La commission entend une communication de Mme Françoise Laborde sur le bilan du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région.
Lors du dernier renouvellement sénatorial, j'avais souhaité que les groupes d'études réunissant sénatrices et sénateurs de toutes les commissions par affinités mais rattachés à notre commission, puissent rendre compte au bout des trois ans de leurs travaux afin de nous éclairer et dans la mesure où ils mobilisent les ressources administratives de la commission. Je donne donc la parole à Françoise Laborde qui a animé le groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région.
Madame la présidente, mes chers collègues, je commencerai par nous « rafraîchir » collectivement la mémoire, en vous présentant un court historique de la vie de notre groupe d'études sur les arts de la scène, les arts de la rue et les festivals en région. Puis je brosserai un bref panorama de ses activités depuis bientôt deux ans.
Je vous rappelle qu'un groupe d'études sur les arts de rue et du cirque a été créé en 2006 par notre commission de la culture, à la demande de notre collègue Catherine Morin-Desailly. Il s'agissait alors de répondre à une attente des professionnels concernés, compte tenu de l'importance de ces expressions artistiques nouvelles, qui attiraient de nouveaux publics.
Puis son champ d'action a été élargi, aux arts de la scène, fin 2008 et aux festivals en région, fin 2011 (afin aussi de reprendre le périmètre du groupe d'études de la musique, qui a alors été supprimé).
L'avantage de cette configuration est d'embrasser l'ensemble du périmètre du spectacle vivant, dans une approche permettant d'appréhender l'interdisciplinarité croissante.
Notre groupe comprend 24 membres, dont 42 % sont membres d'autres commissions que la nôtre. Ceci montre l'un des intérêts des groupes d'études, qui permettent aux sénateurs intéressés par un secteur ne relevant pas de la compétence de leur commission de se tenir néanmoins informés de l'évolution de ses problématiques.
En tant que présidente du groupe d'études, je veille néanmoins, bien sûr, à organiser ses activités de telle façon qu'elles soient complémentaires aux travaux de notre commission.
Afin de tenir compte de l'agenda chargé de chacun d'entre nous, nous concentrons nos activités sur quelques auditions par an, un ou deux spectacles, ainsi qu'un ou deux courts déplacements, dans Paris ou en région.
Ainsi, au cours de l'année passée :
- en mars 2013, nous avons auditionné Jacques Renard, directeur du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz. Nous avons évoqué avec lui la situation de cet organisme et, plus largement, les perspectives d'évolution du financement et de la gouvernance du secteur du spectacle vivant, dans le contexte de la Mission Lescure sur « l'Acte II de l'exception culturelle » ;
- en novembre 2013, nous avons auditionné Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication. Nos échanges ont notamment porté sur l'évolution de la politique de l'État dans le domaine de la création artistique. Nous lui avons aussi posé des questions sur l'avant-projet de loi sur la création artistique, dans la perspective d'une inscription à l'ordre du jour toujours en attente il est vrai...
- les 8 et 9 juillet 2013, à l'occasion du Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, Maryvonne Blondin et moi-même avons participé aux deuxièmes Rencontres nationales d'Accord Majeur, plateforme de coordination des musiques de patrimoine et de création, sur le thème : « Transmettre/éduquer : transmission dans la crise ou crise de la transmission ? » Vaste et passionnant sujet !
J'étais d'ailleurs intervenue à l'occasion des premières Rencontres nationales consacrées à « La musique dans la cité : paroles d'artistes, paroles d'élus ». Nous avions alors également auditionné Bernard Foccroulle, le directeur du Festival.
Qu'en est-il en 2014 ? Cette année électorale nous contraint à réduire le rythme de nos travaux et je regrette, par exemple, de ne pas pouvoir participer aux Rencontres annuelles à Aix ou au Festival d'Avignon.
