Mes chers collègues, nous continuons nos auditions dans le cadre de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane. Constituée à l'initiative de La République en Marche, notre mission a pour ambition d'évaluer la politique et les moyens mis en oeuvre pour lutter contre ce trafic, et de proposer des pistes d'amélioration pour en renforcer l'efficacité.
Au-delà des enjeux sécuritaires, nous nous intéressons à la dimension sociale et humaine de ce phénomène, qui est un fléau et un drame pour la Guyane, notre rapporteur en a déjà témoigné, en examinant aussi bien les actions de prévention mises en place que le parcours judiciaire et la question de la réinsertion des « mules ».
Nous entendons aujourd'hui M. Nicolas Prisse, Président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives - la MILDECA, accompagné de Mme Amélie Dieudé, chargée de mission Douane dans cette même structure.
Créée en 1982, la MILDECA vise à coordonner la politique nationale de lutte contre la drogue, en s'intéressant tant à la prévention, à la santé et à l'insertion, qu'à l'application de la loi, à la lutte contre les trafics et à la coopération internationale.
Nous pourrons plus particulièrement évoquer, au cours de cette audition, le plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane. Signé il y a un peu plus d'un an, le 27 mars 2019, le protocole de mise en oeuvre de ce plan interministériel vise notamment à renforcer les moyens de contrôle sur l'ensemble du trajet emprunté par les « mules » guyanaise. Un premier bilan pourrait en être dessiné.
Je cède toute de suite la parole à Antoine Karam, rapporteur de notre mission, après quoi je propose que M. Prisse et Mme Dieudé interviennent à leur convenance sur le sujet qui nous rassemble cet après-midi.
Tout d'abord, pouvez-vous nous dresser un panorama du trafic de stupéfiants en provenance de Guyane vers l'Hexagone ? Quelles sont ses caractéristiques et ses tendances ? Pouvez-vous également nous décrire le contenu du plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane ? Plus précisément, un an après sa signature, quel bilan tirez-vous du protocole de mise en oeuvre de ce plan d'action ? A-t-il permis une diminution du trafic et une hausse des quantités saisies ? Quelles sont les marges d'amélioration ?
Le renforcement des contrôles peut-il suffire ? Que pensez-vous des arrêtés d'interdiction de vols mis en place par la préfecture de Guyane ? Le protocole prévoit la mise en oeuvre d'une politique pénale de fermeté en termes de poursuites et de réquisitions à l'audience. Cette politique a-t-elle eu un effet dissuasif ?
Face à la massification du trafic, certains acteurs s'interrogent sur l'opportunité de mettre en place des procédures pénales simplifiées ou d'aller vers une « déjudiciarisation » de certaines affaires afin de permettre un traitement de masse rapide. Quelle appréciation portez-vous sur ces pistes de réflexion ? Quelles seraient selon vous les modifications législatives envisageables ?
Quelle appréciation portez-vous sur les politiques de prévention mises en place localement ? La campagne nationale de prévention sur les risques sanitaires liés aux stupéfiants est-elle adaptée aux spécificités des territoires ? Y a-t-il une déclinaison spécifique en Guyane concernant les risques existants à transporter de la drogue ?
Sur quels partenaires locaux la MILDECA s'appuie-t-elle pour ses actions menées en Guyane, et comment se déroule ce partenariat ?
Quelle est la situation de la Guyane en matière de consommation de drogue et notamment de cocaïne ?
Enfin, la coopération internationale est un axe fondamental dans la lutte contre le trafic de drogue. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la coopération en la matière avec le Suriname et avec les Pays-Bas ? Vous connaissez la situation du président sortant, qui ne peut se déplacer qu'en Russie, à Cuba ou en République populaire de Chine. L'action de la MILDECA a aussi un volet international : pouvez-vous nous préciser ce que vous faites dans ce domaine, particulièrement en ce qui concerne le trafic en provenance de la Guyane ?
Je voudrais tout d'abord souligner l'utilité de ce type d'échange avec la représentation nationale, sur un sujet dont l'importance est cruciale.
Je rappelle que la MILDECA est placée auprès du Premier ministre et est chargée de la coordination des politiques publiques menées contre l'ensemble des conduites addictives. Nous ne disposons pas de services opérationnels sous notre responsabilité directe, mais nous nous appuyons sur les autres ministères pour mener un certain nombre d'actions. Nous avons néanmoins, depuis trois ans, territorialisé notre action et mobilisé les territoires, par l'intermédiaire des directeurs de cabinet des préfets qui sont nos correspondants, et nous travaillons de manière plus étroite avec les collectivités territoriales. Vous verrez que sur la question des projets de prévention en Guyane, ce point a une importance.
