Notre mission d'information poursuit ses travaux par l'audition de pharmaciens de territoires : Mme Alexandra Leche, pharmacienne de l'Eure-et-Loir, M. Patrice Vigier, pharmacien du Nord, et M. Albin Dumas, président de l'Association de pharmacie rurale. Les ruptures de stock et les tensions d'approvisionnement de médicaments peuvent avoir des conséquences très pénalisantes dans des zones rurales peu denses où, bien souvent, seules une ou deux pharmacies assurent un rôle de proximité essentiel auprès de nos concitoyens éloignés des centres hospitaliers. Si les ruptures affectant le territoire national font l'objet d'une surveillance régulière de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), nous serions curieux de connaître si des mécanismes d'alerte et d'intervention existent pour faire face à des problèmes d'approvisionnement plus ponctuels et concentrés au niveau local. Quel est, en particulier, votre sentiment sur la capacité des grossistes-répartiteurs de vos régions à assurer l'approvisionnement continu de vos officines dans des délais raisonnables ?
Je suis particulièrement heureux de vous recevoir aujourd'hui : vous n'ignorez pas que le Sénat est la chambre des territoires et, si nous avons souhaité vous entendre, c'est pour que vous portiez la voix des « petites pharmacies », qui n'en sont pas moins essentielles au maillage sanitaire de notre territoire. Les pharmaciens exercent non un métier mais une mission.
Pourriez-vous nous dresser, à grands traits, un tableau des difficultés d'approvisionnement auxquelles vous êtes quotidiennement confrontés ? Comment cela impacte-t-il votre exercice quotidien ?
Avez-vous déjà été confronté à la facturation de frais de livraison lorsque vous vous adressez à des grossistes autres que ceux auxquels vous recourez habituellement ? De quel type d'informations estimez-vous avoir besoin pour gérer au mieux les situations de tensions d'approvisionnement ? Par quel canal devraient-elles vous parvenir ?
Je suis pharmacienne dans une commune de 2 500 habitants, la pharmacie la plus proche est à 7 kilomètres. J'ai une relation privilégiée avec mes patients. Je suis confrontée au quotidien à des difficultés d'approvisionnement. Le grossiste est un partenaire. Comme notre logiciel métier est connecté en temps réel avec les stocks de nos grossistes, nous savons en temps réel si un médicament est en rupture de stock ou indisponible. Nous perdons toutefois beaucoup de temps ensuite en cherchant à savoir si la rupture sera longue et comment nous procurer le produit. Nous devons appeler le grossiste pour obtenir l'information, mais celui-ci reste souvent imprécis, car il a peur de ne pas pouvoir tenir ses promesses, dans la mesure où il dépend des laboratoires qui ne tiennent pas toujours leurs engagements. Si la pénurie est due à des quotas, nous devons appeler le laboratoire directement et nous pouvons parfois être livrés deux ou trois jours après. Cela peut être problématique en cas d'urgence.
Dans tous les cas, c'est frustrant car nous ne pouvons pas toujours informer de manière faible nos patients. Nous avons parfois des informations directement des laboratoires, mais c'est rare. Nous cherchons toujours à trouver une solution : en renvoyant le patient chez un confrère, en appelant un grossiste secondaire, en appelant le médecin pour voir avec lui si un autre traitement serait possible, etc. Cela reste anxiogène pour le patient qui n'imaginait pas être confronté à une telle situation en France.
Davantage de transparence serait souhaitable. Les laboratoires entretiennent l'opacité sur les causes et la durée des indisponibilités, car ils craignent que les prescriptions ne soient reportées sur d'autres médicaments de laboratoires concurrents. En cas de rupture de stock, nous pouvons aussi diriger le patient vers un confrère, chez qui il devra aller acheter directement son traitement, ce qui signifie que nous perdons un client car la rétrocession de médicaments entre pharmaciens est interdite. Pour garantir notre approvisionnement, nous travaillons aussi souvent avec un grossiste secondaire, à côté de notre grossiste principal qui nous accorde des remises. Mais les grossistes secondaires nous imposent soit un minimum de chiffre d'affaires par mois sans aucune remise, soit des frais de livraison.
Je suis pharmacien dans une commune de 8 000 habitants à proximité de l'agglomération lilloise. Je souscris aux propos de ma consoeur. Les ruptures d'approvisionnement sont un problème récurrent.
DP-Ruptures permet aux pharmaciens de signaler les ruptures d'approvisionnement par l'intermédiaire de leur logiciel ou sur le site. En retour, nous avons accès aux informations du laboratoire, du moins dans la mesure où celui-ci veut bien nous donner une information claire, ce qui n'est pas toujours le cas. Tous les laboratoires ne sont pas non plus adhérents à DP-Ruptures. Au final, il nous manque beaucoup d'informations pour savoir ce qu'il faut faire. Les durées d'indisponibilité sont toujours assez floues. Nous ne sommes informés qu'après coup, quand la pénurie est constatée. En définitive, c'est le patient qui est pénalisé et les démarches sont chronophages pour les pharmaciens. Entre pharmacies, on arrive, bon an mal an, à se dépanner et à assurer le service. Les grossistes font leur travail. Lorsqu'ils indiquent sur le bon de livraison « pénurie », cela signifie que le produit est délivré en petites quantités, sur demande, par appel téléphonique, afin qu'une pharmacie ne concentre tous les stocks du produit. À cet égard, le grossiste fait bien son travail.
J'ai aussi installé dans ma pharmacie le système Vigirupture®, mis en place par une société privée, OffiSanté, qui permet d'accéder à une cartographie précise, via Internet, indiquant les officines qui détiennent le produit en stock. La carte est mise à jour quotidiennement toutes les nuits. Toutefois seules 25 % des pharmacies sont adhérentes. C'est un système privé, à la différence de DP-Ruptures qui a été mis en place par l'Ordre des pharmaciens.
L'alimentation est automatique par notre système informatique dès lors que l'on est adhérent. Le système permet de savoir si une officine a le produit, même si on ne connaît pas son stock. C'est une information précieuse qui permet de se dépanner entre collègues.
Oui, pour garantir la traçabilité des médicaments. Le système français est très sécurisé avec un suivi des livraisons des numéros de lots.
Comment expliquer que seules 25 % des pharmacies soient adhérentes à Vigirupture ?
Le système est récent. Tout le monde ne connaît pas son existence. Je l'ai découvert par hasard. Certaines pharmacies peuvent aussi ne pas vouloir communiquer ce genre d'informations.
Oui, si on devient adhérent de Vigirupture. Dans le cadre de DP-Ruptures, on déclare une pénurie. Dans le cas de Vigirupture, on déclare que l'on possède un produit en stock ; dans ce cas, le pharmacien en rupture de stock envoie le patient chez le confrère car la rétrocession de médicaments entre officines est interdite.
l'Association de pharmacie rurale. - Les frais de livraison sont légaux. Certes, ils ne sont pas très élevés, huit euros par commande, mais dans la mesure où les bénéfices sont très faibles, cela suffit à rendre l'opération nulle du point de vue économique. C'est fait pour dissuader et cela marche ! L'essentiel à mon sens est que le pharmacien puisse avoir recours à plusieurs grossistes dans sa zone de chalandise. Les pharmaciens ruraux sont très attachés à la mutualisation des frais de livraison, sur le modèle du timbre-poste, dont le prix est identique en zone urbaine dense comme en zone rurale. Il est important de pouvoir faire appel à plusieurs canaux de diffusion.
La rétrocession est une question importante. Nous sommes en conflit sur ce sujet avec les grossistes-répartiteurs qui craignent que la rétrocession ne devienne industrielle. Comme les pharmacies sont des lieux de vente au public, elles n'ont pas le droit de se substituer aux grossistes. C'est pour cela, plus que pour garantir la traçabilité, que la rétrocession est interdite. La traçabilité n'est pas mise en oeuvre de façon complète en pharmacie. La sérialisation, d'ailleurs, qui complique notre tâche, ne vise pas à renforcer la traçabilité pour le patient : c'est bien un service aux industriels.
