Commission d'enquête Concentration dans les médias

Réunion du 24 janvier 2022 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Laurent Lafon

Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec une table ronde consacrée au service public, avec Mme Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, Mme Sibyle Veil, présidente de Radio France, et M. Bruno Patino, président d'Arte.

Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et a pour rapporteur David Assouline.

Il nous a semblé important de consacrer une audition complète au service public, que vous représentez dans sa diversité.

La France dispose d'un service public de l'audiovisuel qui représente une part importante du marché. Ainsi, le groupe France Télévisions rassemblait une part d'audience de 28,2 % en 2021 et Arte de 2,8 %. Radio France, de son côté, est le groupe leader en France, avec une part de marché de près de 30 %.

Il était donc difficile de parler de concentration des médias sans réunir un service public qui, par bien des égards, en est un acteur dominant. Pour autant, et s'il est, pour certains, paré de toutes les vertus, le service public est également parfois victime de suspicions quant à son indépendance du pouvoir politique, soit une remarque exactement symétrique à celle des médias privés face au pouvoir économique de leurs actionnaires.

Nous souhaitons donc que vous nous exposiez votre réflexion générale sur la concentration des médias, un mouvement qui pourrait encore être accentué en 2022 avec le projet de rapprochement TF1/M6 ou la montée en puissance de Vivendi, mais également que vous nous disiez ce qui fait, selon vous, la spécificité d'un média de service public, et que vous nous présentiez les garanties qu'il apporte face aux risques d'ingérence.

Cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite, madame Ernotte, madame Veil, monsieur Patino, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Delphine Ernotte Cunci, Mme Sibyle Veil et M. Bruno Patino prêtent successivement serment.

Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Cette commission d'enquête arrive à un moment où l'on sent une forme de cristallisation de l'inquiétude sur la tenue des débats publics. En effet, aujourd'hui, trois Français sur quatre déclarent n'avoir aucune idée claire de l'actualité. Cela tient sans doute à trois facteurs.

Le premier est la prédominance des réseaux sociaux et le fait qu'une fausse information circule six fois plus vite qu'une information juste. Ces réseaux sociaux nous enferment dans des boucles qui, finalement, nous confortent dans des opinions préexistantes, sans parler de la dérive du harcèlement en ligne. Dans le même temps, des chaînes d'opinion émergent, avec leur lot d'hystérisation du débat et de culture du clash. C'est assez nouveau dans la télévision française. Enfin, le secteur se concentre très vite, en France comme ailleurs en Europe : nous assistons au rachat de Lagardère et au projet de fusion TF1/M6.

Donc, la question de la concentration se pose alors que nous sommes confrontés à un dérèglement médiatique. Elle questionne, d'une part, le pluralisme, et, d'autre part, la diversité culturelle.

Ma première conviction, c'est que le service public est une balise indispensable pour les citoyens en matière d'information. En effet, dans ce moment de dérèglement médiatique, l'information dans le service public n'est pas une marchandise, mais la base du contrat de confiance qui nous lie à nos concitoyens. Pourquoi ? Parce nous sommes indépendants des pouvoirs économique et politique ; parce que le pluralisme est au coeur de nos offres ; parce que ce contrat de confiance se vérifie dans les différentes enquêtes - France Info, notre oeuvre commune, est, en termes de confiance, largement en tête des chaînes d'information - ; enfin, parce que nous disposons, dans le service public, d'une offre d'investigation désormais unique. D'ailleurs, en Europe, on relève une corrélation très stricte entre le poids et la santé des services publics et le niveau de démocratie des différents pays.

Dans ce contexte, des propositions de privatisation ou d'abandon d'une partie du service public sont apparues en France et au Royaume-Uni. Ce débat est, pour moi, d'un autre siècle, qui voudrait que l'on passe d'un monopole public dans les années 1980 à une forme de monopole privé à partir des années 2020.

Ma deuxième conviction, c'est que les médias nationaux vont rester durablement les principaux financeurs de la création française. Les médias globaux transnationaux - d'origine américaine aujourd'hui, asiatique sûrement demain - qui figurent dans le top 10 des géants de la tech représentent 30 fois la valeur des 66 médias de service public européens. C'est dire leur poids et leur force politique, dont l'importance à Bruxelles est attestée par leur lutte contre le projet de Digital Services Act (DSA) que soutient la Commission. À cela s'ajoute leur prédominance technologique, puisque les terminaux et les algorithmes ne sont pas européens.

Cette situation nous fragilise tandis que le service public subit des baisses budgétaires et qu'une forme de tension sur le marché de la publicité a des répercussions pour les chaînes privées. On constate une forme d'emprise sur les talents. Je citerai une nouvelle fois l'exemple de la très grande showrunneuse de Dix pour cent, Fanny Herrero, qui est sous contrat exclusif chez Netflix, ou encore Omar Sy. En outre, dans des domaines connexes comme les droits du sport, ces grandes plateformes américaines viennent maintenant arracher des droits sportifs - Amazon pour la Ligue1 et Roland-Garros.

Face à ces phénomènes, les acteurs européens doivent se renforcer. Cette position vaut pour l'audiovisuel privé - c'est pourquoi je me suis toujours déclarée favorable à la fusion TF1/M6 - comme pour l'audiovisuel public. À cet égard, nous sommes réunis au sein de l'Union européenne de radio-télévision (UER) ou d'offres communes dont France Info et d'autres sur lesquelles nous sommes en chantier, notamment avec ma collègue Sibyle Veil. Nous avons noué des alliances au niveau européen pour défendre nos intérêts communs, autant publics que privés, puisque nous avons une posture commune en matière de soutien au DSA et au Digital Markets Act (DMA), qui sont en cours de discussion à Bruxelles.

Enfin, ma troisième conviction dans ce dilemme « concentration versus pluralisme », c'est qu'un chemin existe - certes étroit.

Premièrement, il faut mettre la question du pluralisme de l'information au coeur des préoccupations dans les grands projets de rapprochement. Pour ce faire, nous avons très certainement besoin de nous appuyer sur un régulateur fort comme l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Deuxièmement, il est nécessaire de défendre un service public solide, indépendant et accessible à tous. Il y a urgence à réformer la redevance, puisque la question se pose déjà pour 2023. Nous devons, comme nous nous y employons aujourd'hui avec mes collègues, accélérer les coopérations entre services publics français, notamment sur le numérique, pour massifier notre offre et être visibles. C'est pour nous un enjeu majeur de puissance.

Dernier point qui n'est pas encore totalement traité, mais se révèle tout aussi important : la prééminence. Comment faire en sorte que les services publics et les grands services privés demeurent des contenus d'intérêt général et existent dans ces environnements numériques que nous ne maîtrisons pas ? Comment éviter l'effacement technologique ? Comment faire en sorte que, demain, en allumant une télévision connectée, on ait accès aux applications des services publics ? Comment faire pour que, demain, un bouton « service public » sur la télécommande remplace les boutons « Netflix » et « Disney » ?

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

Merci beaucoup de nous réunir pour parler d'un sujet important qui concerne l'évolution de l'écosystème des médias et de ses impacts sur le débat public. Cela permet d'envisager le sujet des médias du bon côté, à un moment où des critiques ont paradoxalement été émises à l'encontre du service public, alors que son utilité et sa reconnaissance n'ont sans doute jamais été aussi fortes. Il est vrai que nous n'avons jamais eu autant d'auditeurs à Radio France que lors de ces dernières années.

Nombre de personnes auditionnées devant votre commission ont rappelé l'évolution des usages et la concurrence internationale, qui constituent une nouvelle donne du secteur audiovisuel et appellent logiquement la consolidation d'acteurs nationaux aux niveaux français et européen. Cette concentration présente évidemment des avantages : des effets d'échelle, de masse critique ; elle a aussi des inconvénients, qui ne sont pas automatiques, sur les salaires, les prix, la diversité. Des acteurs très innovants, mais de taille réduite ou présents sur des segments restreints peuvent être aussi performants que des mastodontes multimétiers, qui peuvent se confronter à l'échec quand ils oublient d'être innovants.

Par conséquent, dans une économie ouverte telle que la nôtre, le législateur doit avant tout avoir à coeur d'aider les acteurs à être performants, quelle que soit leur taille, pourvu que la diversité, l'innovation et l'indépendance soient garanties. Cela concerne autant le secteur de la vidéo dont on parle beaucoup que les acteurs de l'audio, malheureusement un peu délaissés. Nous avons besoin d'acteurs forts et innovants pour contrer, d'un côté, Netflix et les autres plateformes de vidéo, et, de l'autre, Spotify, Apple, Amazon Music, pour le secteur de la radio et de la musique. Voici le message que j'aimerais vraiment faire passer devant votre commission : il faut sortir l'audio de l'oubli. C'est sur ce sujet spécifique que je souhaiterais apporter un éclairage complémentaire.

Dans le monde actuel, les concurrents de Radio France ne sont plus simplement RTL, Europe 1, RMC Info ; ce sont aujourd'hui Spotify, Apple ou encore Amazon qui lance son offre de podcasts en France. On sait combien le rapport des jeunes à la musique, à l'« audio parlé » a changé, eux qui passent beaucoup plus de temps à streamer sur des plateformes qu'à se diriger vers des médias traditionnels.

Il est donc essentiel aujourd'hui, dans ce nouveau secteur audio, d'investir en faveur de l'innovation pour préserver une forme de souveraineté culturelle. Sans promotion de la richesse de la musique en France, il faudra se résigner à ce que, dans dix ans, les jeunes n'écoutent plus aucun artiste français. Or, sur les plateformes de streaming, les algorithmes ne sont pas conçus pour favoriser la diversité. Pour agir, nous pouvons compter sur un service public qui a pris la question de l'exception culturelle française à bras-le-corps.

