La politique de l'Union européenne en direction de l'Est comporte deux aspects principaux : les relations avec la Russie, et le Partenariat oriental, cette politique de voisinage avec l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie.
Jean Bizet et moi-même pensions vous présenter aujourd'hui un rapport sur les relations entre l'Union européenne et la Russie à la suite du déplacement que nous y avons fait cet été. Cependant, les deux composantes de la politique à l'est de l'Union européenne sont dans un équilibre très fragile. À l'approche du prochain sommet du Partenariat oriental, qui se tiendra à Vilnius les 28 et 29 novembre, la Russie tente de regrouper la plupart des États issus de l'ex-URSS, dont ceux du Partenariat oriental, et de les rallier à son Union économique eurasiatique composée pour l'heure de la Biélorussie et du Kazakhstan.
Nous tirons un bilan plutôt positif des entretiens que nous avons eus à haut niveau en Russie. Mais plaider pour une approche plus constructive des relations entre l'Union européenne et la Russie risquerait d'être mal interprété dans le contexte actuel, voire instrumentalisé. Il est de meilleure méthode de reporter la présentation de ce rapport après le sommet du Partenariat oriental, de manière à avoir tous les éléments en main. Une attitude plus constructive avec la Russie ne peut s'envisager au détriment du Partenariat oriental, orientation importante de l'action européenne.
Ce partenariat avait été lancé en mars 2009 par le Conseil européen et officialisé lors du sommet de Prague en juin 2009. Le sommet suivant s'est tenu à Varsovie en septembre 2011 et a été considéré comme un succès. Les réalisations ne sont en effet pas négligeables : progrès dans l'ouverture commerciale, assouplissement du régime des visas, développement de la coopération en matière d'énergie et d'environnement. En matière de démocratie et de droits de l'homme, le bilan est malheureusement moins convaincant.
La France a toujours soutenu le processus du Partenariat oriental tout en plaidant pour le respect de son cadre initial : il ne s'agit pas d'en faire une antichambre pour l'adhésion à l'Union, qui est une question totalement distincte. Notre pays a en outre toujours plaidé pour maintenir l'équilibre entre les deux volets de la politique de voisinage : la politique orientale et la politique vis-à-vis de la rive Sud de la Méditerranée, un tiers des crédits allant à l'Est et deux tiers au Sud.
Le sommet de Vilnius sera un révélateur. Une fois clarifiées les relations avec les pays du Partenariat oriental, nous nous prononcerons sur l'évolution des relations entre l'Union européenne et la Russie en toute connaissance de cause, sans doute en décembre ou en janvier prochains.
Gérard César suit depuis des années nos relations avec l'Ukraine. J'ai reçu voici quelques semaines Leonid Kojara, le ministre des affaires étrangères d'Ukraine, que j'avais connu alors qu'il était vice-président de la commission des affaires étrangères. J'espère que la signature de l'accord d'association interviendra fin novembre à Vilnius.
Notre commission suit en effet depuis plusieurs années la situation de l'Ukraine, pays-clé dans la politique de voisinage oriental de l'Union européenne. L'actualité nous y ramène : la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine sera l'un des principaux enjeux du sommet du Partenariat oriental à Vilnius, les 28 et 29 novembre prochains. Celui-ci procède à un rapprochement politique et instaure une zone de libre-échange complète et approfondie entre les deux entités. Nous devons nous prononcer sur les deux textes autorisant la signature et l'application provisoire de l'accord que le gouvernement nous soumet aux termes de l'article 88-4 de la Constitution. La signature de cet accord est en partie liée au sort qui sera réservé à Ioulia Tymochenko, que nous avions rencontré en 2009, le jour où elle a perdu sa majorité à la Rada.
La commission de Venise ayant demandé à l'Ukraine d'importants efforts pour se rapprocher des standards démocratiques européens, le Parlement, la Rada, a adopté des réformes relatives à l'organisation des élections et au statut du Parquet. Leur mise en oeuvre a été favorablement accueillie, même si des améliorations sont toujours possibles.
