Nous examinons aujourd'hui le rapport de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche sur les services déconcentrés et préfectoraux.
L'État territorial est au coeur de nos préoccupations et de celles des élus. Nous nous y sommes déjà de nombreuses fois intéressés, notamment dans le cadre des travaux ayant abouti aux cinquante propositions en faveur des libertés locales. Mais le fait est qu'on en fait peu ; c'est un « on » générique, qui ne nous concerne pas...
Au cours des derniers mois, notre délégation a attaché une attention toute particulière au thème de l'État territorial. En juin 2021, elle a entendu les magistrats de la 4ème chambre de la Cour des comptes, en charge du suivi des administrations déconcentrées, ainsi que Mme Bernadette Malgorn, conseillère municipale et métropolitaine de Brest, ancienne préfète et ancienne secrétaire générale du ministère de l'Intérieur. En octobre 2021, elle a auditionné M. Christophe Mirmand, préfet, président de l'Association du Corps préfectoral et des Hauts Fonctionnaires du ministère de l'Intérieur. Le même mois, elle a accueilli M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique. Lors de son audition du 10 janvier dernier, M. David Lisnard, en sa qualité de nouveau président de l'Association des maires de France, n'a pas manqué d'évoquer ce sujet-là au travers du prisme du fameux couple maire / préfet.
Le président du Sénat ayant décidé de relancer des travaux sur la décentralisation et la déconcentration, le rapport de nos collègues tombe à point nommé. L'ensemble des auditions qu'ils ont menées montrent qu'il s'agit d'une préoccupation commune, partagée également par les préfets.
La réforme de l'État territorial, un sujet sensible, accompagne la décentralisation. Il n'y a pas de décentralisation sans une bonne déconcentration.
Notre rapport s'inscrit dans la continuité des travaux menés au nom de notre délégation en 2016 par nos anciens collègues Éric Doligé et Marie-Françoise Pérol-Dumont. Leur rapport « Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités » mettait en lumière de nombreuses incertitudes et laissait ouvertes plusieurs options. Il invitait moins à clore la réflexion qu'à l'enrichir, ce à quoi Éric Kerrouche et moi-même nous sommes employés.
Nos conclusions s'appuient sur l'état des lieux que nous vous avons présenté le 16 février dernier, lors de l'examen de notre rapport d'étape. Elles sont le fruit d'une très large consultation des élus locaux, menée via la plateforme du Sénat : 1 393 élus locaux, dont 62 % de maires, y ont participé. De manière assez innovante, nous avons également consulté les préfets et sous-préfets : 108 sur 375 nous ont répondu, dont un quart de préfets, ce qui témoigne d'un intérêt et d'une attente.
Nos conclusions s'inscrivent dans un contexte particulier, lié à l'empilement, jusqu'à satiété sans doute, des réformes territoriales. À vrai dire, peu de domaines de l'action publique ont connu autant de réformes, en termes de nombre comme de cadencement.
Après la révision générale des politiques publiques (RGPP) et son dérivé pour l'administration déconcentrée, la Réforme des administrations territoriales de l'État (RéATE), sont venus la Modernisation de l'action publique (MAP) et le Plan Préfectures Nouvelle Génération (PPNG). Fait révélateur, la confiance des représentants de l'État s'érode : 58 % des préfets et sous-préfets jugent la RéATE utile, mais ce taux tombe à 51 % pour le PPNG. Quant au document Missions prioritaires des préfectures 2022-2025, dit « MPP 22 », les préfets et sous-préfets estiment qu'il aura des répercussions en termes de personnel. Plus le temps passe, moins les représentants de l'État ont eux-mêmes confiance dans les réformes.
Au vu de l'accumulation de réformes, on aurait pu espérer qu'au moins leurs effets seraient objectivement évalués. Or, c'est là l'un des points faibles : on a l'impression qu'elles sont engagées pour elles-mêmes, que le train de l'État est lancé, sans que soient jamais tirés les enseignements de la vague précédente.
Il en résulte une frustration, tant chez les élus que chez les préfets et sous-préfets. Les premiers ont le sentiment de ne pas être associés aux réformes et même de ne pas en être informés. Les seconds partagent ce sentiment, de manière certes moins prononcée : 43 % estiment ne pas être associés, contre 82 % des élus.
Ce sentiment de mise à l'écart est illustré par un autre chiffre, extrêmement révélateur et beaucoup plus élevé chez les préfets et sous-préfets : 85 % d'entre eux estiment que l'organisation territoriale de l'État est trop souvent réformée. Preuve qu'il y a sans doute matière à faire progresser la conduite du changement dans notre pays. Songez qu'un élu sur trois est incapable de donner ne serait-ce qu'un avis sur la réforme territoriale de l'État...
Aussi proposons-nous de rendre impérative une concertation nationale avec les associations d'élus en amont du lancement d'une politique ministérielle se chevauchant avec les compétences décentralisées.
Au-delà de la méthode, il faut s'attacher aux résultats des réformes menées. À chaque fois, la réforme de l'État est portée par une ambition affirmée : améliorer le fonctionnement des services et répondre au mieux à la demande d'État dans les territoires. L'objectif est louable, mais la réalité constatée est celle d'une baisse des moyens de l'État. Pour deux élus sur trois, le service public de l'État s'est dégradé sur leur territoire ; près de 60 % pensent que les moyens des services déconcentrés sont insuffisants.
À cet égard, nos conclusions rejoignent la récente enquête de la Cour des comptes sur l'évolution des effectifs de l'administration territoriale. Au sein même du corps préfectoral, 70 % de ceux qui nous ont répondu estiment que leurs moyens humains sont insuffisants.
J'ajoute deux chiffres, qui parlent d'eux-mêmes : les effectifs physiques des directions départementales interministérielles (DDI), qui s'élevaient à près de 40 000 agents en 2011, sont tombés dix ans plus tard à un peu plus de 25 000 agents, soit une chute de 36 %.
La plupart du temps, les baisses sont justifiées par la réorganisation, qui rendrait le fonctionnement des services plus efficace, et les gains de productivité liés aux nouveaux outils technologiques, comme la transmission dématérialisée des actes, appréciée tant par les élus que par les préfets. Mais nous constatons que cette argumentation est fragile, car ne reposant sur aucune évaluation ex post. A contrario, les exemples de dégradation du service rendu aux collectivités territoriales et, plus largement aux usagers, abondent ; nous en avons eu de multiples témoignages.
De fait, plus de la moitié des maires, notamment dans les communes de moins de 1 000 habitants, estiment que l'offre de services publics s'est dégradée ou est défaillante sur leur territoire.
Ce constat rend nécessaire une clarification du rôle de l'État. Il faut mieux répartir les compétences de l'État dans les territoires, sur la base de deux principes essentiels : subsidiarité et différenciation, dans l'esprit des 50 propositions du président Gérard Larcher. Ainsi l'action de l'État pourra-t-elle irriguer l'ensemble des territoires, jusqu'au dernier kilomètre.
La contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales nous apparaît comme une modalité intéressante de la souplesse nécessaire, permettant de sortir de la logique des appels à projets. Cette dernière, en imposant aux collectivités un cadre défini, bride leurs initiatives. Elle requiert aussi de leur part une grande technicité dans les réponses, dont les plus petites communes n'ont pas les moyens.
La clarification de la place de l'État dans les territoires passe aussi par le fameux couple maire-préfet, mis en avant pendant la crise sanitaire. Mais cette relation, parfois présentée comme idyllique, est marquée sur le terrain par un certain nombre de grincements et d'ambivalences.
Mme la préfète Bernadette Malgorn nous a expliqué qu'une nomination de préfet nécessitait de trouver une concordance entre un profil, un département, son terrain, ses caractéristiques et ses élus, des circonstances et des enjeux variables dans le temps. C'est un peu le mouton à cinq pattes...
Il nous paraît judicieux de recueillir l'avis des élus dans le cadre de l'évaluation des préfets, afin de prendre pleinement en compte le « retour terrain ». Cette avancée est d'autant plus nécessaire dans la perspective de la fonctionnalisation des préfets, qui impose une professionnalisation renforcée de cette filière.
Autre sujet de tension entre le préfet et les maires : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Le choix des projets appartient au préfet pour les montants inférieurs à 100 000 euros, les élus locaux n'ayant pas toujours accès aux informations sur ces attributions. Dans mon département, nous avons reçu un énorme fichier consultable à la loupe...
Nous proposons donc d'instaurer plus de transparence dans l'attribution des dotations d'État en abaissant à 20 000 euros le seuil au-delà duquel l'avis de la commission d'élus est nécessaire.
Deux thèmes sont emblématiques de la logique d'accompagnement que les élus attendent de l'État : l'offre d'ingénierie territoriale et le contrôle de légalité.