Depuis que je suis présidente de Radio France, j'ai fait deux choix stratégiques. J'ai voulu, d'une part, remettre l'audio au coeur de notre stratégie et de nos investissements. L'apparition de ces nouveaux acteurs mondiaux de l'audio sur le podcast et la musique nous a donné raison. J'ai décidé, d'autre part, de réduire notre dépendance aux grands agrégateurs en matière de distribution numérique. Quand j'ai pris mes fonctions en 2018, 84 % de nos podcasts étaient écoutés sur des plateformes, des agrégateurs anglo-saxons. À la fin de 2021, notre application Radio France, 100 % audio, avait plus d'utilisateurs mensuels qu'Apple Podcasts. C'est vous dire le chemin que nous avons réussi à parcourir. Cela représente un accomplissement immense compte tenu de la disproportion de forces et de moyens entre Apple et la radio de service public en France. Cette application s'appuie sur nos contenus et des investissements technologiques en faveur de l'ergonomie, de l'expérience utilisateur et des plateformes. Les médias historiques qui n'engagent pas aujourd'hui cette mutation sont condamnés à disparaître progressivement des usages des Français, à commencer par ceux des plus jeunes générations. Nous avons besoin d'acteurs, y compris privés, de la radio et de l'audio qui soient forts pour entretenir l'intérêt du public pour le média radio.

Oui, cette consolidation est bénéfique si elle permet aux acteurs de la radio d'engager leur mutation vers l'audio. Or, ces dernières années, les différents rapprochements multimédias ont souvent été réalisés au détriment de ce média. Au sein des groupes radiotélévisés, on observe que la radio est rarement tirée vers le haut dans les choix d'investissements. Pour le DAB+, la France a pris beaucoup de retard par rapport à ses voisins européens quant au déploiement de cette nouvelle technologie de diffusion de la radio. Cela résulte du manque de priorisation de cet investissement par les différents grands acteurs de la radio. Continuer à écouter la radio sur la technologie FM qui date des années 1940 est-il le meilleur moyen de rendre ce média encore attractif pour les plus jeunes générations ? Heureusement, avec la persévérance de l'Arcom, de la radio publique française et d'autres acteurs, le virage vers le DAB+ a pu être engagé à l'instar de nombre de nos voisins européens. Le Royaume-Uni envisage par exemple d'ici à 2030 le basculement de toute la diffusion dans cette technologie.

Par ailleurs, les rapprochements entre l'offre radio et l'offre télévision ont souvent lieu dans une logique de synergie de coûts, de couplage, notamment concernant les offres publicitaires, en diffusant le même programme sur les deux médias, avec un appauvrissement de la diversité des contenus. C'est la raison pour laquelle les projets de coopération que nous avons développés avec Delphine Ernotte Cunci au sein de l'audiovisuel public ont eu pour objet, non pas de supprimer une offre existante, mais bien d'en créer une nouvelle en fonction des besoins. Par exemple, l'offre nouvelle de France Info a été créée grâce à l'adjonction des forces de la radio et de la télévision publiques. De plus, l'accroissement des liens entre France Bleu et France 3 vise à étendre l'offre régionale. Nous nous sommes attachés à jouer sur la force de chacun des médias et, surtout, sur l'effet démultiplicateur du projet numérique qui a sous-tendu ces principales offres.

L'information est un bien public indispensable au fonctionnement de la démocratie. Tous les médias doivent être solidaires à cet égard. Le moindre soupçon entache l'ensemble du secteur. Or le paysage informationnel s'est transformé. Pour apporter du contenu de qualité, il faut mettre en oeuvre des moyens très importants, qu'il s'agisse des reportages, des enquêtes ou de l'investigation. Il convient de ne pas se limiter à des débats sur les plateaux et aux relais de polémiques nées sur les réseaux sociaux pour faire du buzz facilement. Nous accomplissons un travail de fond important pour construire une réponse globale face à la transformation du paysage de l'information. Dans ce but, nous investissons dans l'intelligence artificielle et luttons pleinement contre la diffusion de fausses informations afin de fiabiliser les contenus.

Debut de section - Permalien
Bruno Patino, président d'Arte

Je ne peux que m'inscrire dans la continuité des propos de Delphine Ernotte Cunci sur le caractère indispensable du service public et de Sibyle Veil sur sa nécessité d'innover. Arte est totalement d'accord avec ces assertions. Étant une chaîne franco-allemande, nous vivons les questionnements sur le rôle ou le poids du service public avec la stéréo de nos amis allemands ; en juillet dernier, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a, tout en validant une augmentation de la redevance, rappelé que le service public était plus que jamais une nécessité pour la démocratie allemande. En un moment où l'espace public tend en effet à se polariser et à se fragmenter, cette décision a permis à l'audiovisuel public allemand d'avoir plus de ressources qu'il n'en a jamais eues, et plus de devoirs - civiques, publics et d'intérêt général.

En écho aux propos de la présidente de France Télévisions et de la présidente de Radio France, je ferai trois brèves réflexions, assorties d'une illustration.

Le cadre sur la concentration des médias, à savoir la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, a été élaboré alors qu'il existait une certaine rareté des médias. Qu'en est-il aujourd'hui dans un monde de profusion d'images, de sons, de chaînes de télévision pour autant que l'on soit encore capable de définir ce qu'est une chaîne ? Les lieux de tension, y compris en termes de pluralisme et de diversité, se sont déplacés dans les deux extrêmes de la chaîne de valeur : d'un côté, dans l'accès à l'information, à la propriété intellectuelle, au talent, au créateur, comme l'a dit justement Delphine Ernotte Cunci concernant notre « dialogue » avec les plateformes - je m'associe pleinement à ses propos - ; de l'autre, en aval, dans la « découvrabilité », c'est-à-dire la capacité non plus de mettre à disposition, mais de faire découvrir. C'est là que se situent le poids et la puissance. Sibyle Veil l'a dit à juste titre, faire découvrir, c'est une question technologique, qui pousse à l'innovation et à la maîtrise de la data.

Informer aujourd'hui, rendre accessible la culture, créer un espace public, c'est aussi un défi technologique. Cela ne rend pas obsolètes les analyses de concentration par secteur ou en silo, mais elles ne suffisent plus. Les modèles économiques ont chacun une conséquence sur l'espace public, sur l'information et sur notre vie culturelle en général.

À cet égard, je citerai le modèle de l'économie de l'attention publicitaire, qu'il soit numérique, télévisuel ou radiophonique, avec toute la « sursollicitation » de l'audience que cela implique.

Autre modèle : l'adhésion qui suppose l'abonnement, plus ou moins qualitatif, qui « archipelise » le public à un moment donné. Cela n'est pas forcément négatif, mais cela crée des chapelles de fidélité.

Enfin, le troisième modèle est celui du service public. C'est le seul qui essaie de rassembler et dont l'objet est de transformer le public en citoyens. En 2022, instaurer un dialogue sur la concentration ou la diversité, c'est aussi s'assurer d'une diversité des modèles économiques pour chaque média. Cela suppose la présence d'un service public fort à côté des acteurs privés qui se financent par la publicité ou l'abonnement.

Au sein de chacun des modèles économiques, il faut une diversité des acteurs publicitaires, d'abonnements, y compris pour les plateformes, et une pluralité dans l'offre des organismes de service public.

Aujourd'hui, tout le monde recherche de nouveaux critères sur la concentration. En Allemagne, les règles me semblent extrêmement modernes, mais les critères apparaissent déjà un peu dépassés. Le « tabou Hugenberg » en Allemagne proscrit de manière structurelle l'adossement des médias à une industrie. Conséquence : cela crée des grands groupes médias qui poussent eux-mêmes à la concentration.

Il existe également, comme toujours en Allemagne, deux maillages ou deux niveaux pour calculer le poids d'une concentration donnée. Au niveau des Länder, nous essayons d'étudier les positions dominantes dans la fabrication de l'opinion. Les quatorze bureaux des Länder chargés de l'analyse de la concentration des médias étudient donc le poids de chaque média dans l'opinion. Ce calcul s'effectue pour l'instant de façon assez traditionnelle, sur la base des parts d'audience, mais rien dans le fonctionnement des Länder ne les oblige à se cantonner à cette analyse. Les critères peuvent évoluer.

Le deuxième niveau est celui de l'État fédéral, qui s'intéresse aux médias en tant que marché. Nous en revenons ici à un système beaucoup plus traditionnel focalisé sur la répartition des parts de marché dans un silo ou une industrie donnée.

Le problème de la concentration a trois conséquences qui peuvent être à étudier.

Premièrement, on confond souvent les économies d'échelle et les effets de réseau. Comme les présidentes de France Télévisions et de Radio France l'ont très bien souligné, les effets de réseau ont trait à l'efficacité sur le réseau, et peuvent aussi provenir de petits acteurs. Cela suppose une agilité et une très grande capacité d'innovation technologique. Les économies d'échelle relèvent quant à elles d'une vision industrielle, appuyée sur du cost cutting, par exemple, qui appartient à mon sens à un monde un peu dépassé.

Deuxièmement, la mondialisation des marchés peut entraîner des effets d'éviction, y compris en matière d'information. Les grands acteurs mondiaux de l'information, qui sont quelquefois exceptionnellement bons, choisissent de devenir des acteurs quasi monopolistiques de création d'informations sur un pays donné - y compris, parfois, aux dépens des fournisseurs d'informations locaux. Une plateforme comme celle du New York Times, qui comptabilise un nombre d'abonnés considérable, en est un bon exemple.

