Deux jours après l'approbation par le Sénat de la loi de programmation militaire, à laquelle vous avez beaucoup oeuvré, je peux vous exprimer la satisfaction du Sénat d'avoir mené à bien un débat de qualité et où tous les acteurs étaient de bonne foi. Nous avons adopté des amendements ayant une forte valeur symbolique, visant essentiellement la sécurisation financière, mais aussi renforçant les pouvoirs de contrôle des parlementaires. Avec Xavier Pintat et Jacques Gautier, nous avons été au fond de la question ; nous avons même remis autour de la table des gens qui ne se parlaient plus, mais certains refus incompréhensibles nous ont agacés.
Nous vous entendons aujourd'hui sur les crédits pour 2014 du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sur lesquels nous donnons un avis par la voix de deux rapporteurs : Jacques Berthou et Jean-Marie Bockel. Le positionnement du budget de votre service - rattaché au premier ministre - au sein du programme 129 « Coordination de l'action gouvernementale » de la mission « Direction de l'action du gouvernement » explique que nous l'étudiions pour la première fois. Cette mission faisait l'objet d'un rapport au fond de la commission des finances et le programme 129 d'un rapport pour avis de la commission des lois. Or de nombreuses compétences du SGDSN concernent directement la défense : la lutte contre la prolifération, l'exportation de matériel de guerre, la planification en fait de défense et sécurité, l'entrainement et la préparation à la gestion de crises graves, la protection du secret de la défense nationale, la sécurité des communications gouvernementales, des systèmes d'informations et la cyberdéfense.
Le SGDSN avait préparé le Livre blanc par un document d'orientation stratégique dès la fin de l'année 2011 ; il a participé à l'élaboration du Livre blanc et au projet de loi de programmation militaire. Cette activité intense s'est ajoutée aux missions générales et quotidiennes du SGDSN au service du Président de la République et du premier ministre sur l'ensemble des sujets relevant de la sécurité nationale et de la défense. La croissance exponentielle du nombre d'intrusions informatiques contre les infrastructures nationales a conduit le Gouvernement en 2009 à créer une agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) qui m'est rattachée et est chargée de répondre aux attaques contre les administrations de l'État, mais aussi désormais contre les opérateurs d'importance vitale (OIV) et les entreprises indispensables à notre stratégie de sécurité nationale.
Le SGDSN est structuré autour de deux directions consacrées d'une part à la protection et à la sécurité de l'État (PSE) et d'autre part aux affaires internationales, stratégiques et technologiques (AIST). Elle comporte une agence, l'Anssi et assure la tutelle de deux établissements publics de formation : l'institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et l'institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
Le SGDSN est d'abord un outil au service du gouvernement pour le traitement des sujets sensibles en matière de défense et de sécurité nationale. Il assure ainsi le secrétariat du Conseil de défense et de sécurité dans toutes ses formations. Cette instance présidée par le Président de la République est compétente sur la programmation militaire, la politique de dissuasion, la programmation de sécurité intérieure, la sécurité économique et énergétique, la lutte contre le terrorisme ou la planification de réponse aux crises. Au cours des douze derniers mois, elle a notamment préparé les travaux permettant de valider le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale et le projet de loi de programmation militaire. Ce conseil dans sa formation restreinte a examiné les orientations à prendre pour la conduite des crises diverses, comme celles du Mali, de la Syrie ou de la République centrafricaine. Il comporte deux formations spécialisées qui traitent de sujets spécifiques avec une composition adaptée : le Conseil des armements nucléaires et le Conseil national du renseignement.
Le SGDSN dispose d'une capacité d'analyse et de synthèse, de veille, d'alerte et d'appui à la décision relatives aux questions de sécurité internationale afin de répondre à des demandes du cabinet du Premier ministre ou de la présidence de la République. Sa direction AIST suit les conflits et les crises internationales susceptibles d'affecter les intérêts français, en particulier ceux dans lesquels nos forces sont engagées et anime des groupes interministériels d'analyse sur des sujets tels que les crises affectant le monde arabe, l'Iran ainsi que les zones sahélo-saharienne et afghano-pakistanaise. En fonction de l'actualité, elle peut être sollicitée pour produire des synthèses sur l'évolution de la situation de certains théâtres d'opération, comme depuis janvier 2013 avec la diffusion régulière d'une synthèse de la situation au Sahel. Elle assure la coordination interministérielle sur des questions d'ordre stratégique, telles que le terrorisme, la défense anti-missiles balistiques, le développement du recours aux entreprises de services de sécurité et de défense, la protection des navires dans les zones à risques. Elle est chargée sur ces dossiers de proposer au Président de la République et au gouvernement des orientations et arbitrages.
Le SGDSN assure aussi une veille scientifique et technique permanente dans les domaines nucléaire, radiologique, biologique, chimique et relatif aux explosifs (NRBCE), ainsi que dans le domaine des missiles et le domaine spatial. Il coordonne ou concourt activement aux actions interministérielles portant sur la lutte contre la prolifération, la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation, la sécurité du programme européen de navigation par satellite Galileo et le contrôle des images spatiales. Il coordonne des études en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs et produit des documents de synthèse sur les dossiers d'actualité, tels que l'Iran, la Syrie et la Corée du nord. Il assure le secrétariat du comité interministériel pour l'application de la convention sur l'interdiction des armes chimiques (Ciac) et coordonne les travaux portant sur la biologie de synthèse. Il coordonne la réponse nationale à l'initiative internationale Proliferation Security Initiative (PSI), consistant à échanger entre pays membres des informations sur des transits par voie maritime de cargaisons proliférantes et à faciliter leur interception. Celles-ci se multiplient : huit affaires d'interception de biens proliférants ont été menées dans ce cadre depuis l'été 2012.
La France dispose d'une importante base industrielle et technologique de défense qui contribue à la préservation de notre souveraineté, participe à la croissance économique et représente des dizaines de milliers d'emplois. L'exportation de matériels de guerre est soumise à une procédure d'autorisation préalable par décision du Premier ministre - ou du SGDSN par délégation - après avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), dont le SGDSN assure le secrétariat tout en construisant une doctrine dans ce domaine. Le dispositif de contrôle des exportations de matériels de guerre découlant de la loi du 22 juin 2011 évolue : l'année prochaine, un système simplifié de licence unique d'exportation et de transferts intracommunautaires remplacera le mécanisme actuel. Par ailleurs et conformément aux conclusions du Livre blanc de 2013, le SGDSN contribue à une réflexion plus générale sur le renforcement du contrôle des exportations de biens et technologies à double usage et participe à la totalité des commissions interministérielles des biens à double usage (CIBDU). La France a obtenu, dans le cadre de l'arrangement de Wassenaar, que les outils de surveillance et de contrôle de l'internet soient soumis à autorisation avant leur exportation, comme les matériels d'interception des communications téléphoniques mobiles depuis 2011.