Le fait important est le consensus politique autour de l'accord avec l'Union européenne. Une large majorité des partis politiques pense désormais que l'avenir de l'Ukraine passe par l'accord avec l'Union européenne plutôt que par une intégration dans l'Union douanière proposée par la Russie, et près de 60 % de la population ukrainienne soutiennent cette orientation.
La chose n'était pas acquise. Le président Viktor Ianoukovitch était considéré comme pro-russe, et Moscou a exercé une forte pression sur l'Ukraine afin de l'empêcher de signer un accord avec l'Union européenne, utilisant le gaz comme outil d'influence. Elle a pourtant sous-estimé la volonté d'émancipation de l'Ukraine à son égard. Le président Ianoukovitch et les oligarques qui le soutiennent préfèrent un accord avec l'Union européenne plutôt que de rejoindre une union douanière dont les orientations seraient définies à Moscou. L'ensemble de la classe politique et économique pense surtout qu'un accord avec l'Union européenne favorisera le développement et la modernisation de l'Ukraine.
Reste la justice sélective : le pouvoir ukrainien maintient en effet en prison un certain nombre d'opposants, pour des chefs d'accusation en partie politiques. L'Union européenne a demandé la fin de cette forme de persécution, incompatible avec notre idée de la justice. Une grande partie des opposants sont sortis de prison, mais pas Mme Tymochenko, bien que son état de santé exige des soins. Le régime ukrainien a prétexté que sa législation faisait obstacle à la proposition allemande de l'accueillir pour l'opérer.
Le Parlement européen a désigné l'irlandais Pat Cox, ancien président du Parlement européen, et Alexandre Kwasniewski, ancien président polonais pour tenter de trouver une solution diplomatique. Les deux émissaires ont effectué 22 visites en Ukraine depuis l'été 2012 et ont rendu un rapport au président du Parlement européen Martin Schulz le 15 octobre dernier. En dépit de réelles avancées, comme la libération de l'ancien ministre de l'Intérieur Lutsenko, ils estiment que les conditions relatives à la justice sélective fixées par le Conseil européen de décembre 2012 pour la signature de l'accord d'association ne sont pas remplies. La situation de Ioulia Tymochenko en est le symbole.
Légitimement, celle-ci refuse de demander la grâce présidentielle. De son côté, M. Ianoukovitch ne veut pas que sa rivale revienne dans le jeu politique avant l'élection présidentielle de 2015. C'est pourquoi les émissaires européens ont proposé une grâce présidentielle partielle pour des raisons humanitaires impliquant la levée de sa peine d'emprisonnement mais le maintien de son inéligibilité et des sanctions financières prononcées à son encontre. Le président Ianoukovitch a toutefois préféré demander à la Rada d'adopter une nouvelle loi autorisant les prisonniers à bénéficier de soins à l'étranger si ceux-ci ne sont pas prodigués en Ukraine. La mission des émissaires européens est prolongée jusqu'au 16 novembre... Bref, le ballet diplomatique continue.
Je vous propose, dans la continuité des positions que nous avons exprimées, de lever la réserve du Sénat sur les textes que nous soumet le Gouvernement. La France fait partie des pays les plus exigeants avec l'Ukraine en matière de respect de l'État de droit. L'Ukraine a effectué beaucoup de progrès et c'est tout un pays qui se tourne vers l'Union européenne. L'accord aura de grandes conséquences en matière de libertés démocratiques et d'indépendance de la justice. Profitant aux deux parties, sans couper l'Ukraine de la Russie, qui restera un partenaire incontournable, il constitue un levier pour la modernisation de ce pays sans l'écarter de son environnement.
Avant le sommet de Vilnius, le Conseil des ministres des affaires étrangères se réunira pour se prononcer sur la ratification de l'accord d'association le 19 novembre, soit à une date suffisamment éloignée pour que les deux émissaires maintiennent la pression sur Kiev. C'est une situation difficile : l'Ukraine est un pays incontestablement européen. Gérard César et moi-même en avions été particulièrement frappés en 2010, à l'occasion d'une conférence que nous avions donnée à l'Alliance française de Kiev. C'est un grand pays, qui compte plus de 45 millions d'habitants. Nous avons tout intérêt à l'arrimer au bloc démocratique européen.
