Je suis heureux d'accueillir M. Pierre Papon, physicien et chercheur, et je le remercie d'avoir accepté notre invitation. Professeur émérite à l'Ecole supérieure de physique et chimie industrielles de Paris, ancien directeur général du CNRS puis de l'Ifremer, président d'honneur de l'Observatoire des sciences et techniques, il a récemment publié un ouvrage intitulé Bref récit du futur, prospective 2050, science et société qui a retenu toute mon attention. Parmi les très nombreux thèmes qu'il aborde, j'ai suggéré qu'il puisse axer plus particulièrement ses propos sur les questions de travail et d'emploi.
Merci de m'avoir proposé de vous présenter quelques-unes de mes conclusions et hypothèses. Cet ouvrage est une exploration des chemins possibles pour les sciences et technologies, chemins forcément chaotiques et imprévisibles. Sur sa couverture figure d'ailleurs une pile de livres de plus en plus bancale au fur et à mesure qu'elle s'élève...
Je m'efforce d'identifier les zones de rupture possibles dans le domaine des sciences et technologies, les changements de paradigmes, de concepts, de théories qui pourraient survenir d'ici quinze à trente ans. Je suis la littérature scientifique pour identifier, tel un sismologue, les zones où peuvent apparaître des failles, même s'il est difficile de prévoir leur survenance. Il est intéressant de connaître le cheminement, souvent difficile, de la science et de la technologie, sachant que l'on ne saurait prévoir les découvertes et innovations. Il est utile d'essayer de détecter les verrous techniques ou scientifiques à faire sauter, dans le domaine de l'énergie ou du travail, par exemple, et de conjecturer les possibles modifications des relations entre la science, les technologies et la société.
J'ai choisi l'horizon 2050 car il correspond à peu près à deux générations : une première génération pour que de nouveaux concepts émergent, une deuxième pour qu'ils soient confortés et commencent à avoir des conséquences.
Mon livre se divise en quatre parties : où en est-on, quels sont les fronts de rupture, quels sont les grands dossiers de société dans lesquels la science peut participer au progrès, quel statut enfin pour les sciences et technologies dans notre société.
Premier front de rupture, la physique. La théorie de la physique des particules, récemment confortée par la découverte du boson de Higgs au Cern (organisation européenne pour la recherche nucléaire), s'est imposée depuis quarante ans. Mais cette théorie est de plus en plus compliquée : sans être fausse, elle ne sait pas tout prévoir ou tout expliquer. Bref, il y a une faille que reconnaissent d'ailleurs de nombreux physiciens. Je fais des hypothèses sur la façon dont on pourrait y parer.
Deuxième domaine, le vivant. Depuis trente ou quarante ans, la biologie se développe autour du dogme central de la biologie moléculaire selon lequel tout s'explique par des propriétés de molécules comme l'ADN. Or les choses ne sont plus si simples, et certains biologistes s'interrogent. Peut-on réaliser la synthèse complète d'un gène ou d'un ensemble de gènes à partir de petites molécules ? Oui, ont montré deux équipes américaines, ce qui n'est pas sans conséquences. On ne pourra sans doute pas faire la synthèse complète de la vie, mais la biologie synthétique est une percée majeure. Deuxième question : peut-on reprogrammer des cellules, en modifier les gènes pour qu'elles retrouvent une jeunesse et se différencient ? Oui, a montré une équipe japonaise, ce qui lui a d'ailleurs valu le prix Nobel de médecine : ce sont les cellules souches pluripotentes induites. Ces deux importantes ruptures peuvent avoir des conséquences, d'où mes spéculations sur les neurosciences, les mécanismes de la conscience, de la pensée. Autant de points d'interrogation...
La science a des conséquences sur la société, l'économie, la géopolitique. La société interroge les sciences. Je traite trois dossiers : l'énergie et le climat, le travail et la sécurité, qu'elle soit sanitaire, alimentaire ou sécuritaire. Sur l'énergie, je fais l'hypothèse que nous allons vers un réchauffement climatique modéré, et qu'il faut donc une transition énergétique. Que faire ? Si la faille que j'ai détectée dans la physique conduit à de nouveaux développements théoriques, il n'est pas impossible que l'on découvre à terme de nouveaux phénomènes de fission de la matière, conduisant à une nouvelle énergie nucléaire ou solaire.
