La commission procède à l'audition de M. Bruno Lechevin, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Conformément à l'article 13 de la Constitution, nous entendons aujourd'hui M. Bruno Lechevin, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Cette audition est ouverte à la presse et au public ; elle sera suivie d'un vote. La commission compétente de l'Assemblée nationale procédera à l'audition de M. Lechevin plus tard dans l'après-midi. Le dépouillement des votes aura lieu simultanément dans les deux assemblées. Monsieur Lechevin, vous avez un long parcours syndical. Vous avez siégé à la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et êtes depuis 2008 délégué général du Médiateur national de l'énergie. Nous souhaitons connaître vos motivations pour prendre la présidence de l'Ademe, votre feuille de route, et le rôle que vous comptez donner à l'agence dans le cadre du débat national sur la transition énergétique.
La Cour des comptes a formulé quelques remarques critiques sur l'Ademe, notamment sur l'éclatement de son organisation. Nous aurons l'occasion d'en reparler, mais peut-être pouvez-vous nous dire deux mots à ce sujet. Enfin, les crédits qui lui sont alloués s'érodent, et l'on semble vouloir fiscaliser davantage les ressources de l'Ademe : cette évolution menace-t-elle son action ?
Originaire de Sallaumines, près de Lens, dans un Pas-de-Calais affecté par la disparition de l'activité du bassin minier, par la désindustrialisation, je me suis engagé très tôt au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Grâce aux responsabilités qui m'ont été confiées, j'ai participé aux différents combats pour la défense de l'emploi, ce qui m'a imprégné du sens de l'intérêt général. Dirigeant national puis président de la JOC de 1974 à 1978, j'ai ensuite effectué la quasi-totalité de mon parcours comme dirigeant de la CFDT au sein de l'entreprise EDF-GDF Distribution, où le social et l'intérêt public au sein des industries électriques et gazières n'ont cessé de guider mon action.
Secrétaire général de la CFDT de l'énergie, membre du bureau national confédéral, j'ai exercé des responsabilités jusqu'en 1999 dans cette organisation. Je rappelle que la CFDT a toujours assumé un positionnement atypique, se démarquant d'une logique purement productiviste, s'opposant au « tout nucléaire ». L'histoire et les faits nous ont donné raison.
En 2000, sur la proposition du Premier ministre de l'époque, j'ai été nommé commissaire à la CRE. Durant les huit années de mon mandat, et tandis que l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz bouleversait la donne pour nos concitoyens, j'ai toujours soutenu la thèse que les marchés devaient être au service du consommateur final, condition nécessaire à la confiance et au bon fonctionnement des marchés. L'énergie a cette particularité d'être un bien économique qui obéit à des règles de marché, mais aussi et surtout un bien essentiel qui, dans une société moderne et solidaire, doit être accessible à tous.
A partir de 2008, j'ai assumé la fonction de délégué général du Médiateur national de l'énergie, avec pour préoccupation première la lutte contre la précarité énergétique. L'institution venait à peine d'être créée : elle a quelque peu bousculé les habitudes des entreprises du secteur, mais elle est aujourd'hui installée dans le paysage énergétique français, et reconnue pour son expertise et ses prises de position en faveur de l'intérêt général.
Enfin, j'ai été membre fondateur, il y a plus de 25 ans, de Coopération développement (Codeve), devenue Electriciens sans frontières. Cette ONG de solidarité internationale identifie les besoins énergétiques à satisfaire, en électricité et en eau, les techniques les plus efficaces pour y répondre, puis inventorie les ressources énergétiques, renouvelables ou, à défaut, peu polluantes. Vous le voyez : mon parcours atypique, mes engagements successifs, s'inscrivent dans une continuité de service de l'intérêt général.
L'Ademe serait pour moi un nouveau challenge. Cette belle agence regroupe près de mille hommes et femmes, répartis pour moitié sur ses sites nationaux - Angers, Paris, Valbonne - et pour moitié au sein de ses directions régionales. Reconnue pour son expertise et son action territoriale, elle a joué un rôle majeur dans les évolutions environnementales de ces dernières années, notamment celles promues par le Grenelle de l'environnement. Elle dispose en 2013 d'un budget d'intervention de 607 millions d'euros, auquel s'ajoute le programme des investissements d'avenir, de l'ordre de 2,5 milliards d'euros sur trois ans.
En vertu de ses statuts, l'Ademe a pour mission de « susciter, animer, coordonner, faciliter et le cas échéant, réaliser toutes opérations » en matière de gestion des déchets, de préservation des sols, d'efficacité énergétique, énergies renouvelables, qualité de l'air et lutte contre le bruit. Elle intervient donc sur toutes les thématiques environnementales, hors la gestion de l'eau et celle de la biodiversité. L'action qu'elle mène sur le terrain auprès des acteurs locaux et de nos concitoyens est reconnue. Le réseau des Espaces Info Energie, cofinancé par les collectivités, dispense des conseils personnalisés : en un an ses 405 conseillers sont intervenus auprès de plus de 150 000 personnes, dont 45 % sont passées à l'acte, ce qui représente 327 millions d'euros de travaux en 2011. Ils ont également sensibilisé près d'un demi-million de personnes. Ce réseau aura à coup sûr un rôle de premier plan à jouer dans la création du guichet unique annoncé par le Premier ministre, ou du service public de la performance énergétique de l'habitat prévu dans la proposition de loi Brottes, afin d'accompagner les particuliers. Je veillerai à renforcer cette fonction de conseil objectif et gratuit, ainsi qu'à l'étendre en amont - en allant démarcher les habitants - comme en aval - pour le choix des entreprises et le suivi de la réalisation effective des travaux.
Je serai particulièrement attaché à ce que l'Ademe crée, avec les collectivités locales, des partenariats adaptés à ce domaine. Aujourd'hui l'offre de travaux et de financements reste à structurer, coordonner et fiabiliser. Au-delà, l'Ademe soutient l'innovation technologique et l'expérimentation des solutions de demain, grâce aux investissements d'avenir notamment. L'agence gère 12 % du grand emprunt pour le compte de l'État, dans les domaines de l'énergie solaire et des énergies marines, des véhicules routiers et de la mobilité urbaine, des réseaux électriques intelligents, etc. soit au total 820 millions d'euros à ce jour, pour un montant total des projets supérieur à 4 milliards d'euros. Les deux tiers de la contribution publique prennent la forme d'avances remboursables ou de prises de participation. Il s'agit sans conteste d'une innovation majeure dans les modalités d'intervention de l'Etat. Le programme des investissements d'avenir représente aussi un changement d'échelle dans le soutien aux nouvelles technologies et au développement durable.
L'Ademe gère en outre deux fonds importants. D'abord le fonds destiné aux déchets : entre 2009 et 2012, 230 millions d'euros ont contribué à la mise en place d'équipements de recyclage et de valorisation des déchets, dont 73 % en faveur des communes. Parallèlement, l'Ademe soutient les programmes locaux de prévention des déchets. L'agence gère également le fonds chaleur : 900 millions d'euros ont aidé, en trois ans, 2 400 installations à produire de la chaleur à partir de biomasse. Outre sa forte contribution à nos objectifs européens de réduction des émissions, il a permis de créer 5 000 emplois pérennes.
L'Ademe participe aussi à des innovations et à des expérimentations adaptées aux problématiques spécifiques d'un territoire. C'est le cas par exemple de la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, où l'utilisation par les particuliers d'équipements de chauffage peu performants est source de pollution. Pour accélérer leur modernisation, une opération d'aide au renouvellement sur quatre ans a été montée, associant les communes de la vallée, les conseils général et régional, ainsi que l'Ademe.
Bien d'autres activités mériteraient d'être citées. Le club Ademe International regroupe plus d'une centaine d'entreprises éco-innovantes pour promouvoir l'offre française à l'export ; le club EnR rassemble 24 agences nationales de maîtrise de l'énergie de pays européens.
Grâce aux investissements d'avenir, des réalisations concrètes ont été mises en oeuvre dans le domaine de la mobilité - PSA a présenté il y a quelques jours un nouveau prototype dit « hybrid-air » - ou de l'urbanisme. L'Ademe a en outre lancé un appel à projets en direction des collectivités territoriales désireuses de mener des actions de traitement des points noirs en matière de bruit sur les axes routiers.
