Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Zineb El Rhazaoui, écrivaine, journaliste et militante des droits de l'homme. Je crois qu'il n'est plus besoin de vous présenter tant votre engagement et vos prises de position sont connues.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme El Rhazaoui prête serment.
Je tiens à préciser que j'entretiens une relation amicale avec Mme El Rhazaoui, dont je soutiens l'engagement.
On a coutume en France de distinguer, au sein de l'islamisme, le salafisme et le frérisme, parfois à tort. Je ne crains pas de dire qu'en tant que confrérie, en tant qu'idéologie et en tant qu'organisation associative très structurée, les Frères musulmans sont aujourd'hui aux portes du pouvoir en France.
La confrérie des Frères musulmans est née en Égypte à la fin des années 1920. Elle a été fondée par un instituteur, Hassan el-Banna, grand-père maternel de Tariq Ramadan, qui prônait une idéologie totalitaire touchant l'ensemble des espaces de la société : la vie familiale, la vie privée, l'enseignement, l'administration, la politique, le rapport à l'étranger, etc.
Cette idéologie des années 1930 était fille de son temps, et Hassan el-Banna, un admirateur du régime nazi. Certains de ses adeptes ont d'ailleurs entretenu des liens avérés avec le régime nazi. Par exemple, le mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, s'était rendu en Allemagne nazie pour une visite officielle et avait même fondé une division SS à Handschar.
On retrouve l'oeuvre néfaste de la confrérie à peu près partout dans le monde. Saïd Qutb, qui a repris le flambeau après le décès d'Hassan el-Banna, a été l'un des principaux inspirateurs d'Al-Qaïda. Bien que l'Iran soit chiite et non sunnite, la révolution islamique iranienne porte l'empreinte de la confrérie. Des Frères musulmans avaient en effet infiltré la société iranienne bien avant la révolution et ont contribué à l'islamisation profonde et rapide de celle-ci.
La France est l'un des premiers pays européens où la confrérie s'est implantée. Lorsque nous parlons de l'organisation des Frères musulmans, en France, nous parlons principalement de l'UOIF, l'Union des organisations islamiques de France, dont je vais retracer brièvement l'histoire.
Mohammad Hamidullah (1908-2002), docteur en droit et en philosophie originaire d'Inde, s'exile en France en 1948, et en 1962, il fonde l'Association des étudiants islamiques de France (AEIF). À la fin des années 1970, un groupe d'étudiants d'origine tunisienne s'établit en France après la répression menée par Bourguiba contre le mouvement de la tendance islamique. Ce mouvement est l'ancêtre d'Ennahdha, parti qui a pris le pouvoir en Tunisie et qui adhère pleinement à l'idéologie des Frères musulmans. Le mouvement la tendance islamique intègre l'AEIF de Mohammed Hamidullah. Il y a un lien très clair entre l'arrivée de ces étudiants fréristes de Tunisie et le rattachement de l'AEIF encore balbutiante à la branche égyptienne des Frères musulmans, bien que la majorité des membres de l'AEIF reste alors sous l'influence de la branche syrienne.
En 1979, les pro-égyptiens quittent l'AEIF et fondent le Groupement islamique de France (GIF). En 1981, Bourguiba déclenche une forte répression, entraînant l'exil de nombreux sympathisants qui rejoignent le GIF. En 1983, les dirigeants du GIF fondent avec d'autres associations locales l'UOIF. Ses principaux dirigeants sont les Tunisiens Ahmed Jaballah et Abdallah Ben Mansour et le Libanais Fayçal Mawlawi.
En 1989, l'affaire des foulards de Creil, qui était presque réglée, prend une nouvelle tournure lorsque l'UOIF prend contact avec les familles des jeunes filles pour leur dire de ne pas céder. Un conseil de sages musulmans est constitué à la demande du ministre de l'intérieur, Pierre Joxe, avec pour mission de contribuer à régler la crise. L'un de ces sages n'est autre qu'Amar Lasfar, qui est le fondateur de l'UOIF.
En 1990, l'Union des organisations islamiques en France devient l'Union des organisations islamiques de France, marquant la naissance du projet d'un islam de France. Le concept en a été forgé par l'UOIF. Dans le même temps, l'UOIF participe à la fondation de la Fédération des organisations islamiques d'Europe.
En 1992, l'UOIF crée l'Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon, dirigé par l'Irakien Mahmoud Zouheir. En 1995, les Marocains Fouad Alaoui et Lhaj Thami Breze prennent le pouvoir aux Tunisiens à la tête de l'UOIF.
L'année 1999 marque l'entrée officielle de l'UOIF dans le giron des tractations républicaines. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur, invite l'UOIF à participer à la mise en place d'une instance représentative. Un rapport sénatorial de 2015 précise qu'à la demande de l'UOIF, la mention du droit de changer de religion est retirée du texte élaboré. C'est une première reconnaissance de l'UOIF, et une première compromission.
En 2003, le Président de la République Nicolas Sarkozy intègre l'UOIF dans le Conseil français du culte musulman (CFCM), et il se rend au rassemblement des musulmans au Bourget, qui est l'événement phare de l'UOIF en France. L'année suivante a été marquée par une explosion de la fréquentation de ce rassemblement.
