La commission a procédé, conjointement avec la commission des affaires européennes, à l'audition de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008.
s'est déclaré heureux d'accueillir le nouveau secrétaire d'État chargé des affaires européennes quelques jours après sa nomination et lui a souhaité pleine réussite dans ses nouvelles fonctions.
Il a souhaité revenir sur les trois sujets qui étaient au centre des discussions du Conseil européen des 11 et 12 décembre derniers : les questions économiques et financières, les enjeux relatifs à la lutte contre le changement climatique et à la politique énergétique, ainsi que le traité de Lisbonne.
Il a également interrogé le secrétaire d'État sur la relation franco-allemande.
En préambule, M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, a tout d'abord rendu hommage à l'action de son prédécesseur, M. Jean-Pierre Jouyet. Il a indiqué que, en tant qu'ancien parlementaire, il était très attaché aux relations avec les assemblées et qu'il avait une conception politique de sa fonction.
Il a souligné que, après plusieurs décennies de construction européenne où la Commission européenne et l'intégration juridique jouaient un rôle central, l'Europe traversait actuellement une période de transition, marquée par des interrogations des citoyens sur la légitimité du processus de décision, souvent relayées par les responsables politiques nationaux eux-mêmes, et par un rééquilibrage en faveur de l'intergouvernemental au sein de l'architecture européenne.
L'année 2009 devrait à cet égard être déterminante, avec deux scénarios possibles. Le premier scénario positif serait marqué par une bonne campagne électorale pour les élections européennes, un véritable débat avec les citoyens et un vote positif des Irlandais lors du second référendum sur le traité de Lisbonne.
A l'inverse, le scénario négatif se caractériserait par des résultats décevants aux élections européennes et l'échec du second référendum irlandais.
Abordant ensuite le bilan de la présidence française de l'Union européenne, M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, a indiqué que sur les questions économiques et financières, l'Union européenne s'était montrée capable de répondre rapidement à la crise, en mettant en place de nouvelles règles et en adoptant un plan de relance. Pour être efficace, ce plan doit s'appuyer sur une coordination suffisante entre les Etats membres et tenir compte des différences de choix stratégiques économiques.
En effet, il faut concilier la relance par la consommation et la baisse de la TVA, telle qu'elle est pratiquée par la Grande-Bretagne, et la relance par l'investissement, privilégiée par la France et l'Allemagne.
A plus long terme, la question se pose de savoir si nous serons capables de retranscrire cette volonté européenne en mettant en place une véritable gouvernance économique qui permettrait enfin à l'Union européenne d'agir de manière coordonnée et de mettre en oeuvre les règles régulant les marchés à l'échelle de la communauté internationale dans son ensemble, notamment à l'occasion de la réunion du G20 à Londres.
Sur le paquet énergie-climat, M. Bruno Le Maire a déclaré qu'il assumait totalement le compromis trouvé par le Conseil car il lui paraissait très difficile de vouloir préserver nos industries sur les territoires nationaux tout en imposant des normes environnementales trop contraignantes, comportant des risques de délocalisations, notamment pour l'Allemagne. De même, il faut tenir compte de l'histoire des pays d'Europe centrale et orientale, comme la Pologne, dont la production énergétique repose à 90 % sur des centrales au charbon.
Enfin, concernant les relations franco-allemandes, M. Bruno Le Maire a reconnu que des incompréhensions s'étaient développées entre les deux pays ces dernières années. Cela n'a rien à voir avec les relations personnelles entre le Président de la République et la Chancelière, qui sont bonnes. Mais il faut faire le constat que nos intérêts et nos stratégies économiques peuvent parfois diverger. Ainsi, dans le domaine industriel, contrairement à la France, l'Allemagne a fait le choix de l'exportation massive, de l'intégration des filières et de la délocalisation de la production des biens de première nécessité, en concentrant dans le pays uniquement l'assemblage et les réalisations qui demandent du savoir-faire.
Il en va de même dans le domaine financier, notamment s'agissant de nos conceptions relatives à la politique monétaire.
En matière budgétaire, les Allemands ont réalisé un important effort de redressement budgétaire qui s'est traduit par un retour à l'équilibre des finances publiques en moins de cinq ans.
En matière de coopération, il importe de ne donner aucun signal négatif et d'exprimer notre volonté de garder de fortes relations culturelles avec ce pays.
Enfin, M. Bruno Le Maire a rendu hommage au travail de mémoire exceptionnel réalisé par les Allemands qui leur a permis de reconstruire une identité à la fois forte et responsable et qui leur donne aujourd'hui le droit d'assurer leur position en Europe et dans le monde.
