Mission d'information sur l'action extérieure de la France

Réunion du 12 juin 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Je vous prie d'excuser M. de Raincourt, le président de la mission, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui. Nous nous intéressons à l'action extérieure de notre pays en matière de recherche pour le développement, en particulier aux partenariats que les chercheurs français entretiennent avec ceux du Sud : l'INSERM est présent dans les pays en développement et nous sommes impatients de connaître votre point de vue.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Les organismes qui s'occupent des sciences du vivant et de recherche biomédicale sont nombreux et c'est peu dire que, de longue date, leurs programmes n'ont guère été coordonnés, ce qui n'est pas un atout face à nos interlocuteurs du Sud. C'est pourquoi, lorsqu'il m'a été demandé de prendre la tête de l'Inserm, suite à l'affaire du chikungunya, j'ai d'emblée souhaité plus de coordination entre ces différents acteurs : nous sommes parvenus alors à mettre sur pied l'Alliance pour les sciences de la Vie et de la Santé, Aviesan. Je n'ai pas souhaité une structure supplémentaire et c'est pourquoi Aviesan est restée informelle. Elle regroupe des bonnes volontés, issues de tous les établissements publics de recherche en matière de santé, mais également des acteurs privés, comme la Fondation Mérieux. Les industriels étant eux-mêmes tout aussi dispersés que les chercheurs, j'avais suggéré qu'ils se regroupent également, ce qui a donné lieu à l'Alliance pour la Recherche et l'Innovation des Industries de Santé (Ariis). L'Ariis est ainsi membre d'Aviesan et Aviesan siège au Conseil d'administration de l'Ariis. L'INRIA est elle aussi membre fondateur d'Aviesan. Un Groupe Avisan Europe a également été mis en place, de même qu'un Groupe Aviesan Sud, pour plus de coordination thématique.

Aviesan compte une quinzaine d'experts, choisis pour leurs compétences et qui peuvent mettre en place des groupes comme ils le souhaitent. Ces entités ne disposent ni de budgets, ni de structures précises, pas même d'une association de loi 1901. Aviesan, aux côtés des quatre autres alliances thématiques, est donc une plateforme pour mieux coordonner nos programmes de santé, sur des thématiques dont nous débattons avec le Gouvernement : la ministre nous réunit tous les mois et nous avons largement débattu de la stratégie nationale de recherche - du reste, l'alternance politique n'a rien changé sur le fait que nous soyons des interlocuteurs naturels du Gouvernement. Nous parlons ainsi d'une même voix, même si nos différentes entités continuent d'exercer dans des champs d'application bien différents. Aussi, lorsque nous rencontrons des ambassadeurs ou des dirigeants politiques à l'étranger, nous sommes bien plus lisibles qu'auparavant, ce qui constitue un changement considérable par rapport à la politique précédente.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Elle fonctionne grâce à la bonne volonté des gens. J'ai toujours cru aux hommes et aux femmes et quelle que soit la qualité des règlements intérieurs, si les gens ne s'entendent pas, ils ne respecteront pas les règles qu'ils se fixent. Ce type de structure ne peut fonctionner que si chacun s'entend et y voit son intérêt.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Aviesan Sud a permis de rationaliser l'architecture du réseau des implantations françaises à l'étranger et d'améliorer notre coordination vis-à-vis des bailleurs de fonds. L'Alliance invite aussi à concentrer notre action sur un petit nombre de priorités, parce que face à des concurrents comme le Welcome Trust et le Medical Research Council, nous devons nous rassembler pour peser. En Angola et au Mozambique, les Portugais souhaitent que nous travaillions ensemble. En Asie du Sud-est, nous nous appuyons sur le réseau des Instituts Pasteur, l'ANRS et l'IRD et nous sommes également présents en Amérique du Sud, notamment.

