Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 21 octobre 2020 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

Nous sommes réunis ce matin pour auditionner Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), en application des dispositions d'une loi simple et d'une loi organique du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Comme le prévoit cet article, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur cette nomination.

Aux termes de l'article 19 bis du règlement du Sénat, cet avis est précédé d'une audition publique. À l'issue de cette audition, nous nous prononcerons par un vote à bulletins secrets, sans délégation de vote. La commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a entendu M. Coulhon un peu plus tôt ce matin. Le vote et le dépouillement des deux scrutins auront lieu simultanément dans les deux Chambres à l'issue de notre audition.

Le Président de la République ne pourrait procéder à la nomination envisagée si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Je vous rappelle que le Hcéres, créé en 2013, est une autorité administrative indépendante (AAI), chargée d'évaluer l'ensemble des structures de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que les formations et diplômes de l'enseignement supérieur. Par ses analyses, ses évaluations et ses recommandations, le Hcéres accompagne et soutient la démarche d'amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche en France.

Cette audition intervient alors que nous avons examiné la semaine dernière en commission le projet de loi de programmation de la recherche (LPR), dont plusieurs dispositions renforcent les missions du Hcéres. Nous aurons l'occasion de débattre du texte en séance à compter de jeudi prochain.

Je vais demander à M. Thierry Coulhon de se présenter et de nous exposer les projets qui seraient les siens en tant que président de cette instance. Je donnerai ensuite la parole successivement à nos rapporteurs budgétaires pour l'enseignement supérieur - M. Stéphane Piednoir - et la recherche - Mme Laure Darcos -, aux orateurs des groupes, et aux autres membres de la commission qui souhaiteront s'exprimer.

Debut de section - Permalien
Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Permettez-moi de présenter mon parcours avant de résumer le projet que je propose pour le Hcéres. Je suis né dans une famille de la classe moyenne de province, où l'on n'avait pas le bac. J'ai été aspiré par le système scolaire jusqu'à l'École polytechnique, mais le sentiment de rouler sur des rails que je n'avais pas choisis m'a amené à en démissionner pour aller étudier la philosophie et les mathématiques à l'Université, à Clermont-Ferrand puis à Paris. J'ai débuté une carrière universitaire en mathématiques pures comme assistant à l'Université Pierre et Marie Curie, avant d'être nommé professeur dans une université nouvelle de banlieue, issue du plan Université 2000 porté par Lionel Jospin et Claude Allègre, à Cergy-Pontoise. J'y ai passé quinze ans.

Je voudrais insister sur cette expérience, car il s'agissait d'une université ancrée dans son territoire, à forte vocation de professionnalisation et d'ouverture sociale, mais qui avait aussi de grandes ambitions dans plusieurs domaines de recherche, en particulier les mathématiques et l'économie. Les personnels y étaient, et sont toujours, très engagés dans leur mission est très unis autour du projet. J'y ai connu d'une part l'essor de ma carrière de recherche, en publiant et en voyageant beaucoup, d'autre part l'épanouissement que peuvent procurer les projets collectifs, puisque j'ai été élu président, après avoir assumé plusieurs missions d'intérêt général. J'ai été élu vice-président de la Conférence des présidents d'universités (CPU) au moment où la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU) se négociait. J'en ai suivi la mise en oeuvre auprès de la ministre Valérie Pécresse comme conseiller spécial, puis comme directeur adjoint du cabinet.

J'ai été engagé comme directeur du programme Centre d'excellence dans l'entreprise des investissements d'avenir, dont l'une des traductions, dix ans plus tard, est la constitution de deux superbes ensembles universitaires sur le plateau de Saclay : l'Université Paris-Saclay et l'Institut polytechnique de Paris, qui transcendent l'antique division entre universités et grandes écoles, tout en préservant la richesse des deux systèmes. Le succès éclatant de l'Université Paris-Saclay dans le classement de Shanghai n'est qu'un signe de ce qui peut s'accomplir là-bas, qu'il s'agisse de calcul quantique, de neurosciences ou d'intelligence artificielle.

J'ai ensuite été recruté par l'Australian National University à Canberra, dont j'ai dirigé pendant deux ans et demi l'Institut de mathématiques. Je suis rentré en France pour présider l'Université Paris Sciences et Lettres (PSL), construite autour de l'École normale supérieure, de l'Université Paris-Dauphine, de l'École des mines de Paris, de l'École pratique des hautes études et de plusieurs autres établissements très prestigieux. Il s'agit de l'une des grandes universités de recherche qui nous permettent d'espérer remettre notre pays à la place qu'il mérite dans le concert mondial de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'y ai vu des initiatives magnifiques, comme un premier cycle d'excellence comportant 50 % de boursiers, le doctorat sciences, arts et création, avec les écoles d'art, ou des programmes sur l'origine de la vie, ou encore le programme Scripta sur l'origine de l'écrit. C'est aussi l'institution qui nous a permis de faire revenir en France le prix Nobel Esther Duflo, espérons pour longtemps.

Enfin, depuis trois ans, je suis conseiller pour l'éducation, l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation à la Présidence de la République, et je n'ai pas eu l'impression de perdre le fil de mes préoccupations de toujours dans cette fonction.

Je voudrais insister sur le fait que, si mon activité de recherche a évidemment une intensité variable au gré de mes responsabilités, je suis encore actif, et j'en tire de grandes satisfactions. J'ai publié environ 70 articles dans des revues internationales à comité de lecture, qui ont été cités environ 2 500 fois. Surtout, je pense avoir apporté une contribution substantielle à certains aspects de l'analyse géométrique contemporaine. J'essaie encore d'aborder les sujets nouveaux pour moi : je termine avec un collaborateur australien un livre sur l'effet régularisant des semi-groupes d'opérateurs non linéaires.

J'ai par ailleurs gardé de mes années d'études, de mes lectures en philosophie et de mes deux présidences d'établissements pluridisciplinaires, un intérêt soutenu pour la variété des disciplines, et en particulier pour le champ des sciences humaines et sociales. Il n'y a pas de crise ou de grande transition, dans une société d'aujourd'hui, qu'on puisse traiter sans des sciences humaines et sociales fortes. Pendant toutes ces années, j'ai pensé, éprouvé concrètement et, à l'occasion, affirmé publiquement, que l'évaluation était un facteur crucial de progression de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. Je voudrais vous dire comment je la conçois.