Je vais commencer par le panorama du trafic de stupéfiants, de ses caractéristiques et de ses tendances. La Guyane et l'arc caribéen sont à la frontière d'une offre et d'une demande, ce qui explique leur situation actuelle. Dans les années 2000, le flux était exclusivement orienté vers les États-Unis, avant de se déplacer progressivement vers l'Europe, ce qui en a fait une grande zone de stockage et de « rebond » de l'offre, qui émane principalement de la Bolivie, du Pérou et de la Colombie. Selon l'Office des Nations Unies contre les drogues et le crime (ONUDC), ce trafic portait sur environ 2000 tonnes en 2017, ce qui est supérieur que ce qui était constaté à la grande époque des cartels. Nous constatons, parallèlement à cette offre extrêmement importante, une demande qui explose dans les pays européens. La France n'est pas épargnée, avec 600 000 usagers de cocaïne environ. On estime que deux millions de Français ont expérimenté la cocaïne au moins une fois dans leur vie. On observait auparavant un cantonnement de la cocaïne à des milieux souvent caricaturés, d'individus aisés, artistes et journalistes. Cette drogue est aujourd'hui consommée et proposée à un public plus varié et se livrant à une polyconsommation, qui concerne aussi bien des étudiants insérés que des personnes en situation de précarité. De même, la cocaïne basée, le crack, dont la consommation était cantonnée à des milieux de grande précarité, est aujourd'hui une drogue qui se diffuse au-delà de ce type de niches populationnelles.
La cocaïne passe par les ports et les aéroports internationaux. Il existe, ensuite, des ramifications dans l'Hexagone qui mènent ce produit dans les petites villes. Cette offre est donc permanente sur l'ensemble du territoire français. Le niveau des saisies révèle le phénomène. Il s'élevait à 16 tonnes en 2017, à 17 tonnes en 2018 et se chiffrera sans doute à plus de 17,5 tonnes en 2019. Cet indicateur est à prendre avec précaution car il témoigne tant du dynamisme du trafic que de l'activité des services impliqués dans la lutte contre le phénomène.
L'augmentation des saisies concerne également le territoire guyanais, avec une accélération ces dernières années. Plus de 1300 « mules » ont été interpellées en 2018, contre 601 en 2017. Nous disposons également de cette estimation intéressante, même si je tiens à rester prudent quant à sa valeur exacte : 15 à 20 % du marché hexagonal de la cocaïne serait alimenté par les « mules », soit environ 4 tonnes sur un total de 20 à 25 tonnes. Les modalités de transport varient.
Le phénomène des « mules » s'appuie sur un réseau de trafics organisés, mais aussi sur des micro-réseaux familiaux, avec des personnes enrôlées qui se destinent à ce voyage à haut risque pour des raisons liées à leurs fragilités, économique, sociale ou éducative. Désormais le trafic depuis la Guyane jusqu'à la métropole se double d'un trafic de cannabis en sens inverse. Pour 1 kg de cocaïne, le passeur repart ainsi avec 1 kg de résine de cannabis.
Nous travaillons depuis fin 2016 sur la mise en place d'une stratégie interministérielle comprenant un plan de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane. Cette stratégie porte sur les années 2018-2022 et est pilotée par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice. Afin de la mettre en place, nous nous sommes inspirés des travaux menés par nos partenaires et par les autorités locales, comme les préfets, les procureurs et les agences régionales de santé (ARS).
Ce plan a été reconduit pour une période de 6 mois supplémentaires, afin de gagner en souplesse d'adaptation. Les principaux axes qu'il comprend portent sur le renforcement de la coordination des différents services en métropole et en Guyane, et sur le démantèlement des petites routes vers les villes moyennes ou petites. Il comprend également une augmentation des effectifs de la brigade de gendarmerie nationale de Saint-Laurent du Maroni, la création d'une antenne de l'Office anti-stupéfiant (OFAST) à Orly, et l'intensification des ciblages à Cayenne et à Orly. Beaucoup d'actions ont ainsi été menées dans les gares ferroviaires ou routières et des réseaux ont ainsi pu être démantelés, en Bretagne, à Roubaix ou dans d'autres villes de cette dimension.