Le SGDSN contribue ensuite à la politique de sécurité nationale. Il procède à la rénovation des plans de protection de la famille Pirate - dont le plan Vigipirate de lutte contre le terrorisme - dans la continuité du travail engagé en 2012, pour aboutir fin 2013 à un nouveau plan Vigipirate qui gardera les principes qui font la force du plan actuel mais qui sera rendu plus efficace par une meilleure visibilité. Une grande partie du plan, aujourd'hui classifié, devrait ainsi être rendue public. Le pilotage des postures de protection sera également amélioré par une caractérisation plus fine des menaces terroristes et des vulnérabilités. Dans les deux ans à venir, les autres plans d'intervention de la famille Pirate - Pirate-air, Pirate-mer, Piranet - seront révisés, à l'exception du plan NRBC qui date de 2011.
Le premier ministre a confié en août dernier au SGDSN une mission relative à la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de prévention de la radicalisation, visant à identifier et réduire les vulnérabilités des individus et des groupes face aux idées radicales de toute nature pouvant déboucher sur l'action violente. Lancés début septembre, les travaux associent l'ensemble des ministères concernés et permettent une analyse des dispositifs existants en les comparant avec les initiatives étrangères.
L'organisation gouvernementale de gestion de crise a été consolidée ; la professionnalisation de ses acteurs a été engagée depuis 2012 par des exercices majeurs rénovés et des entrainements spécifiques permettant de former les personnels armant la cellule interministérielle de crise (CIC). Les premiers effets positifs de ce programme global de professionnalisation ont pu être mesurés lors des derniers exercices majeurs, ainsi qu'au travers du bon fonctionnement de la CIC lors des dernières crises, à l'exemple de l'épisode neigeux de l'hiver 2012-2013. Le SGDSN a poursuivi son action de développement d'une culture d'anticipation des crises au sein des ministères.
La gestion de crise s'accompagne d'un renforcement de la résilience qui doit être perçue à la fois comme un objectif (renforcer la cohésion et la solidité de la Nation face aux risques et menaces) et comme une méthode (mobiliser tous les acteurs). Pour atteindre ce double objectif, le SGDSN a initié en 2012 les travaux visant à instaurer une politique nationale de résilience qui s'appuie sur le dispositif de sécurité des activités d'importance vitale, ainsi que sur des actions complémentaires permettant d'améliorer la continuité des activités indispensables à la nation. Il a ainsi publié un guide d'aide à l'élaboration des plans de continuité d'activité à destination des administrations, des collectivités et des entreprises.
Le contrat général interministériel créé par le Livre blanc déterminera, dans une perspective de programmation budgétaire, les capacités critiques des ministères civils et leur niveau d'engagement dans la réponse aux crises majeures. Cette démarche sera prolongée à l'horizon 2016 sous l'autorité du ministre de l'intérieur par une planification territoriale.
Le SGDSN a préparé la mise en place du comité de la filière industrielle de sécurité (Cofis), qu'installera ce soir le Premier ministre. Rassemblant onze ministres, vingt et un présidents-directeurs généraux de sociétés, cinq présidents de groupements industriels et dix-neuf personnalités qualifiées, dont des représentants de la recherche académique, la présidente de la commission informatique et liberté (Cnil) et plusieurs parlementaires, le Cofis définira les besoins et les orientations de la filière : à la différence de l'industrie de défense, qui n'a qu'un seul client, l'État, l'industrie de la sécurité n'a jamais fait l'objet d'une planification. Nos forces font dès lors leurs achats bien souvent sur étagère, et parfois au profit de fournisseurs étrangers.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale marque une nouvelle étape dans la prise en compte par les pouvoirs publics des questions liées à la cybersécurité. La France doit faire face à l'espionnage et au sabotage - encore peu présent, mais auquel il faut se préparer. Les dispositions de la loi de programmation militaire font écho à cette préoccupation.
L'Anssi, quant à elle, a la responsabilité de conduire ou de coordonner l'ensemble des actions destinées à prévenir les attaques contre les systèmes d'information et à réagir en cas d'atteinte à leur disponibilité ou à leur intégrité. Son action s'exerce principalement au profit de l'État, mais également des opérateurs d'importance vitale du secteur public et privé. Elle est chargée, dans son champ de compétences, d'élaborer la stratégie de l'État et de développer et d'entretenir la coopération internationale. Cette stratégie nationale partiellement couverte par le secret de la défense nationale se fixe pour objectifs la protection de l'information de souveraineté de l'État, la sécurisation des systèmes d'information des entreprises les plus sensibles et le positionnement de la France comme nation majeure en matière de cyberdéfense. Elle protège ainsi les systèmes d'information de l'État et des OIV et assure la sécurité des communications du Président de la République et du gouvernement ; elle coordonne l'action gouvernementale en cas d'attaque ou de compromission des systèmes et prend la main en cas d'attaque majeure. Elle donne des instructions aux opérateurs conformément à la loi de programmation militaire et mobilise des groupes d'intervention rapide.
En 2012, l'Anssi a traité 27 cyberattaques majeures visant des administrations ou des grandes entreprises nationales ; ses effectifs étaient insuffisants pour traiter toutes les attaques dont elle a eu connaissance. Elle héberge le centre d'alerte et de réaction aux attaques informatiques (CERT), qui est alerté sur des incidents, analyse les codes malveillants, rédige des synthèses des incidents traités et propose le cas échéant des mesures générales de prévention. Le CERT a reçu en 2012 plus de 700 signalements mais n'a pu - ou pas voulu, car certains s'avèrent anodins - en traiter que 70.
La loi de programmation militaire représente une avancée sur la sécurisation des entreprises appartenant aux secteurs d'activité d'importance vitale. Le renforcement de la sécurité des systèmes d'information passe aussi par la labellisation de produits et de services et par le maintien d'un tissu industriel de confiance. Nous encourageons ainsi des PME, dont certaines sont des perles technologiques en matière de cyberdéfense et auxquelles nous déléguons des activités. L'agence apporte aussi son expertise technique dans le cadre des investissements d'avenir et est consultée par la direction générale du trésor lorsque des demandes d'autorisation d'investissements étrangers concernent des entreprises du secteur de la sécurité des systèmes d'information.