En matière d'ingénierie, les communes les moins peuplées recourent surtout au département, voire aux intercommunalités ; les plus grandes font appel davantage à des prestataires privés - c'est le cas de 29 % d'entre elles -, de manière accessoire à l'État et à ses opérateurs - 19 % le font - ou s'auto-accompagnent. La question se pose donc : l'État est-il encore capable de remplir cette fonction d'ingénierie, d'autant plus importante que les projets eux-mêmes et les contraintes pesant sur les collectivités territoriales requièrent une plus grande technicité ?
L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) marque un progrès intéressant, mais elle souffre d'un vrai déficit de notoriété auprès des élus locaux. Par ailleurs, l'offre, parfois alléchante, ne bénéficie pas des financements nécessaires. Les études initiales sont souvent financées, mais c'est plus compliqué pour la mise en place des projets, ce qui est source de frustration. Sur ce sujet, nous faisons confiance à nos collègues Céline Brulin et Charles Guené pour mener un travail plus approfondi d'évaluation.
En ce qui concerne le contrôle de légalité, l'État a décidé de prioriser un certain nombre d'actes majeurs, mais le taux de contrôle reste autour de 90 %. Plus qu'un contrôle descendant, les élus attendent un conseil juridique en amont. La technique du rescrit, introduite par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, reste extrêmement confidentielle : 74 % des élus n'y ont jamais recouru et 63 % ne la connaissent même pas. Les travaux de notre délégation devront approfondir cette question du rescrit.
Les effets de l'accumulation de réformes administratives dont j'ai parlé sont mal mesurés. L'adaptation de l'organisation territoriale de l'État devrait viser la simplification, la lisibilité et l'efficacité de l'action publique.
Nous avons placé le département au centre de notre réflexion, comme périmètre essentiel de mise en oeuvre des politiques publiques. Dans cette architecture, la pierre angulaire reste le préfet, dont le rôle de coordonnateur local est essentiel. C'est pourquoi nous proposons de placer les préfets sous l'autorité directe du Premier ministre, compte tenu de leur rôle interministériel.
De même, nous plaidons pour expérimenter le dédoublement des fonctions de préfet de région et de préfet de département chef-lieu de région, une proposition accueillie favorablement par 65 % des membres du corps préfectoral. Alternativement, on pourrait expérimenter la transformation du secrétaire général de la préfecture de région en préfet du département chef-lieu, auquel serait adjoint un sous-préfet chargé de l'arrondissement centre, afin d'améliorer la couverture territoriale des différentes centralités. Dans la même perspective, le dédoublement pourrait être expérimenté des fonctions de secrétaire général de préfecture et de sous-préfet d'arrondissement chef-lieu.
Enfin, même s'il y a une différence d'appréciation entre les membres du corps préfectoral, attachés à leur logique de carrière, et les élus, attachés à leur territoire, nous recommandons d'instaurer une durée minimale d'affectation du préfet de quatre ans, avec une feuille de route sur cette période.
Au regard de la fonctionnalisation en cours du métier préfectoral, nous soulignons la nécessité de préserver les préfets d'une politisation qui nuirait à leur crédit, donc à l'efficacité de l'État. En d'autres termes, la perspective d'un spoil system territorial à la française ne nous paraît pas du tout souhaitable. Nous sommes attachés à la pérennité d'une filière professionnelle préfectorale : être préfet ou sous-préfet, c'est un métier.
L'État dans les territoires, ce sont aussi les nombreuses agences qui peuplent désormais le paysage administratif ; nous les connaissons tous, peut-être parfois à nos dépens. Pour les élus, cette profusion d'acteurs rend très difficile l'identification du bon interlocuteur au sein de la nébuleuse étatique : deux sur trois ne trouvent plus le bon interlocuteur. Parfois, la difficulté vient de la polyphonie, voire des dissonances ou des contradictions, entre les réponses rendues par différentes autorités administratives. Or, le préfet est démuni face à de nombreuses agences qui échappent à son autorité.
Ce manque d'unité crée un risque de dévalorisation de la parole étatique. Il entraîne des pertes de temps, des projets étant à l'arrêt faute d'orientation claire. Sans doute faut-il imaginer un autre modèle d'organisation, gage d'une meilleure cohérence. Les quatre cinquièmes des membres du corps préfectoral considèrent que les agences de l'État sont trop nombreuses ; c'est une proportion encore plus forte que chez les élus. Ce chiffre me paraît assez révélateur du malaise, y compris au sein de l'État, vis-à-vis de ces agences.
Nous proposons donc que, sur le modèle de l'organisation de l'ANCT, le préfet soit nommé délégué territorial de toutes les agences de l'État, dont le sous-préfet serait le représentant au plus près des territoires.
J'en viens à la place du sous-préfet et des sous-préfectures.
Si les élus des plus grandes collectivités ont un accès facile au préfet, ce n'est pas le cas des élus des plus petites, notamment lorsqu'elles sont isolées en milieu rural. Ces élus se tournent plus facilement vers le sous-préfet, échelon de proximité et d'efficacité immédiates de l'État. L'importance du sous-préfet est donc cruciale.
Dans une perspective de différenciation, des sous-préfets thématiques pourraient être nommés, en fonction des questions prégnantes sur leur territoire, comme le loup ou le littoral.
La France est maillée de 233 sous-préfectures, mais la carte des arrondissements n'a pas évolué depuis la réforme Poincaré de 1926... Il est incompréhensible que cette carte ne soit pas adaptée aux réalités d'aujourd'hui. J'ajoute que des problèmes de cohérence se posent avec d'autres découpages : carte judiciaire, circonscriptions de police et de gendarmerie, répartition des forces militaires.
Il est donc essentiel de repenser la carte des arrondissements, pour prendre en compte les dynamiques et pour éviter des actions à géométrie variable. Il faudra pour cela s'appuyer sur une large consultation des élus locaux pour rechercher le consensus et éviter les effets traumatiques des précédentes réformes, trop souvent imposées à la hussarde et de manière descendante.
Pour réarmer les sous-préfectures, il faut leur assurer des moyens suffisants. Elles ont largement participé à l'effort de réduction des effectifs de l'État, perdant parfois plus de 50 équivalents temps plein (ETP), ce qui contraint à remonter l'action à l'échelon supérieur plutôt que de répondre en proximité. Ces moyens renforcés doivent être adaptés à la réalité des territoires, au-delà de leur répartition historique.
Vous l'aurez compris, notre rapport n'est pas un énième rapport sur la préfectorale. Nous proposons une vision d'un État territorial pour aujourd'hui et pour demain. Agnès Canayer a évoqué la réorganisation des arrondissements : cela doit se faire dans le respect de l'ancrage territorial des sous-préfectures.
Nous n'avons pas non plus pour but un big bang territorial : il n'y en a que trop eu. Il s'agit plutôt de modérer l'effet de réformes qui se sont accumulées sans congruence. L'État ne peut plus gouverner les territoires avec un tableur Excel. Ce modèle doit s'articuler en renforçant l'échelon départemental, qui est le plus pertinent pour l'enracinement territorial : le préfet est le patron des services, et il est secondé par des sous-préfets opérationnels et dotés de suffisamment de services pour garder leur pertinence, le tout dans l'écoute et avec la confiance du maire.
Les moyens humains, d'expertise, budgétaires et informatiques doivent être à la hauteur, tout comme la collaboration avec les élus locaux. Ceux-ci sont prêts : nous espérons que l'État ne les décevra pas.
Je vous remercie de vos propos. Cette hantise de l'efficacité de l'action publique, vers laquelle tendent d'incessantes réformes mais à laquelle on n'arrive jamais pleinement, est constante.
Pour qu'il y ait une réforme, tout comme pour la fabrique de la loi, il faut une diffusion de l'information. Je suis estomaquée par le degré de méconnaissance des élus de ces réformes que vous révélez. Vous avez parlé de l'évaluation : on s'use, dans notre pays, à enchaîner les réformes sans les évaluer.
L'unité de la voix de l'État nous obsède : nous en avons beaucoup parlé lors de l'examen des textes relatifs à l'engagement dans la vie locale et à la différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (3DS). Cela ne doit pas empêcher le recours à l'expertise alors qu'on a aujourd'hui, comme l'a dit Éric Kerrouche, des polyphonies discordantes. Des élus, face à des problèmes concrets, enchaînent des rendez-vous dans des bureaux fonctionnant en tuyaux, avec des conjonctions d'impossibilités où personne n'apporte de solution.
Réarmer l'État territorial est une nécessité : on peut toujours dire que les collectivités dépensent de l'argent mais, face à la complexité des sujets, comment les élus peuvent-ils accéder à une ingénierie dont ils ne disposent pas toujours ? Les intercommunalités le font parfois, mais elles sont forcées d'engager des moyens supplémentaires à cause du désengagement de l'État.
