Comme vous le savez, notre commission ainsi que celles du développement durable et des affaires européennes conduisent depuis plusieurs mois des travaux pour aboutir à une proposition de résolution commune sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».
Nos rapporteurs Daniel Gremillet et Dominique Estrosi Sassone sont en charge du volet « Énergie » de ce paquet. Ce dernier est composé de huit textes ayant trait aux énergies renouvelables, à la performance et l'efficacité énergétiques, aux biocarburants routiers, aériens et maritimes, à l'hydrogène ainsi qu'à la fiscalité énergétique notamment.
Le but de cette proposition de résolution est d'offrir une position sénatoriale commune que le Gouvernement devra défendre au Conseil. Je ne doute pas que nous aboutissions sur ce dossier majeur qui engage notre transition et notre souveraineté énergétiques.
Le contexte actuel est marqué par de lourdes turbulences économiques et géopolitiques en Europe, notamment du fait du marché du gaz. Cette période doit toutefois nous inspirer. Nous devons réduire notre dépendance au gaz, largement importé et émissif, pour lui préférer une production domestique d'énergie nucléaire et de gaz renouvelable. Il en va, en somme, de notre sécurité d'approvisionnement.
Madame la Présidente, chers collègues, nous avons en effet travaillé avec ma collègue Dominique Estrosi Sassone sur ce sujet, à la fois complexe et important pour notre pays, dans le concert de la politique européenne.
Le paquet «?Ajustement à l'objectif 55?» vise à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2030. Pour ce faire, il fixe notamment pour objectif une baisse de 39 % de la consommation d'énergie primaire et une hausse de 40 % de la production d'énergies renouvelables.
Dans le cadre de nos travaux préalables, nous avons organisé six auditions, au cours desquelles nous avons entendu des instances nationales comme européennes, des représentants des électriciens comme des gaziers. De plus, nous avons reçu une trentaine de contributions qui nous ont permis de recueillir l'ensemble des points de vue des professionnels, des collectivités territoriales, des gestionnaires ainsi que des associations.
Au terme de nos travaux, je retiens plusieurs enseignements généraux car le paquet présente plusieurs difficultés de méthode.
C'est une juxtaposition de textes, très larges et très denses, dont l'évaluation doit être renforcée. En effet, ce paquet intervient dans un contexte de grave crise des prix des énergies, qui impose de bien mesurer son impact sur les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales.
De plus, il faut veiller à davantage de stabilité, de lisibilité et de cohérence dans les textes. Je rappelle que ce paquet, trois ans après la loi « Énergie-Climat », de 2019, et six mois après la loi « Climat-Résilience », de 2021, nous oblige à revoir toute la transposition du droit européen en matière d'énergie et de bâtiment à laquelle ma collègue Dominique Estrosi Sassone et moi-même avions contribué.
La neutralité technologique doit être garantie entre toutes les énergies décarbonées, renouvelables comme nucléaires. Il en va de même de la compétence des États membres, tant dans la définition du mix énergétique que dans la lutte contre la précarité énergétique. Je rappelle que l'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) fait de la définition de ce mix une compétence souveraine des États membres.
Enfin, il faut veiller à limiter le coût des textes pour les consommateurs d'énergie, particuliers comme professionnels. Cela suppose de ne pas fixer d'objectifs mal calibrés ou non financés, car la transition énergétique a un coût qui doit être pris en charge, dans un souci de solidarité et de compétitivité, par l'Union européenne et ses États membres. Ainsi, toute nouvelle contrainte normative appelle de nouveaux moyens budgétaires. Si la fiscalité énergétique doit être verdie, elle n'a pas à être pour autant alourdie.
J'en viens aux six textes sur l'énergie.
S'agissant de la directive sur la taxation des énergies, il faut tenir compte du contexte du prix des énergies, alléger la fiscalité sur les entreprises énergo-intensives, ne pas oublier certaines énergies comme l'hydrogène nucléaire, les biocarburants, le biogaz ou le bois-énergie et mieux associer aux réformes les collectivités territoriales. Les États membres doivent déterminer eux-mêmes les ménages vulnérables devant être soutenus fiscalement.
