Nous sommes très heureux d'accueillir notre collègue députée Céline Calvez et M. Régis Marcon, chef cuisinier, pour cette audition consacrée au rapport sur la voie professionnelle scolaire, que vous avez remis en février au ministre de l'éducation nationale.
Vous savez certainement que notre commission porte un vif intérêt à la voie professionnelle ainsi qu'à la question de l'orientation scolaire. Dans la perspective de l'examen par notre commission du projet de loi relatif à la liberté de choisir son avenir professionnel ainsi que des prochaines évolutions que connaîtra la voie professionnelle et qui seront sans doute le fruit de votre rapport, nous sommes impatients de vous entendre et de vous interroger.
Notre rapport, entamé il y a six mois, porte sur la voie professionnelle scolaire, que l'on distingue de l'autre voie professionnelle qui est l'apprentissage. Au-delà des dispositions du projet de loi relatif à la liberté de choisir son avenir professionnel relatives à l'orientation et à l'alternance, la voie professionnelle scolaire sera l'objet d'une réforme dont les annonces seront faites par le ministre dans quelques semaines.
L'enjeu majeur que nous soulevons est celui du lien entre l'éducation nationale et le monde économique, afin de former des citoyens qui trouvent leur place sur le marché du travail. Notre ambition est de rendre la voie professionnelle scolaire plus efficace, plus attractive mais également plus ouverte.
Or, nos travaux nous ont fait découvrir une voie professionnelle scolaire encore trop peu connue, peu lisible et insuffisamment attractive. Nous avons vu de nombreux modèles d'excellence mais aussi des choses qui doivent être améliorées.
Que vient faire un chef cuisinier dans cette affaire ? La formation est un sujet qui m'a toujours intéressé. Installé depuis quarante ans, j'ai vu passer une centaine d'apprentis et autant de stagiaires de lycée professionnel. En 2009, Laurent Wauquiez et Hervé Novelli, alors au Gouvernement, m'avaient commandé un rapport portant sur le développement de l'alternance dans la formation aux métiers de l'hôtellerie et de la restauration. Lorsque j'ai été sollicité par le ministre de l'éducation nationale, j'ai naturellement accepté de me pencher sur la question de la voie professionnelle scolaire.
Je tiens à souligner que partout et dans tous les secteurs, les représentants des entreprises insistent sur la difficulté qu'ils rencontrent à trouver des collaborateurs formés. Seules font exception certaines entreprises d'artisanat de luxe qui possèdent leur propre système de formation.
L'insertion des jeunes de notre pays sur le marché du travail est l'affaire de tous. Outre la formation elle-même, c'est notamment le cas de l'orientation, qui est selon moi la première priorité. Il n'est pas normal, qu'aujourd'hui encore, l'on décourage les élèves ayant de bons résultats scolaires d'aller dans la voie professionnelle. En la matière, les mentalités n'ont pas évolué. Il n'est pas étonnant que l'on retrouve, en particulier dans les métiers comme la cuisine qui bénéficient d'une certaine exposition médiatique, des diplômés du supérieur, parfois à bac + 5, qui reviennent vers des métiers qui leur plaisent.
La création du baccalauréat professionnel en 1985 était une formidable opportunité, qui affirmait une égalité symbolique entre les filières. Plus de trente ans après, les résultats sont là : 600 000 jeunes sont dans la voie professionnelle. Pourtant, force est de constater que l'on s'y intéresse peu. Les discours se concentrent sur l'apprentissage, qui est certes une filière performante, mais qui ne concerne que 250 000 jeunes environ.
Le développement de l'alternance au sein de la voie professionnelle scolaire est un enjeu majeur. L'insertion professionnelle après le baccalauréat professionnel est en effet parfois décevante. Cela tient au fait que certains chefs d'entreprise ne font pas confiance à la voie professionnelle scolaire, du fait d'une connaissance et d'une expérience insuffisantes de l'entreprise chez ses élèves. D'où le caractère crucial du développement de l'alternance en première et en terminale professionnelles. Cela irait de pair avec l'intensification de la préparation à la poursuite d'études pour les élèves qui en feraient le choix, afin d'améliorer leur réussite en Sections de technicien supérieur (STS).
Une précision sur la notion d'alternance, souvent réduite aux contrats de professionnalisation ou d'apprentissage. Au contraire, il peut y avoir une pédagogique de l'alternance, fondée sur l'alternance entre l'entreprise et le lieu de formation dans la voie professionnelle scolaire.
L'orientation scolaire est en effet essentielle : elle doit concilier les aspirations des jeunes et les besoins de l'économie. À ce sujet, au fil de nos entretiens avec les représentants des entreprises, nous nous sommes rendu compte que tous nos interlocuteurs recherchaient les mêmes compétences : l'autonomie, l'initiative, le travail en équipe, la faculté de s'adapter, etc. Nous avons également constaté que prédire les métiers de demain et les besoins est un exercice impossible ; les milliers d'études de prospective sont impuissantes à le déterminer, même si elles peuvent mettre en avant des tendances. C'est pourquoi la capacité à s'adapter est et sera essentielle.