Si j'ai tenu dans cette introduction à établir la filiation de l'UOIF avec les Frères musulmans, c'est parce qu'il me semble qu'il y a en France une incompréhension de ce que sont les Frères musulmans et de leur dangerosité.
Les Frères musulmans portent des costumes et des cravates, et de manière générale, ils sont bien moins focalisés sur les expressions visibles de l'islamisme que les salafistes. Mais du point de vue du dogme et de la foi, les Frères musulmans sont des salafistes. Seule la méthode les différencie. Pour les salafistes, le mode de vie islamique est une fin en soi, à tel point que les représentants de certaines branches du salafisme préfèrent vivre en retrait de la société par refus toute expression de la modernité. Les Frères musulmans poursuivent le même objectif que les salafistes, à savoir l'hégémonie de l'islam et la suprématie des lois d'Allah sur les lois de la République, mais leur méthode passe par un travail en profondeur de la société et par l'infiltration de toutes ces institutions. Vous avez dû avoir des témoignages de cet entrisme qui touche le sport, l'enseignement, le milieu médical, etc.
J'en viens au projet, que je trouve inquiétant à bien des égards, de l'Association musulmane pour l'islam de France (AMIF), qui reprend dans son intitulé le projet d'un islam de France. Je pense qu'il est dangereux d'entériner ce concept, car la bataille contre l'islamisme est aussi une bataille sémantique. Il n'y a pas de christianisme ou de judaïsme de France, et il ne devrait pas y avoir d'islam de France. Il y a un islam en France, il y a des cultes en France, mais pas de culte de France.
Le concept d'islam de France, repris de l'UOIF et aujourd'hui promu par l'AMIF, est présent dans tous les écrits des membres et des sympathisants de l'UOIF. Dans son livre, Farida Abdelkrim affirme par exemple que l'islam sera français ou qu'il ne sera pas. La volonté affichée est de faire de l'islam quelque chose de profondément constitutif de ce qu'est l'identité française. L'AMIF affiche d'ailleurs parmi ses objectifs « une insertion sereine de l'islam dans la République ». J'estime qu'il s'agit d'un énorme écueil, car si l'insertion des musulmans dans la République est un objectif légitime, celle de l'islam n'irait pas sans poser de problèmes par rapport à la loi de 1905.
L'AMIF est une initiative d'Hakim El Karoui, essayiste et ancien banquier. Il est l'auteur de deux rapports de l'Institut Montaigne sur l'islamisme. S'ils font le tour de la question de façon très savante, on peut reprocher aux travaux de M. El Karoui de se focaliser sur le danger que représente le salafisme. Le projet de M. El Karoui pour l'AMIF est d'ailleurs une émanation de l'UOIF.
L'AMIF porte l'un des trois projets qui ont été présentés par les représentants du culte musulman en France à l'exécutif. Les autres propositions sont celle du CFCM et celle de la plateforme L.E.S Musulmans de Marwan Muhammad. Ces deux dernières propositions ne me semblent pas préférables, mais compte tenu des moyens de communication dont dispose l'AMIF, il est à craindre que son projet remporte les faveurs de l'exécutif.
De nombreux représentants du projet de l'AMIF se sont d'ailleurs exprimés dans un documentaire consacré à l'islam en France récemment diffusé sur la chaîne Arte sans dire leur nom. L'une des caractéristiques essentielles de la confrérie des Frères musulmans est que ses représentants peuvent arriver jusqu'aux marches du pouvoir sans dire qu'ils sont Frères musulmans. En Tunisie, même si l'appartenance des membres d'Ennahdha à la confrérie était un secret de polichinelle, elle n'a jamais été dite.
L'équipe de l'AMIF compte une vingtaine de membres ou de sympathisants de l'UOIF. L'AMIF comporte deux branches : une association loi de 1905 pour le volet cultuel, et une association loi de 1901 pour le volet culturel. La première est présidée par Tareq Oubrou, imam de Bordeaux. Il a été membre de l'UOIF pendant trente-cinq ans et l'a quittée en mai 2018, quasiment au moment où le projet de l'AMIF était mis en route. Il indique toutefois qu'il ne s'agissait pas d'une rupture avec l'UOIF, qu'il qualifie de famille. M. Oubrou s'est par ailleurs réclamé à de nombreuses reprises de la pensée d'Hassan el-Banna.
Le vice-président de l'association loi de 1905 est l'imam Mohamed Bajrafil, secrétaire du conseil théologique des Musulmans de France. Je rappelle que pour des raisons politiques et de communication, l'UOIF a été rebaptisée Musulmans de France en 2017. Mohamed Bajrafil se réclame pour sa part de Youssef al-Qaradaoui, qui est actuellement le plus grand idéologue des Frères musulmans et qui est interdit de séjour en France depuis 2012, du fait notamment de ses déclarations antisémites.
L'équipe dirigeante de la branche cultuelle compte aussi Abdelghani Benali, enseignant en sciences islamiques à l'Institut européen de sciences humaines (IESH) de Saint-Denis, qui est un organisme de formation de l'UOIF, Fahid Abdelkrim, ancien président des Jeunes musulmans de France, section jeunesse de l'UOIF et Azzedine Gaci, imam UOIF de la mosquée de Villeurbanne.
