Délégation sénatoriale à l'Outre-mer

Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • ADEME
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  • technologie

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions sur les aspects miniers et énergétiques des zones économiques exclusives. Aujourd'hui, nous recevons Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales. Madame la directrice, le potentiel que recèlent nos ZEE a-t-il un avenir ?

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Je vais tout d'abord vous présenter notre direction au sein du ministère. La Direction de l'eau et de la biodiversité est chargée des questions liées aux ressources minérales non énergétiques. Le bureau de M. Rémi Galin s'occupe de la co-tutelle du BRGM avec nos collègues de la recherche. La Direction de l'eau et de la biodiversité se préoccupe également de la qualité et de l'environnement marins. À ce titre, nous exerçons la tutelle de l'IFREMER, conjointement avec le ministère de la Recherche. Nous vous présenterons quelques exemples de nos travaux conjoints avec l'IFREMER sur les ressources minérales marines. L'exploitation, mais aussi la préservation de la qualité des milieux marins très en amont, sont les deux angles de la mission de notre direction. Je cède la parole à M. Rémi Galin pour exposer la cartographie des substances et les aspects liés aux explorations et permis en cours.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Mon bureau est engagé dans la problématique de l'approvisionnement en ressources minérales pour l'ensemble de l'industrie française, qu'il s'agisse de la construction, de l'industrie métallurgique et de la transformation des métaux. Dans ce cadre, nous sommes l'un des acteurs prépondérants du Comité pour les métaux stratégiques (COMES), qui a un groupe de travail spécifiquement dédié à la ressource. La ressource marine est un potentiel fort pour les années à venir et fait partie de nos préoccupations. L'IFREMER nous rend compte à cet égard de ses travaux. Certains d'entre eux, en cours d'achèvement, nous fournissent les informations techniques dont nous disposons. L'étude de l'IFREMER sur l'état des connaissances et des propositions pour une stratégie française pour les dix ans à venir est en cours d'examen par le groupe de travail du COMES. Nous y travaillons collectivement avec les différents ministères concernés. L'IFREMER constitue donc notre référentiel en termes de connaissances techniques. Je les ai exploitées pour vous permettre d'appréhender les perspectives réelles et les contraintes d'exploitation de ces ressources.

Il existe trois principaux types de ressources minérales non énergétiques présentes au fond des mers, sur lesquels nous avons focalisé, à des échelles différentes, nos travaux ces dernières décennies : les sulfures hydrothermaux, les encroûtements cobaltifères, les nodules polymétalliques. Un autre classement concernant les zones marines outre-mer définit quatre domaines principaux : les marches continentales, les îles et les îles volcaniques actives ou récentes, les anciens volcans et les atolls immergés, et enfin les plaines abyssales.

Les ressources les plus immédiatement disponibles sont les sulfures hydrothermaux, dans des zones favorables à la formation des sulfures polymétalliques. On les trouve à Wallis-et-Futuna, autour de la Nouvelle-Calédonie, aux îles Saint-Paul et Amsterdam, dans l'archipel des Crozet, à Kerguelen, Mayotte, aux Antilles et en Polynésie française. Ces amas sulfurés ont en général des teneurs en métaux sensiblement supérieures à celles des mines exploitées à terre, notamment en cuivre et en zinc. On trouve aussi des métaux plus rares, plus stratégiques, pour nos industries métallurgiques : l'indium, le germanium, le cadmium, l'antimoine, le sélénium, le bismuth ; et les fameuses terres rares, qui sont utilisées dans la composition des infrastructures de nos énergies renouvelables.

Le second type de ressources minérales présentes dans les volcans anciens et atolls immergés, tels que l'archipel des Tuamotu, les Kerguelen, Mayotte, les îles Éparses, sont les encroûtements cobaltifères. Il s'agit de l'oxyde de fer et du manganèse, c'est-à-dire des métaux un peu moins intéressants sur le plan économique aujourd'hui. Les concentrations les plus élevées sont en Polynésie. Elles y sont plus fortes que celles des minerais extraits à terre. On pense que ces encroûtements cobaltifères pourraient être une ressource d'avenir pour le cobalt, aujourd'hui présent au Congo, une zone géopolitique soumise à de fortes tensions. On trouve aussi, dans les volcans anciens et atolls immergés, des terres rares et du platine, qui augmentent considérablement la valeur du minerai.

Troisième type de ressources minérales, les nodules, présents dans les plaines abyssales : Polynésie française, Clipperton, où les travaux sont engagés depuis bien plus longtemps. On a beaucoup compté sur les nodules polymétalliques dans les années 1970, avant de prendre conscience de la complexité de leur éventuelle mise en exploitation. Une des difficultés majeures est d'identifier la localisation des nodules les plus intéressants, c'est-à-dire à forte teneur en métal. On a trouvé des substances intéressantes dans certains nodules, mais pour d'autres, la teneur en métal est trop faible pour envisager une exploitation. Ils peuvent contenir du cuivre ou des éléments plus rares tels que tellure, zirconium, thallium.

Les marches continentales intéressent plutôt la Guyane, et éventuellement Saint-Pierre-et-Miquelon. Nos connaissances y sont beaucoup plus lacunaires. Le Brésil a cependant exploré ses zones ; il est possible que les eaux guyanaises recèlent le même type de ressources, c'est-à-dire sous forme de sédiment (sable) et non pas d'encroûtements ni de nodules. En termes d'exploitation, ces ressources pourraient s'apparenter aux granulats marins. On trouve dans ces sables des concentrations assez fortes en scandium, vanadium, titane, zirconium. Mais nous n'avons aujourd'hui aucun élément d'information pour la Guyane. Nous nous contentons de nous appuyer sur les travaux de l'IFREMER et sur ceux réalisés par le Brésil. L'évaluation de ces ressources reste à engager.