L'Anssi mène une politique de communication de plus en plus active en direction des administrations de l'État, des entreprises et même du grand public. À travers son centre de formation à la sécurité des systèmes d'information (CFSSI), elle forme des acteurs publics à ces questions.
L'accomplissement de l'ensemble de ces missions suppose de disposer de personnels très compétents - c'est le cas - et d'un budget préservé. Ce dernier est globalement de 195 millions d'euros de crédits de paiement, y compris le titre II, dont une soixantaine de millions sont transférés au ministère de la défense pour des projets interministériels. Le budget de l'Anssi bénéficie de la montée en puissance de la politique de lutte contre les cybermenaces, tandis que celui du reste du SGDSN tend plutôt à la baisse. Ce dernier dispose d'un service d'administration générale capable de répondre aux multiples sollicitations liées à la multiplicité des statuts et des personnels militaires ou civils, fonctionnaires ou contractuels, et qui a géré 220 embauches en 2013.
La croissance rapide de l'Anssi implique une augmentation du titre II. Le Livre blanc fixe un effectif cible de 500 agents en 2015 ; le projet de loi de finances prévoit 65 équivalents temps plein supplémentaires en 2014 pour arriver à 422 à la fin de l'année. L'objectif du Livre blanc implique 110 embauches par an, soit le tiers de son effectif. Or la ressource devient rare et chère ; nous avons passé un gentleman agreement avec le ministère de la défense, mais la concurrence avec le secteur privé est ardue. Pourtant la bonne image de l'Anssi lui permet de recruter. Elle embauche en général des jeunes sortis d'école qui iront ensuite irriguer le secteur privé en constituant des relais efficaces de la politique de cybersécurité.
Le SGDSN hors ANSSI, dont les missions ne cessent de s'approfondir et de se renforcer depuis deux Livres blancs, respecte la discipline budgétaire générale et contracte ses effectifs : il comptera 207 agents à la fin de 2014. Il applique les mêmes règles aux établissements placés sous sa tutelle. Il alloue par transfert budgétaire une part importante de son budget d'investissement à des opérations conduites par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou la DGA. Il est maître d'ouvrage des réseaux de communication gouvernementaux sécurisés. Le renouvellement quasi simultané de l'intranet sécurisé interministériel pour la synergie gouvernementale (ISIS) et du réseau interministériel de base uniformément durci (RIMBAUD) devrait donner lieu à des engagements importants en 2016. Au sein du centre de transmissions gouvernemental (CTG), des investissements particuliers couvrent le développement des moyens de communication du Président de la République, notamment le système embarqué dans l'avion à usage gouvernemental. Les plafonds de crédits révisés s'élèvent à 64,1 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 70,5 millions d'euros de crédits de paiement. Ils seront ajustés l'année prochaine dans le cadre des travaux sur le budget triennal 2015-2017.
Malgré les dénégations alambiquées de James Klepper, la pieuvre de la National Security Agency (NSA) a fait la preuve de son efficacité, qui rend diaphane le secret de nos ambassades et de nos administrations. Est-il possible de lutter contre cet espionnage par un pays allié et ami, ou sommes-nous condamnés, tel Sisyphe, à lutter indéfiniment et vainement contre lui ? La loi de programmation militaire comporte un important volet relatif à la cyberdéfense ; ces mesures sont-elles suffisantes ? J'aimerais mesurer le décalage entre nos petits efforts et l'ampleur de la tâche. Je n'ai pu assister au dernier conseil d'administration de l'IHEDN, mais j'ai cru comprendre que son budget avait été raboté de 300 000 euros...
On a pu observer le rôle discret mais essentiel du SGDSN lors de la préparation du Livre blanc. Votre budget peut paraître limité par rapport à celui que nous examinons habituellement ; il n'est pas concerné par la loi de programmation militaire, mais par la loi de finances triennale. Compte tenu du caractère mouvant des questions que vous traitez, seriez-vous favorables à une actualisation tous les deux ans, plutôt que tous les trois ans ? Quels sont vos liens en matière de renseignement avec le coordonnateur du renseignement auprès du Président de la République, et avec le délégué interministériel à l'intelligence économique ? Pour faire face aux réductions de crédits alloués à l'IHEDN et à l'INHESJ, comptez-vous recourir à la mutualisation ou supprimer une session de formation une fois de temps en temps ? L'augmentation du contrôle parlementaire sur les services de renseignement introduit par la loi de programmation militaire semble-t-elle excessive au professionnel que vous êtes ?
Les menaces qui pèsent sur nos systèmes d'information ne sont pas nouvelles ; le Monde ne nous apprend rien. Pour les prévenir, il nous faut des moyens de détection des attaques et de protection des communications sensibles, mais aussi une discipline dans leur usage, qu'il nous faut rappeler en permanence. Sur ce point, il y a eu des progrès. C'est un combat qui existe dans tous les pays. Les dispositions de la loi de programmation militaire vont dans ce sens. Compte tenu de l'origine de l'espionnage allégué, rapporté par le journal Le Monde, les plus hautes autorités de l'État ont exprimé leur incompréhension et leurs protestations auprès des autorités américaines.
Monsieur Lorgeoux, nous n'avons pas sacrifié en votre absence le budget de l'IHEDN lors du dernier conseil d'administration ! J'ai demandé à l'IHEDN et à l'INHESJ de faire des économies, mais sans réduire leurs missions. Nous nous efforçons de mutualiser les activités matérielles des deux instituts mais nous n'allons pas les fusionner car ils ont leur personnalité propre.
Nos liens avec le coordonnateur national du renseignement sont étroits et nous travaillons sur des sujets thématiques et géographiques. Nos relations avec la déléguée interministérielle à l'intelligence économique sont excellentes. Je l'ai notamment associée aux travaux sur le comité de filière que j'ai mentionné tout à l'heure.
Je ne vous interrogerai pas sur les cyberattaques.
Il y a un an et demi, notre rapport, qui avait déplu au quai d'Orsay, traitait de la fonction anticipation stratégique et soulignait quelques disfonctionnements. La coordination s'est-elle améliorée ? La transmission de l'information fonctionne-t-elle mieux ?
Lors de l'examen de la loi de programmation militaire, la commission des lois souhaitait beaucoup plus d'informations et de transparence en matière de renseignement alors que notre commission estimait que la transparence avait ses limites pour ne pas mettre en danger les personnels. Quelle est votre position ?