Pour les mêmes raisons, il est vain de multiplier le nombre de spécialités - il en existe 200 environ pour le baccalauréat professionnel et une centaine pour les CAP - qui nuisent à la lisibilité et compliquent l'orientation. Il s'agit de permettre une spécialisation plus progressive, à partir de la classe de première, la classe de seconde étant centrée sur le renforcement des fondamentaux, la découverte de l'environnement professionnel et l'acquisition de ces compétences dont nous parlions : autonomie, travail en équipe, adaptation, etc.
Enfin, nous croyons beaucoup à la démarche de projet, dont nous avons pu constater les effets bénéfiques, tant sur le plan des compétences que sur le climat scolaire. Cela n'est pas nouveau mais mérite d'être développé.
Vous présentez un constat que je partage : l'orientation est plus souvent subie que choisie. Vous avez insisté sur les différences entre le bac professionnel et l'apprentissage. Je m'interroge sur la nécessité d'adapter le bac professionnel car les jeunes ont des difficultés avec le socle commun et ils sont nombreux à décrocher rapidement. Serait-il envisageable, dans ces conditions, que le Brevet de technicien supérieur (BTS) dure trois ans au lieu de deux ? Une telle évolution pourrait permettre de répondre au manque de confiance des entreprises dans cette filière. Concernant l'adaptation des formations à l'emploi, je confirme que cela est difficile car les besoins évoluent très vite.
J'ai été très intéressée par votre rapport. Je considère que les jeunes ont besoin de mieux connaître le monde de l'entreprise pour construire leur vocation. Or il n'y a pas assez de liens entre l'éducation nationale et les entreprises. Il conviendrait que l'éducation nationale fasse des efforts pour développer les passerelles entre les jeunes et le monde du travail. J'ai remarqué dans votre rapport que vous vous étiez déplacés en Suisse. Pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure ce modèle d'apprentissage peut être une source d'inspiration pour nous ?
Vous avez identifié des axes d'amélioration pour la voie professionnelle scolaire qui mérite un projet ambitieux. L'Allemagne nous montre que la voie professionnelle peut être une réussite alors qu'elle continue à souffrir d'un déficit d'image dans notre pays. Quelles sont vos propositions pour en finir avec l'orientation par défaut ?
Il ne faut pas opposer l'intelligence de l'esprit à celle de la main. Les sénateurs sont attachés à être en phase avec les réalités de terrain. Je vous donne l'exemple d'un lycée professionnel de Montrouge qui avait identifié il y a deux ans un besoin de menuisiers ; cela a donné lieu à un investissement de 200 000 euros dans des machines numériques, avant que l'atelier ait été fermé. Cet exemple illustre le déficit d'ambition de l'éducation nationale pour les bacs professionnels et une volonté de désengagement. On la retrouve dans la réforme de l'orientation : les personnels ne comprennent pas ce projet, d'autant que les régions ne souhaitent pas le transfert de cette compétence.
Je présidais la mission d'information de notre commission dont Guy-Dominique Kennel était le rapporteur. Certaines évolutions pourraient faire l'objet d'une évaluation, c'est le cas du passage contesté de quatre à trois ans du bac professionnel décidé en 2009. Lorsque le BEP durait deux ans, certains jeunes étaient immédiatement recrutables. Il faut donc réfléchir à la pertinence de certaines évolutions. Dans un même ordre d'idée, il n'est pas sûr que la masterisation doive s'imposer à l'ensemble des étudiants qui souhaitent devenir enseignants.
Un problème demeure entre les enseignants et le monde du travail. Une solution pourrait être de renforcer les relations entre le monde de l'entreprise et les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ).
Notre commission a en effet réalisé de nombreux travaux sur la question de l'orientation. J'imagine que vous avez pu en prendre connaissance, ainsi que de leurs préconisations.
L'apprentissage doit être efficace. Je m'interroge donc sur un retour à un bac pro en quatre ans. Par ailleurs, je m'inquiète du risque de concurrence entre les centres de formation et d'apprentissage (CFA) et les lycées professionnels.
Nous partageons beaucoup des préconisations de votre rapport. Il convient toutefois de mentionner que l'orientation par défaut existe aussi dans la voie générale et comporte également des filières d'excellence dans la voie professionnelle. Nous sommes favorables au développement de parcours individualisés et au décloisonnement des structures. Il conviendrait de favoriser la transversalité avec des parcours modulaires, des passerelles, de préférence à l'organisation tubulaire existante. Votre travail sur les familles de métiers nécessite de développer les réseaux d'établissements, ce qui peut poser des difficultés dans le monde rural.
Je m'interroge également sur la possibilité de favoriser l'accueil des élèves de la voie professionnelle dans l'enseignement supérieur qui fait l'objet de peu de propositions.
Il faut casser la hiérarchie entre établissements et filières de formation. Le renforcement du tronc commun des ÉSPÉ pourrait permettre d'accroître le passage d'une voie à l'autre.
Quelle est votre position sur une éventuelle disparition des centres d'information et d'orientation (CIO) et, le cas échéant, quel système d'orientation préconisez-vous ? Que proposez-vous pour aider les jeunes à rebondir après un échec et diminuer le risque de déscolarisation qui touche aujourd'hui près de 1,3 million de jeunes ? Je suis très favorable à développer l'apprentissage à l'international comme le propose depuis de nombreuses années notre ancien collègue Jean Arthuis. Enfin, que préconisez-vous pour développer les compétences transversales qui permettront aux jeunes de s'adapter dans un monde professionnel en changement rapide ? Je suis pour ma part convaincue que ces compétences s'acquièrent bien en amont d'une éventuelle voie professionnelle.