Il ne faut donc pas croire que les effets d'éviction qui se produisent parfois pour les créateurs de fictions ou de documentaires ne peuvent pas, un jour ou l'autre, avoir lieu dans le domaine de l'information.

Troisièmement, nous voyons arriver une standardisation des offres, alors même que la création se définit comme une prise de risques.

En ce qui concerne Arte, nous essayons d'avoir un modèle européen en réseau, appuyé sur des collaborations. Nous faisons plus de premiers films que beaucoup. Nous faisons débuter de nombreuses personnes. D'autres débutent sur France Télévisions, ou sur Radio France dans l'univers du son. La pluralité des acteurs, c'est ce qui permet à la création de prendre tous ses risques et aux diverses visions de l'information d'avoir lieu. Notre information est binationale, car elle est conçue par une rédaction qui parle deux langues et voit les choses à travers le prisme de deux réalités. Cela donne une information différente de celle de France Télévisions. Les deux sont, à mon avis, nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La reconfiguration du paysage audiovisuel, marquée par des concentrations économiques croissantes, a un impact sur le coeur de l'audiovisuel français constitué par des entreprises de service public tout à fait performantes. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

Le groupe qui résulterait de la fusion entre TF1 et M6 capterait 75 % du marché publicitaire et plus de 40 % d'audimat - près de 75 % avant les informations, c'est-à-dire au moment où les Français vont aller devant l'écran pour s'informer. Madame Ernotte, vous avez tenu à dire et à répéter que vous étiez favorable à cette fusion, alors que tous les éléments dont nous disposons laissent penser que le service public en sera le premier affecté, sur trois plans : les marchés publicitaires, la valeur des droits, et la diffusion des événements sportifs. Je suis donc très surpris d'une position aussi affirmée.

Certains y voient une tactique, visant à demander au service public de faire davantage. Si tel est bien le cas, cela me semble petitement tactique.

Que le rapprochement entre TF1 et M6 se fasse ou non, il est vital de renforcer le service public en mettant fin notamment à la baisse des dotations. Il a fait la preuve de son utilité et de la qualité de ses programmes, particulièrement pendant la pandémie.

La concentration des médias est-elle un moyen de résistance pour l'audiovisuel français face aux plateformes ? N'est-ce pas plutôt par la créativité et la diversité de l'offre que l'on peut agir dans cette concurrence ? La série En thérapie d'Arte a ainsi comptabilisé 5 millions de vues. Quelle est, selon vous, la meilleure manière de procéder ?

Quel impact la fusion TF1-M6 aura-t-elle sur le service public en général ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Je comprends votre questionnement. Je ne pense pas que cette fusion soit une manière de lutter contre les plateformes. Le marché des médias est composé d'acteurs qui font de la télévision. Il s'agit d'un métier particulier dont on a redécouvert les vertus au moment du confinement : regarder la même chose ensemble, vibrer ensemble, se rassembler. Mais il se compose également d'offres complémentaires proposant un accès à une bibliothèque de contenus, dont la consommation s'avère très individuelle.

Il est important que nous ayons des acteurs français en bonne santé. Si TF1 et M6 pensent devoir fusionner pour rester en bonne santé, c'est important qu'ils le fassent. Nous ne sommes pas très nombreux sur le marché de la télévision. Nous avons besoin de concurrents privés en bonne santé.

Si les offres privées se délitaient - ce n'est pas le cas aujourd'hui -, c'est tout le média télévision qui tomberait, et nous avec lui. On doit défendre le média télévision dans un monde où l'offre de médias est beaucoup plus large.

Néanmoins, ce n'est pas sans caveat, évidemment. La question de l'absence de phénomène d'éviction des droits sportifs est notamment fondamentale. Nous nous en remettons sur ce point à la sagesse de l'Autorité de la concurrence, qui mettra des garde-fous. Il en faut sur les droits sportifs, particulièrement pour les grandes compétitions comme les jeux Olympiques et Paralympiques, qui sont diffusés de tout temps sur France Télévisions. Toutefois, les seuls concurrents en la matière ne sont pas TF1 et M6. On voit les grandes plateformes entrer dans ce marché.

Il y a également un caveat sur la publicité. Le simple fait de regrouper les marchés publicitaires de ces deux mastodontes fait baisser le chiffre d'affaires publicitaire de France Télévisions. Il y a une prime au leader, nous le savons, qui a des conséquences.

Je ne suis pas naïve. Je ne pense pas qu'il faille bénir n'importe quelle façon de fusionner TF1 et M6. Néanmoins, je comprends le besoin d'avoir des acteurs nationaux qui soient puissants et qui aient les moyens de développer une offre qui pèse.

Par ailleurs, en matière de création, le service public est très majoritaire. Si l'on additionne ce que fait Arte avec ce que fait France Télévisions en matière de séries, cela représente plus de 60 % du marché. Je ne suis pas sûre que la fusion entre TF1 et M6 ait de grandes conséquences dans ce domaine - mais c'est un point à étudier.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

Il est beaucoup plus vertueux pour nous d'être des acteurs leaders dans un secteur en croissance que de l'être dans un secteur en décroissance, qui s'appauvrirait parce que les acteurs nationaux se rabougriraient sous l'effet de la concurrence des grands acteurs internationaux.

Or c'est le risque qui se présente aujourd'hui. La diversité et la qualité sans moyens, c'est un leurre, cela n'existe plus. Nous devons donc avoir des acteurs capables d'investir dans la diversité, la qualité des contenus ainsi que dans la qualité des plateformes technologiques qui constituent la porte d'accès vers les contenus pour nos concitoyens.

Or je constate que, aujourd'hui, nos principaux concurrents, ce sont les acteurs du streaming. Quand on veut diffuser le concert qui lance l'album d'un acteur notoire du secteur musical, notre vrai concurrent, c'est Spotify. La concurrence a donc beaucoup changé. De même, les talents internes à Radio France qui sont recherchés à l'extérieur le sont par ces plateformes, qui veulent se lancer dans la production de podcasts.

La concurrence a vraiment changé de nature. Avec les autres acteurs privés, nous sommes concurrents sur les contenus, mais nous faisons face en réalité au même défi, qui est le risque de disruption - c'est-à-dire de voir Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) s'interposer entre nous et notre public, en particulier dans les voitures et sur les enceintes connectées. Si Spotify apparaît sur le tableau de bord des voitures à la place des médias radio, nous serons les premiers perdants. C'est pourquoi nous nous sommes alliés aux autres acteurs de la radio pour créer l'interface Radioplayer. Nous avons des intérêts communs, objectifs, réels, et avons besoin pour cette raison d'avoir des acteurs forts de la radio.

Debut de section - Permalien
Bruno Patino, président d'Arte

Il peut arriver à France Télévisions et Arte la même chose sur les télécommandes que ce que vient de décrire Sibyle Veil dans les voitures. Des accords particuliers peuvent être passés entre les constructeurs et les grandes plateformes mondiales, dont la force de frappe financière est considérable, pour que les boutons d'accès aux plateformes arrivent en première position sur les télécommandes. Nous en revenons à l'économie de l'accès et à la question de la découvrabilité.

Je m'inscris totalement en écho de ce qui vient d'être dit. Je n'ai pas à donner d'avis sur le projet de fusion entre TF1 et M6. Nous voyons les économies d'échelle qui peuvent en résulter. Je ne sais pas ce que cela peut donner en matière d'effets de réseau ou de position par rapport aux plateformes.

Si les règles du jeu définies par Delphine Ernotte sont bien en place, de façon à éviter les effets d'éviction, nous n'y voyons pas de conséquences lourdes.

Les salariés d'Arte qui ont quitté Arte dernièrement ont été « chassés » par des plateformes américaines, non par TF1 ou M6. Il en va de même pour les évictions qui se sont produites sur des concerts avec lesquels nous avions des accords, comme pour les luttes relatives aux liens avec les auteurs et les créateurs de fictions. C'est cette asymétrie qui pèse. Nous avons parfois l'impression d'être un centre de formation de football, qui fait éclore des talents qu'il craint de voir partir vers les plateformes. Cette asymétrie et cette concurrence, nous les vivons chaque jour.

En revanche, la position concurrentielle de ce qui serait un groupe TF1/M6 consolidé ne nous apparaît pas clairement.

Par ailleurs, si nous ne pouvons pas être présents dans l'usage de la plateformisation, n'imaginons pas que le service public restera dans son rang.

Les plateformes développent ainsi les offres synchrones en vidéo. Ces possibilités technologiques permettent de regarder ensemble une série - l'extension Netflix Party, par exemple -, mais vont aussi jusqu'au visionnage synchrone d'événements sportifs. Même si elles ne créeront pas du live en permanence, les grands moments de synchronisation auront lieu aussi sur les plateformes.

Par conséquent, si l'on ne permet pas au service public, par la régulation et par une capacité d'investissement technologique, d'entrer dans cet usage, on deviendra seulement des médias d'habitude pour un public vieillissant.

Or tout montre que, si l'on s'accole aux bons usages, on est parfaitement reçu par les publics les plus jeunes. La grande surprise d'Arte ces dernières années est d'être devenue un média jeune, chez les lycéens et les collégiens - sur des programmes engagés, mais aussi sur de grandes séries documentaires. Cela a été rendu possible par le fait que nous collons à leurs usages. Il faut donc nous laisser cette possibilité de faire.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

C'est l'un des atouts du service public que de rester très innovant et de prendre des risques sur des formats et des partis pris technologiques spécifiques. Ainsi, il n'existait pas jusqu'à présent de radio dédiée aux enfants, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a pas de marché pour cela. Les mesures d'audience se font à partir de 12 ans, et il n'y a pas de marché publicitaire. Quand nous avons commencé à lancer des podcasts pour enfants, nous avons donc été précurseurs. Cette capacité à créer une offre nouvelle vient du fait que nous répondons avant tout à un souci d'intérêt général et d'utilité, avant tout souci de rentabilité.