Enfin, je suis sensible au dédoublement des fonctions de préfet de région et de préfet de département, d'autant plus lorsque le premier se cumule avec d'autres rôles comme celui de préfet de zone de défense. Hors les maires de grande ville, les élus ne rencontrent pas les préfets de région. Il en va de même pour les secrétaires généraux de préfecture départementale et de région, qui sont aussi l'interlocuteur d'un arrondissement. La présence territoriale du sous-préfet est reconnue par tous les élus. Voix de l'État, il doit pouvoir s'appuyer sur des expertises thématiques partagées entre sous-préfets. C'est le cas dans mon département, avec par exemple un sous-préfet spécialisé dans les problématiques sur les gens du voyage.
Merci à nos deux rapporteurs de ce travail en profondeur.
Le réarmement est-il plutôt en termes de moyens ou technique ? Ne cherchons pas forcément à redéployer des moyens de l'État alors que communes et intercommunalités se sont armées, certes par défaut, en matière d'ingénierie. Certains élus manquent aussi de visibilité sur l'ingénierie d'État et gardent le fantasme des directions départementales de l'équipement (DDE).
Le préfet doit aussi rester plus longtemps dans les territoires. Dans mon département, le préfet est reparti en administration centrale après seulement un an et demi. Rester plus longtemps est un gage d'efficacité et d'un meilleur contact avec les élus.
Je m'interroge en revanche sur votre proposition de les rattacher aux services du Premier ministre : je ne suis pas persuadé qu'ils soient adaptés, alors qu'il y a une culture spécifique au ministère de l'Intérieur, comme le confirment nos échanges de mardi soir avec Caroline Cayeux.
Je félicite nos rapporteurs de leur excellent travail.
On parle de moyens insuffisants de l'État. Selon moi, il s'agit principalement de moyens humains. Je rappelle que l'État fait appel à des cabinets privés, comme l'a montré le rapport d'Éliane Assassi sur les cabinets de conseil, qui a provoqué un tollé.
Cela existe aussi de façon moins visible. Ainsi, pour rénover l'habitat pour les usagers, on fait appel à une société privée au lieu de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Je le déplore.
S'agissant des impôts, je rappelle que nous manquons de personnel pour effectuer des contrôles financiers.
Enfin, j'appelle à la vigilance sur la carte des arrondissements : attention aux conséquences sur les élections et sur les équilibres politiques.
Je vous remercie à mon tour de ce rapport, fruit d'une expérience de terrain. : il relate des difficultés et des insatisfactions que nous avons tous rencontrées. Il contient tout pour améliorer la relation avec l'État et pour réarmer les préfectures et les sous-préfectures.
Dans la continuité de vos propositions, je souligne l'importance de la transparence sur les dotations : passer de 100 000 euros à 20 000 euros semble ainsi une bonne idée. En outre, la préfecture de région décide parfois sans que le préfet de département soit consulté. Les départements doivent avoir la main sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) plutôt que les régions, pour éviter de favoriser des territoires plus dynamiques au détriment d'autres. Adoptons ce rapport !
Sur le rattachement aux services du Premier ministre, nous considérons que la réforme de l'État déconcentré est avant tout une réforme d'état d'esprit. Le préfet doit être coordonnateur face à une parole émiettée de l'État, et travailler davantage en interministériel plutôt qu'en polyphonie entre, par exemple, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et ses propres services. Rien n'interdit d'ailleurs au Premier ministre de se doter des moyens de coordonner les préfets.
Notre rapport reprend les rôles de l'État : les préfets agissent souvent dans une logique d'ordre et de sécurité publics. Toutefois, n'oublions pas leurs deux autres rôles, qui sont la représentation du Gouvernement et la coordination des services. On peut ainsi choisir de maintenir le préfet dans cette seule logique d'ordre et de sécurité, dans la continuité de son rattachement au ministère de l'Intérieur et du rôle historique de la préfectorale, qui ne correspond plus forcément à la réalité actuelle. Mais l'on peut aussi opter pour un rattachement au Premier ministre, qui ne supprime pas la présence de l'Intérieur, mais place au premier plan la dimension interministérielle du rôle des préfets.
Il ne s'agit pas de supprimer les arrondissements, donc les sous-préfectures. Simplement, la carte des arrondissements ne correspond plus aux découpages territoriaux intervenus au cours des dix dernières années : il n'est ainsi pas normal qu'une intercommunalité dépende de deux sous-préfectures.
Oui, les mairies se sont réarmées ; tenons-en compte. Cependant, ce n'est pas tant une question de volume, pour les services de l'État, que de disparition de compétences. Le non-remplacement de postes sans transmission d'expertise est un auto-affaiblissement de l'État.
Au-delà de la relation avec les élus, n'oublions pas celle avec les usagers, qui s'est dégradée. Dans mon département, il n'y a plus de service le vendredi ou après seize heures ! Et le tout numérique ne suffit pas : à titre personnel, j'aurais ainsi préféré, dans le cadre d'une expérience récente avec l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), bénéficier de l'aide d'un agent de l'État plutôt que de payer une entreprise privée.
Je remercie à mon tour les rapporteurs de leur travail sur ce sujet important. Finalement, votre analyse, c'est notre vécu au quotidien.
Globalement, les élus n'y comprennent plus rien et les réformes se font sans concertation, avec des suppressions d'emplois et des transferts de compétences vers les préfectures de région qui dépouillent nos départements. Au bout du compte, cela accroît les inégalités entre les petites et les grandes collectivités, alors que ces dernières s'en sortiront toujours.
Cessons de dépouiller les services de département et les sous-préfectures ! Dans certaines d'entre elles, les effectifs se comptent sur les doigts des deux mains... En dessous d'un certain seuil, on n'a plus de compétences. Ainsi, mon département est concerné par les biens de section : une personne, dans la sous-préfecture, s'y consacre, et elle est sollicitée par les départements voisins.
Je suis moi aussi pour le dédoublement des préfets de département et de région, mais aussi pour celui des secrétaires généraux de préfecture et des sous-préfets d'arrondissement. Là encore, les départements ruraux ne sont pas traités de la même façon... Les maires des communes rurales ont pour interlocuteur le sous-préfet, pas le préfet. Renforçons donc leur rôle et les effectifs associés.
Peut-être pourrait-on envisager une durée minimale d'affectation pour les préfets et pour les sous-préfets : vous parlez de quatre ans dans votre rapport. En effet, préfet et sous-préfet, c'est un métier ! Or, on a aujourd'hui affaire à des personnes déconnectées : dans mon département, une sous-préfète récemment nommée ne restera sans doute pas plus de deux ans en poste... On perd ainsi un interlocuteur compétent qui apporte ses services aux maires, et particulièrement à ceux des petites communes.
Je suis aussi d'accord sur le rôle du préfet comme délégué territorial de toutes les agences. Sur les agences régionales de santé (ARS) et de l'ANCT : cela parle peu aux élus des petites communes. L'ingénierie est beaucoup organisée au niveau des départements : heureusement qu'ils le font, au bénéfice des petites communes.
Je suis d'accord sur le fait qu'il y a des problèmes sur les périmètres et que ceux-ci méritent d'être révisés.
Sur la DETR et la DSIL : abaisser le seuil à 20 000 euros, sur le principe, c'est bien, mais ne créons pas de lourdeurs supplémentaires. N'allons-nous pas multiplier les réunions de commission, au détriment de l'efficacité du système ?
Je partage ce qui a été dit sur la DSIL régionale. Les préfets de département doivent se battre pour en obtenir une petite part. Le préfet de région la gère depuis sa métropole, entouré des élus qui comptent, et les petits départements, avec leurs petits préfets, peinent à obtenir satisfaction.
Bravo à Agnès Canayer et Éric Kerrouche pour leur rapport. On a l'impression d'être dans la vraie vie de nos territoires quand on entend leur présentation !
Ma première question porte sur la hiérarchie réelle ou fantasmée entre région et département. C'est le préfet de région qui accompagne « Action coeur de ville » alors que c'est à l'échelon départemental que les décisions se prennent. Ce sont tout de même les préfets de département, accompagnés par les élus locaux, qui ont géré la crise de la Covid. Puisqu'ils ont un droit à dérogation, ne devrait-on pas décider clairement que ce sont eux qui ont la main, en cas d'ambiguïté sur un dossier ? Cette hiérarchie entre région et département, qui n'en est pas réellement une, pose problème dans le suivi des dossiers.
Ma deuxième question porte sur l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Dans le domaine du patrimoine, par exemple, elle était assurée par les directions régionales des affaires culturelles (Drac) mais ce n'est plus le cas. L'ANCT n'accompagne pas grand-chose. Seuls les chanceux bénéficient de l'ingénierie départementale, d'une agence d'urbanisme ou des services d'une grande intercommunalité, face à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), aux différentes polices, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et autres, soit pléthore d'intervenants. Une ingénierie territoriale d'État doit s'exprimer à nouveau. Avec le « zéro artificialisation nette » (ZAN), c'est la panique à bord car il n'y a pas d'accompagnement, alors que c'est confus. Il faut un vrai accompagnement et non un cautère sur une jambe de bois, telle que l'ANCT.