La branche culturelle est présidée par Hakim El Karoui, son vice-président est Hosni Maati et son trésorier Abdelnour Chelaoui. Elle compte des spécialistes en finance islamique, en communication, des conseillers politiques, des personnes qui agissent dans le secteur hospitalier, des personnes qui sont proches du milieu du sport...
Parmi les projets de l'AMIF figure la création d'une taxe halal qui financerait le culte ou celle d'une instance qui certifierait les certificateurs halal, dans les domaines alimentaire ou même touristique. Par ailleurs, l'AMIF est proche du Secours islamique, qui propose aux musulmans de donner l'argent généré par les intérêts bancaires - qui sont interdits - à la charité islamique et communautaire. L'argent récolté par ces différents biais servirait à la formation des imams, mais aussi, selon l'AMIF, à la lutte contre la radicalisation qui, selon l'association, va de pair avec la lutte contre les discriminations.
Dans le Centre d'action et de prévention contre la radicalisation des individus (CAPRI) dirigé par Tareq Oubrou, la déradicalisation ne passe pas par le doute ou l'exercice de la raison critique, mais par encore plus d'islam.
Je préfère d'ailleurs au terme de radicalisation, que je n'aime pas, celui d'islamisation. Ces gens prétendent que la radicalisation serait le fruit de l'islamophobie et des discriminations - qu'elle serait imputable, donc, à la société française. Je combats cette thèse de toutes mes forces, car je pense qu'il s'agit d'un phénomène international, global, inhérent à la tournure même que prend la religion musulmane. D'ailleurs, les problèmes de radicalisation existent aussi bien aux Philippines qu'au Nigeria, et dans tous les pays où l'islam est fortement présent. Il ne faut donc pas en chercher les raisons dans ce que nous sommes, nous, la société française.
Faire de l'AMIF l'instance représentative de ce qu'ils appellent l'islam de France aboutira à une situation ingérable. Déjà, en France, nous pataugeons dans ces problèmes, nous n'arrivons plus à gérer la montée de l'islamisme. Il ne faut donc pas la confier à des fréristes, qui appliquent à la lettre la théorie de Youssef Al-Qardaoui, le grand idéologue des Frères musulmans. Je rappelle que celui-ci a mis en place une charia spécialement consacrée aux minorités musulmanes en Occident, dont les écrits de M. Tareq Oubrou, président de l'AMIF, sont une simple traduction.
Que préconise cette charia ? D'infiltrer les élites, sans insister forcément sur le voile : les choses vont se faire par étapes. D'où une opposition parfois entre Frères musulmans et salafistes, les premiers reprochant aux seconds d'entraver le processus en se braquant sur la tenue, le mode de vie ou le halal, alors que le plus important est de marquer toutes les institutions de l'empreinte de l'islam, de les infiltrer, et de former des élites qui placent l'idéologie de l'islamisme au-dessus des valeurs républicaines, tout en intégrant ces valeurs républicaines. M. Oubrou a évidemment bien compris qu'il fallait tenir un discours républicain irréprochable. Pour autant, son objectif est toujours de mettre plus d'islam dans la République. Ainsi, l'hebdomadaire Le Point du 13 juin 2019 le citait en ces termes : « Si les musulmans de France veulent s'intégrer, il faut donc qu'ils adoptent le comportement de prudence de l'animal qui, quand il pénètre un univers qu'il ne connaît pas, minimise ses mouvements et réduit prudemment sa visibilité pour ne pas s'exposer. » Beau résumé de ce qu'est la charia des minorités musulmanes en Occident ! Ce serait une erreur historique de livrer les Français de confession musulmane, clés en main, à l'AMIF. Ce serait les mettre dans un piège, puisque cette instance théologique suprême que veut créer l'AMIF s'apparente en réalité à une forme de clergé adoubé par la République, qui pourra émettre des fatwas et comptera pour autorité suprême en matière de religion.
Je souhaite donc rappeler aux différents représentants de l'État français que toute tentative d'organisation de l'islam par le haut débouchera fatalement sur l'appointement des plus militants parmi les musulmans. Qu'est-ce que l'islam politique, finalement ? C'est vouloir parler en son nom et vouloir qu'il existe en tant que tel au sein des instances républicaines. Cela ne peut que conduire à une instance qui bénéficiera d'une reconnaissance républicaine sans partager des valeurs tout à fait républicaines. Mieux vaut laisser la pluralité de l'islam s'exprimer et laisser les initiatives germer dans la division.
D'ailleurs, tous ces représentants autoproclamés de l'islam - qui ne représentent qu'eux-mêmes car, rappelons-le, en République, nous ne sommes représentés que par nos élus, et personne n'a élu ces gens-là - qui aspirent à une reconnaissance républicaine, réclament des légions d'honneur, veulent être reçus au Sénat, à l'Élysée, que leur demande-t-on en contrepartie ? Rien. Leur a-t-on demandé de faire un effort sur la question de l'apostasie ? Je rappelle que les apostats de l'islam sont une partie de la population dont le droit à la vie est remis en question tous les jours, au vu et au su de tout le monde. Même la mention du droit de changer de religion a été retirée d'un rapport sénatorial... Que demande-t-on à ces représentants autoproclamés en termes d'égalité homme-femme ? Sur la question de l'antisémitisme ? De l'antichristianisme ? Rien. Je pense donc que la République doit rester en position de force et qu'elle doit observer la loi de 1905. Le culte musulman est libre d'exercice en France, comme le prévoit la loi de 1905, mais il faut préserver la pluralité, car c'est dans la pluralité que germeront les initiatives républicaines. Et il faut écarter toute velléité d'organiser l'islam par le haut, car cela risque de déboucher sur quelque chose de concordataire, voire sur un ersatz de religion d'État.