En conclusion, M. Bruno Le Maire s'est déclaré persuadé que c'est autour du couple franco-allemand, qui ne doit pas être exclusif, mais reste le moteur de l'Europe, que l'on pourra réellement renforcer l'Europe politique.
a remercié M. Bruno Le Maire pour son intervention et s'est félicité de ses propos sur les relations franco-allemandes. Il a souhaité connaître son point de vue sur la possibilité d'associer davantage le Royaume-Uni au couple franco-allemand, compte tenu du fort sentiment eurosceptique dans ce pays.
Il a également voulu avoir des précisions sur le mode de désignation des deux députés européens supplémentaires dont disposera la France, une fois que le traité de Lisbonne sera ratifié.
a indiqué que les prochaines élections européennes se dérouleront sous l'empire du traité de Nice, qui prévoit, pour la France, une réduction du nombre de parlementaires européens à 72. La France devrait disposer de deux parlementaires supplémentaires dès l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les modalités de leur désignation font actuellement l'objet d'une analyse juridique en liaison avec le secrétariat général du Gouvernement.
Concernant les relations franco-germano-britanniques, M. Bruno Le Maire s'est déclaré sceptique sur une formule de « ménage à trois ». Il a estimé que, s'il était possible et souhaitable de coopérer avec les britanniques, par exemple dans le domaine de la défense, la relation franco-allemande devait rester au centre de la construction européenne.
La spécificité du couple franco-allemand tient, en effet, à une communauté d'intérêts qui se fonde sur des données objectives, telles que l'appartenance à la zone euro, la tradition industrielle et l'importance des échanges commerciaux entre les deux pays.
Il serait donc inopportun de traiter l'Allemagne et le Royaume-Uni de la même façon car nous risquerions de perdre sur les deux tableaux, en nous éloignant des Allemands, qui se sentiraient meurtris, sans pour autant gagner les Britanniques.
a fait part de son inquiétude au sujet de la montée en puissance du modèle intergouvernemental au regard de la méthode communautaire, en estimant que cette évolution risquait d'exacerber les intérêts nationaux au détriment de l'intérêt général européen, notamment dans l'optique du débat sur les perspectives financières.
A cet égard, il s'est interrogé sur la capacité de la Commission européenne à incarner l'intérêt général européen dès lors qu'elle restera composée d'un commissaire par État membre.
Il s'est également déclaré inquiet de l'attitude de la Russie à l'égard de l'Union européenne, notamment des Pays baltes.
a souhaité avoir des précisions sur le régime des coopérations renforcées et de ses variantes dans le domaine de la défense, à la lumière de l'opération « Atalante » de lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes.
s'est interrogé, à la lumière des précédents danois et irlandais, sur la possibilité d'une modification de la procédure de ratification des traités européens afin de surmonter la contrainte de l'unanimité.
En réponse, M. Bruno Le Maire a apporté les précisions suivantes :
- sur la reprise en main de l'intergouvernemental, il s'agit davantage d'un rééquilibrage, la commission européenne ayant joui depuis plusieurs années d'un pouvoir qui ne reflétait pas toujours la légitimité dont elle disposait ; l'investiture de la Commission par le Parlement européen lui confère une légitimité qui n'est pas illimitée, même s'il faut impérativement conserver cette institution garante de l'intérêt commun européen. De ce point de vue, le choix de revenir à un commissaire par État membre était le prix à payer pour obtenir un nouveau référendum de l'Irlande ; afin de garantir la défense de l'intérêt général, le président de la Commission européenne doit être fort ;
- l'intérêt général ne dépend pas seulement de la Commission européenne mais aussi du Parlement européen, qui a été trop souvent négligé par le passé, en particulier en France, alors qu'il joue un rôle très important et qu'il est composé de députés européens de très grande qualité ; il est donc impératif que les citoyens français s'identifient mieux à leurs représentants siégeant au sein du Parlement européen ;
- s'agissant des relations avec la Russie, il convient d'être vigilant sur les décisions qui seront prises en matière de défense anti-missiles ou concernant notre attitude vis-à-vis de l'OTAN. Le renforcement de la défense européenne a été bien engagé sous la présidence française et la réflexion sur notre place au sein de l'OTAN est nécessaire. Mais il convient de bien redéfinir le rôle de l'Alliance atlantique, son concept stratégique et son périmètre ;
- les coopérations dans le domaine de la défense sont définies par les traités et ne nécessitent donc pas d'accords particuliers ;
- enfin, si la règle de l'unanimité constitue une contrainte en matière de modification des traités, il semble difficile d'envisager à court terme une modification de cette règle.