L'enseignement supérieur et la recherche doivent être plus que jamais au coeur de nos préoccupations collectives, pour au moins deux raisons. D'abord, il est nécessaire de former les jeunes, mais aussi les adultes, non plus à des qualifications fixées une bonne fois pour toutes et valables pour toute leur vie professionnelle, mais à la possibilité de se qualifier et de se requalifier toute leur vie durant - c'est une définition possible de l'enseignement supérieur. Puis, si nous voulons surmonter les crises et les transitions, nos économies vont devoir devenir de plus en plus des économies de l'innovation, donc se fonder sur la recherche. C'est là une formulation dans un langage socio-économique, tout particulièrement impérieuse en temps de crise ou de relance, mais on pourrait la formuler en termes sociétaux et environnementaux : il s'agit à bien des égards d'une affaire de souveraineté.

Il est tout aussi clair qu'en matière de formation et de recherche, la qualité compte au moins autant que la quantité. J'aime à rappeler qu'un des plus grands mathématiciens du XXème siècle, Peter Lax, a publié seulement une quinzaine d'articles - mais chacun d'eux ouvre un monde. Les moyens, si importants soient-ils, sont toujours limités : il faut donc faire des choix, basés sur une évaluation objective de la qualité des activités conduites, et mettre en place des démarches qui visent à l'améliorer.

Cette évaluation a posteriori est d'autant plus nécessaire que nous sommes dans un système qui n'est pas, comme dans d'autres pays, régulé par le marché des étudiants et des enseignants-chercheurs, où l'essentiel des ressources est apporté par l'État, et où les acteurs, universités, écoles et organismes de recherche, sont largement autonomes, même dans le cadre de leur mission de service public. Une telle évaluation, souhaitable pour toute politique publique, nécessite une méthodologie rigoureuse et transparente, et ne peut évidemment se résumer à une auto- évaluation. Dans le contexte universitaire, elle se doit de respecter aussi deux principes fondamentaux : la liberté académique, et le fait que le seul jugement valide est celui qui est formulé par les pairs.

C'est ce qui a conduit des grands pays scientifiques à créer des agences, issues de la communauté scientifique, mais bénéficiant d'une forme d'extériorité par rapport à elle, chargées d'évaluer sans pression extérieure les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche. Coupler autonomie et évaluation a posteriori, c'est évidemment un grand progrès par rapport au cadre rigide et a priori que nous avons connu il n'y a pas si longtemps.

La France, sous l'impulsion initiale de Laurent Schwartz, dans son livre de 1983 intitulé Pour sauver l'Université, a mis en place par étapes, et en suivant une courbe d'apprentissage, un tel dispositif, à travers le Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNÉ). Nous disposons désormais, depuis plusieurs années, d'une agence aux procédures bien établies, rigoureuse, professionnelle, et aux standards internationaux, qui rythme la vie universitaire au gré des vagues quinquennales d'évaluation et de contractualisation, et qui produit des rapports dont le contenu est très largement reconnu et accepté. C'est un acquis précieux, qui devrait être défendu par tous ceux qui déplorent notre dépendance à l'égard des classements internationaux. Le fait qu'après dix ans d'efforts et d'investissements, les plus brillantes de nos institutions aient récemment commencé à y figurer aux premières places ne doit pas nous dispenser de porter notre propre regard sur l'ensemble de nos activités d'enseignement supérieur et de recherche.

Néanmoins, le mandat du président et du collège du Hcéres en cours de désignation doit être l'occasion d'un certain nombre d'évolutions. Je voudrais, pour les envisager, repartir d'un certain nombre de principes. Le Hcéres évalue les établissements, les unités de recherche et les formations - pas les individus. On oublie souvent les établissements et la formation pour se concentrer sur la recherche. Il est pourtant crucial de se demander si les établissements autonomes accomplissent leur mission de service public dans toutes ses dimensions, et en particulier si l'enseignement qui leur est dispensé est profitable aux étudiants : nous avons une fâcheuse tendance à oublier que nos étudiants sont au centre du système. Ce sont clairement des axes de travail à continuer de consolider.

Le Hcéres, qui a les moyens d'une vision globale, doit pouvoir contribuer de façon transversale à l'évaluation des politiques de formation : que l'on pense par exemple aux effets de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), ou à la réforme des études de santé. L'évaluation par les pairs, professionnelle et impartiale, est depuis toujours consubstantielle à l'activité de recherche, et plus généralement à l'activité académique. Néanmoins, c'est une démarche qui réclame prudence, scrupules et discernement : qui peut juger à coup sûr de l'avenir et de la portée d'une découverte ? Il faut laisser les chercheurs prendre des risques, explorer des voies nouvelles et tracer leur chemin. J'ai toujours présent à l'esprit le cas de mon ami Jacques Laskar qui, ayant montré que le système solaire était instable, s'était entendu répondre par des hiérarques que, si c'était vrai, cela se saurait !

Dans le temps long, et avec les précautions nécessaires, il est possible de faire des paris raisonnables et de distinguer l'excellent et l'innovant du routinier ou du conformiste. En particulier, l'évaluation de la recherche ne saurait se résumer à l'application d'un algorithme ni être purement quantitative. Elle doit s'adapter à la variété des pratiques disciplinaires. Je pense évidemment aux sciences humaines et sociales, dont les modes de production et de diffusion ne ressortissent pas principalement de la publication dans des revues, mais où la maturation est plus longue et où le vrai impact est le livre.

Les procédures objectives, transparentes et impartiales dont le Hcéres est le garant - je rappelle que ni le Hcéres, ni bien sûr son président, n'évalue rien directement, mais confie ce soin à des experts français ou internationaux reconnus - ne sont en rien incompatibles avec une empathie avec le savoir dans sa variété. Cette variété, cette ouverture à la communauté scientifique, le Hcéres doit l'incarner dans ses instances, dans ses procédures, dans son collège.

Il est important de maintenir une distinction stricte entre l'évaluation et la décision, c'est-à-dire entre les responsabilités du Hcéres d'une part, des établissements et des tutelles, d'autre part. Le métier de l'évaluateur est d'établir une photographie aussi fidèle que possible de l'existant. Mais, in fine, c'est le ministère qui est amené à allouer les moyens et à répartir les budgets entre des établissements autonomes, qui déterminent leur propre stratégie. Cette répartition peut se faire à la taille, à la réputation, à l'influence, à l'héritage. La tentation est grande de procéder par simple reconduction et adaptations à la marge. Qui peut contester que cette répartition gagne à être informée par l'avis structuré des pairs ? Cela ne dépossède en rien le politique de sa responsabilité que de décider en connaissance de cause. Il peut légitimement décider de soutenir encore plus ceux qui réussissent, pour pousser leur avantage compétitif et l'attractivité du pays. Il peut tout aussi légitimement décider, tout bien pesé, de soutenir des secteurs plus en difficulté parce qu'ils sont stratégiques ou n'ont pas eu les moyens nécessaires pour décoller. Mais cela ne peut se faire les yeux fermés ou en jetant un voile pudique sur les réalités.