Concernant la directive sur les énergies renouvelables, ses objectifs doivent être généraux, adaptés et réalistes. Il est nécessaire d'ajuster les critères de durabilité de la biomasse, de ne pas pénaliser certaines énergies, telles que l'hydrogène nucléaire et les bioénergies, et de mieux valoriser les projets des collectivités territoriales. Les États membres doivent déterminer eux-mêmes leur mix. Ceux dont le mix est le plus décarboné ne doivent pas être pénalisés.
Pour ce qui est de l'initiative sur les carburants durables aériens, ses objectifs sont très ambitieux et il faut donc faire attention aux délais et aux surcoûts et conforter les investissements nécessaires. Un principe de neutralité technologique doit bénéficier à l'hydrogène nucléaire et aux différents biocarburants.
À l'inverse, s'agissant de l'initiative sur les carburants durables maritimes, ses objectifs sont bien moins ambitieux et doivent donc être relevés. Par ailleurs, il faut prévoir un soutien budgétaire pour les collectivités territoriales, dans l'électrification des quais, et un soutien extrabudgétaire pour les professionnels, dans leur recours au biogaz naturel liquéfié (bioGNL). Là encore, les différents biocarburants doivent être intégrés.
Concernant le règlement sur les infrastructures de recharge pour carburants alternatifs, il faut relever l'objectif pour l'électricité et accélérer celui proposé pour l'hydrogène. Un principe de neutralité technologique doit bénéficier à l'hydrogène et au gaz bas-carbone.
Quant au paquet gazier, une vigilance doit s'exercer sur l'acte délégué, pour garantir un traitement identique de l'hydrogène renouvelable et de l'hydrogène bas carbone. De plus, l'hydrogène doit être utilisé avec discernement pour décarboner les secteurs les plus difficiles, et non pas être injecté sans mesure dans les réseaux de gaz naturel.
Enfin, si l'essor de l'hydrogène se trouve sur toutes les lèvres, il ne faut pas oublier les technologies déjà existantes qui ont fait leurs preuves, telles que le biogaz et le gaz bas-carbone.
Au-delà de ces directives et règlements, je retiens de mes auditions quelques observations des acteurs de l'énergie sur les aspects « Climat » du paquet.
S'agissant du système d'échange de quotas carbone, ils attendent un mécanisme plus prévisible, plus simple et plus contrôlable. Ils sont particulièrement attentifs à la prolongation des quotas gratuits de CO2, ainsi qu'à l'évolution ultérieure de leurs prix.
Pour ce qui est de l'interdiction des véhicules thermiques, beaucoup considèrent comme très ambitieuse l'échéance de 2035 proposée par la Commission européenne.
Quant au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne (MACF), sa compatibilité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de même que l'affectation des recettes et le risque de rétorsion, sont des sujets d'anxiété.
Mes préconisations sur l'énergie, que je viens de vous indiquer, figurent dans la proposition de résolution. Je vous remercie et laisse ma collègue vous entretenir du bâtiment.
Mes chers collègues, s'agissant du bâtiment, deux directives le concernent.
La première est la directive sur l'efficacité énergétique. Il faut tenir compte de la spécificité des bailleurs sociaux et des réseaux d'électricité, de gaz ou de froid dans les objectifs de réduction prévus dans ce texte. De plus, les États membres doivent être souverains dans l'application du principe de « primauté énergétique », plutôt favorable au gaz, qu'ils doivent pouvoir combiner avec un principe de « neutralité carbone », plutôt utile à l'électricité. Ils doivent aussi pouvoir définir par eux-mêmes les actions d'efficacité énergétique à appliquer, en direction des ménages en situation de précarité énergétique. De leur côté, les collectivités territoriales doivent être mieux associées à ces actions. Enfin, les contrats de performance énergétique et les critères de commande publique doivent être utilement mobilisés dans un but d'efficacité énergétique.
