre pleinement dans une logique de pôle de santé bien adaptée à la lutte contre la désertification médicale.
J'ajoute que les avantages de la télémédecine dépassent le strict champ de la santé : ses apports au développement durable sont par exemple évidents.
Mais elle a également un intérêt économique : on a évalué à 25 € le coût d'une téléconsultation (y compris les frais de structure), contre 80 € pour une consultation médicale « classique », tout compris (rémunération du professionnel, transport, structure...).
C'est pourquoi je pense que la question du financement n'est pas un obstacle au développement des plates-formes de télésanté.
Une plate-forme de télésanté est en tout état de cause moins onéreuse qu'une maison de santé. On pourrait donc faire aussi bien (voire mieux) à un moindre coût en recourant, à certains endroits, à ces plates-formes plutôt qu'à des maisons de santé dont la création a été décidée sans considération des réalités du terrain.
Ma proposition n° 16 recommande donc le développement des plates-formes de télésanté, le cas échéant en lieu et place de maisons de santé.
Proposition 17 : « Clarifier le droit relatif à la télémédecine : articulation des responsabilités respectives des différents intervenants ; modalités d'archivage des données ; modalité d'expression du consentement du patient à la communication des données le concernant... ».
Il est inconcevable de penser que la télémédecine pourra se développer sur un terrain juridique mouvant.
Or, nombre de points restent à éclaircir :
- selon quelles modalités recueillir le consentement du patient ?
- pendant combien de temps seront archivées les données ?
- qui sera responsable de cet archivage ?
- comment s'articuleront les responsabilités respectives de chaque partie prenante (dès lors que la télémédecine est appelée à faire intervenir plusieurs professionnels sur un même dossier), en particulier entre le médecin sollicitant et le médecin sollicité ?
Le détail de cette clarification ne m'a pas paru relever d'un rapport général sur le thème « santé et territoires ».
En revanche, je pense qu'il est du devoir de notre Délégation de soulever la question pour qu'elle soit traitée dans les meilleurs délais. D'où ma proposition 17.
La proposition 18 tend à modifier l'article 15 de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), afin d'intégrer clairement, dans la définition de la notion de consultation ouvrant droit à une prise en charge par l'assurance maladie, les actes de téléconsultation.
En effet, selon l'article 15 de la NGAP, « la consultation ou la visite comporte généralement un interrogatoire du malade, un examen clinique et, s'il y a lieu, une prescription thérapeutique ». Il résulte de cette définition qu'il n'y pas de consultation ouvrant droit à rémunération prise en charge par l'assurance maladie, sans examen clinique et donc sans un contact direct (palpation, prise de tension, observation stéthoscopique...) entre le médecin et le patient. Cette définition est évidemment incompatible avec le souhait de développer la télémédecine. Ma proposition n° 18 appelle donc à la modifier en conséquence.
Les médecins fonctionnent déjà en réseau, quelle serait alors l'utilité d'une telle proposition ?
La question est bien celle, avec le diagnostic à distance, de la consultation à distance qui, à ce jour, contrairement à la consultation traditionnelle au contact du malade, n'est pas remboursée par la sécurité sociale.
Il est en effet nécessaire de permettre le remboursement de la consultation à distance.
Je comprends l'esprit de cette proposition, mais il serait utile de la préciser pour éviter d'éventuelles dérives. Notre souci est de faire en sorte que les conditions de remboursements des actes de téléconsultation ne vident pas de leurs efficacité les mesures que nous préconisons pour développer la télémédecine, notamment que les patients ne soient pas dissuadés de recourir aux plates-formes de télésanté. Précisons-le dans cette proposition en la reliant expressément à ce souci.
Proposition 19 : « Généraliser le dispositif du tiers-payant aux actes de téléconsultation ».
Je pense que l'extension du tiers-payant aux téléconsultations présenterait plusieurs avantages : elle encouragerait les patients dans l'utilisation de cette forme de consultation ; elle inciterait ensuite, par voie de conséquence, les médecins à investir dans la télésanté ; elle contribuerait, enfin, à désengorger les urgences : selon moi, le dispositif du tiers-payant qui leur est applicable explique en partie la tendance de certains patients d'y recourir quasi-systématiquement.
Proposition 20 : « Clarifier, en concertation avec les intéressés, les conditions d'une rémunération individualisée du médecin sollicité par un confrère dans le cadre d'une téléconsultation ».