Il est difficile de parler globalement des pénuries et des ruptures. Face aux pénuries, nous faisons appel à toutes nos ressources, à tous nos réseaux médicaux, pour satisfaire le patient, y compris en lui conseillant d'aller à l'hôpital.
Les pharmacies rurales sont petites, en moyenne. Elles ont donc mécaniquement tendance à réduire leur nombre de fournisseurs pour concentrer les volumes et obtenir les meilleures conditions d'achat, même si le médicament en France a un prix unique, ce à quoi nous sommes très attachés. Si la plupart des officines font appel à deux fournisseurs, les pharmacies rurales ne peuvent souvent faire appel qu'à un seul, car le second grossiste leur propose des conditions de livraison qui ne sont pas satisfaisantes.
De même, vu sa taille, la pharmacie rurale peut moins aisément avoir un recours direct au fournisseur. C'est pour cela que la rétrocession pourrait être précieuse pour les officines rurales, qui pourraient ainsi s'approvisionner collectivement en se regroupant. Cela ne nous empêche pas d'être attachés à la répartition, mais nous sommes aussi en concurrence dans le cadre d'une enveloppe globale, et l'argent qui va à l'un ne va pas à l'autre... La répartition doit continuer à irriguer le territoire français : nous souhaitons que les pharmacies puissent se voir garantir un minimum de livraisons sans frais, afin que toutes les officines puissent s'alimenter. C'est crucial car leur pérennité dépend du service rendu au patient. Lorsque le service se dégrade, le patient redevient un consommateur et va ailleurs.
Les ruptures sont différentes. Elles dépendent rarement de l'organisation de la chaîne pharmaceutique, même si cela peut se produire, mais cela ne dure guère car l'entreprise OCP Répartition a une organisation nationale qui lui permet de mobiliser ses stocks plus rapidement que les répartiteurs, qui ont une implantation plus régionale, comme les CERP, même si leur périmètre peut être vaste. Il peut y avoir des petits blancs ou des délais dans la chaîne d'approvisionnement, par exemple lorsque les cartons s'empilent chez le grossiste avant d'être enregistrés.
En répartition, les flottes de véhicules sont dédiées et cela va très vite. En approvisionnement direct en milieu rural, en revanche, les colis passent souvent par plusieurs transporteurs successivement entre le laboratoire et la pharmacie, sauf, évidemment, des produits devant respecter la chaîne du froid, car la rentabilité est trop faible pour un acheminement direct. L'idéal serait que l'information sur les ruptures ou les délais parte des laboratoires, mais c'est une contrainte de plus pour eux...
L'Ordre des pharmaciens a créé DP-Ruptures. Une entreprise a créé Vigirupture qui permet aux pharmaciens de déclarer les produits qu'ils ont peur de ne pas vendre. Le système est encore en phase de démarrage. Il est encore peu connu ; il a un intérêt pour les produits qui ne sont pas très demandés, mais est moins intéressant, vu sa pénétration sur le marché, pour des produits recherchés par des patients pour des urgences médicales.
Quels sont les médicaments en situation de pénurie ou de rupture : s'agit-il de médicaments princeps ou de génériques, de médicaments récents ou anciens, chimiques ou biologiques ?
Cela dépend. C'est très variable d'une période à l'autre. Les ruptures peuvent durer deux à trois jours ou plusieurs semaines. Les manques liés aux quotas pourraient être supprimés, ils concernent surtout les médicaments récents et les médicaments chers. Ils sont dus non à des difficultés de fabrication, mais à des enjeux économiques. Les grossistes et les fabricants se renvoient la responsabilité. Les laboratoires donnent une certaine quantité de médicaments aux grossistes au niveau national qui les répartissent ensuite de manière pyramidale entre leurs agences locales, donc pas toujours à parts égales. C'est ce qui explique, dans ce cas, que nous puissions être livrés sans problème si nous appelons le laboratoire directement, alors que le grossiste ne peut nous approvisionner. Les laboratoires limitent-ils d'eux-mêmes les stocks parce que ces volumes auraient été fixés en lien avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) et qu'ils ne veulent pas dépasser l'enveloppe ? Est-ce aussi parce que les grossistes, acculés à une certaine époque par les exportations parallèles même si désormais j'ai le sentiment qu'ils n'y ont recours que très peu, restent contraints par les laboratoires qui ne souhaitent pas que leurs médicaments soient revendus ailleurs en Europe ? Quoi qu'il en soit c'est le patient qui trinque.
Récents et chers. J'ai eu le cas la semaine dernière pour un anticancéreux à 3 000 euros. Ces retards ne font que renforcer l'anxiété du patient déjà inquiet par sa maladie. Ce n'est pas normal. Je ne sais pas si les laboratoires limitent les volumes à cause des enveloppes fixées par le Comité économique des produits de santé (CEPS) ou s'ils le font pour éviter les exportations parallèles des grossistes en Europe, même si ce phénomène a quasiment disparu. Dans tous les cas, ce sont les patients qui trinquent !
C'est difficile à dire, on n'a jamais le fin mot de l'histoire...
Je pense malgré tout que c'est plus lié au CEPS.
Il semblerait qu'il y ait des objectifs convergents entre les laboratoires et le CEPS. Quand on regarde comment le contingentement est géré à l'hôpital, on voit que le laboratoire est en contact direct avec le pharmacien de l'hôpital pour distribuer, ou non, le médicament en fonction de l'indication, que le laboratoire exige parfois de pouvoir juger...
Il y a pléthore de marques de génériques, mais, en réalité, les façonniers sont peu nombreux et dès qu'il y a un problème, ce sont plusieurs marques qui manquent.
Je croyais que la moitié des génériques étaient fabriqués en France, à la différence du Royaume-Uni, où l'essentiel est fabriqué à l'étranger.
Les témoignages des pharmaciens de mon département corroborent tout à fait vos propos. Une pharmacie est adossée à un centre commercial avec une clientèle beaucoup plus importante : comme par hasard, les ruptures d'approvisionnement ont disparu... Les coopératives pharmaceutiques sont-elles un moyen de compenser les difficultés de trésorerie des pharmacies, vu la faiblesse des marges et la difficulté à stocker ?
J'en doute, ou alors à la marge. Les CERP sont des coopératives. Les statuts des circuits d'approvisionnement sont très divers : les dépositaires, le direct, les grossistes de nature capitalistique, les grossistes sous forme de coopérative, etc. Des groupements ont pris le statut de répartiteur.
La pharmacie adossée à un centre commercial permet peut-être de constater une amélioration, mais je ne pense pas qu'elle ait une relation bien meilleure avec son grossiste que la plupart des officines. Je ne voudrais pas accréditer l'idée que les petites officines sont victimes d'une discrimination par rapport aux grosses pharmacies ; les répartiteurs ne peuvent pas se le permettre. Ils outrepassent un peu leurs prérogatives, mais tant mieux, en répartissant les produits sous tension. Sans doute est-il possible de les faire fléchir si on les harcèle au téléphone et que l'on représente des volumes conséquents, mais cela ne va pas plus loin. Si les officines rurales sur le territoire français sont un peu moins bien loties, c'est pour des raisons multiples et objectives.
Il faut être vigilant sur les points stratégiques. Les pharmacies rurales doivent continuer à exister. Pour cela, il faut que l'exercice éthique de la délivrance de médicaments et la chaîne d'approvisionnement soient rentables, avec suffisamment de diversité. Nous ne sommes pas fonctionnarisés, nous n'avons pas de revenus garantis.
La raison de vivre des grossistes-répartiteurs, c'est bien le réseau des officines rurales ! S'il ne restait que les grosses pharmacies des galeries commerçantes des supermarchés, cela encouragerait les livraisons directes des laboratoires aux pharmacies.
Le nombre de pharmacies rurales a-t-il diminué ?