Enfin, les révélations très médiatisées des chercheurs japonais selon lesquelles les fonds des mers recèleraient des terres rares en énorme quantité dans les sédiments de Polynésie française sont à prendre avec circonspection. Les concentrations annoncées sont assez faibles, comparées à celles exploitées à terre notamment en Australie. On peut s'attendre à ce qu'il existe des zones plus riches, mais comment et où les trouver ? Il faut d'abord mettre en place des modèles de création de gisements qui permettent de localiser et d'expliquer la localisation de la ressource. C'est le travail de géologie, qui appartient au BRGM et à l'IFREMER. Ensuite viennent les phases de prélèvement des échantillons, de mise en valeur de la ressource, et de persuasion des investisseurs. C'est une problématique d'inventaire que le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg, a évoquée ces dernières semaines. Il a mis l'accent sur la nécessité du renouvellement de l'inventaire métropolitain, mais le raisonnement pour le offshore s'applique a fortiori, car il est encore moins connu.

En conclusion de ce panorama très rapide, on connaît assez bien les amas sulfurés, pour lesquels des projets miniers commencent à se présenter, comme à Wallis-et-Futuna. Ce sont les plus intéressants en teneur en métaux. Ils présentent potentiellement les possibilités d'exploitation plus matures, même si on n'en est pas encore à cette phase, en tout cas en zone française. Pour les autres, la connaissance est encore à affiner et à construire.

Les travaux récents de la France dans ce domaine ont largement été organisés dans le cadre du Comité interministériel de la mer (CIMER). L'IFREMER en est le porteur principal ; c'est un opérateur majeur au niveau mondial aujourd'hui.

Je vais à présent vous présenter l'état des campagnes. La plus ancienne campagne internationale a porté sur les nodules polymétalliques, à Clipperton, où la France détient un permis jusqu'en 2017, qui porte sur l'aspect ressources mais aussi sur l'aspect environnemental. En Atlantique Nord, la France vient d'obtenir, au cours de l'été 2012, par l'intermédiaire de l'IFREMER, un permis déposé en avril auprès de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM). La France s'est engagée sur un programme de travail portant sur 14 millions d'euros sur quinze ans, qui ne sont, à ce jour, pas financés du tout. C'est un sujet qui est en discussion avec les responsables politiques. Cette grosse somme est à répartir sur les quinze ans. Les années pendant lesquelles les campagnes seront menées seront les plus onéreuses : il faut compter 3 à 4 millions d'euros par année de campagne maritime.

La seule procédure de dépôt du dossier pour la demande de permis a coûté 500 000 dollars, financés à 50 % par le ministère chargé de la mer et à 50 % par la direction générale de la compétitivité de l'industrie (DGCIS) du ministère du redressement productif. Ces 500 000 dollars représentent uniquement le coût du « ticket d'entrée ».

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Les 14 millions d'euros sont liés à une stratégie pour obtenir le permis. Plusieurs stratégies étaient envisageables.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Nous pouvions en effet opter pour d'autres stratégies, à 15, 20 ou 25 millions d'euros, en fonction du nombre de campagnes en mer. La décision a été arrêtée en avril. Pour des raisons budgétaires, nous avons choisi la formule minimaliste, sans pour autant que les modalités de financement n'aient été arrêtées. C'est un vrai sujet...

Les derniers travaux sur lesquels des efforts importants ont été réalisés, portent sur la zone de Wallis-et-Futuna : la ZEE au sud de Futuna. C'est un partenariat public privé. 18 millions d'euros ont été engagés ces trois dernières années, pris en charge par le ministère de l'Écologie, l'Agence des aires marines protégées, et par un consortium qui au départ était constitué d'ERAMET (l'opérateur minier), Technip (l'opérateur industriel), l'IFREMER et le BRGM, qui n'a participé qu'à la première campagne, et s'est retiré ensuite. AREVA était également présent sur les deux premières campagnes et s'est ensuite retiré. Le consortium est donc aujourd'hui réduit à ERAMET, l'IFREMER et Technip. L'État français est, lui, intervenu dans la première campagne. Nous suivons depuis les travaux par l'intermédiaire du COMES (Comité pour les métaux stratégiques). Trois campagnes ont eu lieu. Elles correspondent aux autorisations préalables qui ont été obtenues ; c'est le cadre juridique du code minier qui s'est appliqué. Ce n'était pas un permis exclusif de recherche, mais une autorisation de protection préalable, donc une procédure plus légère.

Dans le cadre de cette autorisation, l'IFREMER a pu bien tester ses outils de détection. Les amas sulfurés sont dans des sources hydrothermales. On sait bien détecter les sources hydrothermales « actives », qui sont les plus actives au regard de la biodiversité, mais aussi les plus contraignantes si on imaginait un jour de les exploiter. Il faut donc trouver des sites « éteints », c'est-à-dire qui ont fonctionné dans le passé. C'est plus compliqué. Par étalonnages successifs du matériel de l'IFREMER, on a trouvé de manière significative, dans la dernière campagne achevée en juillet, ce type de gisement, sur lequel des échantillons ont été prélevés dont la teneur en métal est supérieure à celle obtenue par les exploitations à terre. Les profondeurs d'eau, de 1 500 mètres, sont gérables selon les critères reconnus par Technip. Les contraintes technologiques sont ailleurs, j'y reviendrai, ainsi que sur les données relatives à la biodiversité qui n'ont pas encore été traitées et qu'il faut prendre en compte. On n'est pas capable aujourd'hui d'affirmer s'il existe un gisement, quel est son volume et son épaisseur. Pour obtenir ces données, un forage est nécessaire, d'une densité suffisante pour dimensionner un projet minier.

Il est possible qu'ERAMET dépose assez rapidement une demande de permis exclusif de recherche. Il est le seul à avoir la capacité technique pour le faire. Il envisage un partenariat afin d'abaisser le coût du ticket d'entrée du permis d'exploration, d'environ 100 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les coûts d'exploitation qui se comptent en centaines de millions d'euros.