Nous avons néanmoins organisé quelques auditions très intéressantes :
- en février, nous avons entendu Guy Benisty, directeur artistique du Groupe d'intervention théâtrale et cinématographique (Gitech) de Pantin. Comédien, auteur et metteur en scène engagé dans le théâtre populaire de création, il nous a présenté sa vision des actions conduites dans le secteur du théâtre et de la relation aux publics, notamment défavorisés ou éloignés de la culture. Nous avons aussi échangé sur la question tout à la fois majeure et délicate de la place du bénévolat et des pratiques amateurs ;
- toujours en février dernier, nous sommes allés rencontrer le directeur du Centquatre, à Paris. Nous avons été sensibles à ses réalisations, tant en matière de recherche et développement des pratiques artistiques que d'insertion de l'art dans la cité ;
- le 18 juin dernier, nous avons auditionné Mme Madeleine Louarn, présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), ainsi que le directeur et un chargé de mission de ce syndicat. Vous imaginez aisément que la question du régime d'assurance chômage des artistes et techniciens était au centre de nos échanges. Vous pouvez en témoigner, madame la présidente, puisque vous y avez participé...
Le groupe d'études ne s'est pas déplacé en tant que tel au Festival d'Avignon depuis deux ans, mais j'ai pu - avec certains collègues de notre commission - prendre part aux déplacements de cette dernière.
Par ailleurs, certains ou certaines de mes collègues et moi-même, membres de la Délégation sénatoriale aux droits des femmes, avons participé à ses travaux sur la place des femmes dans l'art et la culture. Nous ferons d'ailleurs un point demain, un an après la parution du rapport, avec la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti.
Enfin, nous rencontrons bien sûr tous, dans nos régions respectives, les acteurs du spectacle vivant, qui nous interpellent en tant que membre du groupe d'études.
Vous imaginez bien qu'actuellement, la question de l'intermittence nous mobilise tout particulièrement sur le terrain...
Je conclurai en remerciant tous les collègues, membres de notre commission ou des autres commissions, qui participent à nos travaux. Je sais que nos agendas sont toujours très chargés mais j'invite tous nos collègues intéressés par ces sujets à se joindre à nous. Nous sortons toujours plus riches des échanges avec les professionnels et mieux informés de l'évolution de leurs problématiques.
Je vous remercie pour cette intéressante présentation des travaux du groupe d'études que vous présidez. L'argent se fait rare et certaines déprogrammations de subvention de dernière minute créent beaucoup d'émotion...
Vous ne pouviez sans doute pas intégrer dans vos réflexions, à ce stade, la réforme à venir des collectivités territoriales, mais cette dernière va soulever des questions de financement.
Lors des changements d'équipes municipales, après les dernières élections, la culture a parfois fait l'objet d'arbitrages défavorables et des manifestations ont été supprimées. Je ne connais pas l'ampleur exacte de ce phénomène ; il pourrait être intéressant de se pencher sur cette question.
Il est important de souligner que l'offre culturelle a été multipliée par quinze depuis une trentaine d'années. Outre le doublement du budget lorsque Jack Lang était ministre de la culture, nous avons connu une impulsion irrésistible au bénéfice de la culture et constaté les bienfaits de la décentralisation.
Alors que nous souhaitons renforcer le nombre de visiteurs étrangers en France, l'attractivité culturelle sera un élément déterminant. Par ailleurs, lors de la reconversion de certains territoires, l'offre culturelle joue parfois un rôle vital, la culture étant alors une manière de survivre.
Tant pour le budget de la culture que pour les intermittents, nous sommes aujourd'hui à la recherche de quelques centaines de millions d'euros ; je pense que nous pouvons aisément les trouver.
J'aimerais également interpeller notre collègue David Assouline sur ce point. Le Grand Paris devra prendre sa part dans le financement des institutions culturelles de la capitale, dont le statut devra, à cet égard, être rediscuté. En effet, j'ai découvert avec stupeur que l'Opéra de Paris ne reçoit aucune aide de la Ville de Paris mais perçoit 100 millions d'euros de subvention de l'État pour un million de visiteurs payants.