On le sait bien, la stratégie des réseaux de trafiquants est la saturation des services. Le plan comprend la possibilité d'une prise en charge judiciaire sur la base de la seule procédure douanière. Cette idée a été mise sur la table de façon à alléger la charge des services de police judiciaire.
Que peut-on en dire un an après la mise en place de ce plan ? Avons-nous assisté à une diminution du trafic ?
Ce qui est important est que ce plan « mules » a été repris en tant que tel dans le plan national de lutte contre les stupéfiants et est désormais piloté par l'OFAST, ce qui constitue une bonne mesure de cohérence. Le 25 février 2020, le Premier ministre a demandé une prolongation du plan au second semestre et la fixation d'objectifs précis. C'est une marque de confiance de la part du pouvoir politique, même si la stratégie de saturation des services par les trafiquants rend peu probable l'augmentation des saisies.
Le renforcement des contrôles peut-il suffire ? Quid des arrêtés d'interdiction de vol ? Dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants, il n'y a pas de recette miracle. Il faut essayer d'avoir une vision assez étendue et s'appuyer sur les divers leviers efficaces. Il n'empêche que ces arrêtés ont semblé très efficaces. En tout cas quantitativement, les choses ont été extrêmement marquées. Il reste à stabiliser leur fondement juridique, dans un premier temps contesté, puis validé par le juge administratif au début de l'année 2020. Ces arrêtés participent d'une pression qu'il faut mettre sur les organisations criminelles, même si nous sommes bien conscients du fait qu'il ne s'agit pas là du seul outil nécessaire. S'est posée la question de l'achat de scanners à onde millimétriques, suite à l'échec de la mise en oeuvre de l'échographe à l'aéroport de Cayenne faute de personnel médical. Nous avons évoqué ce sujet en réunion interministérielle ; le préfet en est demandeur. Nous sommes parvenus à un accord et avons la charge, grâce au fonds de concours « drogues », du financement, à hauteur de 200 000 euros, de l'un de ces équipements. Les choses seront donc mises en oeuvre dans les prochaines semaines et nous y participons sans difficultés.
Sur la question de la prévention et celle sur la situation de la Guyane en matière de consommation de drogue et de cocaïne, la situation est connue même si nous attendons encore un rapport de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) faisant suite à une enquête menée sur le territoire guyanais. La consommation de cocaïne y ressemble à celle qui avait cours dans l'Hexagone il y a quelques années. Elle est plutôt une consommation de personnes aisées, à l'exception des personnes qui utilisent du crack. S'agissant des autres conduites addictives en Guyane, une enquête de 2015 publiée en 2018 sur les plus jeunes montre que la situation est plus favorable qu'en métropole vis-à-vis du cannabis, du tabac, et identique vis-à-vis de l'alcool. La situation n'est donc pas trop mauvaise. Les chiffres n'indiquent pas une consommation plus forte de cannabis. Il est certain que nous devons adapter la prévention aux spécificités du territoire guyanais, ce que nous faisons en territorialisant au maximum ces politiques.
Nous menons des actions de proximité par l'intermédiaire d'associations locales. C'est pour cela qu'on s'appuie largement sur la préfecture, l'ARS et les collectivités territoriales. La subvention que nous accordons au territoire est de 90 000 euros par an pour la mise en place d'actions de prévention et de sensibilisation. En 2018, 53 % de cette subvention était destinée à la lutte contre le phénomène des mules. La plupart des bénéficiaires étaient des détenus condamnés pour trafic de stupéfiants. En 2019, 6 actions, sur les 9 financées par la MILDECA en Guyane, visaient à prévenir la récidive en matière de trafic de stupéfiants. Nos crédits sont en général un bras de levier pour obtenir d'autres sources de financements, pouvant venir du rectorat, de l'ARS ou d'autres structures. Nous avons également apporté notre concours à une réalisatrice, Marie-Sandrine Bacoul, afin qu'elle réalise un film intitulé « Aller sans retour » diffusé ces derniers mois en Guyane, qui met en garde sur le mirage du passeur croyant pouvoir sortir de ses difficultés grâce à ce genre de « voyage ». Ce trafic concerne de grandes cohortes de personnes impliquées (guetteurs, passeurs), qui s'appuient sur un terreau social très défavorable et des difficultés familiales prégnantes. Nous essayons, avec les associations, de repérer assez tôt le risque de captation d'un jeune par un réseau et de voir comment intervenir suffisamment en amont pour l'éviter. Je suis attaché à l'évaluation des actions que nous finançons, mais je ne peux pas dire que ces programmes aient une efficacité tout à fait prouvée. Nous avons prévu d'y travailler plus amplement.