J'ai proposé également des programmations conjointes au niveau européen sur la maladie d'Alzheimer. En effet, l'addition des budgets que les Etats européens consacrent à Alzheimer équivaut à celui du National Institutes of Health (NIH) américain. Nous avons aussi proposé un programme européen de préparation de l'Europe face à une nouvelle pandémie : nous avons défendu ce dossier avec Jean-François Delfraissy, c'est concret.

Aviesan Sud poursuit un projet relatif aux encéphalites en Asie du Sud-est, un programme de recherche en partenariat qui a démarré en octobre 2012. Nous travaillons avec des équipes locales, au Cambodge, au Laos et au Vietnam et des équipes françaises du CIRAD, de l'IRD, de l'Institut Pasteur et de l'Inserm et le projet est financé par tous les membres d'Aviesan Sud.

Au moment de l'annonce de la grippe H1N1, c'était l'hiver dans l'hémisphère sud, mais c'était encore l'été en Europe et le virus de la grippe n'était pas encore arrivé dans nos contrées, mais les trois instituts thématiques (microbiologie, santé publique et technologies de santé) se sont réunis dans les 24 heures suivant cette annonce.

Pour le chikungunya, le ministre de la Recherche de l'époque a convoqué les directeurs généraux de tous les organismes des agences sanitaires, qui, trois heures avant la réunion, n'avaient jamais entendu parler de ce virus et n'ont pas pu se coordonner.

J'ai indiqué aux deux ministres de tutelle que nous rencontrerions certainement un problème de ce type à nouveau, ce qui s'est d'ailleurs passé, avec la grippe H1N1. Pour ce virus, en moins de 24 heures, nous avons présenté le programme de recherche aux tutelles et des publications continuent de paraître aujourd'hui au sujet du H1N1. L'analyse de cohortes qui se trouvaient à la Réunion a associé le CIRAD, l'INSERM, l'IRD et l'Université de la Réunion, qui travaille en liaison étroite avec Madagascar, les Comores et l'Inde. Voilà un exemple du rôle de cette coordination.

Pour les encéphalopathies, nous sommes en train de construire une plateforme au Cambodge, sur le site de l'institut Pasteur de Phnom Penh, avec des financements de l'Inserm, de l'ANRS, de l'Institut Pasteur, de l'IRD et de la Fondation Mérieux. Cette plateforme travaillera dans le domaine de la recherche sur les maladies infectieuses transmissibles et émergentes dans le Sud-est asiatique.

Le Centre de recherche et de veille de l'Océan Indien (CRVOI) deviendra une unité mixte de recherche. Nous travaillons également avec le centre international de recherche biomédicale de Franceville au Gabon.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Comment cette coordination s'articule-t-elle dans le domaine de la recherche avec les équipes de recherche du Sud ? Comment les objets de recherche sont-ils choisis ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Ces choix reposent sur l'excellence. L'Inserm développe des laboratoires internationaux associant des chercheurs de l'Institut et des chercheurs étrangers, qui ont la volonté de travailler ensemble sur une même thématique et qui sont complémentaires. Le laboratoire international est donc implanté à deux endroits différents. Nous payons les déplacements de nos chercheurs et l'autre laboratoire, paye les déplacements des siens. Ces laboratoires internationaux associés ne coûtent pas cher et sont situés aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Corée, à Taïwan, en Inde, etc. Leur organisation repose sur une base égalitaire. Dans nos laboratoires en Inde, nous travaillons sur le diabète, les maladies cardiovasculaires, etc. Nous avons également des laboratoires en Amérique du Sud, au Mexique, au Brésil, nous avons ainsi noué beaucoup de liens avec les universités brésiliennes, établis sur l'excellence.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Les demandes viennent-elles plutôt du Nord ou du Sud ? S'agit-il de rencontres, au gré des recherches ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Il s'agit effectivement de rencontres ou de thématiques communes. Pour le travail sur la maladie de Chagas au Brésil, l'historique joue également, car Chagas faisait partie de l'Institut Pasteur. Nous développons l'immunologie et l'imagerie au Brésil, ainsi que les neurosciences et le domaine cardiovasculaire. Nous souhaitons renforcer les échanges de chercheurs avec le Brésil et avons passé un accord avec l'équivalent de l'Institut Pasteur dans ce pays, qui fait des vaccins. Les financements brésiliens en matière de santé sont assurés au niveau des différents Etats. L'Etat de Sao Paulo accorde ainsi 2 % de son budget à la recherche, alors que son budget global augmente de 8 % par an. La recherche dans cet Etat ne souffre donc pas de problèmes de financement et nous avons tout intérêt à développer les échanges de chercheurs avec le Brésil.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Avec le projet Bilhvax, l'Inserm souhaite développer un vaccin thérapeutique contre la bilharziose au Sénégal. Au Sénégal, suite aux irrigations aménagées pour la culture du riz, la bilharziose urinaire s'est diffusée chez les enfants ; pour l'endiguer, nous mettons en place un projet avec la région Nord-Pas-de-Calais.

