Le président Emorine et moi-même vous remercions d'avoir accepté notre invitation à cette table ronde sur la volatilité des prix agricoles. Cette réunion s'inscrit dans une continuité sur le fond et marque une innovation dans la forme.
Cette réunion, conjointe des deux commissions des affaires européennes et de l'économie, témoigne de notre intérêt commun pour les affaires agricoles. Il y a quelques mois, nous avons publié nos propositions sur la réforme de la PAC. En février dernier, sous l'impulsion du président Gérard Larcher, nos deux commissions ont organisé une rencontre avec nos homologues allemands, qui montrait que nous privilégions une stratégie d'alliance européenne. La présente réunion est une nouvelle confirmation de cet intérêt.
Pourquoi ce thème ? Pour trois raisons. La première, c'est l'inquiétude générale de nos concitoyens et même des citoyens du monde au sujet d'une hausse des prix qui pourrait mener à de nouvelles émeutes de la faim. La deuxième, c'est la difficulté qu'ont les agriculteurs à gérer cette volatilité et à faire des prévisions. Dans un grand journal du soir, le 1er février 2010, M. Alain Faujas écrivait à propos du blé : « On voit mal comment le cours de notre céréale préférée pourrait remonter depuis les maigres 126 euros la tonne atteints jeudi 28 janvier. A des années-lumière des 295,50 euros touchés en mars 2008 »... Comment gérer une exploitation agricole lorsqu'on ignore les coûts de production et les prix de vente ? En outre, les aides européennes au revenu sont indépendantes des prix et le cumul d'aides budgétaires et de prix élevés fait naître chez nos concitoyens de légitimes interrogations sur la PAC elle- même, les agriculteurs étant à la fois vulnérables et accusés de profiter des hausses de prix.
Troisième raison : sous l'impulsion du président de la République, la France proposera au G20 la tenue d'une conférence sur ce thème de la volatilité des prix, pouvant déboucher sur la création d'un organisme agricole international. Le Conseil des ministres de l'agriculture, fin juin à Paris, devra aussi apporter des propositions sur ce thème qui est donc à la fois social, économique et international.
La formule de la table ronde se prête mieux aux échanges que celle de l'audition. Nous avons renoncé aux exposés introductifs pour passer plus vite aux questions/réponses. La formule est d'autant plus adaptée que cette réunion est diffusée en direct sur le site du Sénat.
Cette table ronde rassemble quelques unes des parties intéressées par le sujet : les observateurs, internationaux et nationaux, les acteurs de terrain, l'administration. Je précise que la Commission européenne a également été invitée.
Je vous demanderai de vous présenter brièvement à tour de rôle.
Je suis directeur de la division du commerce et des marchés à la FAO, qui est chargée, conjointement avec l'OCDE, de coordonner un rapport préparé avec neuf autres organisations internationales sur la volatilité des prix agricoles.
La volatilité des prix est normale sur les marchés agricoles mais, depuis 2006/2007, elle s'est accrue. Les prix ont considérablement augmenté et tout indique que cela continuera pendant encore quelques années. Cela menace la sécurité alimentaire des pays pauvres et justifie la mise en place de politiques d'autosuffisance alimentaire dans quelques États. Les liens entre marchés agricoles, marchés de l'énergie et marchés financiers sont de plus en plus étroits. La demande mondiale augmente fortement, notamment du fait de la Chine, tandis que les stocks publics diminuent. Tout cela est dangereux. Les chocs sur l'offre viennent des aléas climatiques qui vont se perpétuer. Malheureusement, de mauvais choix politiques ont encore aggravé la situation : en 2008, plus de 20 pays ont instauré des restrictions sur les exportations et les ont maintenues.
Dans ces conditions, que faire ? On peut tenter d'atténuer la volatilité des prix en régulant les marchés à terme, en utilisant les stockages ou en luttant contre les barrières de change. La solution la plus applicable serait d'améliorer la transparence sur les stocks, sur les marchés à terme et les marchés de gré à gré. On peut aussi tenter d'atténuer les conséquences de cette volatilité par le biais de filets de sécurité ou de stocks d'urgence ; ce sont des mesures à court terme ; et il faut voir que la vulnérabilité des plus pauvres résulte d'un manque d'investissement depuis des années....
La FAO a un rôle à jouer dans une gouvernance mondiale de la gestion des prix alimentaires. Pour améliorer la transparence des marchés, il faut mettre en place un système d'alerte annonciateur des crises : il est évident que nous avons besoin d'indicateurs plus fiables sur la situation alimentaire. Enfin une coordination des politiques est nécessaire : en 2007 et 2008, la plupart des pays pauvres n'ont rien fait ou ont mené des politiques qui ont aggravé la situation. A l'avenir, il faut éviter un tel manque de coordination.
Pour cela, nul besoin d'une nouvelle institution : il faut simplement améliorer le travail de la FAO en lui fournissant des informations sur les stocks, les prévisions de récoltes. Elle a aussi besoin de nouveaux indicateurs. Il lui faut également coopérer avec la Banque mondiale, l'OCDE, le Programme alimentaire mondial et, pour cela, nous proposons un Secrétariat. Pour gérer celui-ci, on peut envisager de créer un Comité composé des membres du G20, d'autres grands pays exportateurs ou importateurs de produits agricoles, et des organisations internationales. Ce Comité recevrait l'information et les indicateurs du Secrétariat et pourrait lancer les éventuelles alertes. Il lui faudrait, pour prévenir les crises, se réunir régulièrement, deux fois par an.
Je suis contrôleur général économique et financier au ministère des finances. J'ai notamment été secrétaire général adjoint des affaires européennes, et coordonnateur de la présidence française de l'Union européenne. Dans le cadre d'une mission confiée par Bruno Le Maire, je suis co-auteur avec Jean-Pierre Jouyet et Christian de Boissieu du rapport intitulé « Prévenir et gérer l'instabilité des marchés agricoles ». C'est à ce titre que je participe à cette table ronde où je suis le seul à parler à titre strictement personnel ; je n'engage ici aucune structure ni même mes co-auteurs.
Je suis directeur général de la FNSEA, qui consacre au problème de la volatilité des prix beaucoup de réflexions et de propositions.
Je suis président délégué de l'Association nationale de la meunerie française, expert de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) pour les problèmes de matières premières. J'ai participé à tous les travaux préparatoires au G20 pour le compte des professionnels et j'ai suivi de près l'élaboration de textes européens, dont le nouveau règlement sur les produits dérivés. A ce titre, je suis président de la task force de la Conférence des industries agricoles et alimentaires au niveau européen.
Je suis le chef du service des relations internationales au Ministère de l'agriculture. A ce titre, je suis chargé de suivre les négociations de la PAC ou de l'OMC ; en même temps je suis coordonnateur en charge de la présidence française du G20 pour la partie agricole.
Je suis chef du bureau de l'évaluation et de l'analyse économique au Centre d'études et de prospective du ministère et, en liaison avec Stéphane Le Moing, nous travaillons à la préparation du G20 agricole, notamment sur le problème de la régulation financière.
Y a-t-il un lien entre la volatilité des prix des matières premières agricoles et celle de l'ensemble des matières premières ?
Oui, depuis une période relativement récente. Depuis 2004, le marché des matières premières a évolué du fait des liens créés par des placements constitués de paniers de matières premières - comportant métaux non ferreux, pétrole, gaz et matières premières agricoles. Tentant de diversifier leurs risques, des investisseurs se sont portés sur des produits qui associent l'ensemble des matières premières. La financiarisation de l'économie et ce genre d'investissement font que les prix des différentes matières premières ont tendance à être corrélés.
La volatilité est une notion qui mérite d'être définie. Ce n'est pas l'augmentation des prix. Ce sont des variations importantes de prix dans une période de temps. Et il y a deux sortes de volatilité : celle, suivie par la FAO, qui concerne les prix des produits agricoles, d'une campagne sur l'autre ; et celle que les spécialistes des marchés financiers définissent de façon mathématique : la volatilité implicite des options, la volatilité instantanée sur les produits dérivés. C'est cette volatilité-là qui a considérablement augmenté et qui est très déroutante pour les opérateurs des marchés physiques. Car vous pouvez passer d'un prix de 100 à un prix de 200 euros par une ligne droite, ou bien par une ligne brisée qui ne permet plus aux opérateurs de se repérer et de savoir, à chaque instant, si le prix va augmenter ou baisser.
Ce qui est nouveau par rapport au phénomène d'augmentation du prix du blé du fait des achats massifs par l'URSS il y a trente ans, c'est que, maintenant, à chaque minute, la volatilité instantanée a considérablement augmenté. Donc il y a volatilité mais elle n'est pas semblable à celle du passé.
