Je salue nos collègues qui assistent à notre réunion à distance. Nous examinons ce matin le rapport de Stéphane Le Rudulier - c'est son premier rapport après l'élection du mois de septembre - sur l'adaptation des règles de passation des marchés publics locaux aux conséquences de la crise sanitaire, texte présenté par le président Retailleau et plusieurs de ses collègues.
Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui mon rapport sur la proposition de loi du président Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues du groupe Les Républicains, qui vise à donner une meilleure place aux entreprises locales dans la passation et dans l'exécution des marchés publics.
En effet, le constat de nos collègues est sans appel et nous ne pouvons que le partager. Il apparaît aujourd'hui évident que la crise sanitaire, économique et sociale sans précédent que connaît la France à la suite de la pandémie de la covid-19 aura des conséquences lourdes et durables pour notre pays. Son impact sera particulièrement préjudiciable pour les entreprises locales - souvent des petites et moyennes entreprises (PME) ou des très petites entreprises (TPE) - alors qu'elles occupent un rôle clé dans la vie économique de nos territoires. De plus, cette crise intervient dans un contexte où les TPE et PME peinent déjà à trouver leur juste place parmi les bénéficiaires des débouchés de la commande publique.
L'idée d'orienter la commande publique au bénéfice des TPE et des PME implantées à proximité de l'acheteur s'est donc développée de manière continue depuis plusieurs années, et encore plus récemment via de nombreux articles spécialisés ou des questions écrites. Cette proposition de loi s'inscrit donc pleinement dans cette démarche.
Mais, face à cette volonté légitime, la marge de manoeuvre laissée au législateur est bien mince.
Les critères géographiques d'attribution des contrats de la commande publique sont très difficilement conciliables avec les règles tant constitutionnelles qu'européennes relatives à la commande publique puisque celles-ci ont précisément pour objet de garantir l'égal accès à la commande publique des opérateurs, quelle que soit leur nationalité ou leur localisation.
Au regard du droit de l'Union européenne, le principe de non-discrimination est un principe fondamental, qui découle notamment du traité de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a précisé que ce principe trouve à s'appliquer à l'attribution de l'ensemble des contrats de la commande publique, quand bien même ils ne relèveraient pas du champ d'une directive ad hoc. En application de ce principe, un marché public dont le montant estimé est inférieur aux seuils prévus par la directive de 2014 sur la passation des marchés publics, et qui ne relève donc pas de son champ d'application, ne peut s'affranchir du respect des règles fondamentales.
Si certaines dérogations ont été établies par la Cour de justice, elles ne touchent qu'un nombre très limité de cas, tels que l'exercice de l'autorité publique ou des raisons impérieuses d'intérêt général dont la Cour vérifie très scrupuleusement le fondement et la proportionnalité.
Sur la base du principe d'égalité de traitement des candidats, le droit constitutionnel tend à apprécier les critères géographiques d'attribution avec la même circonspection que le droit de l'Union européenne. Les tempéraments qu'il apporte sont également en lien strict avec l'intérêt général et se rapprochent ainsi de ceux qui sont formulés par le juge européen. En outre, le juge administratif vérifie systématiquement que les critères mis en oeuvre au cas par cas ne sont pas de nature à favoriser les candidats les plus proches et à restreindre la possibilité pour les candidats plus éloignés d'être retenus par le pouvoir adjudicateur.
Le constat est relativement proche pour les conditions d'exécution des contrats de la commande publique. Le juge européen comme le juge administratif ne considèrent pas qu'une condition d'exécution basée sur la situation géographique de l'opérateur soit irrégulière par nature, mais ils apprécient si elle est réellement nécessaire à la bonne exécution du contrat et s'il ne s'agit pas d'une manoeuvre déguisée destinée à favoriser les opérateurs locaux. Face à ces contraintes issues du droit européen et du droit constitutionnel, les dispositifs prévus par la proposition de loi soulèvent des difficultés réelles.
