Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 19 octobre 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Stéphane Gompertz, directeur d'Afrique et de l'Océan indien au ministère des affaires étrangères, dont l'audition portera sur l'évolution récente de la situation au Soudan.

Vous êtes agrégé de lettres classiques mais, à votre sortie de l'ENA, vous avez choisi de servir notre pays dans son corps diplomatique. Avant de prendre vos fonctions actuelles, vous avez été notre ambassadeur en Éthiopie et votre carrière vous a également conduit à travailler à New York et à Genève au sein de nos représentations permanentes, puis au Caire et au Royaume-Uni.

J'ai souhaité que nous nous intéressions à l'évolution du Soudan à quelques semaines du référendum d'autodétermination du Sud de ce pays, dont les résultats pourraient conduire à une reprise du conflit qui l'a ensanglanté pendant de longues années et qui ne s'est terminé qu'en 2005 avec l'accord de paix global, le Comprehensive Peace Agreement, ou à la partition et l'indépendance autoproclamée en janvier prochain.

A cette première ligne de fracture s'ajoute le conflit au Darfour, avec ses implications au Tchad, qui a certes baissé d'intensité, mais où rien ne semble réglé, en particulier pour la sécurité des réfugiés.

Un conflit potentiel, mais extraordinairement explosif, sur un nouveau partage des eaux du Nil, que l'Éthiopie, château d'eau du Nil bleu, souhaite remettre en cause, et l'inculpation du président Béchir par la Cour pénale internationale viennent compléter le tableau d'un pays et d'une zone d'une extrême fragilité.

Ces inquiétudes sont partagées, comme en témoigne la récente visite du Conseil de sécurité au Soudan. Nous avons donc beaucoup de questions et nous attendons donc beaucoup de réponses.

Pour lancer le débat je reprendrai un certain nombre de questions récemment posées par Philippe Hugon de l'IRIS : le Nord, soutenu par la Ligue arabe, la Chine et la Russie, peut-il accepter cette indépendance alors que les richesses pétrolières se trouvent au Sud ? Le Sud, soutenu par les puissances occidentales, notamment les États-Unis, peut-il gérer son indépendance alors qu'il est une des régions les plus pauvres de la planète et que les forces politiques et militaires sont divisées ? Le tribalisme, attisé par le Nord, pourrait en effet conduire à une guerre civile. Le Nord acceptera-t-il de valider des élections alors que de nombreux problèmes et litiges existent pour recenser les électeurs ?

Les pays voisins peuvent-ils accepter une sécession qui serait un précédent, se heurtant au principe d'intangibilité des frontières avec des risques de contagion ?

Enfin, s'agissant du président Béchir, deux questions : les États-Unis sont-ils prêts à lâcher complètement Omar El-Béchir alors que celui-ci est aussi, au-delà de sa condamnation de la Cour Pénale Internationale (CPI), un facteur de relative stabilité et un rempart contre le radicalisme islamiste et Al-Qaïda ?

L'OUA et la Ligue arabe font pression pour que le Conseil de sécurité abandonne les poursuites contre le président soudanais. La position de principe prise par les pays occidentaux ne prive-t-elle pas leurs diplomaties de moyens d'action à un moment particulièrement critique où nous aurions intérêt à peser de tout notre poids et de toute notre influence pour oeuvrer à la stabilisation de cette zone ? Ne prend-t-on pas également le risque de laisser le champ libre à la Chine en particulier ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz - J

e vous remercie de votre invitation d'autant plus que je sais le Sénat actuellement très occupé par un autre grave sujet de discussion...

La prochaine échéance du référendum sud-soudanais, en janvier 2011, peut préoccuper, au point que le Premier ministre éthiopien nous déclarait récemment : « notre propre guerre d'Érythrée, qui fit entre 80 000 et 100 000 morts, n'aura été qu'un pique-nique à côté de ce qui risque de se passer au Soudan. ». Et, même si tout dépendra des Soudanais eux-mêmes, notre rôle est de tenter d'aider à ce que tout se passe au mieux.