Vous avez évoqué la sécurisation des entreprises. Mais où commence l'intérêt national ? Vous limitez-vous aux fournisseurs bien connus des services de l'État ou vous intéressez-vous aussi aux PME ? Si tel est le cas, qui se charge de ces PME ?
Dans certaines administrations, comme les grandes écoles, les grandes universités, le monde de la recherche, la notion de sécurisation en est encore à ses balbutiements : le seul critère retenu semble celui de la gratuité. Quid de la sécurité ?
Dans quels délais accordez-vous des visas pour les exportations de matériel militaire ? Ces délais ont indéniablement un impact économique.
Le Livre blanc évoque l'anticipation stratégique et prévoit un dispositif plus efficace pour coordonner les actions de la délégation aux affaires stratégiques (DAS) et de la direction générale de l'armement du ministère de la défense, de la direction de la prospective du Quai d'Orsay, et de nous-même. Nous allons prochainement réunir tous ces services pour que chacun explique ce qu'il veut faire en matière d'anticipation. Ceci nous permettra de coordonner nos actions et d'éviter les doublons. Nous jugerons de ce travail dans quelques mois, et nous tiendrons compte de vos recommandations.
En ce qui concerne les exportations de matériel de guerre, elles ne peuvent se faire sans autorisation. La commission compétente se réunit une fois par mois et elle examine des centaines d'affaires. Mais tous les jours, avec les ministères de la défense, des affaires étrangères, de l'économie et, parfois, de la recherche, nous examinons des dossiers et décidons sans attendre le rendez-vous mensuel. Nous nous efforçons d'avoir des délais rapides.
Les directives communautaires ont permis de simplifier les procédures.
Je vous remercie pour toutes ces informations.
La commission auditionne le général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2014 (mission Défense).
L'année 2014 sera la première année d'application de la nouvelle loi de programmation militaire, que nous avons adoptée lundi dernier. Nous sommes plutôt satisfaits d'avoir amendé ce texte pour sécuriser ce qui devait l'être. Nous sommes néanmoins préoccupés par la fin de l'exécution de 2013 : nous craignons un report de charge de 2 à 3 milliards d'euros. Les régulations budgétaires sont irritantes pour les parlementaires qui votent des budgets dont l'exécution laisse parfois à désirer. Nous allons nous employer à obtenir que les gels soient levés le plus tôt possible.
Nous connaissons aussi le caractère volontariste et tendu de certaines trajectoires financières, notamment les dépenses de fonctionnement et d'entraînement, c'est-à-dire le cadre de vie quotidien de nos militaires. Y aura-t-il suffisamment d'entraînement en 2014 pour entretenir le moral et les compétences ?
Le programme Scorpion a failli disparaître, le Livre blanc l'a sauvé in extremis. Son lancement est annoncé pour 2014. Sera-ce le cas ? Nous mesurons les efforts demandés aux hommes et aux femmes de la défense et nous savons que le « dépyramidage » envisagé pour l'armée de terre relève du casse-tête. Le ministre en a conscience. Votre cible de déflation d'effectifs est-elle réaliste ? Vous attendiez des arbitrages. Ont-ils été rendus ?
Général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre. - Nous nous réjouissons de votre vote de lundi dernier. Vous avez démontré que vous vouliez garantir une exécution fidèle de cette programmation, en adoptant des amendements tendant à sécuriser les ressources, prévoir des clauses de revoyure ou de retour à meilleure fortune.
Le bon démarrage, en 2014, de la nouvelle programmation militaire est conditionné par le déblocage de la totalité de la ressource prévue pour 2013.
Le projet de loi de finances 2014 respecte la nouvelle programmation. Il relance la modernisation des forces terrestres. L'activité opérationnelle sera prioritaire : l'entraînement est maintenu à son niveau de 2013 et les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progressent. Toutefois, les contraintes seront fortes sur les dépenses de fonctionnement et de cohérence opérationnelle. Actuellement, 20% de la ressource 2013 du budget opérationnel de programme (BOP) Terre sont encore immobilisés : réserve de précaution, surgel et remboursement Opex, soit près de 260 millions. Il est indispensable de lever cette hypothèque sous peine de fragiliser l'entretien programmé du matériel. La levée de l'immobilisation des crédits d'équipements du programme 146 constitue un enjeu capital pour l'armée de terre.
Les opérations conduites par les forces terrestres ont confirmé le besoin de disposer de troupes au sol bien entraînées, équipées de matériels adaptés à la diversité des missions. En 2013, la contribution terrestre aux opérations extérieures aura été bien plus intense que prévu : jusqu'à 9 500 hommes projetés en mars 2013. Liban, Afghanistan, Mali mais également Tchad, Kosovo, Côte d'Ivoire et République de Centrafrique : les forces terrestres ont partout confirmé leur réactivité et leur capacité à assumer un contrat opérationnel proche de celui fixé par le Livre blanc de 2013. Le succès du désengagement de l'opération Pamir, la réussite de l'intervention Serval constituent bien sûr une grande fierté pour l'armée de terre. Le mérite en revient d'abord au courage et au dévouement de nos hommes, à qui je rends ici hommage. Depuis le début de l'année, le sacrifice de onze d'entre eux et les très nombreux blessés attestent de leur sens poussé du devoir et de leur abnégation. Engagés à terre, dans la durée, dans des conditions extrêmes, face à des adversaires implacables, nos hommes démontrent la détermination de notre pays à assumer ses responsabilités et ils renforcent notre légitimité à intervenir sur la scène internationale, notre capacité à parler d'une voix forte et autonome.
Cependant, l'intervention à l'extérieur ne constitue pas la seule fonction stratégique à laquelle l'armée de terre contribue. En complément de ses unités de sécurité civile, de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et de l'expertise nationale dans le domaine des armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), elle a mobilisé l'équivalent d'une brigade interarmes sur le territoire national. Cette présence opérationnelle permanente couvre des missions aussi diverses que Vigipirate, Héphaïstos, Harpie et Titan en Guyane ou encore la participation au plan « grand froid ». En outre, l'armée de terre entretient des capacités de renseignement. Au total, près de 7 000 « terriens » apportent leurs compétences à la fonction connaissance-anticipation. Enfin, la permanence du dispositif déployé outre-mer et à l'étranger, fort d'environ 6 600 hommes, dont la majorité de personnel non permanent, renforce les moyens de prévention des crises.