Dire que l'Ukraine est incontestablement européenne est audacieux. L'Eglise moscovite est issue de celle de Kiev. Cyrille et Méthode ont converti la Russie.
Bien qu'Anne de Kiev ait épousé Henri Ier de France, le pays a toujours été plus proche de la Russie. Sa population parle à 40% ou 50% le russe, et non l'ukrainien... La base russe de Sébastopol pose toujours problème. Quant à Mme Tymochenko, une rumeur prétend qu'elle aurait bénéficié de faveurs sur des contrats gaziers, et nous ne sommes pas en position de dire si son procès a été faussé ou non. Bref, l'Occident moralisateur et arbitre continue de donner des leçons aux autres.
Le problème de Sébastopol est réglé : le président Ianoukovitch, dès les élections, a signé une prolongation de 30 ans de la base militaire russe, en échange d'un accord sur le prix du gaz.
Le rapprochement avec l'Ukraine a fait l'objet d'une étude d'impact globale, même si nous n'avons aucune information sur les conséquences de ce partenariat au niveau des États membres. Je considère que toute nation a vocation à entrer dans l'Europe dès lors que toutes deux ont une culture et des valeurs démocratiques communes, mais cela n'empêche pas d'évaluer plus finement les gains attendus d'une telle opération.
Certes, mais a-t-on des éléments chiffrés au niveau de chaque État membre ? De plus, la signature d'un traité de libre-échange pose nécessairement la question de l'intégration européenne. L'Ukraine a été une puissance nucléaire...
J'ai de la sympathie pour l'Ukraine, que je connais un peu - j'avais découvert le nationalisme ukrainien à l'époque où j'ai rencontré Léonide Pliouchtch. La finalité de l'intégration est la démocratisation du pays, la remise à plat de son système judiciaire... Mais que peut-on en attendre en retour, sur le plan économique, géostratégique ?
L'accord favorisera les échanges commerciaux. L'Ukraine compte 46 millions d'habitants. C'est le huitième producteur mondial d'acier. L'étude d'impact réalisée à l'échelle européenne est publique.
Quelle est la position de l'Ukraine dans la production mondiale de blé ?
En matière judiciaire, le cas de l'ancienne Premier ministre est caricatural. Cet accord dynamisera la vie démocratique du pays. Les réformes examinées par la Rada lorsque nous y étions ont été mises en oeuvre.
L'accord d'association n'est toutefois pas une préadhésion. Il n'y a pas, monsieur de Montesquiou, d'un côté les pays parfaits...
et de l'autre les pays imparfaits. Il y a des pays plus ou moins démocratiques. La corruption existe chez nous, même si nous sommes moins imparfaits que certains autres.
Les études d'impact sont sans doute incomplètes, monsieur Gattolin, mais chaque pays participe à des réunions sectorielles à Bruxelles, par exemple sur les appellations d'origine. Quant à la capacité agricole de l'Ukraine, elle possède 22% des terres arables en Europe.
À nouveau, je précise qu'il ne s'agit pas aujourd'hui d'ouvrir à l'Ukraine une perspective d'adhésion à l'Union européenne ou même de reconnaître une vocation à adhérer, contrairement à ce qui a été fait pour les pays des Balkans.
La désignation par le Parlement européen de deux émissaires est importante et nous aidera à avoir tous les éléments. Ils rendront un rapport objectif et précis avant le sommet de Vilnius.
Au-delà du problème juridique se pose un problème politique. C'est une ancienne Premier ministre, que le président Poncelet avait d'ailleurs reçue en son temps. Ces pays sont d'ex-républiques soviétiques : il faut les aider à se démocratiser, sans leur donner de leçons - je rejoins M. de Montesquiou sur ce point. Quand le président du Bundestag s'est un jour permis de donner des leçons à un diplomate roumain, je lui avais rappelé qu'il est de grandes nations dont les présidents ont été contraints à la démission pour défaut de probité morale...