Félicitations aux rapporteurs. Ils prévoient une affectation de quatre ans minimum pour les préfets. Cela inclut-il les sous-préfets et les secrétaires généraux ? Ce serait important.
Ils souhaitent qu'il y ait le bon profil au bon endroit, lors du changement de préfet. Ce profilage me semble être un voeu pieux puisque les nominations en conseil des ministres sont plutôt dues à des chaises musicales. Comment ce profilage pourrait-il fonctionner ?
La durée de quatre ans vise à assurer une stabilité. Les secrétaires généraux, eux-mêmes sous-préfets, peuvent aussi être concernés.
Il est effectivement compliqué de trouver le mouton à cinq pattes, mais il nous semble important que les préfets aient un ancrage et une capacité à s'adapter au territoire. D'où leur évaluation par les élus locaux. Le but n'est pas que ces derniers disent s'ils les aiment ou non, mais aident à les évaluer. Si quelqu'un n'est pas capable d'être préfet, qu'il aille sur un autre poste !
Nous proposons d'évaluer l'offre d'ingénierie à l'échelle départementale. Certains départements ont développé ce service, d'autres moins. Mon territoire est confronté au problème historique des marnières. Or, l'État a tellement disparu que ce sont les intercommunalités qui se sont chargées de cette compétence. Mais les plus petites n'ont pas l'ingénierie adéquate.
Dans notre rapport, nous demandons l'évaluation de l'ANCT.
Nous avons enfin mentionné un autre acteur, qui se développe beaucoup : le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Il faut donner à cet acteur étatique incontournable les moyens de remplir ses fonctions.
Dans la loi 3DS, nous avons conforté le Cerema pour qu'il puisse faire du in house. Il dispose d'une ingénierie exceptionnelle mais trop méconnue, par exemple sur les ponts.
Le Cerema a en effet une véritable expertise. Je signale aussi à mes collègues l'existence du Centre national des ponts de secours, un service de l'État qui peut déposer un pont à tonnage illimité.
Je le précise, c'est une maire qui préside le Cerema : la maire de Montceau-les-Mines.
Notre perspective est de faire confiance aux préfets et aux sous-préfets et de renforcer leur rôle.
Le profilage que nous suggérons ne se ferait pas au moment du choix du préfet, mais une fois que les préfets et sous-préfets quittent leur poste : ils seraient notés par les élus. S'ils ont une responsabilité forte sur les territoires, ils doivent pouvoir être évalués par les élus locaux qu'ils ont servis.
Nous demandons la fin des appels à projets, qui alimentent parfois ceux qui n'en ont pas besoin.
Quand nous sommes allés dans les Hautes-Pyrénées, nous avons rencontré une sous-préfète dont l'équipe avait pâti d'un congé maternité et d'un arrêt maladie. De quatre, ils étaient passés à deux et il n'y avait plus de sous-préfet derrière la façade de la sous-préfecture.
Les élus voudraient que les préfets restent six ans en poste et les préfets veulent rester trois ans. Ces derniers sont dans une logique de carrière et souhaitent tracer leur trajectoire individuelle. Entre six ans et trois ans, nous nous sommes arrêtés sur quatre ans.
Nous ne nous sommes pas prononcés sur la hiérarchie entre les postes. Nous avons surtout cherché à répondre aux difficultés engendrées par les cumuls de postes au sein de la préfectorale. Les dédoublements que nous proposons seraient une solution. Mais nous n'avons pas décidé qui doit avoir le dernier mot.
Félicitations aux rapporteurs. C'est un rapport de vécu dans lequel on se retrouve bien !
Les rapporteurs proposent de créer des préfets thématiques. Il faut accompagner les élus en amont, c'est-à-dire travailler à une expertise thématisée qui offre une vision stratégique d'un territoire, afin d'apporter une réponse très adaptée. Comment voyez-vous le rôle de ces préfets thématiques ?
Merci aux rapporteurs de leur travail très intéressant. Je partage la plupart de leurs propositions.
La question traitée est inséparable de celle du rôle de l'État dans la République. Prenons l'exemple des agences nationales, composées souvent de contractuels, versus des services de l'État composés de fonctionnaires. C'est une approche libérale versus une approche républicaine. Autre exemple : le développement des appels à projets versus les démarches contractuelles entre l'État et les collectivités.
Quelle est votre vision de la place de l'État, qui s'inscrit nécessairement dans une organisation territoriale ?
Vous avez parlé d'évaluation. Il faut évaluer la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), que nous avons tous votée. Grandes régions, conseils départementaux, EPCI... L'organisation est inséparable de la conception que l'on se fait de l'État.
Comme élu local, j'ai été en contact avec plusieurs préfets : en réalité, beaucoup dépend de leur personnalité. La qualité du travail que l'on peut accomplir avec eux est directement liée à cette personnalité et, en particulier, à leur capacité de dialogue. Enfin, j'ai vécu une réforme d'arrondissement : on ne peut pas tout à fait dire qu'il n'y en a pas eu depuis Raymond Poincaré...
Merci de la qualité et la pertinence de ce travail. Nous aurions besoin d'une évaluation permanente de l'État, pour améliorer les processus.
Je voudrais citer un exemple très cruel sur le rapport entre l'État et les collectivités territoriales : la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine a tenu à exercer son pouvoir régalien très fortement dans l'organisation logistique de la lutte contre les incendies. Mais quand vous faites venir plus de 2 000 sapeurs-pompiers, si vous ne vous appuyez pas sur les services des collectivités territoriales, vous ne pouvez rien faire. L'attitude de refus de partenariat avec les collectivités a entraîné une certaine désorganisation qui a posé question.
Quelle complémentarité doit-on mettre en place ? On se regarde toujours trop en chiens de faïence en n'étant pas suffisamment dans la collaboration. Il n'y a pas de moment dans l'année où l'on fait le point sur la manière dont on travaille ensemble. Or, il faut savoir se remettre en question pour améliorer les choses.
Vous avez parlé du problème de l'accessibilité aux préfets et sous-préfets pour un grand nombre d'élus locaux. Comme par hasard, les problèmes arrivent toujours le week-end. Or, à partir du vendredi midi, les sous-préfectures et préfectures sont inaccessibles. J'ai une proposition très terre à terre : ne pourrait-il y avoir un numéro d'urgence ou de permanence ?
Je suis d'accord avec la remarque sur les qualités personnelles des préfets. Mais c'est identique pour les élus !
Nous nous sommes placés dans une logique fonctionnelle et ne nous sommes pas interrogés sur l'articulation entre l'État et les territoires, notamment dans la distribution des compétences, qui est un sujet plus vaste.
Nous disons nettement que les appels à projet ne sont pas la bonne solution. Nous en connaissons tous les effets dysfonctionnels.
Dans les Hautes-Pyrénées, nous avons échangé avec l'ensemble des chargés de mission du programme « Petites villes de demain » qui nous ont dit que la capacité à produire des études mettait en route la machine à rêver des élus, qui n'auront jamais les moyens de mettre en place les projets soumis.
Nous proposons de faire du schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité aux services publics un outil essentiel d'intégration du fonctionnement au sein du département.
Il est vrai qu'il y a eu des retouches d'arrondissement, mais personne n'a voulu prendre la responsabilité d'une réforme de la distribution des sous-préfectures et les changements n'ont jamais atteint ce que nous avons connu il y a un siècle.
L'idée de Didier Rambaud est très bonne. Elle pourrait être couplée avec notre idée de dédoublement. Si le poste de secrétaire général était dédoublé de celui de sous-préfet de l'arrondissement central, ce genre de problème pourrait sans doute être plus facilement traité. De mémoire, seulement 8 % des élus de communes de moins de 1 000 habitants ont accès au préfet, ou lui parlent régulièrement.
L'évaluation de la loi NOTRe dépasse largement le cadre de notre étude.
Quant à la collaboration du préfet avec le maire, et à la nécessité pour le premier de s'appuyer davantage sur le second, c'est le fil rouge de notre rapport. Nous voulons que la confiance entre les préfets et les élus locaux soit alimentée par un fonctionnement régulier et non pas seulement en temps de crise.
Les sous-préfets thématiques viennent en appui sur des sujets locaux particuliers. Sur la vision stratégique, ce sont plutôt les services d'ingénierie qui peuvent aider les maires à réfléchir.
Nous vous adressons nos remerciements. La qualité de votre évaluation vaut largement McKinsey ! Les vingt-quatre recommandations sont disponibles sur la plateforme Demeter.
