La réunion

Source

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux d'accueillir M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, que j'ai connu lorsqu'il était sénateur avant qu'il ne devienne un ministre de la fonction publique reconnu pour son attachement au dialogue social. Nous avons par ailleurs souhaité que la réflexion du Sénat sur l'organisation territoriale de la République ne soit pas déconnectée de la réalité, et c'est pourquoi nous avons auditionné un grand nombre d'acteurs, parmi lesquels les organisations syndicales, les présidents des assemblées permanentes des chambres consulaires, ou encore les chefs d'entreprises, dont la qualité d'investisseur en fait les interlocuteurs naturels des collectivités territoriales. Nous sommes également partis, hors nos murs, à la rencontre des élus locaux, afin de recueillir d'autres points de vue sur l'organisation territoriale que ceux présentés par les grandes associations d'élus.

Votre angle de vue, Monsieur le président, sur ces questions territoriales nous permettra d'alimenter notre recherche de solutions aux problèmes économiques et sociaux auxquels nos territoires sont confrontés : la lutte contre le chômage, le développement de la vie des entreprises, la mise en oeuvre de la meilleure politique de l'emploi possible et l'articulation des différents échelons territoriaux pour assurer le meilleur service à nos concitoyens et assurer la mise en oeuvre des grandes priorités nationales.

En outre, je me souviens que vous nous aviez précédemment alertés sur l'état de souffrance de notre démocratie. À ces raisons qui nous ont incités à vous inviter, j'ajouterai également la remarque formulée par la représentante de la Confédération générale du Travail (CGT) que nous auditionnions ce matin et qui a ouvertement regretté que notre commission n'ait pas saisi, à titre liminaire, le Conseil économique, social et environnemental. Après avoir signalé à cette personnalité votre audition de cet après-midi, il m'a fallu lui faire observer que nous n'étions pas maîtres de l'ordre du jour et qu'il eût mieux valu que le Gouvernement procédât lui-même à cette saisine en temps utile, avant de solliciter l'examen du Parlement.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est un plaisir de partager avec vous les questions ainsi que les attentes et les critiques qui sont les miennes. Il y a plusieurs façons d'aborder l'organisation du territoire et je regrette la méthode, quel que soit le gouvernement en cause, qui a été suivie par cette réforme.

La carte territoriale ne doit pas être un objectif, mais une réponse à la question de l'offre territoriale à mettre en oeuvre pour atteindre la meilleure performance économique et assurer la meilleure cohésion sociale possible dans l'économie de flux qui caractérise la mondialisation. En effet, on assiste à un double bouleversement - celui de la circulation de l'information et celui des modes énergétiques - qui va modifier en profondeur la géopolitique et l'organisation des territoires. Deux exemples me paraissent à cet égard illustratifs. Lorsqu'en 1945, les Américains estimaient que les relations commerciales permettaient d'instaurer la paix, ils utilisèrent principalement deux technologies : le téléphone, pour assurer la remontée de l'information, et le container, pour abaisser considérablement le coût des transports. Mais la transformation profonde induite aujourd'hui par le numérique implique une remise en cause déchirante de l'organisation verticalisée de notre société, qui est issue de la Monarchie et qu'a endossé notre République. Notre perception que, dans le monde moderne, nous pouvons maîtriser la circulation des capitaux, des idées, des marchandises et des hommes est désormais totalement erronée.

Il ne s'agit plus de conquérir de nouveaux territoires géographiques, comme du temps de la colonisation avec laquelle s'est amorcée la première forme de mondialisation, mais d'acquérir de nouveaux espaces d'innovation, en gérant non plus la richesse des sols et des sous-sols, mais désormais l'intelligence. L'économie n'est plus ainsi fixée sur un territoire et la puissance d'un État industriel ne réside plus dans la possession de la bombe atomique, mais désormais dans celle des banques de données : c'est pourquoi Mme Angela Merkel et M. Barack Obama ont pris acte de cette nouvelle conception de la performance économique qui repose sur la capacité de mesurer les besoins d'un marché et d'assurer le développement d'une offre singularisée et, par conséquent, d'une industrie qui permette de la proposer.

Fort de ce constat, deux questions doivent être posées du point de vue des territoires : quelles sont les mesures qui doivent être prises pour que les jeunes du monde entier aient envie de venir étudier en France et que les capitaux convergent également vers notre pays ? Aujourd'hui, le pouvoir d'attractivité d'un territoire est essentiel et attire l'intelligence et la recherche tout en demeurant un facteur de cohésion sociale.

Nous ne sommes plus dans une économie physique, mais chimique. Ainsi, l'organisation territoriale doit suivre cette évolution : alors que l'économie rurale reposait sur les villages et que l'économie industrielle s'organisait autour des villes, l'économie est désormais celle de l'innovation et de l'intelligence, impliquant de nouveaux modes de connexion et de collaboration. Une telle évolution implique nécessairement la disparition de mythes qui prévalaient jusqu'alors : on peut désormais inscrire toute activité économique dans n'importe quel territoire au monde et payer ses impôts dans n'importe quel État au monde. Une deuxième étape est d'ailleurs franchie avec la déconnection des finances de l'économie.

Rappelons-nous l'issue d'une bataille, qui a pourtant laissé totalement insensible la classe politique dans son ensemble, qui s'est livrée sur la question essentielle du maintien de la place financière de Paris. Un trader haute-fréquence assure vingt-sept mille opérations par seconde et quatre-vingt-dix-huit pour cent des échanges commerciaux mondiaux quotidiens sont financiers. Les donneurs d'ordre de la place de Paris sont ainsi partis pour Londres car la différence du temps, qui se mesure en nanosecondes, requis pour passer un ordre entre Paris et la City, crée une distorsion de concurrence qui nous est défavorable. Ainsi, quelle que soit l'offre territoriale proposée, l'absence d'attractivité et un retard technologique se solderont par des échecs pour les territoires incapables d'y remédier.

Une telle réalité remet en cause le mythe de l'égalité entre les territoires : dans une logique d'offre territoriale, il importe d'optimiser le développement des capacités d'attractivité des différents territoires en fonction de leurs caractéristiques. Il nous faut donc réfléchir à une offre territoriale qui ne soit plus celle du passé, mais qui contienne plutôt, et c'est une occasion qui me paraît manquée, une dimension prospective qui définisse une organisation territoriale moderne dans une société moderne.

Plusieurs faits nous conduisent à constater que la réforme territoriale proposée ne répond pas aux exigences actuelles. En effet, les trois sujets politiques abordés par l'ensemble des gouvernements du monde entier concernent le choc des territoires, à savoir la localisation des activités selon les territoires, la démographie et le choc des générations, ainsi que le choc des identités, comme en Europe qui a besoin d'accueillir une population d'origine extra-communautaire d'ici à 2030 pour assurer son développement économique. Il faut ainsi, d'un côté, assurer l'attractivité des territoires pour les investisseurs et, de l'autre, garantir la cohésion sociale afin d'éviter les chocs identitaires.

Autre élément qu'il me paraît important intégrer : la croissance est actuellement faible et devrait demeurer comme telle. Les taux de croissance sont bien souvent avancés pour équilibrer les budgets et ne reflètent nullement la réalité économique à laquelle ils sont censés correspondre. La faiblesse du taux de croissance avive la précarité de la cohésion sociale, dans un contexte où l'Europe représente 6 % de la population mondiale pour 20 % du produit intérieur brut mondial et 50 % des transferts sociaux. La question aujourd'hui réside dans celle d'un projet territorial : comment ancrer dans les territoires une performance économique de dimension mondiale tout en maintenant une cohésion sociale qui semble, notamment aux États-Unis, présenter de sévères risques de dislocation ? Il s'agit également de prévenir la désespérance des populations et les éventuelles occurrences d'une sorte d'« infarctus territorial » induisant l'irruption de la violence sociale et empêchant la stabilité des territoires et des personnes qui s'y trouvent.