Monsieur le rapporteur, vous avez dit que l'Ukraine ne devait pas se couper de la Russie : qu'entendiez-vous par là ?
La Russie l'approvisionne en gaz, et elle a déjà coupé le robinet ! Je voulais surtout dire qu'il ne faut pas nécessairement placer l'Ukraine devant une alternative entre la Russie et l'Europe.
L'Ukraine est un pont : elle peut passer un accord d'association avec l'Union européenne et garder des relations étroites avec la Russie. Les Russes sont présents en Crimée...
Ce n'est pas la même chose. La Crimée a été donnée à l'Ukraine par Khrouchtchev - qui n'imaginait pas qu'elle serait un jour indépendante.
Nous aurions pu évoquer la Russie en même temps. Il faut parler directement aux Russes. Dans le monde géopolitique de demain, fait de grands ensembles, l'Union européenne ne pèsera pas grand-chose. Par conséquent, il faut y arrimer ces pays, dotés d'importantes ressources.
Nous sommes par conséquent unanimes à accepter la levée de notre réserve d'examen parlementaire.
La commission unanime lève la réserve d'examen parlementaire.
Je vous ai présenté en janvier dernier deux types d'accords entre l'Union européenne et l'Arménie. Le premier élargissait l'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la République d'Arménie, entré en vigueur en 1999. Le second libéralisait le régime des visas. L'ambition affichée derrière ces textes était de parvenir à la mise en place d'une vaste zone de libre-échange entre l'Arménie et l'Union européenne. C'est d'ailleurs à cette fin qu'un accord d'association a été provisoirement approuvé le 24 juillet dernier, après 4 ans de négociations. Le sommet du Partenariat oriental qui se tiendra le 28 novembre prochain devrait être l'occasion de formaliser cet accord.
L'annonce, le 3 septembre dernier, par le président arménien du souhait de son pays de rejoindre l'Union douanière eurasiatique proposée par Moscou et qui réunit déjà la Biélorussie et le Kazakhstan est venue bouleverser cette perspective.
Ce faisant, le chef de l'État arménien, Serge Sarkissian, remet, en effet, en cause une ligne européenne qu'il a lui-même tracée il y a trois ans. Erevan misait beaucoup sur un approfondissement des négociations avec l'Union européenne, comme en témoignent les protocoles signés en début d'année et le projet d'accord d'association. Mais, entendons-nous bien, l'Arménie ne souhaitait pas dans le même temps, renoncer à ses liens avec la Russie. Même si elle n'envisageait initialement qu'un simple statut d'observateur au sein de l'Union eurasiatique.
Erevan a toujours refusé d'envisager l'Union européenne comme une alternative à son partenariat avec la Russie. Par ailleurs, et j'insiste sur ce point, l'Arménie n'a jamais, à la différence de la Géorgie, de la Moldavie ou de l'Ukraine, envisagé une adhésion à l'Union européenne.
Cette pratique du pas de deux se retrouve en matière militaire. Je note ainsi que son alliance stratégique de près de vingt ans avec Moscou n'a pas empêché l'Arménie de signer un plan d'action individuel pour le partenariat (IPAP) avec l'OTAN et d'effectuer dans la foulée des manoeuvres communes avec les États-Unis.
Bien que de plus en plus net ces dernières années, le rapprochement avec l'Union européenne ne pouvait occulter un fait assez simple en Arménie : la situation géo-stratégique du pays a toujours prévalu sur toute dynamique politique intérieure. Le choix d'adhérer à l'Union douanière eurasiatique est ainsi, à des degrés divers, contraint.