Enfin, l'élan culturel est tributaire de la présence des étudiants au coeur de la ville et les 450 villes universitaires que compte notre pays jouent un rôle clé dans l'offre culturelle et le rayonnement des festivals.
Pour aller dans le même sens, je souligne que quatre théâtres nationaux sur cinq sont situés en Ile-de-France !
C'est un vrai problème. Il faudrait pouvoir disposer d'une vision claire de cette question qui a déjà été abordée par la Cour des comptes. Dans une région comme le Nord-Pas-de-Calais, nous accordons jusqu'à 150 euros par place à des scènes nationales situées en zone défavorisée. Cette politique rencontre un vrai succès populaire mais représente un coût important pour la région.
La situation est parfois cruelle : il est arrivé que l'État réduisait son financement au motif que la région augmentait le sien ! Le problème ne tient pas au fait que tous les contribuables français participent au financement des équipements culturels situés à Paris en tant que capitale mais que les contribuables parisiens soient moins sollicités pour la culture que ceux des autres régions.
Dans les zones rurales également, la culture apporte une énorme valeur ajoutée lorsqu'elle est soutenue par les élus et peut attirer les entreprises.
J'apporterai les éléments de réponse suivants à vos interventions dont je vous remercie :
- les questions posées par les projets de réforme territoriale ont été évoquées lors de certaines de nos auditions, en particulier celles de Michel Orier et de Madeleine Louarn. Le SYNDEAC a exprimé son inquiétude sur ce point, en particulier s'agissant de l'articulation entre les règles du jeu en France et les critères d'attribution des fonds européens. Il convient d'être sûr que le « détricotage » de l'organisation actuelle n'entraîne pas de problèmes qui n'auraient pas été anticipés. Je propose que nous organisions des auditions communes de la commission et du groupe d'études sur ces sujets, en particulier avec la fédération nationale des collectivités pour la culture - FNCC ;
- la culture joue malheureusement parfois le rôle de fusible d'ajustement dans un contexte de changement de municipalité et de craintes relatives aux baisses de financement. En tant que parlementaire, notre rôle est d'exprimer notre opinion. Je suis ainsi intervenue auprès du nouveau maire de Toulouse pour que le festival « La Novela » sur la culture scientifique soit maintenu en octobre 2014, et j'ai été entendue ;
- de façon générale, il nous faut inventer. Les festivals sont très importants pour la conversion des territoires ; tel est aussi le cas en Haute-Garonne ;
- s'agissant de l'implication des étudiants, je citerai le remarquable exemple d'Aix-en-Provence, où les organisateurs du festival associent les écoles et universités. Leur expérience pourrait bénéficier à d'autres territoires ;
- la décentralisation a incontestablement permis une dynamique, dont il convient parfois de rétablir l'équilibre sur l'ensemble du territoire. Nous avions d'ailleurs évoqué au sein de la commission la problématique de l'équité territoriale.
Je veux préciser que la capitale est évidemment le moteur de l'attractivité de la France. Le tout est d'ajuster de façon équitable les efforts des uns et des autres pour proposer cette offre culturelle qui a été, je le rappelle, multipliée par quinze.
Nous avons été interpelés sur ce sujet à l'occasion de notre table ronde sur la diversité culturelle. Si la culture participe au rayonnement de la France, son sens réside avant tout dans le lien qu'elle crée entre les gens, les rencontres qu'elle suscite. Chacun le mérite où qu'il soit sur le territoire.
Pour rebondir sur les propos de mon collègue Daniel Percheron, je dirais que Paris est certes une destination touristique, mais aussi une étape pour nombre de touristes qui prolongent leur voyage vers les villes et les sites de province, y compris vers les zones rurales. Paris est aussi une collectivité territoriale particulière disposant de moyens importants, mais qui doit répondre à des obligations spécifiques, dont certaines imposées par l'État telles que la contribution au financement de la future philharmonie.
