Commission des affaires sociales

Réunion du 2 décembre 2021 à 11:5

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

En application de l'article 13 de la Constitution, nous accueillons ce matin Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion à distance.

Cette nomination ne sera effective qu'en l'absence d'opposition des commissions parlementaires compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, dans les formes prévues par la Constitution. Si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés, le Président de la République ne pourrait pas procéder à cette nomination. À l'issue de l'audition, nous procéderons immédiatement au vote, ainsi qu'au dépouillement, de manière simultanée avec l'Assemblée nationale, qui a procédé à cette même audition plus tôt dans la matinée.

L'ANSM a été créée par la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, à la suite de l'affaire du Mediator. Cette agence est ainsi chargée de la délicate mission de concilier la sécurité des patients et l'accès au progrès thérapeutique. Ses prérogatives se sont accrues, et l'agence s'est trouvée très exposée dans plusieurs dossiers de natures très diverses : l'affaire Biotrial, la Dépakine, le Levothyrox, ou encore les implants texturés. Dans la crise sanitaire, l'agence a été très sollicitée, et pas uniquement sur la question controversée de l'hydroxychloroquine.

Notre commission est très attentive à la façon dont l'agence remplit ses missions. Elle a ainsi demandé une enquête à la Cour des comptes, dont les résultats ont été publiés il y a un an sous le titre : « ANSM : réarmer le gendarme de la sécurité sanitaire. »

Madame Ratignier-Carbonneil, la proposition de votre nomination s'inscrit dans une certaine continuité, puisque vous en êtes l'actuelle directrice générale adjointe. Je vous laisse la parole pour présenter les perspectives que vous envisagez pour l'ANSM pour les prochaines années, avant que nos collègues ne vous adressent leurs questions.

Debut de section - Permalien
Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

C'est un honneur pour moi que d'être reçue ce jour par votre commission. Cette procédure d'audition par le Parlement a, pour moi, une valeur hautement symbolique, puisqu'elle prend sa source dans la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ses principes visent à garantir la pleine inscription de l'établissement d'expertise qu'est l'ANSM. Indispensable au bon fonctionnement démocratique, l'expertise doit pouvoir être questionnée par les citoyens, et au premier chef, par leurs représentants. C'est donc dans un esprit de pleine responsabilité que j'aborde cette audition, parfaitement consciente de la responsabilité qui pèsera sur les épaules de la future directrice générale de l'ANSM, tant sur la gestion de l'établissement que sur sa capacité à rendre compte régulièrement de son action.

Je vous propose d'intervenir en trois points, en vous présentant d'abord brièvement mon parcours professionnel et mes motivations, puis en vous exposant mon analyse des grands enjeux de l'ANSM, pour enfin conclure sur les étapes immédiates à suivre pour l'établissement.

Mon parcours professionnel, uniquement dédié au service public et à la santé, témoigne de mon profond attachement aux questions de sécurité sanitaire et de santé publique. Docteur ès sciences en immunohématologie, je suis chercheuse de formation. Ma première expérience au sein du laboratoire de recherche du professeur Kazatchkine, dans le domaine des xénogreffes, m'a permis de disposer d'une expertise scientifique clinique approfondie. J'ai rejoint en 2002 l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue ultérieurement l'ANSM, où j'ai exercé jusqu'en 2010 plusieurs fonctions en lien avec l'évaluation clinique des médicaments. Ces huit années m'ont permis d'acquérir de solides connaissances sur l'organisation sanitaire des produits de santé, à la fois françaises, mais également européennes, au travers de mes différents mandats à l'Agence européenne des médicaments (EMA - European Medicines Agency). Les questions de vigilance et de sécurité sanitaire ont été au coeur de mes fonctions, alliant quotidiennement expertise, mais aussi management d'équipes pluri-professionnelles.

À partir de novembre 2010, au travers de mes fonctions auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, j'ai pu activement contribuer à la création du Fonds d'indemnisation des victimes du Mediator et à la réforme du système de sécurité sanitaire des produits de santé, avec la rédaction de la loi du 29 décembre 2011, qui a notamment donné naissance à l'ANSM en mai 2012. Cette loi, fondée sur les nombreux travaux réalisés dans le cadre des commissions parlementaires et des assises du médicament, a été d'importance majeure. De ces deux années d'intense activité, je garde le souvenir d'un travail en concertation constante avec l'ensemble des parties prenantes, allant de la gestion des crises sanitaires du Mediator, mais également des implants mammaires Poly implant prothèse (PIP), à l'élaboration et au pilotage de politique publique.