Merci pour cet exposé très clair et très détaillé. Nous avons reçu mardi dernier M. Hugo Micheron. Je ne sais pas si vous avez pris connaissance de sa thèse - il est vrai qu'elle est sous embargo, et pour plusieurs années. Dans son livre, il dit que nous n'aurons pas une seconde chance. Il parle depuis des années de naïveté de la recherche, de l'Université, du manque de recherche universitaire, de la pudeur politique, de l'ignorance de la société civile. Il décrit le souhait d'une poignée de personnes d'organiser une infiltration, soit pacifique et institutionnelle, soit par une manifestation terroriste. Il esquisse des solutions, vous donnez des conseils : pourriez-vous être plus précise dans les solutions que vous décrivez ? Je pense que le problème n'est pas tant la loi 1905 que celle de 1901. La formation des imams est en cause, peut-être l'interdiction de certaines formations, d'ailleurs...
La loi de 1905 ne pêche que par son absence d'application dans certains cas. Lorsque le Gouvernement avait manifesté la volonté de la réformer, tout le mouvement laïc français s'y est opposé. Nous disions que cette loi n'avait pas besoin d'être réformée : tout ce qu'il faut, c'est le courage politique de l'appliquer. Ses articles 1er et second ont valeur constitutionnelle, d'ailleurs. Et je ne parle pas des 42 autres, comme l'article 26, par exemple, qui dit qu'aucun lieu de culte ne peut servir à héberger un discours politique, et qui est allègrement violé en France sans que personne ne s'en émeuve, à l'exception de quelques citoyens, journalistes ou sénateurs, qui crient dans le désert...
Il serait fondamental, en France, d'assainir le champ sémantique pour sortir de celui qui nous a été imposé par les islamistes. C'est le premier pas que nous devons effectuer. Il s'agit de voir et de dire ce que nous voyons, au lieu de dire ce que nous pensons qu'il est de bon ton de dire. Or ce débat, en France, est pris en otage depuis des décennies par le politiquement correct, qui fait l'amalgame entre ces questions et le racisme. Cela nous ramène à la notion d'islamophobie, qui est une notion qu'il faut combattre par des moyens plus forts que la simple dénonciation. En effet, c'est une imposture intellectuelle. Et l'islamophobie n'est rien d'autre que le revers de la médaille du blasphème. Dans les pays où l'islam a un pouvoir coercitif, il n'existe pas d'islamophobie, il existe le blasphème : lorsqu'on critique l'islam, on est mis en prison, fouetté, lapidé. Ici, en France, on est accusé d'islamophobie. C'est, d'une certaine manière, un délit de blasphème qui ne dit pas son nom.
J'en viens à l'arnaque de la déradicalisation. Il y a un gros problème de doctrine en France. Premier écueil doctrinal : penser que le problème que pose l'islamisme, c'est uniquement le terrorisme. En réalité le terrorisme n'en est que l'expression la plus violente, car c'est une expression criminelle. Mais, pour l'islamisme, le terrorisme n'est pas une finalité en soi. C'est un moyen parmi d'autres - comme l'entrisme politique, le prosélytisme, la charité - pour islamiser la société en profondeur. En France, on supplie les musulmans intégristes qui posent problème de ne pas se faire exploser, de ne pas s'adonner au terrorisme, mais on les laisse dans leur idéologie. L'islam n'est-il pas une religion de paix et d'amour ? D'abord, en théologie, la paix, c'est ce qui plaît à Dieu. Ce n'est pas ainsi que les hommes la définissent...
Bref, la déradicalisation est une arnaque, qui consiste à considérer des criminels de masse comme des personnes malades ou fragiles, ou comme des victimes qu'il faut prendre en charge. Cela ne nous mènera nulle part. Il faudra sortir de cette doctrine et faire marche arrière, ce qui sera d'autant plus compliqué que la déradicalisation est devenue un juteux marché. Personne, d'ailleurs, ne demande des explications. J'aimerais beaucoup, pour ma part, entendre les tenants de la déradicalisation dans ce pays nous expliquer leur méthode scientifique, nous préciser si leur approche est psychiatrique ou autre. Et quand on nous apprend qu'en plus c'est facultatif, c'est le pompon !
La seule façon de déradicaliser, c'est de libérer la raison critique et de défendre la liberté de parole. En effet, pour que l'on sorte de l'endoctrinement islamiste, il faut qu'on doute. Je connais deux anciens salafistes qui se sont déradicalisés ainsi, pas en France d'ailleurs, mais au Maroc et en Arabie Saoudite, en prison, par la lecture d'auteurs critiques sur la religion musulmane. Il faut donc libérer la parole critique sur l'islam, et promouvoir la laïcité. Au lieu de mettre de l'argent dans des associations qui font faire des brioches ou des matches de basket à des criminels de masse, je préférerais que l'on promeuve des associations qui font de la pédagogie sur la laïcité.