Je m'interroge sur les concurrences possibles entre CFA et lycées professionnels. S'agissant de l'image de l'apprentissage dans la société, j'ai pu constater dans ma carrière d'enseignante que malheureusement les parents pouvaient être réticents à une orientation vers la voie professionnelle. Que pensez-vous des projets de régionalisation de l'orientation ?
Un article paru dans la Revue française de pédagogie montre que la voie professionnelle n'est pas forcément la panacée pour réduire le chômage des jeunes. Je tenais également à vous faire part de l'expérimentation, en Bourgogne-Franche-Comté, d'une formation composée de deux années académiques et d'une année en entreprise. Quelle devrait être la place des régions, notamment par rapport aux branches professionnelles, en matière de politique de formation ? Je m'interroge sur le fonds de péréquation qui a été annoncé et sur lequel nous ne disposons que de trop peu d'informations. Je constate malheureusement que la voie professionnelle conserve une image dégradée et je pense qu'il faut mieux l'organiser et mettre fin à la trop grande segmentation actuelle.
L'orientation est encore aujourd'hui trop discriminante et peine à s'extraire des déterminismes notamment sociaux et culturels qui sont à l'oeuvre. Comment limiter la part de ces déterminismes ?
Nous souhaitons avec vous dépasser le simple constat. Ainsi, il est impératif de multiplier les rencontres entre les jeunes et le monde du travail, par exemple par le biais d'une plateforme nationale qui permettrait aux élèves de trouver, à côté de chez eux, des professionnels à rencontrer.
Il faut également faire aller de pair l'insertion professionnelle et la poursuite des études, même si cela n'est pas simple. Par exemple, des lycéens en STS souhaitent pour certains poursuivre leur formation académique. Il est primordial de pouvoir exercer son choix au stade de la terminale et pour cela, on doit vous poser la question. Au niveau du bac professionnel, le choix doit pouvoir encore s'exercer entre insertion professionnelle immédiate et poursuite d'études, qui implique le renforcement de la méthodologie. Je rappelle à ce propos que l'on peut préparer le bac professionnel tout en étant apprenti, ce qui complique encore le schéma.
Sur la concurrence entre les CFA et les lycées, il faut bien reconnaître qu'elle existe, sur des zones géographiques resserrées. Il convient de rechercher la meilleure complémentarité entre ces deux institutions. Cela passe par une meilleure association des personnels de l'éducation nationale, qui doivent à tout prix éviter de créer une discrimination entre leur mission d'insertion professionnelle et leur mission de formation du citoyen. Il existe en effet une réelle complémentarité entre ces deux approches.
Il faut également souligner que la voie professionnelle n'implique pas nécessairement un métier manuel, surtout avec l'émergence du numérique. Cette prépondérance du manuel contribue en effet à dégrader l'image de l'apprentissage.
Sur la formation des enseignants, je tiens à relever l'importance fondamentale de la responsabilité des entreprises. Elles ne sont à l'heure actuelle, en particulier par rapport à l'Allemagne, pas assez ouvertes sur l'école. Elles ne peuvent pas dire d'un côté qu'elles ont du mal à recruter et de l'autre s'exonérer de toute responsabilité. Il nous revient de créer ce que l'on pourrait appeler le « Tinder » de la rencontre entre les jeunes et les entreprises. Les enseignants ont bien entendu un rôle à jouer, par exemple en allant eux-mêmes dans les entreprises, ce qui permet de créer des liens au niveau local.
De multiples initiatives ont été prises pour améliorer l'orientation. Elles doivent conduire les élèves à commencer à réfléchir dès la sixième à la famille de métiers - nous ne parlons évidemment pas encore de travail - qui pourrait les motiver. La région devrait être l'unique responsable de ces sujets.
Les stages de découverte de l'entreprise pour les élèves sont un succès, même s'ils peuvent être d'un intérêt inégal. On pourrait les étendre, par exemple en organisant des stages pour les élèves quand leurs enseignants sont en formation. Naturellement cela impose un regroupement des visites d'entreprise. J'aime à citer l'exemple, certes difficilement transposable, de la Suisse où 75 % des jeunes commencent avec un métier avant, le cas échéant, de reprendre des études.
En ce qui concerne les enseignants, nous avons dans l'hôtellerie un « permis de former ». En effet, dans beaucoup d'entreprises, les jeunes ne sont pas assez bien accompagnés et n'ont pas le droit de s'approcher des outils de travail. Si je prends l'exemple de mon entreprise, nous avons dix tuteurs formés auxquels je demande de suivre particulièrement les stagiaires et de les recevoir une fois par semaine, assis, pour faire le point. J'insiste sur l'importance d'améliorer le lien entre l'école et l'entreprise. Le fait pour les enseignants de réaliser des stages d'immersion permet d'améliorer les liens entre ces deux institutions.
Mes chers collègues, nous aurons bientôt à examiner plusieurs projets et propositions de loi.