C'est en mai 2012 que j'intègre la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), pour prendre la direction du département des produits de santé, dédié aux sujets de prise en charge et de remboursement des prêts, mais également à l'offre conventionnelle avec les professionnels de la pharmacie, de la biologie et de l'ensemble des dispositifs médicaux.

Depuis décembre 2016, j'ai le privilège d'assurer les fonctions de directrice générale adjointe auprès de Dominique Martin, au sein de l'ANSM. Établissement public administratif, l'agence est chargée de procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques des produits à finalité sanitaire aux niveaux national et européen, ainsi qu'à celle des produits à finalité cosmétique.

C'est dans cette logique intégrée et assumée que je souhaite mobiliser mes compétences et mon expérience au service de la dynamique engagée par l'ANSM et ses collaborateurs, en guidant et en accompagnant cet établissement public de référence. L'objectif est d'assurer aux patients la mise à disposition de produits de santé sûrs et efficaces, ainsi que l'accès rapide et encadré aux innovations thérapeutiques.

J'en viens à ma perception des grands enjeux pour l'agence.

Dans le cadre de la deuxième année du contrat d'objectifs et de performance (COP) conclu avec le ministère des solidarités et de la santé en mai 2019, il est primordial pour l'agence et ses partenaires d'évoluer dans l'environnement le plus assuré possible. La connaissance approfondie des enjeux, tant internes qu'externes à l'ANSM, mais également les capacités d'anticipation et de mobilisation des acteurs constituent des atouts indéniables pour poursuivre et développer les axes stratégiques qu'elle porte.

Le premier d'entre eux est l'objectif d'ouverture de l'agence. Celui-ci se doit d'être poursuivi et accentué dans chacune des activités assurées par ses quelque 930 collaborateurs, afin de répondre aux attentes de la société. C'est un engagement au quotidien, qui requiert l'implication et la mobilisation de chacun, en particulier de la direction générale. D'abord, il s'agit de mieux faire comprendre les processus de décision de l'agence, afin de renforcer leur légitimité. Ensuite, l'objectif est d'associer plus étroitement encore les parties prenantes à la construction de nos réponses, qui se doivent d'être efficaces, compréhensibles, acceptables et pragmatiques. Aujourd'hui, chacun des quinze comités scientifiques permanents comprend à la fois des usagers et des professionnels du système de santé, ce qui est indispensable. Nous procédons également à de nombreuses auditions publiques, pour écouter l'ensemble des parties prenantes. Enfin, dans le respect des exigences légales, il importe de publier les données disponibles relatives aux produits de santé et aux processus de l'agence, toujours dans l'optique de renforcer sa légitimité et sa transparence.

Cette démarche d'ouverture s'articule de façon très étroite avec la politique de communication et d'information de l'agence, mais aussi avec la diffusion de la culture de la gestion du risque. Cette approche focalise toutes les actions de l'ANSM non seulement sur la sécurité du patient exposé aux produits, et non pas seulement sur la sécurité des produits eux-mêmes. La prise en compte de la pluralité des expertises, et en particulier le savoir expérientiel du patient, est cruciale. Il faut également mobiliser les conditions nécessaires à l'adhésion en interne des collaborateurs de l'agence, pour une imprégnation collective et durable de la culture de la gestion du risque. Il faut assurer une gestion prédictive du risque, en prenant en compte l'ensemble des caractéristiques des produits de santé et les composantes de l'environnement ; mieux anticiper les situations à risque élevé qui font l'objet d'une gestion renforcée ; renforcer la couverture des besoins sanitaires des patients portant sur les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ou des dispositifs médicaux sensibles ; et enfin, assurer la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie, et renforcer la prévention du risque de mésusage des médicaments.