L'évaluation suscite craintes et réticences. C'est paradoxal dans un pays qui s'enorgueillit d'une telle tradition universitaire. Et il est frappant de constater que ces réticences reposent largement sur des contresens. Si elle est conduite suivant des procédures transparentes et collégiales, l'évaluation n'est pourtant pas plus une limitation à la liberté de chercher et d'enseigner que les procédures collectives de recrutement et de promotion par les pairs, auxquelles les universitaires sont attachés. Cette réticence s'apparente, comme souvent en France, à un manque de confiance en soi. Sous-peser, objectivement et collectivement, la qualité de ce qui est fait, c'est la plupart du temps valoriser ce qui est trop peu connu.

Pour être acceptée, l'évaluation, qui prend du temps et de l'énergie, doit apporter de la valeur aux établissements, au ministère, et plus généralement aux parties prenantes que sont le Parlement, les collectivités territoriales et les territoires, en particulier les régions et les métropoles, ainsi que les acteurs de la société en général, en les aidant à prendre des décisions qui améliorent la qualité globale du système, ou en leur donnant des repères sur un monde universitaire qu'ils ne demandent qu'à accompagner, mais dont la complexité les effraie.

En conséquence, une attention toute particulière doit être portée à la lisibilité et à la concision des rapports. On peut imaginer que les rapports du Hcéres soient lus à l'étranger. Cela adviendra d'autant plus que, réciproquement, le Hcéres sera sollicité, comme il l'est déjà, pour évaluer des institutions étrangères de plus en plus prestigieuses, et portera ainsi à l'international la qualité de nos institutions.

Mais, pour être acceptée, l'évaluation doit aussi être simple. Dans leur grande majorité, nos collègues ne contestent pas la nécessité d'être évalués et d'évaluer. Ils renâclent devant le fait de répéter les mêmes informations dans des formulaires toujours différents pour leur université, leur organisme de recherche, le Conseil national des universités, l'Agence nationale de la recherche, l'Europe, et le Hcéres. Nous ne changerons pas l'écosystème en un jour, mais il faut faire une obsession de la simplification et du gain de temps pour les chercheurs, pour les enseignants et pour ceux qui acceptent des tâches administratives. C'est une question de volonté politique, c'est aussi une question de simplification des procédures et des systèmes d'information, et de lutte contre les redondances.

Le Hcéres abrite deux institutions, qui ressortissent de métiers qui ne coïncident pas exactement avec le métier de l'évaluation, mais dont les rôles sont centraux pour l'évolution de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. L'Observatoire des sciences et techniques (OST), qui produit des données agrégées rigoureuses, par établissement et par discipline, permet de se former un tableau exact et panoptique du positionnement international de la France et de ses institutions scientifiques dans les différents sujets. Je suggère d'ailleurs qu'on étudie la mise en place d'un Observatoire de l'enseignement supérieur qui, symétriquement, étudierait de façon transversale l'évolution de notre offre de formation et de la demande, des étudiants d'une part, du marché de l'emploi d'autre part. Cet Observatoire prêterait une attention toute particulière aux flux d'étudiants à tous les niveaux et à la couverture territoriale de l'offre. Ce serait un excellent instrument pour objectiver les avancées de l'égalité femmes-hommes et de l'ouverture sociale. Ces deux observatoires fourniraient le socle de données objectives sur lesquelles le Hcéres appuierait les synthèses nationales par discipline dont il a déjà montré d'excellents exemples.

L'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS), lui, s'attaque à un sujet, l'intégrité scientifique, dont l'importance a justement été soulignée par Pierre Corvol il y a déjà quelques années et dont l'actualité ne cesse de nous rappeler qu'il est crucial. Il s'agit de bien plus que d'écarts de conduite et de responsabilité individuelle, et de rien de moins que des règles de validité que la science se donne à elle-même et, partant, de la confiance que le citoyen, met dans la science et les scientifiques. L'OFIS doit animer un réseau de référents « intégrité scientifique » dans les universités et les organismes. Là aussi, rien ne serait pire que le déni de réalité, et la norme ne peut être créée que de façon collégiale. Mais elle doit être explicite.

Le Hcéres doit s'honorer d'avoir été chargé de ces deux missions, et faire en sorte de disposer des compétences nécessaires pour les assurer et les mettre en avant dans l'espace public. Son organisation ne doit pas être figée. Ses départements doivent fonctionner de manière plus intégrée, et leur géométrie peut-être questionnée. Sa gestion doit être rendue plus rigoureuse, surtout s'il doit acquérir la personnalité morale. L'attention portée à l'évalué et à son temps doit se traduire par un fonctionnement plus efficace et moins bureaucratique.

Enfin, l'indépendance du Hcéres doit être confortée. Vous êtes en d'ailleurs en train de vous prononcer sur l'opportunité de la renforcer. Comme AAI, que la loi pourrait transformer en autorité publique indépendante (API), il ne rapporte qu'au Parlement. Cette relation doit être rendue plus effective et, si je suis désigné, je me tiens à votre disposition pour vous rendre compte régulièrement de l'activité et des résultats du Hcéres.

J'ai conscience des défis internes et externes devant lesquels se trouve le Hcéres. Je me sens capable de les relever. Je suis un scientifique toujours actif et reconnu. J'ai été élu à la tête de deux universités très différentes. J'ai exercé des responsabilités scientifiques et administratives à l'étranger. J'ai, par deux fois, rejoint un cabinet, et contribué à l'entreprise d'investissements d'avenir. J'ai gagné dans ce parcours, je crois, une vision d'ensemble du système, de sa complexité, mais aussi de ce qu'il porte en lui de promesses.

Au passage, j'ai attiré des critiques. Certaines ont porté sur un processus de nomination qui n'était pas inscrit dans les textes et que vous vous disposez à y faire entrer. Je suis convaincu que ces critiques traduisent une angoisse et une incompréhension profonde du milieu, qu'il faut entendre, dont il faut comprendre les causes, car elles vont bien au-delà des questions de moyens, et qu'il faut traiter, en lui parlant directement et en lui redonnant de la confiance. Cela ne me fait pas peur. Au cours de ma carrière, il ne m'a jamais été difficile d'ouvrir le dialogue avec ceux qui portaient des points de vue différents. L'Université peut mourir de l'absence de débat, elle ne mourra pas de la confrontation argumentée des points de vue.