Autre recommandation : cibler les zones où il y a une urgence. Ce n'est pas pour rien que mes anciens collègues de Charlie Hebdo ont été assassinés. C'était le seul phare du blasphème dans ce pays - et peut-être dans le monde. Ce phare a été abattu, ce qui est un drame et une perte inestimable pour toute l'humanité. Il est urgent de rétablir le droit au blasphème, à l'irrévérence et à la critique de l'islam. L'État doit y veiller, en protégeant les auteurs concernés et en promouvant les structures qui expliquent pourquoi la frontière du blasphème est la frontière entre un État civilisé et un État barbare.
Merci pour ces propos d'une franchise et d'une clarté extraordinaires. Cela fait du bien de vous entendre. En effet, je suis avant tout une républicaine, et le combat pour la République est nécessaire et urgent. Certains quartiers sont dans l'enfermement intellectuel et religieux, et peuvent poser problème aujourd'hui et demain. Quand les enfants sont assignés à résidence au nom d'une religion, on peut imaginer ce qu'ils deviendront quand ils auront 15, 20 ou 30 ans. Je partage vos propos sur l'AMIF, qui m'inquiète beaucoup. La presse a récemment fait état du fait que le Gouvernement commence à s'inquiéter du communautarisme : il serait temps ! Je ne critique pas uniquement le Gouvernement actuel, parce que cela ne date pas d'hier. J'ai lu dans la presse que quelque 150 quartiers souffrent du communautarisme et de l'islamisme. Ce n'est pas rien ! Et un ministre est allé dans des quartiers dire que, pour lutter contre le communautarisme, on allait s'appuyer sur les associations. C'est, à mon sens, exactement ce qu'il ne faut pas faire : si certains quartiers sont infiltrés par les Frères musulmans ou l'islam radical, c'est parce que des associations y ont participé. Pour moi, c'est le rôle exclusif de l'État que d'intervenir. Qu'en pensez-vous ?
D'abord, l'islam, en France, est structuré sous forme associative. L'AMIF est un conglomérat d'associations, la plateforme « L.E.S musulmans » aussi, et le CFCM également - sans parler des associations cultuelles qui se cachent sous différentes formes, ni des associations qui ne sont pas cultuelles, mais sont infiltrées et servent d'appui associatif à cette idéologie, comme des associations sportives par exemple. S'il y a bien une urgence, c'est de faire un grand nettoyage dans les subventions. D'ailleurs, c'est la responsabilité des élus locaux. Ce sont eux qui tiennent les leviers de cette manne distribuée au champ associatif. Or, lorsque nous arrivons à établir, nous qui sommes un mouvement laïque, qu'un élu a versé une subvention à une association antirépublicaine qui promeut le voilement des fillettes, ou des horaires non mixtes dans des piscines, ou à une association sportive qui, en réalité, est un lieu de rencontre de fichés S, qui viennent s'y entraîner à la boxe, il ne se passe rien ! Il y a une forme d'impunité pour ces élus, à qui on ne demande pas de rendre des comptes. Or certains élus versent ce type de subvention alors même qu'ils ont été prévenus de la nature de l'association concernée.
Il serait dommage, en effet, que la République cède le terrain aux associations. Il n'est pas question, bien sûr, de remettre en question l'utilité du tissu associatif de la société civile. Mais, en aucun cas, les associations ne peuvent se substituer à l'État dans des secteurs aussi vitaux. De plus, les associations sont des initiatives autonomes, qui ne sont soumises ni au principe des élections ni à celui de la reddition des comptes, sinon de façon très sommaire. Il serait donc extrêmement dangereux de leur céder ce terrain-là.
Merci de cette réponse très franche. Il y a, en effet, ce réflexe de se tourner vers l'associatif. Certains responsables politiques ont celui de se tourner vers la femme, pensant qu'on peut aussi faire des choses par l'éducation. Mais on s'aperçoit que, parmi les radicalisés, parmi les fichiers S ou les personnes problématiques, il y a de plus en plus de femmes. Pouvez-vous évoquer la question du rôle des femmes dans l'islamisation ?
La délégation aux collectivités locales du Sénat a publié en 2017 un rapport, dont j'étais d'ailleurs l'un des auteurs, avec Luc Carvounas aujourd'hui député, sur la question de la prévention de la radicalisation. Nous n'avions pas insisté sur la déradicalisation, sur laquelle je ne suis pas loin de partager votre point de vue, mais estimé qu'il y avait des choses à faire sur les territoires en matière de prévention, en lien avec les autorités de l'État. Quels sont les interlocuteurs du monde musulman français avec lesquels nous pourrions construire un dialogue sur la place des religions, y compris l'islam, dans ce pays laïc qu'est la France ? Certains interlocuteurs, clairement, ont failli. D'autres sont peut-être les interlocuteurs de demain.