Je voudrais revenir sur la question du rattachement des préfets au Premier ministre ou au ministre de l'Intérieur. Peut-on imaginer un gouvernement au sein duquel le Premier ministre n'aurait pas sous son autorité les ministres de la santé, de l'éducation nationale, des finances publiques et de l'environnement ? Les préfets n'arrivent pas à être les ensembliers de la politique de l'État ni à harmoniser sa voix.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales, et de M. Serge Babary, président de la délégation aux entreprises -
J'ai le grand plaisir d'ouvrir cette réunion conjointe à la délégation aux collectivités territoriales et à la délégation aux entreprises, consacrée à la présentation des conclusions de la mission de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. C'est la deuxième fois que nous collaborons ainsi, après nos travaux sur la cybersécurité.
Je salue le quatuor qui a oeuvré sur ce rapport : Rémy Pointereau, Sonia de La Provôté, Serge Babary, président de la délégation aux entreprises, et Gilbert-Luc Devinaz.
Vous n'ignorez pas que ce sujet est, depuis des années, une forte préoccupation de notre délégation. MM. Rémy Pointereau et Martial Bourquin ont été pionniers en la matière. Sur leur initiative, le Sénat a adopté de nombreuses mesures qui sont inscrites dans la loi de 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, et qui ont été validées en 2020 par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant consacré la revitalisation des centres-villes comme « un objectif d'intérêt général ».
La boulimie législative nous laisse peu de temps pour mener les études d'impact. Il nous faut davantage examiner les conséquences des lois que nous votons. C'est tout l'intérêt du travail de nos délégations, fortes de leur liberté de ton.
Qu'en est-il sur le terrain près de quatre ans après le vote de la loi Élan ? Quelle est la valeur ajoutée des deux programmes « Action coeur de ville » (ACV) et « Petites villes de demain » (PVD), pilotés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ? Cette dernière avait suscité quelques doutes lors de sa création ; elle fait l'objet, de la part de notre délégation, d'une « filature exigeante et bienveillante », puisque nous évaluons régulièrement son efficacité et sa diffusion dans les territoires. M. Charles Guéné et Mme Céline Brulin conduisent actuellement un travail d'évaluation de cette agence. Je suis heureuse de constater que votre travail a abouti à un véritable rapport d'évaluation de politique publique, en l'espèce de la politique de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. C'est une nouveauté tout à fait conforme à l'article 24 de la Constitution. Le Sénat est très attaché à sa mission d'évaluation.
La dévitalisation des centres a longtemps été un phénomène occulté par les pouvoirs publics. C'est pourquoi, dès 2016, le Sénat s'était préoccupé de la désertification des centres-villes et centres-bourgs, qui déséquilibre les territoires, fragilise les économies locales et affecte le lien social.
Le Sénat a ainsi inséré plusieurs dispositions dans la loi Élan de 2018 et a contribué à l'émergence des programmes de revitalisation ACV et PVD. Pilotés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ces programmes ont été lancés respectivement en décembre 2017 et octobre 2020.
Plusieurs interrogations étaient au coeur de notre mission. Quel a été l'effet concret de la loi Élan sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs en France ? Permet-elle désormais d'analyser les effets des projets commerciaux sur la revitalisation du tissu commercial du centre-ville ? L'essor considérable de l'e-commerce et des dark stores doit-il conduire à des adaptations normatives, ou les documents d'urbanisme suffisent-ils, à droit constant, pour assurer la régulation des nouveaux entrepôts ? Peut-on tirer un premier bilan des opérations de revitalisation des territoires (ORT) et du programme ACV ? Quelles sont les attentes des élus concernant le récent programme PVD ?
C'est pour répondre à l'ensemble de ces questions que nous avons réalisé vingt-neuf auditions, quatre déplacements et deux consultations en ligne auprès des élus locaux et des acteurs des programmes ACV et PVD. Nous vous avons présenté, le 7 juillet dernier, les résultats chiffrés de ces deux consultations.
Au terme de ce long travail, la mission propose quatorze recommandations.
Notre collègue Sonia de la Provôté va présenter le premier bilan que nous tirons de la loi Élan.
Nous tirons un premier bilan globalement positif du volet « revitalisation » de la loi Élan, qui a été inspiré par une proposition de loi sénatoriale, votée à l'unanimité, plébiscitée par les élus locaux et les deux chambres. Le Gouvernement avait souhaité l'insérer dans la loi Élan, qui ne traitait pas de la revitalisation. L'ORT est un outil partenarial vertueux, apprécié des élus locaux, et l'analyse d'impact du projet commercial est un nouvel outil efficace, quand il est connu et utilisé.
L'ORT, mesure inspirée des propositions sénatoriales, notamment du dispositif « Oser », constitue le coeur du volet « revitalisation » de la loi Élan. Elle permet aux élus de mettre en oeuvre un « projet global de territoire », selon un périmètre donné. Une nouvelle disposition issue de la loi dite 3DS, à savoir l'ORT multisites, peut rassembler plusieurs communes autour d'une même ingénierie. Matérialisée par une convention signée entre la ville, l'intercommunalité et l'État, l'ORT confère aux communes signataires une palette d'outils juridiques et fiscaux pour renforcer l'attractivité commerciale en centre-ville et moderniser le parc de logements. Toute revitalisation est nécessairement multi-axes.
Citons les principales mesures : dispense d'autorisation d'exploitation commerciale en centre-ville ; possibilité de suspension de projets commerciaux périphériques ; accès prioritaire aux aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ; éligibilité au dispositif fiscal Denormandie dans l'habitat ancien ; renforcement du droit de préemption ; obligation d'information du maire et du président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) six mois avant la fermeture d'un service public.
Ainsi, 60 % des élus consultés dans le cadre de la mission estiment que ces mesures contribuent à la revitalisation. Pourtant, seule la moitié des élus déclarent connaître le fonctionnement et le contenu des ORT, qui sont des outils très intéressants de planification urbaine sur le temps long. Cela nous conduit à faire une recommandation permettant de combler ce déficit de notoriété des élus concernant la politique de revitalisation. Beaucoup ignorent par exemple l'efficacité de certaines des mesures précitées. L'État doit mieux communiquer.
Nous notons également que le principe général d'interdiction de création ou d'extension de projets d'équipement commercial qui conduiraient à une artificialisation des sols, principe posé par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, peut contribuer à un opportun rééquilibrage centre/périphérie, même s'il faut rester vigilant en la matière.
En réalité, au-delà des mesures précises, mal connues des élus, ces derniers apprécient surtout la dynamique créée par les ORT. Elles permettent en effet un espace de dialogue et un mode de gouvernance favorables à la conduite des projets de revitalisation.
Nous tirons donc un premier bilan plutôt positif des ORT.
J'en viens à l'analyse d'impact des projets commerciaux, autre mesure phare de la loi ELAN.
Issue d'une proposition du Sénat, l'obligation d'une analyse d'impact du projet commercial envisagé est une avancée considérable. Elle doit notamment évaluer les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune, des communes limitrophes et de l'EPCI, ainsi que sur l'emploi - cette mesure est en vigueur depuis très longtemps en Allemagne - et démontrer qu'aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut en périphérie, ne permet l'accueil du projet envisagé.
Le bilan de l'analyse d'impact est globalement positif. Toutefois, nous avons relevé deux difficultés au cours de notre mission.. Premièrement, les porteurs de projets présentent trop souvent des analyses d'impact incomplètes ou imprécises, de sorte que les effets du projet sur la revitalisation n'apparaissent pas toujours clairement. En outre, l'indépendance des organismes chargés de les réaliser, mais rétribués par les porteurs de projets, pose question. Deuxièmement, le test anti-friches se heurte à la difficulté d'identifier et de répertorier les friches. Voilà aussi un problème d'ingénierie : évaluer le potentiel de réutilisation d'une friche demande une bonne expertise.
Nous présentons plusieurs recommandations pour redynamiser la politique de revitalisation.
Première recommandation : « muscler » le dispositif Denormandie d'aide fiscale à la rénovation de l'habitat ancien, d'une part, en l'étendant aux locaux commerciaux, d'autre part, en le faisant mieux connaître. Le dispositif de base reste très peu connu et très peu utilisé. La plupart du temps, les locaux commerciaux sont imbriqués dans l'habitat, ce qui demande des adaptations d'urbanisme.
Deuxième recommandation : affranchir les actions de revitalisation en ORT des règles contraignantes du « zéro artificialisation nette ». En effet, les règles de sobriété foncière ne doivent pas nuire aux indispensables actions de revitalisation dans les territoires fragilisés, sans quoi nous les achèverons.
Troisième recommandation : utiliser davantage les documentations de planification urbaine pour agir dans un cadre supra-communal, et limiter ainsi le risque de concurrence entre territoires, notamment pour réguler les dark stores. Dans ce cadre, la mission suivra avec intérêt les évolutions réglementaires annoncées par le Gouvernement pour qualifier d'entrepôts ces dark stores, même dotés d'un point de retrait.
Quatrième recommandation : renforcer le contrôle préfectoral des implantations commerciales en périphérie. Le contrôle est faible, et la surface commerciale vient souvent empiéter sur les réserves.