Si l'Ademe a pu, depuis vingt ans, accompagner comme elle l'a fait notre société dans ces mutations, c'est grâce à un modèle original, fondé sur un certain nombre de spécificités. En premier lieu, une expertise reconnue et indépendante au service de tous les décideurs. Ensuite, un caractère intégré et, cependant, une grande capacité à agir sur les territoires, grâce à la complémentarité entre directions centrales et directions régionales, garante de la cohérence entre les politiques étatiques et les actions locales. A quoi s'ajoute une spécialisation sur des enjeux interdépendants complexes, une capacité à traiter de problématiques transversales. Puis, un mode d'action partenarial - facilité par la neutralité que lui confère son statut d'établissement public -, qu'il s'agisse des contractualisations avec les régions, qui permettent de démultiplier les soutiens tout en les concentrant sur les priorités locales, ou des investissements d'avenir. Enfin, un large périmètre d'actions, en recherche comme en accompagnement, jusqu'à la mise en oeuvre des bonnes pratiques. C'est un modèle envié par les homologues européens de l'agence, aux champs d'intervention souvent plus réduits.
J'en viens à mes priorités d'action pour l'institution. Face au risque universel du changement climatique, la France doit montrer la voie de l'efficacité énergétique. Fort de l'engagement et des compétences des collaborateurs de l'agence, j'aurai à coeur de faire de cette institution un outil innovant, efficace et exemplaire dans la définition d'un nouveau mix énergétique. Le débat national de la transition énergétique représente une opportunité particulière de valoriser le remarquable travail d'expertise effectué par l'agence sur les scénarios 2030#172;2050, exercice de prospective qui a mobilisé l'ensemble de ses experts. Ce sera l'occasion pour elle de porter des messages forts sur la rénovation énergétique des bâtiments, première priorité en matière d'économies d'énergie, et de soutenir des propositions concrètes pour rendre effective la transition écologique, en associant l'expertise technique et l'accompagnement financier de l'agence. S'il revient à l'Etat de donner les lignes directrices, la réussite de cette politique passera par une implication forte des territoires de proximité.
L'Ademe doit accompagner la société dans cette transition. Elle sera pleinement mobilisée pour préparer la prochaine conférence environnementale annuelle, qui portera notamment sur les déchets. Ce sera l'occasion d'approfondir sa réflexion sur les ressources, sur l'économie circulaire et sur l'efficacité du recyclage, afin de faire émerger des industries secondaires compétitives. Il nous faut en outre préparer cette perspective dans une conjoncture budgétaire que vous savez contrainte. Face à la réduction des dépenses publiques, l'Ademe devra poursuivre ses efforts d'efficience.
Au cours de ces vingt dernières années, la politique environnementale française s'est renforcée dans le domaine des déchets, de la maîtrise des consommations d'énergie, ou encore en matière d'aménagement ou de production agricole. Des textes ont affirmé la nécessité de réduire les flux : flux d'énergie consommée, de matière consommée, d'espace consommé, flux de C02 rejeté, de déchets à traiter. De nombreux territoires et de multiples acteurs se sont emparés du sujet, mettant en oeuvre les plans climat énergie territoriaux, les programmes de prévention, l'appui aux nouvelles filières d'énergie et de recyclage.
Depuis plus de vingt ans, l'Ademe a initié, stimulé, accompagné ce mouvement, en développant de nouvelles activités et de nouveaux modes d'action dans un rôle précurseur. Les investissements d'avenir en témoignent à nouveau. Je souhaite que nous soyons force de proposition pour pérenniser notre soutien à l'innovation au-delà du grand emprunt, dans un cadre budgétaire contraint. Nous pourrions être tentés de répondre à la crise économique par des schémas classiques. Cela ne fonctionnera pas. L'urgence écologique et sociale, les obligations communautaires, le souci des générations futures nous incitent à l'audace, à l'enthousiasme : prenons à bras le corps les problématiques en jeu, car la maîtrise de l'énergie est un des leviers essentiels de sortie de crise.
En 2012, la facture énergétique de la France a été de 69 milliards d'euros, pour un déficit total du commerce extérieur de 67 milliards d'euros. La réduction de notre dépendance est un impératif, la transition énergétique également. Notre défi essentiel, quelle que soit l'évolution du mix, c'est d'économiser l'énergie : c'est pour nos entreprises un facteur de compétitivité, un moyen pour les ménages de faire face à la hausse des coûts, voire de sortir de la précarité énergétique.
Rendre notre société sobre et économe en ressources, mais aussi créatrice d'activités et d'emplois, tel est le défi qui se présente à nous. L'Ademe doit prendre toute sa part dans la massification des changements de comportements, qui est indispensable pour atteindre un tel but. Ce challenge est passionnant et je serai fier que me soit confiée la présidence de ce bel établissement.
Vous avez rappelé, avec raison, l'importance de l'Ademe en termes de moyens humains, de budget et de poids dans le financement des investissements d'avenir, et plaidé pour développer son activité. Mais quelles orientations politiques - au sens noble du terme - comptez-vous donner à l'agence, si vous êtes désigné à sa tête ?
En outre, ses actions sont nombreuses : financement de projets, organisation des filières, soutien à la recherche et à l'innovation, en lien avec l'emploi... C'est beaucoup. Or vos moyens vont se réduire : comptez-vous conserver toutes ces missions, ou privilégier une ou deux orientations ?
Plus largement, avez-vous une feuille de route à nous communiquer ?
L'essentiel des recettes de l'Ademe provient de la gestion des déchets. Envisagez-vous un rééquilibrage de son action en faveur de la politique des déchets ?
Le volet énergie - dont on a compris qu'il vous tenait à coeur - recevra-t-il un financement spécial, ou bien toutes les politiques de l'agence s'appuient-t-elles uniformément sur la fiscalité déchets ?
Avez-vous des idées sur les moyens de rendre plus incitative la fiscalité déchets ? Y a-t-il des retours d'expérience intéressants ?
Je salue votre discours énergique, presque énergétique...
Les relations entre l'Ademe et les régions sont confuses. Il est parfois difficile de savoir, sur le terrain, qui pousse l'autre. Par exemple, ma commune s'est vu refuser l'aide à l'installation d'une chaudière à bois par la région Centre et l'Ademe Centre, alors qu'une telle subvention a été accordée en Poitou-Charentes. L'absence de clarté sur l'autorité compétente est source d'inégalités territoriales. Pour les réseaux de chaleur, c'est la même chose : je n'ai pas pu obtenir d'aide à la mise en place d'un réseau de chaleur pour 300 à 400 appartements au motif que la taille du projet était insuffisante.
En matière de rénovation de l'habitat ancien, les professionnels ne sont pas à la hauteur. L'Ademe partage-t-elle notre conviction qu'il faut former les entreprises aux nouvelles techniques, afin que les investissements d'aujourd'hui soient réellement source d'économies demain ?
Ma question fait référence aux propos tenus récemment par Delphine Batho sur les énergies marines renouvelables. La ministre missionne l'Ademe pour organiser un nouvel appel à manifestation d'intérêt dans ce domaine. Combien de temps prendra la procédure ? Nos entreprises sont prêtes et n'attendent qu'un signe, une garantie, pour lancer leurs projets ! Je crains qu'à trop attendre, les Anglais et les Coréens ne nous passent devant.
Vous avez rappelé à juste titre que l'Ademe joue un rôle fondamental dans l'accompagnement des projets visant à substituer des énergies propres aux énergies polluantes. Vous avez dit que l'Ademe accompagnerait plus en amont, et plus en aval, les projets auxquels elle apporte des financements. Entendiez-vous par là un accompagnement de nature technique ?
Comment comptez-vous travailler avec l'échelon régional : souhaitez-vous lui laisser beaucoup d'autonomie ? Ou, au contraire, faire remonter les dossiers et les décisions ?
Votre plaidoyer vibrant pour l'Ademe m'a déconcerté. Nous avons entendu deux fois votre prédécesseur : lors de sa nomination, puis à l'occasion d'un débat technique sur les sujets quotidiens dont l'agence a à connaître. Nous savons l'utilité de cette agence ! Vous sembliez à la tribune d'un congrès... Nous ne vous interrogeons pas sur le rôle de l'Ademe, mais sur la façon dont vous comptez mettre en oeuvre ses politiques si votre candidature est retenue pour le poste de président. Une institution, c'est aussi des ressources humaines, des finances, bref des enjeux de gestion qui, dans une conjoncture budgétaire tendue de surcroît, doivent être explicités.