Le second texte qui concerne le bâtiment est la directive sur la performance énergétique. Il me semble crucial que la mise en oeuvre des nouvelles normes en la matière s'accompagne d'un soutien financier pour les constructeurs, les propriétaires ou les copropriétaires, les bailleurs et les locataires. Au-delà, la spécificité des bailleurs sociaux et des bâtiments tertiaires doit être également reconnue. Sur le plan de l'approvisionnement en énergie des bâtiments, trois ajustements me semblent utiles. Un principe de neutralité technologique doit bénéficier à l'énergie nucléaire, dans l'appréciation des bâtiments faiblement émissifs. L'extinction des équipements de chauffage à énergie fossile doit être graduelle, et non sèche. Enfin, l'usage du biogaz pour l'alimentation en énergie des bâtiments mérite d'être expérimenté, comme s'y est d'ailleurs engagé le Gouvernement auprès de la filière biogaz, lors de la récente révision des normes bâtimentaires nationales.
Outre ces deux directives, je retiens de mes travaux une inquiétude ayant trait à une disposition des aspects « Climat » du paquet. Il s'agit, en l'espèce, de l'inclusion éventuelle des bâtiments dans un marché carbone européen. Je crois qu'il faut avancer très prudemment sur ce sujet, car un tel système pourrait de fait renchérir le coût d'acquisition des logements et de leur approvisionnement en énergie. On mesure les conséquences majeures qu'il pourrait en résulter sur le pouvoir d'achat des ménages et, plus largement, sur la compétitivité du secteur du logement. Toutes les personnes que nous avons auditionnées ou sollicitées ont alerté sur le besoin d'un accompagnement et d'une compensation, si ce système venait à être mis en oeuvre. Pour ma part, je suis convaincue de la nécessité de ne pas appliquer ce système au logement des particuliers, qu'il s'agisse du parc privé ou social.
Pour conclure, je partage les points d'attention indiqués par mon collègue Daniel Gremillet sur la stabilité normative, la compensation financière et la neutralité technologique. Ce sont, en effet, des prérequis indispensables pour que la transition énergétique soit, non seulement effective, mais aussi acceptée.
Or, dans le domaine du logement, je regrette les changements incessants de législation, que ce soit au niveau national comme au niveau européen.
Sur ce point, je rappelle que nous venons tout juste de réformer la réglementation environnementale 2020 (RE2020), applicable aux bâtiments neufs, et le diagnostic de performance énergétique (DPE), prévu pour les bâtiments existants.
Or, tous les acteurs de terrains disent qu'ils ont besoin d'une stabilité, d'une lisibilité et d'une prévisibilité pour mener à bien les travaux de rénovation énergétique et les actions d'efficacité énergétique nécessaire à la décarbonation.
Mes préoccupations sur le bâtiment figurent, elles aussi, dans la proposition de résolution.
Au total, je crois que notre contribution au volet « Énergie » de cette proposition de résolution s'est voulue à la fois utile, concrète, pragmatique et ambitieuse.
Il s'est agi, pour nous, de définir des modalités plus opérationnelles pour atteindre l'objectif de « neutralité carbone », issu de l'accord de Paris, de 2015, et transcrit par la loi « Énergie-Climat », de 2019, et la loi « Européenne sur le climat », de 2020.
Nous ne devons surtout pas relâcher l'effort, car le secteur de l'énergie représente 27 % des émissions GES et celui du bâtiment 12 % de ces émissions, dans l'Union européenne en 2019.
Or, la décarbonation de ces deux secteurs est loin d'être achevée.
Pour preuve, en France en 2020, on dénombre 19,1 % d'énergies renouvelables consommées - contre un objectif de 33 % d'ici 2030 - et 50 000 dispositifs MaPrimeRénov attribués - contre un objectif de 500 000 rénovations par an.
Le Gouvernement doit donc faire plus et mieux !
Merci à nos deux rapporteurs, qui ont négocié avec les commissions du développement durable et des affaires européennes, pour trouver un point d'équilibre partagé par tout le monde.