Outre ses moyens et ses obligations, la politique culturelle conduite par la Ville de Paris se caractérise par un réel dynamisme, lui permettant d'éviter l'écueil de la muséification, et s'illustrant notamment par la création de nouveaux lieux de culture.
Je pourrais aussi citer la forte implication de la région Ile-de-France en faveur du cinéma, qui a de réelles conséquences en termes de rayonnement culturel, mais aussi d'emploi.
Enfin, considérant qu'à l'instar des provinciaux, nombre de Parisiens - notamment les plus modestes - ne profitent qu'exceptionnellement des richesses culturelles de la ville, je pense que « la guerre entre Paris et les territoires n'aura pas lieu » car elle n'a pas lieu d'être.
Sur ce dernier point, je vous invite à vous reporter au compte rendu de l'audition, effectuée dans le cadre de notre groupe d'études, de M. Christophe Girard, ancien adjoint au maire de Paris chargé de la culture, qui a traité d'une manière très intéressante de cette opposition quelque peu construite entre la capitale et la province.
Merci pour cette présentation et pour le rôle d'ambassadrice de notre commission que vous avez joué sur le terrain. Nous sommes par ailleurs tous sollicités sur la question de l'intermittence et je souhaite que la commission se manifeste à cet égard. J'en parlerai avec les présidents des groupes.
Puis la commission entend une communication de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, sur la mission d'information en Suède.
Le choix d'Umeå comme destination pour la mission annuelle de notre commission a pu susciter quelques interrogations et même quelques doutes. Pourquoi se rendre au Nord de la Suède, à 600 km de Stockholm dans une commune inconnue de 120 000 habitants, à vocation industrielle et sans patrimoine ? Je crois pouvoir dire au nom de toutes les sénatrices et de tous les sénateurs qui ont participé au déplacement que ce choix était non seulement légitime, mais aussi tout à fait pertinent. Nous avons beaucoup appris sur un modèle et une société très différente de la nôtre, mais confrontée à des enjeux très similaires. La culture comme instrument de développement et l'avenir des universités, des sujets de préoccupation centraux pour notre commission, ont été au coeur de nos entretiens.
Je vous rappelle qu'Umeå est, avec Riga, la capitale européenne de la culture 2014. C'est ce label qui avait en partie motivé notre déplacement. La décision pour la ville de poser sa candidature comme Capitale européenne de la culture a été prise en 2000. C'est donc un engagement de long terme, porté par une volonté forte et constante de la municipalité de placer la culture au coeur de sa stratégie de développement.
Umeå consacre à la culture un budget de 80 % supérieur à celui des communes suédoises de taille équivalente, dont 30 % rien qu'en matière de bibliothèques. La région autour d'Umeå compte 26 bibliothèques publiques pour 180 000 habitants. Elles ont été construites de telle sorte que la population habite au plus à 2 km d'une entre elles. Des bibliobus complètent le dispositif. La politique communale d'accessibilité numérique aux fonds a été couronnée en 2009 par le prix des Nations Unies pour l'innovation culturelle.
Cet attrait pour la lecture est très ancré dans le Nord de la Suède qui a vu naître des auteurs marquants qui vont d'Astrid Lindgren, auteur de FiFi Brindacier, à Stieg Larsson, auteur du best-seller Millenium en passant par Torgny Lindgren ou P.O. Enqvist. La mission a pu également visiter la bibliothèque municipale de Stockholm, qui gère pendant le printemps et l'été un service de bateau-livre - Bokbaten - pour les habitants des 30 000 îles qui entourent la capitale. Là aussi coexistent, pour tous âges, des rayons de livres en suédois, finnois, sami, et autres langues en usage, comme le farsi, le chinois ou le romani.
Depuis le XIXe siècle, le Nord de la Suède a été marqué par la confluence de courants intellectuels aux marges de la culture dominante dans la société : Umeå est ainsi un foyer essentiel des mouvements d'éveil religieux protestants, de la mobilisation ouvrière, de la culture punk, des mouvements féministe et gay. C'est ce qui donne à la ville une image protestataire : elle est considérée comme une ville où les débats sont vifs, en contraste avec la tradition suédoise du consensus.