Vous avez évoqué les partenariats. Soit. Mais que préparez-vous à cet égard ? L'Ademe pourrait n'être qu'un accompagnateur, ce serait déjà beaucoup.
Je partage le sentiment de Vincent Capo-Canellas. Depuis vingt ans que l'Ademe existe, nous savons qu'elle est utile. Mais quelle est votre feuille de route ? Nous attendions de votre part une analyse critique de la situation dans laquelle se trouve l'agence. Par exemple, quel budget, quelle organisation envisagez-vous en matière de recherche ? Les régions ont des difficultés pour valoriser les déchets : comment l'Ademe compte-t-elle les aider ?
Vous avez parlé de massification des changements de comportement. Une telle stratégie est menée depuis déjà plusieurs années et ses résultats ne sont pas très positifs...
La prévention est selon moi un pan essentiel de l'action publique en la matière : avez-vous des projets dans ce sens ?
Il est un peu tôt pour faire des propositions d'actions détaillées. A ce stade, partageons l'enthousiasme de M. Lechevin pour l'activité que mène l'Ademe.
Le lien entre l'Ademe et les collectivités est inscrit dans l'ADN de l'agence. Comment voyez-vous l'évolution de leurs relations ? Sont-elles satisfaisantes, et si non, comptez-vous fixer un nouveau cap ?
S'agissant des changements de comportement, et des actes de consommation en particulier, l'Ademe est souvent prudente, faute de connaissances sur la manière de modifier les comportements. Nous manquons d'études qualitatives approfondies. Par exemple, le bonus-malus est une invention de l'Etat, non de l'Ademe. En de tels domaines, le volontarisme risque de heurter des intérêts économiques, et désavantager les entreprises françaises dans la compétition internationale... Comment comptez-vous concilier ces objectifs ?
Votre plaidoyer m'a laissé sur ma faim. Je n'ai pas compris quelle était votre vision de l'Ademe. Certes, vous n'avez pas pris vos fonctions : nous n'attendons donc rien de très précis. Néanmoins, au-delà de votre CV et du bien que vous pensez de l'organisation à la tête de laquelle vous postulez, quels projets comptez-vous porter au sein de l'agence dans les années à venir ? Comptez-vous vous inscrire dans la continuité de vos prédécesseurs ? Ou pensez-vous qu'à l'Ademe « le changement, c'est maintenant » ?
Vous souhaitez que les choses évoluent au niveau local. Soit. Dans quel sens ?
Vous plaidez pour les économies d'énergie : à l'Ademe, cela se comprend ! Et en parlant d'économies - je rappelle que le gouvernement a engagé une baisse des dépenses publiques de 10 milliards d'euros par an - comment l'Ademe pourra-t-elle fonctionner à l'avenir dans un cadre budgétaire resserré ?
On peut reprocher à l'Ademe le manque de politique de prévention en matière de déchets plastiques. Des progrès ont certes été réalisés par les supermarchés, qui distribuent moins de poches qu'auparavant. Mais d'autres secteurs, comme la presse, sont à l'origine d'une prolifération massive des emballages plastiques, ce qui a des conséquences désastreuses sur l'environnement. Quelle politique comptez-vous mener dans ce domaine ?
Je comprends votre insatisfaction. J'ai la modestie de penser qu'à ce stade, je dois d'abord découvrir l'Ademe de l'intérieur, suivre l'évolution de ses compétences et comprendre les relations qu'entretiennent le niveau national et l'échelon régional. L'écoute : ce sera la première de mes actions si je suis nommé à la tête de l'agence, notamment en sortant des bureaux parisiens. J'irai sur le terrain, dans les délégations régionales, au sein des Espaces Info Energie, tous lieux fondamentaux pour la politique énergétique de demain.
Je ne suis pas capable de vous fournir une vision du futur de l'Ademe. Je peux à tout le moins vous dire que je m'inscrirai dans la continuité de mes prédécesseurs, et poursuivrai le travail qu'ils ont engagé.
L'arrivée dans une organisation est d'abord une occasion de questionner, de réfléchir, afin d'améliorer le service rendu à la nation et aux collectivités locales. Ces dernières ont d'ailleurs acquis davantage de compétences en matière environnementale, et leur demande à l'égard de l'Ademe évolue. Je ne sais pas vous dire quelles seront mes priorités immédiates. Peut-être faudra-t-il que l'agence soit encore plus au service des collectivités et des particuliers ; peut-être faudra-t-il la recentrer sur certains métiers. Elle est un outil essentiel de la politique de transition énergétique. J'entends m'interroger sur l'organisation de l'agence. Au-delà de l'ingénierie économique, il y a l'ingénierie sociale, tout aussi importante. Si tout le monde s'implique, il est parfois possible de faire mieux avec moins. C'est le défi de l'avenir ! L'Ademe seule ne changera pas les comportements. Pourtant, comme l'a confirmé un récent rapport du Conseil d'analyse stratégique, des gains d'efficacité énergétique sont encore possibles. Et toute la société ne s'en portera que mieux ! L'Ademe s'efforcera donc de stimuler cette évolution, en se rapprochant encore des acteurs locaux. Nous avons aujourd'hui une chance extraordinaire : l'Ademe est en terrain connu, les collectivités ont progressé et prennent leur destin en charge. A nous de faire que l'agence soit plus opérationnelle pour les accompagner.
Comme tout opérateur public, l'Ademe devra faire mieux avec un budget contraint. J'en discuterai avec les représentants des salariés. Si nous sommes soumis aux impératifs budgétaires actuels, n'oublions pas non plus que la politique de sobriété énergétique et de rénovation de l'habitat est un élément important de relance de l'économie, par la création de filières et d'emplois non délocalisables. Il faut développer l'apprentissage car on ne s'improvise pas ambassadeur de l'efficacité énergétique. Si le programme « Habiter mieux » n'est pas à la hauteur des attentes, ce n'est pas faute de financement puisque l'argent disponible n'est pas dépensé ! Alors qu'il faudrait démultiplier les efforts pour atteindre l'objectif de 500 000 logements rénovés, seuls 20 000 d'entre eux ont bénéficié du plan. Pourtant, la précarité énergétique est une question urgente. Il faut que les citoyens, en particulier les plus vulnérables, soient en mesure de consommer mieux, et moins, une énergie qui deviendra de plus en plus chère.
Devant notre commission, les responsables du plan « Bâtiment durable » ont confirmé le décalage entre les décisions du Grenelle de l'environnement et leur application. Dans les territoires, les entreprises du secteur attendent...
Vous m'avez interrogé sur la visibilité des dispositifs régionaux, particulièrement nombreux et impliquant de multiples partenaires. Je veux comprendre pourquoi leur efficacité ou leur utilité n'est pas toujours optimale.
Je crois à la fois à la cohérence nationale et à l'imagination locale. C'est peut-être idéaliste mais je ne vois pas comment faire autrement. Favorisons les initiatives locales de progrès ! J'ai croisé M. Dantec à l'occasion de la visite du ministre allemand de l'environnement : il m'a dit que l'Ademe devait comprendre que les collectivités d'aujourd'hui ne sont plus celles d'il y a dix ou quinze ans. Que de progrès accomplis !
Cette évolution des collectivités appelle sans doute une montée en compétences de l'Ademe. Au-delà de mes premières discussions avec les directeurs et la directrice générale déléguée, j'ai besoin d'aller sur le terrain, de prendre le temps de rencontrer l'ensemble des acteurs et des partenaires. Ce sera l'occasion de voir ce qui va et ce qui ne va pas, ce qui doit être changé et ce qui ne doit pas l'être.
Quelle réponse pouvez-vous faire à Evelyne Didier sur le rééquilibrage de la fiscalité sur les déchets ?
Les objectifs du fonds chaleur sont fixés au niveau national avec des arbitrages et des appels à projets régionaux. Il y a actuellement une remise en cause à ce sujet : je m'engage à approfondir la question et à vous répondre rapidement.