Nous avons donc développé des podcasts pour enfants à partir de 2019, dont l'écoute s'est fortement accrue en 2020, poussée par la succession des confinements et la demande des parents d'une autre offre que les écrans, proposant des contenus divertissants, pédagogiques et intelligents. Ces podcasts dépassent les 50 millions d'écoutes depuis leur lancement. Il s'agit donc d'un succès considérable, qui montre qu'il existait un besoin qui n'était pas rempli. Notre capacité à innover nous a permis d'aller vers ce segment.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Si je résume, vous regardez cette possible fusion d'un oeil non effrayé, car un déclin chez vos concurrents nuirait à tous les acteurs du secteur. Cependant, vous vous gardez bien de dire que TF1 et M6 se portent mal.

Madame Ernotte, vous avez été placée malgré vous au coeur d'une tempête le 5 décembre 2017. Au cours d'une réunion avec les députés de La République en Marche et du Mouvement démocrate (Modem) membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Emmanuel Macron aurait déclaré : « L'audiovisuel public, c'est une honte pour nos concitoyens, c'est une honte en termes de gouvernance, c'est une honte en ce que j'ai pu voir ces dernières semaines de l'attitude des dirigeants. » En l'occurrence, vous en étiez. Avez-vous considéré qu'il s'agissait d'une pression du pouvoir politique ?

Il existe forcément un lien avec le pouvoir politique compte tenu des processus de nomination et de la dépendance financière de l'audiovisuel public à l'égard de l'État, qu'une expression folle désigne encore comme sa tutelle. C'est le premier type de pression auquel vous pouvez être confrontés.

Avez-vous vécu cet événement comme une intervention ou une pression, sachant qu'une négociation à la baisse du budget s'en est suivie, à laquelle vous n'étiez pas favorable et qui a concerné particulièrement les magazines d'investigation ? Comment avez-vous vécu ce moment et quel est votre regard en général sur les pressions politiques ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Je suis très affirmative. Cela fait six ans et demi que je suis présidente de France Télévisions. Ai-je subi, à un quelconque moment, une pression pour ne pas diffuser un sujet ou pour intervenir sur une ligne éditoriale quelconque, que ce soit sous le précédent gouvernement ou sous l'actuel, la réponse est : « non ».

J'estime que nous avons énormément de chance en France, car nous avons un audiovisuel public libre et indépendant. Je vous renvoie à la programmation de nos magazines d'investigation, monsieur le rapporteur. Vous me direz si vous estimez qu'ils sont particulièrement orientés d'un côté ou de l'autre. Je veille à ce que la rédaction nationale et les rédactions en région et outre-mer puissent travailler en toute indépendance.

Oui, nous avons beaucoup baissé les effectifs à France Télévisions - de 20 % en dix ans. Oui, l'information a été concernée. Oui, ce présupposé de pression politique pour défendre un budget un peu à la baisse a pu être un peu utilisé. Pour autant, l'investigation se porte extrêmement bien au sein du service public.

À la question : « vous êtes-vous sentie, en six ans et demi, à un quelconque moment, sous pression politique ? », je le redis ici, la réponse est : « non ».

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Le deuxième type de pression possible provient de puissances économiques, notamment via la publicité. Vincent Bolloré a demandé 50 millions d'euros à France Télévisions à la suite de la diffusion d'un documentaire qui ne lui plaisait pas, avant d'être condamné par la justice à lui verser 10 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Ce type de pression a-t-il existé ? Des procédures bâillons ou d'autres pressions associées au marché publicitaire sont-elles intervenues ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Oui, j'ai été convoquée au tribunal pour avoir diffusé un reportage qui ne convenait pas à certaines personnes. Monsieur Assouline, j'ai plus de 30 mises en examen pour diffamation, etc. Mais c'est mon rôle. Est-ce que cela m'empêche de diffuser des documentaires ou de continuer à travailler ? En aucune manière ! Les directeurs de publication ont tous l'habitude de ces méthodes, qu'il s'agisse de la presse, de la télévision ou de la radio. Est-ce que cela nous influence ? Non. Nous sommes suffisamment solides quant à nos missions et confortés dans notre rôle auprès de nos concitoyens pour ne pas bouger d'un iota. Certes, il existe des pressions. Pour autant, est-ce que je me sens en difficulté pour garantir l'indépendance du service public vis-à-vis des pouvoirs privés ? La réponse est non.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Ma question n'était pas de savoir si vous avez cédé aux pressions, je ne vous mettais pas en cause. Je souhaitais plutôt savoir si l'on avait déjà cherché à exercer des pressions sur vous en vous retirant, par exemple, des contrats publicitaires ? Quel type de pression subissez-vous ?

Madame Veil, le service public est plus fortement attaqué qu'à une certaine époque. Quand j'auditionne le directeur de la rédaction de CNews ou M. Bolloré, des centaines de trolls inondent mon compte Twitter pour se plaindre des questions que je leur pose, arguant que je n'oserais pas poser les mêmes questions s'il s'agissait du service public, suspecté d'être une officine de gauche. Radio France est notamment attaqué pour son manque de pluralisme. Bien entendu, je ne partage pas ces critiques. Pouvez-vous néanmoins nous expliquer précisément comment s'organisent le pluralisme et la diversité au sein du service public ? Il s'agit simplement de rappeler quelques vérités et de sortir d'un débat où les faits sont malmenés au profit d'une volonté de discrédit...

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

Je me suis prononcée il y a quelques mois sur cette critique récurrente dans une tribune publiée dans Le Figaro. Ce n'est certes pas le rôle du service public d'entrer dans la mêlée, mais nous devons donner la preuve que le principe du pluralisme est strictement respecté sur nos antennes. Nous devons également répondre de la qualité des contenus diffusés, notre mission étant d'enrichir le débat public et non de le dégrader. Nous avons une culture d'entreprise très ancienne. Un certain nombre de principes relatifs à l'information sont respectés par toutes nos chaînes. Nous avons également ajouté un guide des bonnes pratiques à l'usage des réseaux sociaux afin de définir des règles pour protéger nos journalistes contre les attaques tous azimuts. La meilleure preuve que nous sommes sur une ligne d'équilibre rassemblant le plus grand nombre de Français, c'est que nos audiences augmentent !

En tant que présidente de Radio France, ma première mission est de préserver l'indépendance de mes rédactions contre toute tentative d'influence extérieure. Je rejoins les propos de Delphine Ernotte Cunci : l'indépendance des médias publics est aujourd'hui ancrée dans les esprits de tous les responsables politiques ; je n'ai jamais eu à faire face à une quelconque tentative d'influence. Cette indépendance est donc réelle. Elle se manifeste par le pluralisme et la représentation de la très grande diversité des opinions. Les critiques auxquelles nous faisons face aujourd'hui sont le reflet d'une violence extrême sur les réseaux sociaux. Cette violence tient, selon moi, au fonctionnement de ces réseaux, qu'a parfaitement décrit Bruno Patino dans deux ouvrages de référence : nous sommes enfermés dans des bulles cognitives et nous n'avons plus l'habitude d'être confrontés à l'altérité. Or c'est justement le rôle du service public que de mener un débat qui soit le plus large possible pour faire se confronter des points de vue différents, en respectant toujours le principe de la liberté d'expression et de la pluralité des opinions. C'est aussi cela qui explique le succès de nos antennes et qui nous permet de fédérer nos auditeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Depuis le début de nos auditions, nous constatons que le monde des médias est en pleine évolution, tout comme les usages. Nous devons nous adapter. Certes, les problématiques sont multiples. Il faut investir, comme l'a rappelé Mme Sibyle Veil, notamment en matière d'innovation. Se pose aussi le problème de la publicité, qui demeure un élément essentiel, sans parler des abonnements pour les contenus payants. La question de l'indépendance des rédactions est toujours d'actualité.

On parle beaucoup de la concurrence entre les grands groupes et les grandes plateformes internationales, mais on oublie la cible, à savoir le public. Une radio doit être écoutée, une chaîne de télévision doit être regardée, un journal doit être lu. Ce qui fait la différence, ce sont donc les auditeurs, les téléspectateurs et les lecteurs. D'ailleurs, les grands groupes qui détiennent de nombreux médias sont bien loin d'atteindre les audiences et les résultats escomptés. C'est la preuve que, même avec beaucoup de moyens, on n'atteint pas forcément sa cible si l'on ne vise pas un public !

Première question, nous avons évoqué la constitution actuelle et à venir de grands groupes. Est-ce selon vous inéluctable ? Auront-ils une incidence positive sur l'audiovisuel public français ? Allons-nous nous retrouver tout petits si nous n'allons pas vers cette cible-là ?

Deuxième question, est-ce dans le service public que l'indépendance des journalistes est la mieux maîtrisée ? Selon quels critères sont recrutés les journalistes ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Notre problème, ce ne sont pas les acteurs français, mais les quasi-monopoles américains. À quoi bon disserter sur le fait de savoir s'il faudrait plus ou moins d'acteurs en France ? Il importe surtout de s'armer face à ces oligopoles, aujourd'hui américains, demain d'autres nationalités. La fusion entre TF1 et M6 apportera-t-elle une solution ? Je n'en sais rien, mais il ne s'agit pas, selon moi, de la question la plus importante.