Dans ce nouveau rôle si vous me le confiez, je ne devrai plus être porteur d'un modèle, pas plus celui des universités ancrées dans leur territoire, que j'ai bien connu, que celui des grandes universités de recherche auquel j'ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle. La qualité devra être recherchée sans complaisance, mais sans a priori, à toutes les échelles et dans tous les compartiments.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Piednoir

Je suis sensible, évidemment, à votre formation scientifique, et mathématique en particulier, et je vous inviterai volontiers à échanger davantage sur les semi-groupes d'opérateurs linéaires... Votre exposé, en tous cas, révèle votre parfaite connaissance du monde de la recherche et de l'enseignement supérieur. Au coeur de l'exécutif, vous avez suivi aussi les discussions et les échanges préalables au sujet de la LPR. Les missions futures du Hcéres ont vocation à être valorisées, et les auditions que j'ai menées avec Mme Laure Darcos ont révélé le besoin de redéfinir une granulométrie plus juste de l'évaluation, pour éviter un phénomène de cumul d'évaluations que l'on observe, et qui est sans doute l'un des facteurs de la réticence que vous avez évoquée. La présidente par intérim de Hcéres a aussi attiré notre attention sur la nécessité pour celui-ci de pouvoir recueillir des données qui soient bien certifiées par les établissements. Comment, d'après vous, encourager cette démarche de certification auprès des établissements ? C'est indispensable pour faire des évaluations fiables. Sur le modèle de ce qui se fait dans beaucoup de pays étrangers, le Hcéres pourrait développer une mission d'évaluation de l'impact de la recherche et de l'enseignement supérieur dans les territoires. D'ailleurs, lors de la discussion de la LPR la semaine prochaine, un amendement ira dans ce sens, car il faut valoriser davantage cet impact dans les territoires, en termes de création de savoir et de richesse.

Debut de section - Permalien
Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Vous m'interrogez sur l'évolution des missions du Hcéres et sur la manière dont il va les assumer. Des réticences ? Le champ du Hcéres n'a cessé de s'étendre et en réalité, sur le fond, il a été de plus en plus accepté : il évalue aujourd'hui des établissements de santé et de culture, et d'autres ministères lui demandent de procéder à cette extension, ce qui l'amène à étendre le champ de ses compétences, mais le surcharge.

Du point de vue de l'évalué, la rigueur dans les procédures est terrible, qui fait qu'il y a un comité d'évaluation pour chaque unité de recherche, pour chaque ensemble de formation et pour chaque établissement. Ainsi, à Aix-Marseille Université, près de 200 comités d'évaluation ont eu lieu. C'est un temps fou et une énergie considérable qui y sont consacrés. Comment faire ? Des sondages, des échantillonnages, pour changer la granulométrie, effectivement, doivent être expérimentés. Il faut discuter avec les établissements, essayer des choses, pour ne pas renoncer au triptyque établissements-recherche-formation. Nous pouvons aussi faire davantage interagir les établissements dans la structure du Hcéres, sans, du coup, soulever chaque pierre pour voir ce qu'il y a dessous. On peut procéder parfois plus globalement, parfois à plus petite échelle ou par échantillonnage. La question de l'accumulation fait penser à la nouvelle de Borges, où la carte est aussi grande que l'empire...

Oui, il y a la question de l'acquisition des données, qui concerne autant le ministère que le Hcéres. C'est aussi une question de tuyauterie, et de compatibilité de différents systèmes d'information. Il y a toujours eu des difficultés avec les systèmes d'information et la remontée de données. Pour les traiter, l'idée que vous avancez est bonne - encore faudra-t-il la mettre en oeuvre de manière efficace et rapide.

Nous avons besoin de savoir des choses sur le devenir des étudiants, sur leur circulation entre les territoires, sur l'ouverture sociale, mais il ne faut pas s'imaginer que le Hcéres peut se transformer en un algorithme. S'il réclame du budget pour accroître ses ressources humaines, c'est parce qu'il procède à des évaluations collégiales. J'ai vu fonctionner d'autres systèmes, et je pense qu'il faut maintenir cet aspect. Les données ont leur importance, mais elles ne sont pas seules à compter : il n'y a pas que le nombre de publications, ou de citations, il faut un jugement interprétatif par les pairs.

Sur les territoires, je dois confesser une évolution personnelle. J'ai été élevé au moment où l'on ne pensait que métropolisation et concentration des moyens de recherche sur quelques grands centres. Je continue à penser qu'il faut constituer de grands champions internationaux, et nous avons fait de grands progrès sur ce point. Lyon, Toulouse sont des métropoles qui doivent avoir une empreinte internationale, et nous devons les aider à structurer leur offre universitaire. À cette époque, l'abomination de la désolation, c'était l'antenne d'Institut universitaire technologique dont on savait qu'on aurait du mal à la faire vivre. J'ai beaucoup évolué, et j'ai compris qu'il y a aussi une question d'offre sur le territoire, en particulier pour l'offre de premier cycle et professionnalisante. On doit pouvoir poser cette question et trouver un équilibre avec des métropoles où se concentrent les moyens de la recherche internationale, mais qui peuvent irriguer des territoires. Certaines universités de taille moyenne sont ancrées dans leur territoire et ont une production de qualité. Une des missions du Hcéres est de développer une vision à la fois plus claire de l'offre et des circulations, tout en appréciant la qualité des ensembles de taille moyenne ou petite.

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

Je souhaite vous poser quelques questions sur le projet de LPR, qui va doter le Hcéres de la personnalité morale. Qu'attendez-vous de ce nouveau statut juridique ? Le Hcéres devra aussi évaluer les mesures prises par les établissements de recherche et d'enseignement supérieur en faveur de l'égalité femmes-hommes. Comment envisagez-vous concrètement de le faire ? Nous voudrions ajouter dans la LPR la possibilité d'évaluer aussi la diffusion de la culture scientifique par les établissements. C'est très important, et très attendu, à la fois par la société toute entière et par le monde de la recherche.

Debut de section - Permalien
Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Le passage d'AAI à API revêt deux dimensions. Il y a l'aspect symbolique et institutionnel de l'indépendance qui a son importance. J'ai connu une époque où, au ministère, il y avait l'étage du cabinet, puis celui du directeur général de la recherche et, en dessous, la mission scientifique, technique et pédagogique, qui était une espèce d'ancêtre du Hcéres. Il était clair qu'il y avait une ligne directe, quelle que soit la qualité - réelle - des personnes concernées... Il n'y avait pas de distinction entre l'évaluation et la décision. L'histoire, les expériences, l'évolution internationale aussi, tout nous mène vers ce type d'indépendance. Le CNÉ était déjà une institution indépendante : il était dans le même bâtiment, mais avec une autre entrée. Le Hcéres a beaucoup progressé de ce point de vue, mais les moyens, les personnels sont gérés par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle. Il y a donc une discussion entre le président du Hcéres et le ministère. Il est sans doute plus sain, en termes de gestion, d'être responsable de son budget, de le voter avec le collège, et d'en rendre compte au Parlement, sans que ce budget soit une fraction de deux programmes.