Par ailleurs, l'ANSM est un maillon essentiel pour accompagner le développement et faciliter la mise à disposition des produits de santé innovants, dans des conditions assurant la sécurité des patients. Les attentes sont majeures, tant de la part des patients qui espèrent des traitements nouveaux ou plus efficaces, que des professionnels de santé, des académiques, des industriels, des homologues européens et, au final, de l'ensemble de nos concitoyens. Ces activités d'accompagnement de l'innovation s'inscrivent très largement dans le cadre européen, depuis la production des avis scientifiques en amont des autorisations, en passant par les autorisations d'essais cliniques, et jusqu'aux autorisations de mise sur le marché (AMM). Il est donc indispensable de poursuivre le renforcement de notre positionnement européen pour l'accès précoce et sûr à l'innovation. Il faut encore aller plus loin, et améliorer les délais d'autorisation des essais cliniques, afin d'offrir au patient le service qu'il est en droit d'attendre. Enfin, il faut poursuivre et déployer le « guichet innovation », structure centralisée au sein de l'agence qui vise à fournir à tous les interlocuteurs les informations nécessaires pour accompagner leur recherche. Celles-ci peuvent être de niveau réglementaire, technique, et bien évidemment, de niveau clinique.

J'évoquerai maintenant quelques enjeux immédiats pour l'agence. Je ne peux pas terminer mon propos sans évoquer la situation sanitaire exceptionnelle que nous traversons aujourd'hui. L'agence, en tant que service public et agence de sécurité sanitaire, s'organise pour répondre à ses missions essentielles, notamment celles qui sont directement liées à ce contexte.

Face au coronavirus SARS-CoV-2, il s'agira pour l'ANSM d'adapter ses procédures à l'urgence actuelle, pour accélérer la mise au point, l'autorisation et la disponibilité de vaccins, dans le respect des normes de qualité, d'innocuité et d'efficacité. Bien que développés à une vitesse sans précédent, ces vaccins ne seront autorisés que s'ils sont sûrs, efficaces et de bonne qualité. Comme tous les médicaments, il est essentiel qu'ils soient étroitement surveillés après l'autorisation. C'est d'autant plus important dans le contexte d'un accès précoce. La stratégie de mise à disposition d'un ou plusieurs vaccins contre la covid-19 auprès de la population ou de certains sous-groupes est, comme vous le savez, recommandée par la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé (HAS). Dans ce cadre, l'ANSM mettra en place un dispositif de surveillance renforcée dédié, dans la plus grande transparence.

Autre enjeu majeur et immédiat, la démarche de gestion du risque visera à renforcer l'anticipation et la prévention des situations de tension ou de rupture d'approvisionnement en produits d'intérêt thérapeutique majeur. Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet. Les ruptures de stock sont des situations extrêmement pénalisantes pour les patients, sur des champs thérapeutiques très importants. Je pense à l'oncologie, aux traitements antibiotiques, ou encore aux traitements antiparkinsoniens.

Par ailleurs, l'expérimentation du cannabis à usage médical sera mise en oeuvre. Cette initiative démontre une volonté d'ouverture de l'agence, mais aussi une démarche de gestion du risque. Elle aura pour premier objectif d'évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis, à savoir la prescription par les médecins, la dispensation par les pharmaciens, l'approvisionnement en produits et le suivi des patients. Le second objectif sera de recueillir les premières données françaises sur l'efficacité et la sécurité de l'utilisation du cannabis dans un cadre médical.

Enfin, pour assurer une réponse adaptée au contexte exceptionnel de cette épidémie, l'agence poursuit une démarche de déploiement du télétravail au sein de toutes les équipes. Elle s'inscrit ainsi dans le sens des orientations proposées par le Gouvernement, contribuant ainsi à l'amélioration de la qualité de vie au travail des agents publics.

Pour conclure, je veux souligner l'importance de l'évolution de l'ANSM au cours des six dernières années, sous les deux mandats de Dominique Martin. Si l'opportunité m'est donnée de guider et d'accompagner les collaborateurs de l'agence, je m'emploierai à chaque instant à ce que l'ANSM soit une agence à l'écoute de ses usagers et de leurs attentes. Je souhaiterais qu'elle soit capable d'être agile, résolument en prise avec son temps, une agence au service de la sécurité de tous les patients, qui sont exposés et utilisent au quotidien des produits de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Vous avez une parfaite connaissance de l'ANSM. Vous venez d'évoquer la question de la vaccination contre la covid et de l'attention que portera l'agence une fois que la HAS se sera prononcée. Il y a quelques heures, on apprenait que le Royaume-Uni avait commandé 40 millions de doses, devenant ainsi le premier pays à disposer du vaccin. Quel sera concrètement le positionnement de l'ANSM sur la sécurité de la future campagne de vaccination ? En matière de pharmacovigilance, dans quelle mesure se mobilisera-t-elle pour garantir un suivi attentif des éventuels effets indésirables ? Au-delà des différents communiqués de presse diffusés par les laboratoires, avez-vous connaissance des dossiers scientifiques produits à ce jour par ces derniers ?