Odette Herviaux vous a interrogé sur les énergies marines renouvelables...
Il s'agit d'une belle opportunité technologique. Le défi pour la France est effectivement de ne pas arriver après la bataille. Les appels à manifestation d'intérêt (AMI) ont donné lieu à un processus un peu long. Des objectifs ambitieux ont été définis au niveau européen pour les énergies renouvelables off shore. Il faudra que la collectivité assume le coût de ces énergies susceptibles de constituer des filières industrielles d'exportation. Elle le fera au titre du service public de l'électricité. En tous cas, Delphine Batho est très active et l'Ademe inscrira son action dans le cadre des AMI et des investissements d'avenir, à la suite du projet déjà lancé au large de la Bretagne.
Vous avez indiqué vouloir intervenir davantage en amont et en aval. Comment allez-vous vous réorganiser pour ce faire ?
Certains projets ont seulement besoin d'être stimulés par l'intervention de l'Ademe. D'autres n'aboutiront que si elle s'implique dans l'ensemble du processus. Et ce n'est pas uniquement une question financière ! Il faudra déterminer chaque fois le dosage correct. Nous ne pourrons pas tout faire et devrons sans doute nous concentrer sur nos activités actuelles, mais les assumer complètement. La recherche demeure essentielle. Nos choix prendront aussi en compte les objectifs de politique publique qui nous seront assignés et les moyens dont nous disposerons, même si nous espérons qu'un retour de la croissance permette à l'avenir de disposer de davantage de marges de manoeuvre.
Les orientations que vous retiendrez conditionneront-elles l'octroi des aides financières ? Vos effectifs seront-ils suffisants pour assurer un accompagnement plus important ?
Je ne peux vous répondre à ce stade. Je puis en revanche vous indiquer avec certitude que nos effectifs ne devraient pas croître... Une réduction de 45 postes est prévue sur trois ans.
Quel est finalement votre projet pour l'Ademe, quelle en sera l'organisation au niveau local ?
J'ai l'intime conviction que l'action de l'Ademe contribuera à préparer l'avènement d'une société plus sobre tout en stimulant la compétitivité écologique et économique. Cependant le temps de l'écologie n'est pas le temps du social. Pour obtenir des résultats, il faut donc se retrousser les manches, tout de suite ! C'est pourquoi j'ai parlé de massification : les doses homéopathiques ne sont plus de mise.
Le secteur bancaire doit être plus présent dans la transition énergétique, comme le sont déjà la Caisse des dépôts et consignations et Oséo ; de même, les investisseurs privés doivent trouver leur place aux côtés des acteurs publics. L'ingénierie développée par l'Ademe peut y contribuer. Si vous me confiez les fonctions de président de l'Ademe, je m'engage à revenir ici dans quelques mois, pour vous dire ce que j'ai vu de riche et de fort, ce qui doit être préservé, ce qui peut être allégé, car il est certain que nous ne pourrons pas tout faire.
Je ne suis à ce jour pas en mesure de répondre à la question de M. Tandonnet sur les sacs en plastique.
J'apprécie la clarté de votre engagement. Le mal français, ce sont les investissements des collectivités tous azimuts et l'Ademe pourrait nous faire économiser des centaines de millions d'euros en étudiant la pertinence des projets. Certains - je songe à ceux portant sur les énergies renouvelables - sont valables pour certaines régions et non pour d'autres ; et dans certaines régions, rien n'est possible. Je note aussi que des investissements ont été engagés dans le photovoltaïque, mais les revirements ministériels successifs leur ont été fatals.
Si l'Ademe pouvait éclairer les collectivités sur les projets effectivement rentables, ce serait très utile.
La commission procède au vote sur la candidature de M. Bruno Lechevin à la présidence du conseil d'administration de l'Ademe.
Voici les résultats du scrutin : sur 16 votants, il y a 10 votes pour et 6 bulletins blancs.
- Présidence commune de M. Raymond Vall, président et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques-
La commission organise conjointement avec la commission des affaires économiques, une table ronde sur l'avenir de la production d'électricité par géothermie en France.
Nous avons décidé d'organiser cette table ronde sur la géothermie à la suite d'une rencontre avec François Manneville, président de la TPE FM Lighthouse. Nous connaissons tous la géothermie, même si elle occupe un peu moins de place dans les débats. Pourtant, nous avons ressenti de la part de la ministre de l'Écologie la volonté politique de lui donner un nouvel élan. Nous avons donc souhaité réunir un panel de personnalités actives dans ce domaine, qu'il s'agisse de scientifiques, de responsables d'entreprises ou d'experts... que nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui.
Je suis directeur général délégué du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public d'expertise et de recherche à la disposition de l'État, des collectivités territoriales et des entreprises, et président directeur général de Géothermie Bouillante, le plus gros producteur d'électricité d'origine géothermique en France, situé en Guadeloupe, qui est une filiale relevant à 98 % du BRGM. Je vais présenter brièvement les autres participants. Jean-Claude Andreini, président de la commission géothermie du syndicat des énergies renouvelables (SER), présentera les différentes formes de géothermie. Il faudrait en effet parler « des géothermies » plus que de « la géothermie ». Éric Lasne, directeur général de CFG Services, une autre filiale, relevant à 100 % du BRGM, également membre du bureau de la commission géothermie du SER, présentera quant à lui deux savoir-faire particuliers en matière de géothermie profonde dans lesquels sa société excelle : l'exploitation de la chaleur dans le bassin parisien et la production d'électricité en outre-mer. Il parlera du site de Bouillante. Albert Genter, directeur scientifique du groupement européen d'intérêt économique Exploitation minière de la chaleur, de Soultz-sous-forêts, en Alsace, présentera la première expérience de géothermie très profonde réalisée en France, avec des forages de plus de 5000 mètres de profondeur. Romain Vernier, responsable de la division géothermie du BRGM et vice-président de la commission géothermie du SER, exposera, à partir de quelques exemples, les perspectives d'avenir pour la géothermie. Participeront également à cette table ronde Philippe Roubichou, directeur régional du BRGM Midi-Pyrénées et Elsa Demangeon, chef du département bioénergies au SER.
Le secteur de la géothermie représentait, en 2010, 0,2 million de tonnes d'équivalent pétrole (Mtep) et devrait en représenter 1,3 millions en 2020, soit l'horizon du Grenelle de l'environnement. Cela correspond à une multiplication par six de la production actuelle : le secteur pèse peu aujourd'hui mais devrait croître beaucoup, plus que les autres, au cours des prochaines années ; il a donc un fort potentiel.
La géothermie peut se diviser en trois grands ensembles, en fonction du niveau de profondeur : au niveau peu profond, la géothermie sur pompes à chaleur individuelles et collectives permet d'exploiter l'air ou l'eau ; à un niveau un peu plus profond, la géothermie profonde sur réseaux offre des niveaux de chaleur plus élevés ; enfin, la géothermie beaucoup plus profonde, qui est en mesure de produire de l'électricité. Les deux premières formes de géothermie sont très dispersées : elles peuvent être mises en oeuvre sur tous les territoires, et permettent d'obtenir de la chaleur comme du froid. Nous avons donc tous, sous nos pieds, un potentiel facilement mobilisable en la matière, souvent méconnu. Il est pourtant source de nombreux emplois peu délocalisables. Des efforts ont déjà été réalisés pour développer ces formes de géothermie ; ils doivent être poursuivis. La troisième forme de géothermie, sur laquelle le débat d'aujourd'hui est focalisé, est plus lourde à mettre en oeuvre, et requiert une expertise et des compétences plus élevées, en géologie notamment. Elle nécessite des investissements lourds, déterminés par l'État. Elle est beaucoup moins répandue, puisque seuls deux sites la mettent en oeuvre aujourd'hui. Chacune de ces trois catégories de géothermie doit connaître une grande croissance dans les prochaines années. La géothermie électrique atteint aujourd'hui 16,5 mégawatts. L'objectif fixé pour 2020 s'élève à 80 mégawatts, soit une multiplication par cinq de la production actuelle ! Faire progresser la géothermie dans ces proportions est nécessaire pour respecter l'ambition du Grenelle.