Début juin, le Sénat examinera le projet de loi relatif à l'asile et l'immigration. Il nous concerne, comme la loi sur les droits des étrangers en 2015, notamment pour les dispositions relatives à la mobilité internationale des étudiants. Il me paraît donc important que notre commission, en charge de l'enseignement supérieur, mais aussi de la culture et, à ce titre, de la mobilité internationale des artistes, puisse faire entendre sa voix.
Je vous propose de désigner comme rapporteur notre collègue Jacques Grosperrin, rapporteur des crédits de l'enseignement supérieur.
La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi n° 464 (2017-2018), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, dont la commission des lois est saisie au fond, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie et désigne M. Jacques Grosperrin rapporteur pour avis de ce projet de loi.
J'en viens au seul de ces textes qui nous sera renvoyé au fond, la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations (« fake news »).
Je me propose d'être le rapporteur de notre commission, après l'avoir été sur la loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre et la loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
Catherine Morin-Desailly est nommée rapporteure de la proposition de loi n° 799 (AN XVe lég.) relative à la lutte contre les fausses informations (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).
Je vous propose également de déléguer à la commission des lois le titre Ier du texte, qui contient les dispositions de droit électoral, ainsi que le titre IV (dispositions relatives à l'outre-mer).
Le Sénat devrait également prochainement examiner des textes qui intéressent plusieurs commissions ; c'est pourquoi, conformément aux dispositions de l'article 17 de notre règlement, je vous propose de faire part à la conférence des présidents, qui se réunit ce soir même, de notre souhait de pouvoir donner un avis sur chacun d'entre eux. Pour des raisons de procédure, nous ne procéderons à la désignation effective de nos rapporteurs que la semaine prochaine, une fois que la conférence des présidents aura acté le renvoi pour avis à plusieurs commissions.
Sont concernés :
le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dont l'article 10, reprenant une proposition de la mission d'information de notre commission relative à l'orientation, prévoit de transférer l'orientation aux régions. La discussion de ce texte sera également l'occasion de discuter des questions relatives à l'apprentissage, qui préoccupe beaucoup d'entre nous ;
le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Lors de l'audition d'Yves Dauge, mi-avril, nous avons été très nombreux à faire part de nos préoccupations quant au rôle des architectes des bâtiments de France (ABF) et nous ne pouvons pas rester à l'écart du débat. Pour les mêmes raisons, il me paraît indispensable que nous nous saisissions pour avis de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, dont les premiers signataires sont nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin. Cette proposition contient, elle aussi, des dispositions qui modifient sensiblement le rôle des ABF et, par conséquent, le régime de protection du patrimoine, que nous avons patiemment élaboré de manière consensuelle lors de l'examen de la loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).
S'agissant de ce dernier texte, je tiens à vous indiquer que si je suis reconnaissante aux deux rapporteurs d'avoir pu m'entretenir avec eux préalablement au dépôt de la proposition de loi, je n'ai jamais entendu remettre en cause l'avis conforme des ABF. Je leur ai d'ailleurs adressé une note en ce sens le 30 mars.
J'ajoute que si j'ai eu la tentation de cosigner cette proposition de loi, qui contient d'excellentes dispositions, l'article 7, en simplifiant les procédures de protection du patrimoine, m'a empêché de le faire et j'ai alerté les chefs de file des différents groupes à ce sujet.
Je regrette, en outre, d'être citée dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, avec Yves Dauge, dans un sens qui pourrait laisser croire que j'en approuve l'esprit et les modalités.
C'est dire si le renvoi pour avis à notre commission est justifié et je souhaite que le rapporteur de la LCAP - notre collègue Jean-Pierre Leleux - puisse examiner le texte de près, avant même que nous désignons un rapporteur, la semaine prochaine.
Cette mise au point me paraît importante et je dois dire que nous avons eu un débat au sein de notre propre groupe à ce sujet. La proposition de loi contient des dispositions intéressantes pour les maires, qui sont confrontés à des situations difficiles sur le terrain. Cependant, nous sommes plusieurs à estimer que l'article 7 ne peut être accepté en l'état, son évolution pouvant conditionner notre vote sur l'ensemble de la proposition de loi.
Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir alerté sur les dispositions de cette proposition de loi. Elle formule des propositions très intéressantes pour lutter contre la paupérisation et la dégradation des centres villes et des centres bourgs. Mais l'article 7 de la proposition de loi ne préserve pas l'équilibre entre les enjeux urbanistiques, qui s'inscrivent dans l'urgence et ceux liés à la protection du patrimoine, qui relèvent du temps long. Elle remet totalement en cause les dispositions de la LCAP, qui devaient mettre un terme à la guerre entre les élus et les ABF. Même si on peut encore améliorer les relations entre les élus et les sachants, cet article est une véritable porte ouverte aux bulldozers, d'autant que sa rédaction n'est pas exempte d'ambiguïtés.
La proposition de loi de nos collègues Pointereau et Bourquin est intéressante, d'autant qu'elle résulte d'un travail approfondi. Ses auteurs, qui appartiennent à plusieurs groupes politiques, nous ont proposé de la cosigner dans des délais relativement courts. Notre groupe a évoqué ce sujet lors de sa réunion d'hier ; nous resterons vigilants lors de sa discussion.