Nautilus, groupe australien à capitaux canadiens, s'intéresse également à la zone et est engagé dans un projet d'exploitation en Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais a une attitude de financier plutôt que d'exploitant minier. Il fait beaucoup d'entrisme au niveau international.

Voici pour l'état des lieux technique de la ressource et de la prospection en France. Toutes les autres informations que nous avons proviennent des campagnes de reconnaissance scientifique qui ont été largement menées par l'IFREMER ou par du travail documentaire réalisé à l'occasion des travaux.

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Pour ce qui concerne les enjeux économiques et environnementaux de l'exploitation de ces ressources, nous pensons avec l'ADEME que les amas sulfurés constituent la piste la plus opérationnelle à court ou moyen terme, et dans les vingt ans à venir. À terme, il faudra sans doute faire appel à ces ressources minérales offshore, à une date qui dépendra aussi de tous les axes qui sont mis en place actuellement sur les métaux stratégiques en terme d'économie de matière, de substitution et de recyclage. Selon les hypothèses que l'on fait dans ces trois domaines (par exemple, la capacité à récupérer dans nos consommations de produits électroniques davantage de terres rares), on n'arrive pas du tout aux mêmes besoins à venir de matières premières minérales. Le groupe recyclage du COMES y travaille actuellement. Or, on est aujourd'hui dans une grande incertitude sur ces sujets, qui dépendront aussi de la capacité technologique et des coûts afférents à l'exploitation de ces ressources minérales non énergétiques.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Au fur-et-à-mesure que les pays se développent, l'appel aux matières premières va devenir plus important et ne sera pas satisfait par les politiques qui ont été énoncées.

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Bref, on aura besoin de ces ressources, mais à quelle échéance ? Ce n'est pas évident. On peut se tromper. La deuxième question s'agissant des enjeux économiques, concerne les deux niveaux d'analyse : pour les territoires eux-mêmes, quelles retombées économiques et financières ? Cette question est liée à la fiscalité des ressources ; et surtout, quelle capacité des territoires à développer des filières en aval pour produire de la valeur ajoutée et de l'emploi ?

En termes d'intérêt national, nous avons des territoires qui ont de fortes potentialités justifiant que l'IFREMER et Technip puissent poursuivre leur avancée technologique s'ils considèrent qu'ils ont des perspectives. Mais l'intérêt national ne se confond pas nécessairement avec l'intérêt économique des territoires. On a vu qu'AREVA s'était retiré du projet minier de Wallis-et-Futuna, et qu'ERAMET poursuivait sa propre stratégie. On doit avoir à l'esprit ces deux aspects, les intérêts n'étant pas toujours convergents en termes de calendrier notamment. En outre, des analyses au niveau des territoires sur les filières aval à construire n'existent pas encore.

Face à des pays comme la Chine ou le Brésil dans le domaine des métaux stratégiques, la France ne peut pas être une concurrente à elle seule. Il faut un angle d'attaque européen, qui se traduise par un vrai travail de la Commission européenne, pas seulement pour peser sur les prix chinois quand la Chine décide de diminuer drastiquement ses exportations de terres rares, mais aussi pour associer des filières technologiques françaises à d'autres Européens, y compris la grande Europe, pour peser face à l'Asie et à l'Amérique du Sud. Là où ERAMET n'irait pas sur un marché, une entreprise allemande pourrait y entrer. L'IFREMER est très sollicité par des Européens et même des Russes. Une stratégie d'utilisation des ressources est développée au niveau européen, mais il faut aller plus loin.

S'agissant des enjeux environnementaux, la connaissance des grands fonds est encore très limitée. Nous avions insisté pour que, dans le cadre des travaux d'exploration menés à Wallis-et-Futuna, il y ait en même temps l'analyse de la richesse en termes de connaissance sur la biodiversité de ces grands fonds, et l'analyse en termes de capacités d'exploitation des métaux. C'est très important, car des moyens énormes sont mobilisés pour les campagnes. Il faut à la fois se préoccuper des enjeux de connaissance des minerais et des enjeux de connaissance de la biodiversité. Sinon, on court le risque de se tromper, ou de donner prise à la critique. L'AIFM (Autorité internationale des fonds marins) insiste d'ailleurs sur la nécessité de prendre en compte ces deux dimensions, l'exploitation des minéraux et l'éthique de la biodiversité.

Le ministère de l'Écologie a commandé en mai 2012 à l'IFREMER et au CNRS une expertise scientifique collective sur les impacts environnementaux possibles de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Notre commande porte sur une analyse bibliographique de l'existant, mais aussi sur des pistes sur les domaines dans lesquels il est nécessaire de faire progresser les connaissances, et enfin des scénarii pour améliorer les connaissances et conjuguer l'exploitation des ressources minérales marines profondes avec l'impact environnemental. Il faut avancer en parallèle sur ces deux aspects, y compris pour que les territoires puissent bien appréhender les décisions à prendre, soit en matière d'exploitation, soit en matière de protection des écosystèmes. Nous aurons une première synthèse en novembre 2013, et le rapport final en mars 2014.

Se pose également la question des technologies éventuelles d'exploitation : comment exploiter, avec quelles techniques d'exploitation, comment avoir des processus acceptables pour l'environnement ? C'est un champ d'investigation neuf. On n'a pas encore de vision pour exploiter ces ressources avec un moindre impact environnemental. Les opérateurs miniers pourraient approfondir leur réflexion sur leurs méthodes et leurs techniques d'exploitation en même temps qu'ils déposent leur demande de permis de recherche. C'est à développer.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Le seul projet que nous devons suivre attentivement, mais qui est repoussé de semestre en semestre, est le projet de Salora. Nautilus n'est pas très clair dans son discours : le groupe évoque des difficultés techniques avec le constructeur du bateau qui aurait fait faillite. C'est difficilement vérifiable. Il y a aussi la question des relations politiques avec le territoire. En tout état de cause, le premier coup de pioche n'a pas été donné aujourd'hui.