Ce qu'on peut attendre de la transformation en API, c'est un impact sur les ressources propres. Il est naturel que le Hcéres évalue des systèmes étrangers. Mais on ne voit pas très bien pourquoi le contribuable français financerait ce travail. Il est plus sain que ces ressources propres figurent dans le budget d'une AAI, plutôt que de passer par la tuyauterie compliquée des services du ministère.

Sur l'égalité femmes-hommes, le constat est difficile à faire. En ce qui concerne la présence des femmes dans les sciences, on ne comprend pas encore tout. Dans les représentations, dans les parcours, il y a des blocages, dont on voit des causes, sans les comprendre toutes. Sur ce point, les sciences sociales peuvent nous aider. Une fois de plus, le Hcéres doit faire de la photographie : le Parlement, le Gouvernement, les établissements peuvent agir en la matière, mais le Hcéres est bien placé pour établir les faits. Le Hcéres élabore et fait voter par son collège des référentiels. Dans la stratégie d'un établissement, on regarde son projet scientifique, la manière dont il gère ses personnels et ses finances, mais il est naturel qu'on regarde aussi ce qu'il fait pour l'égalité femmes-hommes. Comment cet établissement va-t-il chercher des étudiantes ? Est-il attentif à son personnel féminin ? Des associations très utiles existent, comme « Femmes et mathématiques » ou « Femmes et sciences », qui font un travail absolument remarquable. Il faudra que le Hcéres dialogue avec elles.

Sur la diffusion de la culture scientifique et technique, nous avons progressé au fil des années. Nous avons des institutions qui en sont chargées, comme Universcience, avec un réseau d'associations dans les territoires, qui font de l'excellent travail. Les universités ne se sont sans doute pas encore senties assez responsables de ce travail. Sans doute ai-je moi-même pensé, dans ma jeunesse, qu'il s'agissait simplement d'une sorte de supplément d'âme... Mais non, c'est un enjeu citoyen, qu'on parle de vaccins ou d'autres sujets. Si la loi charge le Hcéres de cette mission, il devra encourager les bonnes pratiques en la matière, et les repérer dans les projets de recherche. Le goût de l'ésotérisme, assez partagé dans ma discipline, et dans quelques autres, n'est pas fatal. L'un des plus grands physiciens du XXème siècle, Richard Feynman, a été capable d'expliquer pourquoi Challenger a explosé, et de l'expliquer en des termes simples, et il savait aussi dialoguer avec le politique. En Australie, il y avait « Science Meets Parliament » : de même, j'ai toujours rêvé d'une semaine réunissant des scientifiques et le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

C'est un moment important que l'avis que nous allons rendre sur votre candidature, observée notamment par la communauté scientifique et universitaire. Dans les conditions qui entourent votre nomination, votre candidature nous engage encore plus. Elle est d'autant plus importante qu'elle s'inscrit dans un contexte singulier, selon une temporalité que je trouve quelque peu étonnante, puisque nous allons examiner la semaine prochaine un texte qui donne de nouveaux pouvoirs au Hcéres. Cette temporalité nous place dans une position un peu particulière et appelle de notre part beaucoup d'interrogations. Le processus qui a mené à ce contexte me semble chaotique : il y a eu des entretiens, puis un appel à candidatures, avant que le comité de déontologie ne se réunisse et émette quelques réflexions. Cela ne peut nous laisser indifférents. En ce moment particulier que vit notre pays, où plus que jamais nous évoquons les question de liberté, de transparence, de confiance, de probité et d'exemplarité, les conditions de votre candidature, vu le rôle important que vous jouez auprès du Président de la République, ne sont pas de nature à nous permettre de rendre un avis totalement serein, et surtout de rassurer la communauté scientifique et universitaire, qui s'interroge légitimement et se questionne sur la crédibilité qu'aurait ce Hcéres.

Pourquoi cette vacance d'un an ? Cela fait un an que le poste est vacant, et que les collèges n'ont pas été renouvelés, alors que cela devait être fait par décret. Pour une instance aussi importante, c'est surprenant. La loi de janvier 2017 aurait dû conduire à renouveler les membres du collège...

Je m'interroge aussi sur votre méthode. Vous avez très peu parlé de collégialité. Quelle sera votre méthode de travail au sein de cette Haute autorité ? Je ne mets pas en question votre compétence, mais les conditions qui entourent votre candidature à la présidence d'une autorité dont les missions ne peuvent s'effectuer que dans une totale indépendance ne sont pas propices à l'établissement de l'indispensable confiance. D'où nos doutes et interrogations.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Je m'interroge aussi sur cette vacance d'un an. Vous venez dans cet hémicycle avec un double statut : celui de candidat et celui d'une personne qui a été au coeur du dispositif de l'exécutif. Je doute aussi de la validité juridique de la procédure choisie par le Gouvernement. Le Code de la recherche indique en son article L. 114-3-3 que le Hcéres est administré par un conseil, et que son président est nommé parmi les membres de ce conseil. La logique du texte aurait donc voulu que le Gouvernement nomme d'abord un conseil, et cherche ensuite dans ce conseil un candidat que le Parlement aurait validé. Curieusement, le Gouvernement a pris tout le processus à l'envers, en commençant par vous. Et je crains que ce ne soit pas une question de détail, puisque, lorsqu'on va chercher quelqu'un parmi un conseil qui est déjà nommé, on réaffirme l'importance de la collégialité. Là, on fait l'inverse, c'est vous-même qui êtes d'abord nommé, et qui sans doute allez composer votre conseil. J'entends vos dénégations, mais la réalité sera bien celle-là, monsieur. S'agit-il d'un changement fort dans la conception même du Hcéres ? Nous aurions aimé que le Gouvernement nous en parle avant la LPR, et nous dise qu'il souhaitait abandonner la forme collégiale du Hcéres. La procédure choisie par le Gouvernement ouvre des voies de recours sur la nomination qui est en cours.