J'aborde ici la question des conditions de rémunération des différents médecins participant à une opération de télémédecine : lorsque, par exemple, un spécialiste sollicite un confrère de la même spécialité, ne faut-il pas prévoir une rémunération pour chacun d'eux ? C'est un problème d'une grande complexité. D'un côté, on peut considérer qu'il n'y a pas lieu de payer deux fois une même consultation, sous prétexte qu'elle est le fait de deux médecins différents. D'un autre côté, il y aurait une certaine contradiction à vouloir développer la coopération entre médecins et à n'accepter une rémunération que pour un seul des intervenants. En outre, l'explosion des connaissances médicales peut justifier, et justifiera sans doute de plus en plus, l'appel d'un spécialiste à un confrère de la même spécialité.
Enfin, même si ces procédés sont désormais encadrés, les patients peuvent s'adresser successivement à différents médecins dans le cadre de consultations « classiques » et en obtenir, dans certaines limites, la prise en charge par l'assurance-maladie ; pourquoi refuser, par principe, qu'il en soit de même en cas de téléconsultation ? Ces éléments, ajoutés au fait que la téléconsultation, même doublonnée (ce qui ne sera quand même pas systématique), est globalement moins onéreuse que la consultation sur place, me conduisent à plaider pour une rémunération individualisée du médecin sollicité par un confrère.
En tout état de cause, la question doit être tranchée, et l'on ne saurait concevoir qu'elle le soit en dehors de toute concertation avec les professionnels. C'est à cela qu'appelle ma proposition n° 20.
Prenons tout de même garde à ne pas aller plus loin que ce que l'on souhaite. Ce que nous souhaitons, c'est que les conditions de rémunération en cas de téléconsultation soient comparables à ce qu'elles sont en cas de consultation classique. C'est un problème qui est le pendant de celui du remboursement pour le patient, que nous avons vu avec la proposition 18. Je pense donc qu'il serait utile de joindre cette proposition 20 à celle qui porte le n°18. Cela contribuerait à faciliter une lecture attentive de nos travaux de la part des pouvoirs publics.
Proposition 21 : « Conférer, en concertation avec les représentants du secteur médical, un bonus de rémunération aux professionnels recourant à la télémédecine. »
La question se pose du montant des honoraires pris en charge par l'assurance maladie en cas de téléconsultation. On sait que la mise en place d'un système de télé-expertise génère des coûts particuliers pour le professionnel : elle suppose des investissements en matériels et en personnels, elle implique de prendre en compte des impératifs de sécurité informatique, elle entraîne des frais de maintenance, d'archivage, etc. Certes, le professionnel qui se lance dans la télémédecine peut espérer une augmentation de sa « patientèle ». Mais est-ce suffisant pour le convaincre de franchir ce pas ? Personnellement, j'en doute fort et je pense qu'un bonus (modéré) par rapport au tarif de la consultation « classique » serait un véritable encouragement à tenter l'aventure. J'ajoute que, comme on l'a vu tout à l'heure, les généralistes travaillant en zone fragile perçoivent un bonus de 20 %. Il serait absurde qu'ils ne le perçoivent pas (et a fortiori qu'ils le perdent) dès lors qu'ils auraient fait l'effort de passer à la télémédecine. Je ne vous propose cependant pas un montant précis pour le « bonus télémédecine », car son calcul doit s'effectuer au regard de différents paramètres, en particulier de la marge de manoeuvre que le développement de la téléconsultation ouvrira à nos finances sociales.
Cette proposition tend à encourager le développement de la télémédecine, à défaut de persuader les jeunes médecins de s'installer en zones fragiles. Il faut cependant faire attention à ce qu'il n'y ait pas de détournement.
Proposition 22 : « Consacrer le métier d'assistant de santé et mettre en place une filière d'études adaptée associant connaissances de gestion, connaissances informatiques et connaissances médicales. »
Je dois cette proposition au docteur Legmann, président du Conseil national de l'Ordre des médecins. L'idée qui la sous-tend est la suivante : si l'on veut recentrer l'activité des médecins sur leur coeur de métier, il faut reconnaître la profession d'« assistant de santé ». Ces assistants déchargeraient d'abord le médecin des tâches purement administratives (prises de rendez-vous, comptabilité...). Ils seraient aussi appelés à accomplir des tâches paramédicales et médicosociales (questionnaires, éducation du patient, relations avec le secteur social, avec les hôpitaux...). Dans la perspective d'un développement de la télémédecine, ils pourraient assurer des prestations telles que la saisine de données, leur transmission... Le champ des missions des ces assistants de santé excèderait donc celui d'un secrétariat « classique » et ferait appel à des connaissances à la fois de gestion, informatiques et médicales. C'est donc un nouveau métier qu'il faudrait consacrer avec, pour conséquence, la mise en place d'une filière d'études adaptée.
Ce serait très utile, en effet. Je propose juste une petite correction, destinée à montrer l'importance des connaissances médicales pour ce type de métier : nous mentionnerions cet élément en premier dans notre énumération.