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Vous demandiez ce qui était nécessaire pour favoriser les processus d'exploitation. Il faut un encadrement juridique lisible, ce qui renvoie à la réforme du code minier. Dans le cadre du second appel d'offres éolien en mer, on s'est aperçu qu'on n'avait pas d'encadrement règlementaire des activités en ZEE ! Le ministère a donc produit un décret, passé en Conseil d'État mais non encore publié, pour encadrer notamment les activités non minières en ZEE de façon à permettre à la fois la prise en compte de la Charte de l'environnement et davantage de lisibilité pour les investisseurs.

J'en viens à la réforme du code minier. Un travail est en cours sous la présidence du conseiller d'État M. Thierry Tuot. Il réunit chaque semaine toutes les parties prenantes pour élaborer d'ici le 15 décembre les grandes orientations de la réforme, qu'ensuite l'administration déclinera techniquement dans des projets de textes. Des travaux spécifiques pour l'outre-mer sont prévus, mais dans un second temps, une fois les grandes orientations dégagées.

La question de la fiscalité et des retombées au profit des territoires n'a pas encore été abordée par le groupe de travail de M. Thierry Thuot, mais le sera. Je crois qu'il faut être prudent sur cette question : tant qu'on n'aura pas identifié les ressources et les modalités d'exploitation, il sera difficile d'en évaluer la rentabilité économique et a fortiori les retombées pour les territoires. La fiscalité sur cette activité peu connue est un sujet complexe. De plus, se pose la question de la concurrence entre les territoires. Chaque territoire devra-t-il appliquer la même réglementation ? Ce n'est pas simple.

La réforme du code minier devrait être soumise assez rapidement au Parlement. À ce stade, elle ne devrait pas être centrée sur la question de l'exploitation à vingt ans des ressources minières profondes.

Les deux acteurs majeurs sont Technip et l'IFREMER, qui sont bien placés, mais ils ne sont pas des opérateurs miniers. ERAMET et AREVA ont leur propre stratégie d'entreprise. L'avenir des activités off-shore en ZEE repose sur les partenariats européens qui sont à construire. L'IFREMER a la capacité technique de développer des activités dans ce domaine, d'ailleurs l'exploitation minière profonde est un de ses axes stratégiques. Il faut faire en sorte que le BRGM et l'IFREMER travaillent mieux de concert sur ces questions, notamment sur les amas sulfurés. Notre rôle de tutelle est impliqué.

Je vais maintenant clarifier le positionnement de l'IFREMER. Dès lors que l'IFREMER est opérateur dans une campagne pour un État ou un opérateur étranger, il est expert auprès de l'État français pour nous assister dans nos décisions. Notamment pour les titres miniers en mer, l'IFREMER est obligatoirement expert auprès du ministère pour donner un avis scientifique avant la décision. Nous travaillons actuellement avec l'IFREMER afin de définir des règles de déontologie, qui permettent à l'IFREMER à la fois de poursuivre son développement technologique et ses relations avec les opérateurs privés, et aussi son rôle de conseil auprès des ministères pour des décisions publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

J'aimerais soulever quelques questions. Tout d'abord, le pouvoir réglementaire a tendance à prendre le pas sur le pouvoir législatif : vous avez rédigé un décret faute de décision législative. Ce n'est pas nécessairement à déplorer, mais je tenais à le souligner.

Ensuite, vous avez évoqué les retombées économiques pour les territoires dont les intérêts seraient selon vous parfois en contradiction avec les intérêts nationaux. En Guyane, des entreprises nationales, voire européennes, de l'industrie spatiale, pourraient aussi travailler en lien avec les activités d'hydrocarbures. Certaines le font déjà, comme la Sodexo. Quand ce n'est pas le cas, c'est que nous n'avons pas su anticiper. Il n'y a pas eu de dialogue. Il faut donc trouver davantage de cohérence entre les décisions prises au niveau gouvernemental et les applications locales.

J'en viens à la fiscalité : certes, dans certains domaines, nous manquons de données pour apprécier les mesures à mettre en oeuvre. Mais certaines propositions législatives qui présentent un intérêt (par exemple, comment indexer la fiscalité sur le cours de l'or) ne sont pas entendues par le gouvernement. La réforme du code minier devrait être l'occasion de trouver des synergies entre la nécessité de protéger l'environnement, de favoriser des retombées économiques et de promouvoir l'attractivité des territoires. Nos territoires ont besoin de retombées fiscales mais aussi économiques.

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Il est difficile d'avoir une visibilité sur la rentabilité et les retombées économiques d'activités qui relèvent de la prospective. Il y a une stratégie de long terme à mettre en place, par exemple sur l'activité portuaire. Je suis en revanche d'accord avec vous sur la fiscalité de l'or en Guyane.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Il peut exister un hiatus entre les intérêts du territoire et ceux de l'État. Une entreprise chinoise qui exploite une ressource dans la ZEE d'un territoire, en se conformant aux règles fiscales du territoire, alimente ses propres usines. Cette alimentation fait précisément défaut à nos industries nationales. De surcroît, la France a pu aider cette entreprise chinoise à se développer. Là réside le hiatus. Mais cela ne signifie pas nécessairement que les intérêts locaux et nationaux sont antagonistes. Les territoires doivent développer l'internationalisation de leurs rentes minières pour ne pas que leurs ressources leur échappent ! La valorisation de leurs ressources minières crée de la richesse pour le territoire !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

S'agissant des sources hydrothermales, existe-t-il beaucoup de sites éteints répertoriés, et représentent-ils un intérêt économique ?