S'agissant de la géothermie sur pompe à chaleur, elle peut prendre la forme de capteurs horizontaux, de sondes géothermiques verticales, ou de pompes à chaleur sur nappes ou sur aquifères, dans la maison individuelle ; de champs de sondes ou de fondations thermoactives, dans le petit collectif. La géothermie sur réseaux peut assurer le chauffage d'un quartier ou d'un ensemble d'immeubles d'habitat collectif.
Pour lever les freins au développement de la géothermie sur pompe à chaleur, la publication du décret d'application de l'article 66 de la loi Warsmann est indispensable - nous le rappelons de façon continue à la Ministre -, afin d'autoriser les forages à 200 mètres de profondeur. Ils sont aujourd'hui limités à 100 mètres de profondeur. Cette mesure dégagerait des sources d'énergie. Il est regrettable qu'elle prenne autant de temps. Cela fait plus d'un an que nous attendons ce décret.
Il faut également soutenir le transfert des appellations de qualité : dès qu'on progresse en profondeur, il faut faire de bons forages. Pour cela, il est nécessaire de développer les qualifications au sein des entreprises. Cet enjeu est de taille, afin d'éviter toute mauvaise utilisation du sous-sol. Nous sommes en train de travailler avec qualit'EnR pour mettre au point des qualifications.
Il est aussi nécessaire d'avoir une visibilité sur la durée des dispositifs d'incitation. La géothermie doit être placée au coeur du bâtiment neuf comme du bâtiment existant. Les freins psychologiques, comme ceux liés à la durée des opérations ou aux enjeux locaux, doivent être levés.
S'agissant de la géothermie sur réseaux, nous préconisons de doubler le fonds chaleur renouvelable, de réserver une suite rapide et favorable à l'appel à manifestations d'intérêt (AMI) pour les démonstrateurs, lancé par l'ADEME, ainsi que d'engager un nouvel AMI. La recherche et développement doivent continuer à se développer.
La géothermie électrique est quant à elle aujourd'hui limitée à deux sites. Il convient de multiplier ce chiffre en menant d'autres opérations lourdes. Nous devons aussi améliorer notre performance par la stimulation de nos systèmes. La technologie EGS (enhanced geothermal systems) doit être développée. Il faut également couvrir le risque géologique. Compte tenu de l'ampleur des opérations menées, il est nécessaire d'avoir des assurances. La géothermie électrique est une bonne solution pour les îles, afin d'en renforcer l'autonomie énergique.
La filière de la géothermie compte en France une centaine d'entreprises solides, d'après l'annuaire du SER. Toute la chaîne de valeur est incluse dans ce chiffre : ingénierie, sociétés de services, équipementiers... Nous sommes très bons, mais le marché national est encore insuffisamment développé pour accéder à l'export. Il ne s'agit pas d'un problème de qualification, car nous sommes à la hauteur, mais de développement.
En géothermie, nous avons affaire à une ressource naturelle. Elle doit être respectée et gérée en tant que telle. L'opération de géothermie réalisée en 2010 à l'aéroport d'Orly, avec un dispositif « en doublé » comportant un forage de production et un forage de réinjection, permet à l'eau extraite d'être restituée dans son milieu naturel. L'intégration environnementale d'une centrale de géothermie est une question importante. La géothermie est une pratique vertueuse, qui doit l'être dans tous ses aspects, y compris celui de l'intégration visuelle.
La carte des ressources géothermales de notre pays montre les grands bassins sédimentaires parisien et aquitain, dans lesquels on trouve des aquifères continus. Ces derniers sont assez facilement caractérisables et sont déjà exploités. Les aquifères sont des formations rocheuses suffisamment poreuses pour contenir de l'eau. Dans le massif central, il y a des zones volcaniques dans lesquelles il pourrait y avoir des ressources géothermales que, dans le cadre de l'AMI, plusieurs projets visent à caractériser. On peut mentionner enfin les grands bassins fracturés, en Alsace mais aussi dans le couloir rhodanien. Dans les îles, en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, il y a des ressources dont une partie sont avérées.
La région parisienne est une belle vitrine des opérations de géothermie en France. Le bassin parisien possède une couche géologique dont les ressources géothermiques sont très riches : le dogger. Son exploitation est la première au monde en termes de chaleur. Elle se répartit entre 37 installations, sur une couronne partant du nord de Paris, vers la Courneuve, passant par l'Est parisien, et se refermant sur Fresne, pour une production de chaleur d'un million de mégawatt-heure par an. L'impact environnemental de cette production doit être souligné, puisqu'il permet d'éviter la production de 280 000 tonnes de CO2, ce qui est particulièrement important en milieu urbain.
Ce savoir-faire a déjà été décliné à l'international, en Roumanie, en Belgique, en Suisse, en Andorre et en Chine.
L'exploitation de la chaleur en France pourrait aller plus loin. La France n'atteint que le quinzième rang européen en termes de liaison des habitations à des réseaux de chaleur. Seuls 6 % des habitations et des bureaux sont raccordés à un réseau de chaleur. Sur ceux-ci, on trouve 30 % d'énergies renouvelables : la géothermie est donc vertueuse en matière de mix énergétique. Elle constitue un effet de levier important.
Un autre avantage de la géothermie réside dans son prix. Une étude du réseau Amorce a montré qu'elle était très compétitive par rapport aux autres énergies. Elle a des coûts à peu près équivalents à l'énergie de récupération sur les usines d'incinération d'ordures ménagères, ou issue de la cogénération de gaz ; elle est 5 % à 10 % moins chère que la biomasse. La géothermie est donc vertueuse tant du point de vue environnemental que de la compétitivité. Les collectivités, qui ont commencé à investir dans ce domaine dans les années 1980, choisissent aujourd'hui de maintenir et de renouveler leurs installations.
Dans les îles, il y a deux types de système volcanique : un arc insulaire de volcans, comme en Martinique, en Guadeloupe et à la Dominique, et un volcanisme de points chauds, à La Réunion par exemple.
Dans les îles, la plus belle réalisation en matière de géothermie, et la seule dans le domaine de la production d'électricité, se trouve à Bouillante en Guadeloupe. Elle est composée de deux unités qui produisent 6% de l'électricité de la Guadeloupe. L'unité Bouillante 1 fournit 4,7 mégawatts électriques , l'unité Bouillante 2 11 mégawatts. Le champ géothermal de Bouillante n'est absolument pas lié à l'activité actuelle du volcan de la Soufrière, nous sommes sur des édifices volcaniques anciens, déconnectés du volcanisme actuel. Dans le périmètre d'exploitation de Bouillante, il y a encore un fort potentiel à développer. Un projet Bouillante 3 doit voir le jour ; dans la zone de Vieux-Habitants, au Sud, des études sont actuellement en cours. Les résultats devraient être disponibles d'ici la fin du premier semestre 2013.
Un potentiel de développement un peu plus caché, et à approfondir, existe à la Martinique dans trois zones : sur le flanc ouest de la montagne Pelée, au niveau de la petite anse au sud de l'île ; sur la plaine du Lamentin. A cet endroit des forages ont déjà été réalisés dans les années 2000, avec des résultats assez prometteurs en matière de production de moyenne énergie.
A La Réunion, le potentiel en géothermie concerne les cirques de Salazie et Cilaos (Piton des neiges) et le secteur de la plaine des sables à l'ouest du Piton de la fournaise et de la rivière des remparts. Fin 2008, le projet de réalisation de trois forages exploratoires dans la plaine des sables a été abandonné en raison des risques pesant sur la demande de classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, s'agissant d'une zone située dans le parc national, mais il pourra peut être revoir le jour à un autre endroit.
La géothermie électrogène permet de consolider et sécuriser les systèmes énergétiques insulaires, souvent intermittents en ce qui concerne l'énergie éolienne ou solaire. La géothermie est une énergie de base avec des taux de disponibilité qui peuvent être supérieurs à 90 %. Il s'agit d'une production locale, indépendante des importations de combustibles fossiles. Elle est moins chère, puisque le tarif de rachat actuel fixé par la commission de régulation de l'énergie est de 130 euros par mégawatt heure, alors que les énergies conventionnelles sont plutôt autour de 200 euros par mégawatt heure. Il est en outre possible d'utiliser tout ou partie de la ressource géothermale, « en cascade », pour des applications « chaleur », dans le domaine agricole (séchage), industriel (froid)... Cette production émet peu de rejets en CO2. Il s'agit en outre une filière complète, déjà structurée.