C'est dû, notamment, au « high frequency trading » et à ses automates qui permettent de réagir très rapidement. Et beaucoup d'opérateurs financiers ne travaillent plus sur l'évolution des cours - ce sont les investisseurs à long terme qui le font - mais sur la volatilité, c'est-à-dire qu'ils achètent et qu'ils vendent de la volatilité. D'où la rupture constatée dans l'ensemble des courbes depuis 2004.
Doit-on parler de volatilité ? D'instabilité ? Ou d'instabilité excessive ?
Je suis d'accord avec l'analyse de Bernard Valluis sur les termes. Celui de « volatilité » est plutôt employé sur les marchés financiers. Beaucoup de nos partenaires étrangers considèrent la volatilité comme un phénomène normal et ne comprennent donc pas qu'on lutte contre elle. Dans notre rapport, plutôt que « volatilité », nous avons employé les termes d'« instabilité des marchés » ou de « fluctuations », mieux compris par nos partenaires. La fluctuation des marchés agricoles est un phénomène structurel, dû à des données physiques ; c'est la loi de Gregory King de 1696... Cette fluctuation, éternelle source d'émeutes, a toujours préoccupé les gouvernements. Mais ce qui a changé c'est la mondialisation et la financiarisation de ces marchés. La mondialisation est cause d'un paradoxe apparent. Les échanges internationaux de céréales sont peu importants par rapport à la production mondiale, ils n'en représentent en moyenne que 11 à 12 %. Or, si une production diminue de 1 %, et qu'on n'en échange que 10 %, cette baisse sera répercutée sur la partie échangée et donc sur 10 % des échanges internationaux. Il y a là un effet multiplicateur alors que la modification de production est faible.
L'interconnexion des différents marchés de matières premières s'explique aussi par le fait qu'une partie des opérateurs sont les mêmes sur les différents marchés d'actifs et qu'ils peuvent donc faire des arbitrages entre ces différents marchés.
Sur les marchés physiques, on a une situation structurelle où l'offre est instable et soumise aux aléas climatiques, tandis que la demande est rigide. Mais, sur le long terme, la demande est tirée par trois éléments : la demande humaine, le besoin de nourriture animale, l'utilisation de céréales pour des besoins non alimentaires. La demande ne fera probablement qu'augmenter, contrairement à l'offre, ce qui sera source de tensions dans l'avenir.
En outre, certains freins s'opposent à l'ajustement entre l'offre et la demande mondiales : les restrictions d'exportation par exemple. Ainsi le Brésil exporte du maïs génétiquement modifié soumis aux restrictions sanitaires de certains pays importateurs. Le fret maritime s'oppose aussi à cet ajustement dans la mesure où, préempté à 70 % par les échanges avec la Chine, il est lui aussi soumis à des tensions périodiques. Il faut aussi noter l'opacité croissante des données : les données de production de la Chine, par exemple, ne sont pas transparentes, si bien que la volatilité des prix a été importante sur les marchés physiques du riz, sans que les marchés financiers en soient la cause. Et entre aussi en jeu la spéculation sur les marchés financiers.
Je renonce à poser ma question à M. Valluis parce que M. Guillon vient d'y répondre très complètement. Je pensais qu'on accordait trop d'importance à la financiarisation au détriment des facteurs physiques et notamment de la montée de la demande des pays émergents.
La volatilité est inquiétante tant pour les producteurs que pour les consommateurs, pour lesquels les répercussions de toute augmentation de prix sont disproportionnées. Lorsque la tonne de blé est à 110 euros, la farine entre pour 7 centimes dans le prix de la baguette ; quand le prix du blé double, la baguette pouvait être à 3 ou 4 centimes de plus.
La volatilité est due à une demande mondiale en constante augmentation, aux aléas climatiques ainsi qu'à la spéculation financière : des fonds de pension spéculeraient sur les produits alimentaires. On parle de volatilité lorsque les prix montent mais il y a aussi volatilité lorsqu'ils sont à la baisse. En 2007, les cours étaient de 250 à 280 euros la tonne de blé, ils étaient de 110 euros en 2009 et ils sont de 250 maintenant. En 1981, on vendait 200 euros une tonne de blé dont le prix de revient était de 120 euros. En 2009, on la vend à 110 euros alors que son prix de revient est de 150 euros ! Avec M. Volot, la commission de l'économie s'est préoccupée ce matin des ventes à perte, qui ne sont pas admissibles. Ici, on vend à perte ! Il faudrait des outils de régulation des marchés. Je souligne également le problème du stockage : on ne dispose que de deux mois de stock au niveau mondial. Enfin, nous n'avons plus le prix d'intervention, qui constituait un filet de sécurité contre la baisse des cours. Pour réguler, il faudrait aussi prendre en considération la contractualisation en faveur de productions de qualité.
Le sujet est passionnant et, Monsieur le président de la commission, il serait souhaitable de débattre de la volatilité en séance publique avant le G20. Volatilité ou pas, la majorité des prix agricoles sont trop bas. La gestion des stocks est un élément clé du problème, cela peut être le meilleur outil contre une spéculation assassine - la famine de 2008 a atteint 150 millions de personnes supplémentaires - qu'on doit combattre par tous les moyens ! La gestion des stocks doit être faite par tous les pays dans le cadre d'une politique de souveraineté alimentaire réactivée, certains d'entre eux ayant laissé de côté leur agriculture. Les pays peuvent acheter et stocker des céréales - comme tous les produits secs qui se transportent et se conservent bien - de façon à décourager la spéculation. L'État doit s'en occuper de façon à garantir un prix stable et une marge bénéficiaire correcte pour les producteurs. Il faut une gestion intelligente des stocks - maintenus à un niveau supérieur à ce qu'il est actuellement - pour limiter les effets d'une spéculation assassine.
Peut-on éviter une politique de stockage ? Pour qu'elle soit efficace, quelles quantités doit-on stocker ? Et à quel coût ?
Y a-t-il des filières ou des zones plus affectées que d'autres par la volatilité des prix ?
A la grande différence de 2008, le marché du riz est maintenant assez stable. Les prix domestiques en Afrique ont baissé grâce à de bonnes récoltes.
Sur les produits stockables, café, cacao, sucre, céréales, oléagineux, produits transformés, on regarde toujours le rapport entre le stock et la consommation locale ou mondiale : c'est un indicateur d'alerte. A trois semaines de stock, on entre dans une zone de difficultés. A deux semaines, il y a déjà rupture d'approvisionnement dans certains pays. Il est donc vital de maintenir des stocks. Les principaux pays exportateurs avaient des stocks mais le démantèlement des politiques agricoles - sous l'effet d'une libéralisation des échanges et d'une théorie économique laissant au marché le soin d'être efficace ou vertueux - a détruit ces stocks, lesquels étaient constitués à partir des prix garantis aux producteurs : en Europe, dès lors que le prix atteignait le prix d'intervention, on stockait ! Il y avait donc des stocks publics, mais on a considéré qu'ils étaient extrêmement coûteux et on les a démantelés.
Sous-entendez-vous que la réforme de la PAC et sa libéralisation sous-jacente ont encouragé la volatilité des prix agricoles ?
Je ne sous-entends pas, je dis clairement que les travaux de l'OCDE ont conduit, dans le cadre de l'OMC, à la libéralisation des échanges et au découplage des aides, et au démantèlement des systèmes de stocks publics, lesquels avaient un effet régulateur qu'on a voulu ignorer. Aujourd'hui nous souffrons d'un déficit de stocks publics et, en plus, au G20, il y a une sorte de front du refus contre la proposition française de constituer des stocks.
Le protocole d'accord passé entre le Sénat, l'Assemblée nationale et le Bundestag a buté sur ce problème. Il nous fallu deux heures de négociation pour nous entendre sur la simple possibilité d'un cadre de régulation pour la future PAC. En effet, ce n'est plus dans l'air du temps malgré les conséquences négatives du manque de régulation.
En matière de stocks, il faut distinguer les niveaux européen et international. Ces vingt dernières années, les États européens ont évolué vers un consensus - auquel la France s'est toujours opposée - en faveur d'une moindre envergure des mesures de gestion des marchés et toute l'histoire de la PAC, depuis la grande réforme de 1992, est faite d'une succession de réformes allant vers des aides au revenu stables et, depuis 2003, découplées de la production. Mais les instruments de marché n'ont pas tous été démantelés, dans les secteurs du blé ou du lait par exemple.