Autre possibilité : remplacer le pétrole par des biocarburants, d'où le débat sur les matières premières d'origine agricole. Blé, maïs ou canne à sucre peuvent être remplacés par la cellulose, les déchets végétaux. Selon des biologistes américains, on pourrait imaginer des gènes artificiels reprogrammés de bactéries, de levures ou de micro-algues qui seraient réinsérés dans les cellules pour dégrader la cellulose, voire des hydrocarbures. Ce serait une possibilité d'ici quinze à vingt ans. Des entreprises américaines qui s'étaient lancées dans la construction d'usines pour fabriquer du bioéthanol à partir de cellulose y renoncent au profit soit du gazole synthétique à partir du gaz naturel et de schiste, soit des bactéries modifiées pour transformer le méthane du gaz de schiste en carburant. Il y a de nombreux verrous à faire sauter : les batteries, la synthèse du biocarburant, un nouveau nucléaire produisant moins de déchets.
Dans le domaine du travail, la rupture survenue il y a vingt ou trente ans avec l'introduction massive de la cybernétique, de l'informatique et des nouvelles technologies de l'information, va se poursuivre, notamment dans le tertiaire. En parallèle, on peut faire deux hypothèses. D'abord, le développement du télétravail, nettement moins répandu en France qu'aux Pays-Bas, par exemple. Il faudra mettre au point des infrastructures pour permettre l'accès au réseau informatique, à des banques et bases de données. Cette évolution, qui ne nécessite pas de percée technique particulière, faciliterait les conditions de travail et réduirait les déplacements. Deuxième possibilité : la télémédecine. Les progrès dans le domaine des capteurs, des méthodes d'analyse biologique, des outils de diagnostics comme les échographes et les IRM à bas champ magnétique permettront, dans des endroits isolés, le pré-diagnostic ou le monitoring des malades. C'est une évolution intéressante pour les pays en développement, mais aussi pour certaines régions françaises, même si elle est susceptible d'accentuer le phénomène de médecine à deux vitesses.
Dans une vision plus prospective, je fais l'hypothèse d'un rebondissement de la robotique couplée directement au cerveau, permettant de commander des robots à distance. Les Japonais ont mis au point des robots relativement simples pour personnes handicapées, notamment des fauteuils commandés par le cerveau, et visent à développer une robotique domestique, car leur population est vieillissante. On peut aussi imaginer des applications dans des systèmes de production simples. Louis Gallois, dans son rapport, souligne que la France est en retard dans le domaine de la robotique industrielle - quatre fois moins de robots qu'en Allemagne, deux fois moins qu'en Italie - malgré nos compétences.
On peut imaginer que l'industrie chimique, qui fait aujourd'hui appel à des matières premières d'origine pétrolière ou gazière, utiliserait à l'avenir davantage de matières végétales - amidon, cellulose - transformées par des enzymes, par exemple pour fabriquer des matières plastiques. Une nouvelle chimie se développerait, très liée à l'agriculture, ce qui entraînerait une industrialisation encore plus importante de cette dernière.
Quels sont les verrous à faire sauter dans les domaines de la production et du travail ? En matière de robotique, il faut mieux comprendre les mécanismes de transmission de pensée vers un robot, moyennant des logiciels. En matière de nanotechnologies, je doute que l'on puisse développer de nouveaux outils à grande échelle, comme les nano-outils ou les nano-robots. Les puces électroniques utilisées en informatique ont déjà des dimensions de l'ordre du dixième de micron.
Je passe rapidement sur la question de la sécurité. J'ai lu le rapport de Mme Keller sur les maladies émergentes. Il faudra comprendre comment les virus peuvent muter pour y parer. Je traite des progrès de la génétique mais je doute de la possibilité de parvenir à des thérapies géniques à grande échelle et à une médecine prédictive à partir d'un diagnostic de mutation de gènes. Il est probable que, d'ici dix à quinze ans, on pourra séquencer le génome d'un individu pour 500 à 1 000 euros, et donc détecter des mutations. Certains cancers du sein, par exemple, sont d'origine génétique, mais la plupart des maladies sont multi-géniques. Un tel diagnostic poserait des problèmes éthiques et psychologiques - on vivrait avec une épée de Damoclès médicale - et donnerait raison au Dr Knock, pour qui « tout homme bien portant est un malade qui s'ignore ».