Nos attentes de professionnels de la géothermie sont les suivantes.
Il faut tout d'abord continuer à développer la connaissance des ressources géothermiques, que ce soit pour la production de chaleur ou la production d'électricité. Il faudrait également instaurer un dispositif de couverture du risque géologique pour la production d'électricité, comme cela existe déjà pour la production de chaleur. La conception de mécanismes de soutien financier au développement de la géothermie dans les territoires insulaires, notamment en termes de tarifs d'achat, permettrait par ailleurs à beaucoup de projets de voir le jour ; il faudrait que le tarif d'achat soit compris entre 170 et 200 euros du mégawatt-heure. Il faudrait également définir une réglementation adaptée aux territoires insulaires, notamment pour l'importation d'électricité : la production d'électricité sur l'île de la Dominique pourrait intéresser la Martinique ou la Guadeloupe. Des adaptations de la réglementation sont également nécessaires : lorsque l'on fait des forages d'exploration, ne pourrions-nous pas travailler comme dans le domaine des hydrocarbures, avec un système de déclaration plutôt que d'autorisation, qui prend beaucoup plus de temps ?
Pour améliorer l'insertion des projets dans les territoires, la mise en place d'une redevance communale permettrait aux collectivités locales de s'y retrouver sur le plan financier.
Il faudrait, enfin, renforcer les actions de recherche et développement engagées dans le cadre des investissements d'avenir : nous pensons aux AMI, mais aussi à l'institut d'excellence, qui doit permettre de mettre en place des démonstrateurs en géothermie profonde pour dynamiser la filière.
Le projet de Soultz se distingue en ce qu'il concerne une zone non volcanique. Le site est une anomalie thermique du fossé rhénan, où le gradient de température est de 200 degrés à cinq kilomètres de profondeur. Ce projet franco-allemand, lancé il y a vingt-six ans par le BRGM, en est à la phase pré-industrielle. Il a pris la forme d'un groupe européen d'intérêt économique (GEIE). L'objectif est d'exploiter une ressource géothermale à partir de réservoirs non conventionnels de type granite fracturé.
L'électricité produite est vendue sur le réseau depuis 2011 et bénéficie d'une obligation d'achat à 20 centimes d'euros par kilowatt-heure.
Une pompe fait remonter un liquide très salé qui est exploité dans une centrale de type cycle de Rankine puis réinjecté dans le sous-sol par un autre puits. Les conditions d'exploitation sont ainsi marquées par le caractère agressif de l'eau chaude chargée de sel et de particules de granite.
Les recherches portent sur la connaissance du sous-sol, au moyen de tests de traçage, sur la micro-sismicité induite par la réinjection d'eau, ainsi que sur les conditions d'exploitation : corrosion des matériels, échangeurs de chaleur, pompes de production, dépôts de minéraux par les fluides.
Nous travaillons également sur les nuisances telles que le bruit, les vibrations mais aussi la radioactivité naturelle des roches. Une enquête a montré que l'activité bénéficiait d'une bonne acceptabilité au niveau local, même si les forages suscitent quelques plaintes relatives aux nuisances sonores.
Nous avons des projets de géothermie profonde sur trois autres sites de la vallée du Rhin : Landau, Insheim et Rittershoffen.
Le développement de la géothermie profonde de nouvelle génération, dite EGS, repose sur deux facteurs clés : la température et le débit.
Le gradient géothermique moyen est de 3° C tous les cent mètres. En milieu volcanique, la présence de sources de chaleur magmatiques conduit à des températures élevées à de faibles profondeurs. Des anomalies thermiques existent toutefois, y compris en milieu non volcanique : c'est le cas en Alsace, dans le sillon rhodanien ou en Aquitaine.
S'agissant du débit, la présence de fluide diminue avec la profondeur et sa composition chimique se complique avec la présence de saumures. Le débit rencontré est lié à la porosité ou la perméabilité de la couverture sédimentaire, ainsi qu'à la présence de fractures. La stimulation permet d'améliorer la circulation dans les fractures existantes et d'améliorer la connexion du puits au réseau naturel.
Le projet de Soultz a permis de démontrer qu'on pouvait produire de l'électricité à partir de la géothermie profonde même en dehors des zones volcaniques, d'améliorer les cycles thermodynamiques et d'expérimenter la stimulation. Les nouvelles cibles sont des sites moins profonds que Soultz.
Des perspectives sont ouvertes sur de nouveaux débouchés, tels que les procédés industriels ou les réseaux de chaleur à haute température, et la géothermie représente une filière industrielle stratégique de l'économie verte, reconnue par le ministère dans un rapport de 2010 consacré aux filières vertes.
D'après l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la production d'électricité à partir de géothermie représente aujourd'hui une puissance installée de 11 gigawatts dans le monde. Les priorités sont aussi bien l'exploration des ressources et l'amélioration des techniques, que la mise à disposition des données auprès des acteurs économiques, la recherche de nouvelles techniques de forage ou l'efficacité énergétique des systèmes de cogénération. Il faut développer des démonstrateurs géothermiques de nouvelle génération, des technologies de stimulation, des outils de décision et de modélisation du réservoir, prévenir les impacts et les risques, démontrer la possibilité de production de long terme, exploiter des ressources alternatives telles que la valorisation de l'eau coproduite avec le pétrole et le gaz et les fluides supercritiques. Il est enfin nécessaire d'accroître le financement de la recherche et développement et la coopération internationale.
Les évolutions technologiques et l'expérience de Soultz-sous-Forêts permettent d'envisager un développement significatif de cogénérations géothermiques dans des régions non volcaniques. Le développement de la filière passe par la réalisation de démonstrateurs, aujourd'hui non financés, dans des contextes géologiques variés. Un soutien à la recherche et développement, y compris en amont de ces démonstrateurs, est nécessaire pour développer de nouveaux concepts et alimenter les besoins technologiques. Enfin une couverture du risque géologique doit être mise en place pour permettre à des projets préindustriels et industriels d'émerger.
On parle de production d'électricité par la géothermie depuis trente ans : pourquoi un tel retard ? Pourquoi n'utilise-t-on pas le fluide à moyenne température dans des cycles de Rankine ? Vous n'avez pas évoqué la production de froid : est-ce une application envisageable ?
Comment limiter le débit afin de ne pas épuiser la ressource pour une période de temps donnée ? S'agissant de la fracturation hydraulique, sur laquelle le Sénat a été particulièrement sensibilisé, des problèmes ont-ils été rencontrés à Soultz ? Si oui, comment ont-ils été réglés ?
La France a été pionnière pour la géothermie dans les années 1960 : pourquoi un tel désintérêt ensuite ? Sommes-nous sur le bon chemin pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement ? Que devons-nous faire de plus, concernant par exemple les dispositifs fiscaux et financiers, pour le développement de la filière ? Existe-t-il un mécanisme d'assurance pour le cas où l'on ne trouve pas la ressource attendue lors d'un forage ?
Les expérimentations dans le domaine de la géothermie apparaissaient, il y a une trentaine d'années, très prometteuses. Le coût du carburant, plus encore que les problèmes de corrosion, les ont cependant compromises.
Je suis chargé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), avec mon collègue député Christian Bataille, d'un rapport sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour les hydrocarbures non conventionnels, c'est-à-dire le gaz et le pétrole de schiste. J'ai été frappé, en regardant votre présentation, de la similitude dans l'approche du sujet, que ce soit en matière d'exploration ou de fracturation - vous entendez augmenter le diamètre des microfissures, par de l'eau et des additifs.
Vous avez souligné - cela m'a beaucoup intéressé - l'intérêt du démonstrateur. Le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a été entendu par l'Opecst sur le rapport que j'évoquais. Pensez-vous qu'il pourrait y avoir un rapprochement des données fournies par cet organisme, mais d'autres également, pour compléter notre information sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique. D'autres produits, tel que le propane, pourraient-ils être utilisés ? Ou bien parvient-on aujourd'hui à mieux maîtriser l'usage de l'eau ?