Vous m'interrogez sur les partenariats locaux de la MILDECA ; je rappelle que le directeur de cabinet du préfet est notre correspondant. Il travaille, à cet égard, en coordination avec l'ARS, le rectorat, la police, la gendarmerie, la douane et les collectivités territoriales. Parmi les projets, beaucoup sont portés par les collectivités, comme la collectivité territoriale de Guyane ou la mairie de Cayenne. Les associations sont le relais opérationnel de l'État et des collectivités. Nous disposons également d'un fonds national de lutte contre les addictions, dont le budget s'élève à 120 millions d'euros et dont une grande partie est versée directement aux ARS.
S'agissant de la coopération internationale, la MILDECA représente la France dans des instances spécialisées, comme la commission « stupéfiants » de l'ONUDC, qui se réunit à Vienne. Nous agissons, en la matière, avec les différents bénéficiaires du fonds de concours « drogues ». Le fonds de concours « drogue », qui constitue notre deuxième source de financements derrière ceux prévus par la loi de finances, s'appuie sur les produits de saisies et les confiscations des avoir criminels réalisés en matière de trafic de stupéfiants. Il représente entre 15 et 20 millions d'euros par an répartis entre les différents organismes ayant contribué à ces saisies : douanes, police et gendarmerie nationales, ministère de la justice et MILDECA, qui se voit attribuer in fine 10 % du produit de ce fonds de concours.
Nous avions remarqué que l'action internationale était éclatée et qu'il n'existait pas de vraie cohérence en la matière. Avec nos partenaires du fonds de concours, nous cherchons dorénavant à fixer nos priorités ensemble et à éviter d'avoir une action isolée. Cette coordination fonctionne avec les pays sources (Colombie, Pérou, Bolivie) ou de transit (Brésil, Equateur). Ce travail de coopération reste limité, au regard de l'ampleur du phénomène. Nous menons beaucoup d'actions portant sur la lutte contre le trafic par voie maritime. Parmi les actions également financées par le fonds de concours, nous avions précisément une action décidée avec les ministères de l'intérieur, de la justice et les douanes prévoyant un déplacement sous l'égide de la DACG en Guyane, qui a toutefois été reporté en raison de la crise sanitaire en cours. Nous avons également, par le biais du fonds de concours la possibilité d'acheter du matériel spécialisé (drones, chiens) mis à dispositions des forces de l'ordre et de la douane.
L'ONUDC nous permet, très opérationnellement, d'avoir un petit impact sur ce qui se passe en Guyane. 700 000 euros de contribution française ont ainsi pu être affectés à des projets de développement alternatif en Bolivie. Nous menons également une action financée via l'ONUDC contre le détournement des précurseurs chimiques au Pérou.
Avant de conclure, je souhaite dire un mot sur le centre interministériel de formation anti-drogue (CIFAD) basé à Fort-de-France, qui prenait la forme d'un groupement d'intérêts publics (GIP) administré depuis Paris par la MILDECA, dont la mission principale consistait à mener des actions de coopération internationale avec certains pays d'Amérique centrale afin de former leurs polices à des techniques d'enquête et d'investigation. Le CIFAD va perdurer, mais est désormais intégré à l'antenne de l'OFAST de Fort-de-France, tout en gardant sa vocation interministérielle et opérationnelle.
J'ai eu l'occasion de visiter l'aéroport Félix Eboué dans le cadre d'un déplacement de la commission des lois au mois de novembre 2019, et un échange avec la PAF et la douane nous avait permis de mettre le doigt sur la question du scanner millimétrique. Cela me parait important car le Suriname, ayant mis en place ce type d'équipement à Paramaribo, avait contribué au détournement du trafic vers la Guyane en utilisant cet instrument. Pourquoi avons-nous à ce point attendu ? Y-a-t-il d'autres moyens qui mériteraient d'être mis en place pour être plus efficaces dans la lutte contre ce phénomène ?