Je souhaite appuyer les propos de nos deux rapporteurs. Je perçois une vraie similitude entre l'énergie et l'agriculture dans la mesure où, dans ces deux domaines, l'on raconte des histoires sans savoir réellement où l'on souhaite aller. Cette situation engendre des aberrations et des paradoxes conséquents. En 2018, les consignes étaient de fermer des réacteurs nucléaires, tels que ceux de la centrale de Fessenheim. Quatre ans plus tard, le nucléaire se retrouve à nouveau sur le devant de la scène et sur la totalité du territoire. Les politiques actuelles ne sont plus en adéquation avec les investisseurs et les entrepreneurs. Le taux de retour sur investissement dans notre pays est d'au moins sept ou huit ans, dans le meilleur des cas. Dans le secteur de l'énergie, ces retours sur investissement se comptent quasiment en générations. Au-delà de la stabilité réglementaire, nous devons arrêter de légiférer. Il faut déterminer une ligne de conduite et s'y tenir.
Lorsque l'on constate le travail effectué par la précédente génération sur les barrages hydroélectriques, qui sont renouvelables, et que l'on laisse, par dogme, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) supprimer tous les seuils sur les rivières pour éviter que s'installent de petites centrales hydroélectriques, lorsque l'on ne mentionne plus le photovoltaïque alors que la filière a été lancée il y a seulement quelques années, lorsque l'on condamne la méthanisation, les investisseurs, notamment du secteur agricole, sont en droit de se demander ce qui est attendu de leur part. Quand un ministre de l'agriculture est envoyé à Bruxelles, il ne sait pas quelle politique agricole défendre : le bio, le conventionnel, l'interdiction des pesticides et du glyphosate, la souveraineté alimentaire et les clauses miroirs ? La situation est exactement la même dans le domaine de l'énergie.
L'énergie, tout comme l'alimentation, concerne l'ensemble de la population. Or, le résultat de ce manque de lisibilité est de monter les différentes personnes et professions les unes contre les autres pour finalement constater que la population nous en voudra, à juste titre.
Je remercie nos deux rapporteurs pour leur présentation de ce paquet. Je pense que nous faisons beaucoup de politique à partir d'intentions louables, eu égard aux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Ces enjeux climatiques sont fondamentaux pour l'avenir.
Je souhaiterais toutefois poser la question du chiffrage de ces engagements. L'absence d'un tel chiffrage me paraît dommageable, car elle biaise complètement le débat. Si nous rendions compte des coûts envisagés, nous aurions plus de place pour effectuer des choix politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite. Cette remarque vaut autant au plan national qu'européen, ainsi que l'a indiqué notre collègue Laurent Duplomb. Nous pouvons discuter sur de longues périodes sans avancer sur le sujet.
Du point de vue opérationnel, la planification qui doit accompagner ces politiques est également déficiente.
Je remercie également les deux rapporteurs pour leurs travaux. Ma première remarque porte sur la transparence du sujet discuté. Le mandat de négociation de ce plan couvre un très vaste domaine. Ce plan restera-t-il dans les mains des Gouvernements successifs, sans que le Parlement n'y soit associé, à aucun moment ? À l'inverse, créera-t-on les conditions de son association très régulière?? J'ai lu la proposition de résolution, qui recherche un point d'équilibre, ce qui n'est pas simple. Se pose également une véritable question démocratique en France et au niveau de l'Union européenne. Si le Parlement n'est jamais associé, il ne décidera de rien, dans les mois ou les années à venir. Tout se jouera ailleurs. Moins le Parlement est en mesure de s'exprimer, plus les citoyens sont éloignés de la décision et plus le populisme croît. La solution, qui n'est pas simple, doit être trouvée via un système où les Gouvernements successifs viennent devant le Parlement pour débattre et où le Parlement soit en mesure de peser sur les décisions. Ce point qui, je le sais, est évoqué par la proposition de résolution, est fondamental de mon point de vue.