L'article 2 de la proposition de loi tend à autoriser les acheteurs à « imposer qu'une part minimale, pouvant aller jusqu'à 25 % du nombre d'heures nécessaires à l'exécution du marché, soit effectuée par des personnels domiciliés à proximité du lieu d'exécution, dans un périmètre qu'ils déterminent » pour les contrats définis à l'article 1er, c'est-à-dire les marchés publics conclus pendant la crise sanitaire et dont les montants ne dépassent pas les seuils européens.
Ce dispositif présente une double difficulté. D'une part, il autoriserait les acheteurs à mettre en place une condition géographique d'exécution dans des cas où elle n'est pas rendue nécessaire par l'objet du contrat, ce qui est contraire au droit constitutionnel et européen. D'autre part, une interprétation a contrario de cette disposition pourrait conduire à plafonner à 25 % le nombre d'heures effectuées par des personnels locaux alors même que l'objet du contrat autoriserait, en l'état actuel du droit, l'acheteur à recourir à un nombre plus important de ces heures.
Il ne semble donc pas opportun d'adopter ce dispositif puisqu'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ou une invalidation de la disposition par le juge européen, avec les effets erga omnes produits, remettraient en cause l'ensemble des marchés publics qui auraient déjà été attribués sur son fondement.
L'article 3 de la proposition de loi tend à autoriser les acheteurs à prendre en compte la proximité des soumissionnaires avec le lieu d'exécution du marché dans l'évaluation de leur offre, pour les contrats concernés par l'article 2. Selon les auteurs de la proposition de loi, « ce critère permettrait de reconnaître les apports objectifs à la bonne réalisation d'un marché qui peuvent résulter de son exécution par des entreprises locales dans le contexte spécifique de l'après-covid ».
Toutefois, l'atteinte portée au principe de libre accès à la commande publique ne semble pas strictement nécessaire à la réalisation de cet objectif. En effet, l'ensemble des critères d'attribution « habituels » prévus par le code de la commande publique et l'établissement des conditions d'exécution par l'acheteur ont précisément pour but que l'opérateur retenu puisse garantir la bonne réalisation du marché. À ce titre, l'acheteur peut déjà, en l'état actuel du droit, mettre en oeuvre une condition géographique d'exécution si elle se trouve en lien avec l'objet du marché.
En conséquence, les risques de censure pesant sur l'article 3 de la proposition de loi sont semblables à ceux qui ont été évoqués pour l'introduction de l'article 2.
Face à la difficulté d'établir, en droit, une préférence locale dans l'attribution d'un marché, les travaux que nous avons conduits ont démontré qu'un grand nombre de dispositifs n'ayant pas cette finalité avaient tout de même pour effet indirect de favoriser les candidatures locales. C'est le cas de certains critères d'attribution basés notamment sur la garantie de la rémunération équitable des producteurs et les performances en matière de protection de l'environnement ou de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture. Néanmoins, le juge administratif veille à ce que ces critères soient utilisés sincèrement et non aux seules fins de favoriser les entreprises locales.
Les seuils en dessous desquels l'acheteur est dispensé de publicité et de mise en concurrence, sous réserve de respecter les principes de la commande publique, sont aussi de nature à faciliter l'accès des entreprises locales. En dessous de ces seuils, l'opérateur n'a pas besoin de formaliser de réponse à un appel d'offres. Il peut adresser un simple devis à l'acheteur public, comme il l'aurait fait pour n'importe lequel de ses clients.
De plus, l'allotissement des marchés concourt également à donner leur chance à ces entreprises puisqu'il leur permet de présenter des candidatures sur des lots dont la taille est adaptée à leurs moyens de production ou, plus largement, à leur capacité de réalisation.
Enfin, un certain nombre de pratiques, telles que la rédaction de guides, permettent d'accompagner les acteurs locaux de la commande publique.
Face à ce constat global, je ne peux que conclure que de très nombreux obstacles juridiques s'opposent à l'adoption des dispositifs de cette proposition de loi. Je vous suggère donc de ne pas les retenir. Partageant toutefois la volonté des auteurs de ce texte, je vous propose de formuler un nouveau dispositif de nature à satisfaire l'objectif de primauté locale, dans le respect du droit constitutionnel et européen de la commande publique.