Ne négligeons pas, en effet, l'enclavement géographique de l'Arménie, exacerbé par la fermeture de ses frontières avec l'Azerbaïdjan mais aussi avec la Turquie. La frontière turque constitue sa seule voie d'accès vers l'Union européenne. La défense des frontières, et plus précisément celles du Karabagh, a déjà motivé la signature du partenariat stratégique avec Moscou en 1995, qui fut révisé en 2010. L'Arménie est engagée depuis 2004 dans une course aux armements avec l'Azerbaïdjan qu'elle ne peut assumer. Rappelons tout de même que le budget de la défense arménien s'élève à 450 millions de dollars en 2013 quand celui de l'Azerbaïdjan atteint 3,7 milliards de dollars. Aux termes de l'accord révisé, la Russie s'engage à garantir complètement la sécurité de l'Arménie. 5 000 soldats russes stationnent ainsi à Erevan et Gumri, entre 3 000 et 4 500 hommes du FSB -l'ancien KGB - surveillent par ailleurs les frontières avec la Turquie et l'Iran. Un accord de coopération militaro-technique signé le 25 juin dernier permet en outre la fourniture d'un équipement moderne et spécial, à prix avantageux, alors que Moscou vend du matériel semblable mais au prix fort à l'Azerbaïdjan. L'Union douanière intégrerait d'ailleurs spécifiquement le Karabagh, ce qui n'était pas prévu par l'accord d'association avec l'Union européenne.
L'approvisionnement énergétique est également déterminant pour appréhender les relations russo-arméniennes. La hausse du prix du gaz russe le 7 juillet dernier, qui est passé de 180 dollars les 1 000 m3 à 270 dollars devrait ainsi réduire de moitié le taux de croissance du PIB. Les augmentations enregistrées entre 2006 et 2008 avaient déjà débouché sur un fort endettement du pays et une vague d'émigration. Erevan ne peut se risquer à une nouvelle hausse. La Russie assure par ailleurs l'approvisionnement de combustible nucléaire pour la centrale de Metzamor, qui fournit 40 % de l'électricité arménienne.
Les transferts financiers provenant de personnes physiques résidant en Russie ne sont pas non plus à négliger pour analyser les rapports entre les deux États. En janvier-février 2013, le montant de ces flux financiers a atteint 150,5 millions de dollars, soit cinq fois le montant du déficit budgétaire en 2012. 1,5 million d'Arméniens travaillent ainsi en Russie et bénéficient d'une exemption de visas.
L'adhésion au projet russe est, en outre, liée, selon les autorités arméniennes, à des raisons économiques. La Russie reste le premier partenaire commercial de la petite république. Les produits transformés et agro-alimentaires sont principalement vendus dans les pays de la Communauté des États indépendants. L'intégration au sein de l'Union douanière devrait également se traduire par des investissements russes dans le domaine des transports ferroviaires, la compagnie russe des chemins de fer RJD devrait ainsi financer à hauteur de 500 millions de dollars le désenclavement de l'Arménie, au travers de l'ouverture d'une voie vers la Russie, via l'Abkhazie. Une nouvelle tranche de la centrale de Metzamor devrait également être construite sur fonds russes. On peut cependant s'étonner de voir l'Arménie rejoindre un cercle douanier réunissant de grands pays exportateurs d'énergie, qui ne considèrent pas l'Arménie comme une priorité commerciale et avec lesquels elle ne dispose d'aucune frontière commune.
L'adhésion à l'Union douanière eurasiatique n'est également pas sans susciter des interrogations quant à la poursuite de la démocratisation et de la libéralisation économique. Celles-ci étaient encouragées par l'Union européenne, qui jouait un vrai rôle d'aiguillon modernisateur. Or, l'Arménie a énormément progressé depuis 5 ans, comme en témoignent la refonte du système judiciaire, l'encadrement amélioré des forces de l'ordre ou la lutte contre la corruption. Le principe « more for more » - plus de fonds contre plus de réformes - au coeur de la politique de voisinage a joué un rôle indéniable. Les crédits européens versés à l'Arménie ont ainsi augmenté d'année en année, compte tenu des progrès constatés.
Qu'en sera-t-il, si l'intégration au sein de l'Union douanière signifie la fin des négociations avec l'Union européenne ? N'existe-t-il pas, par ailleurs, un risque de contamination du modèle économique russe, les oligarques locaux préservant leurs avantages menacés par l'ouverture européenne ?