Par ailleurs, nous devons également débattre du problème posé par notre collègue Franck Montaugé. Les décisions à prendre auront des impacts considérables sur les budgets. Réinvestir dans le nucléaire ou basculer dans le 100 % renouvelable demandera, dans tous les cas, beaucoup d'investissements et une planification. Les retours sur investissement se mesurent en effet sur du temps long, comme l'a indiqué notre collègue Laurent Duplomb. Les décisions prises aujourd'hui quant au nucléaire seront rentables dans trente ans.
Toutefois, le prisme du financement n'est pas le seul par lequel les choix doivent être faits. En effet, il ne faut pas nécessairement renoncer à des projets, parce que ceux-ci ne seraient pas finançables. Je considère que nous sommes dans un moment où la politique doit faire de la politique, en passant outre les explications fournies par la technocratie, qui sous-entend qu'un seul chemin est possible. Il ne faut pas renforcer cette illusion que nous ne décidons plus de rien. La crise nous a montré que nous pouvons trouver les moyens financiers de répondre à de grands défis et d'influer sur les politiques publiques. Je vous remercie de ces travaux, car je sais qu'ils n'ont pas été évidents à réaliser. Nous sommes mis au pied du mur, peu de temps avant la fin des travaux, et nous devrons voter dans la précipitation.
Je félicite nos deux rapporteurs, car il n'est pas facile de synthétiser des dossiers aussi lourds et complexes que ceux-ci. Pour revenir sur les propos de notre collègue Laurent Duplomb, je trouve scandaleux de constater que des projets hydroélectriques sont bloqués dans le Sud-Ouest par la DREAL depuis sept ans. Or, nous pourrions faire avancer les choses, de manière intelligente, comme nous avons su le faire par le passé.
Par ailleurs, je souhaite appeler votre attention sur les négociations européennes autour du Nutriscore. J'étais à une réunion avec des entreprises agroalimentaires et trois médecins et scientifiques de renom. Il en est ressorti que ce Nutriscore ne correspond strictement à rien. Dans une grande surface, 90 % des produits sont achetés, entre trois et dix secondes. Les clients ne s'arrêtent pas pour lire les indications et se voient «?interdits?» de sélectionner des produits, du fait de la couleur rouge présente sur l'emballage. Madame la Présidente, nous devons nous opposer à ce dossier qui avance très vite et qui pourrait nuire à 40 % des produits agroalimentaires français. Nous devons défendre nos produits agroalimentaires. L'excédent de la France n'est plus que de trois milliards d'euros contre dix milliards il y a six ans.
Une mission sur ce sujet sera menée au deuxième semestre de l'année 2022. Votre expérience sera la bienvenue, si vous souhaitez vous joindre à ces travaux.
Je remercie nos deux rapporteurs qui nous ont éclairés et ont essayé d'apporter un certain nombre de correctifs et de précisions qui nous sont utiles.
Nous sommes tous édifiés de voir la portée et les conséquences massives sur l'ensemble de la société française des sujets à l'ordre du jour de ce paquet. Comme cela a été indiqué par notre collègue Fabien Gay, le Parlement doit nécessairement être associé à cette définition d'une vision stratégique pour l'avenir de notre pays, au sein d'un ensemble européen.
Concernant le volet bâtiment et logement qui m'intéresse particulièrement, le maintien d'objectifs et de délais extrêmement ambitieux, dans le contexte budgétaire actuel et à venir, ne me semble pas réaliste. Le Parlement peut-il encore être force de proposition?? Nous devons rédiger des résolutions, mais le mode opératoire actuel de décision de l'évolution de notre pays interroge plus que jamais.
Les trois commissions sénatoriales se sont saisies par elles-mêmes du sujet, tandis qu'on ne constate aucun débat à l'Assemblée nationale. Cela représente bien un problème démocratique.
Je remercie nos deux rapporteurs également. Nous comprenons le caractère urgent de la situation. Toutefois, traiter de sujets engageant massivement l'avenir de notre société, en si peu de temps, n'est pas sérieux.