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Je m'appuie sur les études de l'IFREMER. Aujourd'hui, les potentiels annoncés sont importants et représentent des années d'approvisionnement pour les industries. La difficulté réside dans l'identification des zones où ils sont éteints. La dernière campagne de l'IFREMER à Wallis-et-Futuna a permis des progrès dans son savoir-faire et sa technologie. Il n'existe pas de cartographie. Quelques zones d'intérêt ont été identifiées, comme à Wallis-et-Futuna et aux Tuamotu en Polynésie française. Il faut faire un inventaire minier off-shore. C'est un investissement d'avenir à faire pour attirer les projets miniers. C'est un investissement coûteux qui relève d'un choix d'investissement collectif.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Tuheiava

Quel est votre sentiment sur la question de la dépendance nationale et de la sécurisation des approvisionnements stratégiques ? Le mode de consommation français et européen doit-il changer et s'appuyer sur le recyclage, qui constitue une forme d'autonomie énergétique ? Il s'agit d'éviter la pénurie. Or, ce n'est pas la préoccupation des opérateurs que nous avons entendus !

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

J'ai en effet insisté sur le recyclage. Selon la vitesse à laquelle on arrive à recycler des matières premières ou à réduire la consommation, la date à laquelle on a besoin de ces ressources n'est pas la même. On ne peut pas continuer à consommer sans se préoccuper de recyclage ou de substitution de ressources ! Nous avons des mines terrestres énormes qui ont un impact sur l'environnement très important. Le COMES traite de tous ces aspects en même temps. La France a tout à gagner à travailler sur ces aspects de recyclage, de substitution et d'économies de ressources, en même temps que sur l'exploitation de nouveaux gisements.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Le recyclage et la substitution sont aussi une condition d'acceptabilité des nouveaux projets. Il faut travailler sur tous ces aspects à la fois. Nous avons un devoir impérieux d'exemplarité. D'un autre côté, le recyclage et la substitution sont aussi une opportunité d'activité économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Tuheiava

Peut-on dire que nous sommes dans une phase conservatoire, en attendant que les opérateurs aient plus de visibilité et que la recherche scientifique ait davantage progressé ? L'ensemble de ces données constitue-t-il un atout ?

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Oui, c'est un atout, mais à quelle échéance ? Et à condition d'allier la connaissance des minéraux et de la biodiversité.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Les ZEE constituent une chance en matière de biodiversité et de matières minières. C'est une richesse potentielle. Mais elle pose la question de la protection de la nature. D'autre part, technologiquement, comment faire pour descendre dans les grandes profondeurs et atteindre les nodules polymétalliques ? Quant aux terres rares, elles ne sont pas rares. Ce qui importe est la teneur en métaux. L'intérêt est donc de trouver des matériaux qui ne soient pas trop profonds, et qui peuvent être exploités à bas coût et à profusion.

M. Rémi Galin.- Je ne crois pas qu'on cherche ce qui est rare. Les amas sulfurés recèlent du zinc et du cuivre, qui ne sont pas des métaux rares. Ces métaux ont une valeur plus importante aujourd'hui qu'il y a trente ans. On a cherché les métaux les plus couramment utilisés. Aujourd'hui, on en a trouvé d'autres, qu'on sait quantifier et mesurer, et il y a un marché. L'approche est différente. Aujourd'hui, on a besoin de métaux plus stratégiques.

Il reste à maîtriser la technologie.

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Oui. Il faut aussi avoir une approche prudente. On voit apparaître des associations environnementales dans le Pacifique qui ont des revendications légitimes, mais qui nous obligent à avancer avec précaution.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Il ne faut pas laisser les autres exploiter nos zones.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Vous avez cité des études du Brésil. Existe-t-il d'autres études communes avec d'autres pays ? Existe-t-il une coopération ?

Debut de section - Permalien
Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

L'IFREMER est un opérateur mondial, et à ce titre, il contribue à certains travaux. Sur certains permis, mais à ma connaissance, pas français, des pays se sont associés. C'est un de nos axes de travail, pour nous comme pour le COMES. Le Brésil pourrait être un bon candidat pour nous, par exemple.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Y aura-t-il une réflexion sur l'outre-mer dans la réforme du code minier ?

Debut de section - Permalien
Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Oui. L'outre-mer fera l'objet d'une réflexion spécifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Je souhaite la bienvenue à M. Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Debut de section - Permalien
Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'ADEME

Je vais tout d'abord vous présenter les missions de l'ADEME, établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle conjointe des ministères en charge de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'ADEME participe à la mise en oeuvre des politiques publiques dans les domaines de l'environnement, de l'énergie et du développement durable. Afin de leur permettre de progresser dans leur démarche environnementale, l'Agence met à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, ses capacités d'expertise et de conseil. Elle aide en outre au financement de projets, de la recherche à la mise en oeuvre dans ses domaines d'intervention.

Les métiers de l'ADEME se déclinent selon quatre modalités :

- Connaître : l'ADEME assure l'animation et participe au financement de la recherche et de l'innovation. Elle participe également à la constitution et à l'animation de systèmes d'observation pour mieux connaître l'évolution des filières et être au fait des meilleures technologies d'aujourd'hui et de demain ;

- Convaincre et mobiliser : l'information et la sensibilisation des publics sont des conditions essentielles de réussite des politiques en matière d'environnement. Dans ce cadre, l'ADEME met en oeuvre, avec des partenaires pour démultiplier les effets, des campagnes de communication de grande ampleur pour faire évoluer les mentalités, les comportements et les actes d'achats et d'investissement. L'ADEME mène ainsi des campagnes grand public pour le compte du gouvernement ;

- Conseiller : l'ADEME assure un rôle de conseil pour orienter les choix des acteurs socio-économiques. C'est une aide à la décision pour les entreprises. La diffusion directe par des relais de conseils de qualité est une composante majeure de la mise à disposition de l'expertise de l'Agence (aide aux maîtres d'ouvrage, soutien aux relais et réseaux d'acteurs pour démultiplier l'offre de conseils). L'ADEME élabore également des outils et des méthodes adaptés aux attentes de ces acteurs ;

- Aider à réaliser : pour les aides directes à la concrétisation des projets, l'ADEME déploie des types de soutien financier gradués. Elle favorise également la mise en oeuvre de références régionales et nationales.