Si l'on cumule absence d'officines et de médecins et pénurie de médicaments, une partie de la population française finira par avoir un accès plus limité aux soins et aux médicaments que celle qui vit dans les grandes villes ou à proximité.
La prolongation de la politique actuelle de santé nous y conduit tout droit. Nous sommes dans un domaine où chaque acteur cherche son bénéfice personnel. Un cercle vicieux peut s'installer entre le banquier, qui ne recommande pas de s'installer en milieu rural car cela présente un risque, et le pharmacien, qui estime alors qu'il vaut mieux ne pas ouvrir d'officine en milieu rural parce que le banquier lui a déconseillé de le faire... Ce jeu de miroirs est catastrophique.
Nous luttons contre ces mauvaises prévisions, mais le système est soumis à une tension croissante - les belles années sont derrière nous. Par exemple, sur une boîte d'oméprazole, une officine faisait 8 euros de marge il y a 20 ans, contre 3,80 euros aujourd'hui, malgré les remises du génériqueur qui peuvent atteindre 40 %. Cela vous donne une idée de la diminution des chocs alors que les volumes n'ont pas varié.
Les officines comme la mienne délivrent à des patients âgés généralement des médicaments génériqués dont le prix est très bas. Les produits auxquels on a fixé des prix importants sont délivrés à l'hôpital. Or ces produits sont comptabilisés, au niveau de l'Ondam, dans la même enveloppe au titre des dépenses de médicaments.
Quand un médicament manque, il faut trouver une solution pour le patient. On passe du temps à appeler nos confrères et à envoyer le patient chez eux. Mais le temps c'est de l'argent : or on en a perdu sans rien gagner.
Quand un médicament ne figurant pas dans le répertoire des génériques est manquant, mais qu'il existe la même molécule avec le même dosage sous un autre nom de spécialité, nous n'avons pas le droit de faire le remplacement sans avoir l'accord du médecin. Nous perdons du temps à appeler le praticien, et même s'il nous donne cet accord, que nous notons sur l'ordonnance, nous sommes pénalement responsables en cas de problème.
Il faudrait réintégrer le pharmacien dans son rôle de spécialiste du médicament au service du patient.
Les médecins que nous avons auditionnés ont émis des avis très opposés sur la question.
Je préférerais, pour ma part, donner plus de responsabilités aux professionnels autres que les médecins.
Il faut dégager complètement la responsabilité du médecin si le pharmacien est autorisé à remplacer de son propre chef un médicament.
Actuellement, nous avons le droit de le faire pour les médicaments qui figurent dans le répertoire des génériques.
Nous avons eu récemment une rupture de l'aspirine, à petit dosage, sous forme de comprimés. Nous l'avons remplacée par la forme sachet, mais nous devons légalement à chaque fois appeler le médecin. Certaines pharmacies très tatillonnes renvoient les patients chez le médecin pour obtenir une nouvelle ordonnance avec le nom du produit de remplacement, car la mention « substitution avec accord du médecin » n'a aucune valeur : quelle perte de temps pour le patient et le médecin et quel coût pour la sécurité sociale !
Je parle de l'Aspirine Protect®, dosée à 100 milligrammes, en comprimés, qui existe sous forme d'Aspégic®, à 100 milligrammes, et Kardégic, à 75 ou 150 milligrammes. Nous ne pouvons pas faire la substitution, alors que c'est de l'aspirine dans tous les cas.
En cas de pénurie, des recommandations pourraient autoriser le pharmacien à opérer une substitution avec des produits alternatifs nommément cités, de manière ponctuelle, sans avoir à appeler le médecin.
Pour certains produits, il est plus délicat de mettre en place des recommandations types : les antihypertenseurs par exemple.
Par ailleurs, le médecin n'est pas toujours joignable, par exemple le samedi.
Je veux évoquer la préparation des doses à administrer (PDA). Il faut faciliter la possibilité de déconditionner. Actuellement, la PDA ne peut se faire que de façon « éventuelle », au cas par cas. Les bonnes pratiques n'ont jamais été officialisées : les pharmaciens qui y ont recours engagent leur responsabilité. Il serait temps de les valider !
Les pharmaciens pourraient faire du déconditionnement pour gérer la pénurie. Il faut tout de même respecter la traçabilité et assurer la sécurité des piluliers, ce qui représente un investissement pour les pharmaciens.
Les PDA sont faites à grande échelle dans les maisons de retraite par des officines équipées du matériel nécessaire. Ce sont quelquefois des robots qui préparent les piluliers, ce qui est très onéreux. Nous pouvons le faire de façon plus artisanale, manuellement, mais la PDA exige du temps et du personnel, et nous ne sommes pas rémunérés pour cela.
La PDA pourrait être officialisée dans le cadre d'une pénurie.
La PDA est intéressante dans un cadre de santé publique et de meilleure observance du traitement. Dans le cadre d'une pénurie, elle peut avoir une utilité marginale. La délivrance « perlée » est une solution - actuellement, un dispositif médical sous tension est le capteur Freestyle Abbott®, qui permet aux diabétiques de mieux suivre leur glycémie. Nous les délivrons boîte par boîte, et non par deux boîtes, comme c'est la norme habituellement, pour satisfaire la demande. Les livraisons sont perlées, car la production du laboratoire permet tout juste de faire face à la consommation en temps réel.
La PDA est autorisée, mais seulement au cas par cas.
La PDA est « shadockienne » dans un modèle à la boîte ! Les règles prévoient les inscriptions sur l'envers des blisters, l'adjonction d'une notice et la boîte autour du produit. Avec la PDA, on renonce à tout cela !
Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Maurice-Pierre Planel, président du Comité économique des produits de santé (CEPS).
Nos précédentes auditions ont mis en lumière l'impact du prix de remboursement des médicaments sur les stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques, dont certains peuvent être amenés, faute de rentabilité jugée suffisante, à arrêter la vente en France de médicaments anciens ou génériques, ou à se reporter sur d'autres marchés européens plus attractifs. En outre, la massification des appels d'offres entraîne une forte pression à la baisse sur les prix des médicaments en milieu hospitalier.
Une revalorisation du prix de certains produits essentiels serait-elle donc, selon vous, de nature à préserver la multiplicité des fournisseurs ? Faut-il également réfléchir à des mesures facilitant le transfert de production d'un médicament essentiel vers une autre entreprise ou une structure publique en cas de retrait inéluctable ?
Vous avez reçu un questionnaire sur lequel nous souhaiterions, pour assurer la bonne qualité et l'utilité de nos travaux, recevoir des réponses écrites avant la fin du mois de juillet. Je souhaiterais vous poser quelques questions complémentaires.
Estimez-vous que le niveau du prix des médicaments fixé en France peut être à l'origine de situations de pénuries ou de difficultés d'approvisionnement par rapport à nos voisins européens ? Y a-t-il, de ce point de vue, une différence entre les médicaments innovants et les produits les plus anciens ?
Avez-vous déjà été conduits à réviser le prix d'un médicament particulier face à un risque de pénurie ?
D'une manière plus générale, une action sur les prix ne s'impose-t-elle pas pour prévenir les arrêts de commercialisation de certains médicaments anciens et génériques ?
Que penseriez-vous de la mise en place d'un prix plancher à l'hôpital, qui serait fixé par le CEPS, pour éviter la massification des marchés hospitaliers et les difficultés d'approvisionnement qui en découlent bien souvent ?
De quelles données disposez-vous sur le phénomène des exportations parallèles ? Celui-ci vous paraît-il faire l'objet d'un contrôle suffisant ?
Le CEPS est un comité interministériel composé de représentants du ministère de la santé et des affaires sociales, du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, des caisses d'assurance maladie du régime obligatoire et des assureurs complémentaires en santé, ainsi que de deux personnalités qualifiées : son président et son vice-président. Il comporte une section des dispositifs médicaux et une section du médicament.
Vos questions renvoient à la question des compétences du CEPS. Une série de prix échappe à la compétence du CEPS : les prix intra-GHS, qui figurent dans les groupes homogènes de séjour servant à tarifer les activités hospitalières, sont négociés directement entre les établissements et les laboratoires.