En Europe, il y a une paix armée entre tenants et adversaires de la gestion de marché : la France voudrait renforcer les instruments de marché, l'Allemagne préfèrerait en rester là. Au niveau international, la situation est différente. Malgré la volonté affichée des grandes organisations internationales de limiter les interventions des États, les grandes puissances agricoles ne se privent pas d'intervenir sur les marchés : ouvertement, comme la Chine ou l'Inde, ou de manière plus ambiguë, comme les États-Unis et l'Europe et même le Brésil, qui se dit pourtant libéral.
L'opportunité de constituer des stocks régulateurs internationaux fait débat. Les économistes n'y sont guère favorables, et les pays du G20 l'ont refusé. En revanche, tous les États ont une politique de stock, pour des raisons de sécurité nationale. Enfin, il y a la question plus large des subventions considérées comme distorsives par l'OMC. En règle générale, les États préfèrent gérer eux-mêmes leurs stocks : c'est une question de souveraineté.
La baisse des stocks laisse libre cours à la spéculation. Des fonds de pension, des opérateurs agricoles se livrent-ils à des manoeuvres pour faire monter les prix ?
Les stocks se trouvent aujourd'hui dans les pays producteurs. Avec l'instabilité des prix, les pays structurellement importateurs, comme l'Égypte ou la Tunisie, achètent deux fois plus cher cette année que l'année dernière ! Ne faudrait-il pas plutôt les aider à constituer des outils de stockage ?
La notion de stock est imprécise. Il ne faut pas confondre les stocks d'urgence, de sécurité alimentaire, et ceux qui sont destinés à la régulation. Les stocks peuvent être privés, publics, gérés de façon nationale ou internationale. Cette problématique est au coeur de tous les accords internationaux sur le blé depuis 1934, tous avortés... Enfin, il faut distinguer un stock de blé dans un silo sécurisé du sud-ouest, du riz stocké en vrac sous une bâche, au milieu des rats, dans un pays en développement ! C'est pourquoi il faut tout d'abord s'entendre sur la définition d'un stock au niveau international. Notre rapport préconise également le financement de lieux de stockage dans les pays en développement, qui pourrait être une priorité de la Banque mondiale.
Même des pays réputés libéraux ont des stocks publics : début 2011, le gouvernement brésilien a relâché ses stocks publics de maïs pour aider ses éleveurs.
Le problème n'est pas seulement la hausse des prix mais aussi leur baisse. Or les marchés ne fonctionnent pas correctement dans les deux sens. On a assisté entre 2000 et 2007 à une dégringolade des stocks de fin de campagne au niveau mondial, de 200 millions de tonnes de blé à 115, sans que cela ait de conséquence sur les prix de marché. On peut donc s'interroger sur l'hypothèse d'efficience des marchés, c'est-à-dire sur la qualité du signal-prix. Avant la crise, il était inimaginable de critiquer le niveau des prix !
Actuellement, le niveau des stocks de fin de campagne reste non négligeable : il représente 28 % de la consommation annuelle ! Or, une révision à la baisse de 3 % des prévisions de production entraîne une hausse des prix de 70 %. Les politiques agricoles ont été analysés par Mordecai Ezekiel, économiste de Roosevelt, et plus récemment par Jean-Marc Boussin, qui avait prévu la séquence hausse-baisse-hausse en 2007-2008 et mis en avant l'effet de la baisse des stocks communautaires.
Contrairement à 2007-2008, le riz est paradoxalement épargné par la hausse actuelle. Les relations diplomatiques entre pays du sud-est asiatique autour de l'ASEAN-Plus Trois ne sont sans doute pas étrangères à la bonne coordination entre stocks. Il faudrait comparer les coûts du stockage à ceux de l'instabilité des marchés agricoles.
Comment mesurer l'impact de la spéculation financière sur les marchés agricoles ?
Nous sommes dans un marché global. Les matières premières agricoles constituent un sous-jacent : c'est la partie physique. L'arbitrage se fait par des opérations sur des marchés à terme, réglementés. Aux États-Unis, cela représente trente fois la production ; en Europe, la moitié de la production ! Cotations internes et options représentent un pourcentage qui est en général un multiple du volume des sous-jacents.
N'oublions pas en outre les marchés de gré à gré, qui représentent des multiples très supérieurs aux marchés physiques et réglementés réunis. Les matières premières représentent 3 % de l'ensemble... L'opacité y est totale : impossible de savoir dans quelle mesure les opérateurs jouent sur les marchés et prennent des positions de contrôle. Les recommandations du G20 de Pittsburgh de septembre 2009 ont d'ores et déjà été traduites aux États-Unis dans la loi Dodd Frank ; des directives et règlements sont en préparation au niveau communautaire mais nous avons pris du retard.
Les mesures prises pour connaître l'identité et les positions des opérateurs et instaurer une police sur ces marchés vont être contrecarrées par les opérateurs financiers, qui ont déjà perdu la mémoire de la crise. Le travail de la Commission européenne est louable, mais le Congrès américain coupe aujourd'hui les vivres aux organismes régulateurs... Pour les matières premières, la régulation financière n'est pas la solution. Il faut une solution adaptée à la gestion de stocks régulateurs. Bref, il faut mettre en oeuvre une politique économique de stocks régulateurs de matières premières, dans un compromis entre consommateurs et producteurs.
Le problème, c'est la volatilité excessive, c'est-à-dire des variations de prix brusques et de forte amplitude. Les marchés de matières premières, guidés par un sous-jacent, deviennent dérivés. Quels sont les outils, les contrats, les opérateurs sur les marchés ? Il y a les commerciaux, les « traders » habituels, et les swappers, parasites dont il faut limiter les actions et les outils, swaps et options. Peut-on imposer un enregistrement par catégorie d'opérateur, afficher leurs transactions en toute transparence, pour envoyer un message aux acteurs du marché physique ?
Le problème a été en partie résolu par le FSTC (Financial Services Technology Consortium) aux États-Unis.
Les marchés à terme se nourrissent de la volatilité des prix. Ces marchés secondaires, qui organisent des transactions sur une base virtuelle et des contrats anonymes, ont besoin des liquidités apportées par les spéculateurs. La spéculation est donc inhérente au fonctionnement du marché. La notion de spéculation « excessive » a été introduite par le Sénat américain : il n'y a aucun instrument de mesure, mais des présomptions, des indices, comme la déconnexion du réel et du financier, la part des opérateurs non commerciaux, etc. La commission d'enquête du Sénat américain a mis en cause la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) dans le marché du blé de Chicago ; M. Michael Masters, auditionné par le Sénat le 20 mai 2008, a expliqué comment son fonds spéculatif avait participé à cette spéculation. Il y a donc bien eu spéculation « excessive », mais on ne peut la mesurer.
On assimile au fonctionnement des marchés physiques des instruments de marchés financiers. Il ne devrait pas y avoir de swap sur les marchés physiques ! C'est une dégénérescence du système.
Comme l'a rappelé M. Courleux, les stocks mondiaux ont régulièrement baissé sans que l'on ne s'en inquiète, et le réveil a été brutal. On a fait état du rôle de la spéculation dans la formation des prix mondiaux. La part des céréales sur les marchés mondiaux représente 11 % de la production mondiale : les prix se forment donc à partir de ces 11 %. Un État qui voudrait se protéger contre un risque de pénurie ne peut-il contribuer à la volatilité des prix ? La Chine, par exemple, peut-elle contribuer à la variation des cours en intervenant sur le marché mondial ?
Réchauffement climatique, aléas : les phénomènes se cumulent. En 2009, les conditions climatiques ont été satisfaisantes dans presque toutes les zones de production, d'où les prix bas. La demande des pays émergents s'accélère : la Chine achète tout ce qui se présente sur le marché. On ne sait si c'est pour sa consommation ou pour constituer des stocks. Il y a des pistes à creuser pour limiter ces comportements.
Les marchés à terme sur les matières premières agricoles se sont développés en Chine. Les volumes de transaction y ont plus que quadruplé, qu'il s'agisse du soja, du maïs ou du blé.
Venons-en à l'impact de la volatilité sur le monde agricole. Comment les exploitants s'en accommodent-ils ? N'y a-t-il pas des tensions entre céréaliers et éleveurs ? Le président de la FNSEA a lancé l'idée d'une contractualisation entre ces deux secteurs. Peut-on y parvenir ?
Les agriculteurs doivent prendre conscience que la politique agricole européenne n'est plus celle en cours ces cinquante dernières années. L'instabilité des prix a toujours existé, mais les producteurs européens étaient à l'abri des tempêtes. Or le message est mal passé. Il faut apporter aux agriculteurs les outils pour faire face à la nouvelle donne. Parmi les outils fiscaux figure la déduction pour aléas. Les producteurs européens vont devoir épargner pendant les années fastes pour préparer les années de vaches maigres.