L'efficacité de cet outil est conditionnée par le niveau des équipements. Le projet de loi de finances pour 2014 relance la dynamique de modernisation que la loi de programmation militaire 2009-2014 avait initiée. Le système Felin (fantassin à équipements et liaisons intégrés), livré depuis 2010, a accru l'efficacité du combattant débarqué. Le 21ème régiment d'infanterie de marine de Fréjus est le douzième à en être doté. Le plan d'équipement sera achevé en 2014. Mis en service opérationnel en avril 2012, le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) a confirmé au Mali son extraordinaire plus-value tactique, déjà établie en Afghanistan et au Liban. Le 16ème bataillon de chasseurs de Bitche est le sixième régiment d'infanterie sur huit à être équipé. En 2014, 77 nouveaux VBCI seront livrés. Enfin, les performances de l'hélicoptère d'attaque Tigre ont été démontrées en Afghanistan, en Libye, en Somalie et au Mali. Les 40 hélicoptères appui-protection livrés à ce jour sont complétés depuis juin 2013 par les premiers hélicoptères appui-destruction (HAD). En 2014, quatre HAD supplémentaires - disposant de missiles - porteront à 48 le nombre de Tigre livrés, sur une cible ramenée à 60 appareils. Ces équipements renforcent notre capacité opérationnelle. Toutefois, la remise à niveau des moyens terrestres a été compromise en raison des contraintes financières. La baisse de 14% des investissements a interrompu le cycle de renouvellement. Le ralentissement des cadences de livraison place dorénavant l'armée de terre sur le « fil du rasoir » en matière de modernisation des matériels. Seule une application stricte de la nouvelle loi de programmation militaire évitera des réductions temporaires, voire définitives, de capacité.
Le lancement du programme Scorpion en 2014 doit être salué. Décalé de deux ans et avec un investissement réduit de moitié sur la période, ce programme est aujourd'hui indispensable pour renouveler les véhicules de combat médians. La livraison en 2018 des 24 premiers véhicules blindés multirôles (VBMR) et celle en 2020 des quatre premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) obéit à un calendrier ambitieux - mais crucial pour moderniser les forces terrestres à l'horizon 2025, lorsque 50% du parc aura été livré. Tout report aggraverait les coûts liés au vieillissement des AMX 10 RC et des VAB, âgés de 40 ans et qui ont déjà subi de nombreuses rénovations. Enfin ce programme présente des atouts économiques indéniables : l'unicité des familles d'équipement assure des économies d'échelle, la standardisation des plateformes réduira les coûts de maintenance et de formation, la reconfiguration, grâce au concept de kits additionnels communs, permettra de différencier les véhicules en fonction du type d'engagement.
L'armée de terre emploie des drones tactiques depuis plus de 45 ans en opérations extérieures et en appui de missions de protection au-dessus du territoire national. Fort de cette expérience, nous participons, aux côtés de nos amis britanniques, à l'évaluation du système Watchkeeper. Sa fiabilité en vol vient d'être certifiée en Grande-Bretagne. La dimension européenne constitue un atout supplémentaire, pour mutualiser les opérations mais aussi la formation et l'entraînement. Deux équipes d'opérateurs, armés par des sous-officiers du 61ème régiment d'artillerie de Chaumont, ont participé aux premiers essais à Istres et sont à nouveau en Grande-Bretagne. Ces expérimentations éclaireront le choix du ministre de la défense.
Concernant les hélicoptères de manoeuvre, la commande passée le 29 mai 2013 pour la seconde tranche de 34 NH 90 est bienvenue. Les quatre premiers appareils seront mis en service à l'été. Cependant, la loi de programmation fixe à 68 le nombre de NH 90, limitant la capacité aéromobile des forces terrestres. Et l'étalement des livraisons nous contraint à conserver des Puma en limite d'obsolescence au-delà de 2025 - ils auront alors près d'un demi-siècle - ainsi que des Cougar et des Caracal au-delà de 2030.
Le programme de missile moyenne portée (MMP) est également d'une importance majeure. Il dotera nos unités de combat d'infanterie et de cavalerie des moyens indispensables pour appliquer des tirs ciblés contre tous types d'objectifs. Remplaçant trois armements par deux, il contribue à l'économie générale des moyens. Il faudra limiter l'ampleur de la réduction de capacités, inévitable à partir de 2016 du fait de l'obsolescence définitive du Milan et de son poste de tir. Le MMP arrivera en 2018.
Le cas du porteur polyvalent terrestre (PPT) illustre aussi les risques de rupture capacitaire. Les premières versions de ce camion logistique ont été livrées cette année, six ont été embarqués le 15 octobre pour le Mali ; 115 autres seront réceptionnés en 2014, et seulement 450 avant 2020, sur une cible de 1 600. Une rupture capacitaire pourrait donc intervenir à tout moment, en cas d'arrêt de la flotte actuelle, à bout de souffle. Ainsi, le VTL (véhicule de transport logistique) vient de faire l'objet de limitations d'emploi qui réduiront sa charge d'emport et sa vitesse, donc son rendement opérationnel.
L'efficacité des forces terrestres passe aussi par leur entraînement. En 2014, le niveau de 2013 est maintenu : il est sensiblement inférieur aux objectifs fixés en fin de loi de programmation militaire. La hausse de 7% des crédits d'entretien programmé des matériels terrestres et aéronautiques devrait satisfaire les besoins en entretien courant. Il y aura l'an prochain 83 journées de préparation opérationnelle par homme, avec un objectif affiché de 90. Les pilotes de l'aviation légère de l'armée de terre ne devraient effectuer que 156 heures de vol, sur les 180 prévues antérieurement en loi de programmation, ce qui reste inférieur aux 200 voire 220 heures dans l'armée de l'air et la marine. Je souscris pleinement à l'avis que vous aviez exprimé lors de l'examen du projet de loi de finances 2013 selon lequel les pilotes de l'armée de terre devaient également pouvoir effectuer 200 heures de vol d'entraînement.
L'expérience acquise en opérations compense en partie ce niveau d'entraînement contraint. Mais il s'agit d'un trompe-l'oeil : l'entraînement demeure crucial pour préparer nos hommes à la diversité et à la complexité des missions, tantôt au coeur de Paris, tantôt à partir de la mer et dans la nuit noire comme en Libye, tantôt dans l'Adrar des Ifoghas pour neutraliser les groupes djihadistes. L'expérience opérationnelle est un atout mais il serait dangereux d'en surestimer les vertus.