Nous n'avons pas atteint les objectifs précédents et nous en fixons pourtant de nouveaux. Les rapports du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sont toujours plus alarmants et nous montrent que nous ne sommes pas dans la bonne trajectoire. Nous n'avons pas de planète B. Les retours sur investissement relèvent d'un paradigme dont la pertinence est interrogée. Nous avons vu l'orthodoxie budgétaire voler en éclats ces dernières années : beaucoup d'argent a été déversé, avec trop peu d'éco-conditionnalité.
La réduction de 55 % des émissions de GES doit être atteinte si nous souhaitons rester en deçà de 1,5 °C de réchauffement climatique. Or, on assiste à une politique de « gribouille » actuellement, avec la succession d'objectifs non atteints.
Dans un monde mondialisé, le MACF représente un mécanisme crucial de cette réduction, afin de conserver notre souveraineté et d'arriver à maintenir notre industrie et notre économie. Des politiques exigeantes peuvent être menées au niveau de l'Europe, qui doit servir d'exemple au monde.
Je souhaite rappeler que la France produit aujourd'hui 0,8 % des émissions de CO2 mondiales. La Chine, les États-Unis, l'Allemagne et l'Australie en produisent bien davantage. Il faut donc savoir raison garder et faire attention aux conditions que l'on souhaite imposer à nos habitants.
À titre d'exemple, on ne peut imposer à une personne allant travailler en voiture tous les jours le coût d'achat d'une voiture électrique. Nous risquons de dépasser le seuil d'acceptabilité toléré par nos concitoyens. Les « gilets jaunes » sont apparus au moment de l'instauration de la taxe carbone.
Je remercie nos deux rapporteurs et souhaite apporter, en sus des interventions de mes collègues, une réflexion sur notre manière de faire de la politique.
Nous discutons aujourd'hui d'une politique de prospective que nous n'avons pas. Nous sommes coresponsables de l'état actuel des choses, car nous sommes dans l'incapacité de nous mettre d'accord sur un diagnostic et d'envisager un futur où chacune de nos convictions peut s'exprimer. Nous devons nous remettre en cause sur la façon dont nous menons la politique.
Nous attendions autre chose du Haut-Commissariat au Plan présidé par François Bayrou...
Un certain nombre d'entre nous n'attendent plus rien de François Bayrou depuis longtemps.
Sur des sujets qui nous engagent sur des décennies, j'attendais de cette institution qu'elle puisse s'extraire du débat partisan et qu'il nous donne un certain nombre de pistes prospectives. Comme l'a indiqué notre collègue Laurent Duplomb, aucune réponse n'a été apportée sur des sujets tels que l'énergie, l'agriculture ou la souveraineté alimentaire - où nous reculons chaque année - et je le regrette.
L'invasion des plaines céréalières de l'Ukraine devrait nous faire réfléchir.
Je retiens de ce qui a été dit la planification et la durabilité qui doivent être le préalable de toute discussion. Les engagements pris ne sont pas tenus, car nous trouvons toujours une circonstance nous faisant revenir sur les décisions déjà prises.
Cela nous oriente vers des débats très importants, dont celui du quinquennat. Écoutons désormais les réactions de nos rapporteurs.
Nous nous sommes, heureusement, saisis de ce sujet pour la commission des affaires économiques. Nous avons passé beaucoup de temps à auditionner divers acteurs, mais également à échanger entre nous, ce qui n'était pas gagné d'avance. Je suis fier de cette discussion préalable au niveau de la commission des affaires économiques, car elle donnera plus de force au travail des rapporteurs.
Par ailleurs, comme nous l'avions déjà relevé lors de nos travaux sur la « taxonomie verte », l'Europe s'assoit sur la souveraineté, dans la définition du mix énergétique par les États membres, élément majeur qui appartient en France au Parlement. Nous sommes attachés à ce point, qui est écrit dans notre rapport d'information. C'est le Sénat qui a prévu que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) soit discutée au niveau du Parlement. Nous aurons effectivement à définir le futur mix énergétique de la France, dans le cadre de la « loi quinquennale sur l'énergie » de 2023.