Le rôle de l'ADEME est d'avoir « un coup d'avance » pour alimenter les décisions publiques et définir la réglementation de demain. Pour être éligibles à nos aides, il faut aller au-delà des prescriptions réglementaires.

L'ADEME compte 1 000 agents, répartis dans les services centraux et les directions régionales, y compris dans les quatre DOM historiques ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. L'outre-mer représente 10 % des effectifs et du budget de notre action régionale, et une cinquantaine de personnes.

Le budget de l'ADEME s'élève à quelque 200 à 250 millions d'euros annuels. Les engagements annuels représentent 600 à 650 millions d'euros par an. Le domaine énergie-climat représente la moitié de notre activité ; c'est le premier métier de l'Agence. Enfin, depuis le lancement des investissements d'avenir, nous avons un budget à part, le budget du Commissariat général à l'Investissement (CGI) confié à l'ADEME : quatre programmes représentent 2,5 milliards d'euros d'investissements d'avenir, dont 1,5 milliard affectés aux énergies décarbonées, la chimie verte, les réseaux intelligents... Nous sommes donc un acteur important dans l'innovation pour les énergies de demain.

S'agissant de l'énergie et du climat, nous avons deux compétences : les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables. L'un des grands objectifs que nous a confiés le gouvernement est véritablement l'efficacité énergétique et l'aide au financement ou à l'expertise des énergies renouvelables.

S'agissant particulièrement des énergies marines, il faut savoir qu'elles concernent davantage le littoral et la zone territoriale que la ZEE : plus on s'éloigne de la côte, plus les contraintes se multiplient et élèvent les coûts. Le coût de raccordement, ne serait-ce qu'électrique, avoisine le million d'euros par kilomètre ; le coût d'intervention en maintenance et en installation est également plus élevé ; les contraintes physiques sur les matériaux, liées aux marées et au vent, doivent aussi être prises en compte.

L'exploitation à distance des côtes est donc un sujet de long terme, qui supposerait, pour se développer, des baisses très fortes des coûts technologiques (notamment du raccordement), qui permettraient de démultiplier la surface potentielle.

Elle présente cependant également des avantages : en s'éloignant des côtes, on multiplie le potentiel en surface. L'acceptabilité de l'exploitation est davantage acquise que sur le littoral, marqué par les conflits d'usages potentiels liés à l'esthétique, la pêche, la plaisance... La pression foncière au sens large du point de vue des usages de la mer est beaucoup plus prégnante à proximité des côtes.

La deuxième évolution qui favoriserait le développement des énergies marines loin des côtes consisterait en des solutions massives de stockage, notamment d'électricité, soit de type gravitaire (par différence de hauteur entre des niveaux d'eau), soit des stockages chimiques, aujourd'hui pas complètement maîtrisés, ou à des coûts prohibitifs. La mise en place de telles technologies de rupture à l'horizon de 40 à 50 ans rendrait les ZEE potentiellement intéressantes, car elle augmenterait la rentabilité de projets de très grande taille, certes chers en investissement, mais avec la possibilité à la fois de stocker l'énergie sur place et de la rapatrier à terre pour satisfaire la demande à tout moment.

Ces éventuelles évolutions relèvent pour l'instant de la prospective et de la recherche à des échéances de 30 ou 40 ans. La maturité à court et moyen termes des technologies demeure proche des côtes.

Je vais à présent vous présenter les différentes technologies marines, par ordre de maturité décroissante.

La plus mature et la plus ancienne des technologies marines est le marée-moteur. C'est un système de barrage aux coûts connus, mais dont les perspectives sont relativement faibles en termes de croissance car il existe peu de sites adaptés dans le monde, et les sites existants ont des impacts environnementaux forts (blocage de la circulation d'eau, impact sur la biodiversité).

Ensuite, l'éolien : l'éolien posé sur le fond des mers, jusqu'à 40 mètres, est la deuxième technologie plus mature car c'est une adaptation directe de ce que l'on sait faire à terre. L'éolien posé n'est cependant pas conçu comme une énergie marine. Il s'est d'abord développé sur des sites de faible profondeur, en mer Baltique par exemple, assez loin des côtes pour éviter les conflits liés à la dénaturation du littoral. En outre-mer, les fonds descendent très vite, ce qui rend quasiment impossible le déploiement de ces technologies ancrées, sauf à les installer à moins de deux kilomètres des côtes.

Pour ces mêmes raisons, les développements pour l'instant peu matures de l'éolien flottant sont plus intéressants car ils permettent de s'affranchir de la profondeur. Des systèmes d'ancrage permettent de maintenir la plateforme flottante sur laquelle sont installées les éoliennes. Il s'agit cette fois d'une véritable énergie marine, pour laquelle la France a des atouts importants : elle possède à la fois un espace maritime énorme qui produit de l'énergie grâce à la houle, les vagues, le courant ; et également les capacités scientifiques et industrielles pour développer les plateformes en mer et les navires, que ce soit pour l'installation ou la maintenance. Il y a donc un véritable potentiel pour la France, comme l'a souligné cette semaine encore la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Mme Delphine Batho. L'éolien flottant rassemble des professionnels très compétents en ancrage, en stabilité de flotteurs, et qui ne sont pas des acteurs historiques de l'éolien. Il y a donc une véritable rencontre entre les acteurs de la mer et ceux de l'éolien pour cette technologie.

La raison pour laquelle l'éolien en mer n'est pas nécessairement le plus intéressant pour l'outre-mer est que, dans un certain nombre de territoires d'outre-mer, on atteint déjà un taux important d'énergies renouvelables intermittentes parmi les énergies électriques. Dans certaines conditions (consommations faibles et périodes ensoleillées et éventées), ce taux peut atteindre 30 % de la production d'électricité à un instant donné, ce qui est la limite si on veut aujourd'hui gérer « sereinement » un réseau électrique. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas faire mieux demain, surtout si l'on dispose de réseaux intelligents et de capacité de stockage. Cela signifie que les énergies renouvelables constituent un enjeu très important dans les outre-mer : c'est le cas de la géothermie et de certaines des énergies marines que je vais présenter, et dans une moindre mesure de l'éolien en mer.