C'est difficile en pratique : on constate un parallélisme entre l'achat de matériels et la hausse des revenus. Il y a aussi des solutions collectives : la France est pionnière en la matière. Pourquoi ne pas créer des caisses de compensation au niveau des interprofessions pour limiter l'effet des fluctuations, à l'instar de ce qui a été fait dans la filière porcine ?
Les fluctuations rendent incompréhensibles les nouveaux soutiens à l'agriculture, à commencer par la regrettable réforme de 2003 instaurant le droit à paiement unique (DPU) à l'hectare.
Le Sénat avait été un peu provocateur en imaginant que les DPU pouvaient être cycliques, donc maximalisés en période de turbulence. M. Dacian Ciolos, commissaire à l'agriculture, n'y était pas hostile, mais la proposition n'a guère suscité d'engouement... Une telle mesure aurait pourtant été intéressante pour les agriculteurs.
Le DPU à l'hectare va de pair avec le découplage. Pour agir de manière contra-cyclique, il faudrait que les exploitations soient relativement spécialisées, or en France, elles sont diversifiées. Et il est strictement interdit de recoupler les aides ! La position de la Commission européenne est claire : le DPU n'est pas une aide au revenu, à la hausse ou à la baisse des prix, mais la compensation des contraintes environnementales et sanitaires que s'impose l'Europe. Bref, on rêve d'un Doha finalisé, ce qui est loin d'être le cas !
L'opinion publique ne comprendrait pas que l'on parle de DPU sans remettre en cause les références historiques. J'ai participé au bilan de santé de la PAC : les pays européens sont tous préoccupés par l'occupation de l'espace.
Les références historiques disparaîtront progressivement.
Que pensez-vous d'une contractualisation entre céréaliers et éleveurs ?
L'interprofession fera des propositions au ministre fin juin, visant à permettre à l'alimentation animale de bénéficier de contrats plus transparents et de prix plus modérés : le prix moyen plutôt que le spot.
Non, le contrat serait passé soit avec le fabriquant d'aliments, soit avec l'éleveur qui fabrique ses propres aliments. On envisage un marché à terme de tourteaux de colza sur la place de Paris. Il s'agit également de réduire les coûts d'intermédiation en la matière.
On s'oriente vers une contractualisation au niveau national, mais attention aux effets de frontière.
L'élevage bovin est très vulnérable : l'alimentation bovine n'est plus à base d'herbe, et une vache laitière consomme deux tonnes d'aliments du bétail. Et l'on consomme toujours moins de viande rouge... La consommation de céréales n'est certes pas la même selon les types d'animaux d'élevage. Mais force est de constater que la France n'a pas de politique de l'aliment du bétail ; il faut créer une filière.
Des engagements devraient être signés en présence du ministre la semaine prochaine. Le secteur de la production animale est le plus touché par la hausse de ses coûts de production, or il n'y a pas de lien de proportionnalité entre le cours du porc et le cours des céréales... Dans un souci de transparence, il faudrait des indicateurs tenant compte du prix de l'aliment du bétail : si le rapport entre le prix de l'aliment et le prix du produit à la consommation dépasse une marge acceptable, les prix devraient être renégociés.
M. Jean-Pierre Jouyet a proposé la création d'une agence européenne chargée de suivre l'évolution des données physiques et financières des matières premières agricoles. Qu'en pensez-vous ? Est-ce le rôle de la Commission, ou du Parlement ?
Le problème est celui de la cohérence des politiques mondiales, d'où l'intérêt de passer par le G20. Un cadre européen est sans doute nécessaire mais pas suffisant. Quel serait le rôle d'une telle structure : réguler uniquement les marchés financiers, ou intervenir sur les sous-jacents ? Est-il pertinent de créer une nouvelle structure alors que la Commission a déjà un rôle en la matière ?
Quelles sont les relations entre les grands organismes de gouvernance mondiale, ONU, OMC, FAO, G20, etc ? Avez-vous perçu un décloisonnement, une volonté de travailler ensemble ? Avez-vous des préconisations à faire en la matière ?
Nous avons été frappés par la réactivité des États à l'inscription, par la présidence française, de la volatilité des prix des matières premières agricoles à l'ordre du jour du G20. Il y a un consensus, partagé par les organisations internationales associées, sur la pertinence du sujet, la nécessité de travailler ensemble et d'améliorer notre connaissance du fonctionnement de ces marchés. Cette meilleure connaissance est le préalable à un début de coordination internationale visant à prévenir les crises et à y répondre.
Le rapport conjoint des organisations internationales, qui doit être remis en juin, est une étape importante. L'idée est d'oeuvrer en commun pour assurer un suivi plus précis des données physiques et financières des matières premières agricoles.
Faut-il une agence européenne, comme le propose M. Jean-Pierre Jouyet ? Mieux vaut, me semble-t-il, inciter la Commission européenne à mieux utiliser les outils dont elle dispose, et à améliorer déjà sa propre connaissance des échanges.
Concernant l'impact de la volatilité excessive, l'industrie est souvent montrée du doigt, mais il faut tenir compte du contexte économique et législatif français. L'incertitude se traduit par un coût réel : celui de l'option, qui peut atteindre 20 euros par tonne pour un produit évalué à 250 euros ! Voici la mesure d'une volatilité excessive. Dans un marché libre, les industriels achètent à différents moments, donc à des prix différents : les obliger à répercuter les hausses ou baisses de prix, via une indexation, serait contraire à l'exigence de libre concurrence.
Malgré la loi de modernisation de l'économie (LME), la distribution, nostalgique de l'économie administrée d'autrefois, refuse de négocier les prix de cession des produits. C'est toute la filière qui doit s'adapter à un mode contractuel différent. Pour l'heure, nous sommes dans l'impasse.
Les accords de produits ne regroupent pas tous les pays, mais fournissent les données les plus régulières et les plus proches des chiffres définitifs, avec le département de l'agriculture américain. Confier à la FAO le pilotage d'un organisme recueillant des données statistiques serait un progrès considérable. Je regrette que le mandat de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) ne comprenne pas un tel suivi, que préconise M. Jean-Pierre Jouyet. Mme Christine Lagarde avait proposé de créer un équivalent européen de la CFTC. J'attendais que l'ESMA soit dotée de telles missions.
La grande distribution trouve toujours des moyens de contourner la législation... À nous de chercher à corriger les imperfections de la LME.
L'Europe devrait se doter d'un outil comme la CFTC. Les États-Unis ont pris de l'avance, et apportent des réponses souvent pertinentes.
Il faudrait en effet s'inspirer du pragmatisme américain. La CFTC a été créée dans les années 1920, elle est devenue régulateur en 1974.
La procédure de révision des directives européennes en matière financière est en route. L'ESMA aurait pu aller plus loin que la simple coordination entre régulateurs nationaux, mais c'est déjà une avancée, à mettre au crédit du commissaire Barnier. En matière de transparence des marchés financiers, l'Europe n'est pas encore au niveau des États-Unis d'avant la crise de 2007 ; il faut rattraper notre retard. On sait qu'aux États-Unis, 80 à 90 % des positions à l'achat sont détenues par des non commerciaux ; nous ne disposons pas de ces informations pour les places européennes. Il en va de même en matière de répertoires de transaction, qui pourraient être hébergés par une organisation internationale.
Le régime des sanctions n'est pas non plus adapté. Le trader qui a réalisé un corner sur le cacao en juillet dernier n'encourait aucune sanction en Europe ; aux États-Unis, une telle manoeuvre est passible d'une dizaine d'années de prison !
Il y a en effet une carence au niveau communautaire. Nous sommes preneurs de toute note complémentaire sur le sujet.
La pratique des marchés à terme est-elle adaptée à toutes les matières premières agricoles ? Comment concilier la PAC, à laquelle nous sommes très attachés, et une agriculture européenne tournée vers la bourse, notamment aux yeux de l'opinion publique ?
Les organisations internationales souffrent toujours de leur cloisonnement : les problèmes sont transversaux, les organisations sectorielles. Je ne crois pas à une organisation mondiale de l'agriculture. Mieux vaut un organe informel d'impulsion et de coordination politique, rattaché au G20 et s'appuyant sur les organisations existantes. Il faut améliorer notre connaissance de la situation, mettre en place un système d'alerte, avec des indicateurs physiques et financiers, ainsi qu'un système de prévention des réactions inadéquates des États...
