Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Mme Nadia Remadna, fondatrice et présidente de la Brigade des mères. Madame, sur la base de votre expérience de terrain, nous souhaiterions connaître votre avis sur la recrudescence des demandes communautaristes dans les banlieues. Votre action nous apporte une note d'espoir, en montrant que nous pouvons lutter ensemble contre celles et ceux qui entendent nous diviser alors que nous n'avons pour seule ambition que de vivre ensemble.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Nadia Remadna prête serment.
Merci mesdames et messieurs les sénateurs. J'ai créé l'association la Brigade des mères en 2014 à Sevran, parallèlement à mes activités de travailleur social et d'éducatrice après le constat d'une radicalisation qui naissait dans notre ville. De nombreux jeunes de la ville de Sevran sont partis en Syrie.
Avant la création de la Brigade des mères, j'avais déjà alerté les services de l'éducation nationale sur des comportements anormaux, comme celui d'un surveillant faisant remarquer à des élèves de classe de troisième leur absence à la mosquée la veille. J'ai par ailleurs eu l'occasion de travailler avec ces services sur le dispositif Passerelle, qui concerne les exclus temporaires qui se trouvaient encadrés par des personnes tenant un discours coranique et non pas éducatif. Ce discours reposait sur la victimisation et s'opposait à celui du gouvernement.
Dans le cadre de la politique de la ville, j'avais également interpelé le maire de Sevran et fait part de mon inquiétude quant à cet encadrement par des personnes radicalisées. J'avais également été interpelée par les personnels des services municipaux chargés de la jeunesse. J'avais été choquée de constater que l'État ait pu signer une convention avec certaines associations dont l'objet est d'encadrer nos jeunes. Dans un nombre important de ces associations, les fillettes étaient voilées. À certaines qui souhaitaient pratiquer une activité sportive, j'avais proposé la participation d'un ami. Le directeur du service m'a alors convoquée et indiqué que cet ami ne pouvait assurer ce rôle, simplement parce qu'il s'agissait d'un homme. Que l'État enferme les personnes dans un rôle de victimes est très choquant.
La situation s'est profondément aggravée après les élections municipales de 2014. J'ai ainsi vu certains élus de la République participer à des iftars pendant un mois. Ils s'installaient alors en bas des immeubles, dans des chapiteaux, où les hommes étaient invités à rompre le jeûne avec la population tous les soirs. Les femmes et jeunes filles étaient exclues de cette initiative lancée par les imams, mais les élus et les financeurs étaient invités. Les familles musulmanes non pratiquantes se voyaient ainsi imposer par l'État de se soumettre à la pratique religieuse. En tant que travailleuse sociale, lorsque j'accompagnais les jeunes et leur parlais de l'école et de la connaissance, la seule réponse était d'inspiration coranique. Des moyens ont ensuite été mobilisés contre la radicalisation. J'ai néanmoins participé à des formations de référents laïques qui étaient, pour certaines, de simples présentations de l'histoire du prophète Mahomet. Il n'a jamais été question de la République, de la Nation, de l'école ou du savoir. Cette situation a empiré à la suite des attentats de 2015.
Mon inquiétude est la suivante : notre association a été menacée plusieurs fois, non par les habitants, que nous connaissons, mais par des élus de la République, qui nous ont indiqué que notre association dérangeait. Nos locaux ont été cédés à des associations islamiques.
J'ai travaillé au service centre communal d'action sociale de la ville de Tremblay-en-France où j'ai vu un professionnel orienter parfois le public vers des imams, excluant ainsi les travailleurs sociaux du dispositif. Que faire quand l'État ne parvient plus à protéger ses citoyens ? Nous avons été menacés de mort et avons dû changer de lieu à plusieurs reprises. Je me suis battue pour être libre en Algérie, et je me bats à nouveau ici.
Vous l'avez rappelé, ce phénomène n'est pas récent. Pensez-vous qu'aujourd'hui, la prise de conscience a évolué ? Pourrait-elle inverser la tendance ?
Les personnes conscientes du problème ne sont pas écoutées et leurs détracteurs sont beaucoup plus nombreux. Si nous ne réglons pas le problème localement, nous y parviendrons encore moins au niveau national. Les maires devraient être inspectés et sanctionnés au même titre que les personnels de l'éducation nationale. Si un élu ne respecte pas la loi, comment les travailleurs sociaux peuvent-ils convaincre les jeunes de le faire ?
Je souhaiterais vous remercier et vous féliciter pour votre courage. Je me souviens très bien de l'audition que nous avions conduite dans le cadre d'une commission d'enquête précédente. Vous aviez indiqué qu'il était très difficile de faire marche arrière, la pression du radicalisme islamiste pesant partout. Les filles, notamment, sont contraintes de se plier à ces règles. Avez-vous aujourd'hui le sentiment que cette situation s'aggrave, et à quel rythme ?
La situation est inquiétante. Depuis les attentats de 2015, malheureusement et en dépit des actions entreprises, elle empire.
Je connais des personnes qui se sont radicalisées. On peut citer le cas des berbères, qui ne sont pas arabophones et, par conséquent, sont victimes d'arabisation. L'arabisation d'enfants âgés de huit à neuf ans, notamment, n'est pas dispensée dans leur langue maternelle mais provient d'une pratique venue de l'Arabie saoudite ou d'autres pays.