Le plus important pour lutter contre ces acteurs c'est de s'appuyer sur ce qui fait notre force, notamment l'information. On peut dire ce que l'on veut, mais l'information ne se fait pas depuis la côte Ouest ! Il faut des équipes et des journalistes sur le terrain ! C'est d'ailleurs un élément central dans les offres de service public. Pour répondre à votre question, nous travaillons avec les écoles de journalisme, en veillant à recruter dans tous les milieux sociaux : il est important que la société française, dans son ensemble, soit représentée dans nos rédactions. C'est aussi cela le service public.

Il importe également de mettre l'accent sur la proximité et sur tout ce qui requiert de la présence sur place. Nous avons mis en chantier avec ma collègue Sibyle Veil l'offre numérique de proximité. Qui peut être aussi pertinent que nous en matière d'exposition de spectacles vivants ? Qui a lancé Culturebox pendant le confinement ? Qui a créé Culture Prime sur les réseaux sociaux ? Qui investit dans la création française, sinon, encore une fois, le service public ? Nous devons donc nous appuyer sur ces atouts et faire évoluer la façon dont nous conversons avec nos publics. L'application de France Info permet d'ailleurs à chacun de poser les questions qu'il souhaite aux journalistes.

Le service public doit aussi être vecteur de découverte, comme l'a souligné très justement Bruno Patino. Il faut faire appel à l'investissement technologique et à une forme de savoir-faire pour lesquels nous ne sommes pas, en France comme en Europe, en avance par rapport aux acteurs américains. C'est vrai dans l'audiovisuel, mais c'est vrai dans d'autres secteurs. Regardez Amazon versus le reste du monde...

Debut de section - Permalien
Bruno Patino, président d'Arte

Nous sommes tous focalisés sur la taille, mais l'important, ce n'est pas d'être gros ou petit : l'important, c'est de savoir si l'on peut être mondial, local ou multi-local. C'est autour de cette question que se structurera le marché. Nous ne serons pas confrontés à un modèle composé uniquement de géants. Pour autant, restera-t-il une place pour les modèles locaux ou nationaux ?

Paradoxalement, on peut être petit et mondial ou énorme et national. Arte a pour ambition d'être une chaîne européenne. Cela ne signifie pas qu'elle a vocation à devenir grosse : nous n'avons jamais voulu être le Netflix européen ! On peut être petit et pertinent, toute la question étant de bien déterminer son étendue géographique. Nous sommes tous aveuglés par la taille des acteurs mondiaux parce qu'ils sont énormes. Or on voit poindre aujourd'hui des acteurs qui sont mondiaux, mais pas forcément grands. La réponse à un acteur mondial et grand n'est pas nécessairement un acteur national énorme. Le marché va plutôt porter sur la pertinence. Il peut y avoir des offres de proximité, qu'elles soient locales, nationales ou européennes.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

Je suis convaincue que l'indépendance du service public repose à la fois sur une culture d'entreprise et sur des principes structurels, notamment sur le mode de nomination des présidents qui font intervenir une autorité administrative indépendante. Elle repose aussi sur son mode de financement via une taxe affectée à l'audiovisuel public. Il n'est d'ailleurs pas anodin, monsieur le rapporteur, qu'autant de critiques se soient développées ces derniers mois, de manière très démagogique, précisément au moment où la question du financement de l'audiovisuel public va être posée. Nous ne sommes pas dupes : ces critiques ont augmenté à mesure que nos audiences progressaient ! Qui peut croire qu'un groupe de radio avec, chaque jour, 15,5 millions d'auditeurs diffuse des émissions qui vont toutes dans le même sens ? Les débats politiques qui précèdent le démarrage de la campagne présidentielle ont beaucoup instrumentalisé la question de l'audiovisuel public.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Je vous remercie de vos propos. Je suis intimement persuadée qu'un service public fort est gage d'une vitalité démocratique. Démocratie, confiance et qualité de l'information sont des conditions à réunir pour continuer à garantir un service public de qualité. Mme Ernotte Cunci a évoqué la fusion entre M6 et TF1. Il ne s'agit bien évidemment pas de contrer les plateformes, mais plutôt d'une forme d'émulation. Pensez-vous cependant que les conditions sont réunies pour que cette émulation existe vraiment ?

La question du financement est un point important qui n'a pas été beaucoup abordé. Vous avez beaucoup parlé d'innovation, de technologie et d'anticipation sur les usages. La souveraineté technologique dans l'innovation est un point essentiel. S'agit-il d'une priorité pour favoriser l'émulation et l'émergence d'un écosystème dynamique ? Quel sera le rôle des financements ?

Selon M. Patino, l'important, c'est l'étendue. La question de la proximité et de l'organisation de notre paysage fondée sur la diversité - c'est un mot que vous n'avez pas beaucoup employé - ne se pose-t-elle pas également ? En Bretagne, la télévision locale est dynamique grâce à des rapprochements avec France 3. Devons-nous aller vers plus de déconcentration, sur le modèle des Länder ? Pourrions-nous imaginer dans notre pays une forme de gouvernance beaucoup plus déconcentrée et proche des citoyens ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Vous avez raison, dans notre monde de transformation digitale, l'innovation et la technologie sont assez centrales. La révolution technologique n'est pas finie, en témoigne le métavers, c'est-à-dire le passage en trois dimensions de l'internet. Les géants de la tech investissent des milliards dans ces nouvelles technologies. Nous avons raté l'internet 2D, il faudrait peut-être essayer de prendre pied sur l'internet 3D. C'est un champ nouveau dans lequel la France dispose d'un certain nombre de compétences, notamment en matière de jeu vidéo et d'animation.

Au-delà de l'innovation technologique, dont nous avons besoin dans notre relation avec nos téléspectateurs, il existe tout un champ de prospectives, parfois expérimentales. Effectivement, l'innovation repose sur l'investissement et demande des moyens. Quid également de la 5G et de la place des contenus de l'audiovisuel public ? Ce sont des questions assez fondamentales, mais qui demeurent ouvertes.

Nous essayons bien sûr de mettre l'accent sur la question des médias locaux et d'une plus forte déconcentration. On adorerait pousser jusqu'à l'organisation des Allemands, mais leur dotation est deux fois plus importante que la nôtre. Je ne suis pas certaine que l'on ait envie d'en revenir à des chaînes totalement locales. Néanmoins, nous nous sommes lancés avec France 3 dans une re-régionalisation assez forte se traduisant par des programmes beaucoup plus ancrés localement, qu'il s'agisse des retransmissions sportives ou des événements culturels. La place de l'information s'est également accrue. Nous avons également engagé un travail similaire pour les matinales communes avec Radio France. Bref, nous explorons tout un champ de réancrage au plus près de nos concitoyens.

Nous travaillons également ardemment avec Sibyle Veil sur un projet de numérique orienté autour des zones de vie. Le champ local ne correspond ni à la région, ni au département, ni même parfois à la municipalité quand elle est très étendue. Il peut s'agir, par exemple, du quartier. Nous allons donc essayer de proposer un numérique très innovant centré sur cette notion de zone de vie, d'autant qu'il est possible d'en avoir plusieurs. C'est une vraie attente : plus le monde devient complexe, plus on a envie de se réancrer localement et d'avoir des repères proches de chez soi. Sur ce point, nous disposons d'un avantage compétitif et concurrentiel que nous entendons bien mettre à profit au service de nos concitoyens.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

Fondamentalement, le rôle du service public, outre le fait de fédérer très largement par ses contenus et de procéder différemment par rapport aux acteurs privés, est d'avoir un effet d'entraînement positif. C'est du moins ce que l'on essaie de faire dans le secteur de la radio et de l'audio. Nous nous sommes battus pour que le DAB+ puisse se développer en France. On essaie aussi d'avoir une action précurseur en matière de droit d'auteur et de droits voisins en concluant des accords avec les organismes de gestion de droits, et en faisant en sorte que le respect de ces accords soit une condition à la reprise de nos contenus par les plateformes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

La concentration, mot phare de nos travaux, est un phénomène vieux comme le monde, sujet d'inquiétude en France au moins depuis l'époque de Robert Hersant et Marcel Dassault. Vos réponses tendent à confirmer l'hypothèse de l'historien Patrick Eveno, selon qui la concentration a plus à voir avec l'économie et le pluralisme avec la démocratie. Il est salutaire d'entendre des responsables du service public audiovisuel employer les mots « pluralisme », « qualité », « performance », « innovation » et « résistance aux plateformes », le tout au service d'une diversité culturelle. Une réforme de l'audiovisuel est toujours attendue ; son cadre légal remonte à 1986 ! La seule certitude, c'est que la contribution à l'audiovisuel public (CAP) va disparaître ; on ignore ce que seront demain les ressources du service public.

Madame Ernotte Cunci, vous avez évoqué l'existence d'une presse d'opinion en France, que les contribuables français financent partiellement, même quand l'opinion en question n'est pas de leur sensibilité. Nous l'acceptons, car le fondement légal de cette pratique est ancien. Dans l'audiovisuel, c'est tout à fait différent : comme les fréquences sont considérées comme un bien public, il n'y a pas officiellement d'audiovisuel d'opinion. Il en apparaît pourtant un, par la force des choses, en dépit des cahiers des charges. On entend d'ailleurs dire que l'audiovisuel public aussi est politiquement orienté, même s'il n'est pas sous la tutelle du Président de la République. Il existe donc aujourd'hui des médias audiovisuels d'opinion, qu'on le veuille ou non ; tout le monde pense à CNews. S'y opposer serait un combat d'arrière-garde. L'offre est sur la table et personne n'est forcé à regarder telle ou telle chaîne. Dès lors, ne convient-il pas alors de reconnaître officiellement l'existence d'un audiovisuel d'opinion ? L'important est la pluralité de ces opinions ; il y a suffisamment de personnes fortunées en France pour financer des médias de telle ou telle sensibilité.