Vous indiquez que 53 % de l'enveloppe annuelle en 2018 est destinée à la prévention de la récidive, tandis qu'en 2019, 6 actions visaient à l'empêcher. Je souhaitais savoir si la MILDECA intervenait aussi pour la prévention primaire et pour les plus jeunes ? Existe-t-il, en Guyane, un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance? Les élus sont-ils impliqués dans cette politique de prévention ? Y a-t-il un contrat local de santé ou une structure particulière visant à impliquer les élus et les associations d'éducation populaire pour éviter que les très jeunes tombent dans ces trafics ? Par ailleurs, constatez-vous en même temps d'autres types de délits associés à cette délinquance ?
Votre audition semble confirmer que deux aspects doivent être pris en compte : la question sociale et la question des moyens de ceux qui luttent contre le trafic. La question sociale est essentielle à long terme car la corrélation entre la grande précarité et le fait de rejoindre les réseaux est avérée. La question des moyens doit évidemment être posée. On sait que le trafic provient en grande partie du Suriname. Même si on espère tous que les dernières échéances politiques surinamaises apporteront du changement, la coopération diplomatique demeure pour l'instant compliquée. Il faut donc que les gendarmes et les policiers de la zone frontalière, notamment à Saint-Laurent du Maroni, aient les moyens matériels de lutter contre le passage des mules. De la même manière, les moyens humains à l'aéroport de Cayenne doivent être à la hauteur des moyens matériels que l'on est en train d'octroyer : l'échec de l'échographe est pour partie lié à l'insuffisance des moyens humains, aura-t-on assez de personnels pour utiliser pleinement le nouveau scanner ?
Enfin, j'apprends qu'il existe un trafic de drogue qui part de l'Europe vers la Guyane, probablement depuis les Pays-Bas en passant par l'Hexagone. A-t-on une idée du volume de ce trafic ?
La question que pose M. Darnaud sur le scanner millimétrique est récurrente. Les avis étaient partagés sur l'intérêt du recours à ce nouveau matériel après l'échec concernant l'échographe qui avait été acquis en 2017 mais n'a jamais vraiment été utilisé. La détection des mules à l'heure actuelle, même sans scanner, est plutôt efficace, cela grâce aux techniques de ciblage des douaniers qui sont performantes. La détection fonctionne avec ou sans machine. C'est plus la stratégie de saturation utilisée par les passeurs qui implique le recours à du matériel performant, afin de rendre plus visible notre stratégie de dissuasion, en complément du travail des douaniers. C'est d'autant plus important d'augmenter notre niveau de dissuasion qu'un scanner a été installé au Suriname. On doit s'aligner, la question du scanner en Guyane ne se pose donc plus vraiment dès lors qu'il y en a un au Suriname. Mais ce n'est pas une solution miracle, c'est un outil supplémentaire de dissuasion au milieu d'un ensemble de moyens.
Pour répondre à Mme Jasmin, on a un certain nombre d'actions de prévention qui ciblent plus particulièrement les jeunes. Nous avons cité tout à l'heure le film « Aller sans retour » de Marie-Sandrine Bacoul par exemple, je pourrais citer aussi le travail considérable de plusieurs associations. Toutes ces actions sont discutées dans le cadre du contrat local de santé. La consommation de stupéfiants diminue en France, tout comme les conduites à risques reculent. C'est tout simplement parce qu'on est plutôt performants dans la prévention de la consommation primaire : on sait travailler sur l'amélioration de l'estime de soi, on sait développer l'esprit critique des consommateurs pour qu'ils réduisent leur consommation ou cessent de consommer. Il n'en est pas de même pour la lutte contre l'entrée dans le trafic. Sur cet aspect, on ne dispose pas encore d'une méthode efficace. On travaille sur les tous les leviers, qu'ils soient éducatifs, sociaux ou qu'ils passent par l'arsenal répressif, mais il y a sans doute une marge de progression des politiques publiques sur ce point. La MILDECA conduit un travail expérimental de lutte contre l'entrée dans le trafic dans le XIXe arrondissement de Paris, en Seine Saint-Denis ou encore au Mirail près de Toulouse mais on n'a pas encore la preuve de l'efficacité de cette méthode, dont on essaie de mesurer l'impact, ce qui prend du temps.