Les mouvements contestataires sont encore très vivants et surveillent l'action culturelle de la mairie, car ils craignent que la création de nouvelles structures et de nouveaux bâtiments pendant le mandat de « capitale européenne de la culture » conduise à une institutionnalisation et un enrégimentement de la culture, au détriment d'expressions plus libres et plus spontanées.
Notre délégation a noté une certaine ambivalence dans le projet global de la ville. D'une part, les convictions des élus locaux qui font de la culture un instrument de paix et de développement paraissent impeccables et un tiers du budget culturel de la commune va à des associations libres de les utiliser. D'autre part, le projet culturel répond à une logique d'attractivité et de croissance économique, au prix de certains risques financiers et d'une certaine dépendance vis-à-vis d'un partenaire privé omniprésent.
Au-delà du label de capitale européenne de la culture et des événements qui ont été organisés à cette occasion, Umeå s'est lancée dans une mutation architecturale de grande ampleur. Le budget de la commune, les aides européennes et des investisseurs privés financent 7,5 milliards d'euros de travaux publics et de constructions. Ces actions s'inscrivent dans une stratégie d'expansion affirmée : la commune vise à accueillir 200 000 habitants en 2050. La culture est ainsi vue par la municipalité comme un outil d'attractivité essentiel dans une région assez désertique de la Suède, où règne chez certains habitants le sentiment d'être délaissés par Stockholm.
L'installation sur les berges du fleuve d'un campus artistique, d'un musée de l'image et bientôt d'un parc dessiné après consultation des jeunes de la ville, participe d'une volonté de réorientation globale de l'agglomération. La visite du musée de l'image, avec une exposition sur la peintre franco-argentine Leonor Fini a été particulièrement appréciée par la délégation. Cela vaut aussi pour la visite du centre de design industriel, classé dans l'élite mondiale, où sont utilisées des imprimantes 3D.
Un autre projet phare de revitalisation du centre-ville consiste en la construction de « Väven », autrement dit « le tissage ». Ce complexe architectural doit associer un centre de conférences, une maison de la culture, un complexe hôtelier et des commerces. Ce projet me permet d'évoquer la question du financement privé.
Tout au long du séjour, dans quasiment tous les lieux, le nom d'une société de travaux publics implantée dans la région - Balticgruppen - est revenu dans les discussions. Cette société est le partenaire essentiel de la stratégie de développement par la culture d'Umeå. Elle intervient à quasiment tous les échelons. Par exemple, elle a réhabilité un ancien asile psychiatrique pour créer des logements et des écoles, puis elle a installé alentour un parc de sculptures contemporaines en accès libre. Elle accorde des rabais importants - plus de 10 millions d'euros - sur les loyers de certains espaces utilisés par l'université.
Surtout, aucun projet immobilier d'envergure ne se fait sans elle dans la ville, y compris pour des équipements culturels. Elle a financé à la même hauteur que les partenaires publics la construction du campus artistique et du musée de l'image. Le nouveau complexe Väven est aussi réalisé dans le cadre d'un partenariat public-privé. Une société rassemble les deux parties - la commune et Balticgruppen - qui partagent le financement et l'utilisation des locaux. Le complexe comprendra 15 000 m2 d'installations culturelles demandées par la commune et 10 000 m2 de locaux à vocation commerciale souhaités par le promoteur privé. Ce projet est financièrement très lourd pour la commune qui ne l'a réalisé qu'après avoir connu 12 années d'expansion économique ininterrompue. Elle ne dispose plus aujourd'hui d'un potentiel financier équivalent pour lancer une opération aussi vaste et aussi risquée.