Plusieurs scénarios « noirs » sont envisageables, et d'abord un affrontement Nord-Sud. Les deux parties font en effet un effort spectaculaire d'armement voire de surarmement. Par exemple, l'an dernier, des pirates somaliens ont capturé un navire transportant des chars d'assaut à destination du Sud-Soudan -et non du Kenya, comme cela avait été dit- De son côté, Khartoum a récemment procédé à de nouveaux achats de chars auprès d'un pays de l'Est de l'Europe.

Toutefois, le risque d'un affrontement direct n'est pas si grand, parce qu'aucune des parties ne serait en mesure d'avoir un succès décisif, ni le Sud trop faible, ni le Nord qui, dorénavant, ne dispose plus des anciens auxiliaires de poids qu'il avait en la personne des Darfouris : Khalil Ibrahim n'est plus ni disposé, ni en mesure de prêter son concours à Khartoum. En outre, une guerre serait dévastatrice pour les deux parties puisqu'elle compromettrait la production de pétrole.

En revanche, un autre scénario noir est envisageable, celui d'un affrontement indirect. Il serait facile pour le Nord de susciter des affrontements entre les tribus du Sud, enclenchant ainsi immanquablement un cycle de représailles. Khartoum pourrait aussi expulser tout ou partie des centaines de milliers de Sudistes qui vivent dans le Nord, en particulier dans la capitale de manière à déstabiliser le Sud.

Même si, début octobre, le président Béchir a donné l'assurance qu'il n'expulserait pas cette population, les risques de pourrissement sont réels. Nous devons donc convaincre les deux parties d'agir avec modération, dans leur propre intérêt.

Si la situation s'envenime, le risque de contagion est en effet grand dans les pays voisins. L'Éthiopie est encore traumatisée par les troubles survenus entre éleveurs et agriculteurs venus du Soudan et qui, pour finir, se sont retournés contre les habitants des hauts plateaux.

La République démocratique du Congo est frontalière du Soudan et la LRA (Lord's Resistance Army) de l'Ouganda a essaimé au Sud-Soudan. Et si le Soudan est déstabilisé, l'accord, miraculeux, intervenu entre le président Béchir et le président tchadien Idriss Déby serait remis en cause. Quant au Kenya, il en subirait aussi les conséquences et notamment le poids de nombreux réfugiés.

Les eaux du Nil sont aussi la cause de différends. L'Egypte tient au maintien de l'accord de 1959 qui lui accorde la plus grande partie de ces eaux, alors que l'Ethiopie et l'Ouganda, pays de l'amont, veulent le remettre en cause. Lorsque les pays d'amont construisent des barrages d'irrigation, l'Égypte s'y oppose... En cas d'éclatement du Soudan, le Sud-Soudan serait tenté de prendre parti contre l'Egypte, ce qui explique la politique égyptienne qui, tout en souhaitant le maintien de l'unité du Soudan, s'emploie à être en bons termes avec le Sud.

Autre risque de l'éclatement du pays, avancé par l'ancien président malien, Alpha Oumar Konaré : voir le régime de Khartoum se réfugier dans un islamisme exacerbé et se rapprocher de mouvements extrémistes, voire terroristes.

Mais le pire n'est jamais sûr. Le référendum est toujours prévu pour le 9 janvier prochain. S'il a lieu, son issue est claire : le Sud votera à une écrasante majorité pour l'indépendance. Pendant longtemps le Nord a vécu avec l'illusion qu'il pouvait rendre l'unité attirante. L'Egypte et l'Erythrée, qui ont un temps entretenu cette illusion, n'y croient plus guère. Le modèle de scission souhaité est celui de l'ancienne Tchécoslovaquie.

Le référendum pourra-t-il se tenir en janvier prochain ? Non, car beaucoup de retard a été pris. La Commission pour le référendum du Sud-Soudan a nommé son secrétaire général en septembre, mais le recensement des électeurs n'a pas encore commencé.