L'agence aura-t-elle les moyens humains et financiers de remplir les objectifs inscrits dans son COP, notamment en ce qui concerne le positionnement de la France en Europe dans l'accès à l'innovation ?

Quel bilan faites-vous de la réorganisation interne de l'agence, à la lumière des conclusions de l'enquête de la Cour des comptes réalisée en 2019 ?

L'ANSM a été mise en examen début novembre dans le scandale sanitaire de la Dépakine. Quel regard portez-vous sur le dispositif du règlement amiable des victimes créé en 2017 ? Donne-t-il satisfaction à la majorité d'entre elles ? Faut-il s'attendre, à l'avenir, à une multiplication des demandes de réparation en justice ?

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Micouleau

L'ANSM a pour mission d'assurer l'addictovigilance. Cela se traduit notamment par le classement des produits psychoactifs sur la liste des stupéfiants et des psychotropes. À propos du cannabis dit « thérapeutique » « de détente » ou « récréatif », la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé illégale l'interdiction par la France de la commercialisation du cannabidiol (CBD), 19 novembre dernier, soulignant qu'il ne présentait pas d'effets psychotropes et nocifs sur la santé humaine. Quelle est votre position sur le CBD ? Encouragerez-vous cette libéralisation et cette légalisation ? Quel pourrait être le taux limite légal de tétrahydrocannabinol (THC) dans les produits commercialisés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Delmont-Koropoulis

Je vous remercie pour la clarté de vos propos liminaires. À la lumière de l'expérience de la crise sanitaire, comment voyez-vous l'amélioration de la coordination entre l'ANSM et les comités de protection des personnes (CPP) pour réduire le délai d'autorisation des essais cliniques ? La célérité avec laquelle les essais ont pu être réalisés pourra-t-elle perdurer après la crise ? La priorisation de l'autorisation des essais cliniques dans le traitement de la covid-19 a-t-elle eu pour effet de différer les autorisations d'essais dans d'autres domaines, notamment l'oncologie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Aujourd'hui, l'ANSM ne dispose pas de la possibilité de prononcer des sanctions financières à l'encontre des fabricants qui n'auraient pas mis en oeuvre les mesures de police sanitaire qu'elle prend en cas de dysfonctionnements constatés des dispositifs médicaux. Ne faudrait-il pas plutôt répondre à cette carence au travers de l'arsenal de sanctions que l'agence peut mobiliser en matière de matériovigilance ?

Les pénuries de médicaments se multiplient, et les signalements devraient vraisemblablement exploser en 2020. Avez-vous le sentiment que l'ANSM est assez bien armée, notamment en matière de moyens humains et financiers, pour assurer la surveillance effective des tensions d'approvisionnement ? Quelles sont éventuellement les clés qui lui manquent pour mieux prévenir les pénuries ?