En Côte d'Ivoire, nous disposons d'un laboratoire qui s'occupe principalement du Sida. Au Mali, à Bamako, un chercheur passe des publications sur le paludisme dans Nature, c'est-à-dire le top niveau international. Son université est largement sponsorisée par les Américains. Nous travaillons par ailleurs aussi en Algérie, au Maroc, au Liban, en Asie du Sud-Est, à Madagascar. Nous travaillons aussi avec l'Argentine, pays très avancé et comparable au nôtre, mais très américanisé également. Les post-doctorants de ce pays continuent fréquemment leurs recherches aux États-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

L'Inserm travaille-t-il davantage avec des instituts de recherche et des universités du Sud ou plutôt avec des chercheurs isolés ? Les partenariats sont-ils effectués avec l'institution, au niveau national ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Oui, ces partenariats sont toujours noués avec des institutions et jamais avec des chercheurs isolés.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Quelles difficultés rencontrez-vous dans la mise en oeuvre de ces partenariats ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Je déplore que la politique du ministère des affaires étrangères soit déconnectée de nos actions. Ce ministère a tendance à lancer ses propres projets et à organiser des réunions avec des chercheurs, sans que ces derniers soient évalués. Je relaie donc ce message systématiquement auprès des ambassadeurs de France lors de mes séjours à l'étranger, mais ne rencontre qu'un succès mitigé, même si nous recevons parfois le plein soutien des ambassadeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Ces deux approches peuvent pourtant être complémentaires : la vôtre, la recherche de l'excellence au niveau mondial, qui s'inscrit dans la compétition mondiale et une autre approche, de recherche en coopération, pour et par le développement, afin de faire émerger les équipes du Sud.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

La recherche est bonne, ou elle n'est pas de la recherche, c'est-à-dire qu'elle ne fait que répéter ce que d'autres ont déjà trouvé et qu'elle représente alors une perte d'argent. Faire une mauvaise recherche dans un pays du Sud ne sert à rien, ni aux chercheurs du Nord, ni aux chercheurs et aux populations du Sud. Le problème, c'est d'arriver avec des projets qui ne relèvent pas vraiment de la recherche et de croire que les chercheurs du Sud y seront intéressés, alors que, dans chacun des pays où nous travaillons, des chercheurs excellent dans leurs domaines, même s'ils manquent parfois de formation et de financements, ce en quoi nous pouvons les aider.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Nous pouvons aider à monter des laboratoires, à former des chercheurs, en liaison avec un laboratoire français plutôt qu'avec un laboratoire américain ou canadien. Dans les pays du Sud, nos concurrents principaux sont le Wellcome Trust et le Medical Research Council. Le Wellcome Trust dispose de 16 milliards de livres et dépense chaque année 700 millions de livres. Il faut donc que nous développions des moyens pour faire face à de tels concurrents.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Quelles méthodes ou outils pourraient-ils vous permettre d'améliorer votre action ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Sans moyens, nous ne ferons pas de miracles, car la concurrence est forte. Nous devons donc être capables d'attirer des thésards, des post-doctorants et de favoriser leur retour. Nous devons également être en mesure d'implanter des laboratoires dans ces pays du Sud. Nous avons développé un partenariat entre l'Institut hospitalier universitaire Méditerranée (IHU) de Marseille et un laboratoire situé au Sénégal, où des développements technologiques de pointe devraient être installés, ce qui nécessite donc des moyens.