Par ailleurs, Umeå se trouve dans le pays des Sames, aussi appelés Lapons : 20 000 d'entre eux habitent en Suède ; 10 % d'entre eux vivent encore de l'élevage itinérant du renne dans le Nord de la Suède. Les femmes sames sont plus nombreuses à s'installer dans les villes plus au sud et à accéder à des emplois qualifiés, alors que les hommes sont plus souvent cantonnés aux activités traditionnelles et ne migrent pas. Des décalages démographiques importants se créent, qui sont source de tensions. Un parlement de la nation same, sans pouvoirs législatifs ou réglementaires, est autorisé à débattre de tous les sujets d'intérêt pour les Sames. Les différents dialectes de la langue same sont protégés depuis le 1er avril 2000, date à laquelle le gouvernement suédois lui a reconnu le statut officiel de langue minoritaire. Les langues autochtones cohabitent pacifiquement avec l'emploi généralisé de la langue suédoise. Des formations supérieures en same sont dispensées dans les universités d'Uppsala, la grande université historique qui concentre la recherche linguistique, et d'Umeå, à laquelle le gouvernement suédois a confié une responsabilité particulière de préservation de la culture same. Le mandat de capitale européenne de la culture a été organisé en référence au calendrier same et la cérémonie d'inauguration faisait la part belle à des chanteurs et des artistes sames.
Cependant, des conflits socio-économiques demeurent, par exemple en matière de droits d'usage des terres pour le pâturage mais surtout à cause du développement de grands complexes miniers, source d'emplois mais aussi de pollution, dans les zones sames. En matière environnementale, le « pragmatisme » suédois conduit à l'instauration d'une zone d'exception aux normes européennes : dans le nord du pays, la concentration maximale de certains toxiques autorisée dans les poissons disponibles à la consommation est deux à trois fois plus élevée que les seuils nationaux, au prétexte que la population same mange du poisson tous les jours ! C'est ce que nous ont révélé des chercheurs sames de l'université d'Umeå.
Si Umeå est une ville en expansion et une ville culturellement dynamique, elle le doit beaucoup à son université avec laquelle elle vit en symbiose. Fondée en 1965, l'université d'Umeå est, à l'aune suédoise, un établissement très important : 34 000 étudiants et 4 300 personnels. En outre, la population d'Umeå a doublé depuis l'installation de l'université et s'est rajeunie. L'université est donc un élément essentiel de la politique d'attractivité de la ville, avec laquelle elle entretient d'excellentes relations, comme en témoigne la gestion commune du campus artistique.
Les rencontres que la délégation a eues à l'université, notamment avec sa présidente, nous ont permis de mieux comprendre le système de financement de la recherche et de recrutement des enseignants chercheurs. Environ 40 % des ressources des universités suédoises pour la recherche proviennent directement du budget de l'État et 60 % de financements extérieurs, publics et privés, obtenus directement par les chercheurs dans des appels à projets compétitifs. L'importance de ce financement fait reposer sur l'individu une forte responsabilité tandis que la durée moyenne des financements (deux ou trois ans) rend difficile pour l'université la planification de son activité et la gestion prévisionnelle de ses personnels.
Depuis 2008, l'université d'Umeå met progressivement en oeuvre un nouveau plan d'action pour perfectionner l'allocation de ses ressources. L'objectif est de dégager des moyens supplémentaires pour assurer aux chercheurs retenus de meilleures perspectives de carrière et une aide financière. À ce jour, 107 chercheurs ont bénéficié d'environ 25 millions d'euros pour poursuivre leurs recherches.
Bien que couvrant l'ensemble des champs disciplinaires, l'université d'Umeå aimerait, à l'image de l'université de Tromsø en Norvège, être officiellement déclarée « l'université arctique de la Suède ». À cette fin, elle renforce son profil dans ce secteur et a créé en décembre 2012 un centre arctique - Arcum -, auquel sont désormais affiliés plus de 200 chercheurs de toutes disciplines, de la sociologie à l'étude du réchauffement climatique, qui échangent et coordonnent leurs recherches. La délégation a pu rencontrer plusieurs responsables du centre ainsi que l'ambassadeur suédois pour l'Arctique.