Debut de section - Permalien
Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Je vais revenir sur le positionnement de l'ANSM par rapport aux différentes phases de la vaccination. Premièrement, les vaccins sont des produits biologiques, et à ce titre, la seule façon d'avoir une autorisation de mise sur le marché sur notre territoire est de passer par une autorisation de l'Agence européenne du médicament. Si l'avis est positif, la mise sur le marché concerne l'ensemble des États membres. Nous sommes particulièrement impliqués dans cette évaluation, car l'agence européenne se base sur les forces vives des différentes agences sanitaires des États membres. Par ailleurs, un système de rolling review a été mis en place dans le cadre des situations d'urgences sanitaires. Celui-ci permet de contracter les temps d'évaluation, sans que cela se fasse au détriment de l'efficacité ou de la sécurité. Il autorise le dépôt des données au fil de l'eau, ce qui permet une évaluation continue par les États membres. Ainsi, nous espérons obtenir un avis positif, pour une mise en application la plus précoce possible. Nous sommes aussi très présents dans l'autorisation des essais cliniques sur le territoire national. Bien évidemment, nous sommes aussi impliqués dans le suivi et la surveillance. Il est indispensable, encore plus quand l'accès des médicaments est précoce, qu'un dispositif de surveillance renforcée soit mis en place. Celui-ci aura deux dimensions. D'abord, la pharmacovigilance, grâce à l'existence de notre dispositif de déclaration. Le maillage de l'agence est assez unique en Europe, grâce à nos centres régionaux de pharmacovigilance, ce qui permet de faire remonter les déclarations spontanées des effets indésirables par les professionnels de santé, et surtout par les patients. L'épidémiologie des produits de santé constitue la deuxième dimension, sur laquelle je reviendrai.

Un autre point majeur, qui doit être le squelette de l'ensemble du dispositif de surveillance, est la transparence. Celle-ci est absolument nécessaire pour nourrir la confiance de l'ensemble de nos concitoyens, cruciale pour accéder à la vaccination. Par exemple, dans le cadre de l'utilisation des médicaments thérapeutiques de la covid, nous avons mis en place une publication hebdomadaire sur notre site internet : elle reprend l'ensemble des effets indésirables, ainsi que l'analyse réalisée par nos centres régionaux de pharmacovigilance. Un travail analogue sera réalisé pour les vaccins. Nous aurons une communication et une analyse régulière sur ces effets.

Nous souhaitons aussi favoriser l'implication de nos parties prenantes. Tous nos comités scientifiques permanents rassemblent à la fois des représentants de professionnels de santé et des représentants d'usagers. Notamment, nous impliquons nos partenaires dans la co-construction du dispositif de surveillance, avec une dimension très importante, celle de l'adaptabilité. Nous avons également une rolling review pour l'évaluation des autorisations de mise sur le marché des vaccins.

Le premier pilier est donc la pharmacovigilance, la remontée des déclarations des effets indésirables - c'est ce qu'on appelle les déclarations spontanées. Le second pilier, indispensable, est l'épidémiologie des produits de santé. Nous avons la chance d'avoir un groupement d'intérêt scientifique (GIS), appelé Epi-Phare, qui réunit les compétences de la CNAM et de l'ANSM sur l'épidémiologie des produits de santé. Grâce au système national des données de santé, nous pouvons suivre l'ensemble des personnes affiliées à l'assurance maladie et donc leurs déterminants médicaux, leur consommation de produits de santé, de consultations médicales, de soins hospitaliers... Nous pourrons voir s'il y a une évolution en termes de comportement ou de consommation de soins des personnes vaccinées.

Ces deux piliers complémentaires permettent d'asseoir la surveillance, en toute transparence. Par exemple, le GIS Epi-Phare, avec lequel nous sommes en contact toutes les 4 à 8 semaines, suit la consommation des médicaments par la population française pendant les différentes phases de la crise sanitaire - confinement, post-confinement. Nous avons constaté une diminution de la vaccination obligatoire, une diminution de l'utilisation des produits de santé nécessitant un acte, comme l'injection intravitréenne de produits dans les cas de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA).

Concernant l'innovation et la stratégie européenne, je partage tout à fait les points qui ont été soulevés : innovation égale Europe. Pour qu'un médicament innovant soit autorisé sur le territoire national, il faut obligatoirement une autorisation de mise sur le marché européenne, à laquelle nous contribuons. Nous devons être présents au niveau européen, et c'est ce que nous faisons : nous regagnons notre place, nous sommes entre le top 3 et le top 4 ou 5 pour ce que l'on appelle le « rapporteurship », avec une présence très forte dans les avis scientifiques européens, notamment dans les domaines de l'oncologie, de l'infectiologie, de la neurologie ou des maladies rares.