Ce retard est-il dramatique ? Normalement, non, car le Comprehensive peace agreement de 2005 autorise un délai supplémentaire de six mois. Mais la saison des pluies commence fin mars, ce qui réduit le délai réel à deux mois et demi ou trois mois.

Politiquement, le Sud pourrait-il accepter le report ? Certains responsables sudistes menacent, si le référendum n'a pas lieu le 9 janvier, de déclarer l'indépendance unilatéralement. Le feront-ils ? Un délai supplémentaire de trois mois sera-t-il suffisant ? Ce n'est pas sûr. D'abord parce que la région pétrolifère d'Abyei, à la lisière du Nord et du Sud, demeure contestée, et ses habitants doivent, par un second referendum, décider leur rattachement au Sud ou au Nord. Qui est censé y habiter ? Environ 50 000 sédentaires mais aussi des nomades qui utilisent la région comme parcours de transhumance. Ces nomades doivent-ils être considérés comme des habitants d'Abiey et être admis à voter ? Le Nord juge que doit être recensé comme habitant cette région quiconque y séjourne plus de deux mois dans l'année, tandis que, pour le Sud, le séjour doit être d'au moins huit mois. Il y a eu, cette année, des négociations sur le sujet à Addis-Abeba; les délégations se sont séparées le 11 octobre sur un constat d'échec. Il est en effet difficile de traiter cette question sans traiter celle du pétrole.

En outre, des problèmes ne sont pas encore réglés qui doivent déterminer les modalités de cohabitation entre le Nord et le Sud : les critères de nationalité, le sort des entreprises d'État possédées en commun, la question des revenus du pétrole et le partage futur de la dette nationale. Sur le pétrole est actuellement en vigueur un accord très favorable au Nord, lequel encaisse la majorité des profits alors que la production vient en majorité du Sud. Cet accord doit-il être remis en cause ?

En résumé, il faudra déployer beaucoup d'efforts diplomatiques, de toutes parts, et de la sagesse pour éviter qu'une séparation quasi inéluctable n'entraîne un affrontement majeur.

Quid du Darfour ? On l'a un peu oublié et Khartoum a tout intérêt à faire croire que le problème est en voie de règlement et qu'on s'oriente vers une paix globale dans la sécurité et le développement. Cela permet au gouvernement de Khartoum de court-circuiter les mouvements rebelles. Pour lui, moins on parlera du Darfour, mieux cela vaudra.

Or, la situation n'est pas stabilisée. En mai, une grande offensive contre les forces de Khalil Ibrahim, du Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE), a fait 600 victimes, et fin septembre le gouvernement soudanais a repris ses bombardements contre les troupes d'Abdulwahid El Nur du MLS (Mouvement pour la libération du Soudan), tandis qu'une offensive terrestre a paralysé toute l'activité des ONG : les cliniques n'étant plus approvisionnées en médicaments, la rougeole et la poliomyélite ont fait leur réapparition. En outre, dans le camp darfouri, les tensions sont vives entre partisans et adversaires des négociations.

Le gouvernement soudanais recherche une solution interne en même temps qu'il négocie à Doha sous l'égide de l'ONU, de l'Union africaine et du Qatar. Le principal groupe rebelle, le MJE de Khalil Ibrahim a participé à ces négociations, puis s'en est retiré. L'autre mouvement rebelle, le MLS d'Abdelwahid el Nur a toujours refusé d'y participer tant qu'il n'obtiendrait pas des garanties de sécurité. Un troisième mouvement, le Mouvement pour la libération et la justice, né de l'agglomération de différents groupuscules sous l'égide de la Libye et dirigé par Tijani Cisse, participe encore aux négociations de Doha. L'espoir du médiateur est de parvenir avec lui à un accord qui pourra servir de modèle pour les autres. Il est probable qu'Abdelwahid el Nur et Khalil Ibrahim jouent l'attentisme et attendent l'affaiblissement du Nord-Soudan pour être négocier en meilleure position.