Je souhaite revenir sur la question de l'instabilité normative. Nous souhaitons parfois repositionner des productions en France, tout en ne laissant pas le temps aux chefs d'entreprise de suivre le rythme des évolutions législatives, qui sont parfois contradictoires. Cet élément, qui ressort de l'ensemble de vos réactions, doit être souligné.
Le MACF constitue également un sujet essentiel. Nous pourrions toutefois aller plus loin. Le problème du réchauffement climatique, rappelé par le GIEC, ne concerne pas uniquement la France et l'Europe, qui ne pourront pas à elles seules résoudre ce problème.
Enfin, les politiques énergétiques s'inscrivent dans un temps long, au moins dans le quart de siècle, ce qui implique une stratégie de planification des besoins et des sources énergétiques. C'est le cas de l'hydraulique, de la méthanisation, du photovoltaïque ou de l'éolien. La mixité énergétique constitue un gage d'innovation et de compétitivité.
La loi « 3DS », et notamment son volet lié à la réforme de la loi « Solidarité et Renouvellement urbain » (SRU), prend en compte les spécificités locales. Dans un cadre comme celui-ci, il s'agit de tenir compte les spécificités nationales existantes, afin que chaque État membre se sente entraîné dans ces objectifs de décarbonation. Il faut garantir la compétence des États membres pour définir les principes et modalités d'une politique d'efficacité énergétique nationale.
Dans le domaine du logement, par exemple, il faut tenir compte des contraintes spécifiques auxquelles sont confrontés les bailleurs sociaux, acteurs majeurs de la solidarité nationale. Si nous ne voulons pas porter atteinte à ce système social, auquel nous sommes tous attachés au sein de la commission des affaires économiques, il faut accompagner ces acteurs, qui ont été déstabilisés ces dernières années. Il faut les aider à adapter le parc de logements d'habitation à loyer modéré (HLM) aux nécessaires standards de la décarbonation.
Je note qu'une forme de consensus au sein de notre commission se dégage autour du nécessaire équilibre démocratique entre le rôle de l'Europe, qui doit donner une vision stratégique pour décarboner l'ensemble de nos activités humaines, et les modalités de cette décarbonation, qui relèvent bien évidemment des États membres, voire des régions. Nous devrions donc avoir des objectifs de résultats.
Pour répondre à notre collègue Fabien Gay, et bien que je provienne d'une tradition prônant une forme de rigueur budgétaire toujours d'actualité, je considère que les investissements pour le changement climatique peuvent être payés par les générations futures. La difficulté actuelle vient du fait que des ressources ont été utilisées en fonctionnement, et non en investissement. Nous pouvons réfléchir hors du cadre de notre budget et éventuellement dédier une partie de notre dette à ces investissements qui sont importants.
Je suis frappée, au terme de ce quinquennat, par la volonté de tous d'avancer vite sur de nombreux sujets : l'agriculture, le logement, l'énergie, la mobilité. Nous ne pourrons peut-être pas tout faire d'un seul coup. La question de la priorité des investissements, pour être le plus rapide et le plus efficient dans la réponse aux défis posés par le changement climatique, doit se poser collectivement. C'est notre rôle ici d'en débattre, dans notre chambre des territoires.
Enfin, notre collègue Jean-Marc Boyer a raison de souligner que la France ne génère qu'une faible part des émissions de GES mondiales. Cela pose la question de l'équilibre de l'effort avec d'autres pays européens ; nous avons tenu à l'inscrire dans la proposition de résolution. Cela pose également la question de la désindustrialisation de la France, qui nous permet d'émettre si peu, et par conséquent la question des émissions de GES importées. Nous ne pouvons pas demander des efforts aussi importants à la France, par rapport à d'autres pays de l'Union européenne : quand vous êtes au régime, ce sont les derniers kilos qui sont les plus difficiles à perdre. Il me semble donc que la réalisation de l'objectif de 55 % de réduction des émissions de GES devrait être appréciée à l'aune des spécificités de chaque pays.
Je vous remercie et vous demande d'être nombreux demain matin à notre réunion de commission « tripartite », afin de soutenir la position équilibrée de nos deux rapporteurs.
La réunion est levée à 10 heures 30.