Une autre mécanique doit également être intégrée par cette démarche de prospective territoriale : le développement de l'économie numérique et de la robotisation qui menace à terme 40 % des emplois américains et 52 % des emplois européens. Cette évolution illustre le bien-fondé de l'intuition de Keynes qui prévoyait la création de plus de richesses par de moins en moins de travail. Une telle tendance ne peut que bouleverser les relations sociales et les politiques fondées sur la solidarité. Aujourd'hui, l'offre territoriale, que promeut le projet gouvernemental, est abordée en termes d'organisation des pouvoirs républicains, issue de la Monarchie, et non d'optimisation des potentiels. Un certain nombre de questions aurait ainsi dû être posé, comme la place, dans le monde, de la régulation publique, issue du modèle européen et français, dans une économie de flux mondial de tendance ultralibérale. C'est un enjeu déterminant, puisque la dimension des défis impose la dimension des réponses et il eût fallu évaluer, avec exactitude, le niveau des régulations continentales et le rôle qu'y joue l'État, avant que d'envisager les déclinaisons territoriales à mettre en oeuvre pour renforcer l'attractivité.

Par ailleurs, le fait métropolitain - qu'envisageait d'ailleurs la précédente loi - est majeur : 30 % de la richesse mondiale sont captés par les soixante plus importantes métropoles mondiales alors que, dans les quinze prochaines années, ce seront 75 % de la richesse mondiale qui le seront par les six cents plus grandes aires métropolitaines. Ainsi, les aires métropolitaines sont en marche et il convient de construire des régions métropolitaines à l'échelle de la planète. D'ailleurs, celles-ci connaissent un seuil limite : au-delà de trois millions d'habitants, elles connaissent une réelle forme de saturation. Il importe d'y mêler les universités, les centres de recherche, les capitaux et les décideurs politiques ce qui, du reste, n'est pas le cas en Allemagne dont les collectivités territoriales ont réduit de près de cent milliards d'euros leurs investissements, ce qui devrait, à terme, amoindrir considérablement leur performance économique. À l'inverse, on constate, au niveau européen cette fois, une prise de conscience qui devrait conduire au déblocage de 300 milliards d'euros en faveur du développement des infrastructures.

M. Paul Krugman, Prix Nobel d'économie, déclarait qu'il fallait repenser l'économie numérique et je m'attendais à ce que l'État, alors qu'il engageait la réforme absolument nécessaire de la réorganisation territoriale, conduise cette analyse prospective qui prenne en compte l'évolution de la conjoncture internationale et aboutisse à reconfigurer le territoire de manière optimale. Or je crains qu'une approche extrêmement classique, consistant dans un premier temps à dresser une carte et à attribuer les compétences, ne soit suivie. Il faut ainsi aujourd'hui gérer la captation des flux qui passent par les territoires et la valeur ajoutée qu'ils créent : à cet égard, la Banque mondiale a annoncé l'inclusion, dans les trente années qui viennent, de près de 2,5 milliards de personnes dans la classe moyenne, dont un gain quotidien de 10 à 100 dollars représente le seuil d'inclusion. Ce chiffre comprend une centaine de millions d'Européens, peu de personnes en Afrique alors que la quasi-totalité des personnes concernées se trouve dans la région Asie-Pacifique. Si 10 % de cette nouvelle classe moyenne, soit 250 millions de personnes, se rendait en France, dont le nombre de touristes annuels est de 80 millions, comment bénéficier de cette manne ? Les défis qui se posent aux territoires résident bel et bien dans la capacité de capter la valeur ajoutée que génèrent les flux.

Cette perspective souligne la question de l'inadaptabilité de la fiscalité à un tel phénomène. Ainsi, toute la fiscalité des collectivités locales est fondée sur la propriété foncière issue de la société rurale ou sur l'outil économique ou industriel, et non sur les flux. En outre, avec le quinquennat, nous ne sommes pas en mesure d'ouvrir des « chantiers républicains » impliquant l'ensemble de la classe politique et assurant la stabilité des dispositifs notamment fiscaux. L'ensemble des investisseurs internationaux considère d'ailleurs la France comme un marché trop étroit et trop à risques, du fait des revirements que connaît la réglementation du fait des alternances politiques tous les cinq ans. Il eût fallu ainsi assurer la stabilité, dans le temps, de la réforme et veiller à ce que nul cycle électoral n'en perturbe la mise en oeuvre effective puisqu'il s'agit avant tout de préparer l'avenir et non de se livrer à je ne sais quel jeu de pouvoirs.

En outre, la réforme ne doit plus apparaître comme une punition mais porter plutôt une réelle espérance : une telle démarche doit ainsi être prospective et mieux prendre en compte l'opinion des citoyens.

C'est la raison pour laquelle privilégier la potentialité et la diversité des territoires implique de remettre en cause les idées d'égalité et d'uniformité. Ceux-ci pourraient ainsi se voir reconnaître des pouvoirs différents, voire des capacités dérogatoires, en fonction de leurs caractéristiques.

Enfin, s'agissant de ce que j'évoquais précédemment comme le choc des identités, il importe que les limites des territoires respectent l'histoire et la géographie. D'ailleurs, la prise en compte des seuls intérêts économiques pour délimiter les frontières, notamment par la France et le Royaume-Uni, demeure l'origine des conflits au Moyen-Orient. Lorsqu'on ne respecte pas la géographie, l'histoire et la culture des hommes, à un moment ou un autre, les frontières suscitent les heurts identitaires et avivent les violences. Je crains ainsi que l'actuel projet territorial relève d'une conception surannée qui ne saisisse pas les défis de l'avenir.

Il est naturel que les régions doivent devenir métropolitaines, tout en veillant au devenir des territoires interstitiels. À l'évidence, il importe que ces régions développent leur potentiel d'attractivité obéissant, en cela, à une conception moderne de la puissance qui ne se limite ni au nombre d'habitants ni à la superficie. Notre intelligence cartésienne est ainsi mise à mal : en Europe, par exemple, les petites régions d'Italie du Nord sont plus puissantes que les vastes régions peuplées du Sud de l'Italie ! En outre, l'évolution des aires métropolitaines mondiales illustre cette déconnection de la puissance avec la population et la superficie : alors que des aires de 10 à 12 millions d'habitants déclinent, des métropoles de 2 à 4 millions d'habitants connaissent un réel dynamisme. Dans une économie d'innovation, la capacité de recherche, favorisée par les partenariats entre les universités et les entreprises, est essentielle : le pouvoir des territoires doit ainsi assurer cette forme de maillage. L'offre territoriale de l'État, en matière d'université et de politiques de l'emploi, doit ainsi être très fortement corrélée aux caractéristiques des territoires. Il importe que les régions soient capables de mettre en oeuvre les transversalités plus nécessaires que jamais. En outre, les investissements privés doivent, à terme, se substituer aux dotations publiques dans une logique d'efficience et en offrant des garanties publiques aux capitaux privés.