Le rapport de la Cour des comptes l'a indiqué, l'ANSM, notamment sous l'impulsion de Dominique Martin, a évolué de manière extrêmement importante, avec les notions d'ouverture et de service public. Je pense notamment au sujet des essais cliniques. Nous devons encore renforcer cette démarche d'amélioration. En termes de délais, la procédure réglementaire prévoit 60 jours. Grâce à la mobilisation de l'ensemble de nos collaboratrices et collaborateurs, le délai moyen de réponse pour les essais cliniques se situe aux alentours de 42 à 43 jours en infraréglementaire, ce qui est attractif pour les promoteurs. Bien sûr, cela se fait dans un cadre sécurisé : jamais nous ne sacrifierons la sécurité au profit de la rapidité. L'objectif est de mieux appréhender les évaluations et d'avoir une gestion du risque la plus adaptée. Ces résultats sont valables pour tous les médicaments hors covid. En période de covid, nous avons accéléré les délais d'autorisation, sans pour autant différer l'autorisation des autres essais cliniques. Nous avons organisé l'agence, avec une priorisation plus importante pour les autorisations covid, mais, en oncologie notamment, les demandes d'autorisation d'essais cliniques ont continué. Le délai moyen d'autorisation n'a pas augmenté : il est toujours de 42 à 45 jours.

Pour les essais cliniques concernant la covid-19, le délai était de quelques jours, moins d'une semaine, au tout début ; aujourd'hui, il se situe entre 7 et 10 jours.

Les CPP se sont mobilisés pour répondre dans des délais les plus rapides possible. Cela permet de préfigurer le futur règlement européen relatif aux essais cliniques : l'ANSM délivrera alors une seule autorisation. Il est important de capitaliser sur ces améliorations en termes de délais. La crise de la covid-19 a permis de réinterroger un certain nombre de processus, notamment avec les CPP, et de démontrer que nous étions collectivement capables, avec toujours l'objectif d'assurer la sécurité des patients, d'accélérer la mise à disposition des autorisations d'essais cliniques.

Sur la Dépakine, je veux dire que l'Agence est aux côtés des patients dont les souffrances sont particulièrement importantes. Le valproate est une molécule ancienne qui a révolutionné la prise en charge des patients épileptiques. Comme pour tout médicament, il y a des bénéfices et des risques. Auparavant, l'information directe des patients n'était pas forcément le dispositif le plus mobilisé ; aujourd'hui, il est important que, en plus de cet indispensable colloque singulier médecin-patient, les patients aient un accès direct à l'information. C'est ce qui mobilise l'Agence depuis de nombreuses années, l'objectif étant de diminuer l'exposition des femmes en âge de procréer et des femmes enceintes au valproate : mise en place de protocoles d'accords de soins, obligation des premières prescriptions par un spécialiste et pictogrammes sur les boîtes de médicaments. L'ensemble de ces mesures ont eu une certaine efficacité, puisque nous sommes passés de 1 500 grossesses exposées au valproate en 2010 à un peu plus de 200 en 2019. Il faut impliquer les parties prenantes : les professionnels de santé, mais aussi, et surtout, les patients. Je pense à l'implication très importante de l'Association des parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant (Apesac), présidée par Marine Martin. Impliquer les patients nous permet d'adapter le contenu et le format de nos réponses pour proposer des mesures de réduction du risque les plus efficaces possible.

Un point sur le cannabis à usage médical. L'expérimentation débutera début 2021. Plusieurs arrêtés ministériels ont déjà été pris ; nous sommes dans la phase des appels d'offres, pour les produits mis à disposition de manière gracieuse, mais également pour la formation des professionnels des médecins et pharmaciens. L'implication des patients est extrêmement importante. Cette expérimentation d'envergure, assez unique en Europe, permet de valider les modalités d'utilisation du cannabis à usage médical, et d'obtenir les premières données sur l'efficacité de l'utilisation de ce produit. Un comité scientifique temporaire, qui réunit l'ensemble des parties prenantes, a été constitué : il a mené des auditions publiques très larges, à la fois de professionnels de santé, de patients et de nos homologues étrangers, afin d'avoir une approche de santé publique de l'utilisation du cannabis à usage médical.