Le CEPS est compétent sur un champ large, mais délimité : il s'agit des médicaments remboursables inscrits sur la liste en sus, les médicaments dits « de rétrocession » distribués en pharmacie hospitalière, essentiellement destinés au traitement du virus d'immunodéficience humaine (VIH) et du virus de l'hépatite C (VHC), et les médicaments de ville. Ils représentent 32 milliards d'euros. Les médicaments non remboursables, dits OTC (« over the counter »), ont un prix libre.
La question des critères de fixation du prix en France se pose depuis la création de la sécurité sociale et la décision de rembourser les médicaments. À la Libération, les prix étaient administrés pour la quasi-totalité des secteurs de l'économie. Le médicament y a été soumis, et le prix est fixé en fonction du coût de production du produit, majoré de l'inflation et de quelques dépenses administratives accordées aux laboratoires.
Ce système de fixation du prix perdurera jusqu'aux ordonnances Jeanneney de 1967. Entre 1967 et 1999, on bascule progressivement vers le facteur de la valeur thérapeutique du produit. Le critère du coût de production est abandonné parce qu'il ne favorise pas l'innovation et qu'il est inflationniste -il suffit de faire augmenter les coûts de production pour obtenir un prix élevé. Par ailleurs, on quitte le monde historique de la construction de l'industrie pharmaceutique en France -le pharmacien devenu un industriel qui a l'habitude de travailler avec les autorités publiques nationales et de leur transmettre des informations- pour entrer dans un monde globalisé, dans lequel les groupes internationaux n'ont pas le décompte par pays de leurs activités de recherche et développement, ce qui pose le problème de la transmission des éléments relatifs au coût de production.
Le système actuel date de 1999, et on peut à juste titre s'interroger aujourd'hui sur sa pertinence et son efficacité. Il repose sur le double système du service médical rendu -l'inscrit-on, ou non, au remboursement ?- et d'amélioration du service médical rendu (ASMR) -quelle est sa valeur par rapport à ce qui existe déjà ?-.
Les critères de fixation du prix des médicaments sont fixés dans la loi : la valeur thérapeutique, c'est-à-dire l'ASMR ; la population à traiter ; l'utilisation en vie réelle, qui consiste notamment à vérifier que les médicaments sont bien utilisés selon les indications pour lesquelles ils sont vendus ; l'évaluation médico-économique, critère introduit en 2004 et renforcé en 2012, pour les médicaments supposés innovants et ayant un impact budgétaire supérieur à 50 millions d'euros.
Ce dernier critère ne s'applique donc qu'à une partie des médicaments examinés par le CEPS. La France se distingue des pays anglo-saxons, dans lesquels l'évaluation médico-économique se fait pour l'inscription au remboursement et pas pour la fixation du prix, avec des seuils : si le prix est en dessous d'un certain seuil, il est inscrit au remboursement, sinon il ne l'est pas. Un médicament innovant peut ne pas être inscrit au remboursement au Royaume-Uni.
Le médicament a une vie, notamment tarifaire : son prix est le plus élevé lors de sa première commercialisation puis tout au long de sa vie il ne cesse de baisser, sous l'influence de différents facteurs : l'arrivée de concurrents et l'ancienneté d'inscription, avec la perte de la propriété intellectuelle sur la molécule.
Le CEPS n'est pas un acheteur : il fixe les prix. Il ne peut pas dire à un laboratoire qu'il ne fixera pas le prix d'un produit, même si c'est le vingtième produit dans une même aire thérapeutique. L'unique levier à sa disposition, c'est de dire au dernier arrivé que le seul moyen d'entrer sur le marché est d'être moins cher que les autres. Le code de la sécurité sociale précise que, quand un médicament n'apporte pas d'ASMR, il doit permettre de faire des économies. Ce sont les ASMR V, qui entrent avec un prix moins cher sur le marché et font ainsi baisser les prix des produits déjà présents.
Certains médicaments anciens, dont les prix sont très bas, gardent un intérêt thérapeutique, mais les laboratoires peuvent décider d'arrêter leur production car ils ne gagnent plus d'argent. Ces médicaments peuvent alors réapparaître un ou deux ans plus tard à un prix deux ou trois fois plus élevé. Ne faudrait-il pas en augmenter les prix pour éviter dans ruptures et conserver un médicament assez peu onéreux ?
Des études peuvent montrer qu'un médicament dont l'indication thérapeutique était intéressante il y a 15 ou 20 ans l'est aujourd'hui beaucoup moins. Le prix est-il régulièrement réévalué en fonction des études ? Je pense notamment au fer injectable.
On peut y ajouter les médicaments qui ne sont plus commercialisés qu'en France.
Qui définit les critères, c'est-à-dire la valeur thérapeutique d'un produit, la population et l'usage ? C'est la Haute Autorité de santé (HAS), une autorité indépendante et collégiale composée d'experts. Elle formule des avis que le CEPS suit.
La HAS réévalue chaque produit tous les cinq ans. Il est néanmoins très rare que la HAS réévalue un produit à la baisse, car l'objectif principal de la réévaluation quinquennale est de savoir si un produit est maintenu ou non à l'inscription. Elle a ainsi proposé l'arrêt de la prise en charge des médicaments anti-arthrosiques à action lente il y a deux ans et des médicaments anti-Alzheimer cette année.
Il peut y avoir des réévaluations intermédiaires, notamment provoquées par l'arrivée de concurrents. Cela a été le cas pour le traitement de l'hépatite C dont le prix a été réévalué deux fois en cinq ans. La dernière génération de médicaments fonctionne pour les quatre génotypes, contrairement aux précédentes. Par conséquent, la HAS a réévalué la totalité des produits et de la stratégie.
Les produits injectables, notamment de chimiothérapie à l'hôpital, ne sont pas tarifés par le CEPS.
La loi ne prévoit que la révision du prix, à la hausse ou à la baisse. Mais dans l'accord-cadre qui lie l'État, via le CEPS, et les industriels, via leur syndicat, Les entreprises du médicament (Leem), une disposition spécifique prévoit que ces derniers peuvent demander une majoration du prix des médicaments indispensables. Cela concerne moins de dix dossiers par an.
Il existe des cas où des laboratoires arrêtent de fabriquer un produit puis la molécule réapparaît sous un nouveau conditionnement bien plus cher.
Je n'ai pas connaissance de tels cas.
Je rappelle que je n'ai pas de visibilité sur l'intra-GHS.
Si la commercialisation d'un médicament est arrêtée et reprend deux ou trois ans plus tard, nous reprenons le dossier là où nous l'avions laissé. En effet, les changements d'exploitants de produits sont fréquents et, traditionnellement, le nouvel exploitant vient directement nous voir pour dire que les conditions tarifaires ne lui conviennent pas.
En France, je n'ai pas connaissance de cas, comme aux États-Unis, où le tarif est multiplié par 55 en une nuit.
Ces cas concernent des produits d'oncologie plutôt à l'hôpital, où il n'y a pas de fixation du prix.
Les pharmaciens soulignent que les quotas sont une source de difficultés. Par qui sont-ils fixés ? Avec qui le laboratoire décide-t-il de limiter la livraison d'un médicament ?
Le laboratoire le décide seul.
Notre action sur les volumes se limite à vérifier contractuellement que le laboratoire ne dépasse pas le volume correspondant à la population fixée par la HAS. Par exemple, si la HAS déclare qu'une maladie rare concerne 32 personnes en France, nous nous assurons que le laboratoire produit bien pour 32 personnes et non 40, sinon cela signifie que le médicament sert à autre chose et qu'il n'y a pas de raison de le payer au prix décidé pour la maladie rare évaluée par la HAS.
Ensuite, il y a des seuils de volume. Ainsi, une remise est accordée lorsque le seuil de 10 000 boîtes est dépassé, une deuxième à 20 000 boîtes, et ainsi de suite.