Les 720 millions programmés pour l'entretien des matériels ne seront pas suffisants pour financer la régénération des matériels rapatriés d'opérations extérieures. Pour les 1 400 engins terrestres rentrés d'Afghanistan et du Liban, dont près de 560 VAB, auxquels il faut ajouter aujourd'hui la remise à niveau des équipements rentrant de Serval, il faudrait 24 millions par an sur cinq ans. En l'absence de financement, cette remise à niveau ne pourra se faire que progressivement et dans l'intervalle, ces véhicules feront défaut pour l'utilisation en métropole. À plus long terme, l'armée de terre pourra contenir ses besoins en EPM terrestre et aéronautique jusqu'en 2020. Elle est donc soutenable dans la durée.
Pour maîtriser ses coûts, l'armée de terre a optimisé l'emploi de ses ressources, en appliquant le principe de différenciation. Les forces terrestres sont différenciées en trois composantes, par nature d'équipements : la composante blindée, bien adaptée au combat de haute intensité et à l'entrée en premier, équipée au strict nécessaire en VBCI et chars Leclerc ; la composante légère blindée, pour la gestion de crise ou de stabilisation, équipée d'engins de combats médians, comme l'AMX 10RC et le VAB ; enfin, les brigades légères, spécialisées dans l'engagement d'urgence et en zones difficiles.
Le regroupement de capacités homogènes dans des ensembles cohérents contribue à mettre sur pied des forces ciselées au plus juste selon les besoins, comme au Mali. De même la préparation opérationnelle est différenciée, selon la nature de l'engagement. Cette politique donne satisfaction : chacun de nos engagements opérationnels, notamment les plus exigeants, a été pleinement honoré. Nous avons fait évoluer ce concept en 2011 en développant la préparation opérationnelle décentralisée en garnison. Enfin, le principe de différenciation s'applique à la politique d'emploi et de gestion des parcs, différenciés par nature d'utilisation : alerte Guépard, entraînement en camps ou service permanent en garnison. Les objectifs de disponibilité technique opérationnelle sont également différenciés selon qu'ils s'appliquent aux théâtres d'opérations ou à la métropole.
Le niveau de ressources affectées au renouvellement des équipements et aux activités opérationnelles en 2014 me semble donc cohérent avec les priorités affichées dans le projet de loi de programmation militaire.
Toutefois, comme les années précédentes, des tensions apparaîtront sur les dépenses de fonctionnement et de cohérence opérationnelle. Ainsi, dans le domaine de l'entretien programmé du personnel, les mesures d'économie que l'armée de terre a été contrainte de prendre, lors de la précédente LPM, ont représenté 14% de la ressource initialement programmée, soit 118 M€2008, avec pour conséquence des réductions d'acquisitions en matière d'effets de protection balistique ou d'équipements du combattant. S'agissant des équipements d'accompagnement et de cohérence (EAC), ce sont 245 M€2008, soit 18% de l'enveloppe initiale qui ont été économisés avec pour effet, notamment, une diminution des commandes de munitions. Ces dépenses deviennent donc d'année en année de plus en plus rigides tandis que les marges d'économies restantes deviennent de plus en plus faibles. A titre d'exemple, afin de ne pas engager la sécurité de nos hommes, je devrais probablement choisir de financer à hauteur d'environ 10 M€ le renouvellement de nos moyens d'évacuation sanitaire et de retarder celui des chariots élévateurs, pourtant indispensables sur les théâtres d'opérations extérieures. Nous observons aussi une tension sur les dépenses liées à la mobilité du personnel, telles que les frais de déménagement. Structurellement sous-dotés, ces crédits subissent depuis 2011 une érosion significative. Il a fallu réduire la mobilité outre-mer et à l'étranger - en portant la durée des séjours à trois ans - et reporter les mutations en métropole. A cela s'ajoute le défaut préoccupant de financement des dépenses de mobilité directement liées aux restructurations à venir. Afin que nos soldats ne fassent pas les frais de cette réorganisation, je serais très probablement amené à reporter l'effort sur d'autres postes budgétaires, pourtant déjà dotés au minimum.
L'infrastructure, enfin, suscite des préoccupations. Entre 2009 et 2013, l'équivalent de deux annuités de programmation budgétaire n'a pas été réalisé. En dépit des efforts de rationalisation, le report des projets d'infrastructures se poursuit - pour 55 millions en 2014.
Ainsi, la fin du plan Vivien d'hébergement des militaires du rang, initialement prévue en 2013, a dû être repoussée à 2018. Par manque de moyens d'entretien, de nombreux casernements se dégradent, et sont parfois dans un état critique ; les conditions de vie et de travail en deviennent de plus en plus éprouvantes.
La clause de revoyure de la loi de programmation militaire sera une occasion à ne pas manquer, en particulier pour remettre à flot les crédits de fonctionnement et de cohérence. Les montants en jeu sont modestes - la réfection d'un bâtiment de troupe coûte trois millions - mais les conditions d'exercice du métier seraient sensiblement améliorées.
Le niveau de déflation des effectifs imposé en 2014, reste atteignable, mais associé aux objectifs de dépyramidage, il devient un défi d'ampleur. En 2013 les déflations se sont poursuivies au rythme imposé par la précédente programmation. Au titre du BOP-T, environ 2 260 postes militaires ont été supprimés ; sur l'ensemble de l'armée de terre, quelque 2 980 postes. En 2014, le BOP-T prévoit la suppression de 2 600 postes. Les dissolutions et les mesures de restructuration sont identifiées. Les annonces ont été faites et les dernières décisions seront rendues publiques à la fin du mois.
Notre modèle de ressources humaines a su s'adapter aux contraintes. Il n'est donc pas nécessaire, pour le moment, d'envisager de le revoir en profondeur. Devant l'ampleur des manoeuvres qui nous attendent, je crois préférable de ne pas précipiter les réformes, qui doivent rester supportables pour notre organisation et pour nos hommes. La crise de Louvois a montré les effets d'une ambition réformatrice trop rapide.
L'armée de terre reste attachée à son impératif de jeunesse, à la diversité de son recrutement, à l'équilibre entre statut contractuel et statut de carrière et à la promotion interne au mérite. Les deux-tiers des sous-officiers proviennent de la troupe et 70% des officiers du recrutement interne. L'armée de terre offre ainsi à ses hommes des perspectives de carrière attractives. Elle valorise l'expérience professionnelle et fait de l'escalier social une réalité. La gestion des flux s'en trouve dynamisée. En l'espace de dix ans, le recrutement direct d'officiers a ainsi diminué de 38%. Et si en 2006, 39 nouveaux généraux étaient nommés, le chiffre n'est plus que de 21 par an aujourd'hui.