Après avoir envisagé plusieurs hypothèses, je vous propose d'inscrire dans le code de la commande publique la possibilité ouverte à l'acheteur de spécifier l'implantation géographique du titulaire ou de ses sous-traitants si l'objet du marché ou la prise en compte des considérations qui y sont liées rendent cette condition indispensable.
Ce dispositif pourra ainsi être de nature à faciliter la part dans la commande publique des entreprises locales, puisque, par principe, celles-ci disposent d'une implantation proche de l'exécution des marchés publics susceptibles d'être exécutés dans une zone géographique déterminée. Il aura vocation à s'appliquer de façon pérenne, et non pas seulement dans la période de crise sanitaire que nous connaissons.
Enfin, et pour conclure, en vue du dépôt d'éventuels amendements de séance, je vous indique que le périmètre du texte s'attachera exclusivement aux règles relatives aux entreprises locales dans la passation et l'exécution des marchés publics.
On doit en effet s'incliner devant la précision et la netteté des observations du rapporteur, qui nous rappelle que le principe de la commande publique implique la liberté de concurrence et qu'il faut des motifs d'intérêt général vérifiés pour en limiter la portée. Je pense que sa conclusion est la bonne et nous la suivrons.
Toutefois, j'aimerais comprendre son interprétation du terme « implantation ». S'applique-t-elle à une entreprise n'étant pas localement implantée au moment où elle soumissionne, mais qui s'engagerait à l'être ultérieurement ? Je pense, par exemple, au cas d'une société de transport qui mettrait en service un dépôt de bus ou à un prestataire en matière de collecte de déchets qui devra louer un emplacement industriel. Cela me rappelle le litige au sujet d'une grande entreprise industrielle qui, pour bénéficier de certaines dispositions du droit européen, a simplement loué un bureau à Bruxelles.
Les objectifs de cette proposition de loi sont louables, mais elle pose un problème récurrent dans le débat public, celui du patriotisme économique et commercial. Le soutien à nos entreprises à la création d'emplois et à leur préservation en cette période de crise est une ambition que nous partageons tous. Néanmoins, la proposition de loi présente plusieurs fragilités d'ordre juridique et d'ordre factuel.
Sur le plan juridique, le rapporteur a bien pointé du doigt les difficultés qu'elle pose. Sur le plan factuel, cette proposition de loi risque d'être contre-productive. Si notre pays se dote d'une telle législation, il n'est pas interdit que d'autres membres de l'Union européenne en fassent de même. Des entreprises françaises travaillant dans des pays européens pourraient perdre des marchés du fait d'une course effrénée au protectionnisme de chacun des États membres.
De même, des entreprises pourraient avoir leur siège social sur le territoire des collectivités locales qui passent le marché ou à proximité, mais nous n'avons aucune garantie sur la proximité géographique de leurs sous-traitants.
Enfin, comment calculer et contrôler le recours à un pourcentage de main-d'oeuvre locale ? On risque de se retrouver face à un chef d'entreprise qui fait du déclaratif et d'être dans l'incapacité de vérifier que l'objectif est rempli. Une entreprise peut aussi avoir son siège sur le territoire local et faire appel à des travailleurs détachés, détournant par ce biais l'objectif recherché. C'est pourquoi le groupe Socialiste, écologiste et républicain, s'il souscrit à l'objectif initial de la proposition de loi, était très réservé, voire sceptique, sur les moyens proposés. En revanche, la proposition alternative du rapporteur nous semble une excellente base de travail pour la suite.
La proposition de loi s'attaque à une problématique récurrente, la volonté des élus locaux - je ne sais pas s'il s'agit de patriotisme - d'accompagner les entreprises pour répondre aux marchés locaux afin qu'elles réalisent des investissements porteurs de retombées sur l'emploi local. Destinée à répondre à la crise sanitaire actuelle, elle prévoit une dérogation, pour une durée donnée, à la loi des marchés. Celle-ci permet de maintenir la libre concurrence entre les entreprises et d'éviter certains déboires qui ont eu cours par le passé. L'amendement qui nous sera soumis me semble aussi poser quelques questions sur le plan juridique, quant à la notion d'implantation géographique. Est-elle conditionnée à la possession d'un local, à l'implantation de son siège social, ou encore à la possibilité pour une collectivité concernée de contraindre une entreprise de réinstaller de l'emploi sous conditions ? J'aimerais avoir des précisions sur ce point puisque le texte final dépend de la réécriture de l'article 1er.