Vous évoquez le cas où le laboratoire limite les livraisons en-deçà de la demande du grossiste répartiteur. La décision du laboratoire est-elle prise en concertation avec les partenaires publics ?
Le régime est organisé par la réglementation européenne et le laboratoire n'a aucunement l'obligation de commercialiser son produit en France, même si des associations de malades déplorent parfois que tel médicament soit vendu seulement à l'étranger.
Les délais du CEPS sont longs, c'est vrai. Mais le laboratoire dépose le dossier quand il le souhaite. Une fois que la HAS a donné son avis sur le remboursement, si le laboratoire ne veut pas fixer son prix avec le CEPS ou s'il n'est pas d'accord avec ce dernier, il peut décider de ne pas commercialiser son produit en France.
À ma connaissance, ce n'est le cas pour aucun médicament indispensable. Le marché français n'est pas connu, aujourd'hui, pour souffrir de l'absence de médicaments importants.
Ces propos sont précieux. En effet, nous devons éviter de construire une règle générale à partir d'un exemple.
Il ne faut pas confondre la non-commercialisation sur le marché français et le délai avant la commercialisation. Parfois, le produit peut arriver sur le marché français six mois ou un an après un autre marché. Or les malades échangent sur les réseaux sociaux et vont parfois acheter leur médicament à l'étranger.
Oui, c'est la réglementation européenne.
Tout se fait suivant des accords transfrontaliers et dans le Nord, avec le groupement européen de coopération territoriale (GECT), c'est comme s'il n'y avait pas de frontières.
Avez-vous des données sur les exportations parallèles ?
Je n'en ai pas. Le parallel trade existe, mais le CEPS n'a pas de données et, à titre personnel, je n'ai jamais réussi à obtenir de réponses précises.
Sur le prix plancher, la situation est radicalement différente à l'hôpital et en ville. À l'hôpital, le paiement est au forfait ou à l'épisode et le prix du médicament est compris dedans. Il faudrait donc inclure le prix plancher dans le tarif. Il me semble qu'une proratisation du tarif est réservée au médicament, mais vérifiez-le avec la direction générale de l'offre de soins. La vraie question est : sur quel fondement construire le prix plancher ? Ce serait plutôt sur les coûts de production, qu'il faudrait expertiser.
Pourquoi un prix plancher en France dans un marché mondialisé ? Dans ce cas, que feront les autres pays ? En Europe, les prix sont administrés dans les pays latins, libres dans les pays anglo-saxons et l'Allemagne tandis que, dans les pays nordiques, les appels d'offres sont nationaux. Il y a donc une grande hétérogénéité. Le chemin sera long vers un prix unique.
Sur les produits matures et génériqués, le CEPS répond au coup par coup selon les demandes des industriels.
Il y a eu une remise à plat complète de l'arsenal médicamenteux lors de l'arrivée des médicaments génériques. Comment expliquer que des princeps soient moins chers que des génériques ou au même prix ? Y a-t-il eu un travail de fond sur ce point ?
Le caractère global et mécanique de la fixation du prix des génériques ne date que de fin 2015. Depuis, la règle de droit commun est la suivante : à l'arrivée d'un générique, le prix du princeps baisse de 20 % et celui du générique est fixé 60 % plus bas que celui du princeps avant décote.
Nous gérons le flux avec succès et travaillons sur le stock de génériques deux fois par an, avec le comité de suivi des génériques.
En effet. Nous sommes en cours de négociation avec les industriels.
Les baisses de 20 % et de 60 % portent sur les prix en ville. À l'hôpital, le générique et le princeps ont le même prix -celui du princeps décoté- pour pouvoir répondre aux appels d'offres. La concurrence se fait ensuite sur les rabais consentis aux établissements. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) y est très attentive.
En ville, la décote est différente pour le produit biologique de référence et son biosimilaire. Notre souhait est d'obtenir une baisse de 20 % pour le premier et de 40 % pour le second. Les pharmaciens doivent gérer le signal prix à la caisse, ce qui est très compliqué. Le produit sans brevet doit être moins cher. À l'hôpital, la décote serait commune, mais son montant n'est pas encore fixé.
On annonçait que les biosimilaires assureraient des milliards d'euros d'économies. Est-ce le cas ?
Des économies substantielles sont effectuées. En 2018, trois biosimilaires de produits qui réalisaient ensemble un milliard d'euros de chiffre d'affaires sont arrivés sur le marché, ce qui a entraîné des décotes de 20 % et 40 %.
Les biosimilaires sont aujourd'hui une réalité.
Quand un médicament indispensable est régulièrement en pénurie ou en contingentement, réévaluez-vous son prix ? Ces manques sont de plus en plus fréquents.
Les critères de fixation des prix sont définis par la loi.
Je dois souligner que ce sont plutôt les industriels qui m'alertent sur les pénuries. Si d'aventure un produit cumule en même temps rupture de stock ou d'approvisionnement et demande de baisse de prix, l'industriel le souligne immédiatement.
Notre mission d'information poursuit ses travaux par l'audition de représentants de l'association Générique Même Médicament, plus communément appelée le Gemme. Je tiens à les remercier d'avoir répondu à notre invitation.
Le développement des médicaments génériques participe non seulement d'une politique de maîtrise des prix, mais également d'un mouvement de diversification des fournisseurs de produits essentiels pour nos concitoyens. Or il est apparu, à la lumière de nos précédentes auditions, que notre système d'autorisation de commercialisation et de fixation des prix des médicaments atteint ses limites dans la garantie d'un nombre suffisant de médicaments équivalents pour une même spécialité : un certain nombre de médicaments anciens comme de génériques peuvent être amenés à disparaître du marché en raison d'une rentabilité jugée insuffisante, les fabricants privilégiant d'autres marchés européens plus attractifs.
Votre approche sur ces sujets nous sera particulièrement précieuse dans notre réflexion.
Vous avez déjà reçu un questionnaire auquel nous souhaiterions recevoir des réponses écrites avant la fin du mois de juillet - nos délais sont très contraints.
Quelles sont, selon vous, les causes majeures des phénomènes de tension d'approvisionnement ou de pénurie de médicaments ? C'est tout le coeur de cette mission.
J'accorde une très grande importance à ma deuxième question : plusieurs des intervenants que nous avons déjà entendus nous ont indiqué que les pénuries pouvaient résulter de phénomènes de marché, les laboratoires privilégiant la vente de leurs produits dans les pays leur en offrant le meilleur prix. Confirmez-vous ce constat ?
Selon vous, le phénomène des exportations parallèles joue-t-il un rôle dans les pénuries de médicaments constatées sur notre territoire ? Disposez-vous d'une estimation de leur importance ?
Enfin, de l'avis de plusieurs des personnes auditionnées, les premiers plans de gestion des pénuries (PGP) mis en place à la suite de la loi Santé de 2016 seraient très peu opérationnels, voire vides. Quelles sont les difficultés rencontrées par les laboratoires dans leur mise en place ?
Merci d'avoir sollicité le Gemme. Nous n'aborderons pas le cas du vaccin qui n'est pas dans le périmètre du médicament générique.
Le sujet des pénuries de médicaments est particulièrement sensible et important pour les laboratoires, quelles que soient les spécialités qu'ils commercialisent.
Les laboratoires de médicaments génériques commercialisent des spécialités plus anciennes, qui font très souvent partie des standards de la pharmacopée et dont il n'est pas possible de se passer. Pour certains, ce sont des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur pour lesquels il n'existe pas d'alternatives récentes. Un approvisionnement continu et équilibré du marché national est une priorité pour les laboratoires.
Le Gemme et les laboratoires ont été largement impliqués avec les autres acteurs de la chaîne dans l'élaboration des derniers textes réglementaires, notamment celui qui définit les PGP. Le travail collectif sur les ruptures se poursuit actuellement avec les fabricants, les grossistes-répartiteurs, les pharmaciens, les hospitaliers et l'administration. Une mesure du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) porte spécifiquement sur la gestion des pénuries et des tensions d'approvisionnement pour les médicaments anciens que sont les antibiotiques et les anticancéreux. Ces travaux seront porteurs pour l'ensemble des produits.