Enfin, cette évolution doit également amorcer celle de la comptabilité publique qui doit aider l'État capitaliste, auquel je crois, à optimiser la gestion de son patrimoine. D'ailleurs, les collectivités locales devront, à terme, tirer leurs principales ressources non de la fiscalité, mais de l'optimisation de la gestion de leur patrimoine, fût-il privé. Aujourd'hui, les principes de la comptabilité publique, qui repose sur l'équilibre entre les actifs et le passif, le fonctionnement et l'investissement, ne peuvent rendre compte des investissements dans les territoires que les acteurs locaux devraient conduire afin d'instiller la dynamique que j'appelle de mes voeux. En effet, les régions qui vont pouvoir se développer, seront celles qui investiront les fonds publics dans des programmes de recherche qui ne sont cependant pas sans risque ! L'exemple de l'Institut Gustave Roussy, qui accueille des équipes de recherche nord-américaines et qui devrait devenir l'un des cinq premiers laboratoires de recherche au monde, le prouve : c'est en recherchant des modes de rémunération et des investissement alternatifs à ceux fixés par la comptabilité publique que cette entité publique française a considérablement renforcé son attractivité ! Alors que l'on souhaite libérer aujourd'hui les initiatives dans les territoires, il faut ainsi réfléchir à l'évolution des réglementations comptables et des structures budgétaires qui en freinent désormais le dynamisme.

L'éducation est aussi un domaine prioritaire pour le développement des territoires. Dans ce domaine, la centralisation nivèle manifestement l'innovation. Alors qu'il faudrait valoriser les initiatives des étudiants dans l'économie de l'innovation et de l'intelligence, le système éducatif ne sanctionne que les échecs ! Alors que le principe d'égalité est réaffirmé, on assiste à la marginalisation, voire à l'exclusion, d'un nombre grandissant d'étudiants ! L'expérimentation devrait ainsi être mise en oeuvre au niveau des territoires, sous réserve d'un encadrement préalable.

Si je suis tout à fait favorable à la fin de la clause de compétence générale, l'approbation par les préfets des schémas régionaux suscite, en revanche, ma réserve, car elle participe d'une forme de défiance alors que la confiance demeure le principe même de l'économie de l'innovation. Une telle démarche reflète une défiance analogue à celle éprouvée à l'encontre du marché dont l'encadrement est considéré comme prioritaire, ce qui nuit à son développement. Les Anglo-saxons en ont une conception plus saine : la régulation intervient a posteriori, ce qui n'entrave pas l'essor du marché !

Un tel état d'esprit nous condamne à ne pas profiter des potentiels que recèle notre pays ! Il importe de sortir du carcan décentralisateur pour libérer les initiatives des territoires et gagner la bataille du digital. Aujourd'hui, l'État ne doit plus contrôler mais réguler, et les régions doivent disposer de pouvoirs dérogatoires qui leur permettent de soutenir les initiatives innovantes. La force de la France réside dans l'inventivité et toute réforme la restreignant au motif d'économies budgétaires prises comme objectifs exclusifs est vouée à l'échec. Retrouver une société de confiance est un impératif. Or l'État central ne fait confiance ni aux territoires ni aux élus locaux ! Mais prenons aussi garde à ne pas substituer au centralisme de l'État celui de la région qui reviendrait à consacrer une gestion partisane du développement des territoires ! Il faut ainsi réfléchir à une nouvelle forme de contrôle garantissant l'équité de l'argent public et redéfinir les relations entre les élus et leurs administrés sur de nouvelles bases.

On peut également imaginer un partenariat très dynamique entre les régions et les départements dont l'évolution doit suivre les caractéristiques locales. ll faudrait ainsi que la fiscalité fasse l'objet d'un grand chantier républicain entre la majorité et l'opposition, afin que l'imposition ne devienne plus confiscatoire et contribue à aggraver les inégalités. La définition d'une fiscalité régionale, fondée sur la richesse économique, constituerait une première piste et si l'on suivait le principe de l'adéquation entre la nature des dépenses et des ressources, les départements devraient bénéficier, en matière de solidarité nationale, d'un impôt partagé sur la contribution sociale généralisée (CSG).

S'agissant du rôle du préfet, je souhaiterais que celui-ci dispose d'un droit de contentieux et non plus d'un pouvoir de contrôle qui traduit la défiance de l'État vis-à-vis des collectivités locales.

En ce qui concerne ces dernières, il importe de remettre en cause le mythe de la géographie et répondre aux deux questions essentielles que sont l'accès et la qualité des services publics. La technologie permet désormais de décrocher la géographie de la création de pôles d'intelligence administrative et de remédier ainsi aux écarts de qualité aujourd'hui constatés qui peuvent être sources d'insécurité juridique pour les élus. De tels pôles garantiraient d'ailleurs aux maires une même qualité sur l'ensemble du territoire. En outre, la réforme actuellement en discussion devrait apporter des outils pour activer les fusions de communes et favoriser l'émergence d'une logique de services administratifs aux compétences géographiques dépassant les circonscriptions politiques. D'ailleurs, on observe une démarche analogue dans les grandes entreprises qui accroissent simultanément leur puissance et la déconcentration de leurs entités locales dans un souci de proximité et d'efficacité. Pourquoi les grandes régions métropolitaines ne délégueraient-elles pas à des pôles départementaux un certain nombre de tâches, comme l'accompagnement local des politiques sociales, tandis que les communes pourraient déléguer les tâches administratives, dont le suivi leur est difficile, à des pôles de mutualisation de services à l'échelon intercommunal ?

Le seuil de 20 000 habitants ne devrait pas être retenu pour les établissements publics de coopération intercommunale puisque prendre le nombre d'habitants comme seul critère de légitimité relève d'un cartésianisme suranné. Il vaut mieux prendre en compte les bassins de vie et leurs interactions, ce que, du reste, ne fait pas l'actuel projet d'organisation territorial qui fait fi de l'histoire et des flux entre ces bassins et leurs habitants ! Seule une réflexion pertinente sur la notion d'offre territoriale aurait permis de redéfinir les contours des régions, en fonction de la réalité quotidienne de nos concitoyens et des perspectives de développement et d'attractivité. Je crains que la configuration bientôt retenue pour notre organisation territoriale ne réponde pas aux défis du monde de demain et qu'elle suscite l'incompréhension des Français qui seront tentés par des réflexes identitaires extrêmement lourds et considéreront cette réforme comme aiguillée par la recherche du pouvoir et non comme l'expression d'un projet de société.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie, monsieur le Président, pour votre intervention dont le contenu nous prouve que nous avions raison de vous entendre. Nous souhaitons donner en effet du sens à cette réforme territoriale qui ne doit pas se limiter à un transfert de compétences entre collectivités, mais contribuer au développement de notre pays. Je rappellerai, sur ces chantiers de l'avenir que vous appeliez de vos voeux, que la composition de notre commission, avec deux rapporteurs issus de la majorité et de l'opposition sénatoriales, reflète le souci qui est le nôtre, et que vous partagez, d'un consensus le plus large sur le contenu de cette réforme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

L'audition du Président Delevoye nous incite, comme chaque fois, à placer la prospective au coeur de notre vision de législateur. Parmi les lois que nous avons votées, celles de 1982 présentaient cette dimension prospective dont les autres lois décentralisatrices ne sont, finalement, que la continuité. Le contrôle relève également d'une forme de propension naturelle de l'État, qui n'est plus un acteur du développement économique à part entière mais dont l'administration ne répond pas aux besoins exprimés localement. En outre, nous avons modifié la Constitution pour permettre aux collectivités ultramarines, dont chacune d'elles présente des spécificités institutionnelles, voire organiques pour la Nouvelle-Calédonie, de mieux s'organiser en fonction de leurs caractéristiques géographiques. D'ailleurs, les plus performantes d'entre elles ont choisi de fusionner le département et la région, ce qui a conduit à modifier la Constitution pour autoriser une telle démarche ! Si l'on ne peut supprimer un niveau de collectivités sans modifier la Constitution, il est possible de créer, par la loi, des collectivités spécifiques, à l'instar de la métropole de Lyon. On peut très bien créer une collectivité unifiée de l'Alsace par la loi ! Il n'y a donc plus d'obstacles constitutionnels pour assurer une telle démarche.