L'hydrolien (grandes hélices sous-marines qui utilisent le courant des marées, d'autant plus important qu'on a des phénomènes d'accélération à proximité des côtes) trouve des zones propices très près des côtes. Si, demain, on s'affranchissait de certaines contraintes, on pourrait utiliser les grands courants océaniques qui sont loin des côtes, mais on retombe sur les contraintes que j'ai indiquées précédemment. On utilise donc l'énergie hydrolienne plutôt à proximité des côtes, en métropole, où on trouve des phénomènes de marnage plus importants qu'en outre-mer. Le potentiel pour l'hydrolien en outre-mer est donc assez faible.

Le houlomoteur (utilisation directe de l'énergie des vagues ou de la houle) se présente également sous deux options : soit à proximité des côtes où on utilise les phénomènes liés aux vagues hautes, soit l'utilisation de la houle océanique, moins importante en hauteur mais très régulière et très puissante. Le potentiel en outre-mer est important, mais de façon intermittente, en fonction de l'intensité de la houle. Les services météorologiques peuvent prédire les niveaux d'intensité de la houle, ce qui est un facteur positif. Mais globalement, l'hydrolien reste peu mature.

L'énergie thermique des mers est cruciale pour l'outre-mer, avec deux types d'applications possibles : électrique, en utilisant les différences de température entre l'eau en surface et l'eau profonde ; ou pour des besoins de climatisation directement à partir de l'eau froide récupérée dans les profondeurs pour alimenter un réseau d'eau froide. Ces deux applications sont donc adaptées à l'outre-mer : la première permet de fournir de l'électricité de base ; la seconde permet de fournir des systèmes de froid renouvelable, particulièrement intéressants pour les territoires d'outre-mer soumis à des climats de forte chaleur. À l'inverse des technologies précédentes, on recherche cette fois des eaux profondes, sans avoir besoin d'aller très loin des côtes.

Enfin, l'énergie osmotique qui consiste à utiliser la différence de salinité entre deux eaux, n'est pas du tout mature et utilise des matériaux coûteux ; cette énergie n'est pas d'actualité aujourd'hui.

J'en viens plus précisément aux enjeux directs pour l'outre-mer. Vous savez que l'énergie y est plus chère qu'en métropole, de l'ordre de quatre fois plus chère. L'intérêt de remplacer ces énergies par des énergies renouvelables - remplacement acté par un certain nombre de schémas régionaux pour l'outre-mer - est double : ce sont des énergies carbonées pour l'instant, et dont les moyens de production coûtent cher. Un système de péréquation, la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) a été mis en place. Surtout, le potentiel existe réellement : nous avons l'accès à la mer et à la ressource, pour certaines des énergies marines renouvelables. L'intérêt est fort pour les énergies de base, et pour les solutions de stockage. Pour les énergies qui ne produisent en permanence, il faut raisonner en stockage associé pour avoir de réelles perspectives. C'est le cas de l'éolien en mer.

Parmi les plus beaux exemples de projets actuels qui donnent des perspectives intéressantes pour l'outre-mer, j'en citerai deux qui sont liés à l'énergie thermique des mers (ETM). Le premier, l'ETM Martinique, qui vise à produire de l'électricité, a été soutenu par la France dans le cadre de l'appel d'offres de la Commission européenne NER 300, qui consiste à financer au niveau européen des projets d'énergies renouvelables ou de stockage de CO2 avec les crédits des mises aux enchères des crédits carbone. La France a soutenu sa candidature ; l'ADEME a indiqué que si le projet était retenu au titre du programme NER 300, il y aurait un complément de financement au titre des investissements d'avenir déployé par le budget français. Mais ce projet ETM Martinique est actuellement en souffrance, car il figure en dernière position dans le classement des projets rendu par la Commission européenne en juillet 2012, c'est-à-dire qu'il est premier « relégable ». En effet, la Commission européenne aura moins de crédits que prévu pour chaque projet, compte tenu de la baisse du cours du carbone constatée au moment du lancement du programme. Certains projets de la liste préliminaire ne seront donc pas retenus. Il est très probable que le projet ETM Martinique soit « recalé » quand la Commission annoncera sa décision finale. Se posera alors la question, pour DCNS, la région Martinique et les autres porteurs de projet, de l'avenir de ce projet, dont l'intérêt technique demeure. Quelle partie des études environnementales ou sur le gisement pourra être réutilisée pour d'autres énergies marines, par exemple pour un projet de climatisation ? En tout état de cause, le projet est en soi un beau projet, qui utilise la différence de température en surface (25 degrés) et en profondeur (5 degrés), mais très cher et très probablement non retenu par la Commission européenne.

Debut de section - Permalien
Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'ADEME

Le critère déterminant du classement est le ratio entre le coût et le productible, notamment la quantité d'énergie produite in fine. D'autres projets sont plus immédiatement rentables. Il ne m'appartient pas de juger si ce sont les projets les plus chers ou les moins matures qui mériteraient justement d'être aidés...

Le deuxième projet très important est le projet SWAC à Saint-Denis, à La Réunion, d'un budget de 140 millions d'euros, dont 20 millions d'euros d'aides financés par l'ADEME et 30 millions d'euros de la région, du Fonds européen et du FEDER. C'est un projet de climatisation qui utilise de l'eau profonde pour fournir du froid renouvelable. Ce projet est porté par un consortium au sein duquel GDF-Suez est le leader. La société Climespace et la Caisse des Dépôts sont également parties prenantes. Le deuxième intérêt du projet est qu'il permet un effacement électrique : les pompes à chaleur ont besoin de moins d'électricité que les climatiseurs pour produire du froid. Le coefficient de performance est donc très élevé, de l'ordre de 10 (l'énergie obtenue sous forme de froid est 10 fois supérieure à l'énergie utilisée par la pompe à chaleur).