La régulation des marchés financiers est plus aboutie aux États-Unis car leurs marchés sont plus anciens. N'oublions pas toutefois que le modèle américain a eu des défaillances... La régulation des marchés à terme est compliquée : c'est un univers complexe et opaque, sans compter la part des marchés de gré à gré, partie immergée de l'iceberg. Les marchés sont connectés, l'espace est mondialisé ; en face, on a des réactions nationales, même si elles sont coordonnées. Clearnet, la chambre de compensation d'Euronext, a entre neuf et treize régulateurs : c'est l'organisme régulé qui coordonne ses régulateurs, et prépare les instructions du régulateur ! Jean-Paul Gauzès, député européen, a dénoncé l'insuffisance des textes adoptés par le Conseil et les conséquences de certaines nominations au niveau européen. Les solutions techniques sont généralement contournables...
Pour développer les marchés à terme, il faut un produit homogène et divisible : c'est le cas des céréales, mais pas des fruits et légumes. Il faut une organisation de filière. Cela prendra du temps, dans un contexte de compétition entre les marchés : les opérateurs français qui exportent trouvent plus facilement à se couvrir sur le marché de Chicago que sur Euronext !
Comment améliorer la transparence des marchés ? À un problème global, il faut une solution globale. Il faut non seulement obtenir l'information, mais mettre en place un système d'alerte et de coordination des politiques. Les organisations internationales ont montré qu'elles étaient prêtes à coopérer. Cela augure bien de l'avenir.
Merci de nous avoir appris beaucoup ; cela nous sera utile pour la communication que nous devons produire pour la fin mai, avant le G20 agricole de juin à Paris. Cette communication sera totalement dans l'esprit de celle que nous avons sortie il y a quelques mois sur la PAC. Sur la future PAC soufflera et sévira encore un peu plus l'esprit du libéralisme. Or, on ne peut laisser les agriculteurs sans régulation ! Je suis sûr que nous avons des réponses à apporter au G20. La France a des idées précises sur le sujet et il faut saluer ceux qui y réfléchissent, notamment le ministre Bruno Le Maire, car nous sommes arrivés à un point crucial, où il faut éviter qu'un ultralibéralisme malvenu ne conduise toute une filière dans le mur.
Merci à tous d'être venus discuter d'un enjeu important : nourrir la planète dans des conditions économiques acceptables tant pour les producteurs que pour les consommateurs. Notre rencontre permet de mieux quantifier et cerner les problèmes.
Pour nous, la réponse politique à leur apporter se situe à trois niveaux. Au niveau national d'abord via la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), avec la contractualisation, l'encouragement aux assurances contre les aléas climatiques et sanitaires et les provisions pour lesdits aléas et aussi pour les investissements. Cette loi favorise aussi l'organisation de filières pour l'agriculture et l'agro-alimentaire, afin qu'elles entretiennent des relations stables sur le long terme.
La réponse est internationale ensuite : la lutte contre la volatilité des prix agricoles est à l'agenda du G20. C'est historique. Les marchés agricoles sont maintenant totalement interconnectés. Le prix du lait breton se fait souvent, malheureusement, en Nouvelle-Zélande et celui du blé vendu au Caire et à Moscou. La réunion des ministres de l'agriculture, fin juin, devra décider des outils de lutte contre la volatilité ; mais nous sommes là loin d'un consensus, même si les tenants d'une absence totale de régulation sont un peu en perte de vitesse.
Au niveau européen, enfin : la proposition de M. Jean-Pierre Jouyet peut être retenue et la réforme de la PAC de 2013 devra la prendre en compte. Depuis plusieurs années, on s'oriente de plus en plus vers les marchés en disposant de moins en moins d'outils d'intervention. La PAC contribue à la volatilité. Nous voudrions qu'elle soit à nouveau un outil d'amortissement de cette volatilité, même s'il ne s'agit pas d'en revenir à une PAC totalement administrée et déconnectée des marchés ; personne ne la défendrait car son budget serait insoutenable.
Le groupe de travail que nous avons mis en place avec le président Jean Bizet défend l'idée de redonner du sens à la PAC et de ne pas renoncer à son ambition d'une régulation. Nous en avons convaincu nos partenaires allemands et sommes parvenus à une déclaration commune des Parlements de nos deux États. Soyez sûrs que nos deux commissions de l'économie et des affaires européennes resteront attentives à l'enjeu de la volatilité des prix agricoles et que nous tenterons de faire valoir la vision d'une agriculture mondiale capable de nourrir sans soubresauts neuf milliards d'humains à l'horizon 2050.
Je souhaite tout d'abord remercier les personnalités qui ont accepté de venir aujourd'hui éclairer les sénateurs sur les enjeux de la réforme de la politique européenne de cohésion. Cette politique présente un double visage : d'un côté, c'est l'une des deux plus importantes politiques de l'Union européenne, juste après la politique agricole commune (PAC). Il s'agit de l'une des manifestations les plus évidentes de la solidarité des pays européens entre eux. De l'autre côté, c'est l'un des points d'appui majeurs de notre politique nationale d'aménagement du territoire car les contrats de plans État-Région sont articulés avec les programmes opérationnels de la politique de cohésion. L'effet multiplicateur des fonds européens est important : pour un euro apporté par l'Union européenne, ce sont quatre euros qui sont mobilisés au niveau national.
La commission des affaires européennes s'est attachée, dans le rapport d'information qu'elle a confié à Yann Gaillard et Simon Sutour, à clarifier les enjeux de la négociation en cours à Bruxelles. Pour sa part, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a demandé à Rémy Pointereau d'étudier les modalités nationales de mise en oeuvre de la politique de cohésion. Il y a sans doute des améliorations à apporter aux pratiques actuelles. M. Pointereau devrait nous présenter ses conclusions dans le courant du mois de juin.
Pour ma part, je m'interroge sur les conséquences de la volonté de la Commission européenne d'éviter le « saupoudrage ». J'estime en effet essentiel que toutes les régions européennes restent éligibles, à un titre ou à un autre, aux crédits de la politique de cohésion car même les plus riches d'entre elles connaissent des déséquilibres infrarégionaux. De même, le projet de la Commission de resserrer le nombre des priorités thématiques risque de contraindre excessivement la liberté de choix des États membres. C'est un point sur lequel la France devra rester attentive au cours des négociations à Bruxelles.
Permettez-moi simplement de souligner la pertinence du rapport qu'ont soumis à notre commission Yann Gaillard et Simon Sutour : ce rapport a le très grand mérite de nous éviter de choisir entre la PAC et la politique de cohésion. La France est contributeur net au budget européen depuis quelques années et son solde négatif à l'égard de l'Union européenne atteint aujourd'hui 5 milliards d'euros et pourrait même se creuser jusqu'à 7 ou 8 milliards d'euros en 2013. Dans ce contexte, la France ne peut ignorer la proposition que fait la Commission européenne de créer une nouvelle catégorie de régions intermédiaires, au titre de laquelle les régions françaises pourraient bénéficier d'environ 3 milliards d'euros supplémentaires, ce qui est loin d'être négligeable puisque les fonds européens représentent 25 % de l'investissement régional.
Le discours de Jean Bizet m'apparaît plus raisonnable que celui de Jean-Paul Emorine car nous devons partir de la situation dans laquelle l'Europe se trouve et prendre en compte le risque de repli et la montée du populisme engendrés par la crise. La question qui doit nous occuper est de trouver le moyen de ne pas nous replier sur nous-mêmes et, pour cela, de faire non pas plus ou moins d'Europe mais mieux d'Europe. Affirmer que la politique de cohésion vient juste après la PAC, comme l'a fait Jean-Paul Emorine, c'est une position que je connais - j'ai rencontré le Gouvernement - mais c'est une position que je ne peux adopter en temps qu'Européen convaincu.
Je tiens à rappeler que je suis également un Européen convaincu. J'ai simplement voulu préciser que, pour ce qui est de sa masse financière, la politique de cohésion représentait le deuxième poste budgétaire de l'Union européenne, ce qui ne signifie absolument pas qu'elle est secondaire par rapport à la PAC.
Nous avons rencontré le commissaire Michel Barnier qui nous a indiqué qu'il soutenait la création d'une catégorie de régions intermédiaires. C'est en effet l'assurance de promouvoir en Europe plus de solidarité, plus d'efficacité et plus de proximité. Cela permettra de rendre moins brutale la différence de niveaux d'aides entre les régions relevant de l'objectif « convergence » et celles relevant de l'objectif « compétitivité », et d'en finir avec les dispositifs transitoires et inéquitables de « phasing in » et « phasing out ». Je félicite les sénateurs Yann Gaillard et Simon Sutour pour leur rapport qui transcende les clivages politiques.