Pour le gouvernement français, cette attitude est contreproductive et aveugle car Khartoum pourrait bien parvenir à un accord avec Tijani Cisse, faire revenir un certain nombre de réfugiés dans leurs villages et confirmer son avantage militaire. Si le Nord et le Sud coexistent pacifiquement, Khartoum sera en position plus forte. Aussi les Darfouris ont-ils plutôt intérêt à ne pas laisser passer une occasion de négocier. Lorsque Khalil Ibrahim est passé à N'Djamena, Idriss Debby l'a empêché de rentrer au Darfour. Il est donc allé à Tripoli.. Nous voudrions que ce pays dont le jeu demeure un mystère fasse pression sur Ibrahim pour qu'il négocie. On peut faire l'hypothèse que la Libye le garde comme joker.

Dans tout cela, que peut la France ? D'abord il ne s'agit pas pour elle d'agir seule. Elle n'est que l'un des acteurs dans la région, mais pas un acteur majeur. Des millions de dollars ont été déversés sur le Darfour et le Sud-Soudan par les États-Unis et l'Union européenne. La France est, avec l'Allemagne, un des deux plus grands contributeurs de l'Union mais, face aux millions dépensés pour financer le référendum, la France en tant que telle a des moyens très limités. Elle a toutefois versé 3 millions d'euros d'aide humanitaire en 2010, soit 2 millions pour les ONG françaises et 1 million pour les ONG locales.

Mais notre rôle est accepté dans la région, notamment à cause de nos relations privilégiées avec le Tchad. Ainsi la France fait-elle partie du Groupe international de contact et du Forum consultatif sur le Soudan ; elle participe aussi à la concertation entre les envoyés spéciaux sur le Soudan. Nous sommes régulièrement invités aux concertations internationales sur ce pays et nous avons des conversations dans le cadre des envoyés du E6 - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Union européenne.

S'agissant de la Cour pénale internationale (CPI) et du double mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre émis par cette Cour contre le président Béchir, comme l'Union européenne, la France n'a aucun contact direct avec le président soudanais, sauf en cas d'urgence humanitaire -une prise d'otages par exemple.

Une solution serait, non pas de renoncer aux poursuites, mais de les suspendre comme l'article 16 du traité instituant la CPI permet au Conseil de sécurité de le faire. C'est ce que suggèrent un certain nombre de pays africains, mais, pour l'instant, nous ne modifions pas notre position car rien ne le justifie.

Cet ostracisme légal n'empêche pas le dialogue avec les autorités soudanaises : le vice-président Ali Osman Mohammed Taha était présent au sommet de Nice et nous recevons régulièrement des délégations du Soudan et, récemment par exemple, le secrétaire général du ministère des affaires étrangères.

Nous dialoguons aussi avec le Sud, dont le chef d'état-major est venu à Paris et auquel nous avons posé la question de la coexistence pacifique des tribus comme les Dinkas et les Nuers. Il nous a donné des apaisements... Signe en tout cas de notre attachement à ce Sud-Soudan : la transformation du Bureau de Juba en consulat général, lequel deviendrait vraisemblablement une ambassade si l'indépendance était acquise.

Aux deux parties nous recommandons d'éviter les provocations et gesticulations qui risquent de pousser l'autre à la faute. Au Sud, nous demandons de ne pas déclarer unilatéralement son indépendance : cela supposerait que l'issue du référendum serait un échec. En outre, si l'indépendance est acquise par référendum, elle sera reconnue par la majorité de la communauté internationale -par la Chine par exemple ; il n'en serait pas de même en cas de déclaration d'indépendance unilatérale.

Nous conseillons également aux Sudistes d'être prudents dans leurs projets pétroliers et, par exemple, de ne pas se lancer dans la construction d'un oléoduc entre le Sud-Soudan et le Kenya. Les travaux dureraient au moins cinq ans, coûteraient de 2 à 5 milliards, alors que, dès 2015, la production pétrolière -des réserves connues- diminuera avant de se tarir. Un tel investissement, ruineux, serait un chiffon rouge agité à la face de Khartoum qui y perdrait les revenus de l'oléoduc et des raffineries du Nord.