Il est presque gênant de rappeler que les femmes ne sont pas toujours vertueuses, et pas toujours porteuses de toutes les solutions. Elles sont des adultes, majeures, qui peuvent aussi être des intégristes. Cela fait toujours un très bon effet, politiquement, de parler de femmes, mais je ne fais pas partie de ceux qui pensent que les femmes doivent être une espèce juridiquement protégée, ni qu'elles sont systématiquement porteuses de vertu. Je trouve scandaleux le traitement médiatique des femmes jihadistes de l'État islamique, par exemple, qui viennent toutes nous raconter qu'elles sont de gentilles mamans qui ne s'occupaient que de leurs enfants et faisaient la cuisine, et qu'elles n'ont rien fait de mal. Ce sont des femmes qui ont rejoint l'État islamique à un moment où il avait déjà commencé à perpétrer des massacres de masse contre les Yazidis et les chrétiens en Syrie et en Irak. Elles savaient très bien ce qu'elles faisaient, et ce n'est pas parce que ce sont des femmes qu'elles doivent bénéficier d'un traitement de faveur ou être considérées comme des mineures. Le poison de l'islamisme est distillé par les hommes comme par les femmes, et beaucoup de femmes sont des militantes islamistes chevronnées. Elles ont compris qu'elles avaient une place particulière dans ce combat, par exemple avec la problématique du voilement. Elles savent jouer sur la sémantique de la liberté, du féminisme, etc. Je ne suis pas dupe, pour ma part. Je pense que les hommes et les femmes sont égaux, à la fois en tant qu'acteurs de l'islamisme et en tant que solution au problème.
Vous m'interrogez sur les interlocuteurs. En France, il y a une mode médiatique qui consiste à faire intervenir des imams lorsqu'on traite des questions liées à l'islam, qui sont souvent des questions de société ou des questions politiques. Il faut rappeler que les imams sont en fait des curés, c'est-à-dire des VRP du culte, des personnes qui sont les vendeurs d'une religion. En tant que tels, ils ont bien sûr le droit d'exister, et sont protégés par la loi française, mais il me semble qu'en France la politique ne se fait pas avec des curés, de quelque Église qu'ils viennent ! Je pense donc que les imams devraient avoir moins d'espace en politique. On nous propose des instances républicaines comme l'AMIF, qui n'ont de républicaines que le caractère qu'on veut bien leur accorder mais vont, en tous cas, travailler main dans la main avec la République, alors qu'elles sont des instances religieuses tenues par des imams. Comme personne attachée à la laïcité, comme Française, cela me choque et je trouve que ce n'est pas souhaitable.
Il existe aussi en France un mythe de l'imam modéré, sur lequel je me suis souvent interrogée. Qu'est-ce qu'un imam modéré ? Est-ce quelqu'un qui ne tue pas ou qui ne prône pas la violence ? On me dit que la preuve qu'un imam est modéré, c'est qu'il condamne les attentats terroristes. En fait, il condamne un crime de masse, prohibé par la loi et par toutes les morales du monde. On n'a donc pas besoin de la condamnation de ces gens-là ! On aimerait en revanche qu'ils condamnent les textes qu'ils enseignent dans leurs mosquées et sur lesquels les terroristes se fondent pour perpétrer leurs crimes.
De même, on a vu des imams défiler à la télévision pour dire qu'il fallait laisser les femmes porter des burkinis, que le leur interdire était islamophobe. J'aurais aimé qu'un seul imam lève le doigt pour dire qu'il est tout à fait possible d'être musulmane et de porter un maillot de bain ! Or je n'ai entendu aucun d'entre eux le dire.
L'interlocuteur modéré est aussi un mythe. L'intention est très louable, mais pourquoi a-t-on besoin d'un interlocuteur qui s'exprime au nom de l'islam ? L'islam est un culte libre d'exercice en France, qui bénéficie de la liberté d'association, qui peut s'organiser en structures associatives, mais la République française ne doit jamais adouber un intermédiaire communautaire entre ses citoyens et elle-même.
Les Français de confession musulmane sont représentés par leurs élus, comme le reste des Français. Je m'oppose au principe même d'un intermédiaire communautaire entre les Français de confession musulmane et les instances républicaines, lesquelles doivent être d'une impartialité absolue et voir en chacun non pas un musulman, un juif ou un chrétien, mais simplement un Français.
Le ministère en charge des cultes doit à mon avis se contenter de veiller au respect de l'ordre public. Je rappelle que les cultes sont libres tant qu'ils n'enfreignent pas l'ordre public. Les questions cultuelles ou théoriques doivent rester dans l'espace qui leur est dédié.
Comme vous, je considère qu'il ne doit pas y avoir d'organisation de l'islam par l'État, compte tenu de la séparation de l'église et de l'État. Cela étant, l'absence de structuration entraîne des liens de dépendance avec des associations ou l'implication d'autres États. En France, la laïcité a été construite comme une rupture des liens de dépendance de la République avec l'Église.
Les religions et les pratiques évoluant, la laïcité, telle qu'elle a été conçue en 1905 - et qui diffère de celles d'autre pays, de celle de Kemal Atatürk par exemple -, doit-elle être maintenue ou doit-elle évoluer ?
Zineb El Rhazaoui. - La laïcité doit non seulement être la valeur refuge pour faire face aux défis que pose aujourd'hui l'islamisme, mais elle devra aussi nous protéger contre d'autres périls que pourraient peut-être constituer à l'avenir d'autres cultes ou d'autres idéologies.
La laïcité est un principe universel, non une croyance ou une idéologie. C'est une philosophie politique qui définit l'État français, héritier de la Révolution française et des valeurs des Lumières, État dans lequel les citoyens sont égaux face à la loi, à la République, quoi qu'ils pensent.