Je remercie le rapporteur pour la qualité et la clarté de son rapport. Cette proposition de loi répond à une forte attente des élus locaux, surtout des plus petites collectivités et entreprises. Les TPE et les artisans sont aussi des pourvoyeurs d'emplois locaux. L'objectif poursuivi est difficile à satisfaire, car il faut à la fois respecter le principe de libre concurrence et éviter le favoritisme, tout en privilégiant ce que certains appellent « le localisme ». Les solutions proposées par le rapporteur sont, malgré les questions qu'elles posent encore, extrêmement nécessaires dans un contexte de crise sanitaire où l'État et les collectivités consacrent beaucoup d'argent, et à bon escient, pour soutenir l'économie locale.
Je préfère en effet aider les entreprises à trouver des marchés, et leurs salariés à conserver leur emploi, plutôt que de maintenir ces entreprises en respiration artificielle, si je puis dire. Je comprends que le texte présente des fragilités, mais il me paraît pertinent et vertueux de le voter.
Je félicite le rapporteur de la précision quasi chirurgicale de son rapport. En outre, si la proposition de loi passe de trois articles à un article unique, je m'en félicite. Il va dans le sens du choc de simplification, que nous attendons toujours.
Il nous importe de savoir si la maintenance et le suivi des chantiers seront correctement réalisés. Par exemple, en cas de malfaçon, il arrive que l'on soit dans l'impossibilité de faire revenir l'entreprise.
Sur le plan juridique, je vous fais entièrement confiance.
Cette proposition de loi répond à ce qui peut être un sentiment naturel : privilégier plutôt une entreprise de son territoire - c'est ce que nous entendons tous dans nos territoires. Le rapporteur a cependant bien montré que, telle qu'elle est actuellement rédigée, elle risque d'être contestée à plusieurs niveaux, et donc d'être inapplicable. Il est préférable de suivre le chemin proposé par le rapporteur, tout en prenant en compte ce qui existe, comme les clauses spécifiques déjà inscrites dans la loi. Votre proposition refuse les faux-semblants et les solutions de facilité, qui n'en sont pas. C'est pourquoi nous vous suivrons.
En réponse à votre question sur la définition de l'implantation, la jurisprudence du Conseil d'État est très claire : l'entreprise n'est pas pénalisée si elle s'implante a posteriori de l'attribution du marché. Il est difficile de préciser dans la loi ce que recouvrira précisément ce terme. Globalement, il s'agira de l'acception la plus large possible pour répondre à l'objet du marché. En fonction de cet objet, ce que l'acheteur entendra par « implantation » et le périmètre qu'il définira pourront varier. Par exemple, pour un prestataire dans l'entretien de bâtiments publics, l'exigence de disponibilité et de réactivité peut contraindre l'entreprise retenue à employer du personnel local, dans un autre cas, il s'agira de la présence d'un entrepôt, etc.
Sont surtout concernés par ce texte les TPE et les PME, et non pas les grands groupes. Nous avons supprimé les trois articles initiaux du texte pour simplifier les choses et aller dans le sens des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la CJUE. En effet, depuis ces dernières années, le juge permet l'introduction de critères géographiques, mais uniquement en ce qui concerne les conditions d'exécution.
Tel que vous l'avez remanié, ce texte répond à la fois à un enjeu de respect du droit, d'équilibre et de pragmatisme. Il appartiendra à ceux qui auront à le mettre en oeuvre de faire preuve de précision, afin que l'interprétation qui pourra en être faite par les juridictions, si contrôle il y avait, puisse être parfaitement expliquée.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Trois amendements ont été déposés : le premier vise à rédiger l'ensemble du texte sous forme d'un article unique, les deux suivants à supprimer en conséquence les articles 2 et 3.
Article 2
L'amendement de suppression COM-2 est adopté.
Article 3
L'amendement de suppression COM-3 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 10 h 05.