Au Nord, nous conseillons d'en finir avec les bombardements ainsi qu'avec les restrictions imposées à la Minuad, telles, par exemple, que le délai de 48 heures requis pour autoriser un hélicoptère à décoller, ce qui empêche le transport urgent des blessés. Au gouvernement de Khartoum, nous disons aussi de faire un geste politique pour le Darfour : par exemple en précisant les garanties de sécurité ou en donnant des gages sur l'unité dudit Darfour, actuellement divisé en trois unités administratives.

Aux mouvements rebelles darfouris, nous disons d'aller à Doha sans attendre. Sans guère de succès jusqu'à présent puisque Abdelwahid el Nur est toujours à Paris...

Nous persévérons cependant, d'autant plus que ces régions, potentiellement riches, peuvent intéresser nos investisseurs. Notre commerce avec le Soudan est des plus restreints -100 millions d'euros d'exportations et 20 millions d'euros d'exportations- et seuls y sont implantés Total, Areva et les ciments Lafarge.

Une fois de plus, je le redis, dans cette région, le pire n'est pas certain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

Quelle importance a là-bas le facteur religieux ? Davantage que le pétrole ?

Ben Laden s'était à un moment donné installé au Soudan pour y mener une activité agricole. De ce fait, Al-Qaïda joue-t-elle un rôle au Soudan ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

J'ai le sentiment que la religion joue un rôle moins important qu'à l'époque où Nemeiri, devenu zélote, a voulu imposer la chari'a. Maintenant la question est plutôt celle de l'identité nationale et les Sudistes ne se disent pas tant chrétiens que nationalistes.

Je ne crois pas qu'Al-Qaïda ait la moindre présence au Soudan et ce pays n'entretient aucune activité terroriste. C'est, certes, un régime islamiste mais il n'a aucun lien avec Al-Qaïda.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

On peut regretter que Ben Laden n'ait pas préféré rester un gentleman farmer...

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Je reviens de ce pays avec mon collègue André Dulait et j'ai l'impression que des voix s'élèvent pour mettre en doute le dossier monté par le procureur argentin de la CPI Ocampo. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, la question de la frontière n'est pas réglée. Va-t-on en discuter avant ou après le référendum ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

La France signataire du Traité de Rome respecte totalement l'indépendance de la Cour et de ses magistrats de la CPI et n'est pas fondée à mettre en doute le travail du procureur Ocampo qui est parfaitement désintéressé. A propos du dernier mandat d'arrêt, la question s'est posée sur la qualification de génocide que la Cour a finalement retenue. Le gouvernement français n'a pas à prendre parti.

Sur la frontière, les discussions sont loin d'être terminées et cela pose la question de ceux qui seront reconnus comme électeurs. On peut déconnecter les deux référendums, celui du Sud et celui de la région d'Abyei, mais il faut régler la question des frontières et des votants.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

On nous a indiqué que le Nord pouvait éclater en cas de séparation d'avec le Sud. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

Les dirigeants du Nord se posent la question. Certains bons connaisseurs rappellent que la stratégie du parti du congrès national consistera toujours à s'appuyer sur le centre pour contrôler la périphérie. Je pense que le risque est limité car le mouvement séparatiste de l'Est, n'est plus encouragé dans sa dissidence par l'Erythrée. Mon sentiment est que l'unité du Nord devrait survivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Que pensez-vous de la politique chinoise dans ce pays ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

Il y a le discours des Chinois et ce qu'ils font. Lorsque nous avons vu l'envoyé spécial à Paris, nous avons parlé des questions pétrolières. Il nous a dit qu'il s'employait à convaincre les Sudistes de ne pas construire le second oléoduc. Il y a cependant des entreprises chinoises sur les rangs pour ce chantier. Une entreprise -même si elle est privée, comme il nous l'a fait observer- doit avoir le nihil obstat de Pékin. Les Chinois, qui souhaitent la stabilité, peuvent jouer un rôle dissuasif. Lors de la décision sur la Minuad, le ministre des affaires étrangères du gouvernement de Khartoum était réservé et les Chinois ont mis tout leur poids dans la balance. Ils ont une certaine efficacité et un vrai souci du dialogue avec nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Qu'est-ce qui les intéresse ? Ont-ils une vision stratégique ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