La fusion des départements, prévue par la loi du 16 décembre 2010, puis supprimée, devrait être autorisée à nouveau. Il est parfois difficile cependant d'entrevoir le lien entre départements et régions ; comme je le dis souvent, il y a des Picards, mais pas de Picardie ! Même si je suis très en faveur de la décentralisation, il me faut reconnaître que certains élus peuvent se tromper et qu'une forme de contrôle doit être maintenue et aller au-delà du contrôle a posteriori, voire de celui conduit par la Cour des comptes qui ne peut empêcher certains investissements aux finalités incertaines et aux conséquences désastreuses pour les finances des collectivités locales ! Les exemples abondent de ces investissements de prestige surdimensionnés par rapport aux collectivités où ils étaient conduits !

Il faudrait également s'interroger sur le contenu des schémas régionaux au caractère prescriptif. Certes, le schéma de développement de la régional d'Île-de-France est cohérent et l'ensemble des schémas de développement locaux des collectivités de cette région doivent s'y conformer. Cette exigence concerne également les plans locaux d'urbanisme. Cette réalité implique de doter la région de réelles responsabilités en la matière.

Il me semble enfin que le numérique ne peut pas tout régler. En effet, plus il y a de numérique, plus la présence humaine est nécessaire. Si cette condition n'est pas réunie, la diffusion du numérique devrait conduire à un appauvrissement de la démocratie au sein des territoires qui connaissent déjà de sérieuses difficultés. En effet, nombreuses sont les personnes pour lesquelles l'usage des nouvelles technologies est difficile et qui éprouvent le besoin d'un interlocuteur pour les guider dans leurs démarches.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Suite aux propos fort intéressants et stimulants tenus par le Président Delevoye, j'aurai une question sur l'effet de la décentralisation. À la suite des Trente Glorieuses qui marquent le développement sans précédent de notre pays, on pourrait évoquer les « Trente heureuses » qui scandent le formidable développement économique conduit par les acteurs locaux, sous l'effet de la décentralisation amorcée en 1982. Il faudrait évaluer l'apport de la décentralisation dans la modernisation de notre pays et ce, tandis que la réforme que nous examinons actuellement conduit à une recentralisation rampante. Les propos tenus par le Président Delevoye nous exhortent à alléger le carcan administratif et s'inscrivent à l'opposé de ce qui nous est proposé. Alors que l'on constate que la réforme proposée renforce le paradigme de l'État centralisateur, quelle pourrait être la manière d'en modifier le dispositif afin d'assurer une plus grande décentralisation sans laquelle le développement des territoires me paraît compromis ?

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental

Le numérique va en effet renforcer le besoin en contacts humains car si le numérique va individualiser l'offre administrative, la compréhension de son mode de fonctionnement implique un accompagnement. La décentralisation a en effet concouru à l'accélération du développement et de l'équipement de nos territoires. Mais force est de constater une fausse donne affectant initialement les relations entre l'État et les collectivités territoriales puisque, de 1982 à 1992, les dépenses de fonctionnement ont été valorisées au détriment de l'investissement public. Si une commune, par exemple, transférait la totalité de ses charges à l'échelon intercommunal, elle continuerait à toucher la même dotation communale tandis qu'augmenterait, dans le même temps, la dotation intercommunale.

J'aurais souhaité que l'évaluation de la décentralisation conduite de 1982 à 1992 concernât autant ses points positifs que négatifs. Le système reposant sur les compensations financières grève le budget des collectivités locales qui sont désormais soumises à l'arbitrage de l'État qui ne peut plus soutenir le développement local, engendrant une sorte d'auto-asphyxie du modèle institué à partir de 1982.

Comment faire en sorte que les dotations de l'État permettent d'optimiser les dépenses d'investissement et que les prochaines fusions entre échelons administratifs n'induisent pas, au final, une hausse des dépenses de fonctionnement ? Les départements qui se sont engagés dans la mutualisation, de façon volontaire, devraient être incités financièrement à la maîtrise des coûts de fonctionnement.

L'acceptation de l'impôt, sa nature, ainsi que sa dynamique même doivent également faire l'objet d'une réflexion. En effet, il me paraît évident que si la nature fiscale demeure différente de celle de la dépense, le risque d'une rupture d'égalité pourrait concerner certains départements connaissant un accroissement de la démographie des personnes âgées avec, en retour, une diminution de leurs ressources, vis-à-vis de la politique de solidarité nationale.

Enfin, il m'apparaît que d'autres questions n'ont pas été abordées, comme celle des services départementaux d'incendie et de secours : sommes-nous dans une démarche de responsabilisation impliquant un dialogue entre l'État et les départements ?

Les lois comme celle que vous examinez à présent devraient, au contraire de ce que nous constatons, jeter les bases d'un partenariat gagnant-gagnant entre l'État et les collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci, Monsieur le président, pour votre contribution et celle du Conseil économique, social et environnemental que vous présidez, à la réflexion conduite par notre Commission des lois.

La commission procède à l'audition de M. Christian Vigouroux, président de la section du rapport et des études du Conseil d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous transmets les excuses de M. Sauvé, vice-président du Conseil d'État, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui : nous aurons d'autres occasions de l'entendre. Nous recevons M. Christian Vigouroux, président de la section de l'Intérieur du Conseil d'État.

Nombre de nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de simplifier, clarifier les compétences, renforcer la lisibilité des politiques publiques. Or les mêmes considèrent souvent qu'il faut accepter de ne pas mettre toutes les collectivités territoriales sous la même toise et qu'à l'exception des communes, qui doivent conserver la clause de compétence générale, il faut les transformer en collectivités territoriales spécialisées... à condition qu'elles coopèrent entre elles, ce qui requiert des schémas d'organisation, et que les délégations soient possibles. Simplicité ?

Nous souhaitons vous interroger sur des points précis et délicats. Faut-il adapter le droit aux spécificités des territoires ? Que signifie la délégation d'un pouvoir réglementaire aux régions ? S'agit-il d'adapter les modalités d'application de certaines lois ? De prévoir des procédures de déclenchement de l'initiative législative par le vote d'une collectivité territoriale ? De conférer aux collectivités territoriales une faculté d'expérimentation ?

Le texte que nous examinons comporte des schémas régionaux prescriptifs. L'approbation préalable de ces schémas par le préfet inquiète certains élus, car elle rappelle l'acte de tutelle le plus fort qui existait avant la décentralisation.

Debut de section - Permalien
Christian Vigouroux, président de la section de l'intérieur du Conseil d'État

Le Sénat dispose évidemment de toutes les lumières souhaitables en matière juridique. Nos avis ne sont pas publiés, je m'en tiendrai donc nécessairement à la loi. Mais depuis quelques années, nos rapports publics révèlent - avec l'aval du Gouvernement - une large part de nos avis, qu'ils soient rendus sur des questions ou sur des textes.

Le pouvoir réglementaire des régions est inscrit dans la Constitution. Si une question se pose, elle ne concerne donc que les modalités. Il nous arrive de refuser la mention du pouvoir réglementaire des régions dans un texte de loi : nous le faisons au motif qu'elle est inutile, ou qu'elle peut entraîner la nécessité d'ajouter la même précision pour les autres collectivités. Les gouvernements ont parfois du mal à entendre cette position, mais le Conseil d'Etat est adverse à la répétition des dispositions constitutionnelles dans les lois.