Vous avez aussi parlé d'Europe, chacun à votre façon ; je vous sais particulièrement attentif à ce sujet. Madame Ernotte Cunci, en tant que présidente de l'UER, comment percevez-vous le pluralisme et son respect à l'aune de l'Europe ? Celle-ci pourrait-elle intervenir dans divers pays en la matière ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Concernant l'Europe, j'ai le sentiment que la Commission n'a plus du tout une approche naïve de la guerre entre géants technologiques et médias nationaux. Deux propositions législatives absolument cruciales sont en cours d'adoption : le DSA, voté tout récemment par le Parlement européen, vise à appliquer en ligne les règles qui s'imposent déjà dans la vie réelle ; le DMA tend à faire de l'internet un marché plus équilibré.

Quant au pluralisme à l'échelle européenne, rien n'est encore sur la table, mais le commissaire Thierry Breton a évoqué un possible Media Freedom Act, qui exprimerait l'impératif de la liberté d'expression et du pluralisme ; ce serait une très bonne chose. Certains collègues d'autres États membres, notamment dans l'est de l'Europe, se sentent menacés et subissent des pressions très fortes sur leurs personnes et leurs familles, visant à transformer les médias publics en médias de propagande gouvernementale.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

En France, on est habitué à l'existence d'une presse d'opinion, mais son achat est toujours payant ; en revanche, l'audiovisuel est d'accès gratuit : la différence est fondamentale. Notre démocratie perdrait beaucoup à une « twitterisation » des médias audiovisuels publics, premier accès gratuit à l'information, à la culture et au divertissement intelligent pour beaucoup de nos compatriotes. Cet espace de débat doit rester le plus fédérateur possible. Surtout, le contrat doit être clair. Quand j'achète tel ou tel journal, je connais sa sensibilité. Les choses doivent être aussi claires en matière de radio ou de télévision. Que chacun reste fidèle aux missions pour lesquelles il a été autorisé à utiliser les fréquences qui lui sont attribuées !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

L'audiovisuel public n'est pas gratuit ; vous oubliez la CAP.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

Certes, mais la CAP fait de nous des médias d'offre et non de demande. C'est toute la vertu d'un financement public, qui ne pousse pas à des logiques de rentabilité ou d'audience à tout prix.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Cela nous renvoie au triptyque évoqué tout à l'heure par M. Patino : le payant, le gratuit et le service public.

Debut de section - Permalien
Bruno Patino, président d'Arte

Le contrat doit effectivement être clair. Si les médias audiovisuels d'opinion se multiplient aujourd'hui, c'est avant tout parce que l'opinion coûte moins cher à produire que l'information. Si cela attire en outre davantage l'attention, ce sera économiquement bien plus rentable. C'est la pente naturelle de l'économie de l'attention, financée par la publicité. La philosophie d'Arte peut se résumer ainsi : les enjeux, pas le jeu ; le débat, pas le combat. C'est une chaîne de récits, qui échappe aux clashs d'opinion autour d'une table. Enfin, sa culture propre est européenne, avec un décentrement des regards. Nous n'avons pas d'opinion, mais nous avons une valeur : l'Europe. C'est une valeur d'ouverture. Le triptyque que vous avez rappelé nous permet justement d'échapper à la logique des médias d'opinion.

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Je veux réagir à la remarque de M. Hugonet, selon qui l'audiovisuel public n'est pas gratuit. À ce compte, on pourrait aussi bien dire que l'école ou l'hôpital ne le sont pas ! Comme tous les services publics, nous sommes financés par la collectivité ; nous sommes gratuits dans la mesure où personne n'a à payer davantage que ce qu'il verse à celle-ci. En outre, beaucoup de foyers sont exemptés de cette redevance.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Je partage la conviction que le service public audiovisuel doit être fort, accessible à tous, innovant et doté des moyens financiers nécessaires pour accomplir ses missions. À ce propos, les crédits alloués par l'État à France Télévisions pour 2022 ont diminué de 14 millions d'euros.

Mme Bachelot a annoncé en novembre dernier, lors de son audition par notre commission de la culture, la création d'une offre numérique partagée entre Radio France et France Télévisions au premier semestre 2022. Pouvez-vous nous apporter des informations sur la mise en place de cette plateforme, son périmètre, son financement et son fonctionnement ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Sibyle Veil et moi-même y travaillons ardemment. Le premier semestre 2022 marque le début d'un travail d'enrichissement de cette offre de proximité ; une première proposition sera faite en mars. Il nous faut beaucoup apprendre ; cette approche à la fois globale, rassemblant France Télévisions et Radio France, et locale - l'offre est censée s'adapter aux centres d'intérêt et à la position géographique de chaque usager - est neuve pour nos équipes. Cette offre évoluera donc sans doute au fur et à mesure de notre cheminement.

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Oui, je vous le confirme.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

C'est un projet auquel on travaille beaucoup. Il entend répondre au besoin actuel de médias locaux ; c'est essentiel quand on est écrasé par des faits dont la dimension n'est pas toujours facilement perceptible par le citoyen. Avec cette offre à la fois locale et numérique, en joignant nos moyens, on pourra faire quelque chose de plus ambitieux que ce que chacun de son côté ne pourrait pas aussi bien développer. Ce projet doit marquer l'utilité du service public sur tout le territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Vous êtes tous attachés à la qualité de l'information, mission essentielle du service public. Pour autant, aucune des personnes que nous avons auditionnées ces dernières semaines ne nous a dit fournir une information de mauvaise qualité ! Selon vous, qu'est-ce qu'une information de qualité ? Comment la caractériseriez-vous ?

Mme Ernotte Cunci a déclaré qu'il faudrait un régulateur fort en cas d'émergence de grands groupes, notamment si la fusion entre TF1 et M6 devait se concrétiser. Cela signifie-t-il qu'il faudrait renforcer les pouvoirs de l'Arcom ? Si tel était le cas, sur quels points devraient-ils l'être ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Votre première question est presque philosophique !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Plus qu'engager un débat philosophique, je souhaiterais savoir si la qualité de l'information peut être définie dans une loi ou une convention...

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Ce serait difficile. Pour une information de qualité, il y a des conditions nécessaires, mais non suffisantes : l'information doit être vérifiée, resituée dans son contexte et décodée. Sa profondeur de champ doit être travaillée avant qu'elle soit publiée. La condition absolue d'une information de qualité, une fois tous ces critères respectés, c'est la confiance que les téléspectateurs ont dans cette information.

L'Arcom vient de naître ; elle a déjà des pouvoirs énormément renforcés par rapport au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Peut-on continuer à miser sur une Arcom forte ? Certainement, car l'Arcom, en tant qu'autorité de régulation indépendante, est un lieu essentiel pour nous tous. Dans quels champs pourrait-on renforcer ces pouvoirs ? Je ne saurais vous répondre en deux mots. La régulation européenne aussi peut être renforcée, d'ailleurs.

Debut de section - Permalien
Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France

L'enjeu de la régulation va être vital pour nous. On est sorti d'une forme de naïveté vis-à-vis des GAFA ; nous devons continuer dans cette voie, car on peut être évincé à chaque instant. Il faut une vigilance constante pour que les contenus d'intérêt général, publics comme privés, puissent continuer d'être accessibles aux citoyens.

Debut de section - Permalien
Bruno Patino, président d'Arte

Il est toujours plus compliqué de définir les critères de la régulation que sa philosophie. Le type de régulation requis doit évoluer peu à peu, car le numérique brise les silos. La fabrique de l'opinion et du consentement peut être affectée très vite. Ces critères sont donc difficiles à définir ex ante.

Quant à la qualité de l'information, ce qu'a dit Mme Ernotte Cunci est très juste. Il est impossible d'avoir un indicateur ultime, mais il existe deux corrélations, avec le nombre de journalistes dans une rédaction et leur degré de compétence professionnelle. La formation des journalistes est importante, même si ce n'est pas une garantie ultime. Là où il y a de moins en moins de journalistes, le contenu poussé sera de moins en moins informatif, ce sera de plus en plus de l'opinion, avec une qualité civique moindre.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Madame Ernotte Cunci, vous avez répondu solennellement à ma question sur les pressions politiques, mais vous avez omis de répondre à ma question sur les annonceurs ayant supprimé ou diminué leur budget publicitaire auprès de France Télévisions à la suite de la diffusion de certaines enquêtes ou informations. M. Nicolas Théry, président du Crédit mutuel, a formellement contesté devant nous une telle baisse en réaction à la diffusion du documentaire de Nicolas Vescovacci. Pouvez-vous le confirmer ou l'infirmer ? Y a-t-il eu ou non de telles baisses de budgets publicitaires ?

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Je ne voudrais pas vous dire de bêtises. Il y a souvent des menaces, certains responsables peuvent être en colère, sincèrement d'ailleurs, après avoir vu à la télévision un reportage qui ne leur convient pas, mais je n'ai aucun souvenir que cela ait réellement eu lieu. De toute façon, ce n'est pas un argument pour nous : la publicité représente environ 15 % de nos revenus, mais la liberté d'informer est bien plus fondamentale.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Mais cela vous donne des informations sur les pratiques possibles d'abus de pouvoir économique.

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Si demain une puissance économique me disait : « Si vous diffusez ce reportage, je supprime la publicité ! », cela ne changerait rien à la publication du reportage.