La force d'attraction de l'université d'Umeå repose aussi sur une recherche de très bon niveau, notamment dans les maladies infectieuses, le design industriel et les arts, la biologie végétale... Cette dernière spécialité s'exerce notamment dans un centre de recherche consacré aux biotechnologies forestières et baptisé Umeå Plant Science Center. Il regroupe 200 personnes réparties en 40 équipes, rassemblées dans un même bâtiment depuis 2001. Ce laboratoire, partenaire de l'institut national de la recherche agronomique (Inra), accueille plusieurs chercheurs français que la délégation a pu rencontrer. Cette équipe a dirigé le projet international qui a abouti en 2013 au séquençage du génome du pin. Pour l'anecdote, la Norvège et la Suède sont les deux premiers producteurs mondiaux d'arôme de vanille pour l'industrie car la vanilline peut être obtenue par extraction à partir des aiguilles du pin. Ce centre de recherche est si bien équipé pour l'analyse des protéines et autres molécules qu'il est devenu pôle de référence en matière de dépistage du dopage.
L'accueil de chercheurs et d'étudiants étrangers, notamment au niveau du master, est bien développé. On parle aujourd'hui 130 langues à l'université mais l'accueil est surtout facilité par la prégnance de la langue anglaise ! Des modules de présentation et d'adaptation à la vie suédoise sont aussi proposés systématiquement. Parmi les particularités de la société suédoise, auxquels sont obligatoirement confrontés tous les résidents nationaux ou étrangers, j'aimerais insister sur l'octroi du numéro personnel d'identification, le Personnummer. Ce système va beaucoup plus loin que la numérotation Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou de la sécurité sociale. Attribué par l'administration fiscale, il est essentiel à la vie quotidienne en Suède. Il permet l'accès aux soins, ainsi que le calcul et l'acquittement de l'impôt sur le revenu. Il est aussi utilisé pour les achats sur Internet, pour obtenir un abonnement téléphonique, ...
Le numéro personnel est utilisé comme identifiant par tous les services administratifs : non seulement par l'administration fiscale, mais aussi par les assurances sociales, le service du permis de conduire, le bureau de conscription... Il est également couramment utilisé dans le secteur privé, par exemple par les banques, avec l'accord des intéressés. En pratique, cependant, refuser de fournir son numéro personnel revient à multiplier les embûches et les obstacles. Les banques utilisent, par exemple, le Personnummer pour vérifier la solvabilité d'un client avant d'accorder un prêt.
Le traitement des données du fichier de la population est régi par des textes spécifiques, qui prévoient explicitement la transmission des informations à tous les services administratifs. En pratique, une procédure automatique a été mise en place à cet effet. Ce qui signifie que les croisements de fichiers entre services de l'administration, loin d'être interdits, sont systématiques. On retrouve, me semble-t-il, encore un certain paradoxe suédois : c'est le pays qui, dès 1809, se dote d'un médiateur entre les individus et l'administration, le fameux Ombudsman, et qui, dès 1973, adopte une loi sur l'informatique et les libertés ; mais c'est aussi le pays qui au nom d'une culture de la transparence démocratique et de l'efficacité administrative, recueille, traite et partage une quantité impressionnante de données personnelles sur ses citoyens !
Il serait néanmoins exagéré de prétendre qu'il n'existe aucun contrôle : il existe un service dédié au respect de la loi sur les données personnelles ; toute entreprise ou toute administration gérant des données personnelles doit avoir l'équivalent d'un correspondant informatique et libertés. Surtout les différents Ombudsmen peuvent intervenir au nom de leur mission globale de protection du public. Des affaires récentes de fichages illégaux de Roms suédois en utilisant leur numéro personnel ont été dénoncées par le médiateur anti discrimination (Diskrimineringombudsmannen - DO).
Notre visite à Umeå a été complétée par des entretiens à Stockholm sur le thème de l'évaluation de la recherche en Suède. Nous avons ainsi rencontré des responsables de l'École royale polytechnique (KTH), de la principale agence de financement de la recherche (VR) et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ces échanges ont confirmé à la fois l'importance et les risques de l'utilisation des critères bibliométriques. Certaines simulations ont en effet montré que seules 5 universités suédoises sur 34 survivraient, si l'ensemble des fonds publics était distribué uniquement sur de simples critères bibliométriques.