J'ai été présente à pratiquement l'intégralité des auditions du groupe de travail constitué qui a conduit à l'élaboration de la proposition de loi et je peux indiquer que jamais le sujet de l'évolution du régime de protection du patrimoine n'a été évoqué. Je regrette qu'à cause de cet article qui va au-delà des dispositions du projet de loi ELAN soit remis en cause une proposition de loi très utile, notamment pour les maires confrontés au déclin des centres villes et centres bourgs.
Il est important que notre commission puisse engager un débat constructif afin d'aboutir à une position unanime. Quoi qu'il en soit, les associations de protection du patrimoine ne vont pas tarder à réagir très fortement.
Sous réserve de la décision de la conférence des présidents, nous procéderons à la désignation de nos rapporteurs sur ces trois textes mercredi prochain 23 mai.
La commission demande à être saisie pour avis :
du projet de loi n° 904 (AN) pour la liberté de choisir son avenir professionnel (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission) ;
du projet de loi n° 846 (AN), portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission) ;
de la proposition de loi n° 460 (2017-2018) de MM. Rémy Pointereau, Martial Bourquin et plusieurs de leurs collègues, portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, dont la commission des affaires économiques est saisie au fond.
Mes chers collègues, nous sommes réunis pour auditionner M. Eric Fottorino, cofondateur de l'hebdomadaire « Le 1 », ancien directeur du Monde. Cette audition s'inscrit dans le cadre du travail mené par notre commission, et en particulier par le rapporteur des crédits de la mission de la presse Michel Laugier, sur la situation de Presstalis.
Mon propos ne sera pas technique, mais j'interviendrai, fort de mon expérience d'éditeur d'un hebdomadaire sans publicité et reposant exclusivement sur les ventes en kiosque et les abonnements. Comme mes confrères, Madame Benbunan m'a prévenu par courriel du prélèvement unilatéral de 25 % de nos recettes du mois de décembre et 20 % de celles du mois de janvier, afin de faire face à la mauvaise situation de Presstalis. Ces sommes devraient être remboursées en juin prochain, et non en avril comme initialement prévu. Je doute néanmoins de la capacité de remboursement de cette institution. Par la suite, nous n'avons obtenu que quatorze jours pour nous prononcer sur un plan dont nous ne connaissions ni les tenants et les aboutissants, à l'exception de l'annonce d'un prélèvement de 2,25 % de notre chiffre d'affaires initialement jusqu'à 2022, puis à 2023 en vertu d'une décision du Tribunal de commerce, et désormais à 2033. L'État devra également être remboursé. Le renflouement de Presstalis est évidemment nécessaire ; aucun éditeur ne pouvant, à lui seul, assurer la distribution de ses publications. Je n'ai pas signé cet accord, faute de disposer des informations sur l'utilisation de ces montants. Force est donc de constater que le système d'information régissant l'information relève de la désinformation.
J'ai publié dans mon magazine « Le 1 » l'enquête consacrée par Philippe Kieffer à la situation de Presstalis, dont les fonds propres sont répartis à hauteur d'environ 300 millions d'euros. Vendre du papier, tout en déployant des infrastructures numériques, s'est avéré une démarche contre-productive qui a dû être abandonnée. L'affacturage, prévu dans les règlements de Presstalis, semble avoir donné lieu à une sorte de cavalerie financière. Les dirigeants de Presstalis ont refusé d'être entendus dans le cadre de notre enquête ! Au-delà de sa dimension technique, sur laquelle vous avez été dument informés, cette affaire pourrait conduire à la disparition de la presse indépendante en France.
La presse indépendante est aujourd'hui marginalisée. Désormais, quelques grands industriels possèdent les grands journaux et les chaînes de télévision. Or, la presse qu'ils détiennent perçoit l'essentiel des aides publiques. Ces grands industriels partagent l'idée que le numérique est voué à remplacer la presse papier et n'investissent par conséquent plus dans cette filière. Guy Debord avait, en son temps, annoncé que le vrai devait devenir un moment du faux. Nous y sommes désormais ! La crise de Presstalis met en danger les titres susceptibles de représenter le deuxième souffle de la presse et de l'information.
Dans ces grands journaux, les journalistes ne sont pas aimés et sont astreints à exprimer la pensée des industriels dont ils ne sont que les salariés. Les administrateurs de Presstalis et les grands éditeurs présentent également une forme d'entre soi. D'ailleurs, ce que ces industriels font peser sur le système représente davantage que leur contribution. Au final, ces centaines de petits éditeurs se voient appliquer des barèmes sans commune mesure avec ceux dont bénéficient les grands industriels. Ce système est relativement opaque : le montant des prestations hors-barème recréditées sur les comptes des grands éditeurs n'est jamais rendu public.
Ce système à deux vitesses est d'autant plus sclérosé qu'il repose sur un duopole formé par Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) ; cette société est à priori mieux gérée, mais ses zones de distribution et de dépôt demeurent dépendantes de Presstalis. Ainsi, un éditeur qui souhaite dénoncer son engagement auprès de Presstalis pour travailler avec les MLP, se voit imposer un délai de transition, trop long, fixé à 15 mois. Pour des journaux dépendants de la distribution en kiosque, le prélèvement pérenne de 2,25 % constitue un frein aux initiatives. Je n'aurais pas lancé, avec François Busnel, la revue America, si le plan Presstalis avait été appliqué. Or, cette revue trimestrielle, placée dans le réseau presse à côté du réseau librairie, fonctionne aujourd'hui très bien. L'assurance-vie des éditeurs de notre dimension reste l'innovation et nous priver des moyens d'innover ne peut qu'entraîner notre perte. Enfin, une banque, comme la Banque publique d'investissement (BPI), n'accordera jamais de prêt à taux modéré à des revues comme les miennes. Comment désormais financer une presse indépendante ?