La question des ruptures n'est pas spécifiquement française. Elle est européenne, voire mondiale. Le Gemme collabore avec Medicines for Europe dans le cadre des travaux de l'Agence européenne des médicaments (EMA). Partout en Europe, les inquiétudes sur les ruptures comme les moyens d'action sont communs, sauf le PGP, qui est une spécificité française.
Il existe différents types de ruptures : les ruptures de stock, qui concernent la disponibilité du médicament chez le fabricant, et les ruptures d'approvisionnement, au niveau de la chaîne de distribution. Nous nous concentrerons sur les premières.
Il existe plusieurs causes aux ruptures de stock. Premièrement, la mondialisation de la fabrication des substances actives entraîne une raréfaction des fournisseurs de principes actifs. Deuxièmement, des contraintes économiques et environnementales ont mené à une forte délocalisation des industries hors d'Europe, ce qui complique la chaîne logistique. Troisièmement, il peut exister des difficultés de production dans cette industrie. Quatrièmement, la nouvelle demande en provenance des pays émergents, très forte, déstabilise le marché puisque les capacités de production ne sont plus adaptées. Cinquièmement, la contrainte économique associée à la pression constante sur les dépenses de santé peut amener les fabricants à prendre la décision stratégique de cesser la production d'un médicament ; ce n'est plus possible de la poursuivre, à perte, quand son prix baisse alors que les contraintes réglementaires augmentent. Enfin la multiplication des étapes de fabrication, liée à la mondialisation, fragilise le processus : il suffit qu'un petit ingrédient manque pour que toute la production soit arrêtée. Pour les spécialités plus anciennes, les contraintes économiques sont de plus en plus fortes. Le prix de revient peut devenir supérieur au prix de vente, le fabricant n'est alors plus en capacité de fabriquer le produit à un prix qui lui permette de le revendre sans connaître de perte.
Les modalités des appels d'offres des achats hospitaliers ne sont pas spécifiques au médicament, elles sont les mêmes pour l'ensemble des achats hospitaliers ; par conséquent, elles ne sont pas adaptées, notamment pour le délai entre la conclusion de l'appel d'offres et la date à laquelle le laboratoire doit fournir les médicaments. On manque de visibilité sur les quantités.
Les génériques ne sont pas un facteur de rupture, au contraire. Ils réduisent le risque puisque davantage d'acteurs peuvent combler les défaillances des uns et des autres, sauf si le fabricant de la substance active est le même pour tous.
Les produits injectables sont souvent les plus concernés par le risque de rupture car le processus de fabrication en lui-même est très complexe.
On a mis en place des plans de gestion de pénuries qui rassemblent l'ensemble des mesures préventives et correctives qui permettent d'anticiper ou de minimiser les conséquences de l'éventuelle rupture de stock d'un médicament essentiel, d'intérêt thérapeutique majeur. Toutefois, ces plans ne règlent pas le problème quand la demande est supérieure à la capacité de production. Nous élaborons les PGP à partir de la liste des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), publiée par décret. Nous constituons aussi des stocks de sécurité. Le contingentement, s'il n'est pas une solution satisfaisante, limite tout de même l'impact du manque pour les patients.
La décision est toujours prise en lien avec l'ANSM. Celle-ci a créé un pôle de surveillance extrêmement efficace dans la conduite, le suivi et la coordination avec les industriels, notamment en ce qui concerne les stocks et l'identification. Nous, les industriels du générique, pouvons pallier la défaillance d'un concurrent ou du médicament princeps. Une solution peut aussi être l'importation, en lien avec l'ANSM, avec réétiquetage ou reconditionnement. Nous envoyons également des courriers d'accompagnement aux pharmaciens hospitaliers, auprès desquels il faut réagir très vite, parfois en livrant par taxi. Les PGP incluent aussi des sites alternatifs de fournisseurs de principes actifs ou de produits finis. Comme cela prend du temps, une des mesures futures serait d'accélérer le processus de validation des sites de principes actifs ou de produits finis, afin de disposer d'au moins deux sites alternatifs.
La communication entre les différents opérateurs concernés doit être optimisée pour que toutes les informations sur la rupture -causes, laboratoires concernés, état et évolution des stocks d'urgence, durée potentielle- soient fournies le plus rapidement possible aux professionnels de santé. Elle doit être précoce, dès l'alerte.
Certaines mesures existent déjà aujourd'hui, notamment depuis la mise en place des PGP en janvier 2017. Il semble toutefois que les PGP ne couvrent pas toutes les problématiques de la crise. Une réflexion commune entre les industriels et l'ANSM sur la nécessité d'harmoniser cet outil a débuté. Une surveillance de la couverture de soins des médicaments à intérêt thérapeutique majeur va également être mise en place avec les autorités, afin d'établir une liste des produits à risque, le nombre d'acteurs concernés, l'historique des causes de rupture et les difficultés d'approvisionnement constatées. Ainsi, on pourra définir ensemble l'outil de suivi régulier des stocks sous la responsabilité des laboratoires concernés.
Pour ce qui est du champ réglementaire, il faudrait instaurer des procédures accélérées pour les produits en pénurie afin qu'ils soient plus vite mis à disposition des malades grâce à davantage de flexibilité. Les contraintes réglementaires se sont multipliées et les délais sont trop longs et trop variables entre les pays, sachant que la production peut être localisée dans un site unique qui fournit beaucoup de pays. Quand la procédure d'enregistrement est trop longue, on peut attendre plusieurs mois, voire plusieurs années.
Nous demandons des mesures incitatives pour que les industriels rapatrient la production des principes actifs et des produits finis en Europe. Les premiers sont plutôt fabriqués en Chine, en Inde ou dans le Sud-Est asiatique. Il serait nécessaire d'intégrer tous les surcoûts de la fabrication en Europe. On assurerait ainsi notre indépendance sanitaire.
Enfin, en ce qui concerne les mesures économiques, le Gemme plaide pour une révision des modalités actuelles des appels d'offres hospitaliers afin d'en améliorer la lisibilité et l'anticipation. Il faudrait allonger le délai entre l'obtention de l'appel d'offres et le début effectif de l'exécution du marché. Nous plaidons aussi pour un découpage régional et une multiplicité des fournisseurs de médicaments, qui apporteraient de la souplesse ainsi qu'une solution de repli.
Ces dernières années, nous avons assisté au regroupement des achats des hôpitaux. Or n'avoir qu'un seul attributaire du marché fragilise l'approvisionnement.
Aujourd'hui, il n'y a que quelques acheteurs très centralisés bien plus larges que les GHT. Des appels d'offres émis à l'échelle des GHT offriraient une plus grande flexibilité.
Nous avons auditionné les acheteurs de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Pour les produits hospitaliers, nous plaidons pour la fixation d'un prix soutenable qui prenne en compte les mesures de prévention mises en place en amont par les laboratoires, lors de la soumission du marché.
Lors de précédentes auditions, on nous a dit qu'il serait difficile de fixer un prix plancher en France dans un marché mondialisé. Pourquoi les industriels ne refusent-ils tout simplement pas de répondre à des appels à bas prix ?
Nous souhaitons que des critères autres qu'économiques soient intégrés dans le prix du médicament, par exemple des mesures de stock ou de multiplicité de fournisseurs.
Nous souhaitons une valorisation des critères de sécurisation dans le prix, qui est souvent le critère prédominant de l'attribution d'un appel d'offres.
En ville, nous souhaitons une revalorisation des prix pour pouvoir poursuivre l'exploitation d'un produit quand le coût des principes actifs augmente tout comme celui des contraintes, telles que la sérialisation et les pictogrammes.
Les fabricants ont toujours la possibilité de demander une modification du prix, or il y a peu de demandes.