La masse salariale est maîtrisée, signe que l'armée de terre contrôle ses effectifs. Hors Louvois, elle devrait afficher, en 2013, un solde budgétaire en léger excédent. Les années 2011 et 2012 ont été à l'équilibre, hors mesures exogènes. L'armée de terre, je puis l'affirmer, est un bon gestionnaire. Le titre II du BOP-Terre a d'ailleurs globalement suivi la pente de la déflation des effectifs, diminuant de 10 % entre 2010 et 2012. S'agissant du repyramidage, le volume d'officiers au sein du ministère a, entre 2008 et 2013, été réduit de quelque 5%, tandis que celui du personnel civil de catégorie A augmentait d'environ 25%. Enfin, notre taux d'encadrement, d'environ 12 %, mais 8 % seulement pour les forces terrestres, reste très inférieur à celui que l'on observe chez nos partenaires européens. Il est resté stable en dépit de la réduction du format depuis 2008. C'est pourquoi l'armée de terre éprouve quelque difficulté à se reconnaître dans l'objectif de ramener le taux d'encadrement « officier » du ministère à 16 %. Cela supposerait une déflation considérable sur cette catégorie, qui a pu me sembler déraisonnable et déstructurante. Nous attendons la confirmation d'un nouvel arbitrage plus accessible en la matière.
Les objectifs de suppression de postes hors forces opérationnelles, essentiellement dans leur environnement et leur soutien, constituent un autre défi. Eu égard aux réductions déjà opérées depuis 2008, cette évolution pourrait être préjudiciable à nos capacités opérationnelles et au moral de nos soldats. Ainsi, la réorganisation de l'administration générale et du soutien commun, qui pourrait représenter 40 % de l'effort, aura de lourdes conséquences sur la vie courante de nos unités. Il est donc capital d'identifier avec précision où faire porter l'effort, afin de préserver nos forces opérationnelles, au risque de mettre en cause notre modèle à 66 000 hommes projetables, le minimum nécessaire pour assurer le nouveau contrat opérationnel de l'armée de terre.
En ce qui concerne la modernisation du ministère, clarification et simplification s'imposent. Les dysfonctionnements du projet Louvois ont montré les limites d'une approche trop fonctionnelle des organisations et d'un partage trop diffus des responsabilités. Dispersant les leviers de commandes entre de trop nombreuses mains, selon une logique mal comprise de « recentrage sur le coeur de métier » et de spécialisation des fonctions dites « en tuyau d'orgue », ce type d'organisation présente le risque de diluer finalement les responsabilités.
Donner la primauté à l'opérationnel est un principe bien compréhensible dans un ministère comme le nôtre. Cela exige une politique de ressources humaines en conséquence. Les chefs d'état-major d'armée doivent rester les garants de la cohérence capacitaire et opérationnelle des forces dont ils portent la responsabilité devant le chef d'état-major des armées, le ministre de la défense et les commissions parlementaires. Etant moralement responsables de ce qui touche à leurs soldats, il est légitime qu'ils disposent des leviers indispensables à la bonne préparation opérationnelle et au moral de leurs hommes.
C'est avec franchise et transparence que je vous ai livré mon analyse. Le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014 recherchent le meilleur équilibre entre l'effort de redressement des comptes publics et l'ambition stratégique rénovée de la France. Notre pays devra, pour l'atteindre, faire preuve de volontarisme dans la durée.
Les hommes et les femmes de l'armée de terre font preuve, sur les théâtres d'opérations, d'un sens de l'engagement et d'un dévouement qui forcent mon admiration. Ils ont mis en oeuvre avec constance, depuis plusieurs années, de nombreuses restructurations et sauront, une fois encore, participer à l'effort national de redressement. Il est donc juste de veiller à leur moral en leur assurant des conditions normales de vie et de travail.
La bonne exécution de la loi de programmation militaire repose sur l'équilibre de sa première année, qui exige et une fin de gestion 2103 équilibrée, et un niveau de ressources suffisant pour 2014.
Nous vous avions demandé la franchise, vous en avez fait preuve, en nous dressant un panorama en demi-teinte.
Pour monter à 90 jours de préparation opérationnelle, il manquerait 15 millions. Pensez-vous atteindre l'objectif ? Je n'oublie pas que l'on a modifié le temps de ce verbe, désormais conjugué au futur dans la loi de programmation... Pour le maintien en condition opérationnelle, il y a du mieux, mais cela reste insuffisant. Comment voyez-vous les évolutions ? La dissolution de régiments est très mal vécue sur le terrain. Comment faire pour que l'évolution devienne positive ?
Le prépositionnement et les Opex perdront 1 100 personnes d'ici à 2019. Quelle sera la part de l'armée de terre ? Pourrez-vous préserver la rotation existante ou devrez-vous maintenir les hommes sur le terrain plus longtemps ? Les journaux se sont fait l'écho de restrictions entraînant une floraison de vente de surplus. La fameuse opération des casques est-elle anecdotique ou faut-il s'en inquiéter ?
Général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre. - Nous ne pouvons dégager ces 15 millions, sinon, nous l'aurions fait. L'objectif de 83 jours de préparation opérationnelle n'a été atteint qu'en prélevant sur d'autres lignes budgétaires - entretien programmé, équipements de cohérence... Nous avons un vrai problème de sous-dotation sur les activités de fonctionnement, qui n'est pas sans impact sur l'opérationnel. Les 7 % d'augmentation sur l'entretien programmé de matériel représentent 50 millions, à mettre en regard des 160 encore bloqués dans le budget 2013... Pour entretenir nos équipements rentrants, d'Afghanistan notamment, il nous faut 24 millions par an. A force d'additionner les économies, nous n'avons plus de souplesse.
Nous devons étaler les dissolutions de régiments, difficiles à gérer pour nous, difficiles à vivre pour les soldats. Dans chaque cas, nous nous déplaçons, accompagnés du « père de l'arme » en question, du commandant de brigade et du directeur des ressources humaines. Dès la première annonce, nous nous efforçons de rassurer les hommes sur leur avenir, en mettant en oeuvre une politique de mutations préférentielles. A Commercy, dans la Meuse, dissous en 2013, personne n'a été laissé sur le côté, personnel civil compris. Certains ont été replacés à Verdun et à Etain, d'autres dans des garnisons répondant à leur spécialité ou à leur choix. La difficulté est que nos hommes s'attachent à leur garnison. A Carpiagne, des familles seront touchées, et parmi celles du 1er REC, qui sera déplacé en 2014, 400 sont propriétaires dans la région d'Orange. Nous manquons de crédits pour gérer la mobilité du personnel liée à ces restructurations.