Messieurs les Présidents, messieurs les sénateurs, nous menons un combat juste. Ce combat a une dimension historique mais il permet surtout d'asseoir une véritable politique d'avenir. Jusque là, les régions européennes se partageaient en deux blocs en fonction de l'éligibilité aux objectifs « compétitivité » et « convergence », mais le nombre de régions européennes a beaucoup augmenté et il est difficile de concevoir la même politique de cohésion à 27 États membres qu'à 15 membres. En outre, la crise a beaucoup affecté les vieilles régions industrielles, notamment le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine..., ainsi que les régions qui, comme la Basse-Normandie, dégagent peu de valeur ajoutée dans leurs secteurs de production. Dans ces régions, le taux de chômage est supérieur à celui de la moitié des régions européennes. Cela concerne 50 régions en Europe. En France, seraient susceptibles d'appartenir à la catégorie des « régions intermédiaires » 7 régions métropolitaines, auxquelles il faudrait ajouter la Martinique, voire 9 régions si l'on en croit les dernières statistiques. Ces régions ont en commun de voir leur PIB chuter. Ce sont 17 millions de Français qui sont concernés. Quel est l'enjeu ? Ces régions, si elles continuaient à ne relever que de l'objectif « compétitivité », recevraient 3,3 milliards d'euros ; ce montant serait porté à 5,6 milliards d'euros si une aide spécifique pour les régions intermédiaires était créée.
Le commissaire Johannes Hahn, qui a considéré impossible de rester dans la situation actuelle, est notre allié. Comme Jean-Paul Emorine, je considère que toutes les régions ont le droit de bénéficier des fonds structurels, même l'Île-de-France où le fonds social pour l'emploi doit jouer un rôle important. La création d'une catégorie de régions intermédiaires n'enlèvera rien à chacune des régions françaises, mais viendra soutenir spécifiquement celles qui souffrent le plus. La politique de cohésion est une politique d'avenir qui permet de ne pas laisser à la traîne les wagons de queue. Je me réjouis que le commissaire Barnier soutienne les propositions du commissaire Hahn. Ces propositions honorent un principe fondamental de l'Europe qui est le principe d'équité. Comment comprendre que des Länder allemands qui sortent de l'objectif « convergence » parce qu'ils se sont enrichis soient mieux aidés que celles de nos régions qui relèvent aujourd'hui de l'objectif « compétitivité » mais qui sont en voie d'appauvrissement ? Avocat de profession, je m'interroge même sur ce que dirait la Cour de justice de l'Union européenne si elle était saisie d'une telle situation.
La Basse-Normandie a fédéré les régions françaises susceptibles de rejoindre les « régions intermédiaires ». Les neuf régions métropolitaines déjà évoquées ont reçu le soutien de l'Association des régions de France et du Comité européen des régions, par la voix de son rapporteur Michel Delebarre. D'autres régions sont concernées en Europe : en Belgique, au Royaume-Uni, en Grèce, en Irlande, en Espagne et en Allemagne. Le gouvernement français est visiblement hésitant : la sortie de certaines régions de l'objectif « convergence » devrait dégager environ 40 milliards d'économie pour la politique de cohésion. La question est de savoir si on redistribue cette somme ou si on la soustrait au budget européen de la cohésion. Nous défendons simplement la redistribution interne de ces fonds, sans rien prendre à personne. Moi qui ai été député du bocage normand, je souligne que nous ne retirons rien à la PAC, politique fondatrice de l'Union européenne. La Commission nous fait une proposition : il nous faut la saisir et ce projet a besoin de l'appui des parlementaires français au Parlement européen comme au parlement national. Comme l'a souligné Michel Barnier, l'idée européenne ne peut être à deux vitesses. La Basse-Normandie est donc d'une absolue détermination pour fédérer à présent les régions européennes autour du projet de régions intermédiaires.
député, président de la Maison européenne des pouvoirs locaux français, président de la Fédération des maires des villes moyennes. - La Maison européenne des pouvoirs locaux français (MEPLF) est un lieu à Bruxelles mais surtout le regroupement de cinq associations d'élus locaux : l'Association des Maires de France (AMF), l'Assemblée des Départements de France (ADF), l'Association des Maires de Grandes Villes (AMGVF), la Fédération des Maires de Villes Moyennes (FMVM), que je préside, et l'Association des Petites Villes de France (APVF). J'ai l'honneur de présider la MEPLF pour un an, la présidence étant tournante comme pour l'Union européenne ! Les cinq associations qui composent la MEPLF ont adopté une position commune sur la réforme de la politique européenne de cohésion, dans laquelle elles affirment leur grand attachement à cette politique qui apporte une valeur ajoutée à nos territoires bien au-delà des contributions financières. Cette politique est d'autant plus nécessaire en ces temps de crise. C'est pourquoi elle doit être dotée d'un budget conséquent et ne pas servir de variable d'ajustement. Les élus locaux sont en revanche inquiets de la réponse des autorités françaises au cinquième rapport sur la cohésion de la Commission européenne, réponse dans laquelle le Gouvernement affiche comme objectif prioritaire de baisser le budget européen consacré à la cohésion. La MEPLF a donc adressé un courrier au ministre Bruno Le Maire afin qu'il ouvre une concertation avec les associations d'élus.
Je peux vous indiquer quelques-unes de nos priorités :
Premièrement, la politique de cohésion doit couvrir l'ensemble du territoire communautaire, qu'il s'agisse de territoires ruraux ou urbains.
Deuxièmement, nous sommes favorables au renforcement de la dimension urbaine de la politique de cohésion. Il faudrait qu'à l'avenir, chaque programme opérationnel comporte un volet urbain doté d'un montant significatif de crédits.
Troisièmement, nous sommes favorables à l'architecture générale proposée par la Commission, à savoir le maintien des trois objectifs de la politique de cohésion, et en particulier le maintien du Fonds social européen (FSE) dans le giron de la politique de cohésion. La visibilité et l'efficacité du FSE serait renforcée si son action était territorialisée.
Quatrièmement, nous sommes favorables à l'instauration d'un cadre stratégique commun à l'ensemble des différents fonds structurels et à davantage de flexibilité dans leur mise en oeuvre.
Un point qui nous tient particulièrement à coeur est celui de la gouvernance. Le partenariat est un principe de base de la politique régionale européenne depuis 1988. Mais nous souhaitons que ce principe soit véritablement appliqué pour la prochaine programmation. Chaque État devra indiquer comment il compte associer les niveaux locaux à la conception et à l'exécution de la politique de cohésion. Celle-ci est la première vitrine de l'Europe dans nos territoires. Elle ne peut pas se passer du savoir-faire des élus locaux. A Bruxelles, il faut que tous les niveaux de collectivités territoriales soient associés aux travaux des comités, y compris ceux infrarégionaux.
Enfin, nous souhaitons un effort de simplification des règles et des procédures. Celles-ci sont actuellement complexes, et entraînent des remboursements pour trop-perçus et un allongement des délais d'instruction des dossiers. Nos préfectures ne sont pas toujours bien outillées pour nous orienter dans les méandres de la politique de cohésion, et il en résulte des inégalités de traitement d'une région à l'autre.
En ce qui concerne les régions intermédiaires, la Maison européenne des pouvoirs locaux n'a pas pris de position commune. Mais je crois pouvoir indiquer, sans les trahir, que nos associations constitutives soutiennent toutes l'initiative de la Commission européenne, qui vise à réduire les effets de seuil actuels et à garantir une meilleure équité territoriale entre les régions de même niveau de développement. Cette proposition est particulièrement attractive pour la France, puisqu'elle devrait se traduire par un accroissement des retours pour 8 à 10 régions françaises. Faut-il définir, à l'appui de cette catégorie de régions intermédiaires, un nouvel objectif, ou demeurer dans le cadre de l'objectif compétitivité-emploi ? Je dirais que peu importe, pourvu que le résultat recherché soit atteint. Toutefois, ce soutien temporaire aux régions intermédiaires ne doit pas remettre en cause le niveau des aides des régions relevant de l'objectif compétitivité, ni remettre en cause la PAC.
La région Alsace peut apporter une contribution intéressante, compte tenu de son expérience acquise en matière de gestion des fonds structurels. Nous avons un programme INTERREG transfrontalier depuis 1990. Nous sommes autorité de gestion pour l'objectif 2 pour le FEDER, et délégataire du FSE. Nous pouvons ainsi accompagner de nombreux acteurs, et sommes bénéficiaires des aides européennes pour nos propres projets.
Il me semble essentiel de tenir compte des spécificités régionales et d'impliquer les acteurs de terrain à tous les stades, depuis la conception des règlements et l'émergence des projets, jusqu'au paiement des subventions. La politique de cohésion doit tenir compte au maximum des attentes des acteurs de terrain.