Dernier chapitre : le statut de la science dans la société. Première conjecture, d'ordre géopolitique : y aura-t-il d'ici 2050 une nouvelle géographie mondiale de la science et des technologies, des puissances nouvelles ? Je fais l'hypothèse qu'en 2030, trois pays exerceront un leadership scientifique et technique : la Chine, les Etats-Unis et le Japon. La Chine investit massivement dans la recherche et la technologie depuis un quart de siècle, et augmente ses dépenses de recherche et développement de 20% par an qui représentent aujourd'hui 1,7% du PIB, tandis que le Japon est à 3,4%. L'Asie sera d'ici vingt ans un pôle d'attraction majeur pour la science et la technologie, ce qui aura bien sûr des conséquences sur la compétitivité.
Deuxième conjecture : la France et l'Union européenne se préparent-elles à faire face aux grands défis mondiaux ? Premier dossier critique : l'université. Prépare-t-on l'université de 2030 ? Il va falloir former des adultes tout au long de leur vie professionnelle, adapter la main d'oeuvre aux techniques nouvelles. Utilise-t-on les moyens d'enseignement à distance, comme le font les meilleures universités américaines ? Sommes-nous capables de faire la synthèse et de diffuser les travaux de recherche ?
Deuxième question : ne faudrait-il pas que la recherche industrielle dans des secteurs comme la pharmacie ou l'automobile s'appuie davantage sur des structures académiques, comme le font Roche ou Novartis en Suisse ?
Troisième question : ne faudrait-il pas que l'organisation de la recherche scientifique et technologique, publique comme privée, soit davantage assise sur les territoires, mieux ancrée dans les régions, autour de grandes et moyennes agglomérations ? C'est la direction dans laquelle s'est engagée la Suisse, qui privilégie les compétences multidisciplinaires. En France, Grenoble ou Strasbourg sont des exemples à suivre. Sur ces trois sujets majeurs, je ne suis pas certain que la France s'engage dans la bonne voie.
Depuis dix ou vingt ans se développe un scepticisme, voire une critique vis-à-vis du progrès scientifique. Cela me semble dommageable car les problèmes que nos sociétés ont à résoudre comportent une dimension scientifique et technique. Cet état d'esprit n'encourage pas les jeunes générations à s'engager dans des carrières scientifiques. Ces critiques ont toutefois le mérite de nous conduire à envisager de nouveaux modes d'expertise scientifique et technologique sur de grandes questions de société : santé, médicament, énergie, etc. C'est un problème politique fondamental, qui met en jeu le rôle du Parlement : Assemblée nationale, Sénat et Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Vous avez évoqué le télétravail dont il est question depuis longtemps. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le télétravail s'est beaucoup développé aux Pays-Bas, en Suède, en Norvège, au Danemark et en Grande-Bretagne. Les problèmes techniques sont déjà résolus : il suffit de disposer d'un pool informatique, d'une assistance technique, d'un réseau de communication rapide et de bases et banques de données, qui peuvent être décentralisées. D'où la nécessité d'équiper tout le territoire en haut débit.
La France manque d'infrastructures en ce domaine, ce qui explique les discussions sans fin entre les collectivités locales et l'Etat. Lorsque je prends le train pour la Normandie, je rencontre des gens qui me disent travailler en partie chez eux et certains se plaignent des déficiences du réseau informatique.
Dans trente ans, il faudra nourrir trois milliards d'êtres humains supplémentaires : que pensez-vous des OGM décriés par les uns et encensés par les autres ? Les agriculteurs français doivent savoir une bonne fois pour toutes ce qu'il en est car notre compétitivité est en jeu. Les OGM présentent-ils des dangers pour la santé ? Faut-il les proscrire ou au contraire les encourager ?
Par ailleurs, le vieillissement de la population va se poursuivre. Que faire, surtout si l'espérance de vie augmente ?