Ce pouvoir réglementaire se manifeste de mille manières : par exemple, dans un avis rendu sur une proposition de loi de simplification des normes, déposée par le sénateur Doligé, nous avons affirmé qu'une disposition donnant au président du conseil général le pouvoir d'adapter les critères d'agrément des assistants maternels ne se heurte à aucun principe de valeur constitutionnelle. La décision du Conseil constitutionnel de 2002 sur la loi relative à la Corse énumère les conditions dans lesquelles le législateur peut détailler les modalités du pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale. Il n'est ni originel ni autonome comme celui de l'article 21 de la Constitution. Notre avis de 2002 précise que c'est au législateur de moduler le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, matière par matière et au cas par cas. C'est une autre raison pour laquelle nous sommes réticents à le voir mentionner dans la loi. Ce pouvoir réglementaire ne s'exerce que pour les compétences des collectivités territoriales et sous réserve du respect des grands principes du droit. Lors du vote de la loi constitutionnelle de 2003, un amendement qui introduisait la réserve des collectivités territoriales à l'article 21 de la Constitution n'avait pas été adopté. Dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire, les collectivités territoriales doivent respecter le principe d'égalité. Une collectivité peut exonérer les entreprises de certains impôts, mais dans un but général et en fonction des différences objectives de son territoire, comme l'a déclaré le Conseil constitutionnel le 20 avril 2012.

La loi module au cas par cas le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales : le RSA est entièrement défini par l'État, les exonérations d'entreprise, non. Notre avis du 15 novembre 2012 insiste sur la nécessité de bien articuler le pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale avec celui du Premier Ministre comme avec celui des autres collectivités territoriales. Lorsque le Gouvernement agit sur la base de l'article 37 car il n'existe pas de loi, il ne peut pas définir les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent agir : seul le législateur peut le faire. Nous avons affirmé en mai 2013 que celui-ci doit préciser les conditions dans lesquelles l'exercice du pouvoir réglementaire par une collectivité territoriale peut encadrer, coordonner ou influencer le même pouvoir réglementaire d'une autre collectivité territoriale, dans le cadre de schémas en particulier.

Les collectivités territoriales peuvent fixer les modalités d'application de la loi dans les limites de leurs compétences. Elles peuvent aussi compléter les orientations nationales, comme le précise l'article L 1311-1 du code de la santé publique. Elles peuvent même les adapter, comme notre avis de 2012 l'a laissé entendre, à condition que le législateur en ait ouvert cette voie. Le Conseil constitutionnel comme le Conseil d'État ont admis qu'une collectivité territoriale peut devenir chef de file sur une compétence donnée, ce qui donne à son pouvoir réglementaire une prééminence sur celui des autres collectivités territoriales. Le même avis envisage les cas dans lesquels le silence du législateur peut être interprété comme reconnaissant le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, dans le champ de leurs compétences.

Le schéma régional prescriptif est un mode d'expression fréquent du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Il peut avoir l'ambition de traduire la clause de compétence générale de la collectivité territoriale qui l'élabore. Avec les schémas d'aménagement régionaux, nous ne sommes pas loin de la clause de compétence générale... Si cette clause est supprimée, la question se simplifiera : chaque schéma traitera la compétence de la collectivité territoriale qui l'aura élaboré.

Nous avons dans notre rapport sur le droit souple dénoncé l'enchevêtrement des schémas et les expressions telles que « tenir compte de », « s'inspirer de », « être compatible avec » ou « être conforme à ». Pour dissiper ces perplexités, nous avons produit quelques lexiques illustrés - ce qui est toujours mauvais signe... La prescriptibilité des schémas régionaux frise la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Le Conseil d'État a donc, par précaution, demandé que soit substitué le terme de compatibilité à celui de conformité et, en cas de doute, a recommandé l'approbation par le préfet, non pour rétablir une tutelle de l'État mais pour introduire un tiers médiateur.

Notre rapport public de 2011, en sa page 389, rappelle que le Conseil d'État a estimé que le principe d'égalité faisait obstacle à l'adoption de dispositions spécifiques à la région Île-de-France en matière d'intervention foncière : tout écart au principe d'égalité doit être justifié. Nous avons validé - comme le Conseil constitutionnel - la théorie du chef de file, qui crée une faille dans le dogme de l'égalité absolue des collectivités territoriales : l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ne fait pas obstacle à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles des collectivités peuvent exercer en commun certaines de leurs compétences. Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé le 9 décembre 2010 que l'institution du conseiller territorial, dans les formes qui lui étaient alors présentées, était une tutelle de la région sur le département. L'avis que nous avons rendu en juin 2011 sur le schéma corse a imposé que ce soit l'État qui définisse l'échelle et le degré de détail du schéma.

La clause de compétence générale est décrite dans certains traités de droit administratif, par Yves Jegouzo ou par Jean-Marie Pontier (dans son article Mort ou survie de la clause générale de compétence) comme un mort-vivant qui ne se porte pas trop mal... Nous ne voyons pas plus d'objection à son maintien qu'à sa suppression : c'est une question d'opportunité. En principe, la compétence relève de la loi. Sans méconnaître l'article 34 de la Constitution, qui réserve au Parlement les principes fondamentaux des compétences des collectivités territoriales, un article a été introduit dans le code général des collectivités territoriales pour rendre possible un transfert de compétences entre régions et départements. Certes, les collectivités territoriales n'ont pas la compétence de leur compétence, mais à travers les transferts, les délégations et les renvois, elles s'en approchent ! Le Conseil d'État s'en est ému, et a affirmé que la compétence des collectivités territoriales ne relève pas de délégations ou de contrats entre elles. Sur ce point, le Conseil constitutionnel s'est montré plus ouvert que le Conseil d'Etat - ce qui est rare. Du coup, nous ne bloquons plus des suppressions de clause de compétence générale assorties d'un rattrapage par délégation. À titre personnel, j'en reste cependant à notre position initiale.

La clause de compétence générale est supprimable, comme l'a affirmé le Conseil constitutionnel le 9 décembre 2010. Mais il n'est jamais question de la supprimer pour les communes ! Comme il est de tradition chez nous, nous prévoyons des amortisseurs à la réforme, en veillant à ce que la suppression de la clause de compétence générale ne dénature pas la collectivité territoriale, en l'assouplissant par des délégations ou des transferts, en ouvrant la possibilité de prendre toute compétence qui n'a pas été affectée à une autre collectivité territoriale et en conservant de multiples compétences partagées : le tourisme, la culture et le sport sont réputées être des compétences insécables.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il n'est pas question en effet de supprimer la clause de compétence générale des communes. Elles délèguent une partie de leurs compétences aux intercommunalités. Le département ne devrait-il pas avoir une compétence de solidarité territoriale ? De nombreux conseils généraux ont conclu des contrats de territoire avec des intercommunalité ou des villes : le département aura-t-il encore sa place dans les domaines concernés ?

Debut de section - Permalien
Christian Vigouroux, président de la section de l'intérieur du Conseil d'État

Ce fut un point d'achoppement lorsque nous avons examiné les textes dont nous parlons. Qu'allait-il rester au département ? Le social ? L'article qui traitait du soutien aux collectivités territoriales était abrogé. Nous nous sommes demandé si le département n'allait pas devenir une coquille vide. Comme une disposition faisait du soutien général aux communes une compétence spéciale forte, nous avons considéré que ce ne serait pas le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Dans la région Île-de-France, le schéma directeur de la région Île-de-France est approuvé non par le préfet mais par décret en Conseil d'État. Tout schéma doit être porté à la connaissance de l'État, qui doit pouvoir défendre ses intérêts fondamentaux. La multiplication des schémas est étouffante. Président d'un syndicat mixte d'études et de programmation, j'élabore un Scot. Je suis confronté à quatre schémas contradictoires ! Si la région reçoit des compétences économiques, elle doit participer à l'aménagement du territoire. Je n'ai jamais cru à la clause de compétence générale : après tout, la compétence est donnée par la loi. Laissons donc vivre le mort-vivant...