Dans le Maghreb où existent de nombreux dialectes, Les jeunes doivent aujourd'hui parler un arabe coranique. Ces jeunes sont ensuite amenés à radicaliser leurs parents et grands-parents. Par exemple, un jeune garçon âgé de huit ans a indiqué à sa grand-mère qu'elle priait mal. Il avait entendu ces mots à l'occasion de cours d'arabe. Lorsque je demande à certains pourquoi ils ne sont pas au collège en journée, ils me répondent qu'ils souhaitent faire le djihad lorsqu'ils seront plus âgés, estimant qu'il s'agit de leur devoir. Certains parents sont en admiration face au discours de ces enfants.
Je souhaitais aborder un point qui m'inquiète beaucoup, et que votre département de Seine-Saint-Denis illustre : celui du voilement des petites filles. Nous ne pouvons traverser ce département sans voir un nombre impressionnant de filles voilées. Ce phénomène est plutôt récent.
Quelle est votre analyse de ce constat ? De nombreuses petites filles dont les parents viennent d'Afrique subsaharienne sont concernées et n'ont pas de vie sociale.
L'épidémie de covid-19 nous a imposé des masques et une distanciation sociale. Je crains que certains en profitent pour imposer une régression de la condition de la femme dans notre société. Quel est votre avis sur cette question ?
Je suis tout à fait d'accord concernant le coronavirus.
Les jeunes filles voilées sont effectivement de plus en plus nombreuses. Des cours d'arabe ont été mis en place le week-end, qui sont en réalité des cours coraniques. Or les jeunes filles ont l'obligation de se voiler pour y assister. De plus, lors de l'inscription, les mères de ces filles ne peuvent pas rencontrer l'enseignant de ces cours coraniques.
Ces personnes cherchent à conquérir le terrain. Certaines sont parvenues à devenir élus de la République ou ont des postes importants. Ils recherchent avant tout la radicalisation de la jeunesse.
Ces sujets sont spécifiques à certains points de notre territoire mais ne doivent être sous-estimés. Ce qui était peu visible il y a quelques années l'est beaucoup plus aujourd'hui.
Auriez-vous des propositions concrètes que nous pourrions intégrer dans notre rapport ?
Il faudrait d'abord responsabiliser les élus locaux qui ne respectent pas les lois et inspecter les personnes chargées d'encadrer nos enfants. Mais qui pourrait réaliser ces inspections ?
Par ailleurs, l'école ne doit pas être un sujet tabou. Nous devons être en mesure de parler de radicalisation, comme nous parlons de femmes victimes de violences conjugales, de délinquance et de drogue. Par exemple, la manifestation contre l'islamophobie de novembre 2019 me semble être une honte pour notre République. Elle m'a rappelé les années 1990 en Algérie, où un dirigeant islamiste avait commencé à convertir des jeunes dans la rue. Cette montée de la radicalisation s'explique par l'encouragement de l'Etat, qui est pourtant censé nous protéger. Il faut un courage politique. Nous avons le devoir, en tant que citoyens, de respecter la Convention internationale des droits de l'enfant et de protéger nos enfants. Si l'État ne le fait pas, que pouvons-nous faire ? Aujourd'hui, nous avons dans les quartiers des ennemis de la République et des personnes parties en Syrie. Certains n'utilisent que le Coran et considèrent que la France est raciste. Malheureusement, cette pensée est rentrée dans les foyers.
L'intitulé de notre commission comporte « les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation ». Pour vous, celles-ci ne sont pas à la hauteur de ce défi. Vous conseillez d'intervenir au niveau des collectivités locales et de conduire des inspections. Que pensez-vous du rôle du Conseil français du culte musulman ? Il s'agit en effet de la plus haute autorité partenaire des autorités de l'État en la matière, qui semble considérer la radicalisation comme un sujet marginal. Les discours officiels des autorités musulmanes sont très éloignés de vos constats.
Je connais effectivement bien ces personnes, pour les avoir rencontrées. Les discussions avec elles reposent sur une volonté de négocier et de ne pas dramatiser la situation. Je considère qu'il n'est pas possible de parler d'islam de France au vu des événements survenus en Algérie et ailleurs. Nous savons que la radicalisation existe et qu'elle progresse. Mon discours, et celui d'autres personnes, n'est pas rassurant, mais s'appuie sur la réalité. Les personnes qui revendiquent un islam de France embellissent la situation. Il s'agit non pas d'éducateurs mais de religieux. Leur réponse n'apparaît dès lors pas dramatisante. Tareq Oubrou, par exemple, a un discours politisé.
J'ai rencontré Emmanuel Macron avant son élection à la présidence de la République et lui ai parlé de la situation des quartiers. J'ai eu le sentiment que nous ne vivions pas dans le même pays. Nous n'avons pas à parler d'islam de France, mais de la République, de l'école et de notre jeunesse. Nous négocions actuellement avec ces personnes. J'ai également travaillé avec Mohammed Chirani, ancien délégué du préfet et qui avait créé une association « Parlez-moi d'islam ». Si l'islam n'est pas problématique, comment expliquer qu'en Algérie, les jeunes filles qui ne portaient pas le foulard ont vu leur visage brûlé à l'acide ? Comment expliquer ce que nous avons vécu en France ? La radicalisation ne sera pas vaincue en négociant et en acceptant l'islam de France. Nous nous ferons alors d'autres ennemis, notamment l'extrême-droite.
Merci, madame, de votre témoignage, qui complétera notre réflexion pour construire ensemble, dans la diversité et dans la République. Bon courage dans votre combat.
La réunion est close à 11 h 50.