Cinquième recommandation : s'assurer de la mise en oeuvre des dispositions de la loi 3DS visant à limiter l'ouverture dominicale des grandes surfaces en périphérie.
Nous estimons que les dispositions de la loi Élan ont eu un effet globalement positif sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Il faut s'en féliciter, car le Sénat est largement à l'origine de ces mesures, proposées à la suite d'un travail transpartisan.
En revanche, l'appréciation que nous portons sur les programmes ACV et PVD est beaucoup plus nuancée. En effet, si les élus sont enthousiastes sur la méthode, ils jugent les financements très insuffisants et la mise en oeuvre trop lourde et complexe.
Nous formulons dans notre rapport trois constats concernant les programmes : la méthode, appréciée des élus locaux, crée une dynamique de revitalisation ; cependant, le sous-financement crée des frustrations chez les élus ; enfin, la mise en oeuvre est complexe et difficilement évaluable.
Pour ce qui est de la méthode, les programmes ACV et PVD ont plusieurs atouts. Premièrement, ils proposent une méthode pour lancer, accélérer ou structurer une dynamique locale de revitalisation qui part des besoins du terrain. Deuxièmement, ils incitent à construire une stratégie transversale : il faut désormais penser la revitalisation de manière globale en y intégrant les services publics, les équipements sportifs, les professionnels de santé, la culture, le patrimoine, les espaces verts et le stationnement. Troisièmement, ils renforcent une démarche partenariale avec l'État et les partenaires des programmes. Quatrièmement, ils permettent le recrutement des chefs de projets, élément très apprécié par les élus rencontrés.
Les élus jouent un rôle décisif dans ces dynamiques et portent avec enthousiasme ces politiques de revitalisation. Deux points importants ressortent des auditions : la coopération interterritoriale est une clé de la réussite des programmes et ces programmes accompagnent un changement de perception des villes petites et moyennes.
En ce qui concerne le sous-financement, ces programmes ACV et PVD font l'objet de cinq critiques fortes sur le volet financier.
Première critique : l'évaluation financière par la mission conjointe de contrôle démontre que les communes ACV n'ont pas d'accès prioritaire aux dotations de l'État. Globalement, la part des subventions qu'elles reçoivent sur ces dotations a même diminué entre 2018 et 2021. Pour faire face à ce désengagement, la mission préconise de créer un fonds d'équipement dédié, doté de 2 milliards d'euros, sur la durée restante des programmes.
Deuxième critique : les subventions pèsent trop peu dans l'enveloppe globale. En effet, les élus ont pu croire que les programmes ACV et PVD leur donnaient accès à des subventions, respectivement de 5 milliards d'euros et 3 milliards d'euros. Or la majorité des aides de l'État et de ses partenaires sont en réalité des prêts, des prises de participation et des aides aux bailleurs privés. Par exemple, les dotations de l'État dans le cadre d'ACV ne représentent que 600 millions d'euros sur les 5 milliards de l'enveloppe du programme.
Troisième critique : les aides de l'État et des partenaires demeurent insuffisantes. Même en prenant en compte toutes les aides, quelle qu'en soit leur nature, elles représentent, en moyenne, moins de 25 % des plans de financement des projets ACV. La politique de revitalisation des centres-villes est donc essentiellement financée par les collectivités territoriales elles-mêmes.
Quatrième critique : les collectivités n'ont généralement pas de visibilité pluriannuelle des financements et doivent donc composer au coup par coup, en tenant compte en outre de multiples appels à projets qui interfèrent avec le calendrier et le projet lui-même. Cette situation génère une grande incertitude sur une politique publique qui a besoin de perspectives claires.
Enfin, cinquième critique : le volet commercial des opérations de revitalisation n'est pas suffisamment développé.
Au regard de ces éléments, de nombreux élus présentent ces programmes comme une « grande illusion », une « machine à frustrations », voire « un pur produit marketing ».
Troisième et dernier constat, la mise en oeuvre est complexe et difficilement évaluable. En effet, la stratégie de revitalisation des villes ACV doit se décliner sur cinq axes thématiques qui imposent aux collectivités un formatage de leurs objectifs. Les programmes ont souvent été menés « à marche forcée ». Le contexte local n'est pas toujours suffisamment pris en considération. Des critères nationaux sont ainsi imposés à des logiques locales. Le fonctionnement des programmes est jugé lourd et bureaucratique.
Ces programmes rassemblent des villes très hétérogènes dans leurs caractéristiques et leur dynamique de développement. C'est pourquoi notre rapport plaide pour une différenciation plus forte dans l'accompagnement des villes partenaires de ces deux programmes.
Les objectifs des programmes demeurent flous à l'échelon tant national que local. S'ils traduisent une prise en considération de la France rurale et périphérique, longtemps oubliée des politiques nationales d'aménagement du territoire, les objectifs attendus de la revitalisation ne sont ni chiffrés ni facilement évaluables, notamment pour les programmes ACV. Peu de communes sont engagées dans des processus d'évaluation complets. L'objectif de revitalisation est mesuré seulement par des critères sur la vacance commerciale et le logement, alors qu'il faudrait se concentrer sur tous les dispositifs structurants qui permettront d'attirer dans les centres les emplois, les commerces, les services publics, les professionnels de santé, les activités culturelles ou les équipements sportifs.
Nous faisons un certain nombre de propositions.
Face au constat de la satisfaction que suscitent les deux programmes ACV et PVD, la mission propose d'assurer leur pérennité jusqu'à la fin du prochain mandat municipal 2026-2032, notamment pour le programme PVD. Nous voulons avant tout prolonger les temps de réalisation des programmes existants, pour pallier les retards liés à la pandémie et l'augmentation des coûts de production.
Face aux constats sur le sous-financement et les frustrations que ces programmes suscitent, la mission recommande de créer un fonds dédié, complémentaire des fonds existants que sont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (Dsil). Trop souvent, la DETR est ponctionnée par les départements pour financer des infrastructures d'assainissement, d'adduction en eau potable ou de voirie. Ce fonds serait doté de 2 milliards d'euros sur la durée restante des programmes de revitalisation, c'est-à-dire jusqu'en 2026.
Nous proposons également de créer un fonds d'intervention pour le commerce. Le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) a disparu, ce que nous déplorons. Les élus rencontrent des problèmes, par exemple, d'adaptation des anciennes réserves commerciales en habitations. Nous proposons d'étendre le dispositif Denormandie aux locaux commerciaux, comme indiqué plus haut.
Nous proposons de réduire le nombre d'appels à projets et appels à manifestation d'intérêt, d'élaborer un agenda prévisionnel pluriannuel et de réaliser un document simple qui retrace l'intégralité des financements de l'État et des principaux partenaires.
Enfin, nous proposons de former les élus à la mise en oeuvre des nombreux outils existants en matière de maîtrise du foncier.
Face au constat de la complexité, des risques de standardisation et de la difficulté d'évaluer ces programmes, la mission présente plusieurs recommandations.
La première recommandation est de faciliter l'action des élus en simplifiant drastiquement les dispositifs ACV et PVD et en présentant les offres en fonction des besoins concrets des élus.
La deuxième recommandation est de notifier pour chaque ville - j'insiste sur ce point - l'enveloppe pluriannuelle prévisionnelle de l'État et de ses partenaires, à l'appui de son projet de revitalisation, pour la durée restante des programmes, afin de rassurer les élus.
La troisième recommandation est d'organiser une fois par an, sur la durée des programmes, à l'initiative du préfet de département, une réunion d'information ouverte aux élus au sujet de la politique de revitalisation, par exemple sur les évolutions législatives, sur l'actualité des deux programmes, sur des exemples de réussites de revitalisation ou sur des difficultés rencontrées.
La quatrième recommandation est de renforcer l'évaluation des programmes, au plan national et sur le terrain.
Je voudrais conclure sur deux points.
Le premier concerne l'exercice même d'évaluation. La mission d'évaluation des politiques publiques est au coeur de l'action du Parlement. Ces démarches demeurent trop rares. En conséquence, il nous appartient de contribuer à développer la culture de l'évaluation dans notre pays. C'est une exigence pour garantir l'efficacité de l'action publique, comme le montrent les exemples de nos voisins européens tels que les Pays-Bas ou l'Allemagne.
Le second point est qu'il n'y a pas de fatalité au déclin des centres. Les outils existent et les élus locaux font souvent preuve d'un volontarisme politique exemplaire. Au terme de ce travail, nous avons acquis la conviction qu'il est possible d'agir et d'enrayer le mouvement de fragilisation de nos centres, mais sans doute nous trouvons-nous à présent placés au pied du mur. Si rien n'est fait, la situation deviendra rapidement irréversible. Malgré le programme ACV, la vacance commerciale a augmenté de 1 % depuis 2018. La revitalisation touche à l'équilibre des territoires, au lien social et à l'identité de notre pays et de nos territoires. En somme, à ce qui nous est le plus cher.