L'approvisionnement en matières stratégiques est premier. Ils mènent une diplomatie à très long terme. La défense de leurs intérêts commerciaux explique qu'ils sont très attachés à la stabilité, condition de leur prospérité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Pourquoi le Sud et le Nord ne peuvent-ils plus s'entendre, et quelle sera la clef de répartition de la population et des richesses ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

La mésentente est le fruit de l'histoire. Il y a eu trop d'affrontements et d'actes de violence ; le sentiment d'identité religieuse est passé au second plan par rapport à l'identité nationale. Les gens du Sud ont vu ce qui s'est passé au Darfour, ils constatent que Khartoum est au ban de la communauté internationale et ils veulent l'indépendance. Enfin, n'oublions pas les ambitions des dirigeants. Le Sud représente 40 % du territoire mais 15 % de la population, 2 à 3 % des Sudistes vivant au Nord ; au Soudan, le PIB par habitant est de 2 000 dollars par an, mais il ne représente dans le Sud que 15 à 20 % de celui du Nord. Le Sud est sous-équipé, il n'y a pas de route, ni de téléphone.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

L'indépendance du Sud-Soudan va constituer pour toute l'Afrique un précédent contraire à la Charte de l'Union africaine. Vous parlez du modèle tchécoslovaque, mais l'on risque d'être plus proche du modèle yougoslave. On n'avait pas agi comme cela pour l'Afrique des Grands lacs, pour le Libéria ou le Nigéria. Ne met-on pas le doigt dans un engrenage mortel ? Un Etat a l'avantage d'exister, il est reconnu. Cependant, l'accord des deux parties constitue un argument en faveur du modèle tchécoslovaque. L'Union africaine appuie-t-elle vraiment cette démarche ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

Il n'y a pas de problème aux yeux de l'UA dès que les deux parties sont d'accord. Oui, bien entendu, cela peut servir de précédent. Mais la sécession n'est pas admissible quand les parties ne sont pas d'accord. On l'a bien vu au Biafra en 1967-1968. A part trois pays dont la Côte d'Ivoire, personne n'a reconnu son indépendance. Le Somaliland a été indépendant pendant trois jours avant de s'unir à la Somalie. Ce qui rendrait son indépendance juridiquement possible. Dans les autres cas, la revendication d'indépendance n'aurait aucune base légale. Quand Anjouan a voulu faire sécession, personne ne l'a reconnue et une force africaine, avec l'appui de la France, a réglé l'affaire presque sans effusion de sang.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Il suffit qu'une puissance extérieure soutienne un mouvement insurrectionnel assez longtemps pour que l'autre partie consente finalement à la sécession : il a fallu vingt ans de guerre civile au Soudan pour en arriver là. N'y a-t-il pas là un encouragement à la sécession ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

C'est le comportement des dirigeants soudanais qui est en cause : si Djafar Nemeiri n'avait pas promulgué la chari'a, il n'y aurait pas eu de demande d'indépendance de la part du Sud. Certains responsables du Nord le reconnaissent aujourd'hui ; ils regrettent de ne pas avoir rendu l'unité plus séduisante. Comme l'ensemble des personnes occidentales, nous prêchons la modération et disons que l'intérêt du Sud est d'avoir une bonne relation avec le Nord.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je remercie M. Gompertz d'avoir éclairci la situation dans cette zone stratégique. Pour aller d'un bout à l'autre de l'Afrique, il faut en effet passer par le Soudan, comme avait essayé de le faire en 1898 l'expédition Marchand sur laquelle vient de sortir un livre très intéressant.

Debut de section - Permalien
Stéphane Gompertz

Fachoda ... Les instructions reçues autrefois par un ambassadeur anglais tenaient en peu de mots : « regardez ce que font les Français et, quoi que ce soit, bloquez-le ».