Concernant le cannabidiol, un arrêté a été récemment pris au niveau européen. L'objectif est de trouver avec l'ensemble des institutions et des ministères compétents, chacun dans le respect de ses compétences, un juste équilibre. Il faut, à la fois, un bon usage et une information claire et précise des patients et des professionnels de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Théophile

Merci pour toutes ces explications qui ont apporté une réponse partielle à ma question. Il y a tout juste un an, la Cour des comptes a remis à notre commission une enquête visant à évaluer l'adéquation des moyens de l'ANSM à ses missions, en s'appuyant notamment sur la comparaison avec des agences européennes. La Cour a formulé, à cette occasion, une série de recommandations concernant la gouvernance, la gestion, les finances, les missions ou les conditions d'exercice de l'ANSM. La liste étant longue, je citerai seulement le renforcement et la systématisation des contrôles visant à prévenir les conflits d'intérêts, l'étoffement des moyens des centres régionaux de matériovigilance ou le renforcement de la sécurité des médicaments prescrits hors autorisation de mise sur le marché.

En tant que directrice générale adjointe, que pouvez-vous nous dire de l'accueil qui a été réservé à ces recommandations et si elles ont été, dans le contexte particulier que nous connaissons, suivies d'effets ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Vous avez évoqué les pénuries d'antibiotiques, les essais cliniques, le guichet innovation. Je travaille sur les phages pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Je sais, par les auditions que je mène, que l'ANSM est assez ouverte sur cette question. Les phages ne sont pas des médicaments. Pour être développés, il faudrait des essais cliniques : comment peut-on en faire, alors qu'il n'existe pas de tissu industriel pour les produire ? D'autant que, pour l'instant, ils ne sont utilisés que pour un usage compassionnel. Dans ces situations difficiles, il est difficile d'étudier de nombreux cas et de prévoir des placebos. Pour les phages, ou d'ailleurs pour de nouveaux médicaments, votre guichet innovation peut-il proposer de nouvelles formes pour ce type de produits ? L'ANSM serait-elle prête à faire évoluer la réglementation pour ce type de soins ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Merci de votre présentation. Vous avez évoqué l'écoute des usagers et abordé la démocratie sanitaire. On peut mieux faire dans notre pays sur ce sujet. Quel peut être le rôle de l'Agence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Merci pour cette présentation et pour les réponses que vous avez apportées.

Ma question rejoint celle de Catherine Procaccia. Tout comme vous, les parlementaires sont entre l'impatience de certains patients, qui voudraient accéder à des produits innovants parce qu'ils sont dans la détresse et qu'ils souffrent, et le scepticisme d'une grande portion de la population qui s'interroge sur la réalité sécuritaire des produits.

On le voit avec le vaccin contre la covid-19 : la vaccination des populations les plus âgées, doit respecter certaines précautions. Elles ne sont pas des cobayes. Pourtant, en France, on sait combien l'Agence que vous souhaitez diriger, mais aussi d'autres instances comme la Haute Autorité de santé, est extrêmement tournée vers la pharmacovigilance et la sécurité des patients. Des efforts sont à faire en termes de communication d'informations. Le site de l'ANSM s'adresse à des experts : les termes ne sont pas connus de tous, ce qui peut « embrouiller » un certain nombre de nos concitoyens qui ne sont pas des initiés. On parle mal de ce qu'on ne connaît pas ou de ce qu'on ne comprend pas. Pour votre crédibilité, notamment à l'égard de nos concitoyens qui font toujours preuve de scepticisme, vous auriez tout intérêt à rédiger de façon plus claire vos réponses scientifiques. Je ne parle pas de vulgarisation parce que, dans ce domaine, il faut garder une assurance scientifique, mais en tout cas, utiliser un langage qui puisse être compris de tous.

Debut de section - Permalien
Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Madame Doineau, je partage pleinement vos réflexions sur le site de l'ANSM. Celui-ci est en profonde rénovation : il devrait être davantage tourné vers ses usagers à partir de début 2021, la crise sanitaire ayant décalé le développement du nouveau site. Nous devons être lisibles. C'est la raison pour laquelle nous avons développé l'implication des usagers dans l'ensemble de nos instances, afin que nos messages soient le mieux compris possible. Quoi de mieux que d'avoir en son sein les usagers concernés pour élaborer ces contenus ? Il est également important de rencontrer régulièrement la représentation nationale pour faire des points de situation sur l'évolution de l'Agence : j'espère pouvoir vous dire dans quelques mois que nous avons un nouveau site. Pour créer notre site « ANSM 2.0 », nous avons auditionné de nombreuses parties prenantes afin d'être à l'écoute des attentes des usagers, qu'ils soient des professionnels de santé, des industriels, des citoyens. Je crois profondément en la transparence : les citoyens doivent pouvoir avoir accès aux données, aux mesures et aux actions mises en place, afin que le lien de confiance soit renoué.