Il faut revenir à la notion même de liberté. Il n'existe qu'une seule liberté absolue : la liberté de conscience. Chacun a le droit de croire en ce qu'il veut. Les autres libertés ne sont pas absolues. La liberté d'expression est soumise à des règles. Il n'est ainsi pas possible de diffamer ou d'injurier quelqu'un. La liberté de culte n'est pas non plus une liberté absolue, elle est réglementée par la loi de 1905, qui est fondée sur les valeurs d'égalité et de fraternité. C'est ce qui permet à un Français d'être l'égal d'un autre Français. Je préfère ces valeurs à la promotion de l'oecuménisme et de la tolérance. La tolérance est pour moi le fruit du communautarisme. Le communautariste, s'il est tolérant, considère l'autre comme quelqu'un qui occupe l'espace adjacent. Seul l'universalisme à la française permet de considérer l'autre comme son égal, quand bien même notre foi ou notre conscience nous dit le contraire et nous convainc que nous sommes supérieurs par nature à l'ami imaginaire auquel nous croyons.
La laïcité est un principe philosophique valable face à l'islam. La religion musulmane n'a jamais connu l'épreuve de la laïcité. La laïcité d'Atatürk n'était pas la même que la laïcité française, car elle n'était pas l'héritière d'un processus démocratique et émancipateur des êtres humains. Atatürk n'était pas un démocrate, sa laïcité n'était pas fondée sur des valeurs d'égalité. Il s'agissait d'un processus de répression des expressions religieuses, qu'il considérait comme rétrogrades et qui empêchaient la modernisation de la nation turque.
La laïcité française s'est construite non pas contre la religion chrétienne, mais contre l'entrisme de l'Église, contre sa présence dans la politique, même si certains ont pu avoir à l'époque des velléités éradicatrices. C'est une expérience que la nation française a vécue, qu'elle doit conserver et dont elle doit se servir pour faire face à cette crise, tout en gardant à l'esprit que l'islam, lui, n'a pas connu la laïcité, la démocratie, l'émancipation, pas même l'individu, lequel est inexistant dans la foi islamique. C'est d'ailleurs pour cette raison que tous les États dans lesquels l'islam est une religion d'État, dans lesquels l'individu n'est pas émancipé, sont des États dictatoriaux ou totalitaires. Nous devons donc veiller en France à ce que nos valeurs priment sur les velléités communautaires. La singularité laïque est une chance non seulement pour nous, en France, mais pour le reste du monde, car les esprits libres du monde entier, surtout dans les pays musulmans, nous regardent et comptent sur nous. Ils savent que si le bastion laïque français s'effondre, il n'y aura plus d'endroits dans le monde pour des gens comme moi.
Nous sommes conscients d'avoir la chance de vivre dans un état laïque et de ne pas être soumis aux dictats d'un pouvoir religieux, la foi relevant de la sphère privée.
Nous nous sommes tous construits avec la laïcité, qui a toujours fait partie de notre quotidien, sans poser aucun problème. Si nous reparlons de la laïcité aujourd'hui, c'est parce qu'elle est la bête noire des islamistes. Nous devons résister et ne pas remettre en cause ce que nous avons difficilement construit. La laïcité est une chance pour tous les enfants de ce pays, elle leur permet de vivre avec des règles communes.
Ne pourrait-on pas imposer une charte de la laïcité à toutes les associations recevant des financements publics ? Qu'en pensez-vous ?
Zineb El Rhazaoui. - Ce serait souhaitable, mais j'ai malheureusement assez peu confiance lorsque je constate que la laïcité n'est même plus appliquée comme elle devrait l'être dans les services publics, dans les écoles, les hôpitaux. Si même le service public ne respecte pas ses obligations légales, sur qui les associations prendront-elles exemple ? Il faut mettre de l'argent là où il faut et être absolument intransigeants sur l'application de la laïcité par le service public.
Quand la boîte de Pandore a-t-elle été ouverte ? Est-ce avec la loi Debré, qui a permis de financer les écoles privées, confessionnelles, avec de l'argent public ? Nous faisons aujourd'hui un peu les frais de cette décision, mais toutes les entorses qui ont ensuite été faites à la laïcité, les unes après les autres, ont contribué à affaiblir cette valeur. Non seulement la laïcité n'est plus respectée par les associations aujourd'hui, mais en plus elle est décriée.
Il faut peut-être rappeler aux musulmans hostiles à la laïcité que c'est elle qui leur permet d'exercer leur culte librement en France, de ne pas être contraints de payer une dîme à l'État catholique pour construire des mosquées ou observer leur culte. La laïcité est faite aussi pour le culte musulman.
Toutes les attaques contre la laïcité me rappellent curieusement ce qu'a fait contre la démocratie la confrérie des Frères musulmans en Égypte au moment de sa naissance, démocratie que les esprits éclairés de la société égyptienne essayaient alors de promouvoir. Les Frères musulmans disaient qu'elle était une hérésie puisqu'elle était la volonté des hommes, alors que la volonté d'Allah prime, avant que, taqîya oblige, les islamistes se mettent à expliquer qu'ils sont finalement les plus grands démocrates. Des islamistes notoires détournent aujourd'hui la laïcité en évoquant ses bienfaits : elle permettrait le port du voile partout. Telle est la lecture qu'ils font de la laïcité. Nous devons donc faire preuve de la plus grande vigilance, l'idéologie islamiste ayant la faculté de pervertir les valeurs, qu'il s'agisse de la démocratie, des droits de l'homme, voire de notions antagonistes avec l'islam, comme le féminisme !