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Je n'ai pas souvenir d'une baisse de chiffre d'affaires publicitaire liée à un reportage d'investigation.

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Oui, cela arrive, j'ai souvent ces personnes au téléphone, je peux d'ailleurs les comprendre : quand on me dit que le service public n'est pas à la hauteur, je ne suis pas toujours contente non plus. Mais cela reste des conversations privées qui n'ont pas forcément de conséquences. En tout cas, ce n'est clairement pas un moyen de pression sur France Télévisions.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je parlais plutôt de pressions, de menaces concrètes relatives à une baisse de budget publicitaire.

Debut de section - Permalien
Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions

Franchement, des expressions de colère, oui ; des menaces, non.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Merci pour toutes vos réponses. Je vous invite à développer par écrit, si vous le souhaitez, tel ou tel point que vous n'auriez pas eu le loisir d'aborder ici autant que vous l'auriez voulu.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Nous recevons maintenant M. Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI). Vous êtes accompagné de M. Olivier Zegna Rata, délégué général. Le SPI est le seul syndicat unitaire de la production audiovisuelle et cinématographique. Fondé en 1977 par des producteurs indépendants de toute chaîne et de tout groupe, il représente plus de 430 sociétés de production indépendantes, réalisant longs et courts métrages, animation, documentaires, fictions, spectacles vivants, créations numériques interactives...

Comme représentant des producteurs, vous allez nous permettre de nous pencher sur la réalité économique et les conséquences des mouvements de concentration. Nous avons vu ce dilemme à l'oeuvre avec les représentants des auteurs : la constitution de grands groupes puissants peut constituer une chance pour la production, avec des moyens plus importants, mais également un risque d'uniformisation et de perte de diversité. Nous sommes donc très intéressés par vos analyses concrètes des effets déjà perceptibles des concentrations et de ce que vous présumez du futur.

Cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gilles Sacuto et M. Olivier Zegna Rata prêtent successivement serment.

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

Je vous remercie d'auditionner les représentants de la production cinématographique et audiovisuelle, qui regroupe plus de 120 000 emplois directs, fournit plus de 1 % du PIB français, soit autant que le secteur aéronautique ou pharmaceutique. Ces chiffres ont doublé au cours de ces quinze dernières années. Nous sommes un secteur en pleine croissance. Notre dynamisme s'est maintenu malgré les effets ravageurs de la fermeture des salles de cinéma deux fois six mois.

Le développement de notre industrie n'est pas dû à des géants, mais à une myriade de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME). Nous sommes un marché de prototypes et de l'offre. Chaque modèle est unique. Ce sont des choix et des pratiques différentes qui nous permettent de toucher les publics les plus larges et les plus divers.

Le secret de la réussite de la France dans le secteur industriel et audiovisuel est dû à l'indépendance des sociétés de production par rapport aux groupes de diffuseurs - chaînes de diffusion ou plateformes numériques mondialisées ; c'est un levier permettant à la France d'avoir une production forte, diverse, démultipliée selon les genres, capable d'accueillir tous les talents et toutes les propositions éditoriales. La France produit de très nombreux auteurs de renommée internationale grâce à de très nombreuses sociétés de production indépendantes. Ce sont ces deux caractéristiques qui assurent la vitalité de notre industrie.

Je m'exprime au nom de 430 sociétés indépendantes. Nos adhérents produisent du long métrage, de la fiction, des documentaires, de l'animation et des courts métrages. Ce sont par exemple des films comme Titane, la dernière palme d'or, Annette, La Fracture, et des séries comme Les Revenants, En thérapie, Hippocrate, Mytho, qui s'exportent et rayonnent à travers le monde.

Il y a des trous dans la raquette dans le dispositif anticoncentration des médias : ce secteur rencontre actuellement des phénomènes de concentration spectaculaires pouvant entraver à la fois le libre jeu de la concurrence et la liberté d'expression et de création.

Le secteur des médias et de l'industrie audiovisuelle connaît deux types de concentration, horizontale et verticale. En matière de concentration horizontale, le dispositif actuel n'est pas parfait, tandis que le dispositif de concentration verticale est très faible.

La limitation du dispositif de concentration horizontale aux seuls quotidiens d'information générale n'empêche pas une très forte concentration des magazines et des journaux. La loi est antérieure à internet et ne prend pas en compte les positions acquises en matière d'information sur internet, qui peuvent être aussi préjudiciables au pluralisme des courants de pensée. Certains grands acteurs d'internet sont en position de décider et de favoriser l'accès de tel ou tel à tel contenu audiovisuel.

Il est capital que ces acteurs soient régulés afin de ne pas défavoriser l'accès à nos oeuvres, nos films, séries et documentaires, en France ou dans le reste du monde. En France, la régulation de ces acteurs est une question de souveraineté intellectuelle, culturelle voire démocratique. Cet enjeu est aussi international, car la place de la France dans le monde tient aussi à sa capacité de rayonnement international. Il y a un enjeu stratégique majeur à reprendre notre indépendance et notre force de projection mondiale dans le domaine de la diffusion et de la distribution culturelle numérique.

La loi ne touche pas le secteur de l'édition, alors que ce secteur est aussi essentiel à l'expression des courants de pensée. Ainsi, le cumul, dans les mêmes mains, d'une large majorité des sociétés d'édition françaises et de médias audiovisuels et radiophoniques pourrait entraîner un abus de position dominante : un groupe multimédia pourrait réserver les droits d'adaptation audiovisuelle ou cinématographique de ses oeuvres littéraires à des productions qui lui appartient. C'est une synergie, mais cela limite aussi l'accès à ces oeuvres.

Le seuil de sept autorisations sur la télévision numérique terrestre (TNT) a permis aux principaux acteurs de la télévision analogique de maintenir leurs parts de marché, sans entrée de nouveaux acteurs significatifs. Il ne doit en aucun cas être relevé à la faveur de telle ou telle opération de concentration.

En matière de concentration verticale, les règles préservant l'indépendance des producteurs ne s'appliquent que pour les programmes de stocks qui font l'objet d'obligations de production. En dehors de l'accomplissement de leurs obligations de production, les diffuseurs développent leur filière de production propre. Ainsi, toute concentration dans le secteur de la diffusion risque d'avoir un impact sur le secteur de la production, en limitant la diversité d'approvisionnement des diffuseurs. C'est un risque majeur pour les producteurs indépendants de programmes de flux, et pour toute la production indépendante, qui n'est pas protégée.

Récemment, nous avons assisté à la constitution de groupes de production importants, filiales des principaux groupes audiovisuels. Par exemple, le groupe Newen, racheté par TF1, est l'un des premiers groupes de production française. En 2015, lors de son rachat, Newen était valorisé 400 millions d'euros. C'est désormais son chiffre d'affaires, qui a triplé en sept ans. Il en est de même pour le groupe Banijay...

On observe une concentration des commandes des groupes de télévision auprès de grands groupes de production. En 2017, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) montrait que, sur un chiffre d'affaires global de 3,1 milliards d'euros, les dix plus grandes entreprises de production audiovisuelle en totalisaient 15,8 %. Il publiera bientôt ses chiffres actualisés pour 2021, qui témoigneront d'une très forte concentration du chiffre d'affaires du secteur entre les principaux groupes de production. En cinq ans, le chiffre d'affaires de Mediawan a bondi, pour dépasser 1 milliard d'euros, tandis que Banijay affiche plus de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires. À eux deux, ces deux groupes ont dépassé en cinq ans le chiffre d'affaires global de la production audiovisuelle française - ils n'en représentaient que 16 % il y a cinq ans.

S'il y a aussi concentration dans la distribution, nous risquons d'assister à une marginalisation des productions indépendantes, dans un dialogue exclusif entre deux ou trois géants de la production et l'acteur unique restant en télévision hertzienne commerciale.

La concentration réduit le pluralisme dans le domaine de la production. Cela ne concerne pas seulement la baisse du nombre de guichets et d'interlocuteurs pour produire un film. Le problème serait surtout une concentration du circuit de décision éditoriale, qui serait contrôlé par un nombre plus réduit d'acteurs capitalistiques, conduisant à une réduction de la diversité des courants de pensée reflétés par les oeuvres produites.

La régulation doit prendre en compte le rôle sociétal des médias qui dépasse les conditions purement économiques de leur bonne santé financière et leur profitabilité. Si un groupe de télévision commerciale se trouve, à la suite d'une concentration inédite, en situation de monopole sur le marché où il bénéficie gratuitement de l'usage des fréquences hertziennes, il devrait se voir imposer par le régulateur des obligations de financement spécifiques de la production indépendante, mais aussi de divers genres de production : documentaires, animation, courts métrages, captation de spectacle vivant. Les groupes privés n'ont aucune obligation dans ces domaines, très représentés dans notre syndicat, et pourvoyeurs de nombreux emplois et productions.

Nous observons une intervention croissante des détenteurs de capital des médias dans leur ligne éditoriale. Les dispositifs anticoncentration n'ont pas été prévus jusqu'alors pour préserver l'indépendance des rédactions. Les chaînes de télévision détentrices de fréquences appartenant au domaine public n'avaient pas le droit de devenir des chaînes d'opinion. Or ces dernières années, certains médias se sont fortement polarisés politiquement et ne respectent plus leurs obligations en matière de pluralisme. Cela a des effets sur la diversité de la production.