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Le Conseil d'État devrait se pencher sur l'hétérogénéité des intercommunalités et la diversité de leurs fonctionnements juridique et financier. La Cour des Comptes a affirmé que ce n'était pas la « collectivité territoriale » qui avait le mieux rationalisé ses dépenses... La notion de chef de file est un progrès. Quand le Conseil constitutionnel déclare que cela consiste à déterminer les modalités de l'action commune, c'est un peu faible ! La compatibilité est hautement nécessaire. Seuls 20 % de notre territoire sont couverts par des Scot. Comment lutter contre l'étalement urbain sans cet outil ?

L'idée en vogue actuellement est que les schémas peuvent être prescriptifs... s'ils sont élaborés en coproduction. Que signifie ce terme en droit ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Les amortisseurs ne doivent pas reproduire, après la suppression de la clause de compétence générale, des situations qui existent aujourd'hui. À cet égard, dans le cadre de la contractualisation État-région, d'autres collectivités sont invitées à apporter des financements pour des compétences qui leur sont étrangères ; mais pas question pour elles de se soustraire à cette contribution, elles seraient montrées du doigt, bannies peut-être. Écrire que les transports scolaires relèvent de la compétence des régions, mais qu'elles pourront déléguer cette compétence aux départements, c'est absurde ! Les décisions du Conseil constitutionnel peuvent-elles être renversées ? Parler de compétence sur l'économie, c'est comme évoquer la ruralité : ces termes sont trop vagues. Les compétences pourront-elles être adaptées à la taille des collectivités territoriales ? Définir un territoire en fonction de sa population et non de sa géographie pose des problèmes. Si j'admire moi aussi la qualité des études du Conseil d'État, je ne suis pas satisfait de ses décisions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Les sections administratives sont séparées du contentieux par une cloison étanche...

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Le fait que les avis ne soient pas publiés réduit la transparence de vos travaux. Bien souvent, vous convoquez le justiciable la veille pour le lendemain...

Debut de section - Permalien
Christian Vigouroux, président de la section de l'intérieur du Conseil d'État

Nous sommes attentifs à la cohérence des schémas. Nous rêvons d'un Scot qui soit une synthèse, car c'est la vocation de cet outil. Nous veillons à prendre en compte le rôle de l'État dans la préservation des grandes infrastructures et de leur cohérence. Une vue égalisatrice des intercommunalités serait réductrice. La notion de chef de file apporte une souplesse bienvenue. La coproduction, pourquoi pas ? Il faut simplement préciser clairement qui préside le groupe de travail, qui le réunit, quelle est sa composition et comment sont prises les décisions. Dès 1967, la loi d'orientation foncière prévoyait de la coproduction pour les plans d'occupation des sols. La délégation permet des modulations de responsabilité : une délégation peut être partielle, temporaire, répartie... Cette marge de souplesse est bénéfique, pourvu que les délégations ne volent pas en tous sens, ne soient pas données, reprises, rendues, redonnées. Les compétences, en effet, doivent être précisément définies. Que signifie la compétence sur l'économie : celle-ci inclut-elle les installations industrielles classées, la fiscalité, etc. ? C'est une de nos préoccupations : nous demandons souvent au gouvernement d'être le plus précis possible. Depuis quelques années, la mise à disposition de nos documents a progressé, ils sont même disponibles sur notre site internet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci. Transmettez également nos remerciements à M. Christian Vigouroux pour la contribution régulière du Conseil d'État à nos travaux.

La commission procède à l'audition, au cours d'une table ronde, d'entreprises de travaux et de services, partenaires des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie d'être présents pour cette audition d'un genre nouveau que nous inaugurons aujourd'hui. Dans le cadre de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, nous avons souhaité élargir le spectre de nos auditions en invitant un échantillon d'entreprises. De nombreux projets d'aménagement, de développement des réseaux de transport ou des voies de communication sont menés dans les collectivités territoriales, qui, de ce fait, sont amenées à traiter avec les entreprises.

La réforme territoriale doit permettre d'apporter de nouvelles réponses aux questions économiques et d'emploi notamment. Nous souhaitons donc connaître votre avis concernant l'impact de cette réforme et les améliorations que vous en attendez.

La commission des lois a d'ores et déjà rencontré les représentants des chambres consulaires et des organisations patronales. Nous nous sommes également rendus à Chartres où nous avons pu rencontrer les représentants de deux pôles pharmaceutique et cosmétique, qui se sont développés sur plusieurs départements et même plusieurs régions.

Avant de vous écouter, il me semble important de rappeler brièvement les grandes étapes du parcours législatif d'un texte au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Le projet de loi est d'abord examiné par l'une des commissions permanentes. La commission des lois compte 49 sénateurs. C'est sur le projet de loi modifié issu de ses travaux que le Sénat se prononcera ensuite en séance publique.

La réforme territoriale concernant directement les collectivités territoriales, le Sénat en a été saisi le premier. L'Assemblée nationale délibèrera ensuite sur le texte transmis par le Sénat et non pas sur le projet de loi initial du Gouvernement.

La commission des lois a désigné deux rapporteurs sur ce texte : M. René Vandierendonck pour l'opposition sénatoriale et M. Jean-Jacques Hyest pour la majorité, traduisant ainsi l'esprit de recherche de consensus qui anime nos travaux.

Dans le court laps de temps dont nous disposons, je souhaite que chacun d'entre vous puisse s'exprimer, puisque nous puissions vous poser des questions complémentaires.

Debut de section - Permalien
Bernard Hagelsteen, conseiller du président de Vinci Concessions

Le groupe Vinci représente 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 190 000 collaborateurs, dont 108 000 travaillent en France, et 266 000 chantiers. Vinci est une grande entreprise ou, plutôt, l'équivalent de plusieurs petites et moyennes entreprises mises ensemble.

Nous nous sentons tout à fait concernés par les dispositions contenues dans ce projet de loi.

Selon une enquête de la Banque Postale, qui dispose d'un département consacré à l'investissement public, le secteur des travaux publics représente 18 % de la dépense totale des collectivités territoriales, tous types confondus.

Nous n'avons pas de commentaires à formuler sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités qui pourrait être décidée. Nous travaillerons avec les collectivités que le législateur nous désignera comme interlocuteurs.

Je tiens cependant à souligner trois points.

Tout d'abord, et ce n'est pas nouveau, la France se caractérise par une particulière complexité de son secteur public, avec une certaine lourdeur, alors qu'à l'inverse, dans le secteur privé, les entreprises peuvent prendre des décisions très rapidement. J'en parle d'autant plus librement que je viens moi-même du secteur public.

Ensuite, décider qu'une entité unique, la région, rassemblera l'ensemble des compétences d'entretien et de développement du réseau routier, ainsi que le réseau des transports collectifs, me paraît tout à fait positif et cohérent au regard des enjeux et des besoins dans le domaine des transports.

Enfin, les entreprises s'interrogent sur le temps que prendra cette nouvelle définition des compétences des collectivités territoriales. Les délais ne sont pas neutres. Nous avons un vrai besoin de décisions, d'actions économiques, d'investissements... Le temps qui sera pris pour désigner l'autorité publique compétente va avoir un effet de ralentissement sur la prise de décision et donc un impact économique, puisque les collectivités territoriales sont à l'origine de 70 % des dépenses d'investissement.

Comment sera répartie la dette publique attachée aux différentes compétences transférées ? Pour les lycées, par exemple, qu'adviendra-t-il si les départements ne sont plus compétents ?