Il suffit d'ouvrir les yeux pour se rendre compte que les Français comme moi, et nous sommes très nombreux, sont vus comme des musulmans par les musulmans - je considère qu'est musulman celui qui se déclare comme tel - et que notre droit de vivre à la française est remis en question. Nous n'avons pas le droit de critiquer la foi de nos ancêtres, de boire du vin à midi lorsqu'on déjeune dans un quartier qui compte un peu trop d'islamistes, d'épouser quelqu'un de confession juive, de vivre en concubinage ou d'être homosexuel. Il s'agit là d'atteintes graves aux libertés d'une partie des Français - on nous appelle « les traites à la communauté » -, mais aussi de gens qui ne sont pas concernés par l'islam. Les exemples de violations et d'atteintes aux libertés des Français par l'islamisme se multiplient et montrent de façon très claire - c'est vraiment le mammouth au milieu de la pièce - qu'il y a une offensive contre la laïcité, mais également contre les valeurs françaises.
Je suis dans l'obligation de vous quitter, Mme la rapporteure va désormais conduire les débats, mais je vous remercie infiniment de votre franchise et de votre liberté de parole, qui vous valent aujourd'hui de vivre au quotidien avec un officier de sécurité.
- Présidence de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure -
Je suis quasiment d'accord avec tout ce que vous avez dit. Je précise que la laïcité est un combat de tous les jours. La France n'est pas devenue laïque comme par magie en 1905.
J'ajoute que nous avons encore aujourd'hui des conventions avec certains pays, comme le Maroc, la Bosnie ou la Pologne, qui prévoient que les personnes ayant la nationalité de ces pays sont assujetties à la loi de leur pays d'origine, lequel prime sur le droit français, même lorsque ces personnes vivent en France. Il a ainsi fallu aller jusqu'en cassation pour permettre un mariage franco-marocain entre personnes de même sexe. La laïcité, je le répète, est un combat.
Aujourd'hui, au nom de la liberté, on ne veut pas s'opposer, on doit laisser faire, mais, au nom de cette liberté, on porte atteinte à ma liberté. Certains se sont approprié cette liberté, au détriment de la liberté des autres. Face à l'islam politique, il faudra recaler les choses.
Zineb El Rhazaoui. - Absolument. C'est pour cela que j'ai rappelé tout à l'heure que seule la liberté de conscience est une liberté absolue. La liberté religieuse, dont on nous parle comme d'une valeur suprême, n'en est absolument pas une, ni du point de vue de la philosophie du droit, ni dans les textes français, la loi de 1905 prévoyant que l'État garantit la liberté de conscience et le libre exercice du culte tant qu'ils ne contreviennent pas à l'ordre public. En outre, les cultes autorisent parfois certains crimes. Les exemples sont nombreux dans l'islam, mais aussi dans d'autres cultes.
Vous avez écrit que la liberté de ne pas être libre n'existe pas. Pourriez-vous expliciter cette phrase ?
Zineb El Rhazaoui. - J'ai écrit cette phrase dans mon livre Détruire le fascisme islamique. L'idéologie islamique est indéniablement un fascisme selon moi, car elle en présente l'ensemble des caractéristiques : une vénération absolue du chef suprême, qui, dans l'islam, est immortel - on a bien vu ce qui est arrivé à ceux, mes collègues de Charlie Hebdo, qui se sont frottés à cette figure -, un drapeau, un prêt-à-parler, un uniforme, un bras armé - le terrorisme -, une haine farouche des arts et des intellectuels, un sexisme répressif contre les femmes et les homosexuels, un caractère victimaire. Je suis extrêmement vigilante sur ce dernier point en France, car tous les fascismes disent à leurs masses qu'elles sont des communautés opprimées qui doivent se relever avec véhémence et se battre pour leur dignité.
Dans ce livre, je réponds aux arguments des islamistes. L'un d'eux, que l'on entend beaucoup, c'est que le port du voile est une liberté. Or le voile est la négation de la liberté. Il n'est pas qu'un morceau de tissu, il implique un mode de vie : la non-mixité, l'interdiction faite aux femmes d'avoir certains comportements, comme élever le ton ou se rendre dans certains endroits. Je m'interroge philosophiquement sur la liberté de se soumettre à une condition servile. Je ne suis pas en train de dire que toutes les femmes voilées sont contraintes de le faire par une tierce personne, certaines le font de façon délibérée. Sur ce sujet, le mot le plus juste n'est pas de moi, il est d'une féministe algérienne, Wassyla Tamzali, pour qui « le voile n'est pas un choix, c'est un consentement ».
Cette audition a été extrêmement riche. Merci pour vos propos très francs, très clairs. C'est la liberté de penser et la liberté de parole qui vous valent aujourd'hui malheureusement d'être surveillée. L'État français se doit de vous protéger afin de protéger la liberté.
La réunion est close à 12 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.