J'ai lancé, dans ma commune du Nord de l'Aquitaine, un premier puits à 2 000 mètres de profondeur en 1979, puis un second en 1993, qui se sont révélés des succès économiques et financiers. Il y avait alors une réelle volonté politique et une intervention de l'Etat comme assureur. Il nous faut aujourd'hui soit une société nationale de géothermie, soit, mieux encore, que les communes et leurs groupements se lancent dans ces démarches. Or, elles ne le feront que si elles sont assurées ; c'est là un facteur déterminant.
Les réseaux de chaleur sont une grande réussite. Le « fonds chaleur » est un outil efficace, mais la demande reste insuffisante.
Faire creuser un puits et aménager un réseau ne posent plus aucun problème technique : nous possédons, en France, le savoir-faire et le matériel nécessaires. Il faut simplement relancer l'assurance, à travers le comité national de la géothermie, et être conscient qu'un dixième des forages peut être improductif pour des raisons naturelles.
Il existe de grandes différences selon les régions : en Île-de-France, les réservoirs ne sont pas réalimentés et il faut donc, en cas de forage, réinjecter de l'eau après avoir capté la chaleur ; en Aquitaine, au contraire, les nappes sont naturellement réalimentées. Or, aujourd'hui, on nous oblige un réaliser un doublé. Du fait de cette exigence, dans les zones où il y a un renouvellement naturel de l'eau, les projets ont été stoppés.
J'essaie dès que possible de recourir aux énergies renouvelables dans ma commune, par exemple en installant des pompes à chaleur. Mais l'utilisation d'eau à des fins thermiques doit donner lieu à sa réinjection après refroidissement. Dès lors, ces projets ne peuvent être menés à bien. On est dans l'absurdité : l'administration nous impose un raisonnement de type « centre - bassin parisien », ce qui va paralyser de nombreux projets rentables. Arrêtons le massacre !
Merci pour cette remarquable présentation. La question métallurgique - problème des eaux porteuses de soufre et d'acide sulfurique - a-t-elle été maîtrisée ?
Quelle est la surface des centrales géothermiques ? Va-t-on pouvoir les diminuer, en vue d'en réduire l'impact environnemental et esthétique ?
Votre exposé était très clair ; pourriez-vous nous préciser l'impact de la géothermie sur la qualité de l'eau ?
Le développement de la géothermie reste limité par plusieurs freins.
Les problématiques de corrosion et d'agressivité des eaux sont désormais bien maîtrisées, pour l'essentiel. Il n'y donc plus d'obstacle technologique, sauf cas particuliers, qui nécessitent de continuer d'investir et de progresser dans la recherche.
Les politiques publiques ne sont pas suffisamment ancrées sur le long terme. Or, une certaine continuité est nécessaire. De plus, la législation est surabondante et inadaptée, et l'administration trop lente et complexe. Il faut six mois en Allemagne pour lancer un projet, contre deux ans en France !
Le risque géologique doit être pris en compte. Les pétroliers l'assument, lorsqu'ils réalisent des forages. Des solutions assurantielles sont aujourd'hui disponibles, sauf pour la géothermie électrique.
Enfin, il faut souligner l'existence d'un frein culturel, avec des peurs irrationnelles liées au sous-sol et l'assimilation du secteur à la fracturation hydraulique, polluante.
Tous ces freins peuvent cependant être levés aujourd'hui. La géothermie présente de nombreux atouts : c'est une industrie non délocalisable et maîtrisée, fournissant une énergie bon marché et disponible sur tout le territoire. Il faut la développer.
On sent un glissement progressif du débat, qui ne porte plus sur la production d'électricité à partir de la géothermie, mais sur l'intérêt de la cette industrie ... Finalement, la question centrale est de savoir quand il sera plus rentable de vendre de l'électricité plutôt que de la chaleur. Je serais très demandeur d'un déplacement à Soultz-sous-Forêts, en tant que président du groupe d'études sur l'énergie.
Nous sommes arrivés à un stade où les collectivités doivent se mettre face à leurs responsabilités, en particulier dans les zones rurales, où il est important de capter de nouvelles ressources. Dans le cadre de la géothermie électrique, elles peuvent investir. Il s'agit donc de savoir où l'on peut faire de l'électricité grâce à la géothermie, à partir de quelle profondeur, pour quel rendement ... Ceci en vue de tracer une carte permettant aux territoires ruraux, ne pouvant installer de réseaux de chaleur, de produire de l'énergie renouvelable et constante.
Il existe en effet une ambiguïté entre la production de chaleur et celle d'électricité. Pour ce qui est de l'électricité produite avec de la vapeur d'eau, et en raison des lois de la thermodynamique, le rendement est d'autant plus important que la température est élevée ; c'est pourquoi des cartes de température vous ont été montrées. Sont donc privilégiés les sites ou les gradients géothermiques sont les plus élevés. C'est le cas à Bouillante, ainsi qu'à Soultz-sous-Forêts.
L'utilisation d'autres produits que l'eau, comme l'ammoniac ou d'autres gaz fluorés, permet d'augmenter les rendements. C'est ce qui se passe aujourd'hui avec les ORC : de nombreuses installations géothermiques fonctionnent avec des températures de 160° tout en ayant des rendements corrects, comme c'est le cas à Soultz-sous-Forêts.
Il y a une limite économique à trouver pour chaque projet en fonction de la chaleur qui n'est pas transformée en électricité, et récupérée. D'où l'idée de cogénération : cette nouvelle génération de géothermie permettra de valoriser un peu d'électricité, avec des rendements moyens, mais beaucoup de chaleur, sur le modèle des usines d'incinération d'ordures ménagères. Il faut des démonstrateurs, à court terme, pour pouvoir tester les projets.
La Guadeloupe possède des caractéristiques climatiques idéales pour la géothermie. Or, on y avantage les centrales thermiques. A Marie-Galante, un grand projet de ferme photovoltaïque ne s'est pas réalisé. Quelles sont les études en cours et les perspectives d'avenir pour le développement de la géothermie à Bouillante ?
En tant que président-directeur général de Géothermie Bouillante je peux vous indiquer qu'il y a des perspectives sérieuses pour développer la géothermie à Bouillante, sur le territoire de la concession qui a été octroyée en 2009 à notre société. Au nord de la baie de Bouillante, des discussions sont en cours sur un projet appelé « Bouillante III », à 1,5 kilomètre des sites déjà existants. Nous avons des autorisations pour réaliser des forages d'exploration. Nous avons buté jusqu'à présent sur des problèmes de négociations avec les propriétaires de terrains, et la mairie de Bouillante, au sujet de l'accès effectif à cette zone. Le territoire est marqué par une densité de population assez élevée, avec un habitat dispersé, et des zones naturelles à protéger. Il est donc difficile d'obtenir l'accord de tous pour réaliser les forages.
La création d'une redevance au profit des communes permettrait de débloquer la situation dans les îles. Aujourd'hui, la société géothermique paye les taxes habituelles. En revanche, il n'y a absolument aucun avantage spécifique lié à l'utilisation de la ressource géothermique pour la commune. Nous avons proposé, avec le soutien du Syndicat des énergies renouvelables, l'instauration d'une redevance de type redevance minière, comme il en existe pour l'exploitation des mines métalliques, du pétrole ou du gaz. Cette redevance pourrait être versée aux communes, et éventuellement à la région ou au département. Toutefois, si on veut que cette redevance soit d'un niveau suffisamment significatif pour que la commune en tire un bénéfice réel, il faut que ce montant de redevance supplémentaire soit compensé auprès de l'entreprise par une légère augmentation du prix de vente de l'électricité à EDF. L'électricité géothermique est aujourd'hui dans les îles la moins chère qui existe.
Pour répondre à la question d'Hélène Masson-Maret, il nous faut distinguer entre la chaleur et l'électricité, dans la mesure où les problématiques sont un peu différentes en matière d'impact environnemental et esthétique. Je vous invite à aller à Sucy-en-Brie, où se situe une très belle installation de géothermie produisant de la chaleur, avec un triplet, c'est-à-dire trois puits. Les têtes de puits sont enterrées dans le parc du château de Sucy-en-Brie, vous pouvez vous déplacer sans même les voir. La centrale est souterraine, et aucun équipement n'est visible. En matière de production de chaleur, l'impact visuel se limite donc à la période des travaux de forage.