L'article 16 de l'accord-cadre s'applique plutôt aux produits en situation de monopole, puisque la demande émane du laboratoire. C'est plus compliqué lorsqu'il y a plusieurs opérateurs, ce qui est le cas des génériques.
Cette demande relève davantage du domaine conventionnel, entre les laboratoires et le CEPS, que du domaine législatif.
Tout à fait. Il faudrait rendre l'article 16 plus opérationnel.
Vous donnez l'impression que la pénurie n'existe pas dans les génériques. Ce n'est pas le cas.
Votre industrie est-elle capable d'accompagner l'Europe dans une démarche de réindustrialisation ? Les médicaments génériques existent parce qu'ils ont été portés par les politiques publiques. Ce serait un retour vertueux.
Nous y travaillons dans le cadre du CSIS avec les fabricants de principes actifs rassemblés au sein du syndicat de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (Sicos). La réflexion sur les antibiotiques et les anticancéreux, menée par le CSIS, bénéficiera à toute l'industrie.
Nous devons travailler sur l'ensemble du champ, y compris sur les contraintes de coûts et les contraintes environnementales.
Lorsqu'un fabricant sait qu'il va arrêter la production d'un principe actif, il pourrait l'annoncer afin qu'il soit possible de trouver un autre fabricant. Des mesures incitatives pourraient-elles être prises pour que l'entreprise s'installe en Europe, voire en France ?
Le fabricant d'un principe actif qui a l'intention d'en arrêter la production a l'obligation de nous en avertir entre douze et dix-huit mois avant, afin que nous ayons le temps de qualifier une nouvelle source, de l'auditer puis de faire réaliser les trois lots de validation du produit fini. La réglementation européenne et française, extrêmement contraignante, rend nécessaire un délai de douze à vingt-quatre mois pour valider un médicament. C'est pourquoi, dans les PGP, nous plaidons auprès des usines pour qu'elles qualifient un deuxième fournisseur de principes actifs.
Des délais existent aussi quand un laboratoire souhaite arrêter la commercialisation d'une spécialité.
Pour les médicaments dits d'intérêt thérapeutique majeur, nous discutons de l'arrêt de la commercialisation avec l'ANSM un an avant, afin de voir ce qui peut être fait, comme céder l'autorisation de mise sur le marché à un autre acteur pour faire travailler d'autres sites de production, ou rediscuter du prix pour que le fabricant ne produise plus à perte.
Revenons sur le caractère angoissant du générique, lorsqu'un médecin écrit « non substituable » sur l'ordonnance et que le pharmacien n'en tient pas compte. Je suis président bénévole d'une maison de retraite. Les personnes âgées sont angoissées lorsque leurs comprimés varient de couleur ou de forme. N'est-il pas possible d'écrire une charte imposant la même couleur et la même forme, voire le même conditionnement, à tous les médicaments identiques ?
Nous avons bien analysé cet axe. Pour limiter ce changement que vous qualifiez d'angoissant, la convention pharmacien prévoit de stabiliser le patient sur le même produit - l'avantage des personnes âgées étant qu'elles sont peu nomades.
La nécessité d'une même taille, forme et couleur que le médicament princeps a été introduite dans la loi, mais la mise en oeuvre est freinée par son caractère spécifiquement français, dans un marché mondial. Ce serait plus efficace si c'était plus largement étendu.
Quelle est la part du générique dans le médicament et que représentent ses laboratoires, économiquement ? Plus on pèse lourd, plus on peut modifier la chaîne de fabrication et faire revenir la production en Europe.
Le médicament générique représente 36 % du volume du marché pharmaceutique remboursable en France, contre plus de 50 % pour la moyenne européenne. Nous vous préciserons ces données par écrit.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Notre mission d'information poursuit ses travaux par l'audition de représentants des formations syndicales de l'entreprise Sanofi. Je tiens à remercier nos intervenants d'avoir répondu à notre invitation.
Notre mission d'information s'attache à faire la lumière sur les causes de pénurie de médicaments et de vaccins et l'exemple de votre entreprise nous est particulièrement précieux dans la mesure où Sanofi est leader en France dans la production de vaccins, au travers de sa filiale Sanofi Pasteur. Or il apparaît sur le site de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) que plusieurs vaccins, dont certains commercialisés par Sanofi, ont connu des ruptures de stock depuis 2016. La relance de la politique vaccinale suppose que nos capacités d'approvisionnement puissent satisfaire les besoins de notre population, notamment dans un contexte où il appartient tant aux pouvoirs publics qu'aux laboratoires de reconquérir la confiance de nos concitoyens dans les vaccins. Il nous sera utile de savoir si vous pensez que, parmi les onze valences désormais obligatoires, celles qui sont commercialisées par votre entreprise pourront être approvisionnées sans difficulté.
Je vous propose donc que nous échangions pendant environ une demi-heure sur votre analyse des causes qui peuvent expliquer les ruptures de stock et les tensions d'approvisionnement affectant les vaccins.
Quelles sont, selon-vous, les principales causes des situations de pénurie ou de tension d'approvisionnement constatées au cours des dernières années pour votre entreprise ? Pour quelles raisons la production de vaccins est-elle particulièrement touchée ?
Plusieurs des intervenants que nous avons déjà entendus nous ont indiqué que les pénuries pouvaient résulter de phénomènes de marché, les laboratoires privilégiant la vente de leurs produits dans les pays leur en offrant le meilleur prix. Confirmez-vous ce constat ?
Quels sont les maillons de la chaîne de production pharmaceutique qui vous paraissent aujourd'hui les plus fragiles ? Pour quelle raison ?
Quelles sont les solutions que vous souhaiteriez voir mises en oeuvre pour prévenir et gérer au mieux les situations de pénurie ?
Pour l'ensemble des médicaments, au-delà des seuls vaccins, les situations de pénuries peuvent résulter de plusieurs facteurs. En premier lieu, les industriels cherchent à réduire au maximum les coûts de production : ils privilégient la production à flux tendus en raison du caractère coûteux de la constitution et de la gestion de stocks. Une deuxième raison réside dans la nécessité de se fournir en matières premières auprès d'acteurs éloignés de la France -ce constat n'étant pas valable seulement pour Sanofi, mais pour l'ensemble du secteur. De leur côté, les fournisseurs de matières premières ont tendance à se concentrer pour atteindre une taille critique, ce qui contribue à alimenter les difficultés de l'ensemble de la chaîne de fabrication en cas de problème survenant chez l'un de ces fournisseurs. Enfin, une troisième raison résulte des stratégies mises en oeuvre par les entreprises pharmaceutiques, qui choisissent de ne pas investir dans la création d'usines usines doublons qui permettraient de pallier la défaillance d'un site de production. L'usine Sanofi n'échappe pas à ce modèle industriel qui vaut pour l'ensemble du secteur.
Mes propos porteront davantage sur l'activité de production de vaccins. Il s'agit d'un marché en forte progression, avec une demande accrue. Les temps de fabrications des produits étant très longs, l'industrie des vaccins est cependant peu réactive. Une combinaison pédiatrique comportant cinq valences peut nécessiter jusqu'à 36 mois de fabrication, entre le moment où le lot est mis en production et sa commercialisation. Un grain de sable dans les rouages de la fabrication de l'une ou l'autre de ces valences peut entraîner des délais importants pour la mise à disposition du produit fini. Nous travaillons sur un matériau vivant et biologique, ce qui emporte des aléas de fabrication spécifiques par rapport à d'autres industries exploitant des matières inertes -je pense par exemple au secteur de la métallurgie, dans lequel j'ai précédemment travaillé. C'est un élément à garder en tête dès lors que l'on se penche sur le problème des ruptures de stock.
À cela s'ajoute que l'entreprise peut mettre en oeuvre une stratégie d'optimisation des coûts afin de concentrer ses efforts sur ceux de ses produits qui ont la plus forte valeur ajoutée. Il me semble cependant qu'un équilibre doit être trouvé entre cette recherche de valeur ajoutée et les impératifs de santé publique.