En 2050, il faudra effectivement nourrir neuf milliards d'hommes et de femmes, car la population augmentera en Asie et doublera en Afrique. Les agronomes de l'Inra estiment qu'il sera possible d'y parvenir sans recourir aux OGM car toutes les terres agricoles ne sont pas encore exploitées. Encore faut-il savoir si ces terres auront un bon rendement, ce qui n'est pas sûr, surtout si le réchauffement climatique accentue la sècheresse dans certaines zones, notamment en Afrique du Nord. Dans ce cas, il faudra des espèces végétales résistantes et à haut rendement, d'où l'indispensable recours aux OGM. Ceci dit, dans les zones tempérées, comme en France, ils ne seront sans doute pas utiles. Néanmoins, la France et l'Europe feraient une erreur stratégique de mettre un terme aux recherches sur les OGM.
Très peu. A Colmar, après s'être concerté avec les autorités locales et les viticulteurs, l'Inra menait des recherches sur des pieds de vigne génétiquement modifiés pour éviter qu'ils ne soient atteints par le court-noué. Ils ont été arrachés par des protestataires anti-OGM.
Ceci dit, je sais que des recherches sur les OGM se poursuivent à l'étranger.
Certes, mais les laboratoires sont tétanisés.
Je rappelle aussi que la Chine, les Etats-Unis et le Brésil cherchent à produire des carburants grâce à des bactéries modifiées, c'est-à-dire aux OGM. Il faut poursuivre les expertises.
Nous sommes tous condamnés au vieillissement. Les maladies neuro-dégénératives sont un grave problème. Si l'on connaît désormais assez bien les mécanismes de maladies comme le Parkinson ou l'Alzheimer, qui touche plus de 800 000 personnes en France, on ne sait encore ni les prévenir ni les soigner. L'espérance de vie dans les pays occidentaux est d'environ quatre-vingt-cinq ans : l'important est d'arriver à cet âge-là en bon état. Il y a un mythe, véhiculé par certains philosophes mais aussi par des scientifiques, de l'homme réparable, transformable, dont on pourrait améliorer les capacités physiques et intellectuelles. C'est le trans-humanisme. Il y a eu ce que j'appelle le syndrome de Descartes : l'homme serait à la fois une machine et un cerveau, une âme, et il serait possible de réparer la tuyauterie. Pour moi, il s'agit de pensées mythiques.
Il y a trente ans, on avait foi en la science et le progrès technique. Désormais, la méfiance l'emporte. Comment faire pour apaiser le débat ?
Pouvez-vous aussi nous parler du potentiel que représente la mer, vous qui avez présidé l'Ifremer ?
Cette question est d'autant plus importante que notre pays possède la deuxième surface maritime du monde.
Dans les années 1950 et 1960, on associait les sciences et les technologies au progrès. Depuis, nos concitoyens ont pris conscience de certaines zones d'ombre de la science, d'où l'émergence de mouvements contestataires. Cette évolution, marquée en France et en Europe, est beaucoup moins prononcée aux Etats-Unis et n'a pas eu lieu en Chine. En outre, bon nombre de scientifiques ont annoncé des progrès fulgurants qui ne se sont pas traduits dans les faits : ainsi, les progrès de la génétique, s'ils sont réels, n'ont pas encore modifié notre quotidien. Il y a cinquante ans, on promettait la fusion thermonucléaire pour bientôt. On l'attend toujours. Ces espoirs déçus expliquent en partie la désaffection actuelle pour la science.
Il est vrai que dans mon livre, je parle peu de la mer qui représente pourtant 65% de la surface de la terre. Une grande partie des fonds sous-marins n'est toujours pas explorée, en dépit des progrès de la robotique et des recherches menées par des compagnies pétrolières.
De gigantesques quantités d'hydrates de méthane sont piégées dans la glace, équivalant sans doute aux réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel, mais on ne sait toujours pas les exploiter. Des forages risqueraient de laisser du méthane s'échapper dans l'atmosphère.
Il existe aussi des gisements de métaux, notamment du manganèse, dans les mers, mais le coût d'exploitation reste prohibitif.
C'est vrai.
Les ressources considérables en algues peuvent également être utilisées comme carburants. En les modifiant génétiquement, il serait possible d'accroître leur rendement. Les Salins du Midi commencent à produire du biocarburant à partir d'algues.
Parviendrons-nous à trouver des énergies de substitutions à l'horizon 2050 ? Quelles en seraient les conséquences géopolitiques ?