Votre langage direct est désormais celui d'un éditeur indépendant qui accorde peu de crédit au plan de redressement de Presstalis. Sur quoi se fonde votre pessimisme ? Pensez-vous que le mode coopératif reste encore la meilleure manière de diffuser la presse en France ? Dans votre édito du « 1 » du 4 avril 2018, vous employez des mots très violents. Vous parlez ainsi « d'un véritable racket dans une opacité sidérante ». Vous écrivez également « Il est question de mensonge et de dissimulation au profit de quelques grands groupes de presse dont les représentants ont cautionné, des années durant, des pratiques à la limite de la légalité ». Vous mettez ainsi directement en cause la responsabilité des grands éditeurs. À votre avis, est-ce une simple question de négligence, renforcée par le soutien implicite des pouvoirs publics ? Le Monde, que vous avez dirigé entre 2007 et 2011, a été accusé d'avoir, plus que d'autres, bénéficié du système Presstalis, avec en particulier des tarifs plus attractifs. Comment cela se passait-il à votre époque ? Le Monde est d'ailleurs le seul quotidien bénéficiaire de la distribution en journée. Au-delà de la responsabilité des grands éditeurs présents au conseil d'administration, que pensez-vous des stratégies des « petits » éditeurs, qui dans les faits ont également profité d'un système mutualisé pour distribuer de manière plus importante des revues et des journaux, avec des taux d'invendus très importants ? Enfin, pour une publication comme la vôtre, que représente la ponction de 2,25 % opérée par Presstalis et le prélèvement de 25 % du produit de vos ventes en janvier ? Êtes-vous parmi les éditeurs qui ont exercé un recours ? Quelle serait votre vision d'une distribution de la presse efficace économiquement et garante de la liberté d'expression et de diffusion ? Enfin, pensez-vous que le niveau 1 pourrait être assumé différemment que par l'intermédiaire de Presstalis ? N'oublions pas que les MLP distribuent essentiellement des magazines, tout en participant au fonctionnement de Presstalis.
Mon pessimisme vient de la méthode suivie pour sauver Presstalis et de l'absence d'information disponible sur ce plan présenté par Madame Benbunan et validé par le Tribunal de commerce. Or, sa réalisation devrait induire chaque année une perte de chiffre d'affaires de 50 000 euros pour chacune de mes publications. Sans remettre en cause le principe de la contribution, je conteste l'absence d'information quant à l'utilisation de ces fonds. Vont-ils servir au financement d'un plan social destiné aux ouvriers du livre ? Allons-nous obtenir un système beaucoup plus fluide de distribution et réduire les surcapacités actuelles ? La présentation de ce plan de façon transparente me paraît essentielle, afin de voir si l'effort que nous sommes prêts à consentir permettra d'assainir le secteur.
J'ai dirigé le journal Le Monde. Bien que non gestionnaire, je suis un journaliste qui s'intéresse à l'économie. En 2000, l'arrivée d'actionnaires a entraîné la fin de l'autogestion de ce quotidien et de l'utopie d'après-guerre selon laquelle le journalisme devait être une activité de bien commun et non le support d'une entreprise comme une autre. Le Monde, sous ma direction, payait ce que Presstalis lui demandait, sans récrimination aucune. Désormais, la nouvelle direction du quotidien remet en cause l'ensemble des engagements souscrits, non seulement auprès de Presstalis, mais aussi de tous ses prestataires, la parution, en fin d'après-midi, du Monde exigeant un mode de distribution spécifique.
Ma demande de commission d'enquête procède d'une volonté d'obtenir les informations auxquelles, comme éditeur, je n'ai pas accès. Je souhaitais attirer votre attention, en recourant à une enquête journalistique. Quelles solutions préconiser pour l'ensemble d'une presse aux caractéristiques diverses ? En l'absence d'une distribution spécifique, par Presstalis, en fonction de la localisation des lectorats, les éditeurs doivent recourir à des régleurs. Une première solution consisterait ainsi à distinguer les coûts et les structures selon les rythmes de parution. Une seconde piste pourrait s'attacher à la logistique, en réduisant les surcapacités induisant des surcoûts pour les petits éditeurs. La Loi Bichet, héritage du programme du Conseil national de la Résistance et de l'idée du pluralisme de la presse, prévoit la distribution des journaux sur l'ensemble du territoire national. L'absence de choix des revues distribuées est un problème pour les marchands de presse. Soyons cependant prudents : si les linéaires de distribution venaient à être gérés par le kiosquier, comment assurer, à terme, le pluralisme de la presse, au-delà des règles applicables à la presse d'information politique et générale (IPG) qui ne concernent qu'une minorité de journaux ? Si les linéaires venaient à être attribués en fonction de la puissance des groupes de presse, les petits éditeurs devraient alors quémander leur distribution auprès des grands groupes. L'afflux indifférencié ne doit certes pas étouffer les points de vente, mais veillons à respecter l'esprit de la Loi Bichet qui promeut la diversité de la presse, à partir du moment où celle-ci ne contrevient pas aux règles de notre démocratie.