Pour 2015, les dépenses d'investissement des collectivités territoriales vont être en baisse. Avec des taux d'intérêts particulièrement bas actuellement, de nouveaux outils pourraient être utilisés par les collectivités. Je pense par exemple à l'idée, développée par l'Institut de la Gestion Déléguée et l'Union patronale des industries routières et de transports, d'un nouveau contrat d'engagement global d'entretien, d'exploitation et d'investissement, portant sur l'ensemble du réseau de transports d'une collectivité territoriale. Un tel contrat générerait une réduction des coûts d'entretien et permettrait ainsi d'accroître les investissements.

Aujourd'hui, nous devons prendre en considération la baisse importante des investissements sur les réseaux routiers non concédés. Ces systèmes de gestion sont d'ailleurs très discutés. Peut-être faudrait-il prévoir leur ouverture, quand celle-ci se fait dans l'intérêt public et permet une amélioration de la qualité du réseau et des infrastructures ?

En dernier point, les discussions autour de la réforme territoriale doivent prendre en compte les évolutions concrètes et pratiques du pays. Aujourd'hui, la moitié de la population française vit en ville, mais la moitié n'habite pas dans les centres-ville. Si on regarde les vingt agglomérations les plus peuplées, les habitants des noyaux urbains bénéficient d'une desserte importante par les transports collectifs ferrés lourds. Plus on s'éloigne du centre, plus le taux de couverture par les transports en commun diminue et l'utilisation de la voiture augmente. Il existe aujourd'hui une véritable fracture sociale entre les habitants du centre et ceux de la périphérie des agglomérations. Nombreux sont les habitants des périphéries qui ont l'impression que les décideurs publics ne se préoccupent pas d'eux. L'utilisation de la voiture génère un véritable encombrement sur les axes routiers qui relient les domiciles aux bureaux.

À cet égard, nous avons deux propositions concrètes. En premier lieu, il serait nécessaire de faire une place plus importante à l'organisation de transports collectifs sur les routes. Les décisions récentes du Conseil d'État vont d'ailleurs dans ce sens, comme en témoigne la décision rendue à propos du tunnel de Toulon. En second lieu, il faudrait développer le covoiturage, qui n'est pas suffisamment utilisé sur les trajets entre domicile et bureau, en raison de la congestion. À ce propos, les véhicules de covoiturage pourraient être autorisés à utiliser les voies réservées aux transports collectifs.

Debut de section - Permalien
Pascal Grangé, directeur général délégué de Bouygues Construction

Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation. Je représente le groupe Bouygues Construction, qui est un groupe dont la taille est légèrement inférieure, en termes de chiffre d'affaires, à celle de mon prédécesseur.

Par ailleurs, à la différence de Vinci, nous n'exerçons qu'une partie de ses activités, à savoir les bâtiments, les travaux et les chantiers de service public. Nous représentons un chiffre d'affaires annuel de 11 milliards d'euros et la moitié de nos collaborateurs sont localisés en France.

Concernant le projet de loi, nous aurons trois commentaires généraux.

En premier lieu, nous adhérons à l'esprit du texte. Nous croyons en effet qu'aller dans le sens du regroupement et de la mutualisation améliorera la cohérence et l'efficacité des missions à accomplir.

En deuxième lieu, nous souscrivons à l'idée de supprimer les différents étages de compétence générale. En effet, la superposition de celles-ci engendre un flou et une désorganisation peu propices à l'efficacité. Néanmoins, nous sommes vigilants quant au risque de laisser certaines compétences orphelines. À vouloir être trop prescriptif, il ne faudrait pas provoquer chez certaines collectivités territoriales de l'immobilisme.

En troisième lieu, vous le savez, les entreprises visent à la fois le long terme et le court terme. Or, si nous sommes sensibles aux réformes, celles-ci nous inquiètent lors de la période de changement. Dans cette période économique difficile, cette réforme, dont certains ressorts peuvent être incompris, ne doit pas provoquer un immobilisme préjudiciable aux entreprises.

Debut de section - Permalien
Anne Gourault, directrice déléguée du développement et des relations institutionnelles de Suez Environnement

Merci de nous avoir invités à cette table ronde. Notre entreprise a deux activités principales : la gestion et la distribution de l'eau, d'une part, et la gestion et le traitement des déchets, d'autre part. Nous avons une ambition internationale, même si 40 % de notre chiffre d'affaires est réalisé en France.

Nous avons deux principales contributions à apporter au débat sur ce projet de loi.

En premier lieu, nous sommes favorables à la régionalisation entreprise par ce texte, notamment le renforcement de la planification régionale en matière de prévention et de gestion des déchets.

En second lieu, nous saluons le renforcement de l'intercommunalité. À notre niveau d'expert des services de l'eau et des déchets, il importe de concilier les deux impératifs de proximité et de planification stratégique. Le renforcement de l'intercommunalité permettra de mieux répondre aux nouveaux enjeux d'investissement, dans un contexte où les collectivités territoriales voient leur budget contraint.

Enfin, ce débat pourrait être l'occasion d'aborder la question des partenariats public-privé, notamment les nouveaux modes d'investissement ciblés par la loi qui a instauré les SEM à opération unique.

Debut de section - Permalien
Didier Imbert, directeur des relations institutionnelles de SITA France

Je vais aborder en particulier le contenu de l'article 5, qui prévoit une remontée de la planification de la gestion des déchets au niveau régional. Cette disposition s'inscrit dans le contexte de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, en particulier de son titre IV relatif à l'économie circulaire. Notre métier demande un haut niveau de planification influencé directement par les directives européennes, qui prévoient à la fois des critères de proximité et d'autosuffisance minimale dans le traitement des déchets. Il nous appartient de définir les infrastructures et les capacités de traitement pour répondre aux besoins des populations en évitant aussi bien le surplus que la sous-évaluation.

Actuellement, la planification des déchets non dangereux se situe à l'échelle départementale et celle des déchets dangereux à l'échelle régionale. Une remontée au niveau régional permettrait d'avoir une vision partagée plus efficace, en particulier dans le domaine de l'économie circulaire. Cette planification intègre plusieurs schémas, dont celui visant à la promotion de la biomasse.

Alors que le débat persiste parmi les collectivités territoriales sur cette régionalisation de la planification, notre profession affiche une position partagée. En effet, l'évolution naturelle des flux de déchets incite à une mutualisation des flux plus intégrée. En effet, l'augmentation des déchets utiles va provoquer un éclatement des flux actuels. Or les centres de tri ne pourront faire face à l'accroissement de la demande d'automatisation que par la mutualisation des flux. Dans les dix prochaines années, la réduction des flux de déchets utiles réduira la rentabilité de certains centres de tri, qui nécessite un seuil critique de 100 000 tonnes.

Si l'effet de massification des flux existe, nous sommes également attachés aux critères de proximité. Dans deux régions, l'Île-de-France et l'Alsace, la planification régionale intègre déjà ces deux critères. Cette régionalisation de la planification pose néanmoins plusieurs difficultés, notamment en raison de la nouvelle carte territoriale.

Les grandes régions créent en effet un risque problématique d'éloignement des territoires. Aussi, nous proposons une transition en deux étapes : dans un premier temps, il s'agira de planification de l'ensemble des capacités de traitement des déchets au niveau d'un grand bassin de vie, voire du département. Dans un second temps, il s'agira de mettre en cohérence les différentes planifications des infrastructures nécessaires, en particulier, pour la stratégie de l'économie circulaire.

Aujourd'hui, nos régions ne sont pas nécessairement prêtes à accueillir un tel niveau de planification, aussi nous vous encourageons à mettre en place un calendrier différé pour ce transfert de compétences.