Nous souhaitons également améliorer notre cohésion avec le ministère des Affaires étrangères.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Il faut donc que nous travaillions ensemble et que ce ministère ne poursuive pas seuls ses projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Les instituts spécialisés tels que l'IRD relèvent d'une double tutelle, avec lesquelles ils sont censés travailler. Quelle est votre analyse de cette double tutelle entre la recherche et les affaires étrangères ? La recherche pour le développement est censée doter les populations du Sud des outils propres à leur développement, s'inscrire dans les politiques dites de renforcement des capacités. Comment analysez-vous la coopération de deux tutelles ministérielles à ce titre ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

En l'occurrence, cette coopération permet à l'IRD d'implanter des laboratoires en Amérique du Sud, en Afrique, etc. Toutefois, encore faut-il pour ce faire que ces pays excellent dans les domaines en question.

L'Inserm n'a pas vocation à dire dans quels pays la France a intérêt à s'implanter, c'est le rôle de la diplomatie, du ministère des Affaires étrangères ; symétriquement, ce ministère ne devrait pas se mêler de recherche, ce n'est pas sa compétence.

Jusque l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, les National Institutes of Health (NIH) étaient dirigés par Elias Zerhouni, nommé par Georges Bush et qui a doublé le budget de ces instituts en cinq ans, à 31 milliards de dollars. Elias Zerhouni, à présent vice-président de Sanofi, est arrivé en France il y a vingt ou trente ans où il lui a sans doute été difficile de s'épanouir en tant que médecin. Il est parti aux États-Unis et il est devenu doyen de l'université John Hopkins. Après avoir dirigé les NIH, il a été nommé par Barack Obama ambassadeur pour la science dans les pays du Maghreb et du Golfe. Dès lors, que pouvons-nous faire face aux États-Unis dans ces pays ? Nous devons donc trouver les moyens d'être performants. Elias Zerhouni a par exemple proposé de faire venir 160 épidémiologistes au Maroc, pour développer la santé publique dans ce pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

La recherche pour le développement a-t-elle du sens selon vous ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Évidement. Des pays auparavant considérés comme sous-développés sont en train de nous doubler aujourd'hui. Si nous considérons que l'Afrique sera le continent d'avenir et que tous les jeunes chercheurs de ce continent suivent leurs études dans des universités américaines, nous risquons d'être fort dépourvus à terme et avons intérêt à ce que ces chercheurs viennent en France.

Pour prendre un autre exemple, l'ex-ministre de la santé en Chine, Zhu Chen, a réalisé son post-doc à l'hôpital Saint Louis et il regarde la France avec sympathie. Il promeut les centres d'investigation clinique français en Chine. Il s'agit d'un excellent chercheur, qui vient de publier un papier dans Nature. Il dirige également le pôle de génétique de Shanghai, qui appartient au réseau Aviesan Sud. Autrefois, les laboratoires chinois étaient d'un piètre niveau et ne disposaient d'aucune publication de qualité, contrairement à aujourd'hui. Nous avons donc tout intérêt à être présents en Chine.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Qu'en est-il de votre évaluation de tous les acteurs et opérateurs de la recherche ?

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Nous évaluons effectivement les laboratoires internationaux associés.

Debut de section - Permalien
André Syrota, président-directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Oui, l'AERES doit les évaluer. L'Inserm ferme d'ailleurs certains laboratoires suite à ces évaluations et en ouvre d'autres. Nous venons ainsi de fermer un laboratoire en Israël et venons d'en ouvrir un autre dans ce pays.

Il faut que la recherche soit utile, mais sans compassion : il faut faire de la bonne recherche.