Nous avons évidemment porté une grande attention au rapport de la Cour des comptes : je salue le travail qui a été réalisé et les mesures qui ont été proposées, notamment dans le domaine de la matériovigilance. Je l'ai dit, nous avons un formidable maillage territorial avec les centres régionaux de pharmacovigilance. Il est important d'avoir la même dynamique concernant la matériovigilance. La réforme des vigilances qui est en cours a été décalée en raison de la situation sanitaire, mais il y a bien une volonté de renforcer les moyens, afin de permettre la remontée des effets indésirables.

Concernant le mésusage et le hors AMM, c'est une politique publique que je souhaite mener avec une grande vigueur. Je ne peux pas la mener seule, puisque cette question est liée au sujet de la prescription et des attentes des patients : il est important d'avoir une implication large de nos parties prenantes. Il y a plusieurs hors AMM : quelquefois, le hors AMM peut sembler justifié - des cadres existent, notamment les recommandations temporaires d'utilisation - ; dans d'autres, il ne peut pas exister. Il est important de bien faire connaître cette distinction aux professionnels de santé et aux patients. L'AMM n'est pas qu'un cadre réglementaire. On a souvent l'impression qu'elle constitue un carcan administratif. Ce n'est pas le cas ! C'est un dispositif qui sécurise l'utilisation, puisque l'AMM est accordée sur la base de données, notamment d'essais cliniques, qui ont pu montrer un rapport bénéfices-risques favorable dans une indication définie. En l'absence de données, la part d'incertitude et de risque est forcément plus grande. Se pose ensuite évidemment le sujet de l'évolution et de l'adaptation des AMM.

Madame Procaccia, nous avions eu des échanges sur la phagothérapie. Le sujet, que vous connaissez très bien, est complexe. Les phages ne sont pas des médicaments, comme le cannabis à usage médical. Il faut être agile et essayer de voir ce qui est possible, avec l'idée d'apporter un service aux patients dans de bonnes conditions de sécurité. Le guichet innovation que nous avons mis en place est typiquement fait pour ce type de demandes, c'est-à-dire des demandes qui ne rentrent pas dans le cadre d'un médicament ou d'un dispositif médical. En ce qui concerne l'écoute des usagers et la démocratie sanitaire, je partage les propos de Mme Meunier. Comment mieux faire ? Les usagers sont présents dans nos comités scientifiques permanents, qui sont nos groupes de travail, afin que le savoir expérientiel des patients, qui est tout aussi important que l'expertise des professionnels de santé, puisse être pris en compte. Au travers d'auditions publiques, nous écoutons la parole des patients. Cela fait un peu plus d'un an que les usagers participent à l'ensemble de nos comités scientifiques permanents - ils participaient déjà à nos commissions depuis 2011.

Il faut apprendre à travailler tous ensemble. Plus on intègre l'ensemble des savoirs, plus les mesures sont adaptées. On peut mieux faire, on peut faire davantage, mais nous sommes dans une dynamique plutôt positive.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie. Pour avoir travaillé avec Véronique Guillotin et Yves Daudigny sur un rapport sur l'accès précoce aux médicaments innovants, je veux témoigner de la réactivité de l'ANSM. Nous souhaitons que les délais restent resserrés. La question des CPP est un véritable sujet que nous n'allons pas aborder maintenant.

Enfin, et ce point sera dans le rapport de la commission d'enquête sur la covid, il faudra évoquer le hors AMM. J'ai été, pour ma part, quelque peu surprise d'une autorisation donnée par l'Agence européenne du médicament pour le Remdésivir. L'ANSM est d'ailleurs revenue sur des autorisations temporaires d'utilisation : on assiste parfois à une accélération dans un sens et à une décélération dans l'autre. Dans ce contexte, il faut savoir garder un bon équilibre.

Madame Ratignier-Carbonneil, nous vous remercions. Nous allons maintenant procéder au vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous avons procédé à l'audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.

Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.

L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote, les résultats du scrutin sont les suivants :

Ce point point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 10.