Je ne crois pas pour autant qu'il faille assimiler l'annonce de l'adhésion à l'Union douanière eurasiatique à un choix de civilisation. Cette adhésion à l'Union douanière ne suscite, par ailleurs, pas d'enthousiasme en Arménie, en particulier au sein de la jeunesse très attachée à la perspective européenne ouverte par l'accord d'association. Plus largement, la société civile voit dans l'adhésion à l'Union douanière une marque d'allégeance à Moscou et s'inquiète de l'avenir du pays.
Cette décision est avant tout le fruit d'un certain pragmatisme. Je n'occulterai pas non plus le fait que cette adhésion répond à une forme de pression de la part de la Russie. L'augmentation des prix du gaz a constitué le premier signal. La visite en août dernier du président russe en Azerbaïdjan a également pu conduire Erevan à renforcer son partenariat avec Moscou. Pression que subissent également la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine et qui prend des formes diverses. La Moldavie fait, à cet égard, figure de cas d'école : embargo russe sur les importations de vin, risque sur les produits agricoles et augmentation du prix du gaz. Chisinau craint désormais des tensions sur son territoire, en Gagaouzie ou en Transnistrie.
Je n'insisterai pas sur le fait que le Partenariat oriental est source d'inquiétude pour Moscou, qui le considère, depuis la guerre contre la Géorgie en 2008, comme un projet régional anti-russe. La création d'une zone de libre-échange aux portes de la Russie est en effet considérée comme l'équivalent d'une « nouvelle révolution orange ». Il s'agit donc pour les autorités russes d'aller vite, l'adhésion à l'Union douanière constituant une arme efficace pour rendre caduque la signature d'accords d'association le 28 novembre prochain à Vilnius.
Je m'interroge donc sur les déclarations entendues ici et là, et notamment celles du commissaire à l'élargissement ou des ministres des affaires étrangères lituanien et suédois, dénonçant violemment la décision arménienne et refusant de négocier un accord partiel lors du sommet de Vilnius. L'intransigeance affichée à l'égard d'Erevan par Bruxelles est sans doute motivée par la volonté de faire un exemple et dissuader les pays voisins de rejoindre l'Union douanière eurasiatique. Néanmoins ces déclarations pourraient être contreproductives. Il y a un risque de renforcer un peu plus l'influence de la Russie en Arménie.
Je conçois que la déclaration du 3 septembre puisse être vécue comme un camouflet pour la Commission européenne. Bruxelles n'a, apparemment, jamais été informée par Erevan des discussions qu'elle menait avec Moscou. Il me semble néanmoins que l'Arménie reste très attachée à poursuivre le travail déjà accompli en vue de la signature de l'accord d'association.
Il convient donc d'envisager avec recul la situation et de ne pas faire de ce pays un « fusible » dans le jeu compliqué des relations entre la Russie et l'Union européenne. Je préférerais que nous l'envisagions plutôt comme un pont entre Moscou et Bruxelles. L'Arménie est « déjà trop engagée au milieu du gué » pour reprendre la formule utilisée par certains observateurs locaux.
N'oublions pas non plus que l'adhésion à l'Union douanière eurasiatique révèle aussi en creux les limites du projet européen : perspectives à long terme incertaines, aide financière limitée et surtout, absence de garantie en matière de sécurité, avec, je le répète, la question du Karabagh en filigrane.
L'Union européenne commettrait une faute en mettant en sommeil ses relations avec l'Arménie. Nous devons comprendre la position de l'Arménie, soumise à de fortes contraintes. Mais comment faire pour relancer la coopération entre l'Arménie et l'Union européenne sur de nouvelles bases ?