Nous avons constaté que ces crédits, dans la programmation précédente, ont été peu utilisés.
Général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre. - Quand il est question d'infrastructures, il y a nécessairement des délais. Nous faisons des efforts importants pour accompagner les dissolutions, que nous souhaitons limiter au strict nécessaire. J'espère que ces dissolutions se limiteront à quatre dans l'armée de terre pour cette nouvelle programmation.
La réduction de 1 100 postes sur le prépositionnement est en cours d'étude. L'armée de terre serait concernée, pour une part. Nous travaillons à préserver l'équilibre entre forces de souveraineté, en métropole et outre-mer, et forces de présence, en Afrique par exemple. Nous avons déjà fait d'énormes efforts de restructuration. Notre présence est alimentée par un personnel tournant, depuis la métropole. C'est une organisation plus économique, dont les autres forces pourraient s'inspirer. Cela nous permet de faire tourner de l'ordre de 60 unités élémentaires, compagnies, escadrons, batteries, dans des situations opérationnelles réalistes et débouchant souvent sur un engagement en opération.
La question des surplus militaires, c'est un peu un marronnier de journaliste ! Pas moins de deux articles lui ont été consacrés dans Le Monde, ce qui ne laisse pas de m'étonner. La situation ne justifie pas une telle attention. Les casques de la région de Strasbourg, qui ont fait beaucoup parler d'eux, sont tout simplement périmés. Les nouveaux casques sont distribués en priorité aux unités de combat. Il faut certes progresser dans la rationalisation mais pour les tenues, treillis, moyens de protection, la réalité est que l'absence de marge budgétaire peut mener vite à une situation complexe voire calamiteuse.
Pourquoi ne pas répondre au Monde ?
Général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre. - J'y ai songé, mais l'exercice est toujours délicat, et peut-être vain...
Vous affirmez avoir bien géré votre personnel, assurant que la baisse des effectifs et celle du volume des dépenses coïncident. Or, les chiffres que l'on nous a communiqués font apparaître l'inverse. La période est-elle la même ?
Un mot sur la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Lorsque je l'ai visitée il y a cinq ou six ans, j'ai eu le sentiment que le général commandant n'était guère satisfait de la qualité de son équipement... Cela tient-il à l'état des flux financiers entre la ville de Paris et l'Etat ?
Les conseils généraux et les collectivités de la petite couronne sont également mis à contribution...
La relation entre la direction du renseignement militaire du ministère et celle de l'armée est à redéfinir. Comment s'engage le dialogue sur la répartition des compétences ?
Mon autre question porte sur le drone tactique de l'armée de terre. La DGA paraît estimer qu'il n'est pas mature. Le confirmez-vous ?
Général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre. - La question du repyramidage a suscité des déclarations sans fin sur le nombre des officiers supérieurs. On nous a accusés de fabriquer une armée mexicaine. Mais les chiffres ont vite montré que la déflation du nombre d'officiers, dont celle des officiers généraux est une réalité. Quelques phénomènes, cependant, ont flouté la vision. Certains ont souligné que la masse salariale décroissait moins vite que celle des effectifs. Je leur rappelle que la loi de programmation prévoyait que 50 % des économies seraient réutilisés pour valoriser la condition du personnel et notamment réaligner les rémunérations qui le nécessitaient. Sans compter que nous payons maintenant le chômage des militaires que nous renvoyons à la vie civile : la déflation des effectifs alourdit ce poste de dépense. Nous avons appliqué les mesures de revalorisation des rémunérations les plus basses : car 50 % de nos soldats touchent le minimum de la fonction publique ; nous avons augmenté leur solde, à moyens constants.
Tous ces facteurs expliquent que les économies sur la masse salariale soient inférieures aux espoirs. C'est pourquoi je vous ai dit qu'il fallait excepter du tableau les éléments perturbateurs, comme Louvois, et les mesures exogènes, dont nous ne sommes pas responsables. Si, pour les officiers supérieurs, la prévision n'a pas été totalement respectée, c'est en raison du retour dans le commandement intégré de l'Otan : il a fallu conserver 400 officiers supérieurs pour occuper de nouveaux postes en état-major internationaux. On nous a demandé par ailleurs d'aligner le grade de nos pilotes d'hélicoptère sur celui des autres armées. Chez nous, ces 400 pilotes étaient sous-officiers, ils ont été nommés officiers, comme dans la marine et l'armée de l'air. Je veux dire ici que les accusations portées contre nous ont été très mal vécues. Aucun de nos militaires ne comprend par exemple qu'on puisse lui reprocher de ne travailler que 1 000 heures par an, contre 1 600 heures pour les civils, alors qu'il est de notoriété publique que les militaires ne comptent pas leur temps. Sur toutes ces questions, on a entendu certaines contre-vérités.
La brigade de sapeurs-pompiers de Paris est hors budget de la défense. Il existe certes entre nous des relations institutionnelles, et amicales, mais le budget, l'équipement et le fonctionnement dépendent de la Ville de Paris et des départements proches de la capitale.
Au sein du ministère, les modes de gouvernance évoluent. L'apparition d'une autorité fonctionnelle, la DRH du ministère, pour la gestion des ressources humaines de l'armée de terre ne m'inquiète pas, puisqu'un tel mode de gestion existait déjà en partie, et que le chef d'état-major et le directeur des ressources humaines de l'armée de terre conservent des responsabilités inchangées. Dès lors que nous disposons des leviers pour assumer nos responsabilités, il n'y a pas d'inquiétude. Mais il pourrait en apparaître si les choses venaient trop à changer, et si les décisions étaient prises ailleurs, notre rôle devenant de pure exécution.
La DGA vous a dit que le drone Watchkeeper n'est pas à maturité ? C'est vrai, mais seulement pour une part de ses fonctions. Il décolle, vole et se pose sans problème. Existait en revanche un problème de liaison qui a gêné les batteries de tests effectuées à Istres. Depuis quelques mois, l'industriel a fait de gros travaux, et l'Etat britannique a récemment certifié le drone en l'autorisant à voler au-dessus de son territoire. L'autorisation suivra en Europe. Et nous continuons les évaluations ensemble, compte tenu des excellentes relations entre nos deux unités de drones.
Il me reste à vous remercier.