Sur la question des moyens abordée par M. Gay, je dirais que ceux de la police et de la gendarmerie ont déjà été augmentés en Guyane avec des effets positifs. Bien sûr, dans l'absolu, on voudrait toujours plus de personnels, mais objectivement, le rattrapage des moyens a déjà eu lieu. Je pense qu'il faut surtout améliorer encore la coopération entre les différents acteurs, dans le prolongement de ce qui a été initié entre les gendarmes, les policiers et les douaniers. Les renseignements sont désormais mieux partagés entre ces acteurs et c'est ça qu'il faut intensifier.
S'agissant de votre deuxième question, le trafic de l'Europe vers la Guyane, qui concerne en particulier le cannabis, cela reste très modeste. On ne peut évidemment pas donner un chiffre précis, mais ce n'est rien en comparaison du trafic dans l'autre sens. J'ai abordé ce point pour être complet mais je ne voudrais pas donner le sentiment qu'on est sur les mêmes échelles, il faut bien avoir à l'esprit que la quasi-totalité du trafic se fait dans l'autre sens.
Est-ce que l'installation du scanner ne va pas entrainer un effet de saturation dans un premier temps ?
Ce point va bien entendu être abordé dans le cadre du groupe local contre la délinquance que coordonne le préfet. Je pense que ce phénomène sera anticipé et que des moyens supplémentaires en personnels seront provisoirement alloués pour éviter cet effet de saturation.
J'en profite pour vous indiquer que le préfet et la CCI viennent de confirmer que le scanner est en cours d'installation.
Ce qui semble cohérent avec la date donnée par le préfet lorsque nous l'avons auditionné, à savoir une machine qui serait opérationnelle à partir du 16 juin.
A-t-on une idée en pourcentage de la répartition du trafic entre la voie maritime et la voie aérienne et connait-on la part que représente chacun des principaux ports de débarquement des marchandises ? Quelles sont les mesures de contrôle dans les ports ?
A-t-on une idée de l'impact de la baisse du trafic aérien liée à l'épidémie de Covid-19 sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane ? D'autres cheminements comme la voie postale ont-ils en partie pris le relai ? Par ailleurs, existe-t-il un quelconque lien entre l'orpaillage et le trafic de stupéfiants ?
Pour répondre à M. Martin, on estime que le trafic est réparti entre la voie maritime à hauteur de 75 % et la voie aérienne pour 25 %, mais c'est bien sûr un ordre de grandeur. Quand c'est par voie maritime, la marchandise n'est pas nécessairement débarquée dans des ports français.
Tous les grands ports européens qui accueillent des containers d'Amérique du Sud sont touchés : Le Havre, Anvers, les grands ports allemands. C'est lié au fait qu'un container sur un bateau peut contenir des quantités bien plus importantes qu'une mule utilisant l'avion ne peut en transporter, que celle-ci ingère le produit ou utilise ses bagages en soute. La navigation de plaisance peut aussi être concernée.
Pour répondre à Mme Lopez, sur le lien entre la consommation de stupéfiants et la forte réduction du trafic aérien en raison de l'épidémie de covid-19, je dirais que l'on a assisté à différentes stratégies de la part des consommateurs. Certains consommateurs, on n'ose pas les qualifier de « prévoyants », ont « fait des provisions » dans les jours qui ont précédé le confinement afin que leur stock couvre leur consommation des semaines suivantes. D'autres se sont rendu compte que l'impossibilité de consommer de la drogue suscitait chez eux un manque et ont ainsi pris conscience d'une addiction. Vous savez, ce discours consistant à dire : « je m'arrête quand je veux » ou « je consomme juste de temps en temps » qui conduit les consommateurs à se mentir et à ne pas percevoir leur dépendance tant qu'ils peuvent consommer. Ce public a entamé une démarche proactive en cessant de consommer ou en demandant des substituts aux professionnels de la santé : ces derniers ont constaté une recrudescence des consultations en la matière. Enfin, une troisième catégorie de consommateurs s'est lancée dans la production de sa propre consommation. On pense que la production individuelle de cannabis a explosé pendant le confinement. Du côté des trafiquants, les prix ont augmenté, conséquence directe de la raréfaction et la « qualité » a diminué.
En revanche, je dois avouer que je n'ai pas d'éléments sur d'éventuels liens, à un quelconque niveau, entre orpaillage et trafic de stupéfiants. Je pense que d'autres interlocuteurs pourraient vous renseigner mieux que moi sur ce point.
Il nous reste à vous remercier pour la très grande qualité de cette audition et la précision des éléments que vous nous avez fournis.
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