a demandé quelles étaient les perspectives envisageables concernant le projet de directive-cadre sur les services d'intérêt général qui n'avait pas connu d'avancée durant la présidence française.
a douté que le renforcement des structures intergouvernementales suffise à répondre aux interrogations des citoyens sur la légitimité du fonctionnement des institutions européennes. Il s'est demandé pour quelles raisons l'idée d'un grand emprunt européen n'avait pas été retenue pour financer un programme de relance économique.
a évoqué les réactions européennes à la crise économique et s'est interrogé sur une éventuelle extension de la zone euro. Il a également souligné la nécessité de définir la place de l'Europe dans un ensemble plus large comprenant aussi la Russie, l'Asie centrale, la Turquie et la région de la mer Noire.
a souligné que la volonté de permettre coûte que coûte l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne avait conduit à accorder des concessions excessives à l'Irlande, notamment sur l'application de la Charte des droits fondamentaux et le droit à l'avortement. Il a observé que l'accord sur le paquet « énergie-climat » n'avait été obtenu qu'au prix de nombreuses dérogations. Il a regretté l'absence d'ambition de l'Europe en matière sociale, la construction européenne se résumant de plus en plus à la mise en place d'un grand marché ultralibéral.
a estimé que l'annonce par le Président de la République de sa volonté de faire revenir la France dans l'ensemble des structures de l'OTAN avait sans douté été prématurée, compte tenu des progrès très lents de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et alors même que le concept stratégique de l'OTAN n'est pas redéfini.
a observé que les positions françaises et allemandes ne convergeaient pas toujours en matière de défense, notamment sur la question de la participation aux opérations extérieures.
En réponse à ces interventions, M. Bruno Le Maire a apporté les précisions suivantes :
- concernant la directive-cadre sur les services d'intérêt général, il est vrai que nous n'avons pas progressé autant que nous l'aurions souhaité ; il s'agit d'un sujet très important qui répond à une préoccupation des Français ; il est essentiel, en ce domaine, de ne pas répéter les erreurs du passé, en informant l'opinion très en amont des échéances de transposition des directives et en tenant compte de l'attachement légitime de certains pays à des formes particulières de leur organisation politique, économique et sociale, en l'occurrence, pour la France, de la place des services publics dans notre pays ;
- le rééquilibrage des institutions européennes au profit de la dimension intergouvernementale est un élément nécessaire, bien que non suffisant, du renforcement de leur légitimité aux yeux des citoyens ;
- face à la crise économique, la mise en oeuvre de réponses européennes est bien entendu nécessaire ; toutefois, l'impact des politiques communautaires restera à la mesure du volume du budget européen, représentant aujourd'hui à peine 1 % du PIB communautaire ;
- la crise actuelle a mis en évidence la fonction protectrice de l'euro, la perception de l'opinion française ayant évolué à cet égard ;
- les discussions avec la Turquie doivent se poursuivre sereinement selon le cadre et le calendrier établis pour l'examen des différents chapitres de négociation ;
- s'agissant des préoccupations de l'Irlande, il convient de rappeler que les questions de société, comme l'avortement, ne sont pas de compétence européenne et relèvent exclusivement des législations nationales ;
- sur le paquet « énergie-climat », l'accord intervenu est un résultat très satisfaisant et il était indispensable de prendre en compte les contraintes particulières de certains pays ;
- la crise actuelle oblige plus que jamais l'Europe à démontrer qu'elle agit d'abord dans l'intérêt des salariés et des entreprises, et non au service d'un dogme économique quel qu'il soit ;
- aucun progrès ne sera possible en matière de défense européenne si certains de nos partenaires ne sont pas pleinement convaincus que la PESD ne vise en aucun cas à minorer le rôle de l'OTAN ; c'est pourquoi la France a insisté ces derniers mois sur la nécessité d'un cheminement parallèle des deux volets de notre politique, vis-à-vis de l'Europe de la défense et vis-à-vis de l'Alliance atlantique ; il importera, d'ici le sommet de Strasbourg-Baden du 4 avril 2009, de mettre en valeur les avancées obtenues en matière de PESD et de bien définir notre vision de ce que doit être le rôle de l'OTAN et son champ d'intervention ; il faut toutefois avoir conscience qu'au-delà des rôles respectifs de l'OTAN et de la PESD, le problème essentiel réside dans l'insuffisance des capacités de défense des pays européens.
a déclaré partager l'analyse du secrétaire d'Etat sur la position française au sein de l'OTAN. Il a indiqué que la commission ferait de cette question une priorité de ses thèmes de travail au cours du premier trimestre 2009.