Certaines parutions, qui sont publicitaires et réalisées sans journalistes, bénéficient du système de distribution qu'ils engorgent et dont ils contribuent au renchérissement. Ces publications, qui peuvent présenter des taux d'invendus de l'ordre de 80%, devraient être identifiées et leurs éditeurs pénalisés.
Quel est, selon vous, l'état actuel du mode coopératif, qui est à la base même de la Loi Bichet ?
Ce système coopératif ne fonctionne pas. Affirmer la responsabilité collective des éditeurs de leur mode de distribution permet, en théorie, de les impliquer. Ce système n'existe cependant que sur le papier : plutôt que d'obéir à la logique « un éditeur, une voix », seuls quelques administrateurs, représentant les grands éditeurs, décident au nom de la collectivité. Pour preuve, les dates des assemblées générales ne sont même pas rendues publiques ! Ne faudrait-il pas plutôt faire vraiment fonctionner ce système avec des instances réellement opérationnelles ?
Votre enquête corroborait le témoignage de la directrice générale de Presstalis et a avivé l'importance de constituer une commission d'enquête, afin de faire la transparence dans cette affaire. Il est également illégitime d'exiger un effort indifférencié à l'ensemble des éditeurs, alors que la plupart se trouve dans une situation précaire, dans un secteur déjà en proie à de nombreuses difficultés. Or, vous êtes prêt à participer à cet effort collectif, à la condition que la transparence soit assurée. L'État met beaucoup d'argent et comme parlementaires, il nous faut veiller à l'usage de cet argent public. Je m'interroge enfin sur l'évolution prévisible de la Loi Bichet, qui est un pilier dont j'ai contribué à la réforme. Or, ses trois grands principes - la liberté de diffusion, la solidarité coopérative et l'impartialité de la diffusion - doivent être préservés. Certes, garantir la diffusion sur l'ensemble du territoire des titres d'information, politique et générale est un objectif louable, mais que deviennent les magazines qui ne relèvent pas de cette catégorie ? Nous avons adressé à notre présidente, avec ma collègue Sylvie Robert, la création d'une commission d'enquête émanant de notre commission, en raison de l'expérience qui est la sienne sur cette question et de l'importance d'échapper à la logique partisane des droits de tirage des groupes politiques.
Le bureau de la commission a largement débattu de cette question lors de sa réunion du 18 avril. Notre commission devrait suivre, de manière attentive et documentée, cette question.
Il faut également réfléchir à l'évolution vers le numérique. Le dimensionnement de ces messageries dépend du volume à venir de la presse papier. Qu'en restera-t-il à l'horizon d'une décennie ?
On constate en effet une attrition de la diffusion papier des quotidiens, de l'ordre de 25%, voire de 50%, en France et en Europe. Cette chute coïncide d'ailleurs avec la hausse du prix des journaux. Hubert Beuve-Méry soulignait qu'un journal valait son prix plus l'effort pour le lire ; cette dimension étant désormais occultée par le numérique. La plupart des grands groupes de presse se positionne déjà dans l'après-papier ; l'augmentation de la diffusion du Monde résulte de l'agrégation des usagers du numérique aux lecteurs de sa version papier. Si l'usage grandissant du numérique, qui permet de supprimer les coûts du papier, de l'impression et de la distribution s'avère inéluctable, sera-t-il gratuit ou payant ? Mediapart, quotidien exclusivement numérique et payant, constitue, à cet égard, une réussite. Ce modèle économique est rentable, à la condition d'obtenir des revenus de la publicité indexés sur le nombre de vues. Dès lors, l'information n'y est pas la plus hiérarchisée, ce qui attente à sa qualité. Le numérique nous oblige ainsi à reconsidérer l'information. Le papier est en perte de vitesse, non en raison du développement de l'usage du numérique, mais plutôt en lien avec l'absence de rénovation des contenus des journaux papier pour correspondre aux usages d'aujourd'hui. Qui peut désormais lire un quotidien d'une trentaine de pages ?
L'édifice de distribution des messageries doit anticiper une moindre quantité de presse à distribuer. Pour autant, les principes de la loi Bichet, en matière de distribution, doivent être confirmés. L'usage grandissant du numérique n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour la qualité de l'information. Sans doute, à l'avenir, la presse papier, qui aura su se réinventer, est vouée à perdurer. Faute d'une telle démarche attendue des lecteurs, des quotidiens mourront.
L'audition d'aujourd'hui conforte notre impression que de nombreuses zones d'ombre perdurent. Comme parlementaires, nous éprouvons des difficultés à les mettre au jour et la proposition de constituer une commission d'enquête spécifique était destinée à remédier à cette situation. Or, le processus s'accélère et le prélèvement de 2,25 % jusqu'à 2023 pourrait entraîner la disparition d'une presse indispensable au pluralisme de l'information dans notre pays. Notre modèle coopératif, à l'effectivité problématique, est-il propre à la France ? Pouvons-nous nous inspirer des pratiques de nos voisins européens ?