L'arrivée des plateformes internationales ne bouleversera pas le financement de la production. Il faut relativiser l'importance des financements nouveaux. Avec l'obligation d'investir 20 % de leur chiffre d'affaires français, les plateformes apporteront entre 250 et 300 millions d'euros à la production audiovisuelle et cinématographique, sur un chiffre d'affaires global de la production française de 4,5 milliards d'euros. Le secteur connaîtra donc une croissance de 5 à 6 %. Elles investiront 40 à 50 millions d'investissements annuels dans le cinéma, là où le cinéma français mobilise environ 1 milliard d'euros d'investissements. Dans ce contexte, leur arrivée ne doit pas conduire à remettre en cause les dispositifs anticoncentration existants, mais à les consolider. Nous avons signé, ce midi, au ministère de la culture, une chronologie des médias qui leur donne une place raisonnable dans la suite des exploitations du cinéma. En outre, il est plus que jamais indispensable de préserver l'identité des diffuseurs TNT français, et donc leur indépendance face aux groupes internationaux.

Un processus de concentration pourrait faire courir de réels dangers à notre secteur, concernant la richesse, la diversité de création, le pluralisme des courants de pensée... Au contraire, notre réussite industrielle dépend de la diversité du tissu d'entreprises et de leur indépendance économique et capitalistique.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Merci de votre analyse. Notre commission d'enquête, loin de se concentrer sur quelques fusions ou sur l'information, regarde l'ensemble du secteur ; la création culturelle et la production audiovisuelle concourent aussi à façonner une opinion et des citoyens libres, éclairés et ouverts au monde.

Lors de son audition le 13 janvier dernier, le directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Pascal Rogard, a noté les avantages des concentrations, déclarant : « Moi, qui signe des contrats pour les auteurs, j'ai actuellement plus d'interlocuteurs que je n'en avais auparavant, notamment des interlocuteurs ayant les capacités financières de rémunérer les auteurs et de faire de la création de haut niveau. » Vous semblez faire l'analyse inverse. Quels sont vos arguments ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

M. Rogard signe des contrats au nom de l'ensemble des auteurs, mais il ne signe pas des contrats avec les auteurs. Ceux-ci signent avec des producteurs ; c'est main dans la main qu'auteurs et producteurs développent des projets pendant des années, pour les faire exister, les mettre ensuite sur le marché et essayer qu'ils rencontrent un public. M. Rogard oublie parfois qu'il y a des producteurs...

Nous nous félicitons de l'arrivée de nouveaux acteurs qui participent à la diversité. C'est la grande intelligence collective et politique de leur avoir trouvé une place. Pour produire un long métrage, il peut y avoir quinze participants financiers dans le plan de financement. C'est grâce à cette pluralité d'interlocuteurs que nous sommes indépendants. Le système permet de financer des films aussi bien avec des subventions, des aides régionales, des prêts achat, de l'argent du marché, des distributeurs, des vendeurs... J'ai eu la chance de produire le film Séraphine qui a obtenu le César du meilleur film il y a une dizaine d'années. Personne ne m'avait demandé de produire un film sur une peintre inconnue. C'est parce que nous avons décidé de faire ce film qu'il a existé, qu'il a ensuite rencontré son public et voyagé à travers le monde. L'indépendance se fonde sur le grand nombre de participants financiers à une oeuvre, garant de liberté et de richesse éditoriale et économique.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La loi de 1986 ne traite pas des concentrations verticales, or des rapprochements ont eu lieu. Les décrets Tasca ont été contestés, non seulement pour leur obsolescence, mais aussi sur leurs fondements philosophiques. Faut-il durcir les règles prévenant une concentration verticale, qui empêcherait, par exemple, le groupe TF1 de posséder Newen ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

De mon point de vue, oui, certainement. Chacun essaie de faire son métier : les producteurs produisent, les diffuseurs diffusent, voire co-produisent. Nous sommes dans un marché de l'offre. Notre rôle n'est pas d'aller voir des distributeurs ou des exploitants pour produire ce qu'ils veulent, mais plutôt que de leur proposer des choses auxquelles ils n'auraient pas forcément pensé, grâce à notre travail avec des auteurs et des scénaristes.

Par exemple, un camarade producteur avait contacté un nouvel acteur pour deux projets de séries : une série historique et une série plus actuelle, sur la banlieue. Cette dernière semblait davantage l'intéresser. Deux mois plus tard, le producteur relance l'acteur, qui à ce moment-là ne veut plus de la deuxième série, mais lui demande s'il n'aurait pas une série historique...

Les diffuseurs sont soumis en permanence à l'audience, en fonction des résultats de la veille. Ils peuvent infléchir totalement et brutalement leur politique de développement, tandis que les producteurs travaillent sur le long terme avant de présenter leur projet abouti au marché ; les démarches sont très différentes. C'est cette démarche au long cours qui nous permet de faire exister des oeuvres singulières. Il faut maintenir la différence entre les uns et les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous plaidez beaucoup pour le documentaire et sa diversité. Dans le secteur du documentaire, avez-vous eu connaissance de pressions, directes ou indirectes, sur les producteurs, afin qu'ils ne traitent pas tel ou tel sujet susceptible de déplaire aux actionnaires des grands groupes ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

Pas directement. Les diffuseurs ont toujours le choix de prendre ou de ne pas prendre un documentaire, et pour des raisons diverses.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Vous avez fait allusion à la politisation des médias. Avez-vous des exemples précis, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public ?

Dans les commandes faites aux sociétés adhérentes à votre syndicat, quelle est la part de l'audiovisuel privé, de l'audiovisuel public et des grandes plateformes, puisque vous travaillez pour tout le monde ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

Je n'ai pas d'exemple précis de politisation, c'était davantage un commentaire de citoyen.

Nous nous félicitons que des accords aient été trouvés avec les plateformes internationales, qui valoriseront le rôle des producteurs. Ceux-ci resteront donc détenteurs de leurs droits. Les productions pourront circuler et ne resteront pas des productions propriétés des plateformes avec des producteurs cantonnés au rôle de fabricants de films - c'est le schéma habituel.

Grâce aux efforts de toute la profession, les producteurs travaillent, puis les films seront diffusés sur les plateformes avant d'être diffusés dans d'autres médias, soit, car ils sont d'abord destinés au cinéma, soit, car ils sont des films de plateforme, mais pouvant être diffusés, avant ou après, par d'autres diffuseurs. Il faut des plans de financements multiples et une circulation de ces oeuvres. Les productions ne seront donc pas vues uniquement par des abonnés. Certains films de télévision sont également cofinancés par des plateformes. Cela permet aux oeuvres de circuler, que les producteurs restent propriétaires de ces films et créent un catalogue afin de développer des ressources propres.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Auriez-vous des chiffres ou des pourcentages sur ce que représentent les plateformes et le secteur audiovisuel public et privé dans vos financements ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

France Télévisions investit environ 60 millions d'euros dans les coproductions de longs métrages, TF1 40 millions d'euros, M6 moins, et Arte environ 15 millions d'euros. Nous venons de signer un accord de trois ans avec Canal+ pour 200 millions d'euros.

La plus importante plateforme, Netflix, investira 40 millions d'euros dans le cinéma, dont 20 millions directement pour la production de films de cinéma. Les investissements des autres plateformes s'élèvent entre 5 et 10 millions d'euros. Les accords restent à finaliser, mais nous avons parfois du mal à identifier les chiffres d'affaires ou la réelle volonté d'investir. Il n'y aura donc pas de grande bascule.

Pour l'audiovisuel, l'apport sera plus important, mais l'ensemble du secteur ne basculera pas du côté des plateformes.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

La concentration des médias se traduit aussi par le rachat d'entreprises de production. Y voyez-vous un danger pour la richesse, la diversité et la spécificité de la production audiovisuelle française ? Comment protéger cette diversité et cette spécificité, et comment la promouvoir, pour éviter sa standardisation ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

Ma recommandation serait que les diffuseurs n'aient pas le droit de produire, mais seulement de coproduire. De même, nous n'avons pas vocation à être diffuseurs. Ce serait une disposition réglementaire assez simple.

Les comptes de soutien audiovisuel et cinématographique sont très largement utilisés par les filiales de chaînes, qui en sont les plus grandes détentrices. Le système du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) tourne déjà, pour partie, pour les filiales de chaîne, alors qu'il était initialement destiné au soutien de la production, notamment indépendante.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous avez fait allusion au risque de concentration dans le secteur de l'édition et des médias. Un détenteur de droits littéraires favoriserait ainsi l'adaptation cinématographique par d'autres sociétés du groupe, et même sa publicité. Un tel groupe pourrait mettre un livre en tête de gondole, en faire la promotion, puis l'adaptation exclusive. Avez-vous des exemples précis de ce type d'effets de la concentration ?

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

On pourrait l'imaginer. Je n'ai pas d'exemple précis. Plusieurs cas m'ont été rapportés que je ne peux pas vous citer en détail.

Debut de section - Permalien
Gilles Sacuto, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI)

Les grands succès de librairie sont l'objet de demandes de rachat de droits pour en faire un film ou une série. On pourrait favoriser tel ou tel acteur, pour différentes raisons - renommée, taille, liens amicaux ou capitalistiques...

Debut de section - Permalien
Olivier Zegna Rata, délégué général du Syndicat des producteurs indépendants

Il nous a été rapporté des exemples dans un groupe : lorsqu'un producteur indépendant demande à acquérir les droits d'adaptation de tel ou tel roman, il doit patienter jusqu'à ce que la filiale audiovisuelle de production du groupe confirme qu'elle n'a pas d'intérêt spécifique pour ces droits.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Pourriez-vous citer ce groupe ? Nous sommes dans une commission d'enquête parlementaire.

Debut de section - Permalien
Olivier Zegna Rata, délégué général du Syndicat des producteurs indépendants

C'est le groupe Vivendi qui organise ainsi la synergie entre ses entités.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Je vous remercie de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 10.