Vous nous avez dit qu'il fallait des départements plus intégrés au Hcéres. Est-ce compatible avec la mission de préservation de l'intégrité scientifique confiée à l'OFIS ? Lors des auditions sur la LPR, nous avons compris que l'expérimentation en cours, qui dure depuis trois ans, d'une intégration de l'OFIS au sein du Hcéres , ne lui avait pas donné toutes les garanties d'indépendance et d'autonomie. Ne pourrait-on concevoir pour l'OFIS un autre statut, qui assurerait mieux son indépendance ? Évaluation et intégrité scientifique sont deux choses intimement mêlées, qu'il faut distinguer pour éviter que vous soyez juge et partie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

J'ai été membre du conseil administration du Hcéres de 2015 à 2018. J'y représentais le Sénat, et le Hcéres était alors présidé par Michel Cosnard, qui avait été nommé par François Hollande. Un consensus s'était mis en place, car je n'avais pas entendu la communauté scientifique s'émouvoir de sa nomination. Le site internet du Hcéres précisait qu'il était à l'abri de toute pression des autorités gouvernementales.

Je souhaite distinguer l'homme, le scientifique que vous êtes, que nous respectons tous, vu votre parcours d'excellence, qui vous honore et honore la République et son école, et le problème posé par vos fonctions antérieures. Vous avez été conseiller pour l'éducation, l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation à l'Élysée. À ce titre, vous avez reçu différents candidats à ce poste, sans qu'aucun ne vous plaise. Vous avez été très investi dans un colloque, organisé en septembre, par le Hcéres et intitulé « Bilan et perspectives de l'évaluation de l'ESPI : 2015-2025 » : vous l'avez ouvert, et la ministre de l'enseignement supérieur l'a fermé. J'ai cru comprendre alors que vous n'étiez pas intéressé pour venir prendre la tête du Hcéres, et que vous souhaitiez rester à l'Élysée. Nombre de personnalités étrangères participaient à ce colloque...

Je vois une grande difficulté dans le fait que vous étiez dans un rôle de conseil. Le Conseil de déontologie de l'enseignement supérieur, présidé par Bernard Stirn, en a fait état le 29 mai dernier, en parlant d'une procédure « avec une apparence de conflit d'intérêt ». Maintenir un appel à candidature avec cette apparence de conflit d'intérêts semblait étrange. Aussi, à l'issue d'une nouvelle procédure de sélection et de votre audition par un comité de sélection dont un des membres n'est autre que la Secrétaire générale du Gouvernement, le Président de la République propose donc votre candidature. Cette façon de gérer est extrêmement surprenante et choquante.

Nous ne vous remettons pas en question personnellement, monsieur Coulhon. Mais n'oublions pas que nous nous adressons à des personnalités de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui ont une grande capacité d'analyse, et une grande capacité à s'émouvoir à travers les courriels qu'ils ont pu nous envoyer... Pour beaucoup d'entre eux, il y a un vrai problème de déontologie car, après que vous ayez jugé et donné des avis sur des candidats, c'est votre candidature qui est proposée par le Président de la République.

On pose la question du vice de forme, mais le vice de forme a été écarté, dans la mesure où la ministre a relancé une procédure d'appel à candidatures, ce qui était important. Nous nous interrogeons sur l'année où la présidence a été vacante, ce qui a posé problème pour différents types de vote de textes ou de procédure de nomination de directeurs - et il y a un vrai problème au niveau de la Secrétaire générale du Hcéres, dont le mandat n'a pas été prolongé, alors qu'il aurait été intéressant de tuiler les choses, pour préserver l'indépendance et éviter la mise sous tutelle d'un ministère. En tous cas, le Hcéres a été bloqué, pour les remboursements, pour les collaborateurs, pour l'étranger, etc.

C'est bien le rôle du Président de la République que de procéder à des nominations, mais il y a une façon de le faire.

Sur ce dispositif qui a mal fonctionné, j'ai plusieurs questions à vous poser. D'abord, pourquoi n'avez-vous pas déclaré votre candidature plus tôt ? Cela aurait posé moins de problèmes. Il n'y a pas d'obstacles déontologiques ou juridiques à ce que quelqu'un qui occupe une fonction auprès du chef de l'État soit nommé - si les procédures avaient été respectées. Mais votre éventuelle nomination pose un certain nombre de problèmes aux enseignants-chercheurs. Vous avez été auditionné par une commission qui était composée de personnalités soumises à l'autorité indirecte du conseiller du Président de la République - fonction que vous avez, au passage, et de façon surprenante, conservée lors de ce processus de nomination.

Comment pensez-vous garantir l'autonomie du Hcéres pour qu'il ne devienne pas un simple service du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et peut-être aussi l'antichambre de l'Élysée ? Quelle conception de la liberté académique entendez-vous défendre au cours de votre éventuel mandat ? Quelle est votre conception de l'évaluation, et de notations qui pourraient impacter les financements ? Mettre des notes, c'est apporter des comparaisons, alors que le Hcéres travaillait souvent par vagues, par régions, avec des modalités particulières.

Vous avez bien fait de citer l'OFIS, tant la confiance entre les communautés de recherche et entre celle-ci et la société est mise à mal aujourd'hui. Aussi est-il nécessaire que cette nomination se fasse dans une grande transparence. C'est là toute la difficulté de notre exercice.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Hingray

Je partage les doutes et les interrogations exprimées par mes collègues, et j'y ajoute deux questions. Quelles garanties pouvez-vous apporter sur l'indépendance de l'OFIS ? Pour vous, l'implication des laboratoires dans le territoire, la recherche de financements auprès des collectivités territoriales, sont-elles des éléments à prendre en compte dans l'évaluation que vous allez mettre en oeuvre ?

Debut de section - Permalien
Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Merci pour ces questions centrales, qui me donnent l'occasion d'éclaircir à la fois ma candidature et le positionnement du Hcéres vis-à-vis des autres institutions.

Madame Robert, vous me posez trois questions. Suis-je qualifié pour occuper ces fonctions ? C'est à vous d'en juger et, au-delà de mon parcours, vous pouvez juger ma réputation d'homme impartial, ou intègre, à l'aune d'une carrière assez longue pour qu'on sache, au-delà de ceux qui écrivent sans me connaître, ce que pense la communauté scientifique dans son ensemble de ce que j'ai fait, ou pas fait, et des positionnements que j'ai pu adopter. La deuxième question est celle de l'indépendance de l'institution. C'est la loi qui l'assure, et son positionnement institutionnel. Lorsque j'ai été président d'université, j'étais responsable devant mon conseil d'université. Lorsque j'ai été conseiller du Président de la République, c'est à lui que je devais loyauté. Le président du Hcéres, c'est au Parlement qu'il rend compte. La loi le protège.