J'ai reçu un buraliste qui déplorait l'appauvrissement de l'information consécutif à l'afflux de presses commerciales. Il est urgent d'agir ! Bien souvent, le kiosque demeure l'un des derniers commerces implantés en centre-ville ou centre-bourg et assure, à ce titre, un indéniable lien social.
J'ai également reçu un buraliste qui venait d'arrêter son activité professionnelle, en raison notamment de la gestion des stocks et des invendus. Les kiosques sont autant de lieux de la vie sociale qui sont malheureusement voués à disparaître, si nous ne faisons rien.
D'autres modes de distribution existent en Europe, comme en Allemagne où la transparence prévaut. Dans les Länder, les éditeurs de presse assurent eux-mêmes la distribution, à l'instar de la démarche du Groupe Amaury, amorcé au sortir d'une longue grève en 1975, qui a constitué son propre réseau de distribution. Dans ce cadre, tout nouvel arrivant doit négocier auprès des grands éditeurs sa place dans leur circuit de distribution et ainsi entrer dans un rapport de forces disproportionné analogue à celui de la grande distribution. La réunion d'éditeurs indépendants peut constituer une alternative à ce système. Nous y avons pensé, afin de sortir d'un système géré depuis Paris, mais une telle démarche impliquait de solliciter les réseaux de distribution des grands titres de la presse régionale. La production et la distribution des quotidiens ont été, après-guerre, placés sous le monopole de la CGT-livres. Cette histoire nous est propre et les coûts de fabrication de la presse demeurent particulièrement chers en France, à l'inverse du Royaume-Uni, où les stratégies d'industriels comme Robert Maxwell, dans les années 80, ont permis d'en contenir la hausse.
Enfin, le kiosque, dans certains pays comme en Espagne ou en Italie, est un lieu de vie. Néanmoins, on voit augmenter la part des hypermarchés dans les ventes de nos journaux. En quatre ans, la part des ventes de mes deux revues qui y est réalisée est passée de 10 à 20 %, tandis que les kiosques ont vendu de moins en moins de presse d'information. La France compte onze mille points de vente actifs, dont près d'un millier disparaissent chaque année. Le métier de kiosquier se paupérise, y compris dans des villes moyennes. Les boutiques du RER ferment les unes après les autres et la ville de Saint-Germain-en Laye n'a plus de maison de la presse depuis des années. D'ailleurs, si vous n'avez pas l'occasion de voir des journaux durant toute la journée, vous n'aurez pas l'idée de les acheter !
Mme Benbunan a été à la tête du plus grand réseau de distribution du livre en France et me semble en mesure de mettre à profit son expérience pour améliorer la diffusion de la presse écrite sur l'ensemble du territoire.
M. Eric Fottorino. - La spécificité de l'édition du Monde est en effet de sortir un autre jour que celui qu'elle est censée couvrir. Je pense que Michèle Benbunan a hérité d'une gestion hasardeuse. La tentation est grande de nous appliquer le système de distribution du livre, mais n'oublions pas que celui-ci fonctionne grâce au prix unique instauré par la « Loi Lang ». Madame Benbunan s'est également prononcée en faveur de l'ouverture de nouveaux points de vente, dans les magasins bio notamment. Une telle démarche me semble devoir rester marginale.
Presstalis est en sévère déficit, malgré l'investissement de 200 millions d'euros consenti par l'État en 2012. Qu'est devenu cet argent ? Au-delà d'éventuelles malversations financières, l'organisation de Presstalis et des MLP explique-t-elle de tels errements ? Lorsqu'il n'obtenait pas des informations sous couvert de l'anonymat, Philippe Kieffer s'est heurté, durant son enquête, à une forme d'omerta de la part des administrateurs de Presstalis. La compréhension des raisons d'une telle situation me paraît la condition préalable et nécessaire à toute refonte du système.
L'activité des tabacs-presse, dans les petites villes et centre-bourgs, a sévèrement pâti de la baisse des ventes de tabac et de la presse écrite. Dans ma commune, l'un de ces établissements vient de déposer le bilan, en dépit de ses tentatives de diversifier son offre. Il est urgent d'agir pour éviter la généralisation de ces fermetures !
Merci, monsieur Fottorino, pour votre intervention. Notre commission, avec notre rapporteur, poursuit ses auditions, afin d'affiner ses analyses.
Je voudrais faire une petite mise au point sur notre demande de commission d'enquête. Il ne s'agissait pas dans notre esprit, David Assouline et moi, d'obtenir la création d'une commission d'enquête extérieure à la commission, mais de faire en sorte que notre commission poursuive ses travaux sur la situation - dramatique - de Presstalis, afin de préciser les faits sur lesquels nous devrions faire porter notre enquête.
Lors de sa réunion du 18 avril dernier, le bureau de la commission a écarté l'idée de demander la création d'une commission d'enquête. En application de l'article 11 du règlement du Sénat, celle-ci résulte du vote d'une proposition de résolution qui « doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion. Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond..., la commission des lois.... est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958... ». En clair, nous ne pouvons nous immiscer dans le fonctionnement de l'autorité judiciaire. Or, plusieurs plaintes ont été déposées, qui visent la gestion de Presstalis d'une part, plusieurs décisions des autorités de régulation d'autre part.