Debut de section - Permalien
Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de la Lyonnaise des Eaux

Un des objectifs de l'article 14 du projet de loi est de regrouper les différents syndicats intercommunaux, « notamment dans les services de l'eau ». Selon la page 84 de l'étude d'impact, il existe 3 113 syndicats de gestion de l'eau pour un total de 4 600 syndicats intercommunaux. Je vous propose de comparer ces chiffres. Ainsi, 35 000 services publics de l'eau sont attachés aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale. Dès lors, un regroupement des syndicats de gestion de l'eau nous paraît favorable, afin de permettre un meilleur investissement dans le renouvellement du réseau. Nous souhaitons en effet porter cet investissement de 0,6 % par an à 1,5 % par an. Nous pensons que les services des communes isolées devraient être transférés vers des syndicats intercommunaux. Néanmoins, il ne faudrait pas obliger les syndicats intercommunaux qui ont bâti leur légitimité depuis plusieurs années à se regrouper au risque d'une explosion.

Debut de section - Permalien
Thierry Durnerin, directeur général de la Fédération des entreprises publiques locales

La Fédération des entreprises publiques locales rassemble 997 sociétés d'économie mixte, 217 sociétés publiques locales et bientôt les premières sociétés d'économie mixte à opération unique à la suite de l'initiative du Sénat, il y a un an, qui a abouti à l'adoption de la loi du 18 juin 2014.

Ces entreprises regroupent 60 000 personnes et représentent 13 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les collectivités locales en sont les créatrices, les actionnaires de référence, les donneurs d'ordre. Bref, les élus en sont les patrons au quotidien. Ces sociétés ont toujours répondu présentes aux rendez-vous de la décentralisation. Elles entendent être, une fois de plus, à la disposition et au service des collectivités locales de demain, avec leurs compétences redéployées, d'autant qu'elles constituent un panel très large d'outils permettant de répondre aux différentes attentes des élus : SEM, SPL et SemOp.

Permettez-moi cependant d'évoquer l'inquiétude des 230 entreprises publiques locales dont l'actionnaire de référence est un conseil général. Elles emploient 10 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros dans l'aménagement, le logement, le développement économique, l'énergie, les transports, le tourisme, le haut-débit, etc. La moitié sont au service de l'ensemble des collectivités locales sur le territoire du département - communes, intercommunalités, département lui-même - et sont ainsi l'opérateur de proximité choisi pour mettre en oeuvre certaines compétences. L'autre moitié de ces entreprises travaillent quasi exclusivement pour le département qui les a créées. Dans la réforme à venir, il ne s'agirait pas de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faudrait donc, dans le futur texte, quelques dispositions pour sécuriser et accompagner ces entreprises publiques locales.

Debut de section - Permalien
Alexandre Vigoureux, responsable juridique de la Fédération des entreprises publiques locales

La fédération n'a pas vocation à se prononcer sur la répartition des compétences. Toutefois, deux éléments nous semblent fondamentaux.

D'abord, il faut avoir une répartition claire, pérenne et stable des compétences pour sécuriser les participations dans les sociétés existantes et à venir. Aujourd'hui se posent déjà des problèmes de nature organisationnelle et capitalistique ; il serait préférable de ne pas en ajouter de nouveaux.

Deuxième élément : dans l'hypothèse de nouveaux transferts entre deux collectivités, il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas de déperdition qui laisserait une société en déshérence, afin que le rôle d'autorité organisatrice des collectivités en charge des compétences puisse continuer à pleinement s'exercer par le biais de ces entreprises. Les entreprises publiques locales sont des opérateurs et non des autorités organisatrices, rôle qu'il revient aux collectivités d'exercer. Il faudrait donc que ces entreprises sachent quelle collectivité est l'autorité organisatrice au service de laquelle elles exercent leur mission. En tout état de cause, il convient d'éviter qu'il y ait des compétences orphelines, que des compétences ou fractions de compétence aujourd'hui investies par des collectivités puissent ne pas être prises en compte dans le spectre des nouvelles compétences.

La fédération accueille très favorablement les logiques de regroupement des compétences : ainsi, la compétence « mobilité », consacrée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, permet de faire foisonner différents services publics, au bénéfice des entreprises locales, car cela favorise la mutualisation et la création d'entités de taille suffisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Sur l'article 5, le but de la loi est bien de clarifier les compétences. Vous avez dit vous-même que l'échelon régional était le plus pertinent, même s'il semble difficile de ne pas consulter les départements. Le schéma régional des déchets ultimes d'Ile-de-France a ainsi été rejeté par le conseil général de Seine-et-Marne. En tout état de cause, le transfert ne sera pas immédiat et laissera le temps de s'adapter.

Bien entendu, il y aura beaucoup d'amendements pour nous demander de tout changer pour ne rien changer, comme pour les lois de décentralisation précédentes...

Concernant les compétences qui seraient oubliées, supprimer la clause de compétence générale revient bien à attribuer une compétence à une collectivité, de sorte que les autres ne peuvent plus l'exercer. Mais si, pour un domaine de compétence précis, il n'y a pas de disposition particulière, les collectivités pourront toujours prendre des initiatives.

Concernant les entreprises publiques locales, vous êtes opérateurs. Il y aura peut-être des restructurations, mais cela s'est toujours fait : ainsi, dans le domaine du logement social. Imaginons une SEM locale ou départementale aménageur de zones d'activité pour des collectivités locales ; ce n'est pas parce que la compétence économique revient à la région que les communautés de communes ou d'agglomération ne vont plus opérer sur le terrain. La région planifie mais ce n'est pas elle qui va s'occuper de telle ou telle zone d'activité économique. Certes, si le département n'est plus compétent, ce sera peut-être la communauté d'agglomération qui prendra le relais. Mais c'est la vie, réforme territoriale ou pas ! Les SEM ont évolué, connu des heurs et des malheurs...

La dernière innovation du Sénat parle bien d'un objet unique : la collectivité ne créera pas une société si elle n'a pas la compétence correspondante. Il y aura peut-être quelques exemples où la société n'aurait plus de raison d'être à la suite de la réforme mais ce ne sera pas le cas le plus fréquent.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Le problème est de construire les évolutions à venir. Vous voulez sécuriser certaines choses à l'occasion de ce projet de loi. En janvier, il y aura également le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte. Certains pourraient également en profiter pour suggérer des dispositions supplémentaires. Il existe également une directive européenne sur la commande publique : peut-être que sa transposition serait l'occasion de mettre en cohérence l'ensemble de ces questions. Quoi qu'il en soit, nous avons bien compris vos préoccupations.

La compétence économique va certes aller à la région, mais il y aura un débat sur les contours : qui sera chargé de l'insertion par l'économique, le département au titre de sa compétence sociale ou la région au titre de sa compétence économique ? Comment voyez-vous la place de l'économie sociale et solidaire et de l'insertion par l'économique dans cette nouvelle summa divisio entre région et département ?

Debut de section - Permalien
Didier Imbert, directeur des relations institutionnelles de SITA France

Nous pratiquons l'insertion par l'économique depuis très longtemps. Nous avons des partenariats avec des entreprises et des associations d'insertion, notamment dans le secteur du tri des déchets.

A l'occasion du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, des dispositions sur la responsabilité élargie du producteur ont été introduites, obligeant les éco-organismes chargés de gérer les filières à prévoir, dans leurs cahiers des charges, une part réservée à l'insertion. Dans le volet « économie circulaire » du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, il est également prévu que les activités liées au réemploi soient réservées à l'insertion. Je n'ai pas d'avis sur le niveau le plus pertinent d'exercice de cette compétence. Je remarque en revanche que les entreprises d'insertion ont compris qu'elles avaient besoin de sorties sur emploi marchand. Il ne faut pas arriver à un système qui détruirait des emplois marchands au profit des emplois solidaires, même si ceux-ci sont tout à fait nécessaires.

La réunion est levée à 19 h 15