La principale agence de financement de la recherche - VR - alloue 10,5 % du budget global de la recherche, estimé à 3,6 milliards d'euros. En outre, elle a été chargée par le gouvernement suédois, dans le cadre de la loi quadriennale sur la recherche et l'innovation, de mettre en place un modèle d'évaluation qui permette de redistribuer une partie des dotations inscrites au budget de l'État aux établissements les plus performants. Depuis 2009, un mécanisme de redistribution partielle des fonds gouvernementaux sur la base de la performance a été mis en oeuvre. Il ne repose que sur deux indicateurs : un critère bibliométrique et la capacité à attirer des financements extérieurs. Le modèle en cours d'élaboration ressemble grandement au modèle interne développé par l'École royale polytechnique, lui-même calqué sur le modèle britannique. Trois critères pondérés seraient utilisés : la qualité scientifique pour 70 %, l'environnement de recherche pour 15 %, l'impact en dehors de la sphère académique pour 15 %. L'avenir de ces réformes est cependant suspendu aux résultats des prochaines élections législatives en septembre.
J'ai particulièrement apprécié l'enthousiasme de la maire d'Umeå. Pour l'anecdote, elle nous a expliqué comment elle avait convaincu les juges de lui attribuer le label de « capitale européenne de la culture » : elle a comparé la Suède à un corps humain et Umeå à son coeur battant, car la localisation géographique de la ville correspond à peu près à celle du coeur dans un corps humain. Le logo retenu pour l'année européenne est précisément un coeur.
J'adresse à notre présidente toutes mes félicitations pour ce compte rendu très fidèle qui retrace bien les forces mais aussi les risques du projet d'Umeå. Je dois avouer que nous nous sommes interrogés sur l'opportunité de construire un campus artistique tout au bord du fleuve alors même que le réchauffement climatique est censé provoquer des crues plus fréquentes ! L'hypothèque que représente le partenariat public-privé, avec une entreprise très investie, certes, mais qui tient les clés de la maison, m'interpelle davantage encore... En matière de financement de la recherche, la Suède est encore plus engagée que notre pays dans le recours à des appels à projets compétitifs rapidement renouvelés. En revanche, les conditions d'études accordées aux étudiants sont exceptionnelles et nous pourrions nous en inspirer. Les Suédois ont beaucoup travaillé à l'articulation entre l'enseignement supérieur et le monde de l'entreprise, comme en témoigne la création de start up par les chercheurs de l'université.
J'ai également apprécié cette synthèse. Chacun des participants a retenu des éléments différents. J'ai, pour ma part, eu l'impression que Balticgruppen agissait comme un authentique mécène et partageait les valeurs et le projet de la mairie.
En tant que rapporteure du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, je tiens à saluer l'échosystème institué dans et autour des universités suédoises, qui favorise le transfert social et économique des résultats de la recherche. Les outils mis en place par les agences de financement et le ministère suédois de la recherche pour rendre l'allocation des dotations plus performante correspondent à la même perspective que celle que nous tentons d'adopter depuis la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Je regrette que les échéances électorales freinent cette démarche.
J'ai été très contente de ce déplacement très riche qui nous a montré comment la culture pouvait devenir un instrument de développement global et de cohésion sociale de la maternelle à l'université.
Je ne peux que m'associer à ce concert de louanges. J'ai, moi aussi, été impressionnée par le travail de la maire d'Umeå qui a su mettre la culture au coeur de son projet communal. Les universités suédoises représentent par ailleurs un modèle exceptionnel de transferts entre la recherche et le monde économique. La transposition pure et simple dans notre pays serait sans doute très délicate tant les cultures et les structures diffèrent. L'inspiration demeure.
La réunion est levée à 11 h 20.