C'est pourquoi nous déposerons une proposition de résolution qui pourrait être débattue en séance dès le 15 novembre prochain. Il nous faut maintenant transformer le verbe en action.
Ce rapport s'intéresse à ce qui fait le coeur de la France, à ce qui fait la vitalité des territoires et à ce qui participe de la cohésion sociale. Sans centre-bourg plein de vitalité, pas d'espace de rencontre, pas d'espace de cohésion ; ne restent que la déprise et la décroissance. Les enjeux sont majeurs.
En matière de financement, les idées sont nombreuses. La DETR augmente, certes, mais les programmes éligibles aussi, ce qui crée des tensions.
Les programmes ACV et PVD ont apporté de nouvelles capacités d'ingénierie, grâce à la présence de chefs de projet.
Il est désespérant d'avoir supprimé le Fisac. Les modes de commerce évoluent. Il serait souhaitable de sensibiliser nos concitoyens au bilan carbone du e-commerce. Outre les dark stores, se posent deux questions : la boulangerie de rond-point, qui participe de la dévitalisation des centres, et le commerce en kiosque et en self-service.
La vitalité des centres tient à tout un écosystème, à la présence de services comme les maisons France Services, les écoles de musique, les bibliothèques, les crèches, etc. Nous échangeons actuellement avec les ministères pour la rédaction du décret d'application qui permettra de trouver des accords locaux en matière d'ouverture dominicale.
Le logement va de pair avec les commerces. Pourquoi les communes PVD ne peuvent-elles pas bénéficier des aides d'Action Logement ? Les PVD subissent des contraintes architecturales et patrimoniales très importantes.
Mes chers collègues, je suis d'accord avec l'ensemble de vos observations.
Pour que ces actions soient efficaces, une inscription dans la durée et une visibilité à long terme sont nécessaires. Il faut du temps pour s'approprier des programmes comme le dispositif Denormandie : il faut donc les pérenniser.
De plus, l'animation territoriale est une condition essentielle pour revitaliser nos centres-bourgs, notamment dans les PVD et les collectivités en milieu rural, qui ne disposent pas de moyens d'ingénierie. Nous devons faire des propositions.
En matière de sous-financement, un fonds dédié est nécessaire. Sur le terrain, comme il n'existe pas de fonds dédié, soit la DETR est utilisée en priorité pour les PVD, au détriment d'autres communes, soit les financements ne sont pas disponibles. Un fonds dédié est la seule solution ; la DETR doit garder sa vocation première.
Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) peuvent être un bon outil pour accompagner ces programmes. Cependant, ils n'ont pas été gérés comme des contrats, qui demandent des engagements dans la durée.
Enfin, les appels à projets sont trop nombreux. Quant à la différenciation des territoires, une différenciation des normes est aussi nécessaire : chaque territoire ne peut pas appliquer les mêmes normes. Nos guides doivent rester la responsabilité et le bon sens.
Je remercie nos collègues de leur travail très pertinent, qui permet de mettre en perspective des questions importantes, notamment les frustrations créées par ces différents programmes.
Avez-vous eu des retours, lors de vos auditions, sur la façon dont ces projets peuvent faire l'objet d'une coconstruction entre l'État et les différentes collectivités parties prenantes ? On devrait assister dans l'idéal à une véritable alliance pour former une task force dédiée à la mise en oeuvre de ces programmes. À mes yeux, c'est une condition sine qua non de réussite. Qu'en est-il sur le terrain ?
Je m'interroge aussi sur la façon dont ces dossiers s'insèrent dans une dynamique de territoire portée par les intercommunalités. Ils devraient idéalement être inscrits dans le cadre d'un programme pluriannuel d'investissements et accompagnés par l'intercommunalité, mais je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas.
Enfin, quelques dérogations ont, me semble-t-il, été accordées pour que ces dispositifs puissent aussi bénéficier à plusieurs communes qui, en se regroupant, peuvent constituer une unité urbaine nouvelle. Pour ma part, je trouve cela très positif.
Ayant été maire d'un bourg-centre de 3 000 habitants, je suis passionné par la question de la revitalisation des centres-villes.
Si les élus locaux maîtrisent plutôt bien l'aménagement urbain, en particulier la création d'espaces ou d'équipements de convivialité, ils rencontrent davantage de difficultés sur la question du logement et du commerce de proximité, notamment parce qu'ils se heurtent au problème de la maîtrise du foncier.
Il y a quelques années, Jacqueline Gourault avait émis l'idée de créer des foncières pour aider les collectivités aux prises avec les logements inoccupés dans les centres-bourgs, les dents creuses et les ventes en cascade de locaux commerciaux. Où en est-on sur ce sujet essentiel de la maîtrise du foncier ?
Le rôle des intercommunalités dans ces programmes pose en effet question. Des difficultés sont apparues par endroits, car, au sein d'un même EPCI, certaines communes peuvent être retenues, tandis que d'autres non.
Par ailleurs, la plupart des projets portés étant communaux, les intercommunalités ne peuvent pas assurer la maîtrise d'ouvrage.
Je converge sur la nécessité d'une programmation pluriannuelle, y compris financière.
S'agissant des chefs de projet, un problème de financement se pose. L'État participe à hauteur de 75 % et pour trois ans seulement alors que les projets s'étalent souvent sur deux mandats municipaux.
Le problème du financement des programmes a été rapidement identifié. Les élus qui siègent dans les commissions d'attribution de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) l'ont bien constaté : si l'on veut que ces projets soient prioritaires, il faut flécher des crédits, mais cela se fait alors au détriment des autres communes. N'oublions pas qu'il y a seulement, en moyenne, deux programmes ACV par département, et beaucoup plus de villes éligibles. Le problème se pose de la même manière, avec encore plus d'acuité, pour le programme PVD. Il faudrait donc une enveloppe dédiée.
Vous avez aussi évoqué l'idée d'une task force. Des contrats de territoires régionaux ou départementaux existaient avant la mise en oeuvre des programmes PVD et ACV, mais, in fine, cette question rejoint celle de la DETR : pourquoi les territoires qui ne sont ni dans PVD ni dans ACV seraient-ils moins accompagnés ?
Des opérations de revitalisation des territoires (ORT) multisites existent par endroits, même si elles restent expérimentales. Il s'agit de plusieurs ORT sur différents périmètres qui s'imbriquent ensemble. Les échanges sont permanents au sein d'un territoire de vie, et, en effet, il est impossible de traiter la question de la redynamisation commerciale sans prendre en compte les différentes échelles du territoire.
Quant à la maîtrise du foncier, j'ai toujours pensé que c'était le nerf de la guerre. On ne manque pas d'outils. Les foncières existent, qu'il s'agisse des foncières commerciales à l'échelle des différentes collectivités ou des établissements publics fonciers (EPF). D'autres structures comme les sociétés d'économie mixte (SEM) d'aménagement peuvent aussi porter le foncier, à condition qu'elles aient le droit d'intervenir dans les ORT. En réalité, les élus ont surtout besoin d'être accompagnés pour trouver le bon outil.
Mais, en effet, quand les maires voient que de grands investisseurs achètent toutes les cases commerciales, y compris dans les territoires ruraux, dans la perspective du « zéro artificialisation nette » (ZAN), ils sont souvent démunis.
Les programmes ACV peuvent bénéficier des fonds d'Action Logement, ce qui n'est malheureusement pas le cas pour l'instant des projets PVD.
Quand on parle de différenciation des normes, il faut rappeler que le préfet dispose d'un pouvoir de dérogation. Mais il ne l'actionne que très rarement, car ce n'est pas dans la culture de l'État.
Sur la coconstruction des projets, c'est toujours le même problème : l'État lance des programmes et met ensuite les régions et les départements devant le fait accompli. Certaines collectivités suivent, d'autres plus difficilement, notamment pour des raisons financières. Il devrait y avoir davantage de coopération en amont entre l'État et les collectivités.
La gestion des projets au niveau intercommunal pose parfois problème, mais il arrive que les programmes PVD associent deux communes proches, avec des possibilités de mutualisation de moyens à la clé.
Le nerf de la guerre pour revitaliser les centres-villes, ce sont les commerces alimentaires. Parfois, quand elle joue le jeu, il peut être intéressant de s'appuyer sur la grande distribution pour l'installation de petits supermarchés.
L'attractivité des centres-villes et centres-bourgs passe en effet beaucoup par les petits commerces de détail.
Les résultats d'une enquête menée dans la région Centre par la chambre des métiers auprès des artisans et commerçants de proximité des 299 villes de moins de 2 000 habitants montrent que 10 % d'entre eux souhaitent quitter les centres-villes et centres-bourgs, essentiellement pour des problèmes d'agrandissement, de locaux obsolètes mal adaptés aux nouvelles formes de commerce et de coût des loyers. Dans une région assez active comme la nôtre, ce chiffre doit nous alerter et justifie pleinement notre proposition sur l'immobilier commercial. Les commerçants pointent aussi unanimement les problèmes de parking, y compris dans les petites villes.