En ce qui concerne l'électricité, les besoins de refroidissement sont supérieurs. Il est nécessaire de faire appel à des technologies en aérien, soit des aéro-réfrigérants, soit un refroidissement à l'eau. L'impact visuel peut donc être supérieur, et nous travaillons à l'intégration environnementale des équipements très en amont dans les projets. Des esquisses ont par exemple déjà été faites dans le cadre du projet « Bouillante III » pour parfaitement s'intégrer dans le paysage.
Sur la question de l'épuisement de l'énergie, dès la conception des installations et dans la manière de les exploiter, le but poursuivi est toujours d'avoir une exploitation pérenne de la ressource géothermale. Cela passe par différents paramètres. Sur un doublet, on calcule les écartements de puits pour que l'exploitation se fasse bien à l'échelle de temps sur laquelle elle est planifiée. Nous sommes aujourd'hui limités par le vieillissement des puits au bout d'une quarantaine d'années. Comme tout projet économique, les temps de retour sont plutôt d'une vingtaine d'années, vous comprenez donc l'intérêt de ces opérations.
Sur les questions de refroidissement, plusieurs méthodes existent. Pour la géothermie superficielle, on peut tirer profit du fait que le sous-sol proche reste toute l'année aux alentours de 15 degrés. A partir de là, soit on fait du froid en faisant tourner une pompe à chaleur à l'envers, soit on recourt à la technique du géo-cooling. L'efficacité énergétique de ces méthodes est excellente.
Par rapport aux objectifs du Grenelle de l'environnement, on assiste aujourd'hui à un réel développement de la filière sur un certain nombre de segments, notamment la géothermie assistée par pompe à chaleur pour l'habitat collectif et les bureaux. Sur le logement particulier, une réflexion est à mener, en particulier sur le volet réglementaire et fiscal. Ce marché doit être soutenu, compte tenu du fort investissement de départ nécessaire. En métropole, il convient de développer encore les applications en matière d'électricité et de chaleur, via notamment les réseaux de chaleur, qui peuvent être très utiles, dans une logique d'aménagement du territoire, pour alimenter un tissu économique local.
J'aimerais revenir sur les questions concernant la stimulation hydraulique. Les objectifs de la fracturation hydraulique et ceux de la stimulation sont bien distincts. En géothermie, des fractures naturelles existent dans le milieu. Le but de la stimulation va être d'en ouvrir quelques unes, sans avoir vocation à en ouvrir beaucoup. L'objectif n'est pas le même pour les gaz de schiste pour lesquels il s'agit de récupérer le gaz piégé dans la roche, et donc d'ouvrir le maximum de fractures. Dans la mesure où des fractures sont déjà présentes en géothermie, les pressions sont plus faibles au moment de la stimulation. Les impacts et les risques sont donc moindres. Une des critiques adressées aux gaz de schiste concerne les volumes d'eau à mobiliser. En géothermie, la stimulation hydraulique est effectuée au début de l'opération pour créer ou améliorer le système géothermique. Les temps de fonctionnement sont ensuite de plusieurs dizaines d'années. Les gaz de schistes requièrent en revanche des fracturations successives. Les volumes d'eau utilisés en géothermie sont moindres, dans la mesure où on réutilise le fluide de formation, présent dans la roche, pour mener l'opération de stimulation.
Sur l'enjeu de la sismicité induite, Albert Genter a rappelé ce qui était mis en place en matière de monitoring. Dans le cadre de la stratégie de stimulation hydraulique, une feuille de route doit être respectée, afin d'utiliser des pressions et des procédés compatibles avec la maîtrise de la sismicité induite.
J'aimerais ajouter un mot sur la question des hydrocarbures ou gaz de roches mères, bien que ce ne soit pas le sujet d'aujourd'hui. Les roches mères sont extrêmement imperméables, ce qui explique que les hydrocarbures ou gaz n'aient pas migré au cours du temps. La matière organique est emprisonnée depuis des centaines de millions d'années. Il faut casser cette matrice très compacte avec de la fracturation pour aller chercher la ressource.
En géothermie, il s'agit au contraire de trouver des zones poreuses. Si elles sont insuffisamment poreuses, on ouvre des microfissures. Le granit à Soultz-sous-Forêts n'a rien à voir avec les roches mères. L'idée qui a pu être étudiée, il y a une trentaine d'années, d'aller dans des roches totalement sèches, qu'on appelait roches chaudes sèches, est aujourd'hui quasiment abandonnée. Pourquoi aller dans des roches sèches alors qu'on a des roches humides ? Il vaut mieux aller dans des zones où il y a déjà de la circulation d'eau et améliorer les conditions de cette circulation. C'est le sens de la stimulation hydraulique.
Je voudrais revenir également sur la question d'Evelyne Didier s'agissant de la qualité de l'eau. Il faut là encore distinguer entre les différentes formes de géothermie. Lorsqu'on est dans de la géothermie profonde, on a en général à faire à de l'eau salée. Il faut éviter de la rejeter de manière inconsidérée dans l'environnement. Si je prends l'exemple de Bouillante, cette eau est moins salée que l'eau de mer et peut être rejetée en mer. A terre, on ne peut pas mélanger l'eau douce de surface avec de l'eau salée provenant des profondeurs, d'où la réinjection.
Quand on fait un puits, on prend toujours un risque, maîtrisé, de pollution des eaux souterraines. Si le puits est mal réalisé, on risque de mettre en communication différentes nappes à différents niveaux. On peut aussi, dans certaines circonstances, mettre de l'eau en communication avec des roches qui supportent mal l'eau, comme le sel, ou le gypse, ce qui peut créer des désordres mécaniques. Ces problématiques soulignent l'importance de la qualité du forage et de la qualification des entreprises du forage. Un bon foreur doit savoir cimenter son puits pour éviter tout passage d'eau d'un aquifère vers d'autres horizons.
Les techniques utilisées en géothermie sont pour l'essentiel les techniques de forage d'eau. Les foreurs d'eau sont les foreurs de la géothermie. Ce sont donc des technologies qu'on maîtrise, parfois depuis des centaines d'années. On sait pomper, acidifier un puits, l'isoler. Il n'y a pas de risques lorsqu'on procède dans les règles de l'art.
Un complément sur la protection des nappes d'eau souterraines : MM. Demarcq et Andreini ont répondu par rapport à la période des travaux de forage, qui dure généralement quelques mois. En cours d'exploitation, il est important de rappeler que l'ensemble des opérations de géothermie est réglementé par des arrêtés préfectoraux qui définissent les règles à respecter, avec des inspections des forages tous les trois ou cinq ans. L'intégrité des cuvelages est vérifiée. Toutes les précautions sont donc prises au cours de l'exploitation pour ne pas altérer les ressources en eau potentiellement potables aux alentours.
En termes de doublets, la réinjection n'est pas toujours imposée, même si la tendance est effectivement à essayer de restituer au milieu naturel d'origine les quantités d'eau qui ont été prélevées dans un aquifère. Nous travaillons à l'heure actuelle sur un projet à Mont-de-Marsan, où se situent deux puits de production de géothermie. Nous avons essayé de trouver, avec la régie des eaux, une solution consistant à ne pas tout réinjecter, et à garder une partie de l'eau notamment pour de l'irrigation, dans la mesure où cette eau a une qualité chimique qui le permet.
Votre carte montre qu'il y a d'importantes ressources géothermales dans les failles rhénane et rhodanienne. A Soultz, trois forages de cinq kilomètres de profondeur ont été effectués. N'y a-t-il pas des risques en termes de sismicité à effectuer des forages aussi profonds dans des zones de faille ?
L'Alsace est en effet la deuxième région sismogène de France. Je ne connais cependant aucun projet de géothermie qui ait déclenché de séismes. Il n'y a pas de risque sismique associé à l'acte de forage. On peut observer des séismes lorsqu'on réalise des expériences de stimulation dans le cadre du fossé rhénan, lorsqu'on rouvre des failles granitiques colmatées pour créer des chenaux. Toute l'eau trouvée est cependant réinjectée dans le milieu.
Je vous remercie pour cette présentation et ce débat très riches. A la suite de l'audition du responsable de la réécriture du code minier, Thierry Tuot, nos deux commissions ont décidé de créer un groupe de travail pour suivre cette réforme. Il serait intéressant que, dans ce cadre, la problématique de la géothermie fasse l'objet d'un examen attentif.