Or, chaque production électrique dans les zones non interconnectées comme La Réunion étant plus chère que la moyenne nationale, la différence est compensée par la CSPE, le système de péréquation qui sert à payer le tarif de première nécessité. Un système peu coûteux en électricité comme ce projet SWAC permet donc de faire des économies sur la CSPE. L'objectif économique de ce projet est qu'EDF puisse rémunérer la société porteuse du projet pour les kilowatts heure électriques non appelés (les effacements) et qu'ensuite cette rémunération soit répercutée sur la CSPE mais de façon moindre que ce qui aurait été répercuté si on avait seulement fait tourner les climatiseurs. En revanche, le dispositif actuellement prévu par la CSPE ne permet pas de compenser l'effacement avec de la CSPE. Peuvent être compensés les seuls trois domaines suivants : tarif de première nécessité, production dans les zones non interconnectées et production renouvelable. Il n'existe pas de rémunération possible par la CSPE d'économies d'énergie ni sur le stockage. C'est paradoxal au regard des enjeux à moyen et long termes. Cela nécessiterait une modification législative. C'est l'objet d'un amendement à la proposition de loi du député M. François Brottes instaurant une tarification progressive de l'énergie. Cet amendement permettrait à la CSPE de compenser l'effacement électrique. Une telle disposition aurait un fort impact sur la faisabilité du projet SWAC.

Ce projet devra par ailleurs obtenir l'aval de la Commission européenne, compte tenu des niveaux d'aide apportés. Cela suppose encore un an de discussion pour que les financements publics accordés soient validés avant le commencement du projet.

D'autres projets de même nature sont en cours, mais moins avancés : l'un à Saint-Pierre à La Réunion, porté par EDF, sera sans doute déposé prochainement. Si le projet ETM Martinique ne se fait pas du tout et qu'il est décidé de faire autre chose que de l'électricité, l'eau profonde froide serait alors utilisée directement dans un autre réseau de froid et éventuellement dans d'autres territoires.

L'ADEME soutient par ailleurs des projets houlomoteurs, à un stade d'avancement encore moindre. Je souhaite citer un projet qui met en évidence l'importance du stockage : c'est un projet de steppe marine en Guadeloupe, à un stade expérimental pour l'instant, et qui permettrait le stockage de l'électricité sur le même principe que les steppes en zone montagneuse, avec des dénivelés et un système de réservoirs aval et amont. Ces systèmes ont de très bons rendements, proches de 85 % à 90 %. On peut réaliser ce type de projet soit en bord de mer, à proximité d'une falaise par exemple, soit en pleine mer avec des digues et des lagons artificiels. Il s'agit d'une technologie d'avenir, nous en sommes au stade de la recherche-développement.

En conclusion, il faut continuer la recherche-développement technologique, notamment pour permettre le développement d'un certain nombre de filières qui ont un fort potentiel à la fois en termes d'enjeux énergétiques pour l'outre-mer et pour l'industrie française. À terme, il faut non seulement développer les espaces marins proches des côtes, mais utiliser aussi la ZEE. Aujourd'hui, on en est encore au stade de la recherche - développement.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

J'ai le sentiment que vous opposiez l'outre-mer à l'hexagone. Or, il y a une diversité de situations dans les outre-mer. Certains territoires pourraient-ils être exploités comme des zones pilotes, afin que la technologie ainsi expérimentée soit ensuite généralisée, voire exportée ? Les thermo-énergies par exemple, pourraient-elles constituer un projet expérimental ?

Debut de section - Permalien
Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'ADEME

La ZEE ultra-marine se caractérise par un enjeu double : un intérêt pour la demande énergétique nationale et des filières d'export. L'expérience montre qu'on ne peut pas être présent à l'export si on n'a pas au préalable un marché domestique sur lequel on existe. En outre-mer comme ailleurs, les meilleurs acteurs sont ceux qui ont une présence forte chez eux. Si on réalise de beaux projets en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion, on peut prétendre les exporter, vers la zone Caraïbes par exemple. De même, les enjeux de la géothermie sont doubles : l'énergie géothermique peut aussi intéresser d'autres territoires comme la Dominique, qui consomment des énergies chères et carbonées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Avez-vous des études précises, par exemple pour la Guyane, où nous avons de nombreux fleuves, sur les barrages ?

Par ailleurs, l'ADEME possède-t-elle des études incitant davantage à développer tel ou tel procédé ?

Debut de section - Permalien
Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'ADEME

Je ne suis pas sûr que nous ayons des études sur le potentiel hydroélectrique en Guyane. On considère généralement que l'hydroélectrique est une énergie terrestre.

Pour répondre à votre deuxième question, l'ADEME a produit un document fondateur au moment où les investissements d'avenir ont été lancés. Quand l'ADEME s'est vue confier les 2,5 milliards d'euros au titre des investissements d'avenir, elle a ciblé précisément ce qu'elle voulait pour leur mise en oeuvre. D'autres modalités d'application des crédits des investissements d'avenir ont davantage été des guichets ouverts. Avant de recevoir les projets et de monter leur financement, nous avons pris le temps d'établir des feuilles de route et de lancer des appels à manifestation d'intérêt très ciblées sur la différence technologique et les potentiels existants. Il y a eu notamment une feuille de route sur les énergies marines, qui a indiqué que nous allions cibler telle ou telle technologie ; ensuite, les projets reçus dans le cadre des appels à manifestation d'intérêt devront bien répondre à tel ou tel verrou technique ou socio-économique, actuel ou à venir en cas de développement important des énergies marines. Ce travail en amont nous a permis de cibler les projets.