En ce qui concerne le 5ème rapport de la Commission européenne sur la politique de cohésion, nous revenons de loin. Le maintien d'une politique de cohésion au-delà de 2013 n'était pas certain, et il a fallu convaincre le commissaire Hahn. Tel qu'il est, ce 5ème rapport nous convient. L'Alsace n'a pas vocation à faire partie des régions intermédiaires, mais la proposition d'instaurer cette catégorie nous convient. Toutefois, la contribution globale de la France doit demeurer mesurée, et des arbitrages budgétaires devront être faits.
La politique de cohésion doit contribuer aux objectifs de la stratégie 2020, mais aussi à la cohésion territoriale. Chaque région doit atteindre ses objectifs de manière différenciée. Le 5ème rapport propose un mécanisme de contrat de partenariat entre la Commission, l'État membre et la région. Nous souhaitons vivement l'association de la région à tous les stades d'élaboration et d'exécution de ce contrat de partenariat.
Il va falloir fixer région par région des critères d'évaluation des résultats, alors que l'on a aujourd'hui des critères uniformes définis au niveau communautaire ou au niveau national Les critères du PIB ou du taux d'emploi ne peuvent suffire. Bien d'autres critères d'évaluation devraient être définis en amont.
Nous avons mis l'accent depuis des années sur les petites structures qui, en temps normal, n'ont pas accès aux fonds structurels. Un système de financement délégué nous permet d'alimenter un « fonds micro-projets ».
Les modalités de contrôle doivent être adaptées aux différents programmes, en application du principe de proportionnalité. Les gestionnaires des fonds sur le terrain doivent pouvoir se consacrer à l'animation et au soutien, et non pas être accaparés par les contraintes de paperasserie et de contrôle.
Il est indispensable que le bénéfice de la politique de cohésion soit maintenu pour toutes les régions, avec une exigence de forte décentralisation depuis la conception de la réglementation jusqu'au dernier dispositif de contrôle. Le dispositif alsacien n'est plus contesté aujourd'hui au niveau national. On peut envisager l'extension de ce système aux autres régions.
Nous allons tous dans le même sens. J'ai présenté hier devant la commission des affaires européennes un rapport sur la politique européenne de la montagne, dans lequel j'ai proposé que nous défendions la proposition du commissaire Hahn. Pour la montagne, il faut viser l'équilibre entre une approche par la PAC et une approche par la politique de cohésion.
Devant le Comité des régions, M. Michel Delebarre a pu faire approuver son avis sur le 5ème rapport de la Commission européenne sur la politique de cohésion, même si la position des Allemands n'était initialement pas enthousiaste.
Nous avons rendu notre rapport, avec Yann Gaillard, à la fin du mois de janvier parce qu'il s'agissait de peser dans la décision avant la fin de la période de consultation ouverte par la Commission. Yann Gaillard et moi-même avions déjà travaillé sur la programmation précédente, pour la période 2007-2013. N'oublions pas qu'à l'époque, nous avions déjà failli perdre les fonds européens de cohésion. M. Michel Barnier, qui était alors commissaire européen en charge de ce domaine, nous a confié que la position de la Commission s'était jouée à une voix près. Le président Chirac ayant alors défendu la « sanctuarisation » de la PAC jusqu'en 2013, la politique de cohésion avait bien failli servir de variable d'ajustement.
De même, au début du travail sur notre dernier rapport, notre inquiétude était de savoir s'il y aurait encore place pour les fonds de cohésion dans les perspectives financières pour la période 2014-2020. Alors que la PAC et la politique de cohésion absorbent 70 à 75 % du budget communautaire, il faut encore financer les objectifs de la stratégie UE-2020. Mais nous avons eu une heureuse surprise, avec la proposition du commissaire Johannes Hahn de créer une catégorie de régions intermédiaires. Toutefois, cette proposition ne tombe pas du ciel. Elle est la conséquence du grand succès rencontré par la politique de cohésion, alors que de nombreuses régions sont sorties de l'objectif 1 en Grèce, en Belgique, en Espagne, en Italie. De ce fait, des fonds ont été libérés pour pouvoir bénéficier aux régions intermédiaires. Celles-ci peuvent remplir les critères de l'objectif 2, tout en demeurant plus pauvres que la moyenne. La proposition du commissaire Hahn n'enlève rien à personne, mais rajoute 3 milliards d'euros qui pourraient bénéficier à 7, 8 ou 9 régions françaises.
Je suis heureux du consensus qui ressort de cette table ronde. C'est l'efficacité qui doit primer, et il faut que nous fassions quelque peu pression sur notre gouvernement. Je souhaite d'ailleurs aller plus loin, et je vous annonce que nous avons décidé avec Yann Gaillard de présenter une proposition de résolution européenne pour soutenir la création de cette catégorie nouvelle des régions intermédiaires. Dans ce combat pour la politique de cohésion, nous avons quand même beaucoup d'atouts : la présidente de la commission compétente du Parlement européen y est favorable et la Commission européenne soutient la proposition du commissaire Hahn. Mais n'oublions pas que finalement, celle-ci fera l'objet d'une codécision entre le Parlement européen et le Conseil des ministres.
Je suis d'accord pour estimer contre-productif d'opposer la PAC et la politique de cohésion. L'essentiel est de redistribuer de manière plus pertinente les fonds structurels. N'oublions pas que nous sommes dans une période de contrainte budgétaire, et qu'il faudra nous en tenir au plafond de 1,01 % du revenu national brut des États membres. Je doute que nous puissions aller plus loin. Mais il est possible de récupérer quelques milliards d'euros dans le cadre de la redistribution. Dans le rapport de MM. Yann Gaillard et Simon Sutour que notre commission des affaires européennes a adopté, nous avons plaidé pour une optimisation de la consommation des fonds structurels, pour un développement des partenariats public/privé et pour les mécanismes de prêts à taux zéro. Nos deux rapporteurs sont en train de réfléchir à la rédaction d'une proposition de résolution, qui sera examinée au fond par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, en vue de devenir la position du Sénat.
De nombreuses régions peinent à consommer les fonds structurels. Comme l'ont souligné mes collègues Gaillard et Sutour, une solution serait effectivement de parvenir à réduire la rigidité des règles applicables sans nuire évidemment à l'utilisation régulière des fonds. Je souhaiterais vous soumettre trois questions :
- vous paraît-il facile de concilier la réduction du nombre de priorités thématiques de la politique de cohésion, comme l'envisage la Commission européenne, avec la nécessaire décentralisation régionale de la définition de ces priorités ?
- rendre la politique de cohésion plus efficace est un impératif, mais comment trouver des indicateurs de résultats clairs et mesurables pour évaluer cette politique de manière pertinente ?
- vous paraît-il souhaitable, et possible, de commencer l'élaboration des contrats de plans État-Région pour la prochaine période 2014-2020 avant même que soient définis les prochains programmes opérationnels de la politique de cohésion ?
Je m'interroge sur le sens du terme « cohésion sociale ». Ne s'agit il pas de renforcer le lien social et la solidarité, et d'améliorer les conditions de vie des femmes et des hommes grâce à un « état de bon fonctionnement de la société où s'expriment la solidarité entre les individus et la conscience collective » ? Or, une politique de rigueur se met en place. Quelles seront ses conséquences et quel est son objectif ? Une amélioration de l'économie et du monde de la finance sans que les peuples en bénéficient ? C'est ce que laisse craindre la volonté d'Angela Merkel de dissocier l'évolution du coût de la vie de celle des salaires, ce qui éloignera assurément les peuples de l'Europe. Je suis une Européenne convaincue, à l'instar du Président Emorine, mais, contrairement à lui, je n'ai pas voté le traité de Lisbonne car je crois en une autre Europe. Concernant les régions intermédiaires, je pense pouvoir soutenir ce projet mais, là encore, je demande quels seront les objectifs de ces fonds et s'ils seront bien consacrés à améliorer les conditions de vie dans nos régions.
Nous sommes au coeur du problème. Ce problème est très politique, même présenté sous la forme de la question du « juste retour ». Cette question n'est pas une démarche de construction européenne car l'Europe nous rapporte bien plus que ce que l'on y met : donner plus aux régions en déclin aide nos entreprises et nos activités. Nous avons tous à gagner à une politique fondée sur la cohésion, le rattrapage, l'harmonisation.