Au-delà de ces considérations, il y a une question d'éthique et de pratique. Dans la réalité, dans la vraie vie en tant que conseiller à l'Élysée, il m'est arrivé d'appeler le président du Hcéres pour prendre des nouvelles, par courtoisie ; mais jamais nous n'avons parlé du fond, cela ne se fait pas ! Le président du Hcéres rencontre aussi parfois la ministre, sans qu'on puisse imaginer la moindre intervention sur le fond - tout simplement parce que le président du Hcéres ne procède pas lui-même aux évaluations, pas plus que les membres du collège : l'évaluation est effectuée par des experts, français ou étrangers, l'institution ne fait que la réguler, et l'assumer. Bien sûr, la question de l'intégrité de la personne se pose. Mais l'indépendance de l'institution, c'est la configuration institutionnelle qui l'assure. Les hommes ne sont pas au-dessus des tentations, ni des rapports de pouvoir. Mais l'intérêt de tous, c'est simplement que le Hcéres prenne une photo exacte. Personne n'a intérêt à manipuler le Hcéres.

Vous soulevez enfin une question de déontologie liée à cette nomination, et vous avez raison de le faire. Je n'ai pas déclaré ma candidature plus tôt tout simplement parce que je n'étais pas candidat. Au moment où j'ai ouvert ce colloque, je ne pensais pas être candidat. La LPR avait commencé son trajet parlementaire, mais je considérais que ma mission auprès du Président de la République n'était pas terminée. Il se trouve que la procédure d'ensemble se limitait à une nomination par le Président de la République, sur proposition de la ministre chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche - procédure minimale, mais qui existe pour d'autres postes - avec audition par les deux commissions du Parlement. On peut être élu, on peut être nommé, il y a une dignité à être élu, il y a une dignité à être nommé... Cette procédure ne porte en elle aucun vice, mais elle est incomplète : elle n'était pas assez cadrée. Dans un grand pays scientifique, pour des fonctions de cet ordre, il est bon, il est sain d'avoir un comité de sélection et un appel d'offres ouvert.

Je ne suis pas responsable de la manière dont le processus a été mené à partir d'un certain moment et l'épidémie a allongé les délais. Ce processus sera désormais cadré par la loi, avec appel d'offres et comité de sélection. Le comité de sélection a auditionné quatre candidats. Il était constitué par la Secrétaire générale du gouvernement, un membre de l'Académie des sciences reconnu pour son intégrité et son indépendance, la présidente de l'université de Paris, le directeur général délégué à la science du CNRS, et la présidente de l'Université McGill au Canada. Ces personnalités ne me doivent rien et ne me devront rien, puisqu'elles sont au sommet ou à la fin de leur carrière, et que leur intégrité et leur réputation sont telles qu'elles constituent un comité de sélection digne.

Il y a eu une phase préliminaire où je n'étais pas candidat - un processus informel où les conseillers de l'Élysée et de Matignon reçoivent les candidats par courtoisie. Leur opinion est ensuite sollicitée. J'en avais une positive de deux candidats, mais la décision ne me revenait pas. La ministre n'a finalement pas retenu leur candidature. Cela n'a pas empêché l'une de ces deux personnes de participer aux appels à candidatures.

À la fin novembre 2019, compte tenu de la situation, j'ai décidé d'être candidat. Je m'intéressais à l'évaluation depuis plusieurs années. J'ai donc entrepris la rédaction d'un projet. Le Comité de déontologie a certes exprimé des hésitations, mais il a estimé que rien ne disqualifiait la candidature d'un conseiller du Président de la République. Après ce processus qui peut paraître a posteriori quelque peu chaotique, on peut estimer qu'une procédure plus saine a été mise en place.

Madame Robert, monsieur Ouzoulias, je souhaite rejoindre cette instance collégiale pour deux raisons. D'abord, j'ai occupé alternativement, dans ma carrière, des fonctions de conseiller et des postes de terrain. À ce stade, je désire revenir à une forme d'action plus directe. Ensuite, j'apprécie l'animation de collectifs.

Monsieur Ouzoulias, le Conseil national des universités, les organismes d'évaluation du CNRS et de l'Inserm, les organisations syndicales et les étudiants désignent des représentants au collège du Hcéres. Je ne suis pas maître de ces nominations, ni de celles de personnalités qualifiées désignées par la ministre. Ce mode de désignation apporte des garanties.

Il existe en effet un problème de confiance avec la communauté scientifique. Un moyen de le traiter est justement ce collège qui doit se réunir et s'exprimer. Je suis tout à fait désireux d'animer un tel collectif.

L'OFIS doit être préservé. On peut imaginer, un jour, qu'il existe de manière indépendante. Il faut incuber cette entité, la mettre en avant, lui donner des moyens humains. Peut-être serons-nous amenés, par la suite, à évoluer vers un autre modèle.

Sur la question de l'intégrité scientifique, nous avons connu des cas individuels douloureux, des polémiques qui ont inquiété les Français à juste titre. Ce n'est que le début du débat sur la question : comment administre-t-on la preuve, qu'est-ce que la vérité scientifique ? Les Français ont reçu, avec la crise, un cours d'épistémologie accéléré. Ils ont compris que la vérité scientifique naissait dans le débat.

En biologie, le résultat peut être déduit de données primaires, pourvu que celles-ci aient été conservées de manière appropriée et que l'on puisse y accéder. Mais a-t-on le droit de l'illustrer par des images simplifiées ? Où se trouve la limite ? Ces questions, qui représentent des enjeux considérables de pouvoir, d'argent et de confiance, ne peuvent être traitées que collégialement. C'est pourquoi, monsieur Ouzoulias, je partage votre opinion sur l'Office.

Concernant l'allocation des moyens, j'ai porté, dans mes fonctions précédentes, une position politique qui me semble généralement acceptée : il est naturel que l'État qui finance des politiques publiques dont les acteurs sont autonomes se pose la question du résultat. En tant que président du Hcéres, mon rôle consisterait à dresser des tableaux et à espérer que le ministère en tirerait des conséquences. Vous n'ignorez pas que le modèle SYMPA d'allocation des moyens a été abandonné, au profit de la contractualisation remise au goût du jour par la ministre. C'est un modèle vertueux qui permet d'écouter les projets territoriaux d'établissement dans leur spécificité. S'y ajoutent les moyens du programme d'investissements d'avenir (PIA) gérés par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI). Mais tout cela n'est pas l'affaire du Hcéres, dont le rôle est de fournir une aide à la décision. Je crois cependant qu'il serait utile que l'allocation des moyens soit en rapport avec la réalité de la vie scientifique et la qualité de ce qui est réalisé.

Je ne crois pas opportun de se lancer dans un exercice de comparaison permanente entre tous. Les contrats quinquennaux sont renégociés en cinq vagues successives. Nous sommes dans un système à la fois compétitif et coopératif ; chacun doit s'améliorer dans son identité propre plutôt que de s'engager dans une compétition de tous les instants.