Avec l'informatique, notre société est un colosse aux pieds d'argile : une panne générale aurait des conséquences catastrophiques. Que faire pour éviter un tel scénario ?
Chercheurs et formateurs se réunissent-ils pour réfléchir à l'enseignement de demain ? Y a-t-il une réflexion sur la formation du formateur ?
Notre vision de la relation entre masse et énergie aura peut être évolué d'ici quelques décennies. Dans son article de 1905, Einstein, qui livre sa fameuse formule E=mc2, estime également qu'il n'est pas impossible que sa formule explique l'énergie dégagée par la radioactivité du radium.
La quatrième génération des centrales nucléaires est une réalité, mais les conditions de sécurité ne sont pas encore optimales. Si l'on y parvient, l'impact serait important, surtout pour les pays en développement.
Le solaire n'est aujourd'hui pas rentable, sauf dans le sud de l'Espagne et en Arizona, car les conditions technologiques ne sont pas encore réunies. Là aussi, un verrou doit sauter.
Le biocarburant pourra se développer si nous trouvons des techniques plus compétitives pour utiliser les déchets végétaux. Le Brésil est une puissance émergente en partie parce que ce pays a su développer sa filière biocarburant à partir de la canne à sucre. La France doit donc poursuivre ses recherches en ce domaine.
L'informatisation massive de la société et la mise en réseau sont des facteurs de vulnérabilité considérables. Il en va de même pour les réseaux électriques : il y a quelques mois, le Brésil a été paralysé par une panne électrique majeure. Il en avait été de même en Suisse voici deux ou trois ans. En cas de panne des réseaux informatiques, nos sociétés seraient au point mort, d'où la nécessité d'améliorer la cybersécurité et de lutter contre la cybercriminalité. Peut être faudrait-il songer à isoler localement certains réseaux de façon à parer à une panne globale.
Je crains que la réflexion sur la formation à l'université et en école d'ingénieurs ne soit insuffisante. M. Gallois évoque d'ailleurs dans son rapport la question de l'enseignement secondaire. Ce problème rejoint la remarque de Mme Keller sur la suspicion à l'égard des sciences et techniques : les jeunes hésitent désormais à s'engager dans ces cursus. Il n'est pas certain que l'éducation nationale et les universités prennent le problème à bras le corps. Depuis de nombreuses années, on constate une désaffection des élèves pour l'enseignement technique ; cette désaffection touche aussi les écoles d'ingénieurs qui ont multiplié les options de gestion financière dont les métiers sont sans doute plus rémunérateurs, au détriment des métiers en contact avec le réel. M. Gallois me disait que, lorsqu'il était président d'EADS, il avait beaucoup de mal à recruter des ingénieurs français pour ses laboratoires de Toulouse : même à SupAéro, les étudiants préfèrent la finance à l'aéronautique. Il y a un déficit de cohérence et de compétences. L'Etat, qui est le tuteur des écoles d'ingénieurs, est responsable de la situation actuelle. C'est d'autant plus regrettable que l'Allemagne forme excellemment de nombreux techniciens à bac+2, ce qui est préférable à certains masters qui se révèlent en définitive peu utiles.
L'éducation nationale et les universités prennent peu en compte la prospective, et le corps professoral est parfois peu en phase avec la réalité.
Nous en arrivons au programme de travail de notre délégation pour les mois à venir.
Trois dossiers sont déjà en cours :
Le rapport consacré à l'avenir des campagnes, que nous avions confié à nos collègues Renée Nicoux et Gérard Bailly, ainsi, initialement, qu'à Ronan Kerdraon qui y a finalement renoncé en raison de sa charge de travail à la commission des affaires sociales. Ce rapport est en voie d'achèvement et devrait être remis très prochainement. L'atelier de prospective préalable à l'établissement de nos conclusions aura lieu le 12 décembre.
Notre deuxième sujet est le colloque que nous organisons le mercredi 5 décembre, à partir de 14h30, salle Médicis, conjointement avec le Conseil économique, social et environnemental, sur le thème de la planification stratégique. J'espère votre présence nombreuse à cette manifestation importante, à laquelle des personnalités aussi éminentes que Jean-Pierre Raffarin ou Michel Rocard ont déjà confirmé leurs contributions. Vous recevrez rapidement une invitation détaillant le déroulé de cette après-midi de travail et la liste des intervenants.