L'appartenance à l'Union douanière eurasiatique remet en cause mécaniquement l'adhésion à la zone de libre-échange complet et approfondi (DCFTA) prévue par l'accord d'association avec l'Union européenne. L'accord signé avec la Russie porte précisément sur des lignes tarifaires couvrant la quasi-totalité des échanges commerciaux entre l'Union européenne et l'Arménie. Le tarif commun de l'Union douanière avec la Russie est ainsi appelé à se substituer à celui négocié par l'Union européenne avec l'Arménie. Ce tarif extérieur de l'Union douanière avec la Russie est par ailleurs plus élevé que celui pratiqué par l'Arménie aujourd'hui. Par ailleurs, dans le cadre de l'Union douanière eurasiatique, l'Arménie est tenue de déléguer à la Commission de l'Union douanière les négociations commerciales, à l'instar de ce que font les États membres de l'Union européenne avec la Commission européenne. Ce qui est précisément incompatible avec l'accord de libre-échange complet et approfondi : les tarifs douaniers ne seraient en effet plus négociés avec Erevan mais avec la Commission de l'Union douanière eurasiatique.
L'accord d'association tel qu'envisagé initialement couvrait cependant deux champs : l'intégration économique et l'association politique. Si le volet commercial tombe, rien ne s'oppose pour autant à ce que nous poursuivions sur la voie politique. Je pense ainsi aux coopérations qu'il est possible de prolonger ou de mettre en oeuvre en matière de PESC, de justice et affaires intérieures, de transports, d'énergie, d'environnement ou dans le domaine social. Il conviendrait à cet effet de modifier le mandat confié à la Commission pour mener à bien l'accord d'association.
Il est également indispensable de mesurer les conséquences financières pour l'Arménie de la suspension des négociations. Une enveloppe de 157 millions d'euros lui était attribuée sur la période 2010-2013. 100 millions d'euros étaient notamment prévus pour la mise en place de l'accord de libre-échange approfondi et complet. S'il est possible de réaffecter les crédits pour 2013, les conventions de financement n'ayant pas encore été signées, les crédits programmés pour 2012 et non encore versés pourraient ne pas être distribués. Cette somme est estimée à 75 millions d'euros, soit près de deux fois et demi le montant du déficit budgétaire arménien. Couper le robinet européen reviendrait, à n'en pas douter, à renforcer l'emprise russe.
Je comprends qu'aujourd'hui la priorité ne soit pas à la préparation d'un nouvel accord avec l'Arménie. L'Union concentre désormais ses efforts sur la signature des accords d'association prévus avec la Géorgie - qui a pu paraître hésitante ces derniers temps -, la Moldavie et surtout l'Ukraine. Il convient néanmoins d'oeuvrer en faveur de la signature d'un nouveau type d'accord entre l'Union européenne et l'Arménie, si nous souhaitons que les efforts accomplis jusque-là n'aient pas été vains. Il s'agit dans le même temps de garantir une forme de capacité d'attraction de l'Union européenne, mise à mal par le lancement de l'Union douanière eurasiatique. Le maintien de l'intérêt politique du Partenariat oriental est à ce prix.
Il est difficile d'être simultanément membre de la communauté eurasiatique et de signer un accord d'association complet avec l'Union européenne. L'Arménie voulait en quelque sorte jouer sur les deux tableaux.
Il y a quelques semaines, lorsque le président Bel a reçu le président de la république arménienne, il lui a posé la question de l'union douanière. Sa réponse a été quelque peu évasive. Il semble néanmoins avoir préféré la sécurité à la souveraineté. Son choix est donc fait : l'Arménie a opté pour l'Union douanière eurasiatique, sous la pression russe. Les liens militaires sont forts, l'Azerbaïdjan menace... Je note cependant que le commissaire tefan Füle a, ces derniers jours, nuancé ses déclarations. Je plaide donc plus que jamais pour que des liens d'association politique avec l'Arménie soient maintenus, afin de favoriser la démocratisation du pays.
Sur le plan économique, la question de la pertinence d'un accord de libre-échange complet et approfondi reste posée. L'absence de frontière - Géorgie mise à part - pour faire transiter les échanges commerciaux pose problème. L'étude d'impact existante estime que, en cas d'accord, l'importation de denrées alimentaires aurait été favorisée, et la production agricole freinée. Bref, la création de cette zone de libre-échange aurait été difficile.
La sécurité est un autre problème. L'action européenne à l'occasion de la crise géorgienne n'a pas dû rassurer l'Arménie, qui reste un petit pays...