Qu'entendez-vous par vaccins à plus forte valeur ajoutée ? Y a-t-il des critères objectifs en la matière ?
Certains vaccins sont plus rentables que d'autres parce qu'ils permettent de dégager davantage de marge brute. Un vaccin comportant cinq valences nécessite plus de travail et de temps que d'autres produits ; son prix est déterminé en conséquence. Vous pourrez poser directement la question à la direction. Nous constatons en tous cas, je le répète, que certains aspects de santé publique ne sont pas suffisamment pris en compte dans la stratégie industrielle de l'entreprise.
Certains vaccins peuvent rapporter davantage en volume ou en prix, notamment par rapport à des produits plus anciens ou visant une population plus petite, que l'entreprise peut dès lors choisir de ne plus fabriquer. Certains marchés sont plus rentables que d'autres. Ces facteurs stratégiques, qui ne sont pas propres à l'entreprise Sanofi, entrent en jeu dans les décisions d'investissement des laboratoires.
Il faut garder à l'esprit la spécificité de la chaîne de fabrication et de mise à disposition du vaccin. Nous travaillons sur du vivant, qu'il s'agisse de bactéries ou de virus, ce qui implique des exigences et des contrôles de plus en plus importants et des compétences spécifiques. Le maintien d'un milieu stérile et aseptique sur l'ensemble de la chaîne complexifie les processus. Nous devons par ailleurs respecter la chaîne du froid du début de la fabrication à l'administration du produit au patient. Ce sont autant de facteurs qui différencient l'activité de production des vaccins de celle d'autres médicaments.
Comme l'a souligné mon collègue, les processus de fabrication sont extrêmement longs, et varient entre 18 et 36 mois en fonction des produits. Plus les vaccins sont complexes et combinés, plus ils requièrent de technicité et d'attention tout au long de la chaîne de fabrication et de contrôle. En moyenne, 70 % du temps de fabrication, jusqu'à la fabrication des lots, est consacré aux opérations de contrôles.
J'en viens plus précisément à la question des ruptures de marché. Il est important pour les industriels d'avoir une vision claire des besoins des différents États à moyen terme, dans la mesure où la longueur des temps de fabrication rendent difficiles les changements d'orientation des chaînes de fabrication en fonction de la demande. Une meilleure vision des besoins en amont permet de provisionner la demande au moyen d'un lissage de la supply chain afin de faire face aux besoins. Quoique Sanofi soit une entreprise française, sa chaîne de fabrication est organisée de manière internationale : nous devons donc avoir une vision des besoins français pour pouvoir y satisfaire -d'autant que les maladies ne s'arrêtent pas aux frontières.
Pour les vaccins sur lesquels il existe un produit concurrent, les choix d'allocation aux marchés sont faits en fonction notamment du prix de vente. C'est une évidence et une réalité.
Le nombre de fabricants de vaccins disposant d'un portefeuille important de produits et capables de couvrir la demande mondiale est réduit. En outre, peu d'entreprises, à l'échelle mondiale, sont capables de franchir les fortes barrières à l'entrée de l'activité de production de vaccins. De ce fait, la croissance de la demande mondiale de vaccination emporte de fortes sollicitations sur les industriels du secteur, dont la capacité de production est limitée. Sanofi et Sanofi Pasteur privilégient encore dans une certaine mesure la France et l'Europe, mais il est difficile de ne pas répondre à la demande des autres pays : les préoccupations de santé publique n'existent pas qu'en Europe et dans les pays développés ! Dans cette perspective, les difficultés et les problèmes de production concernent tout le monde.
Lorsque nous avons pris des engagements contractuels sur des programmes publics de vaccination, nous les respectons ; nous sommes cependant ensuite obligés de faire des allocations. Il est vrai que, une fois que nous avons servi nos engagements contractuels, la société privilégie les marchés sur lesquels les prix sont les plus élevés. C'est une réalité économique que tout le monde peut constater.
Vous parlez beaucoup de facteurs économiques. Il nous a été reporté que, dans le cadre des marchés hospitaliers, la défaillance d'un laboratoire pouvait entraîner la reprise du marché par une autre entreprise, qui pratique alors des prix allant de 500 à 2000 % de celui initialement consenti. Il faut aussi savoir reconnaître que la santé publique est financée par de l'argent public.
De telles situations ne concernent pas les vaccins.
Comment les garanties des engagements contractuels pris dans le cadre des programmes de vaccination sont-elles déterminées ? Qui s'engage sur les volumes et les coûts, notamment ?
Les industriels prennent des engagements ; il n'y a cependant pas de garantie qu'ils puissent effectivement y répondre. Le problème est celui de l'adéquation entre la demande et l'outil de production. Nous sommes des industriels responsables ; mais même si nous faisons tout ce qu'il faut pour que les choses se passent bien, il y a toujours des aléas de production, pour l'ensemble des producteurs de vaccins.
La contractualisation perd de son intérêt pour des produits aux processus de fabrication aussi longs et complexes ! Si je comprends bien, il faudra trois ans avant que l'on sache si l'industrie pourra répondre au nouveau calendrier vaccinal ? L'outil industriel n'est-il pas sous-dimensionné ?
Entre le moment où la décision de construction d'un nouveau site industriel ou d'une augmentation de capacité sur une chaîne de production est prise et la libération du premier vaccin issu de cette chaîne, il peut s'écouler 5 à 10 ans. Aux impératifs industriels s'ajoutent les contraintes liées aux procédures d'agrément par les autorités. Comme dans toute industrie, un industriel pharmaceutique qui engage des millions d'euros sur de nouvelles unités de production a besoin d'avoir des engagements de volumes et de prix. Il est important qu'il y ait un dialogue resserré entre les industriels et les États, pour garantir une visibilité à tous.
Permettez-moi de relayer une interrogation d'un membre de notre mission d'information, qui ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui. Votre entreprise recourt semble-t-il à un nombre significatif de salariés en contrats courts pour répondre aux situations de surcroît d'activité. Ce type d'emploi permet-il selon vous de garantir la qualité de la production des médicaments et des vaccins ? Nous savons que les situations de pénurie peuvent découler du rejet de lots défectueux.
Les ruptures peuvent être dues à une hausse de la demande, à une décision politique de la part de l'entreprise de restriction de ses capacités de production, ou à une stratégie de rupture visant à maintenir le niveau des prix. Le tableau est complexe. Nous défendons la satisfaction des besoins de santé publique, sur le territoire français en priorité -où la sécurité sociale est payeur-, et la place de la France dans la stratégie industrielle mondiale.
Prenons l'exemple du Lovenox®, qui est un anticoagulant injectable. Ce produit est vendu à un prix bas sur le marché français, mais élevé en Allemagne ou aux États-Unis. Alors que les deux usines qui en assurent la production sont situées en France, nous constatons une tension pour ce produit sur le marché français. Cela signifie que l'entreprise a fait le choix d'alimenter les marchés les plus rémunérateurs.
Il n'y a plus de politique de stock en raison des coûts associés à l'immobilisation. Ce choix est critiquable, dans un contexte de difficultés d'approvisionnement générales et de désinvestissement de la production.
Les tensions viennent des choix politiques effectués par l'entreprise. Notre outil industriel est vieillissant ; les plans sociaux successifs ont fait baisser le nombre de salariés et posent la question du maintien de la compétence ; la multiplication des contrats courts et de la sous-traitance celle de la qualité de la production. Je ne suis pas compétent dans le domaine des vaccins ; sur les autres médicaments, je constate que l'industrie pharmaceutique prend des risques. Nous avons de plus en plus de lots à retraiter, et nous observons un retour des réclamations des pharmaciens, des hôpitaux et des patients. Les procédures ont été réduites sur certains produits. Si l'on appliquait le même modèle de gestion à l'aviation civile, nous assisterions à des catastrophes aériennes à répétition ! Et, alors que l'industrie aéronautique se sert des catastrophes pour enrichir sa check-list, on observe dans la période récente une évolution contraire pour la production de médicaments.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.