Enfin, parmi ceux qui restent, 40 % estiment qu'ils ne sont pas sollicités pour participer à l'animation des centres-villes et centres-bourgs, ce qui doit aussi faire réfléchir.
Nous devons parvenir à concilier les attentes des élus et les besoins des entrepreneurs de proximité.
Je prendrai l'exemple des pharmacies, qui ont besoin de plus d'aires de stockage que par le passé. Dans mon département, le maire de Sain-Bel s'est heurté à des difficultés pour trouver des locaux plus grands pour sa pharmacie, entre refus de la préfecture, zones inondables et distance du centre-bourg... Heureusement, une solution a été trouvée grâce à la présence d'un chef de projet.
À Tarare, une commune en plein boom depuis l'inauguration de l'A89 - elle est désormais à trente minutes du centre de Lyon -, le maire n'arrivera pas à revaloriser les logements du centre s'il ne résout pas le problème des commerces. Les deux problèmes sont intimement liés.
Je ne saurais négliger l'ingénierie, j'ai fait toute ma carrière dans ce domaine, et c'est un point qui est revenu chez tous les élus, qui ont bien compris ses avantages ; cela a rassemblé, sur certains territoires, les chefs de projet.
S'agissant du financement, si une commune membre d'une intercommunalité bénéficie d'un label ACV ou PVD et capte en plus les fonds issus d'autres dispositifs, cela nuit à l'entente entre les membres des intercommunalités. Ensuite, il s'agit d'associer la population, ce qui est évidemment souhaitable. Quand les financements ne sont pas acquis, on a tendance à ne pas le faire, car c'est politiquement très dangereux. À Tarare, les commerçants ont été associés, et ont pu réinvestir eux-mêmes dans leurs boutiques, créant une dynamique.
L'implication de la région et des départements est très variable, mais l'État doit comprendre qu'il faut partir du terrain, avec l'aide de l'ingénierie.
Une des recommandations concerne la possibilité pour les ORT de déroger aux règles du ZAN. À mon sens, c'est un préalable à toute action.
S'agissant de la DETR, nous connaissons tous les discussions avec le préfet sur les critères d'éligibilité, qui visent à ne pas diluer l'impact des projets. En effet, des critères trop larges finissent par nuire à l'efficacité des projets que nous soutenons.
On voit se multiplier les événements autour des « plus beaux villages de France » qui démontrent l'existence d'un vrai souci esthétique. A contrario, des inquiétudes se font jour sur les entrées de ville de certaines communes, au point que Paysages de France a créé « le prix de la France moche ». Il y a eu un enlaidissement des périphéries de villes, avec ces ronds-points sur lesquels sont posés des blockhaus en tôle ondulée proposant des pizzas surgelées jour et nuit. Ne peut-on pas proscrire ces opérations ? Quel est le gain pour la collectivité ? Les commerces de ce genre se multiplient à proximité de ces ronds-points, peut-être faut-il être plus prescriptif. Certes, l'esthétique ne peut être définie par la loi, mais il existe des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) et d'autres leviers qui doivent prendre en compte le développement durable. Quand on voit ce que devient un bâtiment moche qui vieillit, on devrait pouvoir être plus directif !
C'est une double peine, et pour le centre-ville et pour les commerces du centre-bourg, parce que les habitants ne font plus leurs courses que dans ces zones de ronds-points.
Nous avons déjà eu ce débat sur la France moche et sur les zones d'aménagement économique et la situation s'est encore aggravée, à cause de la notion de service immédiat.
Je voudrais revenir sur la dimension culturelle, de plus en plus présente. Elle est liée à l'attractivité, parce qu'elle favorise l'arrivée de nouveaux habitants. J'ai vu ainsi des aménagements de granges permettant d'accueillir des artistes en résidence, qui ensuite achètent, et font venir d'autres personnes. Le problème est le financement. Il ne s'agit pas de faire des tiers lieux, je n'en peux plus de ce mot ! Les maires me parlent de cela, mais on ne sait pas ce que c'est, ça ne sera qu'un effet d'aubaine, du financement sans méthodologie. Nous avons travaillé, avec Sonia de La Provôté, sur l'impact du covid sur le secteur culturel. Il nous semblait que, dans les crédits des directions régionales des affaires culturelles (Drac), on pourrait réserver une enveloppe de 10 %, par exemple, pour des projets menés par les élus et, donc, accompagnés par les Drac. Des programmes intéressants, mais sans moyens et sans expertise, pourraient ainsi en bénéficier. Il s'agit donc de prévoir des crédits de droit commun dans des services déconcentrés, pour soutenir des projets culturels ambitieux.
La question du travail en silo est préoccupante. Il y a eu différentes opérations, ACV, PVD, mais chacun travaille dans son coin sans beaucoup de concertation. Or il faut de la coordination.
Dans ces processus, la question du logement est vitale. Au lieu de piquer dans les réserves d'Action Logement, l'État devrait se contenter de ponctionner de manière ciblée pour ACV ou PVD sur les programmes destinés aux centres-villes.
S'agissant du dispositif Denormandie, je souscris à ce qui a été dit. Toutefois, s'agirait-il seulement d'une extension aux commerces ou peut-on envisager d'autres modalités ?
Je suis d'accord avec les propos de Sylvie Robert, sur la dimension culturelle, comme sur les tiers lieux.
S'agissant du travail en silo, il serait bienvenu que l'État contacte l'Assemblée des départements de France (ADF) ou Régions de France, plutôt que d'imposer des opérations sur lesquelles régions et départements auront déjà travaillé. En outre, c'est ainsi que l'on peut obtenir un effet levier.
Sur le dispositif Denormandie, il faudrait déposer un amendement au projet de loi de finances pour permettre aux locaux commerciaux d'en bénéficier. Les propriétaires pourraient ainsi lancer des travaux grâce à la défiscalisation, qui créerait ainsi un effet levier.
Cela a déjà été proposé et retoqué dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
Nous pourrions tirer argument du fait que 700 ménages seulement ont bénéficié en 2021 du dispositif Denormandie
J'en viens à la dérogation aux règles du ZAN. Nous parlons des coeurs de ville. Cela concerne donc peu d'hectares, même s'il en existe encore ici et là qui ne sont pas classés en artificialisés. À mon sens, soit on les classe tous, soit on obtient l'autorisation de déroger. À mon sens, toutefois, ce n'est pas un sujet, car cela sera sans effet sur l'objectif du ZAN. Le bénéfice environnemental d'une revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est bien plus élevé que le coût de ces dérogations.
En ce qui concerne les bâtiments, il existe beaucoup de labels - « écodurable », « écoresponsable », etc. - mais ils ne sont pas encore identifiés comme référence dans le paysage urbain. Dès lors que l'on impose la réversibilité des bâtiments, la construction devient qualitative.
Sur la culture, je suis d'accord avec Sylvie Robert. La redynamisation est un écosystème à plusieurs axes. Je suis favorable à ce que les Drac consacrent un budget dédié à disposition de la revitalisation dans le domaine culturel.
Je retiens la proposition d'un pourcentage des crédits des DRAC. Il faut décloisonner les procédures, en particulier en ce qui concerne ACV et PVD. Élus, professionnels, acteurs de la culture ou du monde sportif ne peuvent pas travailler séparément. L'attractivité, ça concerne tout le monde. J'appelle donc toutes les bonnes volontés locales à travailler ensemble.
Les tiers lieux ne sont pas une recette universelle, car il faut toujours partir du terrain. À Tarare, le tiers lieu est une très belle réussite, des étudiants y passent du temps, cela leur permet de ne pas avoir à se rendre à Lyon trop souvent, et donc cela leur permet de grosses économies, mais le contexte est très particulier, et le lieu très vaste est installé dans une ancienne usine textile. Je ne sais pas si l'on peut généraliser cette expérience.
J'ai fait partie de ceux qui ont promu les ronds-points, parce que c'était moins onéreux qu'un carrefour avec feux de signalisation. Nous n'en avions alors pas mesuré les effets. Cela a pris cette dimension parce que les gens vont travailler dans la métropole et rentrent ensuite dormir chez eux. Certaines communes ont trouvé des solutions ; le maire de Jonage a ainsi racheté des commerces et définit le montant des loyers, et son centre-ville reprend vie alors que l'activité diminue autour des ronds-points.
Enfin, je suis d'accord avec ce qui a été dit : l'aspect culturel est fondamental.
Nous parlons d'un écosystème, et nous sommes bien d'accord : il faut partir des atouts des territoires pour inventer du dynamisme. Il faut amener les gens à avoir envie de fréquenter la ville.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 12 h 00.