Enfin, je propose que nous organisions, au cours du premier semestre 2013, une table ronde dans le prolongement du rapport de Fabienne Keller sur « les années collège ».
Il conviendrait en effet d'organiser une table ronde sur les leviers d'action en ce domaine, sur le travail de mémoire, l'emploi fractionné, la santé : bref, faire vivre le débat. Le colloque pourrait se tenir en mars ou avril et nous pourrions recruter un stagiaire pour nous aider à l'organiser.
Il est de bonne politique de faire appel à des doctorants.
J'en viens aux sujets qui pourraient faire l'objet de nos études à venir et que nous avons commencé de répertorier lors de la réunion du Bureau de notre délégation qui s'est tenue le 3 octobre.
Yannick Vaugrenard souhaite faire un rapport sur les nouvelles formes de pauvreté en France. Il est incontestable que ce sujet, aux enjeux multiples, est insuffisamment exploré et analysé actuellement.
Alain Fouché a suggéré d'entreprendre un travail sur l'emploi et sur la formation professionnelle à un horizon lointain, afin de discerner ce que pourraient être les emplois de demain et, partant, les filières de formation et les outils pédagogiques à créer ou renforcer dès à présent pour qu'ils soient opérationnels le moment venu.
Fabienne Keller souhaiterait réfléchir aux places et lieux de rassemblement. Ce travail se situerait, en quelque sorte, au confluent des conclusions du rapport qu'elle a établi, voici quelques temps, sur les gares et de celui du rapport de notre collègue Jean-Pierre Sueur sur les villes du futur.
Pour finir, j'ai été sollicité par Philippe Leroy sur le thème de la valorisation de nos ressources forestières.
Nous ne pourrons malheureusement pas travailler sur ces quatre thèmes en même temps et nous devons établir des priorités. Enfin, je suis très favorable à ce que, pour chaque thème, vous puissiez travailler en binôme, majorité et opposition confondues, cette pratique ayant fait la démonstration de son efficacité.
Le Secours catholique a publié hier un rapport sur la pauvreté, qui a considérablement augmenté ces dernières années en France et en Europe. Il faut s'interroger tant sur l'entrée dans la pauvreté que sur les façons d'en sortir et sur les insuffisances des systèmes actuels qui viennent en aide à ces personnes. Cette étude devrait également reposer sur des comparaisons étrangères.
Il y a eu de nombreux rapports sur l'emploi et sur la formation professionnelle mais une réflexion prospective s'impose, car le rendement des actions de formation apparaît très faible. Il faut orienter vers une formation débouchant sur un emploi, ce qui n'est pas toujours le cas. C'est regrettable car de nombreux postes ne sont pas pourvus, malgré des salaires attractifs.
Je ne veux pas jeter la pierre à l'Afpa (association pour la formation professionnelle des adultes) mais j'ai eu l'occasion de visiter certains de ses centres : la formation qui y était dispensée n'était pas convenable, les professeurs pas au niveau. Il y a encore trop de complaisance dans le domaine de la formation professionnelle. C'est pourquoi il ne faut pas craindre de faire des propositions.
Tout ceci est d'autant plus déplorable que les départements et les régions consacrent beaucoup d'argent aux actions de formation qui se révèlent souvent indigentes.
Je souhaite, pour ma part, conduire une étude sociologique et technique sur les lieux de rassemblement, notamment les gares des pays du Sud, où se rencontrent diverses populations, dont les plus pauvres, de muliples activités économiques, mais aussi des trafics en tous genres, de la prostitution et où peuvent se répandre des maladies. Quels risques courons-nous si rien n'est fait ? Ne faudrait-il pas mieux les structurer ?
Si vous en êtes d'accord, je propose que notre délégation commence par travailler sur l'emploi et la formation professionnelle. Dans un second temps, quelques mois plus tard, elle pourra entreprendre l'étude envisagée sur la pauvreté. Puis, nous pourrions nous consacrer à la question des lieux de rassemblement.
Pour ce qui est de la valorisation de la forêt, nous en reparlerons avec Philippe Leroy, car je crains que ce sujet ne soit trop directement inclus dans le champ de compétence de la commission du développement durable ou celui de la commission des affaires économiques.