L'État a longtemps été le principal pourvoyeur de ressources pour la recherche. Les régions et les métropoles ont pris un poids de plus en plus important, alors que les établissements prenaient de plus en plus de décisions autonomes. Les grands équilibres de gouvernance et de financement doivent probablement évoluer, ne serait-ce que pour constater la réalité des investissements des uns et des autres. Le Hcéres se met à la disposition des instances pour évaluer la pertinence du financement de tel ou tel équipement : c'est bien le moins.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Votre nomination pressentie fait l'objet d'un rejet important au sein du personnel de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui y voit un manquement aux obligations de publicité, de transparence et d'objectivité. C'est surtout la transparence qui fait défaut : nous n'avons reçu qu'un court CV qui ne nous renseigne ni sur vos compétences, ni sur votre programme. Merci de nous avoir apporté des éléments sur ce point.

Pouvez-vous nous préciser votre conception des libertés académiques ? Votre nomination ne risque-t-elle pas de mettre à mal encore davantage la confiance des chercheurs ? La nomination d'une personnalité moins clivante, plus consensuelle, ne serait-elle pas salutaire dans ce contexte tendu ? Êtes-vous prêt à retirer votre candidature ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Il faut distinguer, à ce stade, deux sujets. Le premier est celui de votre aptitude, en tant que personnalité, à prendre la tête de l'organisme. Je crois, au vu de votre CV, de votre parcours au coeur de la recherche et de la science, de votre connaissance administrative et organisationnelle du secteur, que votre nomination est incontestablement pertinente. De plus, vous avez apporté des précisions sur votre vision de l'avenir de l'organisme.

Le second sujet est celui de la forme, qui a motivé la plupart des questions. Nous avons reçu, il faut le dire, un grand nombre de courriels pour contester cette forme. Je ne souhaite pas que cette contestation fasse oublier que vous êtes le meilleur candidat possible, quel que soit le moment où vous vous êtes décidé, dans une procédure qui n'était pas normalisée. Aller ultra petita en se fixant une obligation de transparence qui n'existait pas au départ vous pénaliserait injustement.

Si vous êtes désigné, comment allez-vous dépasser ce sujet difficile de la nomination et convaincre le collectif scientifique ? Je vous conseille de reconnaître que votre nomination est contestée et de proposer aux chercheurs de travailler ensemble. Mais que la forme ne vienne pas l'emporter sur le contenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Votre présentation retrace un parcours d'excellence au service de la recherche et de l'enseignement supérieur que personne ne remet en cause. Mais depuis un an, la présidence du Hcéres est vacante ; qu'est-ce qui empêchait d'attendre six mois de plus ? Vos explications à ce sujet ne m'ont pas convaincue.

Vous avez déclaré que le seul jugement valide était celui des pairs, sans pression extérieure : une évaluation, un jugement professionnel et impartial. Au vu de cette définition, les fonctions que vous occupez depuis trois ans au sein de l'exécutif ne remettent-elle pas en question vos évaluations futures ? Ne mettraient-elle pas l'institution en difficulté ?

Debut de section - Permalien
Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Je répondrai d'abord sur la transparence et la publicité. Des journalistes m'ont demandé communication du projet que j'avais rédigé pour le comité de sélection, mais je me suis astreint à ne l'évoquer que devant la représentation nationale. Le moment crucial du processus est l'audition par les parlementaires. Ce dossier ne contient rien de plus que ce que je viens de vous exposer mais il serait souhaitable, à l'avenir, que vous receviez un dossier plus abouti. Vous avez fait évoluer la loi et les pratiques, ce qui est une excellente chose.

En matière de libertés académiques, nous traversons une période très délicate. Que peut-on dire, que doit-on dire, qu'est-ce qui peut avoir lieu dans une université ? Je ne serai pas en situation d'agir directement, de m'assurer qu'une conférence n'est pas perturbée par exemple, mais c'est une question essentielle. Écartons le fantasme d'un pilotage politique par l'évaluation. Naturellement, la recherche est libre et les établissements sont autonomes. La recherche doit préserver jalousement sa liberté, puisque l'innovation naît de cette liberté et de la prise de risque.

La deuxième question est la capacité à débattre dans les universités. J'espère que le Hcéres ne sera pas contraint de noter, un jour, qu'une université n'est plus capable d'assurer cette liberté.

Monsieur Bargeton, vos propos sont très justes. Le premier grand sujet des prochaines années est le rapport entre l'État et les opérateurs, et de l'articulation entre le financement par le premier et l'autonomie des seconds. Il convient de poursuivre la reconstruction de la démarche contractuelle engagée par la ministre.

Le deuxième sujet est le lien de confiance avec les enseignants-chercheurs. Notre monde a un rapport curieux au pouvoir ; le monde de l'enseignement supérieur est en autogestion, mais, sans doute à cause de l'excès de couches bureaucratiques, la confiance s'est perdue. Voici deux ans, j'ai été invité à parler des classements dans le cadre du séminaire « Politique des sciences » de l'École des hautes études en sciences sociales. J'ai plaidé pour une démythification : arrêtons de jouer aux petits chevaux avec le classement de Shanghai. Les autres intervenants n'étaient pas sur la même ligne, mais j'ai beaucoup apprécié l'initiative. Il est très important d'aller au contact.

De plus, au-delà des envois de courriels et de ce que l'on pourrait qualifier de politique du soupçon, des initiatives très intéressantes ont émergé. Le dépôt d'une candidature collective est ainsi un signe d'intérêt pour l'évaluation : le message est qu'elle doit appartenir aux chercheurs. En revanche, il faut comprendre que si l'évaluation représente un coût, c'est parce qu'elle est collégiale.

Il est très positif que plusieurs visions de l'avenir de l'enseignement supérieur se confrontent. Lorsque j'étais très jeune, les universités Vincennes et Paris-Dauphine, qui relevaient de deux modèles très différents, ont été créées en même temps. La vision des mouvements contestataires est bienvenue, tout comme le serait la réouverture d'espaces d'innovation, même si le Hcéres n'aurait d'autre rôle que de la constater.

Madame Billon, la vacance de la présidence n'a que trop duré. Votre commission a entendu la secrétaire générale : le personnel est à bout. Il faudrait à tout le moins qu'un nouveau président du Hcéres soit en place au premier anniversaire du départ de son prédécesseur.

Debut de section - Permalien
Thierry Coulhon, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement.

Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.

L'article 13 de la Constitution dispose que le président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président de la République, de M. Thierry Coulhon aux fonctions de président du Hcéres, simultanément à celui de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale.