président. – Nous examinons l’avis de Sylvie Robert sur les crédits relatifs à la « Création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture ».
rapporteure pour avis sur les crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture. – Les crédits des deux programmes de la mission « Culture » dont j’ai la charge – le programme « Création » et le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » – progressent en 2023 : de l’ordre de 8 % pour le premier et de 7 % pour le second. Même si l’année 2023 devrait être marquée par la fin des aides exceptionnelles mises en place durant la crise sanitaire, ce budget prolonge de nombreuses actions amorcées dans le cadre du plan de relance. Cependant, la reprise du secteur est encore timide et la hausse des crédits ne parvient pas à dissiper les inquiétudes des établissements culturels compte tenu du haut niveau de l’inflation.
En ce qui concerne la création, les acteurs culturels sont dans une situation budgétaire difficile et voient leurs modèles économiques de plus en plus voler en éclat. Leurs coûts explosent avec la hausse de la facture énergétique, l’augmentation des cachets artistiques, la hausse du point d’indice dans la fonction publique et les revendications salariales, ainsi que l’inflation généralisée. Leurs recettes, elles, n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant-crise. Non seulement la fréquentation est moindre qu’en 2019, mais les habitudes des publics ont profondément évolué, les acteurs vont mettre du temps à s’y adapter. Les recettes tirées du mécénat sont en baisse sous l’effet de l’inflation. Et le soutien des collectivités territoriales est plus incertain, en témoignent la baisse des subventions culturelles accordées par plusieurs régions cette année et la décision de certaines communes d’adapter les périodes et les horaires d’ouverture de leurs établissements pour réduire la facture énergétique.
Dans ce contexte, les priorités sur lesquelles se porte l’effort financier de l’État en 2023 me paraissent globalement pertinentes.
Un tiers des nouveaux crédits vise à consolider les marges artistiques des opérateurs, labels et réseaux dans le domaine de la création artistique. Le Gouvernement espère que ce soutien permettra aux établissements de ne pas rogner sur la programmation pour équilibrer leurs budgets car il estime qu’une programmation ambitieuse constitue l’une des clés pour permettre aux établissements de retrouver progressivement leur niveau de fréquentation d’avant-crise.
Les établissements relevant du secteur privé sont, de leur côté, soutenus par le crédit d’impôt spectacle vivant et le crédit d’impôt théâtre. Vous avez peut-être observé, lors des discussions en séance publique ces derniers jours, que ces dispositifs étaient dans le viseur du rapporteur général de la commission des finances. Il me semblerait utile que le ministère de la culture procède à leur évaluation l’an prochain afin que nous puissions disposer de données fiables et objectives d’ici l’examen du prochain projet de loi de finances pour justifier, le cas échéant, l’intérêt de la prolongation de ces crédits d’impôt. Je vous demande, Monsieur le président, d’interpeller la ministre de la culture pour que nous soyons « armés » l’an prochain dans la discussion budgétaire.
Un autre tiers des nouveaux crédits vise à accompagner l’emploi dans le secteur de la création, ainsi que les artistes, avec notamment la mise en place d’un nouveau programme de commande publique, intitulé « Mondes nouveaux II ». Les difficultés de recrutement observées dans le secteur de la création depuis un an nécessitent des mesures fortes de soutien à l’emploi. Les établissements culturels constatent une désaffection croissante pour leurs métiers.
La revalorisation des crédits du Fonds national pour l’emploi dans le spectacle (Fonpeps) me parait une mesure importante pour mettre fin à l’hémorragie actuelle. Il est dommage qu’aucun dispositif équivalent n’existe dans le secteur des arts visuels.
De même, la mise en œuvre du plan artistes-auteurs doit faire figure de priorité pour enrayer la dégradation de la condition économique et sociale des créateurs. J’espère que le ministère de la culture pourra transmettre des consignes claires pour que les établissements ne revoient pas à la baisse leurs budgets artistiques pour faire face aux surcoûts, car l’impact sur les artistes serait immédiat.
Je suis d’autant plus inquiète que le directeur général de la création artistique reconnait lui-même que les montants octroyés aux opérateurs, labels et réseaux en compensation de l’inflation avaient été calculés sur la base de chiffres de fréquentation supérieurs à ceux actuellement constatés. Malgré les hausses de crédit, la compensation de l’inflation ne concerne non seulement pas tous les acteurs, mais elle n’est aussi que partielle. J’espère que le Gouvernement sera prêt à intervenir l’an prochain comme il l’a fait cette année avec la seconde loi de finances rectificative pour venir au secours des établissements qui en auraient besoin. Il serait regrettable que des établissements, sauvés de la crise sanitaire, ferment définitivement leurs portes l’an prochain sous l’effet de l’inflation.
Côté festivals, le fonds créé pendant la crise sanitaire n’est pas revalorisé pour tenir compte de l’inflation. Sa dotation est maintenue à 10 millions d’euros en 2023. Je crois utile que nous demandions au ministère de la culture un bilan complet du fonctionnement de ce fonds d’ici l’année prochaine car sa mise en œuvre, partagée entre les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et le Centre national de la musique (CNM), est floue - c’est ce que m’ont dit les représentants des festivals en audition. Malgré les États généraux des festivals, on a encore du mal à comprendre les orientations qui définissent le réengagement de l’État en direction des festivals. L’annonce, par le ministre de l’intérieur, de possibles annulations et reports de festivals en 2024 du fait de la mobilisation des forces de l’ordre par les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), en est une preuve supplémentaire. Il faut un dialogue plus régulier avec les festivals et les collectivités territoriales. Je déplore que le ministère de la culture n’ait pas renommé de référent festival depuis bientôt deux ans.
Côté arts visuels, on note une vraie progression des crédits (+14 %). Les artistes visuels devraient bénéficier de la moitié des crédits du nouveau programme de commande artistique « Mondes nouveaux », soit 5 millions d’euros. Il serait évidemment malvenu de critiquer cette mesure, mais je trouve dommage que le Gouvernement ait décidé de prolonger le programme « Mondes nouveaux » sans évaluation préalable des effets de la première phase conduite dans le cadre du plan de relance. Les lieux de diffusion des arts visuels que j’ai rencontrés estiment que ce programme a des effets limités sur la relance du secteur au regard du nombre total d’artistes soutenus – à peine 400 –, même s’ils lui reconnaissent un rôle en termes de découverte de nouveaux talents. J’espère qu’une évaluation sera conduite pour apprécier véritablement l’efficacité de ces nouveaux crédits. Les FRAC et les centres d’art ont aussi pour mission, dans leurs cahiers des charges, de soutenir la création et les jeunes artistes. Mais ils ont de plus en plus de mal à remplir cette mission compte tenu de la stagnation de leurs crédits d’acquisition depuis des années.
J’en viens au programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Sa priorité pour 2023 est la jeunesse, pour conforter l’avenir du secteur culturel et d’en préparer la relève. Il comporte 50 millions d’euros de mesures nouvelles.
Les deux tiers de ces crédits sont affectés à l’enseignement supérieur.
Plus de la moitié des crédits vise à soutenir les établissements d’enseignement supérieur en fonctionnement et en investissement. Cette revalorisation des dotations est néanmoins insuffisante pour couvrir le niveau de l’inflation et les écoles d’architecture, comme les écoles d’art territoriales que j’ai rencontrées, sont très inquiètes d’avoir à puiser dans leurs fonds de roulement.
Une autre enveloppe, de 7,5 millions d’euros, est destinée à revaloriser les bourses sur critères sociaux. Malheureusement, elle n’est destinée qu’aux étudiants des écoles nationales. Je suis inquiète du sort des étudiants des écoles territoriales, eux aussi victimes de l’inflation. Je vous proposerai un amendement pour les accompagner.
Enfin, l’État débloque pour la première fois des crédits pour accompagner l’évolution du statut des enseignants des écoles d’art territoriales. Nous en parlons depuis longtemps, c’est un très bon signal, mais je suis assez surprise par cette budgétisation, dans la mesure où les collectivités territoriales n’ont conclu aucun accord sur ce sujet cette année. Imaginons que la réforme n’aboutisse pas l’an prochain et que ces crédits ne soient pas consommés. Ce serait d’autant plus dommage que plusieurs écoles territoriales ont d’énormes besoins financiers. Certaines sont menacées de fermeture à la suite du retrait de communes de leur financement – ces établissements publics de coopération culturelle (EPCC) ont souvent plusieurs sites sur plusieurs communes. Dans ces conditions, je me demande si l’urgence n’aurait pas plutôt été de revaloriser la subvention de fonctionnement de l’État aux écoles d’art territoriales, en stagnation depuis plusieurs années, afin de compenser le désengagement de certaines collectivités.
Du côté des écoles d’architecture (ENSA), la réforme reste inachevée. La hausse des salaires des enseignants contractuels n’est que partiellement compensée dans le cadre du budget 2023. Dans la mesure où les ENSA subissent déjà de plein fouet les conséquences de l’inflation, il est dangereux de leur demander de prendre en charge en plus la majeure partie des hausses de salaire des enseignants contractuels. Je vous proposerai donc un amendement visant à ce que l’État prenne en charge la totalité de ces mesures indemnitaires ; le ministère de la culture avait demandé une enveloppe à cette fin qu’il n’a pas obtenu en totalité.
Sur les enseignements artistiques, la grande réforme du classement des conservatoires n’a toujours pas abouti. Les ambitions ont été revues à la baisse, il ne s’agit plus, à ce stade, que de simplifier les modalités de renouvellement du classement actuel. Les dotations de l’État en direction des conservatoires restent inchangées, sans aucune mesure de compensation de l’inflation. Les représentants de Conservatoires de France sont inquiets des conséquences de la hausse du prix de l’énergie sur leur niveau d’activité ainsi que sur leur budget d’acquisition d’instruments de musique.
Je terminerai en évoquant les crédits destinés aux actions en matière de démocratisation culturelle.
À l’exception d’une enveloppe d’un million d’euros pour la préparation des Olympiades culturelles en 2024, tout l’effort financier se porte l’an prochain sur l’éducation artistique et culturelle en général, et le Pass culture en particulier. Avec 9,5 millions d’euros supplémentaires, son budget devrait atteindre 208,5 millions d’euros en 2023, auxquels s’ajoutent 51 millions d’euros du ministère de l’éducation nationale pour le financement de la part collective.
En moins de cinq ans, la société par actions simplifiée (SAS) Pass culture est devenue le deuxième plus gros opérateur du ministère de la culture.
Le regard des acteurs culturels sur le Pass culture a beaucoup évolué depuis deux ans, la mise en place de la part collective en janvier dernier et la contribution du Pass à la relance du secteur y sont sans doute pour beaucoup.
Je conserve néanmoins deux points de vigilance.
Le premier concerne les résultats du Pass en matière de diversification des pratiques artistiques des jeunes. En dépit d’une certaine amélioration cette année, l’objectif de diversification des pratiques ne semble pas encore atteint. Si la part de la musique live a beaucoup progressé, la part du spectacle vivant, des musées et des bibliothèques reste insatisfaisante. La SAS doit travailler davantage pour obtenir l’inscription d’un plus grand nombre d’opérateurs sur le Pass et pour mieux promouvoir leurs offres auprès des jeunes, afin que les crédits ne se traduisent pas par de simples effets d’aubaine.
Il est vrai que la mise en place de la part collective a amélioré la diversité, puisque les réservations effectuées dans ce cadre portent majoritairement sur les catégories les moins réservées de la part individuelle. Ces résultats démontrent bien l’importance de la médiation pour atteindre l’objectif d’une réelle diversification des pratiques – la SAS doit encore y travailler.
Mon second point de préoccupation reste l’articulation du Pass culture avec l’éducation artistique et culturelle (EAC), surtout que le Pass représente désormais deux fois plus de crédits que l’EAC en tant que telle. La part collective a certes permis de mieux inscrire le Pass culture dans le parcours d’EAC, mais veillons à ce que celle-ci ne crée pas un effet d’éviction sur les actions traditionnellement menées par les établissements au titre de l’EAC. La part collective du Pass culture est un moyen d’enrichir le projet d’EAC de l’établissement : elle ne doit pas s’y substituer. La SAS doit renforcer son partenariat avec les collectivités territoriales et être très vigilante sur le bon usage de la part collective.
Cette question de la coordination avec les collectivités territoriales fait partie des points sur lesquels le ministère de la culture doit encore progresser. Je me réjouis de la création, depuis le milieu de cette année, du fonds d’innovation territoriale. Je pense que c’est une très bonne chose qu’il soit reconduit l’an prochain, car il donne aux Drac la possibilité de soutenir des initiatives culturelles décloisonnées et adaptées aux contextes des différents territoires.
Je sais que la création de ce fonds répond à une proposition que Sonia de la Provôté et moi-même avions formulée dans notre rapport consacré au bilan du plan de relance dans le domaine de la création. Cependant, le fonds que nous proposions s’inscrivait dans une logique de partenariat entre l’État et les collectivités territoriales : il avait vocation à financer des actions culturelles portées par des collectivités en contrepartie d’un engagement de celles-ci de maintenir le niveau de leur engagement financier en faveur de la création. Il n’en est rien avec le fonds d’innovation territoriale, puisqu’il ne concerne pas forcément des projets financés par des collectivités. Il n’apporte donc aucune garantie en termes de maintien du soutien des collectivités au secteur de la création.
Sous ces réserves, et compte tenu de l’augmentation substantielle des crédits prévue en 2023, je vous propose de donner un avis favorable à l’adoption des crédits de ces deux programmes.
Mme Else Joseph. – Je salue le rapport de notre collègue, ces sujets sont importants : l’enjeu en est la pérennisation de nos pratiques culturelles, la pérennisation de la culture elle-même.
Les festivals ont bien résisté malgré deux années rudes. Comme les représentants du spectacle vivant l’ont indiqué, ils ont été parmi les premiers à fermer et parmi les derniers à rouvrir. Les festivals ont été très largement soutenus par les collectivités publiques pendant cette période et, après deux ans, on ne peut que se réjouir de constater que les publics sont au rendez-vous. L’offre de festivals est même restée abondante, mais pour combien de temps encore ? Voilà que de nouvelles difficultés surviennent qui ne procèdent pas d’aléas malheureux, mais d’un évènement heureux pour notre pays, à savoir l’organisation des JOP de 2024 : quel manque de dialogue sur ce point entre tous les partenaires concernés !
Les festivals sont tributaires d’aléas et leur répétition interroge. L’idée a fait son chemin d’une assurance qui couvrirait non seulement les risques artistiques, mais aussi climatiques, c’est peut-être une piste pour donner des perspectives aux festivals et éviter qu’ils ne fassent les frais de la loi du marché… Faute de visibilité, comment mobiliser des bénévoles ? Quelles relations avec les collectivités territoriales ? Comment faire quand le personnel et le matériel manquent ? Qui plus est, il semble que les riverains des festivals se plaignent du bruit, davantage qu’ils ne le faisaient avant la crise sanitaire…
Permettez-moi de dire quelques mots également au sujet du Pass culture. Il constitue une aide appréciable, mais la médaille a son revers : nous sommes proches d’une politique du carnet de chèque, qui profite davantage à ceux qui savent déjà ce qu’ils vont faire. Le jeune qui aime les livres et les musées sait de quelle manière il va utiliser son Pass ; mais celui qui n’a pas d’idée ne saura pas comment recourir à cette aide. Comment donner cette « envie d’avoir envie » ? Le Pass culture se contente de confirmer des pratiques culturelles plutôt qu’il n’en crée. Qui plus est, je déplore la faible part des réservations en lien avec la découverte du patrimoine ou avec les bibliothèques. Comment mieux valoriser les offres vers ces secteurs ? Dans ce contexte, on peut s’interroger sur la disproportion des crédits du Pass culture par rapport à l’EAC en tant que telle.
Enfin, la hausse des coûts de l’énergie a des conséquences sur l’accès à la culture, en pénalisant les salles de spectacle et les musées. Pour les cinémas, c’est même une double peine, car cette contrainte s’ajoute à la baisse d’un tiers de la fréquentation constatée dans les salles par rapport à 2019. Comment aider ces secteurs à se relever, sans préjudice pour les usagers et sans diminuer l’offre existante ? Je me réjouis que la perspective de l’augmentation des tarifs ait été, par exemple, écartée par les musées.
Le groupe Les Républicains suivra l’avis de la rapporteure et votera pour l’adoption de ces crédits.
Mme Sonia de La Provôté. – Il n’est pas aisé de critiquer des crédits qui augmentent substantiellement ! L’effort budgétaire est là mais il s’accompagne d’une forme de déception, voire d’une certaine amertume dès lors que certains problèmes évoqués depuis des années ne sont toujours pas traités. Le ministère de la culture paraît effacé dans le dialogue interministériel, il est en tout cas moins présent, en témoigne l’absence d’échange avec le ministère chargé de l’environnement sur le patrimoine et avec le ministère de l’intérieur sur les JOP. Le ministère arrive sur le tard, les acteurs se mobilisent – c’est aussi parce que les parlementaires veillent, sinon cette mobilisation pour les JOP aurait été plus tardive encore. Il y a donc un problème de place du ministère de la culture au sein du pouvoir exécutif, qui renvoie à l’organisation même du ministère et à la structuration des compétences.
Qu’en est-il, ensuite, de la culture dans les territoires ? Le fonds d’innovation territoriale, lancé à la suite du rapport que j’ai réalisée avec Sylvie Robert, est une bonne chose, mais nous en ignorons les règles du jeu. C’est comme pour le fonds incitatif et partenarial dans le domaine du patrimoine : il y a des crédits mais qui décide précisément de leur répartition ? Quels projets peuvent espérer en bénéficier ? Or, ces crédits doivent apporter de l’oxygène aux Drac pour accompagner l’innovation culturelle en lien avec les collectivités territoriales, car l’innovation se fait aussi dans les territoires et pas seulement dans les grandes villes. La question, ici, est aussi celle de l’accès à la culture.
Nous regardons de près, également, les évolutions du Pass culture : la part collective du Pass ne saurait tenir lieu d’EAC. Or, le fait même d’avoir créé la part collective du Pass culture lui donne une sorte d’onction de la part du ministère, laissant à penser qu’il y aurait une véritable équivalence entre cette part et les mesures d’éducation artistique et culturelle. Or, les deux ne sont pas comparables. L’EAC mobilise une diversité d’acteurs sur le terrain et nécessite de la médiation, elle ne consiste pas à « créer de l’offre pour voir ce qui se crée ensuite », logique qui est celle du Pass culture. Il faut signaler aussi que la gestion par la SAS est lourde et coûteuse, ce qui l’éloigne encore de l’EAC.
Enfin, sur les arts visuels, le programme « Mondes nouveaux » déçoit, car une partie seulement des fonds est destinée aux artistes. Les arts visuels ont besoin d’un effort supplémentaire de l’État, ils sont partie prenante de l’accès à la culture dans les territoires : les artistes visuels ont la portion maigre des budgets, alors qu’ils sont essentiels à l’accès à la culture dans les territoires.
M. Pierre Ouzoulias. – Je veux dire combien notre groupe partage le diagnostic de Sylvie Robert et je la remercie d’avoir donné une forme politique à ce consensus, c’est ce qui permet de peser dans l’hémicycle face aux collègues d’autres commissions qui n’ont pas la même vision que nous de l’importance de ces sujets.
L’empilement de la politique conduite par le ministère de la culture s’est amplifié avec les dispositifs liés à la crise sanitaire et à la crise énergétique : on s’y perd, et je crois que le ministère de la culture lui-même s’y perd.
Il me semble que la commission des finances regarde les crédits d’impôt qui relèvent de son domaine économique avec plus de mansuétude que les autres crédits d’impôt. Il faut rappeler que la culture représente 46 milliards d’euros, soit 2,2% du PIB. Or, si le PIB culturel a longtemps cru au même rythme que la moyenne, il y a eu un décrochage en 2020 – et c’est le spectacle vivant qui est le plus touché. Je crains qu’il le soit aussi par la crise de l’énergie : ce décalage est préoccupant.
Sur le Pass culture, je constate que je suis moins seul à exprimer des réserves : on ne peut pas considérer que développer la consommation individuelle puisse tenir lieu d’une politique culturelle que, depuis André Malraux, nous fondons sur la médiation. Là aussi, il faut revoir les choses.
Enfin, nous ne pouvons taire le fait que les collectivités territoriales sont les institutions qui participent le plus à la politique culturelle – ce qui implique que nous devons réorganiser le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales.
Malraux a écrit que « l’homme ne naît pas de sa propre affirmation, mais de la mise en question de l’univers ». La médiation culturelle consiste donc à se doter de lois pour encourager la création artistique.
M. Julien Bargeton. – Ce projet de budget est en hausse : la création gagne 90,5 millions d’euros, la transmission des savoirs 51 millions d’euros, le soutien à l’emploi culturel progresse de 13 millions d’euros, le soutien aux acteurs de la création, de 12 millions d’euros, et ce budget ajoute 10 millions d’euros pour la commande publique. Il convient de souligner l’ampleur des efforts entrepris par le Gouvernement.
S’il est vrai qu’il faut de la médiation avec le Pass culture, c’est ce que fait le Gouvernement : le lien avec l’EAC a été renforcé grâce à la part collective. Les libraires reconnaissent volontiers qu’avec le Pass, de nouveaux publics franchissent le seuil de leurs boutiques. Ceux qui achètent un manga peuvent par la même occasion acquérir un autre livre. On estime que 60% des achats n’étaient pas prévus et qu’ils se font en complément d’un autre achat : c’est ce que permet le Pass culture. Nous voterons par conséquent en faveur de l’adoption de ces crédits.
Mme Monique de Marco. – Ce rapport équilibré souligne l’effort budgétaire, tout en formulant des réserves justifiées.
Les festivals ont besoin d’anticiper leur programmation de 2024. Ils jouent, tout comme les fêtes de villages, un rôle très important dans les territoires. Je crois que nous devrions alerter ensemble très rapidement la ministre de la culture sur les menaces qui pèsent sur les festivals et relayer au niveau médiatique le cri d’alarme poussé par les responsables de ces événements, lors de la table ronde organisée par le groupe d’études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en régions.
Malgré ces réserves, nous voterons ces crédits en augmentation.
M. Lucien Stanzione. – Les crédits augmentent : reconnaissons cet effort. Cependant, il faut que le Gouvernement considère que la culture n’est pas la dernière roue du carrosse. Le dialogue doit s’instaurer pour faire entendre les réalités du monde de la culture, traversé par une crise importante. Vous en avez souligné les enjeux importants, en particulier la réforme des ENSA, celle des conservatoires, la contractualisation avec les collectivités territoriales, l’avenir des festivals… Le tout, avec les menaces formulées par le ministre de l’intérieur de reporter les manifestations culturelles pendant les JOP, alors que la crise énergétique accentue encore les difficultés.
Notre groupe votera ces crédits ainsi que les deux amendements de notre rapporteure.
Mme Laure Darcos. – Je suis très inquiète sur les deux crédits d’impôt. J’étais bien seule samedi soir pour les défendre dans la discussion de la première partie du budget. Ce que ne comprend pas la commission des finances, c’est qu’un festival, un film, un spectacle s’organisent longtemps à l’avance, et quand on envisage de supprimer un crédit d’impôt, on laisse les acteurs culturels sans filet de sécurité. Nous en sommes convaincus, pas tous nos collègues des finances et je crois que les acteurs de la culture gagneraient à aller leur exposer leur situation…
M. David Assouline. – J’alerte à nouveau la commission sur le fait qu’il va falloir obtenir rapidement des clarifications sur ce qui va se passer pendant les JOP car les festivals se préparent à l’avance et que sans anticipation, on peut aller à la catastrophe. Les forces de l’ordre dont parle Gérald Darmanin, seront mobilisées par les JOP, mais l’armée a des fonctions de protection civile. Nous avons des ressources pour permettre à la culture de se montrer au monde entier lorsqu’il vient en France, et non d’être décalée. Décaler la culture au nom du sport, c’est tout un symbole, sans compter les conséquences financières importantes de cette décision
M. Michel Savin. – Attention à ne pas opposer JOP et culture, mais attention aussi à ne pas exprimer de regret à ce que la France ait obtenu l’organisation des jeux, tout cela parce que le Gouvernement manque d’anticipation…
rapporteure pour avis. – Nous ne le disons pas.
M. Michel Savin. – Il est très important de ne pas opposer sport et culture. Il faut, au contraire, les associer.
rapporteure pour avis. – C’est précisément pour les associer que nous demandons que le Gouvernement anticipe les choses.
L’amendement CULT.1 transfère 2,5 millions d’euros du programme 224 « Soutien aux politiques du ministère de la culture » vers l’action 1 du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », pour que les écoles territoriales puissent appliquer aux étudiants boursiers le même niveau d’exonération que dans les écoles nationales. Nos collègues députés avaient pris une telle disposition, elle a été retirée par le Gouvernement du texte considéré comme adopté au titre de l’article 49-3.
La commission adopte l’amendement CULT.1
rapporteure pour avis. – L’amendement CULT.2 augmente de 2,35 millions d’euros les crédits destinés à compenser la hausse des salaires des enseignants contractuels des écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA). Le coût en est estimé à 4 millions d’euros, mais seulement 1,6 millions d’euros sont crédités, ce qui obligerait les écoles à recourir à leur fonds de roulement, alors qu’elles n’en ont pas toujours les moyens : nous les protégeons.
La commission adopte l’amendement CULT.2
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2023, sous réserve de l’adoption de ses amendements.
président. – Nous examinons le rapport pour avis de Laure Darcos sur les crédits consacrés à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
rapporteure pour avis sur les crédits de la recherche. – Le budget consacré à la recherche en 2023 est la troisième annuité de la trajectoire de crédits prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020. Après deux premières « marches » de près de 400 millions d’euros en 2021 et de 500 millions d’euros en 2022, la programmation budgétaire poursuit son déploiement en 2023 avec un apport de 400 millions d’euros, conformément à ce qui a été prévu. Sur cette enveloppe, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche perçoit près de 350 millions d’euros – les 50 millions d’euros restants étant consacrés à la recherche spatiale, dont le programme budgétaire 193 relève désormais de Bercy.
Ces 350 millions d’euros supplémentaires de la LPR vont abonder le programme 150, qui finance les établissements d’enseignement supérieur et dont Stéphane Piednoir nous a parlé lors de la présentation de son rapport et le programme 172, qui finance les organismes nationaux de recherche. Sur ce montant, une large part est consacrée aux mesures « ressources humaines » d’amélioration de la rémunération et des carrières des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).
Le respect, pour la troisième année consécutive, de la trajectoire de la LPR mérite d’être salué, même s’il ne doit pas nous exempter de certaines remarques sur la suite du déroulement de la programmation. Surtout, je me félicite que la nouvelle ministre ait pris l’initiative d’aller plus loin que la LPR, quand la situation le nécessitait. C’est le cas pour la revalorisation de la rémunération des doctorants qu’elle a décidé d’étendre aux contrats en cours. Jusqu’alors limitée aux seuls nouveaux contrats, cette mesure créait une situation d’iniquité injustifiable.
Sur la trajectoire d’emplois de la LPR, je prends note de l’engagement du ministère à respecter, en 2023, les 650 créations de postes prévues. Dans notre rapport d’information consacré à la mise en œuvre de la loi, nous avions, avec Stéphane Piednoir, pointé le non-respect de la trajectoire d’emplois en 2021, avec un taux de réalisation de l’objectif fixé de seulement 53,7 %. Le ministère avait alors pris prétexte du retard de publication des textes réglementaires pour expliquer ce résultat décevant. Cette raison n’étant désormais plus d’actualité, je serai très attentive à l’effectivité des 650 créations de postes annoncées pour l’année prochaine.
Une autre remarque sur la trajectoire d’emplois : le dispositif des chaires de professeur junior (CPJ) ayant connu un démarrage relativement lent – 229 chaires créées sur la période 2021-2022, contre un objectif de 300 chaires par an – j’appelle le ministère à la vigilance : il ne faudrait pas que les crédits non consommés soient « réorientés » par Bercy en cas d’une montée en charge non conforme aux prévisions.
2023 sera aussi la troisième année de montée en charge financière de l’Agence nationale de la recherche (ANR), avec un abondement supplémentaire en autorisations d’engagement de 400 millions d’euros, par rapport à l’année de référence 2020. Là encore, l’évolution est conforme à la programmation. Cette augmentation des capacités d’intervention de l’agence a permis, dès 2021, d’enclencher une dynamique vertueuse, qui se concrétise par la hausse du taux de sélection aux appels à projets et le relèvement du préciput.
Le taux de sélection à l’appel à projets générique – le principal appel à projets de l’ANR – devrait s’établir à 23,5 % en 2022, alors qu’il n’était que de 17 % en 2020 ; en 2017, il était de moins de 12%. Le préciput – montant financier destiné à couvrir les coûts indirects des projets de recherche – atteindrait, lui, 28,5 % en 2022, pour un montant de plus de 200 millions d’euros.
Ces premiers résultats sont très prometteurs, mais ils se heurtent malheureusement à la réalité économique.
Lors de l’examen du projet de loi de programmation, nous avions pointé le manque de crédibilité de la trajectoire budgétaire sur dix ans présentée par le Gouvernement, en raison notamment de la non-prise en compte de l’inflation. Deux ans plus tard, le choc inflationniste que connaît notre pays est tel que l’effort budgétaire de la LPR est très largement « absorbé ».
Il est donc indispensable que la clause de revoyure prévue l’année prochaine et confirmée par la ministre soit l’occasion de rectifier la trajectoire : d’une part, en ramenant sa durée à 7 ans, soit à 2027 comme nous l’avions demandé initialement, afin d’atténuer les risques liés aux aléas macroéconomiques ; d’autre part, en augmentant l’intensité des prochaines annuités, afin de vraiment créer les conditions du réinvestissement massif dont la recherche française a besoin.
Lors de son audition devant notre commission en juillet dernier, la ministre s’est engagée à nous transmettre, d’ici la fin de l’année, un premier bilan de la mise en œuvre de la LPR. Sur cette base de travail, elle s’est dite prête à examiner la faisabilité d’une accélération de la trajectoire. Je compte donc sur sa détermination, mais aussi sur notre mobilisation, pour faire de la clause de revoyure 2023 un rendez-vous constructif et ambitieux, qui puisse trouver sa traduction budgétaire dans le PLF pour 2024.
Après cet état des lieux « macro », quelques mots de la situation financière des organismes nationaux de recherche. Alors qu’ils sont en pleine préparation de leur budget 2023, tous m’ont dit être « pris à la gorge » par la hausse des coûts de masse salariale et de l’énergie. L’absence de compensation de la hausse du point d’indice, au titre du second semestre 2022, représente un surcoût de 250 millions d’euros pour l’ensemble des opérateurs sous périmètre du ministère. Ces six mois non compensés représentent par exemple une charge supplémentaire de 45 millions d’euros pour le CNRS et de 8 millions d’euros pour l’Inserm, soit autant de moins pour des activités de recherche.
C’est donc avec soulagement que les organismes de recherche ont accueilli l’annonce, pour 2023, d’une compensation en année pleine à hauteur de 120 millions d’euros, sur l’enveloppe totale de 500 millions d’euros obtenue par la ministre ; elle en avait fait sa « une ligne rouge absolue » dans ses négociations avec Bercy.
A ces surcoûts de masse salariale, viennent s’ajouter ceux induits par la flambée des prix de l’énergie. Les surcoûts énergétiques se chiffreraient, pour les organismes nationaux de recherche, à 40 millions d’euros cette année, mais seraient au moins quadruplés l’an prochain, soit un montant total de 200 millions d’euros sur les deux années.
Les situations sont très variables selon les organismes. Pour le plus énergivore, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), la facture passerait de 75 millions d’euros à un montant compris entre 150 et 200 millions d’euros ; pour le deuxième organisme le plus consommateur d’énergie, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), les surcoûts, de 4,5 millions d’euros en 2022, pourraient atteindre 27 millions d’euros en 2023.
Face au risque que la crise énergétique fait peser sur l’intensité et la continuité des activités de recherche, dont Bercy n’avait jusqu’alors clairement pas pris la mesure, la ministre a obtenu que l’État apporte son soutien aux opérateurs de l’ESR. Le dispositif, annoncé il y a quelques semaines, prend la forme d’un fonds exceptionnel de soutien, intégré au collectif budgétaire pour 2022 et doté de 275 millions d’euros, dont 55 millions d’euros pour les organismes nationaux de recherche.
Tous les opérateurs seront accompagnés, mais les montants versés tiendront compte des situations individuelles, notamment du poids des dépenses d’énergie dans le budget de fonctionnement des établissements et du niveau de leurs réserves mobilisables. Je me félicite bien sûr de l’obtention de cette enveloppe d’aide, résultat de l’interventionnisme efficace de la ministre, que tous les acteurs du secteur auditionnés reconnaissent également.
Dans le même temps, les organismes de recherche, comme l’ensemble des opérateurs de l’État, sont engagés dans la démarche nationale de sobriété énergétique et travaillent actuellement à l’élaboration de « plans de sobriété » pour réduire leur consommation.
Je voudrais néanmoins insister sur la spécificité de certaines activités de recherche, qui requièrent des installations scientifiques dont la consommation en énergie comprend une part incompressible significative. Par exemple, des installations très sensibles comme les laboratoires de confinement, les équipements de cryogénie ou les salles blanches ne peuvent être arrêtées, sous peine de ne pouvoir être remises en service sans une intervention coûteuse, longue et techniquement très délicate. La seule alimentation d’une salle blanche, sans activité expérimentale, représente environ 60 % de sa consommation. L’objectif de réduire la consommation énergétique de 10% d’ici 2024 serait donc difficilement à atteindre pour certains opérateurs de recherche, sans pénaliser l’activité scientifique voire l’intégrité de certaines installations particulièrement coûteuses.
Mon dernier point portera sur un aspect plus thématique qui me tient particulièrement à cœur, la culture scientifique, enjeu essentiel pour lutter contre les fausses informations et former des citoyens éclairés. Inscrivant le renforcement des interactions entre science, recherche et société parmi ses priorités, la LPR a prévu, – à son article 21 –, que l’ANR devrait consacrer au moins 1 % de son budget d’intervention au partage de la culture scientifique. Dès l’an passé, l’agence s’est mise en ordre de marche pour tendre vers cet objectif. Elle a d’abord lancé un appel à manifestation d’intérêt « Sciences avec et pour la société », qui a suscité une très forte mobilisation avec près de 400 propositions déposées. Elle a ensuite ouvert un premier appel à projets « Recherche-Action » consacré à la médiation scientifique et à la communication scientifique, qui s’est concrétisé par la sélection de 15 projets financés à hauteur de 1,16 million d’euros. Après cette phase de démarrage, l’ANR a, cette année, consolidé son nouveau dispositif d’appel à projets spécifiquement dédié aux recherches sur la culture scientifique. Celui-ci devrait progressivement atteindre, l’an prochain, son rythme de croisière. Un appel à projets complémentaire, consacré aux « recherche participatives », a également vu le jour cette année, avec une première vague de projets soutenus à hauteur de 250 000 euros chacun, et une seconde vague de projets financés à hauteur de 100 000 euros chacun.
En plus de ces nouveaux outils, l’ANR participe au financement d’actions en faveur de la culture scientifique pour des projets de recherche déjà en cours. Elle renforce également ses partenariats avec l’audiovisuel public – France TV, Radio France, Arte, France Médias Monde, le CNC et l’INA – et certains acteurs culturels – le Festival d’Avignon, par exemple.
Des échanges que j’ai eus avec les acteurs du secteur, il ressort clairement que le fléchage des 1 % ANR a eu un véritable effet catalyseur : bien plus qu’une simple source de financement, il a créé un engouement, une dynamique, dont je me réjouis. Au regard du succès rencontré, une réflexion sur le calibrage de cette enveloppe pourra également faire partie des sujets à aborder lors de la clause de revoyure.
De son côté, le ministère s’est aussi mobilisé en présentant, en 2021, une feuille de route en faveur d’ « une science avec et pour la société », structurée autour de trois grands axes : la reconnaissance de l’engagement des chercheurs dans ce domaine ; la structuration d’un réseau territorial adossé aux sites universitaires ; l’animation de la feuille de route au niveau national. Je constate avec satisfaction que des premières réalisations ont vu le jour sur les deux premiers axes : de nouveaux prix récompensant les chercheurs engagés dans la culture scientifique ont été créés (au CNRS, à l’Inrae), de nouvelles chaires dédiées à cette thématique ont été installées ; deux campagnes de labellisation des sites universitaires ont été menées, récompensant une vingtaine de lauréats.
En revanche, c’est sur le troisième axe que les résultats sont les plus « maigres » et sur lequel j’émettrai deux alertes. Première alerte : le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI), instance créée par la loi « Fioraso » de 2013, est toujours « dormant ». Cette situation montre la carence de pilotage et de gouvernance de la culture scientifique. La ministre, que j’ai interpellée sur ce sujet lors de son audition, s’est engagée à regarder ce dossier de près ; je compte sur elle pour faire rapidement du CNCSTI une instance enfin opérante.
Seconde alerte : le manque criant d’implication du ministère de l’éducation nationale qui « fait comme si la LPR n’existait pas », selon des propos qu’on m’a tenus. Universcience, l’établissement public qui gère le Palais de la Découverte et la Cité des Sciences et de l’Industrie, et qui est l’un des fleurons de la diffusion de la culture scientifique, m’a fait part de sa grande inquiétude sur le trop lent retour des groupes scolaires après la crise sanitaire. Cette situation s’expliquerait à la fois par des blocages administratifs et par un intérêt limité pour le sujet. J’appelle donc le ministère de l’éducation nationale à se réinvestir urgemment dans la promotion de la culture scientifique, car c’est dès le plus jeune âge que le goût pour la science se forme.
Compte tenu du respect de la trajectoire fixée par la LPR et de l’augmentation du budget qui en découle, je propose à la commission d’émettre un avis favorable sur l’adoption des crédits « recherche » de la MIRES du projet de loi de finances pour 2023.
Je précise que, dans le cadre de mes auditions, j’ai visité un laboratoire de recherche de l’Inserm à l’hôpital Cochin ; il est très utile de voir les chercheurs au travail et d’échanger avec eux, on réalise alors concrètement combien la recherche française est indispensable.
M. Jean Hingray. – Merci pour cet avis très intéressant, dont nous partageons les constats. La trajectoire de la LPR est tenue, ce qui mérite d’être salué, mais il y a les points de vigilance que vous soulignez, en particulier la prise en compte de l’inflation et des coûts de l’énergie.
M. Yan Chantrel. – Les crédits proposés sur l’ensemble de ces programmes augmentent de façon notable – une hausse globale largement due à celle du programme 172, qui représente pratiquement les deux tiers des crédits de recherche, et du programme 193 du fait d’une mesure de périmètre.
Nous saluons les efforts de l’État pour donner des moyens à la recherche, elle constitue un enjeu primordial dans la lutte contre le dérèglement climatique, contre les nouvelles pandémies et pour garantir notre souveraineté technologique et scientifique.
Néanmoins, une bonne part de l’augmentation des crédits est consacrée à la revalorisation, justifiée, du point d’indice – pour 121 millions d’euros –, et le reste risque d’être absorbé par la hausse des coûts de l’énergie et l’impact de l’inflation, sans permettre de véritablement renforcer les moyens alloués à la recherche elle-même.
Le fonds exceptionnel de soutien aux organismes de recherche annoncé il y a quelques semaines et abondé par le collectif budgétaire est un soulagement pour les opérateurs. Néanmoins, compte tenu des prévisions sur l’inflation et la hausse des coûts de l’énergie, l’objectif de la LPR d’atteindre en dix ans les 3% du PIB consacrés aux dépenses de recherche, dont 1% pour le secteur public, paraît compromis, sauf à augmenter bien plus les crédits de la mission.
D’autre part, l’augmentation des moyens de l’ANR est une bonne nouvelle pour les futurs lauréats des appels à projets, moins pour les autres. Nous regrettons qu’elle renforce le choix fait par la LPR de soutenir massivement la recherche sur projets au détriment des financements récurrents, tant on connaît les effets pervers de cette logique : inégalités croissantes entre laboratoires, précarisation des chercheurs, lourdeurs administratives, ou encore restriction de la liberté académique.
Enfin, concernant le programme 190, la stagnation des crédits de plusieurs actions et la hausse inférieure à l’inflation des autres, constituent un mauvais signal. Ce programme devrait constituer un levier important de mise en œuvre de la transition écologique et énergétique, et la recherche dans ces domaines mériterait de devenir une priorité budgétaire. Sur cette question de la résilience énergétique, il faut aussi signaler que le crédit d’impôt recherche (CIR) continue d’atteindre un niveau très élevé (supérieur à 7 milliards d’euros), en dépit de ses insuffisances désormais bien connues, et surtout de son indifférence quant à l’impact environnemental des dépenses qu’il finance.
Malgré les efforts du Gouvernement, la hausse globale des crédits est insuffisante pour absorber les surcoûts liés à l’inflation et à l’augmentation des prix de l’énergie, et met à mal l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche.
C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra sur le vote de ces crédits et invite le Gouvernement à se saisir de la clause de revoyure de la LPR pour pallier les effets de la crise et de l’inflation.
M. Pierre Ouzoulias. – Merci pour l’importance que vous donnez à la culture scientifique, il y a un combat à mener contre l’irrationalité qui monte. Je me félicite à ce titre qu’un certain chercheur marseillais ait été rappelé à ses obligations déontologiques…
J’alerte sur la façon dont la recherche migre en dehors du périmètre du ministère, en particulier vers les 57 milliards d’euros de « France 2030 ». La Première ministre a dit qu’il fallait clarifier les choses et renforcer l’évaluation de ces crédits : c’est une litote, car il n’y a en réalité aucune évaluation des crédits de « France 2030 », qui sont gérés directement par Matignon et dont le Secrétaire général à l’investissement, Bruno Bonnel, a dit qu’il allait faire appel à l’intelligence artificielle pour sélectionner les projets… Je déplore cette forme de mise en concurrence de l’ANR et de l’évaluation scientifique. Avec les crédits qui sortent du périmètre du ministère – le CNES a migré vers Bercy, qui gère déjà le CIR et le programme d’investissements d’avenir…, il y a un risque de disjonction entre une recherche peu évaluée et la recherche académique sur laquelle pèsent bien plus de procédures de contrôle et d’évaluation.
Les opérateurs, quant à eux, vont chercher de l’argent dans les frais de gestion des projets de recherche qu’ils décrochent en particulier à l’échelon européen ; au CNRS, par exemple, ces frais sont passés à 20%. Je crains que ce soit démobilisateur. La France est contributrice nette au Conseil européen de la recherche (ERC) et, avec de tels frais, je crains que les chercheurs ne préfèrent passer par « France 2030 » plutôt que par leurs structures de recherche… Nous voterons donc contre l’adoption de ces crédits.
M. Julien Bargeton. – Le budget progresse de 1,1 milliard d’euros, hors « Plan relance » et « France 2030 ». Depuis 2017, ce budget a gagné 3,6 milliards d’euros, après des années de baisse. La trajectoire de la LPR est respectée, c’est important : les organismes relevant du programme 172 reçoivent 206 millions d’euros supplémentaires, ils pourront financer les 650 nouveaux postes prévus par la LPR, dont 179 CPJ ; l’ANR voit ses crédits augmenter de 44 millions d’euros, après des années de « vaches maigres » où elle servait de variable d’ajustement. Ces efforts notables motivent notre soutien à l’adoption de ces crédits.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Les objectifs de la LPR sont respectés, le 1% culture scientifique correspond à nos attentes, et je vous sais vigilante, Madame la rapporteure, au suivi de la trajectoire annoncée. La diffusion de la culture scientifique est indispensable ; l’Unesco rappelle ainsi que la science a la capacité de changer la donne face au dérèglement climatique. Quelle est, selon vous, la mesure la plus utile pour développer la culture scientifique ? Dans le contexte difficile que nous vivons, nous avons besoin de science, de pédagogie. Le groupe LR votera donc ces crédits.
Mme Monique de Marco. – L’État doit se saisir de la clause de revoyure pour tenir compte de l’inflation. Je regrette que la hausse de 4 % des crédits du programme 190 soit insuffisante face à l’urgence climatique. De son côté, la recherche spatiale reçoit un traitement de faveur, avec des crédits en hausse de 14 %, dans contexte de forte médiatisation de Thomas Pesquet, tandis que le discret Institut Paul-Émile Victor peine à consolider son fonctionnement, alors qu’il est indispensable à la recherche polaire et à l’étude du climat. Je crois, aussi, qu’il faut revoir le CIR, qui mobilise toujours plus de milliards d’euros sans avoir démontré son efficacité. Les efforts budgétaires doivent être mieux ciblés vers les chercheurs qui travaillent sur la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique.
Nous ne voterons pas ces crédits.
M. Bernard Fialaire. – Nous serons très attentifs à la clause de revoyure de l’an prochain, et soutiendrons l’idée de passer à une programmation sur 7 ans plutôt que sur 10 ans – il semble que la ministre puisse en être d’accord. Les crédits de la recherche spatiale sont importants, nous soutenons leur augmentation. Nous voterons donc ces crédits.
rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». – Je comprends que vous déploriez l’annualité de la loi de finances, mais vous m’accorderez qu’on n’y puisse pas grand-chose.
Pour rapporter les crédits sur l’enseignement supérieur et la vie étudiante, je me demande s’il ne faudrait pas une loi de programmation pour la culture, elle aurait son utilité.
Le CIR, ensuite, présente des dysfonctionnements, je les ai constatés lors d’une mission que j’ai conduite sur la pénurie de chercheurs en France ; nous avons d’ailleurs déposé des amendements en première partie de la loi de finances, qui n’ont pas été adoptés en séance. J’espère plus de soutien dans l’hémicycle lorsque nous reviendrons à la charge à ce sujet.
Sur les crédits de l’ESR, la commission des finances a souligné que les difficultés des établissements d’enseignement supérieur face aux surcoûts de l’énergie sont et vont être d’autant plus fortes que le patrimoine immobilier universitaire est vétuste et énergivore. Nous l’avions constaté dans un rapport d’information il y a deux ans. Des solutions existent, avec des portages financiers. Il faut les défendre et avancer, car si les établissements dépensent tout leur argent à payer leurs factures énergétiques, la recherche ne va pas prospérer dans notre pays…
rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». – Les échanges entre commissions permanentes sont très importants, car nous abordons les sujets sous des angles différents et complémentaires. Nous vous remercions donc de nous avoir invités à participer à cette réunion.
Je rappelle d’abord que lors de l’examen de la LPR, nous défendions l’idée qu’il fallait prendre en compte l’inflation. Le Gouvernement nous répondait alors qu’elle était négligeable. Elle dépasse 6 % cette année et les choses paraissent ne pas devoir s’améliorer. La trajectoire de la LPR, dans ces conditions, représente surtout une stabilité des moyens de la recherche.
Ensuite, il est difficile de s’y retrouver dans le jeu de bonneteau entre les différents supports budgétaires. Voyez les crédits pour la recherche duale, ils ont été transférés il y a deux ans dans le plan de relance, nous les retrouvons cette année à 150 millions d’euros, c’est moins qu’il y a deux ans : le « Plan de relance » n’a rien apporté, alors que la recherche duale est essentielle pour faire la passerelle entre le militaire et le civil.
La recherche spatiale est essentielle, j’étais à l’Agence spatiale européenne la semaine dernière, et je peux vous dire que ses programmes sont déterminants pour l’avenir de l’Europe : on ne peut laisser l’espace aux seuls Chinois et Américains. Notre autonomie stratégique et industrielle en dépend – dans la façon d’observer la terre, de gérer les données, de rechercher d’autres espaces. Nous avons encore beaucoup à apprendre et nous ne devons pas être à la remorque de nos principaux concurrents, mais moteurs dans la recherche spatiale.
Nous avons publié un rapport de contrôle sur les instituts hospitalo-universitaires (IHU) qui sont de très bons outils pour la recherche sanitaire. Je vous invite à les suivre, en particulier les nouveaux appels à projets qui y sont menés.
Nous avions dit que l’ANR prendrait son envol à partir d’1 milliard d’euros de crédits de recherche et 25 % de taux de sélection ! Nous y sommes presque : l’agence est devenue un acteur essentiel du secteur.
Nos organismes de recherche ont aussi des difficultés à aller chercher des crédits européens, le CNRS vient d’installer une task force dédiée, c’est une bonne chose pour la recherche française.
rapporteure pour avis. – A l’hôpital Cochin, l’IHU peut s’adosser au CHU pour prélever des cellules sanguines nécessaires à l’activité expérimentale, mais nous avons appris lors de notre visite que l’Établissement français du sang ne fournissait plus assez de pochettes de sang issu de patients sains, alors que nous avons renforcé ses moyens lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – il faut prévoir suffisamment de plaquettes pour la recherche française !
Je partage l’idée que la recherche spatiale est indispensable. La diplomatie se fait aussi dans l’espace et l’Europe doit être au rendez-vous en ce domaine.
Nous sommes au fait de la situation du patrimoine universitaire, Stéphane Piednoir en a parlé dans son rapport, j’avais cosigné vos amendements, Madame Paoli-Gagin et je regrette comme vous qu’ils n’aient pas été adoptés. La ministre vient du milieu universitaire et je crois que nous pouvons compter sur elle – de même que pour une échéance de sept ans plutôt que dix pour la loi de programmation, c’est du moins mon espoir.
L’appel au secours de l’IPEV a été entendu : celui-ci a obtenu les 3 millions d’euros supplémentaires qui sont nécessaires à son fonctionnement, c’est une bonne chose.
Je partage pleinement vos propos sur l’importance de la culture scientifique ; il faut s’assurer que le seuil de 1 % fixé à l’ANR soit respecté, et que l’Éducation nationale fasse tout son travail. Lorsque nous avons interrogé la Première ministre sur la disparition des mathématiques dans le tronc commun du lycée, elle nous a avoué qu’elle n’en n’avait pas été informée, la Polytechnicienne qu’elle est n’a pas pu ne pas s’en émouvoir et je crois que notre alerte a été efficace. Si l’Éducation nationale ne comprend pas les liens entre l’enseignement des mathématiques et les chercheurs de demain, nous allons encore perdre des années précieuses !
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la recherche du projet de loi de finances pour 2023.
président. – Nous examinons le rapport pour avis de Claude Kern sur le programme 185 de la mission « Action extérieure de l’État ».
rapporteur pour avis sur les crédits de l’action extérieure de l’État. – L’analyse des crédits consacrés à la diplomatie culturelle et d’influence, portés par le programme 185, est rendue délicate cette année par un changement de périmètre budgétaire, qui peut donner lieu à des lectures différentes. Le transfert récent de la compétence « Tourisme » vers le ministère de l’économie et des finances se traduit en effet par le retrait de l’opérateur Atout France du périmètre du programme et donc par la déduction de sa subvention pour charges de service public.
Si l’on raisonne à périmètre constant, les crédits dédiés à la diplomatie culturelle et d’influence augmentent de 40 millions d’euros, ces moyens supplémentaires étant fléchés sur trois axes : le renforcement des moyens de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), à hauteur de 30 millions d’euros ; le financement, à hauteur de 8 millions d’euros, de dispositifs en faveur de la politique d’attractivité de la France, parmi lesquels l’Exposition universelle d’Osaka et le Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle ; l’abondement, à hauteur de 2 millions d’euros, de « la Feuille de route de l’influence » pour permettre le développement de projets d’influence dans certaines zones géographiques ou certains domaines stratégiques.
Les moyens dédiés au réseau de coopération culturelle sont, quant à eux, reconduits quasiment à l’identique.
C’est donc un budget globalement en augmentation qui nous est proposé, mais sur lequel j’émettrai plusieurs bémols et points de vigilance.
Je commencerai par la situation du réseau d’enseignement français à l’étranger. Il a été touché très durement par la crise sanitaire : sa pérennité financière s’est trouvée menacée par l’érosion des taux de recouvrement des droits de scolarité, consécutive aux difficultés financières rencontrées par les familles, et la baisse des effectifs enregistrée à la rentrée 2020. Le plan exceptionnel de soutien, voté en 2020 pour un montant de 150 millions d’euros, a permis de préserver l’équilibre budgétaire du réseau et d’éviter la fermeture définitive d’établissements. Après une année scolaire 2020-2021 particulièrement difficile, l’année 2021-2022 a été une année de transition, marquée par une sortie progressive de la crise sanitaire, selon des temporalités diverses en fonction des zones géographiques. Certains établissements d’Asie ont encore été contraints, cette année, à des fermetures partielles. Signe d’un réseau en voie de rétablissement, les effectifs sont repartis à la hausse dès la rentrée 2021 (+ 2,1 %), évolution qui s’est confirmée à la rentrée 2022 (+ 2,7 %), avec 10 000 élèves supplémentaires. Autre tendance de fond, la croissance des effectifs continue d’être soutenue par les élèves nationaux et les élèves dits « étrangers tiers ». Au total, le réseau compte aujourd’hui 567 établissements scolarisant 490 000 élèves.
Malgré un retour progressif à la normale, l’année 2022 a vu l’irruption de nouvelles crises dont le réseau subit les conséquences de plein fouet.
Sur le plan géopolitique d’abord, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fortement affecté les établissements qui constituaient avant-guerre le réseau d’enseignement français dans la région. Après avoir été fermés plusieurs mois, les deux établissements de Kiev ont rouverts en présentiel à la rentrée. C’est évidemment un signal très fort. En Russie, les établissements d’enseignement français enregistrent une forte baisse de leurs effectifs, sous l’effet des départs de nombreux expatriés, mais aussi de familles russes ayant fui la mobilisation.
Sur le plan macroéconomique ensuite, la crise inflationniste n’épargne aucune zone géographique et suscite de très vives inquiétudes pour l’an prochain. L’envolée des prix de l’énergie renchérit directement les coûts de fonctionnement des établissements, ce qui nourrit une spirale inflationniste : hausse des frais périscolaires, demande de revalorisation salariale des personnels, augmentation des frais de scolarité, nouvelles demandes de bourses scolaires…
Les établissements en gestion directe (EGD) du réseau ont reçu pour consigne de ne pas répercuter la totalité des surcoûts sur les familles, mais de trouver un équilibre entre hausse des droits d’écolage et économie de dépenses. Les droits de scolarité devraient néanmoins augmenter en moyenne de 8 % l’année prochaine. Dans certains EGD, la hausse pourrait même atteindre 10 % voire 12 %. La communauté parentale, que j’ai auditionnée, se dit extrêmement inquiète de cette situation et rappelle que la modération des droits de scolarité représente l’un des atouts du système français par rapport aux modèles étrangers, anglo-saxon notamment. Si cette hausse venait à se confirmer voire à s’aggraver, l’attractivité du réseau pourrait en être affectée.
J’émets donc ici un point d’alerte, d’autant que l’augmentation des droits de scolarité fait peser une tension particulière sur l’enveloppe des bourses scolaires du programme 151, dont le calibrage actuel n’est clairement pas à la hauteur des besoins.
Qu’en est-il de la mise en œuvre du plan de développement du réseau ? En mars 2018, le Président de la République fixait un objectif de doublement des effectifs à l’horizon 2030, soit une cible de 700 000 élèves. Depuis cette annonce, et malgré la crise sanitaire qui a forcément ralenti le processus de développement, le réseau a gagné 72 établissements et plus de 30 000 élèves. Le rythme moyen de croissance annuelle des effectifs, de l’ordre de 2 % à 3 % par an, est cependant très en-deçà de celui nécessaire à l’objectif présidentiel dans le calendrier imparti soit 7 % à 8 % par an. Pour la première fois, le ministère reconnaît le décalage entre l’ambition affichée et la mise en œuvre.
La concrétisation de l’ambition présidentielle est confrontée, outre aux crises conjoncturelles, à trois enjeux structurels.
Le premier est celui des effectifs des personnels enseignants et de leur formation, question centrale pour garantir la qualité de l’offre éducative. Sans enseignants en nombre suffisant et bien formés, le plan ne pourra pas fonctionner. Or, la cible de 700 000 élèves suppose 25 000 enseignants supplémentaires, ce qui représente un besoin de recrutement très conséquent. Le vivier constitué par les titulaires détachés du ministère de l’éducation nationale se tarit ; certaines académies refusent de laisser partir leurs enseignants à l’étranger, faute de pouvoir les remplacer. C’est donc sur l’autre vivier, composé des recrutés locaux, que les marges sont les plus importantes. Pour ces personnels, tout l’enjeu réside dans l’atteinte d’un niveau de formation permettant de préserver la qualité de l’enseignement « à la française ».
Telle est l’ambition des 16 instituts régionaux de formation (IRF), qui ont été mis en fonctionnement cette année. Les plans de formation des personnels de l’enseignement français à l’étranger seront élaborés dans le cadre de ces nouvelles instances, en référence aux attendus pédagogiques fixés par l’Éducation nationale mais à partir des besoins identifiés dans chaque zone. Les IRF vont poursuivre leur déploiement l’année prochaine en devenant des EGD du réseau, en application de la loi du 28 février 2022, dont notre collègue Samantha Cazebonne est à l’initiative. Les représentants des parents d’élèves, conscients que la problématique du recrutement ne peut être résolue qu’en actionnant ces deux leviers, local et national, estiment que la création des IRF est « une bonne évolution ».
Le deuxième enjeu est immobilier : pour se développer et faire face à la concurrence internationale, les établissements déjà membres du réseau ont besoin d’améliorer l’état de leur bâti voire de l’agrandir.
Si, pour les établissements conventionnés et partenaires, un outil d’accompagnement existe avec « la garantie de l’État français », tel n’est pas le cas pour les EGD qui éprouvent de grandes difficultés à financer leurs projets immobiliers. L’AEFE évalue leurs besoins de financement immobiliers à 300 millions d’euros sur les cinq prochaines années. Or l’opérateur estime être dans « une impasse financière » pour faire face à ce besoin, d’une part, parce qu’il n’est plus autorisé à emprunter, d’autre part, parce que l’État ne lui attribue pas d’aide financière pour gérer ce patrimoine. Face à cette situation de blocage, il faut que le Gouvernement autorise de nouveau l’AEFE, opérateur de l’État dont la gestion saine est reconnue et régulièrement contrôlée, à pouvoir de nouveau recourir à l’emprunt pour effectuer des travaux sur ses EGD. Je vous proposerai un amendement en ce sens.
Le troisième enjeu concerne la régulation de la croissance du réseau pour éviter les comportements de concurrence déloyale entre établissements.
L’arrivée de nouveaux établissements partenaires, notamment détenus par des porteurs de projets privés, est parfois source de tensions sur ce qui est devenu un « marché » de l’enseignement français à l’étranger. Dans certaines zones géographiques, voire à l’échelle de certaines villes, la coexistence de plusieurs établissements, aux statuts différents, peut donner lieu à des effets concurrentiels néfastes, dont certains m’ont été rapportés. J’en appelle donc à un encadrement plus serré et une coordination plus poussée, au niveau de l’ensemble du réseau, de la part de l’AEFE et, localement, de la part des postes diplomatiques.
Ce contexte posé, qu’en est-il du budget du réseau pour l’année prochaine ?
En 2023, la subvention pour charges de service public attribuée à l’AEFE augmente de près de 30 millions d’euros, pour s’établir autour de 440 millions d’euros. Cette augmentation est constituée de trois blocs : la compensation de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, pour 13 millions d’euros ; le financement de la moitié des surcoûts liés à la réforme des statuts des personnels détachés dans le réseau, pour 7 millions d’euros ; les aides exceptionnelles pour les établissements du réseau libanais, toujours en grande difficulté, pour 10 millions d’euros.
Cette hausse des moyens est, certes, une évolution positive, mais je tiens à la nuancer : elle vient compenser de nouvelles dépenses contraintes et non donner des marges budgétaires supplémentaires à l’opérateur pour répondre aux défis posés par le plan de développement.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale ainséré un article 41 A rattaché, qui crée une structure parallèle à l’AEFE pour assurer la gestion et la direction des EGD. Ce dispositif non concerté modifie profondément l’organisation du service public de l’enseignement français à l’étranger et son mode de gouvernance. Je vous proposerai donc un amendement de suppression, tout comme l’ont fait mes collègues rapporteurs spéciaux de la commission des finances et rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères.
J’en viens maintenant à notre réseau de coopération culturelle, qui voit ses crédits reconduits quasi à l’identique en 2023. Il a été durement touché par la crise sanitaire, mais il s’est montré résilient grâce à la très forte mobilisation des acteurs de terrain et au développement d’une offre à distance. La transformation numérique du réseau constitue le principal axe stratégique du ministère pour l’accompagner dans la sortie de crise : dans le cadre d’un appel à projets lancé en 2021, 2,5 millions d’euros sont consacrés à la montée en charge numérique des opérateurs culturels.
En complément, le ministère a soutenu financièrement les établissements par redéploiement de crédits. En 2020, les instituts français ont ainsi perçu 7 millions d’euros et les alliances françaises, 3 millions d’euros. En 2021, de nouveaux redéploiements ont permis d’attribuer 1 million d’euros aux établissements les plus en difficulté.
Sous l’effet de ces différentes mesures, aucune fermeture définitive d’institut français n’est à déplorer. L’évaluation est plus délicate s’agissant des alliances, le réseau étant numériquement plus important et par nature plus évolutif.
Sur le plan financier, les instituts français voient leur situation se rétablir progressivement. Leurs ressources propres, qui avaient enregistré une baisse notable pendant la crise, ont commencé à ré-augmenter, si bien que leur taux d’autofinancement se rapproche de celui d’avant-crise – autour de 75 %. Ce constat doit toutefois être nuancé en raison des disparités selon les zones géographiques et du report de nombreuses opérations d’investissement.
Malgré une tendance générale à l’amélioration, l’année 2022, marquée par la hausse de l’inflation au niveau mondial, a apporté son nouveau lot de difficultés pour les instituts et les alliances. À l’augmentation des charges fixes, induite par le doublement voire le triplement des factures énergétiques, se conjuguent le décrochage salarial des personnels et la réduction du pouvoir d’achat des publics. Dans les prochains mois, une contraction voire une diminution des ressources propres pourrait donc être constatée, entraînant « un effet ciseaux » qui inquiète fortement les établissements.
Alors que le budget consacré au réseau ne bénéficie pas de crédits supplémentaires en 2023, une grande vigilance devra être apportée à la situation financière des instituts français et des alliances françaises. Des redéploiements de crédits vers les structures les plus fragilisées devront sans doute être envisagés pour éviter toute fermeture.
Un dernier mot, enfin, sur l’Institut français de Paris, qui se trouve à un moment charnière : sur le plan interne, il est engagé dans une vaste réorganisation administrative et immobilière ; sur le plan externe, il accompagne le réseau culturel dans sa phase de récupération post-crise sanitaire. Sur le plan budgétaire, l’Institut s’est engagé dans un processus de rationalisation, rendu nécessaire par l’attrition progressive des financements apportés par ses tutelles – le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de la culture. Sa subvention pour charges de service public a connu, par le passé, des révisions à la baisse cumulées importantes, de l’ordre de 9 % depuis 2019, exercice où elle s’élevait à plus de 30 millions d’euros. Le PLF pour 2023 stabilise la subvention à son niveau de l’année dernière – soit 27,4 millions d’euros –, mais le relèvement du taux de mise en réserve va se traduire concrètement par une baisse de 150 000 euros pour l’Institut.
Dans ce contexte, une démarche active de diversification des ressources a été entreprise, notamment via la candidature de plus en plus fréquente à des appels à projets de bailleurs. Les ressources ainsi collectées sont devenues essentielles à l’établissement et comptent aujourd’hui pour 22 % de ses recettes budgétaires. Par nature destinées à des projets précis, elles ne financent toutefois que dans des proportions très limitées les dépenses de structure. C’est donc une évolution profonde du modèle économique de l’Institut qui est à l’œuvre.
Il me paraît essentiel que le prochain contrat d’objectifs et de performance (COP) 2023-2025, actuellement en préparation, soit l’occasion de remettre à plat le soutien financier de ses deux tutelles, au regard des missions de service public qu’elles lui confient. Je déplore d’ores et déjà qu’un volet « moyens » ne soit apparemment pas à l’ordre du jour de ce nouveau contrat.
Compte tenu du renforcement des crédits de l’AEFE et de la stabilisation des moyens du réseau de coopération culturelle, je propose à la commission d’émettre un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 185 du projet de loi de finances pour 2023.
M. Lucien Stanzione. – Le tourisme a été écarté du programme 185, mais les crédits augmentent de 40 millions d’euros, c’est une hausse incontestable. L’aide exceptionnelle votée en 2020 a permis de sauver notre réseau d’enseignement à l’étranger. Malgré le contexte géopolitique et économique difficile, il se relève doucement, tout en restant fragile. Les besoins financiers pour remettre en état les bâtiments de l’AEFE sont considérables, et les problèmes sont accentués par la coexistence de plusieurs types d’écoles – c’est pourquoi nous sommes favorables à l’adoption d’un statut unique, de même qu’à un statut de droit public pour les enseignants, car les statuts précaires tirent vers le bas le niveau de qualification.
Concernant les instituts français, les moyens ne sont pas à la hauteur de nos ambitions : ces établissements sont de véritables ambassadeurs culturels de la France, il faut davantage les soutenir !
Notre groupe votera ces crédits ainsi que les deux amendements de notre rapporteur.
M. Julien Bargeton. – Notre collègue Samantha Cazebonne m’a demandé de vous dire combien elle se félicitait du renforcement des moyens accordés à l’AEFE l’année prochaine.
M. Damien Regnard. – Je m’exprime comme sénateur des Français établis hors de France et mon regard n’est pas partisan ni dogmatique, ni celui d’un expert qui vous imposerait une litanie de chiffres. Ma voix, mon sentiment viennent du terrain, d’échanges avec les acteurs de l’action extérieure de l’État, que j’ai rencontrés au cours de la trentaine de déplacements que j’ai effectués depuis le début de l’année.
Le budget consacré à la diplomatie culturelle et d’influence augmente de 40 millions d’euros à périmètre constant pour atteindre 671,2 millions d’euros (hors dépenses de personnel), c’est positif.
Mais ce budget de rattrapage masque des réalités de terrain beaucoup moins enthousiasmantes. Les Français de l’étranger ont été les grands oubliés de la politique gouvernementale des dernières années et nous tirons la sonnette d’alarme chaque année, au moment de l’examen budgétaire. Grands oubliés par la France aussi lors de la crise sanitaire ; ces deux années ont été bien souvent plus difficiles pour nos compatriotes de l’étranger, soumis aux protocoles sanitaires du pays où ils résident, privés de leur famille, avec un enseignement majoritairement en distanciel pour leurs enfants.
Nous nous félicitons que le Gouvernement ait enfin entendu l’urgence concernant les moyens déployés pour les établissements d’enseignement français et les familles, alors que le budget avait stagné en 2022. Par une pirouette des plus subtiles dans l’exercice comptable, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères avait même retranché 10 millions d’euros au budget de l’aide à la scolarité, en les remplaçant sur le plan comptable par des crédits non consommés…
Pour nous, Français de l’étranger, ces millions d’euros supplémentaires sont un simple rattrapage après des années de « disette ».
Partout dans le monde, nos établissements scolaires sont confrontés aux mêmes difficultés de recrutement, d’obtention des visas pour les enseignants, difficultés matérielles pour faire face à la concurrence des autres établissements scolaires internationaux. Sans compter l’impossibilité pour l’AEFE de pouvoir emprunter pour effectuer des travaux sur ses EGD.
Le modèle déployé, à de rares exceptions près, peine aujourd’hui à jouer les premiers rôles face aux établissements anglo-saxons qui n’hésitent pas à diversifier les financements pour attirer les meilleurs profils, enseignants ou élèves. Les frais de scolarité de nos établissements pouvaient, jusqu’à présent, constituer un atout mais ce n’est plus le cas. Les frais augmentent, les demandes de bourses sont de plus en plus nombreuses et les familles ont du mal à suivre quand elles n’optent pas pour un retour en France.
Dans ce contexte, l’ambition du président de la République de doubler le nombre d’élèves à l’horizon 2030 semble illusoire et déconnectée.
De manière générale, le besoin de sécurisation de nos établissements français à l’étranger se fait de plus en plus urgent et les moyens déployés ne sont pas à la hauteur. Notre rapporteur a évoqué les spécificités de l’Ukraine et de la Russie, mais d’autres établissements scolaires français font face à des situations sécuritaires extrêmement préoccupantes. C’est notamment le cas en Haïti où aucune solution n’a pour l’instant été trouvée.
Nos alliances et nos instituts français, de leur côté, ont tout fait pour tenir bon face à la crise sanitaire, mais les effectifs ont considérablement chuté. Parfois, le développement des cours en visio a permis de maintenir une activité, voire de la développer – notamment en Amérique du Sud. Mais la grande majorité des instituts et des alliances, qui ne manquent ni de dynamisme, ni de bonne volonté, ont du mal à faire face à la dégradation de leur situation financière.
Je regrette donc, une fois encore, le décalage entre l’ambition du discours et la réalité du terrain. La France ne cesse de perdre du terrain en matière de rayonnement et d’influence au profit de ses concurrents qui se donnent, eux, les moyens de leurs ambitions.
Face à ce constat, et pour manifester notre mécontentement, tout en appréciant les analyses du rapporteur, les élus LR s’abstiendront sur le vote de ces crédits. Nous soutiendrons en revanche les deux amendements de notre rapporteur.
M. Jérémy Bacchi. – Je me réjouis que le plan de soutien ait sauvé le réseau des établissements, mais nous sommes très loin de l’objectif présidentiel d’un doublement des effectifs d’élèves d’ici 2030, nous sommes en train de perdre la bataille culturelle. Nous sommes en difficulté parce que nous peinons à recruter, à développer nos locaux, à emprunter, alors que le contexte instable rend nécessaire de faire entendre la voix de la France et notre tradition universaliste. Nous sommes aussi inquiets sur la situation des alliances françaises, les crédits sont stables, donc les difficultés aussi…
Mme Sonia de La Provôté. – Le groupe UC votera ces crédits. La reprise de fréquentation de l’enseignement du français à l’étranger est une bonne chose, même si l’objectif pour 2030 parait intenable. L’influence de la France repose moins sur des annonces que sur le travail de fond et la qualité de notre offre. Les crédits de la diplomatie culturelle sont maintenus, mais le soft power à la française peine dans la mise en œuvre et nous perdons du terrain. Nous avons un problème de doctrine diplomatique et l’agitation autour du devenir de la diplomatie à la française joue contre nous : l’action extérieure de la France décroit en influence alors que la diplomatie d’influence est commode à utiliser, il faudrait la renforcer par des moyens supplémentaires, plutôt que simplement reconduits.
Enfin, nous gagnerions aussi à regrouper les lignes budgétaires de l’action extérieure de l’État, elles sont trop dispersées dans les missions ministérielles, cette « balkanisation » ne joue pas pour la cohérence.
rapporteur pour avis. – Le recrutement d’enseignants locaux est, malheureusement, devenu une nécessité, étant donné nos besoins. Les parents d’élèves étaient d’abord réticents aux IRF, ils y sont désormais favorables. Il faut souligner aussi que la France a été le seul pays au monde à mettre en place un plan de sauvegarde de cette importance, avec 150 millions d’euros. Quant à la sécurisation des établissements, elle requiert effectivement des moyens importants, en Haïti comme dans d’autres pays - en Afrique notamment, c’est un dosser à suivre de près.
L’amendement CULT.1 supprime l’article 41A, qui crée une structure parallèle à l’AEFE pour gérer et diriger les EGD.
La commission adopte l’amendement CULT.1
rapporteur pour avis. – L’amendement CULT.2 autorise l’AEFE à emprunter auprès d’établissements bancaires privés.
La commission adopte l’amendement CULT.2
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits du programme 185 de la mission «Action extérieure de l’État » du projet de loi de finances pour 2023.
La réunion est close à 11 h 15.