Permettez-moi de réagir à ce qui a été dit en abordant la procédure, puis le fond. La procédure est très importante car « l'enfer se niche dans les détails » ! En guise d'exemple, afin de pallier la méconnaissance des modes de constitution des dossiers, ma région a pris en charge le montage intégral des dossiers et a décidé, le cas échéant, de mettre en place une procédure de prépaiement pour accélérer le traitement des dossiers. A ce propos, je note que, très souvent, la région semble bien plus rapide que l'État pour instruire les dossiers et mettre les fonds à disposition. Ma région, comme d'autres, serait très demandeuse de l'expérimentation alsacienne. En effet, celle-ci est un exemple de réussite en termes de déconcentration et de décentralisation que nous voudrions généraliser.
Voyons maintenant les problèmes de fond.
Pourquoi faut-il se battre pour les fonds européens ? Si je prends à nouveau l'exemple de ma région, les jeunes s'en vont en région parisienne et la population vieillit, ce qui menace très fortement la cohésion sociale. Or, la meilleure façon de réconcilier les citoyens avec l'Europe n'est-elle pas de montrer qu'elle oeuvre pour la jeunesse ? C'est pourquoi il faut impérativement recréer le tissu social grâce au fil rouge de la jeunesse !
Concernant les fonds FEDER et FSE, sur quels secteurs pouvons-nous intervenir ? Je constate qu'au niveau européen on se focalise sur l'intelligence économique et l'innovation. Toutefois, vouloir miser à fond sur l'innovation, c'est beau mais impossible ; on ne rencontre pas de Silicon Valley partout ! Aussi, essayons de réfléchir à des secteurs qui intègrent l'innovation mais qui ne soient pas qu'innovation. Voilà le message à faire passer !
Pour l'élaboration des contrats de plans État-régions, nous sommes en face de situations terribles avec des régions saignées financièrement par les transferts de charges de l'État et mises en tutelle s'agissant de leurs ressources fiscales, comme l'illustre la réforme de la taxe professionnelle. Moi qui suis un décentralisateur convaincu, je considère comme un drame la ré-étatisation de la construction européenne par la France. Nos régions doivent se réapproprier la chose publique et européenne ! Car le grand choc à venir est celui des métropoles et des régions. Et si nos régions sont appauvries, ce sont les métropoles qui gagneront. Or les métropoles, c'est précisément l'absence de prise en compte des territoires, notamment ruraux.
Je souhaite, plutôt que répondre aux propos de Mme Annie David, les commenter. La cohésion sociale et les territoires marchent ensemble : on ne peut avoir l'un sans l'autre. Le développement économique, social et territorial doit évidemment profiter aux personnes. C'est notre responsabilité de législateur que de travailler toujours pour les personnes qui sont derrière les dossiers.
Comme l'a dit Jean-Claude Gayssot, il faut absolument parvenir à plus de simplification et plus de transparence. Il est sans doute facile de réduire l'Europe à la technocratie mais ce n'est quand même pas loin de la vérité.
En réponse à M. Rémy Pointereau, j'estime qu'il faut éviter de dissocier le calendrier des contrats de plans État-Région de celui des programmes opérationnels de l'Union européenne en raison des convergences existant entre les deux. Notez que, comme nous le rappelait André Reichardt, nous revenons de loin car la prolongation des fonds européens n'était pas assurée il y a encore quelques mois.
Concernant l'évaluation de la politique de cohésion, je reconnais que nous avons longtemps souffert d'un manque d'évaluation mais il faut veiller à ne pas trop compliquer les choses et à ne pas négliger les conditions locales de mise en oeuvre des politiques.
À la question de savoir comment peser sur les décisions à venir, il s'agit d'un bel exercice de philosophie. L'élaboration de décisions se fait en s'appuyant sur l'opinion publique et celle des responsables. Nous, parlementaires et élus locaux, devons contribuer à créer un climat en faisant valoir nos points de vue auprès du Gouvernement, des députés européens, de la Commission, par un exercice s'apparentant au « lobbying ». L'ensemble de nos rencontres est important et puisque la répétition est la base de l'éducation, il en est de même pour cette bataille en faveur d'une politique de cohésion ambitieuse. La proposition de résolution européenne annoncée serait une pierre à la construction d'une Europe où, sans tomber dans l'uniformité, les différences entre les personnes seraient amoindries. Je voudrais, pour finir, rappeler que la France a une tradition de services publics locaux de qualité, et qu'il est important de nous préoccuper de leur sécurité juridique et de lever certaines contraintes qui sont des freins à notre action.
Pour répondre à Madame Annie David, je voudrais souligner qu'il faut entendre le terme de cohésion dans son acception large. Relisons simplement l'article 174 du traité de Lisbonne : « Afin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de l'Union, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale. » La politique de cohésion, c'est bien cela !
Deuxième question posée par Madame Annie David : « Pourquoi une politique de rigueur ? » Je ne sais pas ce que vous entendez par là, chère collègue, mais il est clair que lorsque la position assumée par la France de contributrice nette au budget communautaire par an se traduit par un solde déficitaire de cinq milliards d'euros par an, le tout serait d'éviter de l'augmenter. D'autant plus qu'il est en constante dégradation. Par le passé, nous n'étions pas contributeurs mais bénéficiaires... Il s'agit donc de faire attention, sans opposer PAC et politique de cohésion.
Je voudrais rajouter des éléments de réponse à Monsieur Rémy Pointereau. Premièrement, à la question : « Vous paraît-il facile de concilier la réduction du nombre de priorités thématiques poursuivies par la politique de cohésion avec la décentralisation au niveau des régions ? », je réponds oui pour la simple raison que les préconisations actuelles de la Commission européenne nous amènent à remplacer les thématiques par un « menu » allant vers une croissance intelligente, durable et inclusive. Aujourd'hui, grâce à ce menu, et si l'État l'accepte, on peut mettre ce que l'on veut dans les contrats de partenariat.
La croissance intelligente, c'est la recherche et développement mais c'est aussi l'innovation, l'usage des NTIC, le renforcement de la compétitivité des PME, l'amélioration de l'éducation et du système de formation. La croissance durable, c'est soutenir la mutation vers une économie peu consommatrice en carbone, respectueuse du climat, promouvoir les sources d'énergies renouvelables, encourager le transport durable, développer le réseau européen d'énergie et corriger l'utilisation non-durable des ressources. La croissance inclusive, c'est réduire le chômage structurel, développer la formation professionnelle et promouvoir l'inclusion sociale.
Deuxièmement, en réponse à la question : « Quels indicateurs de résultats, clairs et mesurables, permettraient d'évaluer la politique de cohésion de la manière la plus pertinente ? », je dirais que ces indicateurs, ces critères doivent être fixés au cas par cas par les régions. Il s'agit de sortir de ce que dictent Bruxelles et l'État, qui s'en tiennent aux écarts de PIB par habitant, de RNB ou de taux d'emploi, pour mieux tenir compte du territoire. Certains indicateurs sont totalement négligés alors qu'ils sont extrêmement pertinents pour les régions. Par exemple, on peut citer l'accès aux services de base, la mobilité et les transports, la densité de population, ou encore les ressources naturelles.
Troisièmement, à la question : « Vous paraît-il souhaitable et possible de commencer l'élaboration des contrats de plan État-régions de la prochaine période 2014-2020 avant que ne soient définis les prochains programmes opérationnels de la politique de cohésion ? », je réponds oui sans aucune difficulté, à condition de prendre en considération la stratégie Europe 2020, c'est-à-dire la volonté d'une croissance intelligente, durable et inclusive. Le 5e rapport de la Commission européenne permet aux régions de faire ce qu'elles veulent, à condition que notre État jacobin accepte le principe d'une décentralisation. En Alsace, nous avons eu plus de difficultés au niveau de l'État que dans nos relations avec Bruxelles.
Cette table ronde vient souligner l'importance de la politique de cohésion européenne, que chacun a rappelée. L'Europe est un espace de paix et de solidarité qui se matérialise au travers des fonds de cohésion. Il me semble que la proposition faite par la Commission européenne vous satisfait globalement. Certes, j'entends bien quelques inquiétudes quant à la position du gouvernement français, mais nous soutiendrons vos positions et défendrons la PAC comme la politique de cohésion. A ce sujet, M. Bruno Le Maire viendra le 8 juin prochain devant notre commission pour évoquer la réforme des politiques de cohésion et de la PAC.
Je retiens aussi que MM. Simon Sutour et Yann Gaillard vont proposer une résolution à la commission des affaires européennes. Pour ce qui est de la position de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire sur cette proposition de résolution, je ne doute pas qu'elle sera très proche de celle des affaires européennes.
Je voudrais, pour finir, souligner que je rejoins notre collègue Rémy Pointereau sur le fait que nous devons avoir des critères d'évaluation distincts des critères nationaux, et que l'interprétation nationale ne doit pas être plus rigoureuse que ce que l'Europe veut nous imposer.